La mélancolie des pauvres
Résumés
La mélancolie à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance n’a pas été seulement le spleen des princes et des poètes. Elle a été aussi une grave maladie, qui menait parfois au suicide. Or les pauvres ont leur mélancolie. La littérature à destination populaire permet d’approcher cette mélancolie des pauvres, d’en démonter le mécanisme et d’en éclairer l’originalité face aux autres mélancolies.
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- 1 H. Ey, Études psychiatriques, Paris, Desclée de Brouwer, 1954, t. III, « Mélancolie », p. 117-200.
- 2 J. Starobinski, L’encre de la mélancolie, Paris, Seuil, 2012, p. 70 ; cité par H. Heger, Die Melan (...)
- 3 R. Klibansky, E. Panofsky et F. Saxl, Saturne et la mélancolie, Paris, Gallimard, 1989, p. 278.
1Au cours de l’histoire, la mélancolie, cette maladie de l’âme, a pris plusieurs visages. Pour la psychiatrie, elle est la tristesse et le désespoir, la forme la plus grave de la dépression. Elle se caractérise d’abord par l’insomnie et la maigreur, le mutisme et la solitude, ensuite par l’angoisse devant l’avenir, l’incapacité d’agir et le fatalisme, enfin par la mésestime de soi, l’autodépréciation et le sentiment de culpabilité. Elle s’accompagne de pensées obsessionnelles et peut mener au suicide1. Depuis l’Antiquité, elle est rapportée, comme son nom l’indique – melan-cholia, atrabile – à un excès de bile noire. De la puissance de cette image de la bile noire, de ce mythe, Jean Starobinski remarque : « nous n’avons pas encore complètement abandonné cette manière de voir, et peut-être correspond-elle à une intuition fondamentale […] L’atrabile est une métaphore qui s’ignore2 ». On n’en viendra à parler des nerfs qu’à partir de la seconde moitié du xviiie siècle. Dans l’Antiquité est élaborée la théorie des quatre tempéraments, dominés chacun par une humeur, les sanguins, les flegmatiques, les colériques et les mélancoliques. À partir du xiie siècle, la théorie des tempéraments réapparaît en Occident. Mais, au même moment, le renouveau de l’astrologie renforce l’idée que les hommes sont influencés par les astres. Le lien va être fait au xiiie siècle entre les planètes et les tempéraments : les sanguins dépendent de Jupiter, les flegmatiques de la Lune ou de Vénus, les colériques de Mars ; ceux qui sont nés sous l’influence de Saturne sont mélancoliques, sombres, lents, avares. « L’assimilation en particulier de Saturne au tempérament mélancolique, que l’Antiquité n’avait fait qu’ébaucher, trouve maintenant une formulation explicite3 ». Et le tempérament prédispose à la maladie.
- 4 J. Delumeau, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident, xiiie-xviiie siècles, Paris, Fay (...)
- 5 Voir aussi G. Agamben, Stanze : parole et fantasme dans la culture occidentale, Paris, Payot, 1994 (...)
- 6 A. Chastel, Marsile Ficin et l’art, Lille, Giard, Genève, Droz, 1954, p. 169.
- 7 Sur le Problème XXX, 1, du pseudo-Aristote, voir Klibansky et al., Saturne, p. 49-91.
2À la fin du Moyen Âge, la mélancolie se banalise jusqu’à se confondre parfois avec une tristesse passagère. Ce qui la rend souvent moins effrayante que la mélancolie des psychiatres. Au xve siècle, elle envahit la littérature française, chez Eustache Deschamps, Charles d’Orléans ou René d’Anjou. Elle devient à la mode. Et elle ne va pas disparaître à l’époque suivante. La Renaissance a été, pour reprendre la formule de Jean Starobinski, l’âge d’or de la mélancolie, de Marsile Ficin (De triplici vita, 1489) à l’Anatomie de la mélancolie de Robert Burton (1621)4. Cette réévaluation, opérée par les Néoplatoniciens, va modifier son visage, elle devient une maladie qui frappe les êtres d’exception et les artistes5. À la Renaissance, une liberté neuve ne trouve pas à s’exprimer. L’imagination et une sensibilité exacerbée y voisinent avec le doute de soi et le désespoir. « La mélancolie est le mal de l’esprit pris dans son impuissance ; elle naît de la confusion et des rêves vains6 ». La mélancolie, comme source obscure du génie, dévoilée dès l’Antiquité dans le Problème XXX, 1 du pseudo-Aristote, revient au premier plan7. Elle devient la source de l’inspiration, le spleen des artistes et des penseurs, un mal du siècle, qui devait durer bien au-delà de la Renaissance. Et Saturne, le père des mélancoliques, devient l’astre qui préside au génie.
- 8 M. Perrot, Mélancolie ouvrière, Paris, Grasset, 2012. Voir aussi « Mélancolie sociale », Sociétés. (...)
3Mais la mélancolie n’a pas frappé que les malades mentaux et les génies. Michèle Perrot a raconté la vie et les luttes syndicales de Lucie Baud (1870-1913), une petite ouvrière du Dauphiné, qui, après l’échec des grèves qu’elle avait animées, tentera, désespérée, de mettre fin à ses jours ; et elle a intitulé son livre « Mélancolie ouvrière8 ». Les pauvres aussi ont leur mélancolie, comme nous le montrent, à leur manière, les textes de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance. C’est cette mélancolie sociale, que nous allons tenter de déchiffrer, dans la littérature en Moyen Français. Cela nous fera accéder à quelques-uns des traits de ce qu’on peut appeler la culture à destination populaire. Les discours que nous allons croiser n’émanent, bien sûr, pas du peuple lui-même, mais ils sont portés sur le peuple, à une époque où culture populaire et haute culture se sont singulièrement rapprochées.
- 9 Klibansky et al., Saturne, p. 401 : l’élite intellectuelle considérait la mélancolie saturnienne « (...)
- 10 Sur l’acédie, C. Casagrande et S. Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, Flamm (...)
4Loin de la contemplation sublime des génies saturniens longeant le précipice, il a existé en effet, en arrière-plan de la mélancolie des élites, une mélancolie « populaire », celle du vulgaire ou que l’on attribue au vulgaire, qui ne fait que prolonger la part néfaste de Saturne. D’une certaine manière, le peuple récupère une maladie que les élites avaient tendance à s’approprier pour elles seules9. Or ces diverses mélancolies ont plusieurs caractères communs : le découragement devant l’action, l’apathie, que l’on retrouve aussi dans l’acédie, la mélancolie des ermites10 ; la peur devant le temps et l’avenir ; la tristesse entraînée par l’échec d’un désir et la frustration. La tristesse, l’ébahissement et la stupeur réapparaissent dans l’hébétude et la pâleur sur le visage des pauvres. La tristesse de vivre prend alors une couleur particulière. Elle n’est pas seulement une maladie de l’âme et le fruit de l’imagination, mais bien une maladie réelle. La pauvreté se donne comme maladie et se redouble comme délire triste. Et comme la mélancolie, elle se cherche des causes astrales et se place sous l’influence de Saturne.
- 11 De Saturne (xve siècle), Bibliothèque Nationale, ms. fr 1358, fol. 3r et 7v.
- 12 Chastel, Marsile Ficin, p. 163.
5Saturne, l’astre froid et lent, commande le tempérament mélancolique. Il est lui-même « nonchalant et paresseux », « triste, vieux, ort [repoussant] et salle11 ». Les deux figures antinomiques de Saturne, le bon roi de l’Âge d’or et le vieillard Temps destructeur et cannibale, se rejoignent dans l’idée d’un bonheur inaccessible et dans la stupeur devant la fuite du temps. La réévaluation, opérée par les Néoplatoniciens, de l’inquiétude saturnienne comme source du génie, fut de toute façon limitée ; elle ne fait d’ailleurs qu’exprimer d’une autre manière l’ambivalence de Saturne, le démon de l’extremitas rendant intenable l’écartèlement de l’homme entre la brute et le génie12.
- 13 Klibansky et al., Saturne, p. 320-321.
- 14 Ch. Perrat, « Sur un tas de prognostications de Lovain », François Rabelais. Ouvrage publié pour l (...)
- 15 F. Rabelais, Pantagrueline prognostication pour l’an 1533, chap. 5, éd. M.-A. Screech, Paris-Genèv (...)
- 16 E. Huguet, Le langage figuré au xvie siècle, Paris, Hachette, Macon, Protat, 1933, p. 131. Il s’ag (...)
6Mais, parmi les enfants de Saturne, il n’y a pas que des génies ; on trouve aussi les pauvres, les mendiants, les infirmes, les vieillards, les criminels ; Saturne est le dieu des pauvres et des opprimés13. Dans une pronostication de 1517, les saturniens sont « gens tristes, mélancoliques, fraudeleux, songars [songeurs], fars [trompeurs], voleurs de nuyt, pesantz, phantastiques14 ». Dans la Pantagrueline prognostication de Rabelais, « gens soubmis à Saturne, comme gens desporveuz d’argent, jaloux, resveurs […] gens melancholicques n’auront pas ceste année tout ce qu’ilz vouldroient bien ; ilz s’estudiront à l’invention saincte croix15 ». Cette invention de la croix est un jeu de mot, associant la fête de l’Église célébrant la découverte de la Croix et le fait de trouver une pièce de monnaie16. Elle renvoie au manque d’argent et à Saturne inventeur de la monnaie. Le mélancolique rêve, mais ses délires sont aussi causés par sa bourse vide.
- 17 François Villon, Le Lais Villon et les poèmes variés, éd. J. Rychner et A. Henry, Genève, Droz, 19 (...)
- 18 Roger de Collerye, Œuvres, éd. Ch. d’Héricault, Paris, Jannet, 1855, p. 56 (publiées en 1536).
- 19 Nous n’aborderons pas ici la mélancolie amoureuse. Sur le mal d’amour, ce que l’on appelait l’amou (...)
7Dans le débat avec son cœur, François Villon affirme lui aussi croire à l’influence des astres : « tel qu’il m’ont fait seray ». Et, dit-il, mon malheur vient d’eux, « quant Saturne me fist mon fardelet », me prépara mon sac, ma destinée17. Et Roger de Collerye, comme un mendiant, porte la besace : « Comme ung marault je porte le bissac […] Pareil me sens soubz le cours de Saturne18 ». Mais avant d’étudier la mélancolie des pauvres, il nous faut mieux comprendre ce qu’était la mélancolie pour les hommes du xve siècle19.
La tristesse et le désespoir
- 20 Georges Chastellain, Chronique, livre III, chap. 45, éd. J. Kervyn de Lettenhove, Genève, Slatkine (...)
- 21 Georges Chastellain, Chronique, t. II, p. 264.
8Georges Chastellain raconte dans sa chronique le malheur arrivé au duc de Bourgogne, Philippe le Bon. Égaré la nuit, dans une sombre forêt, dans la pluie et la neige, il n’espère plus en sortir vivant. Prince, il se retrouvait en un lieu, « que le plus povre des vivans eut abhominé », lui qui, la veille, était servi comme un prince, à présent « avoit les biens du monde et la dérision de Fortune, mouroit de faim […] et plein de pouvoir, n’avoit que povreté dure, par quoy certes, si n’eust esté la vertu de son haut cœur qui onques ne le souffrist condescendre à esbayssement, il eust pu cheoir en dure merancolye et en desespoir de soy mesme ». Ce haut duc était « le plus povre maintenant de ses subgès ». « Si povre n’avoit en la terre ». Au monde « n’y avoit homme si povre qui ne s’y trouvast à desespoir ». Il eut pu mettre fin à ses jours « par desespoir et courroux ». Mais « de male aventure convenoit faire risée ». Il aperçoit alors une lumière et espère trouver une maison habitée, mais il n’y a personne, c’est une charbonnière qui brûle dans la forêt déserte : « tourna son confort espéré en merancolie arrière et sa clarté perçue en obscurité d’annuy » ; il « voioit bien que Fortune se moquoit de lui et l’escharnissoit [le raillait] pour lui faire perdre patience ou au moins pour lui faire cognoistre ce que c’estoit de povreté humaine20 ». Ses courtisans, sans nouvelle, se désespèrent, « mis en ténébreuse chartre [prison] de merancolie, en la caverne de toute amertume et desconfort du monde par desespoir de leur maistre perdu21 ».
- 22 Sur l’utilisation de ce terme, voir A. J. Greimas et J. Fontanille, Sémiotique des Passions. Des é (...)
- 23 A.-J. Greimas, Du sens II. Essais sémiotiques, Paris, Seuil, 1983, p. 225.
9Il s’agit ici de crise mélancolique plus que de maladie. Et la métaphore du noir est partout. Reprenons les schémas narratifs à l’œuvre. Le duc, réduit à une extrême misère, n’a pas consenti pourtant à s’abandonner à « ébahissement » et à sombrer (à choir) dans la mélancolie. La perte de l’estime de soi (la dépréciation mélancolique) est ici représentée, objectivée, par le fait qu’il est devenu le plus pauvre des humains, victime de l’action de la Fortune. C’est à la fois une dépréciation venue de l’extérieur et une dépréciation intime. Le prince fait l’expérience de ce qu’est la pauvreté humaine. Mais il opère, par son haut cœur, « en patience et en risée », une mise à distance du désespoir, ce que l’on pourrait appeler un « débrayage22 ». Les courtisans sont, eux, emprisonnés dans la caverne d’un deuil qu’ils ne peuvent pas faire. En nous appuyant aussi sur l’histoire de la charbonnière abandonnée, nous proposerons un schéma de la mélancolie : les mots, « les lexèmes, se présentent souvent comme des condensations, recouvrant, pour peu qu’on les explicite, des structures discursives et narratives fort complexes23 ».
attente (espoir) → frustration (échec) → déception → dépréciation → désespoir
- 24 Épître au roi, Loquar in tribulacione (1440), dans Jean Juvénal des Ursins, Écrits politiques, éd. (...)
- 25 Jean de Roye, Journal, connu sous le nom de Chronique scandaleuse, éd. B. de Mandrot, Paris, Laure (...)
- 26 Mistère du Viel Testament (3e tiers xve siècle, publié en 1500), éd. J. de Rothschild et É. Picot, (...)
- 27 Chastellain, Chronique, t. I, p. 52-56. « Oncques puis » : jamais depuis.
- 28 Jean de Roye, Journal, t. I, p. 364 (1475).
10L’ébahissement est la forme prise ici par la déception. C’est la Fortune, bien sûr, qui ici amène le prince au plus bas niveau de la déréliction et lui fait connaître la solitude du pauvre, et c’est là qu’il croise la mélancolie et l’ébahissement. L’ébahissement est plus que la simple stupeur ; il est l’effroi, l’effroi devant la mort, la Fortune, l’avenir ; il entraîne la perte de force et de courage ; il laisse sans voix et assèche le futur. Jean Juvénal des Ursins dit : « Esbahis comme moutons qui ne treuvent point de pasture, comme gens sans force24 ». Et Jean de Roye : le tonnerre un vendredi saint « esbahit beaucop de gens, pour ce que les anciens dient toujours que nul ne doit dire helas s’il n’a oy tonner en mars25 ». La mélancolie aussi est peur devant l’avenir : « Prendre fault le temps tel qu’il vient, / fol est qui s’en mellencollie26 ». Le découragement entraîne le désespoir, le désespoir de soi-même, c’est-à-dire la tentation du suicide, qui fait maudire l’heure de sa naissance. Selon Georges Chastellain, la duchesse de Bourgogne Michelle, fille de Charles VI et épouse de Philippe le Bon, tomba dans une grave dépression, lorsqu’elle apprit que son frère, le dauphin, avait fait tuer son beau-père, Jean-sans-Peur, sur le pont de Montereau. Elle devait mourir quelques années plus tard. « Chartrière d’annuy et esclave de Fortune », elle disait « Que maudite soit l’heure de ma naissance, ny que engendrée fusse, ny conçue en ventre de royne » ; elle régna mais « tellement s’entoulla [s’enveloppa] en merancolye que oncques puis ne monstra joye27 ». Elle se tenait pour responsable du drame, et désormais « indigne » de son mari. L’attente ici est l’amour qu’elle aurait été en droit d’attendre de son mari. La dépréciation est l’humiliation, la culpabilité et la honte, dans lesquelles elle se trouvait désormais. « Chartrière d’ennui », c’est-à-dire prisonnière, comme tout à l’heure les courtisans pris dans la chartre de mélancolie, renvoie à l’idée que la tristesse plonge sa victime dans une solitude sans issue, analogue à la captivité ; comme la pauvreté d’ailleurs : « devenir en aussi grant captivité et povreté que fut onques Job28 » ; chétif (captif) signifie souvent au Moyen Âge pauvre.
- 29 On retrouve ce lien entre avarice et mélancolie dans la Melancolia-I de Dürer (Klibansky et al., S (...)
- 30 Eustache Deschamps (1346-1407), Œuvres complètes, éd. de Queux de Saint Hilaire et G. Raynaud, Par (...)
11La mélancolie est aussi la tristesse de l’avare29, du convoiteux, qui veut toujours acquérir davantage de biens. Insatiable, il ne peut être assouvi. Cela naît également de la crainte devant l’avenir. Cette insatisfaction continuelle va rendre le riche malade. Comme le dit Eustache Deschamps, « Li envieux n’a joie ne repos / Fors [sinon] que dolour, tristour, merancolie / Qui le destruit et seiche ses os » ; et aussi : « En amassant, puet on […] acquerir courroux, merencolie, / Dont venir puet crueuse maladie […] A paines puet riches homs reposer / Ne bien avoir, toujours merancolie / De l’un avoir veult à l’autre tirer […] tousjours crie / Que povres est, et ne lui souffist mie30. » Le schéma de l’avarice suppose un désir excessif d’acquérir, entraînant une insatisfaction permanente (ne pas pouvoir se contenter, craindre de perdre), qui mène à l’obsession et à la maladie, bien proche d’une monomanie. L’autodépréciation est ici de se voir toujours pauvre. Nous ne sommes pas loin du schéma de la mélancolie du duc de Bourgogne, mais la fin, le désespoir qui mène au suicide, manque. Le parcours en est simplifié :
attente excessive → frustration → crainte (déception) → obsession (maladie)
- 31 Klibansky et al., Saturne, p. 449 et 474 : « nyemant getruwen ich ».
- 32 Bonaventure Des Périers, Nouvelles Recreations et Joyeux Devis (1558), éd. K. Kasprzyk, Paris, STF (...)
- 33 La farce de deux savetiers, éd. Fournier, Le théâtre français avant la Renaissance, mystères, mora (...)
- 34 « Combien est misérable la vie du tyran » (ca 1400), cité dans A. Piaget, « Le chapel de fleurs de (...)
12Une gravure allemande montre le mélancolique saturnien en avare, en train d’enterrer son trésor : je ne me fie à personne, dit la légende31. Le soupçon, la peur obsessionnelle des voleurs font cesser l’échange interhumain et mènent à la solitude, qui est un des traits de la mélancolie. Que la mélancolie frappe le riche avare, c’est ce qu’a bien compris le savetier Blondeau, « qui en son temps rien n’amassa », mais vivait toujours joyeux ; il « ne fut onq en sa vie melancholic que deux fois », « marry » et « pensif » que deux fois ; à cause d’un singe, qui lui endommageait ses cuirs, et lorsqu’il trouva un trésor. « Il ne songeoit qu’en ce pot de quinquaille. Il fantasioit en soy mesme. “[…] je ne fay que penser en mon pot.” » « Il craignoit […] qu’on le lui desrobast. » Il jeta alors ce pot à la rivière « et toute sa mélancholie avec ce pot32 ». L’argent devenait une obsession exclusive, une « fantaisie », une monomanie. La réponse du savetier va lui permettre une sortie de la mélancolie, elle opère un « débrayage », qui met en scène le thème de la pauvreté joyeuse. Ce thème s’incarne en particulier dans la figure du savetier33. Mais on le retrouve aussi dans la pastorale, avec les bergers : ainsi Pierre d’Ailly, dans les « Contredits de Franc Gontier », oppose le tyran « triste, pensis, plain de merencolie », à la vie du berger Franc Gontier, « sobre leesse [liesse] et nette povreté34 ».
- 35 Jean Dupin, Les Mélancolies, éd. L. Lindgren, Turku, Turun Yliopisto, 1965, p. 130-131, v. 2245 à (...)
- 36 A. de Montaiglon et J. de Rothschild (éd.), Recueil de poésies françaises des xve et xvie siècles,(...)
- 37 Mistère du Viel Testament, t. IV, p. 112 et 114, v. 29657 et suiv. et 29751.
- 38 Voir Klibansky et al., Saturne, p. 142.
13Jean Dupin dans Les Mélancolies aborde une autre face, le songe, les délires et les rêves du mélancolique : « Convoitise et mélancolie / Sont touz jours d’une compaignie […] Melancolieux par usaige / Ymagine en son coraige / Autruy avoir et signorie. / En son cuer fait de beaulx ovraiges […] Celluy qui dort en son penser / Fait en son cuer maintes citez, / Mains chasteaulx, mainte region. / Une hore est roy, l’autre hore est per35. » Les châteaux sont des châteaux en Espagne. Le mélancolique veut devenir riche et l’envie concerne aussi l’ascension sociale. Mais il en perd le repos. Dans le Débat de l’Homme et de l’Argent, l’Homme condamne l’argent et l’avarice, mais l’Argent lui répond : « Cil qui ne m’a tousjours est triste ; / De desplaisir est tout deffait / Et bien souvent est fantastique. / Il voit denrées en boutique / Et n’a de quoy les acheter ; / Alors devient mélancolique36. » Le fantastique est celui qui se laisse aller à des chimères, nées de la frustration. Y coexistent ce qui est désiré et son caractère inaccessible. C’est ce qui est dans la tête et non dans le réel. Mais le fantastique et la fantaisie ont une autre face, ils ne sont pas qu’imagination, ils sont aussi inquiétude, idées tristes et obsessionnelles. Saül, abandonné de Dieu, auquel il a désobéi, dans sa mélancolie dit : « je suis si tresfantastique, si perplex et merencolique, que j’ay l’entendement cassé […] Jamais ne fus si esbahi37. » L’autodépréciation est ici la perte de l’amour de Dieu, le désespoir du salut. David tentera de l’apaiser avec sa harpe. La musique soigne la mélancolie38.
- 39 P. Guérin (éd.), Lettres de rémission, Recueil de documents concernant le Poitou, contenus dans le (...)
14La notion de « fantastique » est étroitement liée à la mélancolie. Elle correspond à des pensées obsessionnelles et dévalorisantes. La jalousie peut fournir un autre exemple : elle conduit parfois à la mélancolie, comme le remarquait Robert Burton dans son Anatomie de la mélancolie. En 1462, un crime a lieu dans l’Angoumois : un petit seigneur, « très fort geleux [jaloux] et suspeçonneux », étant allé pour affaires loin de sa jeune femme, « s’en partit souldainement comme homme fantastique et melencolique, sans dire adieu ou autre chose et tout seul », alors qu’il avait coutume de se faire toujours accompagner. Il revint « à tue cheval » à sa maison, où il surprit son frère et sa femme au lit39. Le jaloux enfermé dans son obsession et sa solitude, dévoré par la défiance, devient « fantastique ». Le schéma est voisin de celui de l’avarice : il va de l’attente (attachement exclusif) à l’inquiétude et finalement au soupçon. La crainte et la défiance correspondent à la déception. Mais au lieu de sombrer dans l’apathie du mélancolique, le jaloux veut savoir et voir. Et cela le mène à la crise, voire à la violence. Le petit seigneur, trouvant son frère au lit avec sa femme, « par grant ire » et « grande fureur » le tue. La violence est une manière de sortir de la mélancolie. Nous croisons là un des traits de la mélancolie ancienne, son ambivalence, sa capacité à basculer tantôt dans la tristesse, tantôt dans la colère. Nous devrons revenir sur cette double face.
- 40 Les Moyens d’éviter merencolie, éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil, t. II, no 37, p. 42 et suiv (...)
15Mais laissons les jaloux et revenons au Débat de l’Homme et de l’Argent et à l’avarice. On entrevoit que la question peut se renverser ; ce n’est plus le riche avare que guette la mélancolie, mais le pauvre qui peine à joindre les deux bouts, à vivre au jour le jour. C’est bien ce qu’indiquent Les moyens d’éviter mérencolie, de soy conduire et enrichir en tous estatz par l’abondance de raison. Ce petit traité de Jacques d’Adonville précise les conduites à tenir pour éviter la pauvreté : « Considéré qu’en tous estatz / Sont de gens au monde grant taz / Désirant joye et biens avoir / Mais les moyens ne peuvent sçavoir / Souffisans pour à ce venir / Et à ceste fin parvenir, / Dont se donnent mérencolye / Qui avec eulx se joinct et lye » ; ainsi celui qui vit « au jour la journée / Et ne pence au temps advenir » ne parviendra à nul bien40 ; la mélancolie comme frustration frappe aussi le pauvre. Nous ne sommes plus ici, comme pour le savetier Blondeau, dans le thème de la pauvreté joyeuse, mais dans la dure nécessité du monde réel. Il y a bien deux discours sur la mélancolie du point de vue du pauvre : soit elle le frappe quand il devient riche, soit elle le frappe parce qu’il est pauvre. Le discours sur la pauvreté joyeuse n’est d’ailleurs peut-être qu’un leurre, dont personne n’est totalement dupe.
Le pauvre et la mélancolie
- 41 La Vie et l’histoire du mauvais riche, éd. Fournier, Théâtre, p. 75 et 77 (probablement règne de L (...)
- 42 Philippe de Vigneulles, Cent Nouvelles Nouvelles (avant 1515), éd. Ch. H. Livingston, Genève, Droz (...)
- 43 La « fatalité » est aussi présente dans la mélancolie des psychiatres : « enchaînement absolu du m (...)
16La tristesse, le désespoir, l’insatisfaction ou le désir inassouvi, concernent donc aussi les pauvres. Même s’ils ne les mènent que rarement au suicide. À la porte du mauvais riche, qui n’avait cure de « povres gens », mais leur faisait « honte et laidure [injure] », le pauvre ladre, le lépreux, venait « moult aggravé de maladie / Et avoit sa mélencolie » ; il demandait les miettes qui tombaient de la table, mais personne ne lui en donnait ; « j’ay désir / Trop fort de manger du relief [des restes], / Dont mon cueur est à tel meschief », à telle extrémité, que je mourrai41. La mélancolie semble bien ici concerner la faim inassouvie, le pain de chaque jour. Dans la 57e nouvelle de Philippe de Vigneulles, il « y avoit un pouvre savetier qui […] gagnoit sa vie de son mestier au mieulx qu’il povoit en bien grant peine. Et se parforçoit tant qu’il pouvoit de devenir riche et gaigner de nuyct et de jour, mais Fortune luy estoit sy contraire que pour peine qu’il print, ne pour coucher tart ne lever matin, il ne pouvoit venir de pain à aultre, dont il estoit en grant melencolie42 ». C’est bien toujours le même schéma que nous voyons à l’œuvre. Il y manque le désespoir et la dépréciation de soi, mais ce dernier élément est sans doute là dès le début, dans la fatalité qui colle à la vie des pauvres ; et il prend la figure de la Fortune. C’est la présence de la Fortune, ici comme pour le duc de Bourgogne et la duchesse Michèle, qui, au moins en partie, donne une couleur particulière à la mélancolie de cette époque43.
attente → frustration → déception (meschief) → dépréciation
- 44 Guérin (éd.), Lettre de rémission (1462), Recueil, t. X (Archives historiques, t. XXXV), 1906, p. (...)
- 45 Jacques Bruyant, ca 1342, publié en annexe dans Le Ménagier de Paris, éd. G. E. Brereton et J. M. (...)
17Jetons maintenant un coup d’œil du côté des archives judiciaires. Un jeune cordonnier de Niort, laissé sans argent à Poitiers par sa tante, dût revenir à Niort, « à grant povreté et misère à l’aide et aumosne des bonnes gens ». Et parce que sa tante, avare, ne l’aidait pas, il « se mezencolia » et décida de quitter Niort ; et « pour ce qu’il estoit pouvre compaignon et n’avoit de quoy vivre, ne pour s’en aller […] lui estant en icelle mezencolie », il alla chez sa tante pour la voler44. La mélancolie est bien la tristesse du pauvre, la perte de l’espoir, mais elle peut être aussi la rage de l’impuissance, elle se transforme alors en ressentiment, en colère, en action. Elle peut conduire au vol. Nous retrouvons l’autre face de la mélancolie, celle qui passe de la tristesse au ressentiment et à la violence. C’est une autre façon d’en sortir. Dans le Chemin de povreté et de richesse, Jacques Bruyant dit du paresseux, qu’il va tout droit à « Povreté », et quand il s’aperçoit de sa folie, « lors entre en grande merencolye […] en soussy […] en desespoir, / Dont il devient larron » et vole les gens ; puis il accuse Destinée, mais c’est bien lui le responsable de son malheur45. Nous croisons à nouveau la Fortune.
- 46 La Pacience de Job, mystère anonyme du xve siècle, éd. A. Meyer, Paris, Klincksieck, 1971, v. 3405 (...)
18Dans la Pacience de Job, la femme de Job se plaint : « Nous soulions [avions l’habitude d’] estre tenuz / Les plus riches de ceste terre ; / Or somez pauvrez devenus/Tant qu’il nous fault l’aumosne querre [quérir]. » Elle prie Dieu de l’ôter de cette vie ; « Or ay-je bien merencolye / Puisque j’ay perdu tous mes biens. » Maintenant je suis « a honte et vergoigne / de toutes la plus pauvre femme ». Plus tard, un ami dit à Job : pour les biens de ce monde, « vous estes mys à grant rancure, / A tel meschief, à telle douleur / Qu’il me semble que c’est fouleur » – variante du dernier quart du xvie siècle : « Tantes estes en desconfiture, / En meschef et mélencolie/Qu’il me semble que c’est follie46 ». Reprenons notre schéma de base :
attente → frustration → déception → dépréciation → désespoir
19L’attente, ici comme pour le duc de Bourgogne, est ce que l’on était en droit d’attendre de la vie. La frustration n’en est que plus grande. La dépréciation mélancolique correspond à la chute en pauvreté. Le regret du bonheur perdu mène à la folie.
- 47 Mistère du Viel Testament, t. V, v. 37048-37049, 37062-37063 et 37091.
20Dans Le Mistère du Viel Testament, sa femme dit à Job : « Or es tu meschant [malheureux] devenu, / Tu as tout perdu, tu n’as rien […] Demeure à ta merencollie, / Demeure à ton vouloir mauldict » ; elle pense en effet qu’il a été puni pour avoir offensé Dieu, mais qu’il ne veut pas le reconnaître et qu’il continue dans sa détresse à le remercier ; la mélancolie est tristesse, abandon, mais aussi fixation obsessionnelle, illusion et refus du réel. L’épouse quitte son mari et ses gens le laissent « triste, pensif, merencollique47 ».
- 48 Voir le Dictionnaire de la langue française du xvie siècle d’E. Huguet, Paris, Champion, 1925, t. (...)
- 49 Mesquin, de l’arabe : pauvre ; la meschine est la servante. Mesquin prend le sens d’avare au xviie(...)
21Nous sommes donc maintenant devant deux mélancoliques en apparence très différents, celui qui n’a jamais assez, l’avare toujours insatisfait et craignant de perdre son trésor, et celui qui n’a rien, le pauvre qui désespère et ne parvient pas à venir d’un pain à un autre, ni à sortir de sa misère. Nous sommes ici au cœur de l’écart entre la mélancolie des pauvres et celle des riches. Comment est-on passé de l’une à l’autre ? En réalité, contrairement au sens actuel, où l’avarice est d’abord refus de dépenser, parcimonie, chicheté ou ladrerie, « avare » a très longtemps signifié aussi avide, convoiteux, celui qui a le désir d’acquérir ce qu’il n’a pas48. Par ailleurs, la dévalorisation de l’avarice est aussi sociale : l’avarice est le fait du vilain, la largesse et la générosité appartiennent au modèle de vie noble. Ces deux phénomènes convergent pour rapprocher l’avarice et la bassesse sociale, comme en témoigne l’évolution de mesquin49.
- 50 Piero Camporesi, Le pain sauvage. L’imaginaire de la faim de la Renaissance au xviiie siècle, Pari (...)
- 51 Dialogue de Mallepaye et de Baillevent (règne de Louis XI), Fournier (éd.), Théâtre, p. 120. Faux (...)
- 52 Proverbes en rimes, éd. G. Frank et D. Miner, Baltimore, Hopkins, 1937, p. 73, v. 1129-1136 (derni (...)
22Mais il y a encore autre chose. Le pauvre ne pouvant rien dépenser est contraint à l’avarice, à la lésine. C’est l’interprétation que donne Piero Camporesi d’une satire italienne de la fin du xvie siècle, Della famosissima Compagnia della Lesina, où sont décrits tous les moyens d’épargner pour survivre à l’étroitesse de bourse : « L’humour aigre de la Compagnie de la Lésine avait codifié un style de vie que beaucoup devaient par nécessité absolue observer. » Le livre rapporte l’histoire du vice-roi de Naples qui proposait, pour résoudre les crises frumentaires, de mêler au pain des racines réduites en poudre. En diminuant la consommation de blé, l’on rendrait celui-ci surabondant. Et ce pain amer, on l’aurait fait plus gros et on en aurait mangé moins. Tout le monde en aurait profité. Mais le peuple, ces gloutons insatiables, dit le texte, ne le voulurent pas. Et Piero Camporesi ajoute : c’était bien de ce mauvais pain, dont devaient se nourrir les pauvres en temps de famine. L’ironie est amère50. Messieurs de Mallepaye et de Baillevent dialoguent pareillement sur l’avarice : « Je crains – Et quoy ? – Qu’avarice / Nous surprint, si devenyons riches / – Riches ! Quoy ? Ceste fausse lisse, / Pouvreté, nous tient en sa lisse / – C’est ce qui nous faict estre chiches51. » Dans un recueil de proverbes, Pauvreté tient pareillement en ses filets le pauvre chiche : « Un povre homme n’est jamais riche / Povreté le tient en ses las [liens] / Et le contraint tant d’estre chiche / Qu’il n’a ne plaisir ne soulas, / Car quant il a prins son repas / Au disner d’ung ou d’aultre,/A son soupper il n’advient pas/De l’ung des pains jusques à l’aultre52. » L’avarice forcée du pauvre est bien, comme nous l’avons déjà vu, de ne pas pouvoir venir d’un pain à l’autre.
- 53 C. Kerbrat-Orecchioni, « Problèmes de l’ironie », L’ironie, Presses universitaires de Lyon, 1978, (...)
23Nous avons changé de registre. On parle de lésine, de chicheté, l’écart se resserre entre le riche avare et le pauvre chiche. Deux discours se chevauchent. La mélancolie va frapper les deux, mais pas de la même manière. Dans le cas du pauvre, nous sommes dans l’ironie ou plutôt l’humour noir53. Le détachement à l’œuvre permet alors de surmonter l’inquiétude et la tristesse. L’autodérision opère à sa manière un « débrayage » dans la mécanique inexorable de la mélancolie.
- 54 Guillaume Coquillard, Droitz nouveaulx (1480), v. 1989, dans Œuvres, éd. M. J. Freeman, Paris, Gen (...)
- 55 Le recueil des repues franches de maître François Villon et de ses compagnons, éd. J. Koopmans et (...)
- 56 Ditz de Maistre Aliboron (ca 1495), éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil, t. I, p. 37 et 39. Voir (...)
- 57 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690, art. « Alchymie ».
- 58 Antoine Oudin, Curiositez françoises, Paris, 1656, art. « Alquemie ». Notons par ailleurs, que l’a (...)
- 59 Fleury de Bellingen, L’Étymologie ou explication des proverbes françois, La Haye, Vlacq, 1656, p. (...)
- 60 Philippe de Vigneulles, Cent Nouvelles, p. 352.
- 61 D’approcher la mort par famine. Fleury de Bellingen, p. 46 : l’avarice se « vante de faire l’alche (...)
- 62 « Pronostication nouvelle » (ca 1525), éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil, t. XII, p. 158. Faut (...)
- 63 J. Morawski, Proverbes français antérieurs au xve siècle, Paris, Champion, 1925, no 139 (xiiie siè (...)
- 64 Mallepaye et Baillevent, éd. Fournier, Théâtre, p. 114.
24Une locution existe depuis au moins la fin du xve siècle qui relève du même registre : « faire l’alchimie avec les dents » : « Ceulx qui font l’arquemie aux dens54 » ; « faire aux dens l’arquemye55 ». Maître Aliboron a parcouru le monde : « Je suis nud comme un veau / Et n’ay de quoy fourbir mes dentz » ; j’ai « sans feu aux dentz faitz l’arquemie56. » Le dictionnaire de Furetière57 explique ainsi notre locution : « lorsqu’on remplit sa bourse par l’espargne de sa bouche ». Faire l’or ou l’argent avec les dents, c’est les détourner de manger, économiser en jeûnant. C’est ce que proposait à sa manière le vice-roi de Naples. Furetière ajoute que certains comprennent l’expression de façon littérale, par référence à Midas qui convertissait en or tout ce qu’il mangeait. Antoine Oudin ne mentionne que ce sens littéral, « manger et gagner de l’argent en mesme temps58 ». En réalité Dionysos lui ayant accordé un vœu, Midas avait demandé que tout ce qu’il toucherait fût transformé en or ; cela le conduisait inexorablement à la famine, comme le rappelle Fleury de Bellingen59. La formule pouvait en tout cas être comprise de deux manières, d’où l’ironie : devenir riche en trouvant le secret de l’or ou en rognant sur les dépenses. Dans la 91e nouvelle de Philippe de Vigneulles, un avare « avoit des biens en habundance car il faisoit langue nue, c’est assavoir l’or et l’argent aux dentz60 ». Fleury de Bellingen associe lui aussi le proverbe avec l’avarice : « il arrive à l’avare ce que les fables disent être arrivé à Mydas61. » Mais, dans nos textes, ce discours est aussi attribué aux pauvres ; ce sont eux souvent qui « font l’alchimie » en jeûnant, sans feu, et en ayant froid aux dents. C’est là que peuvent se nouer nos deux mélancolies. Et celle des pauvres manie l’autodérision. L’avarice forcée des pauvres, c’est donc aussi le jeûne forcé. Il y a une grande proximité entre le ventre creux et la bourse vide. Dans une pronostication « pour trois jours après jamais », « il courre une maladie / Fort maulvaise, selon qu’on dit, / Car le povre homme qui mendie / Sera banni de tout crédit. / Povres gens, qui n’auront nulz vivres / Et ne pourront d’argent finer [trouver], / Ainsi que je treuve en mes livres, / Auront licence de jeuner62 ». « Assez geüne qui n’a que mengier », dit un proverbe du xiiie siècle63. Et Mallepaye et Baillevent sont « De donner pour Dieu dispensez, / Car nous jeusnons assez souvent64 ». Le jeûne et l’aumône (donner pour Dieu) rachetaient les péchés. L’ironie se joue ici du discours chrétien, qu’elle subvertit.
La maladie de faute d’argent
- 65 Le recueil des repues franches, v. 293-294.
- 66 F. Rabelais, Pantagruel, XVI, in Œuvres complètes, éd. M. Huchon et F. Moreau, Paris, Gallimard, 1 (...)
- 67 F. Rabelais, Pantagruel, XVII, p. 277. Sur la formule « qui jamais ne virent père et mère », voir (...)
- 68 F. Rabelais, Pantagrueline Prognostication, chap. 3, p. 11-12. La pierre philosophale est la pierr (...)
25Le pauvre mélancolique manque de pain, mais aussi d’argent. Obsession de l’argent et mélancolie sont liées : « Il est en telle merencolie, / Qu’il ne parle riens que d’argent65. » Rabelais disait des gens soumis à Saturne qu’ils en étaient dépourvus. La maladie qui les frappe pourrait bien être celle que l’époque a appelée Faute d’argent. Panurge était « subject de nature à une maladie qu’on appelloit en ce temps là, faulte d’argent c’est douleur non pareille, toutesfoys il avoit soixante et troys manieres d’en trouver tousjours à son besoing, dont la plus honorable66 » était le larcin. « Un jour je trouvay Panurge quelque peu escorné et taciturne, et me doubtay bien qu’il n’avoit denare dont je luy dys. “Panurge, vous estes malade […], vous avez un fluz de bourse, mais ne vous souciez. J’ay encore six solx et maille, qui ne virent oncq pere et mere, qui ne vous fauldront [manqueront] non plus que la verolle, en vostre nécessité”67. » La Pantagrueline Prognostication pour l’an 1533 prévoit, parmi les maladies de l’année, que « regnera quasi universellement une maladie bien horrible, redoubtable, maligne, perverse, espoventable et mal plaisante, laquelle rendra le monde bien estonné, et dont plusieurs ne sçauront de quel boys fayre fleches, et bien souvent composeront en ravasserie, sylogisans en la pierre philosophalle ; et l’appelle Averroys […] faulte d’argent68 ». Rabelais fait du manque d’argent une maladie de naissance pour Panurge, mais aussi pour tout le monde une épidémie redoutable, conjoncturelle, qui rend taciturne et fait délirer en rêvasserie et en alchimie.
- 69 Roger de Collerye, rondeau no 71, Œuvres, p. 223 ; no 48, p. 208 ; no 50, p. 209.
- 70 Le vin du notaire qui a passé le testament de quatre tournoys, éd. Montaiglon et Rothschild, Recue (...)
26À la même époque, Roger Collerye, dans le rondeau 71, décrit plus précisément la maladie : « Faulte d’argent est douleur non pareille ; / Faulte d’argent est ung ennuy parfaict ; / Faulte d’argent est par dit et par faict / Qui bons rustres de tristesse traveille […] Faulte d’argent rend l’homme tout deffait, / Triste et pensif, non pas gras et reffaict, / Mais mesgre et sec, tremblant comme la fueille. » Dans le rondeau 48, « Faulte d’argent / Me faict cryer Hellas / Piteusement, d’estomac enrumé / Par ce temps cher ». Et dans le rondeau 50, Faute d’argent le rend triste, « Mon corps d’ennuy chancelle. / Mes joues sont mesgres, palles et sèches69 ». Une poésie des mêmes années dit d’un vaurien pauvre et malade : « Tu t’es nommé languissant doloreux, / Signifiant ung dolent langoureux […] Tu languissois ayant les couleurs palles, / Par la douleur qu’on dist faulte d’argent. / Lors te voyant mallade et indigent », tu te fis voleur de bourse et fut pris70. La mélancolie du pauvre savetier de Niort aussi le poussait à voler.
- 71 H. M. Brown, Music in the French Secular Theater, Cambridge Mass., Harvard Univ. Press, 1963, no 1 (...)
- 72 Pierre Gringore, Le Jeu du Prince des Sotz et de Mère Sotte (1512), éd. A. Hindley, Paris, Champio (...)
- 73 Faulte d’argent et Bon Temps, dans Recueil de Florence (publié en 1540), éd. J. Koopmans, Orléans, (...)
- 74 A. Leroux de Lincy et F. Michel, Recueil de farces, moralités et sermons joyeux, Paris, Techener, (...)
27Rabelais et Collerye font en réalité allusion à une ou plusieurs chansons, dont le premier vers est « Faute d’argent c’est douleur non pareille », qui existe sans doute dès les années 151071. Dans la sottie de Gringore de 1512 contre le pape Jules II, les moines de l’Abbé de Frévaulx, qui a dépensé tous les revenus de son cloître, « bien souvent quant cuident [croient] repaistre / Ilz ne scayvent les dens où mettre, / Et sans soupper s’en vont coucher ». La Commune [le peuple commun] chante « Faulte d’argent c’est douleur non pareille » ; elle se plaint : « marchans et gens de mestier / N’ont plus rien : tout va à l’Église ». « J’en suis […] tant plaine de melencolie / Que n’ay plus escuz ne ducas72. » Mélancolie et Faute d’argent se confondent. Dans la farce de Faulte d’argent et Bon Temps, Faute d’argent tient Bon Temps en prison par le moyen d’Avarice. Bon Temps leur conseille de renoncer à Avarice. Et les galants-sanssouci chantent « pour passer melencolie » : « Ne sommes nous pas bien heureux / De vivre sans melencolie. » Mais ils ne parviennent pas vraiment à chasser Faute d’argent : « Nous perdons quasi la parolle, / Quant Faulte d’argent nous assault […] Par Dieu, nous ne sçavons que dire, / Car nous nous tenrons [tiendrons] de l’abbaye Faulte d’argent73. » Dans la Farce du savetier, Marguet et Jaquet, Faute d’argent et mélancolie se croisent à nouveau : ils n’ont plus d’argent : « Soulcy me lye / Et suys en grand melencolye […] Faulte d’argent, c’est douleur non pareille74. »
- 75 Chansons du xve siècle, G. Paris, Firmin Didot, 1875, no 14, p. 16 (seconde moitié xve siècle).
- 76 Montaiglon et Rothschild (éd.), Recueil, t. IV, no 95, p. 132 (xvie siècle).
28Cette mélancolie a pu signifier les situations difficiles liées au retour des crises. Ainsi dans la chanson « Dempuis que j’adiray [perdai] Bon temps », « Soucy a mys et oppressé / Mon cueur en grant subjection. / Mellencolie n’a cessé / de me faire compression75 ». On remarquera que ces chertés sont vécues dans la tristesse et de manière physique. Dans La venue et résurrection de Bon Temps, avec le bannissement de Chière Sayson, Bon Temps commande de « chasser Mélancolie, / laquelle estoit au monde ces années » de famine, et de réconforter « paovre gentz76 ».
29Faute d’argent est liée aux chertés. Elle trahit l’exaspération lors des crises, face à l’endettement et aux usuriers. Elle correspond à « faute de crédit ». Elle est décrite comme une maladie : elle rend languissant, maigre et pâle ; elle laisse sans voix, fait trembler comme la feuille et pousse à la quête fébrile. Elle croise à plusieurs reprises, dans nos textes la mélancolie. Ce pourrait bien en être une des figures, un autre nom de la mélancolie des pauvres.
Comment sortir de la mélancolie
- 77 Fantaisies, rêvasseries. Voir plus haut la pronostication de 1517 et la citation de Dupin : faire (...)
30L’abattement et la dépression peuvent laisser la place à des rêveries « fantastiques ». Nous avons cité quelques textes où la mélancolie emplissait le cerveau de visions et forgeait des chimères77. Les rêves des pauvres sont une manière d’éviter le désespoir, de sortir de la mécanique mélancolique : un « débrayage » temporaire, qui ne fait que retarder le retour douloureux au réel.
- 78 Entrée « mélancolie » du dictionnaire du Moyen Français, DMF, consultable sur le site de l’ATILF.
31Il existe d’autres manières plus durables d’éviter le désespoir. L’autodérision et l’ironie jouent ce rôle ; comme le haut cœur et la « risée » du duc de Bourgogne. Le vol et le meurtre, nous l’avons vu, peuvent aussi permettre d’échapper à la mécanique infernale qui mène au suicide. Mais nous touchons alors à l’ambivalence du mot mélancolie lui-même, qui ne signifie pas seulement la tristesse. Il existe en effet au Moyen Âge une autre face de la mélancolie, la mélancolie-colère, celle du savetier de Niort. On disait en particulier : « avoir mélancolie contre quelqu’un78 ». Pour reprendre notre schéma, l’attente (ce que l’on était en droit d’attendre) entraîne frustration et déception (qui peut être l’honneur blessé, l’humiliation), puis bascule ensuite dans l’agressivité. Le programme a changé en fin de parcours :
- 80 B. Méniel, « La colère dans la poésie épique du Moyen Âge à la fin du xvie siècle : un envers de l (...)
- 81 « Courroux », n. 20 et 30. « Marri », n. 32. « Rancœur », n. 46. Sur l’ambivalence sémèmique d’ire (...)
- 82 Entrées « méchant » et « méchance », DMF, sur le site de l’ATILF.
32Comment penser l’articulation entre ces deux faces ? La mélancolie-colère permet d’éviter de choir dans la mélancolie-tristesse. La colère qui n’aboutirait pas à la vengeance retomberait dans l’amertume et la tristesse. Dans la colère, le ressentiment vis-à-vis de l’autre remplace la mésestime de soi. La plainte ne porte plus sur soi-même, mais se tourne vers autrui, elle n’est plus égocentrique mais allocentrique. Dans la colère épique, Bruno Méniel voit aussi une « force agressive, dont le sujet serait heurté, avant que, découvrant qu’elle peut le détruire, il ne l’oriente vers autrui80 ». La folie furieuse n’est peut-être jamais loin. Un même terme, la mélancolie, peut donc être tantôt passif, tantôt actif. On peut basculer dans la haine de soi ou dans la haine de l’autre, glisser vers l’apathie ou la violence. La violence, inhérente à l’explosion de la colère, est d’ailleurs aussi présente dans les gestuelles du deuil ou du désespoir. Davantage sans doute qu’aujourd’hui, l’époque ressentait la proximité des deux passions, la tristesse et la colère ; ou plus exactement elle se plaçait en amont du choix décisif, au moment où un même effondrement du sujet risquait de se produire. Nous avons rencontré d’autres termes qui pareillement signifient tantôt la colère, tantôt le chagrin : « courroux », « rancœur », « marri ». Ajoutons le « mautalent ». Le terme « ire » lui-même signifie tantôt colère, tantôt douleur81. Le mot « colère », qui prend le sens actuel au xve siècle, clarifiera les choses. Remarquons aussi que cette ambivalence se retrouve dans la « meschéance » et le mot « meschéant », tantôt mauvais, méchant, tantôt pauvre, malheureux82. Peut-être avons-nous à faire, à l’arrière-plan, à une notion encore floue de la responsabilité individuelle, sous le pouvoir de la fortune et des astres.
- 83 Sur les gueux sans souci, voir mes remarques, J.-L. Roch, « De l’usage social des lieux communs »,(...)
- 84 Pou d’acquest (peu de profit) dans la Farce des coquins (Recueil de Florence, no 53) et dans celle (...)
- 85 Cris de Paris, Picot, Recueil, t. III, p. 125, v. 1-5 ; et p. 127, v. 24-27 (début xvie siècle ou (...)
33Il y a une autre manière d’éviter le désespoir, c’est, après la frustration, parvenir à la patience, à la résignation. Le deuil, qui n’a pas été fait dans la mélancolie, peut enfin se réaliser. Cette opération trouve son terrain d’élection dans le thème de la pauvreté joyeuse. Il est porté, nous l’avons vu, par les figures du savetier et du berger, mais aussi, dans le théâtre, par celle du galant sans souci83, de l’aventureux dépourvu d’argent, mais toujours joyeux et plein de fanfaronnades et de vent : Mince de Quaire, Léger d’argent, Pou d’acquest, Mallepaye et Baillevent, Tot jor Dehet et Sin Porsin84. Les Cris de Paris commencent par un échange entre les galants : « Et puis ? – Et fontaine ? – Et rivières. / Se sont tousjours de tes manières : / Tu te gaudis. – Je me gaudis / Et en povreté m’esbaudis / En passant ma melencolie. » Et les galants continuent : « Je n’ay d’or ne d’argent que faire, / Ne de bource – Ne moy aussi. /Il n’est que vivre sans souci. / – Mieulx vault que vivre sans six soubz85. »
34Une telle figure, étroitement liée à l’entrée dans la fête carnavalesque, rappelle l’inutilité de l’avarice et la nécessité de la dépense festive. Mais elle laisse aussi s’exprimer les rêves des pauvres, pour mieux les faire s’évanouir en fumée. Pourtant elle autorise des manipulations sur le topos de la pauvreté joyeuse. L’ironie et l’autodérision viennent alors se loger au cœur de ce discours. Citons trois textes, qui, en identifiant la pauvreté contrainte à la pauvreté volontaire des religieux, détournent habilement le discours chrétien.
- 86 Roger de Collerye, « Complaincte de l’infortuné », Œuvres, p. 167. Griève : pénible.
- 87 Dialogue de Gautier et Martin (1480-1490), dans P. Aebischer (éd.), « Trois farces françaises inéd (...)
- 88 Mallepaye et Baillevent, éd. Fournier, Théâtre, p. 119.
35Selon Roger de Collerye : « Povreté joieuse et voluntaire, / Seure vie est, et tres fort salutaire, / Mais tant y a, avant que s’y offrir, / Comme l’on dit, elle est griefve a souffrir86. » Gautier et Martin ironisent : « Se sommes povres, de par Dieu, / Vive la pascience Job […] Nous n’avons ne croix ne banière, / N’em plus que ceulx de l’Observance, / Et pour tenir de leur manière / Nubz pieds allons par pénitance87. » Mallepaye et Baillevent sont plus amers : « Nous sommes selon l’Évangile / Des bien heureulx du temps ancien. / – J’aymasse mieulx qu’il n’en fust rien88. »
36L’apologie de la pauvreté joyeuse se fait grinçante. Le peuple, tel qu’il est mis en scène, n’est pas totalement dupe du lieu commun qu’on lui impose. Il subvertit le discours officiel par le rire, le badinage ou l’évidence ; il se le réapproprie à sa manière et tente ainsi de survivre à la mélancolie. Ce n’est pourtant pas le terme de mélancolie qui est le plus souvent employé, mais un presque synonyme, celui de souci. La pauvreté joyeuse, en tout cas, ne convainc pas tout le monde.
37Résumons le parcours que nous avons suivi. Nous sommes partis des enfants de Saturne, parmi lesquels il y avait les pauvres et les mendiants, et nous avons cherché si l’on retrouvait ces mélancoliques dans les textes, en particulier ceux destinés au peuple. À « l’âge d’or de la mélancolie » des princes et des poètes, pouvait-il exister aussi une mélancolie des pauvres ? Le drame arrivé au duc de Bourgogne, en apparence loin du sujet, a permis de proposer un schéma de la mélancolie dans ses étapes successives. C’est de basculer dans la pauvreté, prise ici au sens large, qui plonge Philippe le Bon dans la mélancolie. Or, ce schéma s’est révélé être proche de celui de l’avarice. On ne peut étudier la mélancolie, sans examiner la toile de fond, sur laquelle elle se détache, et les liens qu’elle entretient avec les « passions » apparentées. L’avare est précisément l’un des types du mélancolique. Quel est alors le lien avec les pauvres ? C’est que le peuple lui-même est contraint à l’avarice forcée et à « faire l’alchimie avec les dents ». L’argent est au cœur du problème ; et son obsession est la maladie de Faute d’argent. Nous avons aussi croisé le savetier et le thème de la pauvreté joyeuse, qui sert de contre-discours à l’avarice, à la tristesse et à la mélancolie. Et nous avons tenté d’éclairer ce que la société en faisait.
- 89 G. Ricci, « Naissance du pauvre honteux, entre l’histoire des idées et l’histoire sociale », AESC,(...)
- 90 Roman de la Rose, éd. D. Poirion, Garnier Flammarion, 1974, v. 454-457.
- 91 G. Alexis, Œuvres poétiques, éd. A. Piaget et É. Picot, Paris, Didot, 1896-1908, t. II, p. 131, v. (...)
- 92 J. Batany, Approches du Roman de la Rose, Paris, Bordas, 1973, p. 101, 109. Ces catégories ont d’a (...)
- 93 J.-Cl. Mühlethaler, « Quand Fortune ce sont les hommes. Aspects de la démythification de la déesse (...)
- 94 Remarquons qu’Hildegarde de Bingen reliait la mélancolie à la Chute, celle d’Adam : Klibansky et a (...)
38Quelle est l’originalité de cette mélancolie des pauvres ? Nous n’avons rassemblé qu’une quinzaine de textes qui associent Saturne ou la mélancolie à la pauvreté. C’est peu. On comprend que les dictionnaires du Moyen Français, le plus souvent, ne parlent guère de cette mélancolie sociale, mais s’intéressent davantage à la mélancolie amoureuse et à la tristesse des poètes. Si nous réexaminons le fonctionnement de notre schéma à travers nos exemples, il apparaît que leur parcours n’est pas toujours le même et qu’il nous faut distinguer au moins trois catégories de textes. Une première série, avec la femme de Job, le savetier de Niort, le Chemin de povreté et de richesse ou le duc de Bourgogne, ne parle pas tant de l’état de pauvreté, que du processus d’appauvrissement, de la chute en pauvreté. Dans ces textes, la mélancolie conduit au désespoir. Elle est aussi parfois accompagnée par la honte. Mais les riches, qui s’appauvrissent, sont ceux précisément que l’on appelle les pauvres « honteux », ceux qui, par quelque mauvaise fortune, en sont réduits à mendier et ressentent de la honte à le faire89. D’une manière plus générale, le pauvre lui-même est honteux. Dans le Roman de la Rose, Pauvreté tremblante, « cum chiens honteux », se tient en un coin, « car povre chose, ou qu’ele soit / est tous jours boutée et despite [méprisée]90 ». Et pour Guillaume Alexis, les « povres vivent à honte, / En misere et confusion [malheurs] », et à la fin la Pauvreté « de desespoir chet es lyens », tombe dans la prison du désespoir91. Pourquoi nous intéressons nous à la honte ? Posons la question autrement. Il n’aura pas échappé au lecteur que, dans notre schéma, la case de l’autodépréciation, du sentiment de culpabilité, pose souvent problème. La honte peut-elle alors occuper cette case ? La honte aujourd’hui suppose une intériorisation de l’humiliation. À la fin du Moyen Âge, elle dépendait davantage du regard de l’autre. Mais le pauvre ne s’en sortait pas indemne. Nous sommes dans le très long passage de la shame culture à la guilt culture, de la honte à la culpabilité, dont parle Jean Batany au sujet du Roman de la Rose92. Et la Fortune, que nous avons vu intervenir avec le duc de Bourgogne, la duchesse Michèle et le savetier de Vigneulles, traverse une même évolution. Elle est en voie de désacralisation au xvie siècle et elle doit compter avec la montée de la responsabilité individuelle93. S’il y a responsabilité, il y a culpabilité. La pauvreté est une fatalité où l’homme a aussi sa part. C’est sans doute dans ces liens avec la honte et la fatalité que réside en partie l’originalité de la mélancolie des pauvres. Et cette mélancolie apparaît principalement lorsqu’il y a chute94 en pauvreté, et que celle-ci est accompagnée, dans notre schéma, par la déception, la dépréciation et le désespoir. Nous sommes bien proches de la maladie mélancolique. Mais nous n’avons pas tout éclairé. Si, dans la maladie, on pleure la perte de l’objet d’amour, de quelle perte s’agit-il dans une mélancolie sociale ? La question n’a été qu’effleurée.
39La mélancolie apparaît aussi dans une seconde série de textes, ceux qui regrettent la disparition de Bon Temps ; ce ne sont plus alors les pauvres, qui sont concernés, mais le peuple frappé par les chertés et la famine. Le regret du bonheur perdu ne s’accompagne pas nécessairement ici de dépréciation ni de désespoir. Les cases de notre schéma ne sont pas toutes remplies. Nous nous éloignons de la maladie mélancolique. C’est la même situation pour la troisième série de textes, le Débat de l’Homme et de l’Argent, les Moyens d’éviter mélancolie ou le pauvre savetier de Vigneulles. Ici, le pauvre est triste, parce que, quoi qu’il fasse, il ne parvient pas à sortir de sa pauvreté. Nous sommes devant un quasi-synonyme du souci ou de la tristesse.
40Remarquons aussi que la séquence peut s’interrompre en cours de route, s’arrêter à la déception, ou ne pas conduire au suicide. Elle peut alors basculer, nous l’avons vu, dans le vol, la résignation, ou la reprise de l’espoir. Autorisons-nous une dernière remarque. Nous avons tenté ici de démonter, pas à pas, à la manière d’un bricolage, le schéma d’une passion, qui est en même temps une maladie, et de chercher à savoir en quoi elle concernait aussi les pauvres. Nous avons proposé quelques pistes. Le lecteur jugera de la validité de la démarche, et, j’espère, pardonnera les insuffisances de la méthode.
Notes
1 H. Ey, Études psychiatriques, Paris, Desclée de Brouwer, 1954, t. III, « Mélancolie », p. 117-200.
2 J. Starobinski, L’encre de la mélancolie, Paris, Seuil, 2012, p. 70 ; cité par H. Heger, Die Melancholie bei den französichen Lyrikern des Spätmittelalters, Bonn, Rom. Seminar der Universität, 1967, p. 209. Voir aussi Ey, Études, p. 133 : « Le noir de la mélancolie, c’est l’ombre de la culpabilité, de la faute et du péché. »
3 R. Klibansky, E. Panofsky et F. Saxl, Saturne et la mélancolie, Paris, Gallimard, 1989, p. 278.
4 J. Delumeau, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident, xiiie-xviiie siècles, Paris, Fayard, 1983, p. 189-208 ; Starobinski, L’encre de la mélancolie, p. 62.
5 Voir aussi G. Agamben, Stanze : parole et fantasme dans la culture occidentale, Paris, Payot, 1994, p. 57-61.
6 A. Chastel, Marsile Ficin et l’art, Lille, Giard, Genève, Droz, 1954, p. 169.
7 Sur le Problème XXX, 1, du pseudo-Aristote, voir Klibansky et al., Saturne, p. 49-91.
8 M. Perrot, Mélancolie ouvrière, Paris, Grasset, 2012. Voir aussi « Mélancolie sociale », Sociétés. Revue des sciences humaines et sociales, 2004/4, no 86.
9 Klibansky et al., Saturne, p. 401 : l’élite intellectuelle considérait la mélancolie saturnienne « comme un privilège qu’elle se réservait jalousement ».
10 Sur l’acédie, C. Casagrande et S. Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, Flammarion, Aubier, 2003, p. 127-151.
11 De Saturne (xve siècle), Bibliothèque Nationale, ms. fr 1358, fol. 3r et 7v.
12 Chastel, Marsile Ficin, p. 163.
13 Klibansky et al., Saturne, p. 320-321.
14 Ch. Perrat, « Sur un tas de prognostications de Lovain », François Rabelais. Ouvrage publié pour le quatrième centenaire de sa mort, Lille, Giard, Genève, Droz, 1953, p. 68. « Fantastique » : qui se laisse aller à des obsessions.
15 F. Rabelais, Pantagrueline prognostication pour l’an 1533, chap. 5, éd. M.-A. Screech, Paris-Genève, Droz, 1974, p. 15.
16 E. Huguet, Le langage figuré au xvie siècle, Paris, Hachette, Macon, Protat, 1933, p. 131. Il s’agit sans doute moins d’une saillie anticléricale que d’un témoignage de la liberté d’alors vis à vis des choses de la religion.
17 François Villon, Le Lais Villon et les poèmes variés, éd. J. Rychner et A. Henry, Genève, Droz, 1977, Poèmes variés, no 13, v. 38 et 32.
18 Roger de Collerye, Œuvres, éd. Ch. d’Héricault, Paris, Jannet, 1855, p. 56 (publiées en 1536).
19 Nous n’aborderons pas ici la mélancolie amoureuse. Sur le mal d’amour, ce que l’on appelait l’amour hereos (éros) ou amour « héroïque », voir D. Jacquart et C. Thomasset, « L’amour héroïque à travers le traité d’Arnaud de Villeneuve », La folie et le corps, éd. J. Céard, Paris, Presses de l’ENS, 1985, p. 143-158.
20 Georges Chastellain, Chronique, livre III, chap. 45, éd. J. Kervyn de Lettenhove, Genève, Slatkine reprints, 1971, t. II, p. 250-256 (3e quart xve siècle) ; voir K. Heilemann, Der Wortschatz von Georges Chastellain nach seiner Chronik, Leipzig, Leipziger Rom. Studien, 1937, p. 128. Merancolie : mélancolie ; courroux a ici le sens de chagrin, de deuil ; risée : se moquer ; annuy : tourment.
21 Georges Chastellain, Chronique, t. II, p. 264.
22 Sur l’utilisation de ce terme, voir A. J. Greimas et J. Fontanille, Sémiotique des Passions. Des états de choses aux états d’âme, Paris, Seuil, 1991, p. 147-151.
23 A.-J. Greimas, Du sens II. Essais sémiotiques, Paris, Seuil, 1983, p. 225.
24 Épître au roi, Loquar in tribulacione (1440), dans Jean Juvénal des Ursins, Écrits politiques, éd. P. S. Lewis, Paris, Klincksieck, 1978, t. I, p. 362.
25 Jean de Roye, Journal, connu sous le nom de Chronique scandaleuse, éd. B. de Mandrot, Paris, Laurens, 1894, t. I, p. 226 (1469).
26 Mistère du Viel Testament (3e tiers xve siècle, publié en 1500), éd. J. de Rothschild et É. Picot, Paris, Firmin-Didot, 1878-1891, t. II, p. 209, v. 13861-13862.
27 Chastellain, Chronique, t. I, p. 52-56. « Oncques puis » : jamais depuis.
28 Jean de Roye, Journal, t. I, p. 364 (1475).
29 On retrouve ce lien entre avarice et mélancolie dans la Melancolia-I de Dürer (Klibansky et al., Saturne, p. 447-449 ; E. Panofsky, Essais d’iconologie. Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, Paris, Gallimard, 1967, p. 294). Sur la tristesse de l’avare, voir Casagrande et Vecchio, Histoire des péchés, p. 175-177.
30 Eustache Deschamps (1346-1407), Œuvres complètes, éd. de Queux de Saint Hilaire et G. Raynaud, Paris, Firmin-Didot, 1878-1904, t. II, p. 26, no 205 et t. I, p. 293, no 163 ; voir Heger, Die Melancholy, p. 140. Courroux a ici à nouveau le sens passif d’affliction. Crueuse : terrible. Traduisons la dernière phrase : le riche homme peut à peine se reposer et avoir ses biens, toujours le mélancolique ayant un bien veut en obtenir un autre… toujours crie qu’il est pauvre et que cela ne lui suffit pas.
31 Klibansky et al., Saturne, p. 449 et 474 : « nyemant getruwen ich ».
32 Bonaventure Des Périers, Nouvelles Recreations et Joyeux Devis (1558), éd. K. Kasprzyk, Paris, STFM, 1997, p. 96-99. Marry : affligé, irrité ; pensif : enfermé dans ses pensées, ses obsessions.
33 La farce de deux savetiers, éd. Fournier, Le théâtre français avant la Renaissance, mystères, moralités et farces, Paris, Laplace Sanchez, 1872, p. 210 et suiv. (fin xve-début xvie siècle). Voir aussi la fable de La Fontaine : Le savetier et le financier.
34 « Combien est misérable la vie du tyran » (ca 1400), cité dans A. Piaget, « Le chapel de fleurs de lys par Philippe de Vitry », Romania, XXVII, 1898, p. 55-92, ici p. 65.
35 Jean Dupin, Les Mélancolies, éd. L. Lindgren, Turku, Turun Yliopisto, 1965, p. 130-131, v. 2245 à 2270 (avant 1340). Usage : habitude ; per : pair de France.
36 A. de Montaiglon et J. de Rothschild (éd.), Recueil de poésies françaises des xve et xvie siècles, Paris, Jannet, 1865-1878, t. VII, p. 308 (texte du xvie siècle).
37 Mistère du Viel Testament, t. IV, p. 112 et 114, v. 29657 et suiv. et 29751.
38 Voir Klibansky et al., Saturne, p. 142.
39 P. Guérin (éd.), Lettres de rémission, Recueil de documents concernant le Poitou, contenus dans les registres de la Chancellerie de France, t. XI (Archives historiques du Poitou, t. XXXVIII), 1909, p. 49-52 ; voir aussi t. X, p. 392-394 (1462, 1466).
40 Les Moyens d’éviter merencolie, éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil, t. II, no 37, p. 42 et suiv. (1530).
41 La Vie et l’histoire du mauvais riche, éd. Fournier, Théâtre, p. 75 et 77 (probablement règne de Louis XI).
42 Philippe de Vigneulles, Cent Nouvelles Nouvelles (avant 1515), éd. Ch. H. Livingston, Genève, Droz, 1972, no 57, p. 238. Venir de pain à autre : d’un repas à un autre.
43 La « fatalité » est aussi présente dans la mélancolie des psychiatres : « enchaînement absolu du mélancolique à son destin passé mais jamais révolu » (Ey, Études psychiatriques, t. III, p. 150).
44 Guérin (éd.), Lettre de rémission (1462), Recueil, t. X (Archives historiques, t. XXXV), 1906, p. 374.
45 Jacques Bruyant, ca 1342, publié en annexe dans Le Ménagier de Paris, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferier, Paris, Livre de Poche, 1994, p. 822.
46 La Pacience de Job, mystère anonyme du xve siècle, éd. A. Meyer, Paris, Klincksieck, 1971, v. 3405-3418, 4665-4656 et 4929-4931. Rancure : rancœur, indignation, chagrin, ici sens passif ; meschef : infortune ; fouleur : folie.
47 Mistère du Viel Testament, t. V, v. 37048-37049, 37062-37063 et 37091.
48 Voir le Dictionnaire de la langue française du xvie siècle d’E. Huguet, Paris, Champion, 1925, t. I, p. 427.
49 Mesquin, de l’arabe : pauvre ; la meschine est la servante. Mesquin prend le sens d’avare au xviie siècle. Voir aussi sordide.
50 Piero Camporesi, Le pain sauvage. L’imaginaire de la faim de la Renaissance au xviiie siècle, Paris, Le Chemin vert, 1981, p. 142-149.
51 Dialogue de Mallepaye et de Baillevent (règne de Louis XI), Fournier (éd.), Théâtre, p. 120. Faux : perfide ; lisse a deux sens, la chienne et le pouvoir. Pierre-Jakez Helias parle de la chienne du monde dans Le cheval d’orgueil, Mémoires d’un Breton du pays bigouden, Paris, Plon, 1975, p. 29 : « Telle était la hantise de la misère, qu’on s’attendait à la rencontrer au détour d’un chemin, sous la forme d’une chienne efflanquée, […] la chienne du monde […]. Prenez garde à la chienne du monde qui vous saute dessus et n’aboie jamais […]. Quand la chienne du monde avait jeté son dévolu sur quelqu’un, […] elle le suivait aussi étroitement que son ombre, […] l’animal lui sautait sur l’échine et c’en était fini du misérable. »
52 Proverbes en rimes, éd. G. Frank et D. Miner, Baltimore, Hopkins, 1937, p. 73, v. 1129-1136 (dernier quart xve siècle). Soulas : joie, consolation.
53 C. Kerbrat-Orecchioni, « Problèmes de l’ironie », L’ironie, Presses universitaires de Lyon, 1978, p. 10-46 ; le no 36 de Poétique, nov. 1978, consacré à l’ironie. Voir aussi Starobinski, L’encre de la mélancolie, chap. « Le salut par l’ironie », p. 376 : la mélancolie « est guérie par l’ironie, qui est distance et renversement ».
54 Guillaume Coquillard, Droitz nouveaulx (1480), v. 1989, dans Œuvres, éd. M. J. Freeman, Paris, Genève, Droz, 1975, p. 228; J. W. Hassel, Middle French Proverbs, Sentences and Proverbial Phrases, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, 1982, A72.
55 Le recueil des repues franches de maître François Villon et de ses compagnons, éd. J. Koopmans et P. Verhuyck, Genève, Droz, 1999, v. 134 et 230 (ca 1480).
56 Ditz de Maistre Aliboron (ca 1495), éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil, t. I, p. 37 et 39. Voir aussi La Boutique des usuriers, de Claude Mermet (1574), éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil, t. II, p. 174.
57 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690, art. « Alchymie ».
58 Antoine Oudin, Curiositez françoises, Paris, 1656, art. « Alquemie ». Notons par ailleurs, que l’alchimiste lui-même, nouveau Sisyphe, est guetté par la mélancolie d’une quête sans fin, à moins qu’il ne réalise que le but véritable était le chemin.
59 Fleury de Bellingen, L’Étymologie ou explication des proverbes françois, La Haye, Vlacq, 1656, p. 45.
60 Philippe de Vigneulles, Cent Nouvelles, p. 352.
61 D’approcher la mort par famine. Fleury de Bellingen, p. 46 : l’avarice se « vante de faire l’alchemie avecque les dens ».
62 « Pronostication nouvelle » (ca 1525), éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil, t. XII, p. 158. Faute d’argent est aussi manque de crédit.
63 J. Morawski, Proverbes français antérieurs au xve siècle, Paris, Champion, 1925, no 139 (xiiie siècle). Qui a seulement de quoi manger.
64 Mallepaye et Baillevent, éd. Fournier, Théâtre, p. 114.
65 Le recueil des repues franches, v. 293-294.
66 F. Rabelais, Pantagruel, XVI, in Œuvres complètes, éd. M. Huchon et F. Moreau, Paris, Gallimard, 1994, p. 272.
67 F. Rabelais, Pantagruel, XVII, p. 277. Sur la formule « qui jamais ne virent père et mère », voir R. T. Holbrook, Études sur Pathelin, New York, Klaus reprints, 1967, p. 78-80. Il faut ici comprendre que nous avons affaire à des enfants (des sous) trouvés, dont on veut ignorer l’origine.
68 F. Rabelais, Pantagrueline Prognostication, chap. 3, p. 11-12. La pierre philosophale est la pierre des alchimistes. L’édition de 1542 ajoute après philosophalle « et es aureilles de Midas » ; on a vu pourquoi.
69 Roger de Collerye, rondeau no 71, Œuvres, p. 223 ; no 48, p. 208 ; no 50, p. 209.
70 Le vin du notaire qui a passé le testament de quatre tournoys, éd. Montaiglon et Rothschild, Recueil, t. X, p. 12. Langoureux : affamé, souffreteux.
71 H. M. Brown, Music in the French Secular Theater, Cambridge Mass., Harvard Univ. Press, 1963, no 131, p. 218-219 ; L. Sainéan, La langue de Rabelais, Paris, de Boccard, 1922, t. I, p. 268 ; É. Picot, Recueil général des sotties, Paris, Firmin-Didot, 1902-1912, t. II, p. 152-153. C’est aussi une chanson de Josquin des Prés, des mêmes années.
72 Pierre Gringore, Le Jeu du Prince des Sotz et de Mère Sotte (1512), éd. A. Hindley, Paris, Champion, 2000, v. 248-250, 320, 552-553, 642-644 ; et Picot, Recueil, t. II, p. 147-172, v. 248-250, 320, 548-549, 637-639.
73 Faulte d’argent et Bon Temps, dans Recueil de Florence (publié en 1540), éd. J. Koopmans, Orléans, Paradigme, 2011, no 47, v. 156-160, 257-258, 261-263. L’abbaye Faulte d’argent est une abbaye de dérision.
74 A. Leroux de Lincy et F. Michel, Recueil de farces, moralités et sermons joyeux, Paris, Techener, 1837, t. IV, no 73, p. 4-5.
75 Chansons du xve siècle, G. Paris, Firmin Didot, 1875, no 14, p. 16 (seconde moitié xve siècle).
76 Montaiglon et Rothschild (éd.), Recueil, t. IV, no 95, p. 132 (xvie siècle).
77 Fantaisies, rêvasseries. Voir plus haut la pronostication de 1517 et la citation de Dupin : faire maints châteaux (en Espagne) ; une heure est roi, l’autre heure est pair.
78 Entrée « mélancolie » du dictionnaire du Moyen Français, DMF, consultable sur le site de l’ATILF.
79 Voir l’étude de sémantique lexicale de la colère, en français actuel, Greimas, Du sens II, p. 225-246. Voir aussi Casagrande et Vecchio, Histoire des péchés, p. 93-125.
80 B. Méniel, « La colère dans la poésie épique du Moyen Âge à la fin du xvie siècle : un envers de l’héroïsme », Cahiers de Recherches Médiévales, no spécial, 11, 2004, p. 37-48, ici p. 38. La mélancolie-désespoir procède à l’inverse ; voir ce que dit Sigmund Freud sur la tendance au suicide du mélancolique et son lien avec l’hostilité et le sadisme : le mélancolique « n’éprouve pas d’intention suicidaire, qui ne soit le retournement sur soi d’une impulsion meurtrière contre autrui », « Deuil et mélancolie », Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1978, p. 163.
81 « Courroux », n. 20 et 30. « Marri », n. 32. « Rancœur », n. 46. Sur l’ambivalence sémèmique d’ire, voir G. Kleiber, Le mot ire en ancien français, Paris, Klincksieck, 1978, p. 81 et suiv. et p. 437. Voir aussi Méniel, « La colère », p. 37-48 ; et les remarques de P. Levron, « Mélancolie, émotion et vocabulaire. Enquête sur le réseau lexical de l’émotivité atrabilaire dans quelques textes littéraires du xiie et du xiiie siècle », Le sujet des émotions au Moyen Âge, éd. P. Nagy et D. Boquet, Paris, Beauchesne, 2008, p. 231-271.
82 Entrées « méchant » et « méchance », DMF, sur le site de l’ATILF.
83 Sur les gueux sans souci, voir mes remarques, J.-L. Roch, « De l’usage social des lieux communs », Lieux communs, topoï, stéréotypes, clichés, éd. Ch. Plantin, Paris, Kimé, 1993, p. 212-217.
84 Pou d’acquest (peu de profit) dans la Farce des coquins (Recueil de Florence, no 53) et dans celle de Pou d’acquest (Fournier éd., Théâtre, p. 61, mi-xve siècle) ; Léger d’argent dans la farce no 25 du Recueil de Florence (ca 1515) ; Mince de Quaire dans la farce no 22 du même recueil. Aller au Caire, c’est quérir, querre. Tot jor Dehet et Sin Porsin (toujours joyeux et sans souci), P. Aebischer, « Quelques textes du xvie siècle en patois fribourgeois », Archivum Romanicum, IV, 1920, p. 342-361.
85 Cris de Paris, Picot, Recueil, t. III, p. 125, v. 1-5 ; et p. 127, v. 24-27 (début xvie siècle ou 1540). Se gaudir, s’esbaudir : se réjouir.
86 Roger de Collerye, « Complaincte de l’infortuné », Œuvres, p. 167. Griève : pénible.
87 Dialogue de Gautier et Martin (1480-1490), dans P. Aebischer (éd.), « Trois farces françaises inédites trouvées à Fribourg », Revue du xvie siècle, t. XI, 1924, v. 390-391, 402-405. Croix : pièce ; l’Observance : les Cordeliers.
88 Mallepaye et Baillevent, éd. Fournier, Théâtre, p. 119.
89 G. Ricci, « Naissance du pauvre honteux, entre l’histoire des idées et l’histoire sociale », AESC, 1983, 1, p. 158-177 ; et Poverta, vergogna, superbia. I declassati fra Medioevo et Età moderna, Bologne, Il Mulino, 1996.
90 Roman de la Rose, éd. D. Poirion, Garnier Flammarion, 1974, v. 454-457.
91 G. Alexis, Œuvres poétiques, éd. A. Piaget et É. Picot, Paris, Didot, 1896-1908, t. II, p. 131, v. 604-605, 613 (Passe temps, avant 1486).
92 J. Batany, Approches du Roman de la Rose, Paris, Bordas, 1973, p. 101, 109. Ces catégories ont d’abord été développées par R. Benedict (The Chrysanthemum and the Sword, 1947) et E. R. Doods (The Greeks and the Irrational, 1951).
93 J.-Cl. Mühlethaler, « Quand Fortune ce sont les hommes. Aspects de la démythification de la déesse, d’Adam de la Halle à Alain Chartier », La Fortune. Thèmes, représentations, discours, éd. Y. Foehr-Janssens et É. Metry, Genève, Droz, 2003, p. 177-206.
94 Remarquons qu’Hildegarde de Bingen reliait la mélancolie à la Chute, celle d’Adam : Klibansky et al., Saturne, p. 139-141.
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Référence papier
Jean-Louis Roch, « La mélancolie des pauvres », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 33 | 2017, 303-326.
Référence électronique
Jean-Louis Roch, « La mélancolie des pauvres », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 33 | 2017, mis en ligne le 16 août 2020, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14799 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14799
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