Entendement et vérité
Résumés
Cet article fait le point sur l’ambivalence d’Alain Chartier vis-à-vis de la littérature dans le Livre de l’Espérance. Un usage dévoyé et manipulateur des exemples littéraires met en cause l’intention du locuteur et le discernement du lecteur/auditeur. Les textes relevant de l’historia livrent néanmoins une vérité moralement profitable, alors que la fiction semble n’être que théoriquement réhabilitée. En définitive, la littérature profane doit s’effacer devant l’autorité de la Bible, voire la force du réel.
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- 1 Alain Chartier, Le Livre de l’Espérance, éd. F. Rouy, Paris, Champion, 1989. Chaque citation est s (...)
Ainsi me fault mon sentement changier ;
Et en moi n’est entendement ne sens
D’escripre fors ainsy comme je sens. (Po. I, 54-56, p. 2)1
- 2 Il doit s’agir des poèmes d’amour (ballades, rondeaux) que Chartier a composés au début de sa carr (...)
1Alain Chartier, au début du Livre de l’Espérance, se décrit comme bouleversé et désespéré devant l’état chaotique de la France, déchue de sa grandeur passée à un moment critique de la guerre de Cent Ans. Lui qui occupait sa jeunesse « A joyeuses escriptures dicter » (Po. I, 48, p. 2)2, il va tremper sa plume dans l’encre de douleur pour écrire ce nouveau livre, son dernier, resté inachevé. On reconnaît là le modèle bien connu du prosimètre de Boèce, La Consolation de Philosophie, qui s’ouvre sur la même nécessité de changer de registre :
2C’est une catastrophe personnelle, l’injuste condamnation à mort, qui frappe Boèce, non une catastrophe nationale. Seule Philosophie peut le sauver de la déréliction larmoyante ; à peine apparue à Boèce, elle congédie sans ménagements les Muses trompeuses :
- 4 La Consolation de Philosophie, p. 49.
Quand elle vit les Muses de la poésie se tenir près de mon lit et dicter leurs paroles à mes pleurs, elle s’irrita un moment et ses yeux farouches lancèrent des flammes : – Qui a permis, dit-elle, à ces petites catins de scène de s’approcher de ce malade ? Non seulement elles ne peuvent porter aucun remède à ses douleurs, mais elles pourraient en plus les nourrir de leurs doux poisons4.
- 5 Alain Chartier a été ainsi désigné comme une autorité dès les années 1430 dans Les Erreurs du juge (...)
- 6 Il convient de rappeler qu’au Moyen Âge, la littérature englobe l’ensemble des textes écrits et le (...)
- 7 Quadrilogue invectif, éd. F. Bouchet, Paris, Champion, 2011, p. 3 et 83 respectivement.
- 8 F. Rouy les désigne comme des « monstres », d’autres critiques comme des « Vices » ou de « fausses (...)
- 9 Entendement est personnifié : « ce jeune et advisé bachelier qui m’avoit suy une foiz de loing, l’ (...)
- 10 Aux alentours de 1460, le dispositif allégorique du Livre de l’Espérance sera imité par George Cha (...)
- 11 Un frontispice du Livre de l’Espérance montre Alain Chartier au travail dans son cabinet empli de (...)
- 12 Cette réflexion s’inscrit dans le sillage de plusieurs études : J. Blanchard, « Artefact littérair (...)
3Dès lors, que faire de la littérature ? Boèce a réussi ce tour de force d’écrire une œuvre qui veut se passer des Muses (de la poésie élégiaque, plus précisément) mais à laquelle on a toujours reconnu une haute valeur poétique autant que morale. À son tour, « maistre5 » Alain, imitateur de Boèce, se trouve dans une position ambivalente vis-à-vis de la littérature6. Il soupçonne que devant la gravité de la situation, il ne peut en attendre grande consolation, encore moins une solution à ses problèmes ou à ceux de sa patrie et, pire, qu’elle peut être manipulée et mensongère. Mais il a aussi conscience de son éloquence, lui qui s’est présenté en 1422 dans le Quadrilogue invectif comme « lointaing immitateur des orateurs » – réactivant la définition selon Quintilien de l’orator comme vir bonus bene dicendi peritus – et dont l’œuvre ambitionne de demeurer « a memoire et a fruit7 ». L’Acteur du Livre de l’Espérance n’est pas emprisonné comme Boèce mais, prostré, il est bien retenu dans une sorte de prison mentale. Les démons intérieurs8 Défiance, Indignation et Désespérance, initialement apparus à l’Acteur, neutralisent son Entendement9 pour mieux l’accabler, voire le pousser au suicide ; mais Nature (patronne tutélaire des poètes dans le langage allégorique du temps) réveille Entendement. Celui-ci, ayant déverrouillé la mémoire de l’Acteur, va devenir l’interlocuteur de Foi et d’Espérance, n’ayant de cesse de soulever par ses questions et objections les apories dans lesquelles se trouve l’intelligence humaine aux prises avec des problèmes (au sens philosophique du terme) qui la dépassent, ce afin de susciter les réponses des vertus théologales10. Ce débat intérieur n’est pas d’une froide abstraction ; fondé sur la lecture et la mémoire de textes multiples11, il est sous-tendu d’exemples et de références implicites ou explicites à des autorités. On s’interrogera donc sur la place des livres, les conditions de possibilité de la littérature, son utilité comme ses limites. Comment lire les autorités, et quelles autorités12 ?
Lectures manipulatrices
4Les tables d’Indignation préfigurent un mauvais usage des livres, cités en vue de désespérer les hommes :
Elle tenoit unes tables ouvertes, en quoy elle lisoit et ramentevoit les ingratitudes, les faultes et les injures que on lui avoit faittez. (Pr. II, 32-34, p. 6)
- 13 Entendement se voit menacé « de mauvaise pensee et de tentacion dyabolique » par les trois « ennem (...)
5Indignation apparaît tels les démons qui, dans l’iconographie des artes moriendi, entourent le mourant en brandissant les registres de ses péchés pour l’entraîner au désespoir et à la damnation13. Douglas Kelly, Sylvia Huot et Jean-Claude Mühlethaler ont tour à tour relevé les manœuvres des apparitions perverses qui, en tronquant les références qu’elles mobilisent dans leur argumentation, n’en retiennent que la mauvaise part. Indignation invoque le cas de Boèce qui,
pour trop amer et deffendre le publique bien et prouffit, fut […] par le roy Theodorich emprisonné a Pavie, ou il composa son livre de Consolation finant ses jours en prison miserable. (Pr. II, 150-152, p. 10)
- 14 Huot, « Re-fashioning Boethius », p. 272.
6Elle se garde bien d’évoquer la sublime victoire de Boèce sur lui-même, qui lui permet d’atteindre, au terme de la Consolatio, la sérénité face à son sort aussi tragique qu’injuste14. Il en va de même de Sénèque, Cicéron et Démosthène, cités juste auparavant : il s’agit à chaque fois de ne retenir que leur fin tragique au regard des hommes, sans considérer la grandeur morale qui les rend en quelque sorte immortels. Défiance, pour sa part, cite l’Énéide :
Recorde toy de Virgile, qui en sa tres delicieuse poesterie raconte les destourbiers et desesperez meschiefz ou ledit Ennee fut par sept ans degetté en sa fuicte ennuyeuse : la lecture de divine eloquence dudit Virgile te vauldra experiment. (Pr. III, 66-70, p. 13-14)
- 15 Huot, « Re-fashioning Boethius », p. 272; Kelly, « Boethius as Model », p. 17.
- 16 Huot, « Re-fashioning Boethius », p. 272-273.
- 17 Espérance souligne ce point tout en précisant que le suicide antique n’a de valeur que dans la per (...)
7Elle veut ainsi enfermer l’Acteur dans une impasse, puisque la fuite hors de son pays dévasté ne lui apporterait que des malheurs supplémentaires, à l’instar d’Énée ; à condition, bien sûr, d’occulter les succès ultérieurs du Troyen, appelé à fonder la future Rome dans le Latium15. Quant à Désespérance, elle ne retient de l’histoire antique qu’une longue cohorte de suicidés qu’elle présente comme le modèle à suivre pour échapper à une vie devenue insupportable (Pr. IV, 33-61, p. 18-19)16. La lecture ainsi biaisée des autorités peut conduire à la perdition, d’autant que pour un chrétien le désespoir et le meurtre de soi-même sont de terribles péchés, alors que dans la mentalité païenne le suicide peut être un geste éminemment héroïque17.
- 18 Mühlethaler, « Le “rooil de oubliance” », p. 210-211.
Les Vices sont décidément les maîtres du discours fallacieux. Ils prennent volontiers le masque de l’autorité morale, sans que rien ne les y autorise, pour cacher leur désir de nuire, lui-même fruit de l’aveuglement spirituel. […] Les écrits des auctoritates peuvent être utilisés à mauvais escient et égarer un auditeur incapable de discernement18.
- 19 Jacques Legrand, Archiloge Sophie, éd. E. Beltran, Paris, Champion, 1986, p. 156. La définition de (...)
8L’autorité frauduleuse des démons intérieurs procède d’une pratique pervertie de l’allégation qui, explique Jacques Legrand, « n’est autre chose nemais a son propos aucunes hystoires ou aucunes fictions alleguier ou appliquier », procédé rhétorique par lequel « tout langage se demonstre meilleur, plus souverain et plus auctentique19 ».
- 20 C’est fréquemment le cas de Christine de Pizan.
- 21 Éd. citée, p. 68. Même interprétation dans le Dialogus familiaris amici et sodalis super deploraci (...)
9Ces lectures partielles et partiales appellent donc une correction, opérée ultérieurement par les Vertus théologales. Espérance rappelle que Rome fut fondée par les Troyens quoique ceux-ci eussent été « desconfiz, exilés de leur terre et dechacés par tempeste de mer » (Pr. XIV, 99-100, p. 138) ; elle renverse le cas des suicidés célèbres en autant de contre-exemples qu’il convient plus « de fuir que de suir » (Pr. XI, 128, p. 98). Le traitement parcellaire des exempla est toutefois chose courante chez les auteurs de la fin du Moyen Âge, qui sélectionnent les aspects appropriés à leur visée démonstrative20. Ce n’est pas la plasticité de l’exemple qui est en cause, mais l’intention de celui qui l’utilise, selon qu’il s’agit de tromper ou d’édifier. Chez Chartier lui-même, l’exemple peut être réversible. Parmi ceux « qui sont mors de leur propre main par desplaisance de vivre », Espérance évoque « le saut de Marcus Curcius en la fosse de Rome » (Pr. XI, 122-125, p. 98), sans plus de précision. Dans le Quadrilogue invectif21, Marcus Curcius est cité en exemple de dévouement à la patrie : il s’est sacrifié en se vouant aux dieux infernaux pour sauver Rome. Dans cette optique, le suicide est subordonné à une cause plus grande, le salut de la patrie ; Chartier n’incite bien sûr pas au suicide mais au patriotisme.
- 22 Voir aussi Espérance, Pr. XII, 230-236, p. 110 et Po. XIII, 38-64, p. 112.
10Espérance a ses propres visées démonstratives, au service de la foi catholique. Tout comme une lecture partielle/partiale nécessite une lecture complémentaire qui la corrige, l’Ancien Testament trouve son sens ultime et son accomplissement dans le Nouveau Testament, selon le principe de la lecture typologique manifesté par les deux livres, l’un fermé et l’autre ouvert, que porte Foi (Pr. V, 147-160, p. 27)22. C’est pour ne l’avoir pas compris que les Juifs sont dénoncés par Espérance,
pour ce qu’ilz n’ont voulu humilier leur sens en vray entendement des Escriptures. Grande est leur malediction, quant ilz querent l’entencion des anciens volumez, et ne lez veullent entendre, et que lez maistrez de leurs synagoges lez nourrissent en abus, et pervertissent le sens dez saintes lettres pour divertir leur gent de vraye conversion. Et tant lez a conquis perverses adhurterie et opinative esperance, que ilz ne daignent encliner leur entendement au sens de la lettre, mais ozent forcer les sains textes, et contraindre la verité des prophecies a expositions controuvees. (Pr. XII, 142-151, p. 106)
- 23 Désigné par les « fables du livre de Charmych », Pr. XII, 226, p. 109.
- 24 Idée émise par saint Jean Damascène, reprise par Nicolas de Cues. Dans ce développement, Espérance (...)
11Les « anciens volumez » désignent la Torah, issue de l’Ancien Testament uniquement, et qui donne lieu, dans la tradition juive, à toutes sortes de commentaires (Talmud23, littérature midrachique, Zohar, etc.), autant d’« expositions controuvees » selon Espérance. Cette lecture erronée d’une partie de la Bible amène à une fausse espérance, qualifiée d’« opinative » (Pr. XII, 89-93, p. 104). Plus grave, l’antijudaïsme médiéval reposait sur l’idée que les Juifs avaient condamné à mort le Christ parce qu’ils n’avaient pas reconnu en lui le Messie annoncé par les Prophètes. Espérance critique avec autant de virulence le Coran, corrompu selon elle par les faux enseignements sur l’Ancien Testament qu’un moine nestorien (hérétique, donc) aurait donnés à Mahomet (Pr. XIII, 316-336, p. 124-125)24. Là encore, c’est l’intention malhonnête qui pervertit la vérité des textes ; or « trop est perilleuse l’assemblee de grant clergie avecquez mauvaise pensee » (Pr. XIII, 322-323, p. 125).
Du bon usage des autorités : une morale par provision
- 25 Foi y recourt bien sûr aussi : « De la sainte Bible me veul je aider cy endroit », Pr. VII, 54, p. (...)
- 26 Voir B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier-Montaigne, (...)
- 27 Elles visaient, conformément aux v. 6-7 du poème I, à relater l’histoire du royaume de France depu (...)
12L’Entendement de l’Acteur, quant à lui, est doué de bonne volonté et il a besoin d’exemples concrets pour progresser dans sa compréhension du monde : « qui ne peut attaindre a congnoistre son fait par argumens profons s’aidera d’entendibles exemples, qui sont communs aux simples et aux sages » (Pr. XIV, 6-9, p. 133-134). C’est en tant que pourvoyeuse d’exemples accessibles au plus grand nombre que la littérature – une certaine littérature du moins – manifeste son utilité. Espérance répond immédiatement à la demande d’Entendement en lui indiquant trois sources profitables d’exemples : « A exemples ne peulx tu faillir se tu lis lez volumes de la sainte Escripture, et les escrips dez hystoires, et croniques de France » (Pr. XIV, 19-21, p. 134). Elle puisera à ces trois domaines au sujet de l’oraison (Pr. XV, 377-450, p. 165-168). Le réservoir de textes valides aux yeux d’Espérance relève donc essentiellement de ce que Cicéron puis Isidore de Séville et d’autres ont défini comme historia : des récits d’événements effectivement survenus. Le sens littéral de la Bible25 (premier des quatre sens qui lui sont reconnus) est d’ordre historique, relatif à l’histoire du peuple d’Israël. La consolation écrite par Chartier est de nature théologique, donc nécessairement fondée sur la Bible, alors que la Consolatio de Boèce est d’ordre philosophique. Les « escrips dez hystoires » renvoient aux historiens latins, si appréciés à la fin du Moyen Âge26 ; bien sûr, les exemples païens doivent être considérés avec quelque distance : ils « ne sont pas recités pour les ensuyr en creance de religion, maiz pour esmouver a curioseté de devotion » (Pr. XV, 417-418, p. 167). Les chroniques de France (probablement les Grandes Chroniques de France27), relatives à l’histoire nationale, sont le point de départ de la prise de conscience de l’Acteur, au risque d’ailleurs d’une crise de désespoir devant la terrible déchéance du pays (Po. I, v. 5-7, p. 1 : « N’a pas granment es croniques lysoie / Et aux haulx faiz des anciens visoye, / Qui au premier noble France fonderent »).
- 28 De Oratore, II, 36.
13Suivant le principe cicéronien de l’historia magistra vitæ28, le témoin angoissé des mutacions présentes recherche dans la lecture des Anciens des clefs de compréhension, des réponses à ses interrogations. Chartier, par la bouche d’Espérance, exhibe sa bibliothèque :
Veulx tu doncques voir ton cas en aultruy, et les adventures de noz jours comparoir humainement a celle[s] de noz anciens predessesseurs ? Lis Omer, Virgile, Titus Livius, Orose, Troge Pompee, Justin, Flore, Valere [Maxime], Lucan, Julle, Celse, Brunet Latin, Vincent [de Beauvais], et les aultres hystoriens, qui ont travaillé a alongner leur brief aage par la notable et longue renommee de leurs escriptures. (Pr. XIV, 74-80, p. 137)
14Et Espérance d’ajouter que tous ces auteurs ont montré comment la providence divine a fait triompher le bonheur sur le malheur des hommes. Foi déploie un autre palmarès, celui des princes qui furent aussi des auteurs savants, démontrant par l’alliance de l’autorité politique et de l’autorité scripturaire la validité du souhait de Platon qui préconisait un philosophe roi pour diriger la cité idéale (République, V) :
- 29 Les titres nobiliaires prêtés à Avicenne et Averroès sont fantaisistes.
Salmon le roy tres sage et paisible en fait la preuve, quant tant de livres de sainte doctrine escripvit, et par sens et science dissipa toute iniquité, et getta de sa seigneurie en son temps meschief et discorde. Avicenne, qui profundement attaingny lez secrés de nature et vous laissa les belles distintions de phisique et medecine en son livre dez Canons, fut prince d’Aboaly ; et son envieux Averroys, commentateur d’Aristote, estoit dez ducz de Grece. Julius Cesar, eureux de victoires et glorieux en empyre, n’estoit il orateur et philosophe excellent ? Et trouvons ses oreisons escriptes, et des œuvres d’astrologie par luy amendeez. Et se les hystoires sont veritables, l’Almageste et aultres principaux livres dez celestieux sciences sont attribués a Ptholomee, roy de Egypte, qui assembla la noble librairie en son pays, dont on ne povoit estimer le nombre des volumes. (Pr. IX, 205-219, p. 73)29
15Cette énumération fait suite au rappel du célèbre adage du Policraticus de Jean de Salisbury, selon lequel « roy sans lettres est ung asne couronné » (Pr. IX, 173-174, p. 72). Le bon gouvernant doit être un homme de savoir, un homme de livres – à l’instar de Charles V le Sage, mort en 1380 donc de « fraîche mémoire » au temps de Chartier. Savoir et pouvoir se confortent mutuellement :
Car science est de soy mesmez puissant d’aquerir et acroistre povoir ; et puissance sans sens est comme ung arc sans corde, et comme ung beau braz paralitique, bien formé d’os et de chair et de nerfz, et desgarny de sensitif esperit. (Pr. IX, 231-235, p. 74)
16Entendement, dans sa quête de la vérité, apparaît comme une figure du lecteur et se voit désigner les autorités à consulter :
Je te renvoye a Ezechiel. La liras tu comme la vanité des prestres qui s’enorgueillissent es magistras du temple et se délectent es honneurs deuz a Dieu, est usurpee par eulx et pugnie… (Pr. VIII, 279-282, p. 60)
D’aultres exemples te donnera Valere largement. (Pr. VIII, 338, p. 62).
Remembres toy de Valere ou livre qu’il fist dez choses dignez de memoire. (Pr. XV, 384-385, p. 165)
Se tu prens ton loysir a lyre Seneque ez tragedies, et Jehan Bocace en son livre du cas dez Nobles, tu ne orras autre leçon que de la change dez haultz hommez, la perte des conquereurs et ravalement de ceulx qui trop ont voulu surmonter. (Pr. XIV, 173-177, p. 141)
[F]ay servir a ton esperance les croniquez de ta nation. (Pr. XIV, 222-223, p. 143)
17Lectures dont Entendement devra bien sûr tirer, autant que possible, des enseignements pour gouverner sa vie. Et pour vivre libre. En ces temps troublés où, à cause de la guerre, chacun est menacé de tomber en la puissance d’autrui, ce n’est pas une mince chose de créditer au moins certains livres d’un pouvoir émancipateur. C’est la définition même des arts libéraux, rappelée par Foi :
Ne scés tu que es premiers ans furent les sept ars appellés liberaux pour ce que les princes et les liberalles et franches persones y estudioient. Et ainsi par iceulx scavoir vient on a liberté, et par liberté a franchise et seigneurie. (Pr. IX, 221-225, p. 73)
18Les livres certes ne peuvent pas tout mais ils aident l’homme à se forger une morale par provision pour affronter les tribulations de ce monde. Correctement lus, ils donnent des raisons valables d’espérer (par opposition aux fausses espérances dénoncées dans la prose XII), si bien qu’Espérance en vient à célébrer la valeur éthique de la littérature dans le poème XV. C’est un fait stylistiquement remarquable, les passages en vers ayant fonction de glose et de révélation dans le prosimètre :
Pour les haulx faitz meritoires,
Lez renommees et gloires
Des victoires,
Les malfaitz et biens notoires
Ramener en noz memoires
Transitoires,
Et noz sens ediffier,
Sont escriptes lez hystoires
Et poesiez fictoires,
Narratoires,
Des mauvais accusatoires,
Des bons recommandatoires,
Laudatoires,
Pour leurs faitz justifier ;
Ainsi par versifier,
Et temps en estudier
Emplier,
Ont voulu certifier
Les clercs et specifier,
Sans nyer,
Les cas qui advinrent loires
Et pour nous humilier
Et a vertu affier
Et lyer,
D’aultruy faitz clarifier,
Monstrer, exemplifier,
Et trier
Noz presens cas peremptoires. (Po. XV, 1-28, p. 148-149)
- 30 Dans le Quadrilogue invectif, Chartier puise ses exempla essentiellement dans la Bible et chez les (...)
19Remarquons que la littérature de fiction (« poesie fictoire »), autrement dit la fabula cette fois, semble in extremis réhabilitée – par l’allégorèse, ou moralisation, un texte de fiction, faux dans sa lettre, peut en effet se voir crédité d’une signification valable à un autre niveau. Mais on n’en trouve pas d’exemple cité dans le Livre de l’Espérance. L’allusion à Dante, « poete de Florence » (Pr. VIII, 187, p. 56), semble renvoyer au De monarchia plutôt qu’à la Divine comédie. Espérance conseille à Entendement la lecture des tragédies de Sénèque car elles développent des sujets historiques, et c’est le Boccace des Cas des nobles hommes, non du Décaméron, qu’elle lui adjoint (Pr. XIV, 173-177, p. 141, cité supra). La réhabilitation de la fiction reste donc théorique, à moins de considérer la fiction que constitue la mise en scène allégorique qui sert de cadre au Livre de l’Espérance lui-même30.
Limites de la littérature
- 31 S. Paul, I Co 13, 12 : « À présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais alors ce (...)
20Reste que la littérature, comme les œuvres humaines en général, ne peut être qu’un miroir approximatif des réalités invisibles. Foi s’adresse à Entendement en paraphrasant un passage célèbre de la 1re épître aux Corinthiens31 :
par les creatures faictes en ce visible monde congnoys par reflection, comme en ung mirouer obscur en lumiere de foy, les invisibles œuvres de Dieu, que aprés la glorification verras face a face. (Pr. VI, 11-14, p. 30)
- 32 Kelly, « Boethius as Model », p. 19.
- 33 Citation supra.
21Le statut particulier de la Bible, en tant que texte sacré inspiré par Dieu, lui vaut évidemment d’être la meilleure des autorités possibles dans le Livre de l’Espérance ; comme le remarque Douglas Kelly, les trois apparitions maléfiques sont incapables de la citer et se bornent à des exemples païens32. À défaut, les Pères de l’Église sont des références sûres : Espérance conseille la lecture de la Cité de Dieu de saint Augustin et des Institutions divines de Lactance (Pr. XIII, 80-81, p. 115-116). Le reste de la littérature relève du trivium et ne peut prétendre aux sommets de la théologie, science suprême ; la littérature exemplaire n’est qu’un miroir des créatures de Dieu qui permet de « voir [s]on cas en autruy ». Reste donc un écart qualitatif entre les Saintes Écritures et la littérature profane, ce que souligne Espérance au moment de citer en exemple les auteurs antiques et médiévaux33 : ceux-ci sont plus accessibles à Entendement car, lui dit-elle, « peult estre que ton sentement, encores empraint es mondaines mutations, appete plus exemple de humaine industrie que de divine grace » (Pr. XIV, 72-74, p. 137). Entendement, qui a pratiqué « l’estude de sainte Theologie » (Pr. V, 188, p. 28), reconnaît d’ailleurs, quand il s’adresse à Foi, la supériorité de celle-ci sur l’étude livresque :
A ! haulte vertu divine,
Vers qui s’abaysse et incline
Estude, sens et doctrine
D’entendre si haultement ! (Po. VI, 1-4, p. 29)
22Vient un moment où le savoir est vain, où il faut simplement croire (Po. XVI, 19-23, p. 169). La puissance de l’oraison, capable de modifier l’ordre des choses, repose sur la foi et l’espérance, non sur le savoir ; Espérance et Entendement échangent longuement à ce sujet (Pr. XV, 223-450, p. 158-168).
- 34 H. Haug repère chez des auteurs bourguignons de la seconde moitié du xve siècle tels qu’Olivier de (...)
- 35 J. Batany rappelle qu’au Moyen Âge « le droit accorde plus de foi au témoignage oral (même indirec (...)
23Vient aussi un moment où la réalité enseigne mieux et plus directement que les livres. L’expérience récente34 est comme un livre ouvert dont le contenu est diffusé par la parole35 des anciens :
Veulx tu de rechief exemples de plus fresche memoire ? Laisse les livres, et asseure ta creance en la recitation dez anciens hommes […]. […] ce te pourront reciter telz qui encor vivent. (Pr. XIV, 193-195 et 210, p. 142)
24En dernière instance, l’exemple est à prendre sur le roi, assimilé à un livre vivant – mais le roi, on l’a vu, doit avoir beaucoup lu pour bien agir :
- 36 Le Peuple émet un argument analogue dans le Quadrilogue invectif : « selon ce que les princes et l (...)
Ung livre faulx escript fait errer ceulx qui y lisent, et a ceulx qui le contre-escripvent adjouxter fauls sur faulz. Et se le roy est le livre ou le peuple doibt prendre enseignement de vie et amendement de meurs, quant l’oringinal en est corrumpu, les copies en sont faictez faulsez. (Pr. VII, 200-205, p. 45)36
- 37 Christine de Pizan opère à ce propos une distinction entre le sage et le savant dans son Livre de (...)
25On aperçoit la responsabilité du roi et, à travers elle, celle de tout lecteur. De toute façon, l’écrit n’a de vertu que s’il est mis en pratique37, comme le précise plus loin Foi :
Car la loy escripte est de soy morte et sans vigour ; mais le prince est la loy vive, l’ame et l’esprit des loys, qui leur donne povoir et vertu, et par son sens et adrecement les vivifie. (Pr. IX, 239-242, p. 74)
26La lettre sans l’esprit n’est rien. Ou pour le dire avec saint Paul : « la lettre tue et l’esprit vivifie » (II Co, III, 6).
- 38 Voir F. Bouchet, Le discours sur la lecture en France aux xive et xve siècles : pratiques, poétiqu (...)
- 39 Philippe de Mézières, Le Songe du Viel Pelerin, éd. G. W. Coopland, Londres, Cambridge University (...)
27Finalement, que peut-on espérer de la littérature ? Les lettres bouleversées sur le manteau de France, au début du Quadrilogue invectif, symbolisent la crise des signes et du sens qui trouble les esprits à la fin du Moyen Âge et suscite une révision critique de l’héritage littéraire38. Il est à craindre qu’une bonne partie de celui-ci ne débouche que sur l’une des fausses espérances dénoncées – comme il se doit – par Espérance : l’espérance « opinative », erreur de jugement personnel qui (l’exemple des Juifs le montre) peut résulter d’une lecture erronée des Écritures. Dans la perspective chrétienne, on peut se fier aux textes bibliques (seuls garants de la vraie espérance) et historiques (s’ils sont correctement lus) parce qu’on peut en tirer une vérité. Mais de là à penser que le salut puisse venir des livres… Chartier semble se détourner (il n’en parle même pas) des mensonges des fictions romanesques et courtoises, que Philippe de Mézières appelle « les bourdes de Lancelot et semblables39 », quand d’autres de ses contemporains affirmaient la valeur exemplaire de l’héroïsme chevaleresque. Il doit se souvenir de la condamnation par saint Augustin des vaines fictions poétiques, qui détournent l’âme de Dieu (Confessions, I, 13). Et qu’aurait dit Charité, si Chartier avait eu le temps de la faire intervenir dans la dernière partie, manquante, du Livre de l’Espérance ? On est tenté de citer un autre verset de la première épître aux Corinthiens : « Quand j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et de toute la connaissance, quand j’aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s’il me manque l’amour [caritatem], je ne suis rien. » (I Co, 13, 2). En définitive, la science de tous les livres est vouée à s’abolir dans le mystère de la charité.
Notes
1 Alain Chartier, Le Livre de l’Espérance, éd. F. Rouy, Paris, Champion, 1989. Chaque citation est suivie de l’indication de sa section, poème (Po.) ou prose (Pr.), des nos de vers ou de ligne et de la page dans cette édition.
2 Il doit s’agir des poèmes d’amour (ballades, rondeaux) que Chartier a composés au début de sa carrière.
3 La Consolation de Philosophie, livre I, 1, 1-2, trad. É. Vanpeteghem, Paris, LGF, « Lettres gothiques », 2005, p. 45 ; on trouvera en regard le texte latin (éd. C. Moreschini).
4 La Consolation de Philosophie, p. 49.
5 Alain Chartier a été ainsi désigné comme une autorité dès les années 1430 dans Les Erreurs du jugement de la belle dame sans mercy et par bien d’autres auteurs tels que Jean Regnier, Martin Le Franc, Michault Taillevent, René d’Anjou, François Villon, Simon Greban, Octovien de Saint-Gelais, etc. Voir E. J. Hoffman, Alain Chartier. His Works and Reputation, New York, Wittes Press, 1942, p. 216-261 (la liste se poursuit jusqu’à André Du Chesne, éditeur en 1617 des Œuvres de maistre Alain Chartier).
6 Il convient de rappeler qu’au Moyen Âge, la littérature englobe l’ensemble des textes écrits et le savoir consigné par la littera ; les fictions narratives ou lyriques n’en sont qu’une partie restreinte dont la validité, on va le voir, fait débat.
7 Quadrilogue invectif, éd. F. Bouchet, Paris, Champion, 2011, p. 3 et 83 respectivement.
8 F. Rouy les désigne comme des « monstres », d’autres critiques comme des « Vices » ou de « fausses Muses ». Il me semble que « démons intérieurs » correspond mieux à l’état psychique évoqué.
9 Entendement est personnifié : « ce jeune et advisé bachelier qui m’avoit suy une foiz de loing, l’autre de pres […] demoura de coste moy estourdi, estonné, et comme en litargie » (Pr. I, 27-28 et 31-32, p. 3-4).
10 Aux alentours de 1460, le dispositif allégorique du Livre de l’Espérance sera imité par George Chastelain dans Les Expositions sur Verité mal prise : scène d’ouverture analogue, personnification de l’Entendement de l’acteur, débat sur les difficultés liées à l’interprétation des livres et les risques de perversion de leur sens. Voir E. Doudet, Poétique de George Chastelain (1415-1475). “Un cristal mucié en un coffre”, Paris, Champion, 2005, p. 705-706 et 762-764.
11 Un frontispice du Livre de l’Espérance montre Alain Chartier au travail dans son cabinet empli de livres (Oxford, Bodleian Library, ms. E. D. Clarke 34, fol. 2r); miniature reproduite dans A Companion to Alain Chartier (c. 1385-1430), Father of French Eloquence, éd. D. Delogu, J. E. McRae et E. Cayley, Leiden-Boston, Brill, 2015, p. 79. À l’arrière-plan apparaît le lit sur lequel plusieurs autres frontispices choisissent de figurer Chartier allongé.
12 Cette réflexion s’inscrit dans le sillage de plusieurs études : J. Blanchard, « Artefact littéraire et problématisation morale au xve siècle », Le Moyen Français, 17, 1985, p. 7-47 ; J. Chiville Zinser, « The Use of Exempla in Alain Chartier’s Esperance », Res publica litterarum, 3, 1980, p. 177-189 ; S. Huot, « Re-fashioning Boethius : Prose and Poetry in Chartier’s Livre de l’Esperance », Medium Ævum, 76, 2007, p. 268-284 ; D. Kelly, « Boethius as Model for Rewriting Sources in Alain Chartier’s Livre de l’Esperance », Chartier in Europe, éd. E. Cayley et A. Kinch, Cambridge, D. S. Brewer, 2008, p. 15-30 ; J.-C. Mühlethaler, « Le “rooil de oubliance”. Écriture de l’oubli et écriture de la mémoire dans le Livre de l’Espérance d’Alain Chartier », Figures de l’oubli ( ive-xvie siècle), éd. P. Romagnoli et B. Wahlen, Études de Lettres, 1-2, 2007, p. 203-222.
13 Entendement se voit menacé « de mauvaise pensee et de tentacion dyabolique » par les trois « ennemies de la paix des consciences et adversaires du salut des ames » (Pr. V, 31 et 36-7, p. 22-23).
14 Huot, « Re-fashioning Boethius », p. 272.
15 Huot, « Re-fashioning Boethius », p. 272; Kelly, « Boethius as Model », p. 17.
16 Huot, « Re-fashioning Boethius », p. 272-273.
17 Espérance souligne ce point tout en précisant que le suicide antique n’a de valeur que dans la perspective de « l’onneur terrien » sans ouvrir à « la beatitude de l’autre vie » promise par le Dieu des chrétiens (Pr. XI, 132-150, p. 99).
18 Mühlethaler, « Le “rooil de oubliance” », p. 210-211.
19 Jacques Legrand, Archiloge Sophie, éd. E. Beltran, Paris, Champion, 1986, p. 156. La définition de Legrand date de 1400 environ et l’allégation est omniprésente dans la littérature didactique du xve siècle.
20 C’est fréquemment le cas de Christine de Pizan.
21 Éd. citée, p. 68. Même interprétation dans le Dialogus familiaris amici et sodalis super deploracione Gallice calamitatis (Les œuvres latines d’Alain Chartier, éd. P. Bourgain-Hemerick, Paris, Éditions du CNRS, 1977, p. 265) ; l’Ami ajoute cependant : « Tu allegues piteux exemple. Mais, se tu me croiz, tu te efforceras, tant que possible te sera, de donner tel conseil a la chose publique par quoy ne toy ne elle ne perissez pas. »
22 Voir aussi Espérance, Pr. XII, 230-236, p. 110 et Po. XIII, 38-64, p. 112.
23 Désigné par les « fables du livre de Charmych », Pr. XII, 226, p. 109.
24 Idée émise par saint Jean Damascène, reprise par Nicolas de Cues. Dans ce développement, Espérance donne une vision très partielle du Coran.
25 Foi y recourt bien sûr aussi : « De la sainte Bible me veul je aider cy endroit », Pr. VII, 54, p. 39.
26 Voir B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier-Montaigne, 1980.
27 Elles visaient, conformément aux v. 6-7 du poème I, à relater l’histoire du royaume de France depuis le mythe des origines troyennes et à consigner les exemples utiles aux souverains. La version élaborée sous Charles V connut une très large diffusion ; voir F. Duval, Lectures françaises de la fin du Moyen Âge. Petite anthologie commentée de succès littéraires, Genève, Droz, 2007, p. 316-318. Quant à Jean Meschinot, lui aussi plongé, en des circonstances douloureuses, dans la lecture des « croniques ancïennes » au début des Lunettes des Princes, il y perçoit essentiellement un memento mori (éd. C. Martineau-Génieys, Genève, Droz, 1972, p. 6, XV, v. 4-6).
28 De Oratore, II, 36.
29 Les titres nobiliaires prêtés à Avicenne et Averroès sont fantaisistes.
30 Dans le Quadrilogue invectif, Chartier puise ses exempla essentiellement dans la Bible et chez les historiens latins ; pour ce qui est de la littérature médiévale, seuls apparaissent furtivement Roland, Olivier et Ogier le danois (éd. citée, p. 80), mais ce sont des héros de chanson de geste, considérés donc comme historiques. Chiville Zinser repère un passage de l’Epistola de detestatione belli Gallici et suasione pacis où Chartier recourt aux poemata pour renforcer un argument (« The Use of Exempla », p. 186) ; voir Les œuvres latines d’Alain Chartier, p. 228-229, § 17.
31 S. Paul, I Co 13, 12 : « À présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais alors ce sera face à face. »
32 Kelly, « Boethius as Model », p. 19.
33 Citation supra.
34 H. Haug repère chez des auteurs bourguignons de la seconde moitié du xve siècle tels qu’Olivier de la Marche ou Jean Molinet un détachement des lectures « anciennes » au profit de l’expérience du temps présent : cf. « Ains les lisoie entre mes dens. Figures d’auteurs-lecteurs (xive-xve siècles) : une réaction face au succès mitigé des nouvelletez littéraires en contexte curial ? », en ligne sur fabula. org, § 42-43.
35 J. Batany rappelle qu’au Moyen Âge « le droit accorde plus de foi au témoignage oral (même indirect ou fondé sur une tradition) qu’aux documents écrits, souvent forgés pour appuyer ces témoignages, mais postérieurs à eux » : cf. « Écrit/Oral », Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, éd. J. Le Goffet J.-C. Schmitt, Paris, Fayard, 1999, p. 317. On sait combien Froissart s’est attaché à recueillir le témoignage des protagonistes de la guerre de Cent Ans pour composer ses Chroniques.
36 Le Peuple émet un argument analogue dans le Quadrilogue invectif : « selon ce que les princes et les haulx hommes se maintiennent en estat et en vie, le peuple y prent sa rigle et son exemple, soit de bien, soit de mal, de paix ou d’esclandre. » (éd. citée, p. 48-49).
37 Christine de Pizan opère à ce propos une distinction entre le sage et le savant dans son Livre de la Paix : « sages est cil qui sagement fait bonne euvre et non cil qui la scet seulement sans en savoir ouvrer. » (The Livre de la Paix of Christine de Pizan, éd. C. C. Willard, La Haye, Mouton, 1958, p. 70). Dans Le Temps recouvré (1451), Pierre Chastellain considère, face à la foule des livres nécessaires à l’acquisition de « la theoricque », « que riens ne [lui] valoit / Science telle sans praticque » (Les Œuvres de Pierre Chastellain et de Vaillant, éd. R. Deschaux, Genève, Droz, 1982, ccxiii-ccxiv, p. 94).
38 Voir F. Bouchet, Le discours sur la lecture en France aux xive et xve siècles : pratiques, poétique, imaginaire, Paris, Champion, 2008, p. 262-274.
39 Philippe de Mézières, Le Songe du Viel Pelerin, éd. G. W. Coopland, Londres, Cambridge University Press, 1969, vol. II, p 221.
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Référence papier
Florence Bouchet, « Entendement et vérité », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 33 | 2017, 211-224.
Référence électronique
Florence Bouchet, « Entendement et vérité », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 33 | 2017, mis en ligne le 16 août 2020, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14755 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14755
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