Une image bien encontenancée
Résumés
La miniature frontispice du Livre de l’Espérance due au Maître de Talbot (BnF fr. 126, ca 1435) témoigne d’un remarquable souci d’exactitude dans le rendu des détails du texte. Cet article montre comment l’image, en reprenant la syntaxe iconographique traditionnelle du songe, prend acte du bouleversement topique créé par le texte d’Alain Chartier tout en s’inscrivant dans la poétique d’un pathos contenu dont la « damoiselle encontenancee », bras croisés, figure la discrète allégorie.
Texte intégral
- 1 Du nom du baron Sir John Talbot (ca 1388-1453), redoutable chef de guerre anglais, commanditaire d (...)
- 2 Espérance, éd. Rouy, p. 3.
1Le Livre de l’Espérance conservé dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale de France (français 126, fol. 218r ; figure 1) s’ouvre sur une somptueuse miniature « porche », due à l’enlumineur rouennais connu sous le nom de Maître de Talbot1, synopsis iconique de ce texte inachevé. Le protagoniste principal en est Mélancolie, telle qu’elle apparaît à l’acteur en proie à une « dolente et triste pensee2 » :
Et en cest point vint vers moy une vielle toute desaroyée et comme non chalant de son habit, maigre, seiche et flaitrie, a couleur pale, plommee et ternie, le regart bas, la voix entreprinse, et la levre pesant. Son chief estoit toqué d’un cueuvre-chief sale et encendré, son corps affublé d’un mantel de tenné. A l’aproucher sans mot dire m’envelopa soudainement entre ses bras et me couvry visage et corps de ce maleureux mantel ; maiz de ses bras si estroit me serroit que je sentoye mon cueur au dedans destraint comme en presse ; et de ses mains me tenoit la teste et les yeulx embrunchés et estouppés, si que n’avoye laisir de voyr ne de ouir. Et ainsi comme homme esvanouy et pasmé, me vint porter au logeis d’enfermeté, et me getta en la couche d’angoisse et de maladie.
2Mélancolie saisit entre ses « dures mains » le cerveau de l’acteur et en ouvre « la partie qui meillieu de la teste siet en la region de l’ymaginative, que aucuns appellent fantasie », libérant les phantasmes qui viendront assaillir l’auteur alité : Indignation, Défiance, Désespérance.
- 3 Saturne et la mélancolie, trad. F. Durand-Bogaert et L. Evrard, Paris, Gallimard, 1989 [1964], p. (...)
3Cette miniature frontispice est reproduite dans l’ouvrage classique de Klibansky, Saxl et Panofsky, Saturne et la mélancolie3. Les auteurs soulignent à son propos l’écart entre la faiblesse des moyens expressifs de l’image et la puissance suggestive du texte de Chartier avec lequel elle ne peut rivaliser :
- 4 Saturne et la mélancolie, p. 359 : « Alain Chartier exposait son expérience de la mélancolie avec (...)
Le poème inachevé d’Alain Chartier témoigne d’une telle intensité d’expérience émotionnelle et d’une si grande aptitude à traduire cette expérience en symboles et en formules dramatiques que les images verbales du poète […] surpassent en pouvoir d’évocation les images visuelles de l’illustrateur4.
- 5 Alain Chartier, Quadrilogue, p. 12 : « trop longuement ne vueil sur descripcion demourer ». La des (...)
- 6 « Ce que les Grecs appellent phantasia (nous pourrions aussi bien l’appeler visio), la faculté de (...)
4Les auteurs n’en disent pas beaucoup plus sur cette prétendue défaillance de l’image peinte, là n’est pas leur propos. Mais il est bien question de la vertu du langage à susciter la représentation mentale et à nous rendre présentes, ante oculos, les images des choses absentes, ce que la rhétorique recense sous les catégories de la demonstratio, de l’ekphrasis, de l’hypotypose, de la « descripcion5 », et de la vigueur qui en résulte, l’enargeia6. Il conviendrait de préciser la nature de cet excès du texte par rapport à l’image, ou du défaut de l’image par rapport au texte : excès topique dans le sens où l’enveloppement dans le mantel de Mélancolie n’est pas répertorié dans l’iconographie du temps, excès rhétorique en ce que l’image peinte médiévale échouerait à rivaliser avec la descripcion sur le terrain du pathos. C’est cet écart entre enargeia rhétorique et représentation peinte que je souhaite interroger dans ces pages en le reliant à la polarité rhétorique de l’èthos et du pathos – polarité dont je ferais volontiers de la petite damoiselle aux bras croisés, « debonnaire et bien encontenancee », à peine évoquée par Chartier, en retrait dans l’encadrement du mur sur le volet droit de l’image, la discrète allégorie.
Identification des rôles
- 7 La successivité dans le temps se donne à voir comme une coprésence dans l’espace, une juxtapositio (...)
5Lisons la miniature « à la loupe » du texte et identifions les personnages constituant ce portrait de groupe. Si l’image nous en montre apparemment dix-huit, ils se réduisent en réalité à dix, certains d’entre eux étant représentés plusieurs fois (l’acteur, Mélancolie, l’Entendement) en vertu du procédé syntaxique d’itération narrative d’une même figure au sein d’un espace unique7. Commençons par le héros malheureux de cette vision, l’acteur lui-même, représentant fictionnel d’Alain Chartier. Il apparaît en trois occurrences successives, une fois dans chaque « compartiment » de l’ensemble architectural tripartite élaboré par l’image. Tout d’abord sur le volet de gauche, assis sur une cathèdre gothique à pinacles et fleurons, la main droite crispée serrant l’accoudoir, vêtu comme un clerc portant calotte (rose) sur la tête, chape bleue doublée d’hermine avec chaperon couvrant les épaules, par-dessus un bliaud dont on aperçoit les manches rouges. À sa droite sur l’estrade, un pupitre avec deux livres fermés, aux reliures rouges et vertes, bouillons et fermoirs dorés. L’acteur a la tête baissée, le buste affaissé. La vieille Mélancolie lui enveloppe le visage de son mantel de tenné, de drap brun, et lui tient les yeux embrunchés et estouppés, voilés et « bouchés » (p. 3). Elle l’emporte ensuite dans le vestibule central, enveloppé comme un paquet sur son épaule, pieds ballants, jusqu’au logeis d’enfermeté (infirmitas), où elle l’aura ensuite déposé sur un lit au montant de bois et couvre-lit orangé sans dais ni courtines, la couche d’angoisse et de maladie (volet latéral droit) : l’acteur y est montré à visage découvert, les couleurs de sa calotte, sa chape et son bliaud constituant ses identifiants iconiques. Le mantel de Mélancolie est rabattu sur ses jambes comme une couverture. Il paraît à ses gestes échanger paroles avec la dame en cornette à son chevet.
- 8 Avoir « les pans (d’un vêtement) noués », ou « mettre ses pans à la courroie » : nouer la partie t (...)
- 9 « Par telles parolles me admonnoistoit en gros et en trouble, moy estant encores pesant de trop do (...)
6La protagoniste suivante, Mélancolie, est figurée quatre fois sur l’image. Elle s’approche en deux temps de l’acteur sur sa chaire, un peu comme si le jeune portier lui avait ouvert le passage par la poterne ménagée dans le mur du fond – c’est en tout cas ce que l’image, a contrario du texte, suggère – cheveux et cou recouverts d’une guimpe, le cueuvre-chief sale et encendré mentionné par le texte (p. 3). Elle se défait progressivement (en toute décence) de ses garnements, d’abord du manteau brun dont elle enveloppe l’acteur, puis d’un surcot vert fourré à manches longues et étroites (premier volet) dont elle rabat les pans dans sa ceinture pour faciliter sa marche (volet central)8, passé par-dessus une cotte rose. Ces détails nous permettent d’identifier sans doute aucun sa présence sur le volet latéral droit, à la gauche de l’acteur à qui elle tend un gobelet : autour de ses hanches est ajusté un demi-ceint, ceinture de cuir dont la longueur peut être réglée au moyen d’un crochet et de deux chainettes sur le devant, dorées ici. Le gobelet dont elle sert l’acteur contient certainement les si estranges et merveilleux bruvages confis en forcenerie et en desconnaisance dont elle a abreuvé le jeune bachelier Endentement (p. 4). L’acteur, après avoir enduré les discours des monstres, se dit plus loin « desgousté par l’amertume des poisons de Melencolie9 ».
- 10 Coupe du chancelier Rolin sur le célèbre tableau de Van Eyck.
7La figure juvénile de ce « jeune et advisé bachelier Entendement » est quatre fois présente à l’image : derrière l’acteur en chaire (volet 1), à côté de Mélancolie portant l’acteur et ouvrant la porte sur le paysage (volet 2), enfin au chevet de l’acteur alité tout au bord du cadre (volet 3). Le peintre l’a pourvu d’attributs iconiques invariants, absents du texte mais nécessaires à sa reconnaissance : une coupe à la mode au xve siècle, tempes et cou rasés10, une cotte bleue longue aux manches bouffantes serrée à la taille par une ceinture cloutée, un chaperon rose posé d’abord sur l’épaule droite puis gauche, marqueur iconique efficace. Entendement est le témoin passif de l’emprise de Mélancolie sur l’acteur ; son geste sur le volet droit, la main posée sur le visage et l’œil droit masqué, transpose le texte :
Ce jeune et advisé bachelier qui m’avoit suy une foiz de loing, l’autre de pres, selon ce que Dieu m’en donna l’acointance, abreva elle [i. e. Mélancolie] de si estranges et merveilleux bruvages confis en forcenerie et en descongnoissance que le bon et sage, qui a ce besoing m’avoit conduit [accompagné] jusquez au lit, demoura de coste moy estourdi, estonné, et comme en litargie. (p. 4)
8Ce geste dit non seulement la léthargie ou la mélancolie, mais également l’aveuglement du jeune Entendement lorsque, plus tard, il ouvre enfin la petite porte de la chambre de la mémoire qui avait été rouillée par l’oubli : « Entendement se retrait vers la partie de ma memoire, et ouvrit a grant effors pour donner plus grant clarté ung petit guichet dont les varroux estoient compressés du rooil de oubliance » (p. 23). Exemple de syllepse iconique qui attribue à un même énoncé gestuel un double signifié et condense en un geste le mouvement de conversion, de la cécité léthargique à l’éblouissement salutaire. En ouvrant le guichet de mémoire, Entendement va en effet faire pénétrer les trois vertus et une demoiselle anonyme dans la chambre de la memoire de l’acteur, métaphorisée ici par la salle à l’intérieur carrelé.
9Mais avant l’entrée en scène des vertus, ce sont « troys horribles semblances en figures de femmes espoventables a veoir » (p. 5) qui investissent le terrain psychologique et moral, trois personnages allégoriques figurant sur le volet droit de l’image : Indignation, Défiance, Désespérance.
- 11 « Sa face estoit vermeille et enflambee, ses yeux etincelans et tresperçans de regart. Le cueur et (...)
10Indignation sera la première des trois furies à prendre la parole. Elle se tient ici dans l’angle inférieur droit de l’image entre Désespérance (derrière elle) et Indignation. Chartier la décrit vêtue d’un court mantel (ici brun et fourré) qui lui couvre un bras (p. 6). Elle tient contre elle cachées sous ce manteau unes tres singlans escourgeez (un fouet cinglant) et dans l’autre main « unes tables ouvertes, en quoy elle lisoit et ramentevoit [rappelait] les ingratitudes, lez faultes et les injures que on lui avoit faittez ». Ces attributs, gestes et objets, autrement dit les détails sémantiquement saillants, sont scrupuleusement représentés par le peintre qui complète le portrait par des choix vestimentaires et chromatiques : le personnage a les cheveux voilés, son mantel (qui effectivement ne tombe pas au sol) est passé sur une robe rose elle aussi fourrée. En revanche, ce qui relève de sa physionomie et de son regard n’est pas intégré par la représentation picturale11.
- 12 Le verbe « froncer » en moyen français s’applique à la fois au visage que l’on « plisse, que l’on (...)
11Deffiance se tient à la droite d’Indignation. Elle est la première personnification à se présenter à la vue de l’acteur mais la seconde à parler, Indignation ne pouvant retenir le flot précipité de sa parole (p. 7). Là encore, le miniaturiste enregistre scrupuleusement la plupart des attributs iconiques définis par l’auteur : sur son bras un escrin de fer fermé a double clefz, qu’elle tenoit enserrees en son poing (enserré renvoie aux clés, détail omis par le peintre) ; par-dessus ses épaules unes besaces (i. e. une paire de besaces) plaine par devant et vuides par derriere, comme on le constate sur la miniature. Défiance est décrite sainte d’une ceinture et recourciee d’une autre, et l’on distingue en effet deux ceintures l’une au-dessus de l’autre qui permettent de raccourcir en la retroussant sa robe bleu-gris passée par-dessus une cotte rouge, l’étoffe prise entre les deux ceintures formant des fronces12. À chaque ceinture pendent bourses et sachetz plains de diverses besoignez. Le peintre prend acte également des gestes et des attitudes : les bras croisés (ploiez) par-dessus son fardage, son chargement, et le regard jeté derrière et sur le côté, signe d’une inquiétude et d’un soupçon insatiables. Le peintre l’a couverte d’un couvre-chef semblable à celui de Mélancolie, l’ajout est de son initiative.
- 13 « ses yeulx presque mortiffiez et enfoncez en sa teste », p. 6.
12Troisième horrible semblance, Desesperance vient sur le bord droit de l’image derrière Indignation. Même scrupule illustratif, au détail du regard près13 : eschevellee (i. e. en cheveux, indice du désordre mental et moral, p. 6), la robe pourfendue sur le pis (sur l’image la robe verte est maintenue ouverte sur la cotte rouge par une ceinture haute juste au-dessous des seins), la couleur desteinte (et il semble en effet que le peintre ait utilisé un autre pigment, jaunâtre, distinct de la carnation des autres personnages de la scène), ung suaire sur son bras (ici sur l’avant-bras gauche), un coustel au poing (main droite), et le chevestre au col, c’est-à-dire la corde pour se pendre, corde portée avec élégance puisqu’elle fait ici comme un double collier autour du cou.
- 14 Alors qu’il figure dans d’autres manuscrits, par exemple le manuscrit BnF fr. 24441, fol. 44r (Foi (...)
13Revenons à notre jeune bachelier à la nuque bien dégagée : il a ouvert le petit guichet de la mémoire pour que dans la chambre mentale de l’acteur s’engouffre la lumière, et quatre visiteuses sont entrées à leur tour : « Par la entrerent incontinent troys dames et une debonnaire et bien encontenancee damoiselle qui longuement avoient musé a ce petit huys, mais nul ne leur ouvroit l’entree » (p. 23). Le portier même, Entendement, ne les a pas reconnues « car encores avoit il ses yeux esblohis, comme prisonnier qui d’une trouble chartre vient soudainement a la lueur du solleil » (p. 23-24). Trois nobles dames donc, contre trois horribles vieilles. La première d’entre elles, ici en habit de nonne, tête et épaules couvertes d’une guimpe, n’est autre que Foy. Le jeune Entendement, qui recouvre la vue lorsque de sa main elle lui décille le regard (p. 27), la reconnaît à ses ensaignes, à ses attributs énumérés par Chartier : ung livre ancien, dont la couverture fut de couleur obscure pourtraite de divers seignes et figures qu’elle tient clos et ployé sous son bras senestre (bras droit sur l’image) ; la seconde enseigne est ung aultre livre a sept fermeurs deffermés, escript du sang de l’aignel sans tache, lequel elle tenoit de l’autre main (main gauche sur l’image) tout ouvert ; tierce ensaigne, une couronne d’or a XII florons, dont les ungz estoient si haulx qu’ilz trespercoient les cieulx : ce dernier détail a sciemment été omis par l’imagier14.
- 15 Qui confugimus ad tenendam propositam spem, quam sicut anchoram habemus animae (« à nous qui avons (...)
- 16 Certains manuscrits et éditions imprimées montrent les trois monstres réfugiés derrière la courtin (...)
14La seconde vertu est Espérance. Elle apparaît dans la miniature sur le devant de la scène à côté de Défiance, vêtue d’une robe bleue à traîne aux manches et à l’encolure bordées de fourrure passée par-dessus une cotte rouge et coiffée d’une cornette de même couleur, la main garnie d’une boete de cyprés plaine de ongnemens confiz de promesses faittes jadis aux peres par lez prophetes et contenant le balsme de consolation. Elle tient de l’autre main l’anel de la verge d’une ancre d’or dont le bec estoit fiché dedens les cieux (p. 89)15 : l’odeur du baume fait fuir les vices qui se cachent en l’ombre de la courtine du lit comme en tapinage16.
- 17 Espérance, p. xvii.
- 18 Saturne, p. 359, n. 26. Les auteurs substituent curieusement Nature à Charité au sein de la triade (...)
- 19 D’autres peintres s’arrangent ainsi pour placer la troisième dame en queue de cortège, derrière Fo (...)
15Quant à la troisième dame et à la jeune demoiselle, elles ne sont ni décrites ni nommées par Chartier. Leur représentation relève de la pure initiative du peintre (ou du commanditaire). La femme à cornette blanche, en robe rose aux plis d’or échancrée, qui s’adresse à l’acteur alité, a fait l’objet d’identifications divergentes. François Rouy dans l’introduction à son édition du texte évoque à son propos « les vertus personnifiées entourant Entendement enfin sorti de sa léthargie. Dame Espérance à son chevet s’entretient avec lui17 ». Pourtant Espérance présente une tout autre apparence dans la même scène, nous l’avons vu, et ce choix serait totalement inconséquent de la part d’un artiste aussi soucieux de l’identité iconique de ses personnages. Klibansky et al. proposent quant à eux d’identifier ce personnage à la Nature qui, « toute faible et abattue par Melancolie et par douleur » (p. 22), sort de sa torpeur et réveille Entendement. Interprétation aussi peu convaincante : Nature ne dépasse pas dans le texte le stade de l’abstractum agens alors que l’image, si scrupuleuse dans sa transposition du texte, en fait le protagoniste décisif de la scène, le recours vers qui l’acteur se tourne en se détournant de Mélancolie18. Pourtant le geste, certes discret, est sans ambiguïté possible : la dame passe sa main gauche dans le dos de l’acteur, et son geste bras ouverts montre qu’elle s’apprête à l’accueillir. Je vois mal quel autre rôle lui reconnaître que celui de Charité, troisième vertu théologale qui après Foi et Espérance viendrait heureusement compléter la série si Chartier avait mené son traité à son terme. La caractérisation iconique du personnage, au lieu de faire fond sur les attributs qui lui sont traditionnellement décernés, reste suffisamment discrète pour ne pas forcer l’intention du texte et de son auteur19. Derrière elle une femme moins somptueusement vêtue, robe bleue et ceinture dorée basse ceignant la taille, couvre-chef rose, debout contre le chambranle de la cloison, assiste à la scène les bras croisés : voici la damoiselle debonnaire et bien encontenancee évoquée sans plus de précision lors de l’entrée des vertus dans la chambre de la mémoire (p. 23). Le peintre lui assigne le seul rôle que l’état inachevé du texte nous permet de lui supposer : celui d’une figurante. Il y a ainsi dans l’écart entre ce que le texte programme et promet à mots couverts (trois, voire quatre discours successifs des vertus) et ce qu’il tient effectivement (les seules prosopopées de Foi et Espérance) un jeu que le miniaturiste investit dans le souci de ne pas substituer son interprétation iconique à la lettre défaillante du texte. Le scénario d’une intervention finale de Charité paraît certes le plus plausible pour parachever l’entreprise de consolatio amorcée par Espérance et Foi, et le choix du miniaturiste qui anticipe sur ce schéma tripartite sanctionne ici ce qu’il reconnaît comme une intention du texte et de son auteur. Pour autant, parfaitement conséquent avec ce scrupule iconographique dont il fait à chaque instant preuve, il choisit dans une image partout ailleurs saturée de sens de laisser la damoiselle à son anonymat et à son indétermination. Nous y reviendrons.
Lexique et syntaxe du songe
- 20 Ou en d’autres termes, ce qu’Erwin Panofsky a appelé « le dispositif en “maison de poupée”, où l’e (...)
16L’espace élaboré par la miniature forme une « boîte narrative20 » subdivisée en trois travées délimitant autant de lieux et de moments de l’action : enveloppement de l’acteur dans le manteau de Mélancolie (volet de gauche), transport de l’acteur vers la chambre (panneau central), colloque des vertus et des vices autour de l’acteur alité (volet de droite). En vertu d’une convention picturale largement pratiquée au xve siècle (pensons entre autres aux « boîtes » des prédelles de Fra Angelico), le peintre évide le mur de façade pour donner à voir l’intérieur de l’édifice. Les différents lieux sont à la fois clairement distingués et articulés plastiquement les uns aux autres. La première scène, surélevée par une estrade, s’inscrit entre deux colonnettes cantonnées à base polygonale supportant un arc en anse-de-panier, dans un cadre ellipsoïdal au sommet et à la base. Le cadre de la scène contiguë en revanche est orthogonal, comparable au chambranle d’une porte (telle celle qu’Entendement ouvre dans le mur du fond) et couronné par un linteau à redans. La dernière scène prend place dans une pièce de format vaguement hexagonal (aucune exactitude perspective ici), surcadrée par deux clés de voûtes pendantes. Pour chacun de ces lieux une toiture particulière : un toit à double-pente, une coupole surmontée d’une tourelle, un toit à facettes de base hexagonale ou octogonale.
- 21 Espérance, p. 23.
17Distinction des lieux, donc, mais également zones de franchissements, de passages, de communication : les limites ne sont pas étanches, et la dynamique de l’image réside dans un déphasage entre la structure de surface de l’image (son cadre architectural tripartite, semblable au châssis d’un triptyque) et la structure interne de l’édifice, la déambulation qui le parcourt. La colonne qui masque en partie la première occurrence de Mélancolie surgie par le fond suggère la continuité spatiale entre les « volets » latéral gauche et central. Le plafond lambrissé, la ligne de hauteur des murs du fond, le pavement à damiers noirs et verts sont d’autres opérateurs plastiques d’échange et de continuité entre les différentes parties de l’image. L’orientation d’Entendement posté sur le seuil du « guichet de Mémoire » le rattache plastiquement aux deux scènes de gauche (l’irruption de Mélancolie) et non à celle qui se joue derrière lui sur la droite, au-delà de la colonne médiane qui le masque en partie, l’entrée des Vertus à laquelle il est pourtant narrativement lié21. Le guichet assume ici la fonction de coulisses, pourrait-on dire par anachronisme, par lesquelles tous les personnages allégoriques, aussi bien vices que vertus, entrent dans l’espace scénique, objectivation de la psyché.
18La colonne médiane coïncide avec l’entrecolonnement de la page manuscrite, un peu comme le trumeau d’un diptyque, mais l’analogie avec le diptyque ou le triptyque fonctionne mal : la distribution linéaire des figures de gauche à droite vectorise l’image dans le sens du récit et de la translation du couple acteur-Mélancolie depuis l’estrade à gauche jusqu’au lit à droite en passant par le vestibule central – même si la position ambivalente du portier Entendement en complique la lecture. Au lieu de s’organiser autour d’un panneau central comme dans un retable, l’image se déplie de la gauche vers la droite un peu à la manière d’un paravent, en ligne brisée, en renfoncements et en saillies, et la fugue chromatique du bleu, du rose, du vert et du blanc mène le regard d’une marge à l’autre, marge de petit fond vers marge de gouttière, jusqu’à l’hybride grotesque qui en forme le point de mire, sphinx blanc barbu encapuchonné de bleu sur un rinceau rose, à l’exact point de chute de la ligne chromatique basse (bleu ciel) formée par Entendement, l’acteur en chaire, de nouveau Entendement et Espérance.
- 22 « En ceste dolente et triste pensee, qui tousjours se presente a mon cueur et m’acompaigne au leve (...)
- 23 Visiblement gênés par l’indétermination des lieux, certains peintres escamotent la scène inaugural (...)
- 24 Je me permets sur ce point de renvoyer à mes études « “Regarder le temps” : temps et image dans le(...)
- 25 Ainsi dans l’iconographie du Livre du pelerin de vie humaine de Guillaume de Deguileville, éd. G. (...)
- 26 Voir par exemple le Pelerinage de vie humaine de Deguileville, BnF fr. 825, fol. 1r, image reprodu (...)
19Ce déploiement ou dépliement latéral des lieux, qui prend appui sur une transcription iconique minutieusement fidèle des données du texte, fait fond sur la syntaxe iconographique du songe allégorique dont la chaire et le lit sont, depuis le Roman de la Rose, les lieux topiques par excellence. Certes, l’état mental dans lequel se trouve l’acteur au début du Livre de l’Espérance tient plutôt de la dorveille mélancolique, la mélancolie neutralisant dans un trouble permanent de la perception la distinction entre jour et nuit, veille et sommeil22. Mais l’intensité de l’état psychique et l’hébétement des sens qui accablent l’acteur, ainsi que l’apparition de Mélancolie et des vices personnifiés, présupposent même s’il n’est pas clairement désigné comme tel le dispositif visionnaire du somnium, et donc une iconographie appropriée23. L’iconographie médiévale du songe est déterminée tout autant par un « lexique » que par une « syntaxe », entendons par là une relation de coordination ou de subordination d’énoncés visuels au sein du champ de la représentation24. Un lexique : le songeur couché le plus souvent dans un lit main à la maisselle, les yeux fermés, et sa variante mélancolique les yeux ouverts, l’acteur parfois assis dans une chaire. Une syntaxe : l’énoncé iconique est contigu à l’espace du songier et se subordonne à lui sur le mode de la subordination du discours à l’instance auctoriale qui l’énonce25. Des motifs comme le ciel du lit ou parfois un élément architectural, mur ou colonne, assument la fonction de subordonnant iconique du songe au songeur. Le lit est fréquemment lieu du songier, équivalent métaphorique de l’écriture, et il y a comme une redondance entre la chaire (ou le pupitre) et le lit26.
20La miniature liminaire du Quadrilogue invectif de ce même manuscrit (BnF fr. 126, fol. 191) reconduit ce lexique et cette syntaxe traditionnels de l’énonciation onirique-mélancolique : le peintre conjugue dans l’attitude de l’auteur main à la maisselle l’auctoritas du clerc assis en chaire et le songier mélancolique, et la colonne qui isole l’auteur au sein de l’édicule désigne visuellement la scène extérieure (France et les trois états) comme émanant de l’instance qui la songe. Cette syntaxe travaille également l’image frontispice du Livre de l’Espérance : même édicule distinguant l’auteur sur la gauche de l’image, même apparente latéralisation discursive. Mais apparente seulement : la relation entre le volet de gauche et les deux suivants n’est plus de projection ou de délégation discursive mais de continuité temporelle et narrative. Le lit n’est plus le lieu originel du songier et le synonyme iconique de la chaire de l’écrivain, mais le terme d’une séquence narrative qui conduit l’acteur sur la couche d’angoisse et de maladie. L’espace iconique entre la chaire et le lit s’est creusé et ouvert, l’unicum textuel que constitue la figure de l’auteur enveloppé du manteau de Mélancolie a enfoncé son coin dans la juxtaposition iconographique de la chaire et du lit telle qu’on la trouvait dans les manuscrits du Roman de la Rose ou du Pèlerinage de vie humaine.
- 27 J. Baschet, « Inventivité et sérialité des images médiévales », L’iconographie médiévale, Paris, G (...)
21Pour mesurer la nouveauté de cette image, il est nécessaire de la situer dans un réseau thématique élargi, ce « réseau de thèmes et de motifs » défini par Jérôme Baschet comme « hyperthème » : en l’occurrence la configuration iconique formée par un personnage alité (l’acteur, ici) entouré par d’autres personnages rassemblés à son chevet27. Le motif de l’enveloppement dans le manteau de Mélancolie, un hapax à la fois textuel et iconique, ne participe pas de l’hyperthème en question, mais il en met en perspective la lecture et en modalise la portée. Donnons simplement ici les grandes lignes de ce que pourrait être cette approche hyperthématique.
- 28 Saturne, p. 359, n. 26 et ill. 53 p. 367.
- 29 Tel L’Art de bien vivre et bien mourir de Guillaume Tardif publié par Antoine Vérard (1496) : deux (...)
- 30 Le pèlerin emporté dans la couche d’enfermeté reçoit tour à tour les menaces de Vieillesse et Mala (...)
- 31 Se reporter à l’analyse des miniatures liminaires des manuscrits de Boston (PL, fr. Med. 101) et P (...)
- 32 Voir par exemple BnF fr. 380, fol. 1r. L’espace du songer ouvre sur l’espace onirique : l’acteur q (...)
- 33 Le siège de l’âme est une constante de l’iconographie du cauchemar : que l’on songe à Goya ou Fuse (...)
22Klibansky et al. ont souligné la parenté formelle entre le volet droit de notre miniature et la représentation traditionnelle de l’accidia28. Ajoutons que cette configuration se retrouve dans les bois gravés des Arts de bien vivre et bien mourir de la fin du xve siècle29, qui font de la chambre le théâtre d’une véritable psychomachie dont l’âme du mourant est l’enjeu. Dans cette configuration, les Vertus tout aussi bien que les Vices se rendent au chevet de l’acteur, comme en témoigne la tradition iconographique des œuvres de Miséricorde dont relève le Livre du Pèlerin de vie humaine de Deguileville30. D’une manière comparable Christine de Pizan, dans les manuscrits du Livre des trois Vertus enluminés par le Maître de la Cité des Dames, est représentée couchée, recevant la visite et le réconfort de Justice, Raison et Droiture qui l’exhortent à se lever31. Les Vices viennent à l’acteur sur le mode de l’obsession intrusive (le lit assiégé), les Vertus sur celui de la visitation consolatoire. La scène hyperthématique telle qu’on la trouve chez Alain Chartier ou dans les Arts de bien vivre et bien mourir tire sa dramaturgie de la tension entre ces deux modèles contradictoires. Sur notre miniature, cette scène est mise en perspective par la représentation du transport de l’acteur vers la chambre et le lit, lui-même résultat d’une intrusion de Mélancolie dans l’espace dévolu au songeur ainsi que le montre le jeu éloquent sur le franchissement des seuils (guichet, colonne, estrade). Ceci explique la relative autonomie plastique et thématique du volet latéral droit et le « contre-rejet » d’Entendement le portier dans le panneau central, en amont de la césure de l’image marquée par la colonne médiane. Dans l’iconographie traditionnelle du Roman de la Rose, le songe se donnait comme extraversion, échappée vers un ailleurs « onirique » – le lit souvent flanqué sur la droite de l’image du verger, ou l’acteur se mettant en marche32. Certes, la présence occasionnelle de Danger au chevet de l’acteur conciliait dans une même scène la vertu séminale du songe (l’efflorescence du rosier) et l’obsession intrusive de l’insomnium (la menace de Danger)33. Mais cette tension acquiert une intensité redoublée chez Chartier (et dans l’iconographie qui le sert), le trajet effectué par l’acteur se donnant à voir à rebours comme une introversion du sujet, un repli au lieu d’une échappée. La scène de l’enveloppement mélancolique et de l’irruption de Mélancolie, à la fois produit et catalyseur de l’activité fantasmatique, modalise ainsi la configuration topique de l’acteur alité et lui confère un supplément de tension dramatique.
- 34 Chartier évoque Boèce composant son « livre de Consolation (et) finant ses jours en prison miserab (...)
- 35 Pour le thème de Boèce alité, voir par exemple l’édition d’Antoine Vérard, 1494 (BnF Vélins 488) o (...)
23Un dernier point sur ce sujet : l’indétermination topique de l’hyperthème s’actualise et se détermine dans le frontispice du Livre de l’Espérance en marqueur d’intertextualité : le texte de Chartier s’inscrit dans une filiation revendiquée par son auteur (comme par Christine de Pizan dans Le Chemin de long estude) au De Consolatione Philosophiae de Boèce34. Les vertus mettent en fuite les monstres comme jadis Philosophie les « petites putains de la poésie lyrique ». Il y a à l’évidence entre les scènes liminaires des deux textes une homologie structurelle accusée par l’iconographie, tout aussi bien dans les manuscrits que dans les premiers imprimés35 : l’image active une intertextualité dynamique, productrice de sens.
24La topique du songe allégorique se réinvente ainsi sous l’influence de Chartier qui emprunte à la double tradition du Roman de la Rose (transport du songeur) et de la Consolation de Boèce (obsession au sens étymologique du terme de l’auteur alité en proie aux Muses). Le cadre syntaxique de l’iconographie du songe reconduit en apparence par le Maître de Talbot accuse en réalité l’unicum textuel dont les auteurs de Saturne et la mélancolie soulignaient toute la puissance suggestive. Manifestement avec Alain Chartier il est arrivé quelque chose au somnium, et cet ébranlement dans la topique a produit son contrecoup dans l’iconographie.
Èthos/pathos
- 36 Aristote, Rhétorique, livre I, ch. ii : « Les preuves inhérentes au discours sont de trois sortes (...)
- 37 Quintilien, Institution Oratoire, VI, 2. P. Galand-Hallyn cite et commente le passage dans « Le st (...)
- 38 J.-Cl. Mühlethaler, « Tristesses de l’engagement : l’affectivité dans le discours politique sous l (...)
- 39 Galand-Hallyn, « Le statut du sujet », p. 40.
25Le peintre, nous l’avons vu, procède à une notation méticuleuse des attributs des personnifications, mais rien dans la physionomie et la gestuelle des personnages ne vient apparemment soutenir ce que la rhétorique aristotélicienne comprend sous le nom de pathos, à savoir les passions (adfectus, dans les termes de Cicéron et Quintilien) que l’orateur vise à susciter chez son auditoire en fonction de ses prédispositions affectives. Le couple pathos/èthos, qui recoupait chez Aristote la polarité orateur/auditoire36, se distribue chez Quintilien selon une différence de degré et de nature : émotions vives, état excessif et momentané du côté du pathos ; émotions calmes et mesurées, état continu du côté de l’èthos37. L’èthos, c’est-à-dire le caractère de l’orateur tel qu’il se manifeste à travers le discours, s’il est empreint d’affectivité autour des années 1400 comme l’a souligné Jean-Claude Mühlethaler38, a vocation à contenir les débordements du pathétique : le mouvement discursif du Quadrilogue invectif est ainsi celui d’une canalisation progressive du pathos, condition d’une transitivité de l’affect en action. Pour Cicéron, rappelle Perrine Galand-Hallyn, « l’orateur n’est jamais si émouvant que lorsqu’il réussit à tempérer la force oratoire du pathos au moyen d’un èthos fait de dignité, de vertu civique et d’humanité (celui du bonus vir) qui lui confère toute garantie morale » (De oratore, II, 212)39.
- 40 Voir A. Strubel, “Grant senefiance a”. Allégorie et littérature au Moyen Âge, Paris, Champion, 200 (...)
- 41 Brigitte d’Hainaut-Zveny rappelle ce que l’efficace des images dans les pratiques méditatives de l (...)
- 42 J. Lecointe, L’idéal et la différence. La perception de la personnalité littéraire à la Renaissanc (...)
- 43 Voir Le Livre du pèlerin de vie humaine, cahier iconographique.
26Ces catégories sont-elles transposables dans l’image ? Le peintre opte-t-il pour une rhétorique de l’èthos qui contienne tout épanchement pathétique, ou pour une sémiotique allégorique distincte des catégories de la rhétorique ? La question, complexe, se pose d’une manière aiguë autour des années 1400 : l’allégorie, on le sait, a à voir non seulement avec l’équation sémiotique d’un signifiant et d’un signifié40 mais également avec une rhétorique de la memoria (l’imago agens) et, ce qui a été moins souligné, de l’actio, condition de son impact émotionnel et didactique sur le lecteur, actio et memoria étant d’ailleurs liées (le geste de l’image est la condition de sa mémorisation)41. Giotto dans l’Arena de Padoue montre en l’espèce des Vices et des Vertus des images frappantes, imagines agentes. Jean Lecointe42 définit le sujet de la rhétorique médiévale tardive du récit de soi, depuis Pétrarque et Christine de Pizan, comme la conjonction narrative d’un sujet pathétique jadis affecté par les passions et d’un sujet éthique revenu à la mesure et à la tempérance : « l’opposition d’un moi sujet éthique, l’écrivain écrivant, revenu de ses erreurs de jeunesse en un regard rétrospectif […] et un moi objet pathétique […] l’écrivain victime de sa passion coupable ». Ce pathos bien tempéré, selon le vœu cicéronien, informe une certaine iconographie des Vices, prédominante notamment dans les manuscrits du xive siècle de l’œuvre de Deguileville, où le pathos de l’imago agens (Vénus sur son pourceau ou Avarice aux cent bras) se conjugue à l’èthos impavide du pèlerin43.
- 44 G. Didi-Huberman, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, P (...)
- 45 Est enim actio quasi sermo corporis (De oratore, III, 222, éd. H. Bornecque, Paris, Les Belles Let (...)
- 46 Sinon par un portrait conventionnel de l’auteur. Voir Album Christine de Pizan, p. 589-608.
- 47 Federica Veratelli donne un bref aperçu du rôle de la physionomie et de la gestualité dans l’expre (...)
- 48 Dans la perspective d’une archéologie des formes et d’une survivance des sources. Voir A. Warburg, (...)
- 49 Voir F. Rouy, Espérance, p. xxviii-xxxi. Image numérisée, comme la suivante, disponible dans la ba (...)
- 50 Guillaume de Deguileville, Livre du pèlerin, cahier iconographique.
27Mais il ne s’agit pas tant de produire autour de 1400 des images agissantes que des images agies, non pas tant des images affectantes que des figures affectées – ou pour mieux dire affectantes en ce qu’elles sont elles-mêmes affectées, des « images-pathos44 ». Cela ne vaut pas uniquement pour le rapport empathique que la devotio moderna entretient avec les images sacrées. La rhétorique de l’actio, « ce langage du corps » selon Cicéron45, pose manifestement question à l’iconographie à la fin du xive siècle : L’Advision Christine, l’un des plus grands textes pathétiques de cette époque, n’est pas illustré46, alors que l’Epistre Othea ou La Cité des Dames le sont abondamment. La physionomie, de simple attribut permanent du vice, son masque grotesque, tend à devenir expression d’un état affectif passager et à participer au xve siècle de l’actio iconographique en même temps que l’on passe d’une grammaire à une rhétorique des gestes47. Vêtements, cheveux, gestes, deviennent le lieu de ce qu’Aby Warburg, comme le rappelle Georges Didi-Huberman, appelait le pathos formel (qui vient gonfler par exemple la robe d’une servante peinte par Ghirlandaio48). Le visage de l’acteur mélancolique alité, sur la miniature d’un des manuscrits du Livre de l’Espérance (BnF fr. 24441, fol. 44r49) n’a ainsi plus rien de la neutralité du pèlerin de vie humaine que nous soulignions plus haut50. L’invention inouïe de Chartier pousse parfois l’iconographe à puiser ses ressources dans un répertoire topique existant, telle cette scène du Livre de l’Espérance (BnF fr. 2265, fol. 2r) où Mélancolie reproduit et parodie le manteau de Miséricorde dont la Vierge protège les fidèles, figure de la communauté de l’Église : l’image suscite alors le souvenir du modèle qu’elle subvertit dans une tension productrice d’émotion, de pathos.
28Force en revanche est de constater que le Maître de Talbot contient cette rhétorique de l’actio dans une grammaire iconique de l’attribut, où tout geste est un énoncé. Désespérance, figure pathétique par excellence, a sur notre miniature le désespoir élégant : sa robe au lieu d’être déchirée est soigneusement fendue en deux pans parfaitement symétriques, et la corde pour se pendre s’enroule autour du cou en collier. Il en va ainsi d’Indignation et de Défiance, de Mélancolie et d’Entendement : ils ne se départissent pas d’une certaine « étiquette » iconographique, toute de mesure et de raison, que Klibansky et al. jugeaient en-deçà de la puissance pathétique du texte de Chartier.
- 51 « Les deux avant-bras ramenés parallèlement sur le ventre traduisent un état de fait : le personna (...)
- 52 Voire de Défiance, bras ploiez, p. 5.
- 53 Le langage de l’image au Moyen Âge, t. I, Signification et symbolique, Paris, Léopard d’Or, 1982, (...)
29Quelle place accorder en fin de compte à la demoiselle aux bras croisés dans ce tableau ? François Garnier, dans le second volume du Langage de l’image au Moyen Âge, associe les bras repliés sur la poitrine à la passivité de l’homme bouleversé, dépassé par les circonstances et la Fortune51. Un repli intensif sur soi formellement composé qui rappelle le geste de la main à la maisselle du mélancolique ou du damné52. Mais l’intentionnalité expressive de ce que décrit Garnier est bien éloignée du retrait de notre figurante : « les personnages figurés bras croisés, les mains sous les aisselles, écrit d’ailleurs Garnier dans le premier volume, ne manifestent aucune disposition pouvant donner lieu à interprétation53 ». Cet embarras est signifiant. Faut-il l’interpréter en termes sémiotiques ou rhétoriques ? Lecture sémiotique : là où tout geste est un attribut, un déterminant de la figure, le peintre choisit précisément pour cette figurante anonyme d’en désigner l’indétermination : autrement dit d’en faire une figure sans attributs, sans gestes ni objets, muette, bras croisés. Lecture rhétorique : ne pourrait-on voir dans cette demoiselle « debonnaire et bien encontenancee » comme une allégorie du decorum, autrement dit du pathos neutralisé ?
- 54 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXXV, La Peinture, éd. et trad. J.-M. Croisille, Paris, Les Be (...)
30Mais l’image n’en serait pas moins émouvante, dans son souci scrupuleux à transposer la lettre du texte : « et de ses mains me tenoit la teste et les yeulx embrunchés et estouppés, si que n’avoye laisir de voyr ne de ouir » (p. 3). Le texte vient par en-dessous insuffler à l’image sa puissance rhétorique et l’animer. Et le peintre réinvente, peut-être à son insu, le geste du peintre Thimanthe, auteur d’un fameux Sacrifice d’Iphigénie perdu mais qui ne cessera de hanter l’imaginaire occidental de la peinture, si l’on en croit Pline dans le livre XXXV de son Histoire naturelle : « On a de lui une Iphigénie qu’il peignit debout, attendant la mort, près de l’autel ; puis après avoir représenté toute l’assistance affligée et épuisé tous les modes d’expression de la douleur, il voila le visage du père lui-même, dont il était incapable (impuissant) de rendre convenablement les traits54 ». Montaigne, Winckelmann, Lessing entre autres s’en souviendront. En attendant, le peintre gothique préfère conjurer la puissance pathétique de ce visage voilé par la présence du grotesque qui, depuis la vigneture de la marge, lui tend en miroir sa trogne barbue et encapuchonnée.
Notes
1 Du nom du baron Sir John Talbot (ca 1388-1453), redoutable chef de guerre anglais, commanditaire de plusieurs ouvrages du maître rouennais. Le manuscrit BnF fr. 126, composite, contient, dans l’ordre, une partie du Livre du régime des Princes de Gilles de Rome traduit par Jean Golein (fol. 7-120), le De senectute et le De amicitia de Cicéron dans leur traduction par Laurent de Premierfait, puis le Quadrilogue invectif, le Dialogus familiaris amici et sodalis super deploratione gallice calamitatis, et enfin le Livre de l’Espérance d’Alain Chartier. Voir l’introduction de François Rouy à son édition du Livre de l’Espérance (Paris, Champion, 1989, p. xvi-xvii), et l’introduction au Quadrilogue invectif de Chartier par Florence Bouchet, Paris, Champion, 2011, p. xxxi.
2 Espérance, éd. Rouy, p. 3.
3 Saturne et la mélancolie, trad. F. Durand-Bogaert et L. Evrard, Paris, Gallimard, 1989 [1964], p. 366.
4 Saturne et la mélancolie, p. 359 : « Alain Chartier exposait son expérience de la mélancolie avec une intensité dramatique qui surpassait grandement les possibilités des miniaturistes et des xylographes de son époque ou de l’époque suivante. » La description clinique de l’état mélancolique se hausse chez Chartier à « une sublimité dantesque » (p. 361).
5 Alain Chartier, Quadrilogue, p. 12 : « trop longuement ne vueil sur descripcion demourer ». La description en l’occurrence est celle de la Dame Couronnée (France) et de son mantel.
6 « Ce que les Grecs appellent phantasia (nous pourrions aussi bien l’appeler visio), la faculté de nous représenter les images des choses absentes au point que nous ayons l’impression de les voir de nos propres yeux et de les tenir devant nous […] de là procèdera l’enargeia, que Cicéron appelle inlustratio ou evidentia, qui semble non pas tant raconter que montrer, et nos sentiments ne suivront pas moins que si nous assistions aux événements euxmêmes » (Quintilien, Institution Oratoire, VI, 2, 29. Voir Rhétorique à Hérennius, IV, 68, éd. et trad. G. Achard, Paris, Les Belles Lettres, 2003). Voir P. Galand-Hallyn « L’enargeia, de l’antiquité à la Renaissance », Les yeux de l’éloquence. Poétiques humanistes de l’évidence, Orléans, Paradigme, 1995, p. 99-121.
7 La successivité dans le temps se donne à voir comme une coprésence dans l’espace, une juxtaposition orientée et vectorisée par le récit.
8 Avoir « les pans (d’un vêtement) noués », ou « mettre ses pans à la courroie » : nouer la partie tombante du vêtement ou les passer à la ceinture pour être plus libre de ses mouvements (voir l’entrée « Pan » du DMF consultable sur le site de l’ATILF).
9 « Par telles parolles me admonnoistoit en gros et en trouble, moy estant encores pesant de trop dormir et desgousté par l’amertume des poisons de Melencolie », p. 23.
10 Coupe du chancelier Rolin sur le célèbre tableau de Van Eyck.
11 « Sa face estoit vermeille et enflambee, ses yeux etincelans et tresperçans de regart. Le cueur et le corps lui etoient tant enflez de despit et de felonnie que elle fust crevee, se elle ne se desgorgast par tençons et reprouches, ainsi comme ung moust qui boust en tonnel, et par faulte de vent ront la barre et le bondel. » (p. 6). Ce dernier trait rappelle l’allégorie topique de l’Orgueil, par exemple dans le Livre du pelerin de vie humaine de Guillaume de Deguileville. Le maître de Talbot s’inscrit dans une poétique de la mesure qui contient tout excès grotesque, nous y reviendrons.
12 Le verbe « froncer » en moyen français s’applique à la fois au visage que l’on « plisse, que l’on ride en le contractant », et à l’étoffe que l’on resserre en la plissant, par de petites ondulations du tissu obtenues par le resserrement d’un fil coulissant (notice « froncer » du DMF, consultable sur le site de l’ATILF). Il n’est pas à exclure que dans la description comme dans la dépiction, ces fronces ne renvoient par contiguïté au renfrognement de la défiance.
13 « ses yeulx presque mortiffiez et enfoncez en sa teste », p. 6.
14 Alors qu’il figure dans d’autres manuscrits, par exemple le manuscrit BnF fr. 24441, fol. 44r (Foi est habillée de vert en tête de cortège).
15 Qui confugimus ad tenendam propositam spem, quam sicut anchoram habemus animae (« à nous qui avons tout laissé pour saisir l’espérance proposée, elle est comme une ancre de l’âme »), He 6, 18-19.
16 Certains manuscrits et éditions imprimées montrent les trois monstres réfugiés derrière la courtine, comme une présence persistante et menaçante pour l’acteur alité (BnF fr. 2265, fol. 64r ; BnF fr. 24441, fol. 44r). Le texte évoque également la face riant et agreable d’Espérance (p. 89).
17 Espérance, p. xvii.
18 Saturne, p. 359, n. 26. Les auteurs substituent curieusement Nature à Charité au sein de la triade attendue des vertus théologales.
19 D’autres peintres s’arrangent ainsi pour placer la troisième dame en queue de cortège, derrière Foi et Espérance, et laisser ainsi le personnage à un anonymat passager que le texte devait sans aucun doute par la suite lever (ainsi dans le manuscrit BnF fr. 24441, fol. 44r).
20 Ou en d’autres termes, ce qu’Erwin Panofsky a appelé « le dispositif en “maison de poupée”, où l’espace, conçu en tant que volume défini et limité de tous côtés, était renfermé comme en vase clos » (Les Primitifs Flamands, Paris, Hazan, Collection 35/37, 1992 [1971], p. 79).
21 Espérance, p. 23.
22 « En ceste dolente et triste pensee, qui tousjours se presente a mon cueur et m’acompaigne au lever et au couchier, dont lez nuys me sont longues, et ma vie ennuieuse, ay ja par long temps travaillié et foulé mon petit entendement », Espérance, p. 3.
23 Visiblement gênés par l’indétermination des lieux, certains peintres escamotent la scène inaugurale du songier mélancolique et situent la miniature liminaire in medias res dans la chambre d’Enfermeté (BnF fr. 24441, fol. 34r). D’autres reconduisent la topique du lit et de la chambre d’auteur dans laquelle pénètre Mélancolie (BnF fr. 2265, fol. 2r : ce lit et la couche d’angoisse ne font qu’un d’après les motifs du ciel et des couvertures (voir fol. 64r), alors que l’orientation du couple acteur / Mélancolie sur la première scène (fol. 2r) laisse au contraire supposer que le lit d’auteur est bien le lieu d’où Mélancolie l’emporte, et non celui où elle le conduit.
24 Je me permets sur ce point de renvoyer à mes études « “Regarder le temps” : temps et image dans le Livre du Cœur d’Amour épris », René d’Anjou écrivain et mécène (1409-1480), éd. Fl. Bouchet, Turnhout, Brepols, 2011, p. 119-134, et « Salmon le fou, Salmon le sage. Portrait de l’auteur en conseiller du prince », Romania, 132, 2014, p. 377-411, ici p. 396-411. Pour les fondements d’une approche syntaxique de l’image, voir S. Ringbom, « Some Pictorial Conventions of Thoughts and Experiences in Late Medieval Art », Medieval Iconography and Narrative : A Symposium, éd. F.-G. Andersen, E. Nylhom et al., Odense, 1980, p. 38-69.
25 Ainsi dans l’iconographie du Livre du pelerin de vie humaine de Guillaume de Deguileville, éd. G. R. Edwards et Ph. Maupeu, Paris, Le Livre de poche, 2015 (cahier iconographique, p. i).
26 Voir par exemple le Pelerinage de vie humaine de Deguileville, BnF fr. 825, fol. 1r, image reproduite dans l’ouvrage d’U. Peeters, Das Ich im Bild. Die Figur des Autors in volkssprachigen Bilderhandschriften des 13. bis. 16. Jahrhunderts, Köln, Bölau, 2008, fig. 81.
27 J. Baschet, « Inventivité et sérialité des images médiévales », L’iconographie médiévale, Paris, Gallimard, 2008, p. 251-280, ici p. 274 et suiv. Motif, thème et hyperthème se distinguent par leur degré d’intégration ou d’autonomie structurelle au sein d’un ensemble : « dans l’analyse d’un motif, la difficulté tient aux conditions d’extraction d’un élément appartenant à des unités structurales distinctes, tandis que l’étude d’un hyperthème vise à saisir des relations entre des unités structurales cohérentes » (n. 45, p. 428). Cette approche est particulièrement féconde pour rendre compte par exemple de configurations iconiques communes et transversales aux champs de ce que nous distinguons comme une iconographie profane et une iconographie sacrée.
28 Saturne, p. 359, n. 26 et ill. 53 p. 367.
29 Tel L’Art de bien vivre et bien mourir de Guillaume Tardif publié par Antoine Vérard (1496) : deux bois formant diptyque montrent successivement le mourant assiégé par ses péchés puis consolé par l’ange Michel et les saints réunis à son chevet qui l’invitent au repentir.
30 Le pèlerin emporté dans la couche d’enfermeté reçoit tour à tour les menaces de Vieillesse et Maladie, et la visite de Charité et Miséricorde, avant que la Mort ne l’assaille sur son grabat. Ainsi entre autres dans le manuscrit BnF fr. 377, fol. 108r-v.
31 Se reporter à l’analyse des miniatures liminaires des manuscrits de Boston (PL, fr. Med. 101) et Paris (BnF n.a.fr. 25636) dans G. Ouy, Ch. Reno et I. Villela-Petit, Album Christine de Pizan, Turnhout, Brepols, 2012, p. 612-623.
32 Voir par exemple BnF fr. 380, fol. 1r. L’espace du songer ouvre sur l’espace onirique : l’acteur quitte le lit et gagne le lieu de la reverdie (BnF fr. 24392 ou Arsenal 3339 entre autres, et tous les frontispices quadripartites du xive siècle).
33 Le siège de l’âme est une constante de l’iconographie du cauchemar : que l’on songe à Goya ou Fuseli. J.-B. Pontalis rapporte à peu près dans Fenêtres ce mot d’un enfant : le rêve c’est quand c’est dans la tête, le cauchemar c’est quand c’est dans la chambre. On ne saurait mieux dire.
34 Chartier évoque Boèce composant son « livre de Consolation (et) finant ses jours en prison miserable », Espérance, p. 9-10. Dans bon nombre de manuscrits (mais pas dans le BnF fr. 126), le Livre de l’Espérance est également titré Consolation des trois vertus (manuscrits Co, Ro, Z, Io, Coo, D, Po, F, G, S, O, Vo), voire Consolation de la Foi et de la Charité (manuscrit R). L’Espérance est précédée de la Consolation de Philosophie dans le manuscrit N. Comme l’écrit Jean-Claude Mühlethaler, les vices tentent dans le Livre de l’Espérance de réussir « là où avaient échoué les Muses au chevet de Boèce » : cf. « “Le rooil de oubliance”. Écriture de l’oubli et écriture de la mémoire dans le Livre de l’Espérance d’Alain Chartier », Figures de l’oubli ( ive-xvie siècle), éd. P. Romagnoli et B. Wahlen, Études de lettres, 1-2, 2007, p. 203-222, ici p. 212.
35 Pour le thème de Boèce alité, voir par exemple l’édition d’Antoine Vérard, 1494 (BnF Vélins 488) ou le manuscrit lat. 5747. Boèce est parfois représenté en chaire dans la position du mélancolique (BnF fr. 1100). Dans un incunable (s.d.) d’une édition de Boèce (BnF Rés. 385), le bois sur la page de titre montre dans la panse d’une lettrine deux personnages tapis derrière les rideaux de la courtine de l’acteur visité par une dame en habit de religion – il pourrait tout aussi bien s’agir des monstres et d’Espérance que des Muses et de Philosophie.
36 Aristote, Rhétorique, livre I, ch. ii : « Les preuves inhérentes au discours sont de trois sortes : les unes résident dans le caractère moral de l’acteur (èthos), d’autres dans la disposition de l’auditoire (pathos), d’autres enfin dans le discours lui-même, lorsqu’il est démonstratif ou qu’il paraît l’être (logos) » (trad. Ch. E. Ruelle revue par P. Vanhemelryck, Paris, Livre de Poche, 1991, p. 83).
37 Quintilien, Institution Oratoire, VI, 2. P. Galand-Hallyn cite et commente le passage dans « Le statut du sujet dans les théories de la représentation antiques et humanistes », Ethos et pathos. Le statut du sujet rhétorique. Actes du colloque international de Saint-Denis, éd. Fr. Cornilliat et R. Lockwood, Paris, Champion, 2000, p. 37-52.
38 J.-Cl. Mühlethaler, « Tristesses de l’engagement : l’affectivité dans le discours politique sous le règne de Charles VI », Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, 24, 2012, p. 21-36, ici p. 22 particulièrement.
39 Galand-Hallyn, « Le statut du sujet », p. 40.
40 Voir A. Strubel, “Grant senefiance a”. Allégorie et littérature au Moyen Âge, Paris, Champion, 2002, et F. Pomel, Les voies de l’au-delà et l’essor de l’allégorie au Moyen Âge, Paris, Champion, 2001.
41 Brigitte d’Hainaut-Zveny rappelle ce que l’efficace des images dans les pratiques méditatives de la devotio moderna doit aux techniques de la mémoire antique et médiévale, et renvoie aux travaux fondateurs de Frances Yates, Liza Bolzoni, Paolo Rossi et Mary Carruthers. Cf. « L’ivresse sobre. Pratiques de “rejeu” empathiques des images religieuses médiévales », Le sujet des émotions au Moyen Âge, éd. P. Nagy et D. Boquet, Paris, Beauchesne, p. 393-413.
42 J. Lecointe, L’idéal et la différence. La perception de la personnalité littéraire à la Renaissance, Genève, Droz, 1993, p. 392.
43 Voir Le Livre du pèlerin de vie humaine, cahier iconographique.
44 G. Didi-Huberman, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Minuit, 2002, partie II : « Image-pathos. Lignes de fractures et formules d’intensité ». Le Massacre des Innocents peint par Giotto ca 1300 pour la chapelle Scrovegni de Padoue est un jalon important dans l’élaboration par la peinture de cette rhétorique pathétique.
45 Est enim actio quasi sermo corporis (De oratore, III, 222, éd. H. Bornecque, Paris, Les Belles Lettres, 1930, p. 94) ; Est enim actio quasi corporis quaedam eloquentia (Orator, 55, éd. A. Yon, Paris, Les Belles Lettres, 1964, p. 20).
46 Sinon par un portrait conventionnel de l’auteur. Voir Album Christine de Pizan, p. 589-608.
47 Federica Veratelli donne un bref aperçu du rôle de la physionomie et de la gestualité dans l’expression de la douleur à la fin du Moyen Âge (« Les émotions en images à la fin du Moyen Âge. Le langage visuel de la douleur entre dévotion, représentation et réception », Le sujet des émotions au Moyen Âge, p. 379-391).
48 Dans la perspective d’une archéologie des formes et d’une survivance des sources. Voir A. Warburg, « L’entrée du style idéal antiquisant », Essais florentins, Paris, Klincksieck, « L’esprit et les formes », 1990, p. 236, et les analyses de G. Didi-Huberman, L’image survivante, partie II « L’image-pathos », et Ninfa fluida. Essai sur le drapé-désir, Paris, Gallimard, 2015, p. 27-61.
49 Voir F. Rouy, Espérance, p. xxviii-xxxi. Image numérisée, comme la suivante, disponible dans la banque d’images en ligne « Mandragore » de la BnF.
50 Guillaume de Deguileville, Livre du pèlerin, cahier iconographique.
51 « Les deux avant-bras ramenés parallèlement sur le ventre traduisent un état de fait : le personnage est dans une situation de détresse, il est ou se pense incapable de faire face aux problèmes qui se posent à lui. Passif, il subit l’infortune » (Le langage de l’image au Moyen Âge, t. II, Grammaire des gestes, Paris, Léopard d’Or, 1989 (IV, II : « Bras repliés parallèles sur la poitrine », p. 152).
52 Voire de Défiance, bras ploiez, p. 5.
53 Le langage de l’image au Moyen Âge, t. I, Signification et symbolique, Paris, Léopard d’Or, 1982, p. 216. Garnier ne se contredit pas en réalité : les deux attitudes ne sont pas strictement semblables (bras parallèles vs mains sous les aisselles).
54 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXXV, La Peinture, éd. et trad. J.-M. Croisille, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 67.
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Titre | Fig. 1 – Alain Chartier, Le Livre de l’Espérance |
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Légende | BnF fr. 126, fol. 218r |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/docannexe/image/14747/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 796k |
Pour citer cet article
Référence papier
Philippe Maupeu, « Une image bien encontenancée », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 33 | 2017, 189-209.
Référence électronique
Philippe Maupeu, « Une image bien encontenancée », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 33 | 2017, mis en ligne le 16 août 2020, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14747 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14747
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