Le Livre de l’Espérance et le mouvement du débat
Résumés
Cet article étudie la critique des « debaz » dans le Livre de l’Espérance, pour montrer qu’Alain Chartier ne récuse pas ainsi, au profit d’une parole d’autorité, le principe de la discussion contradictoire qui donne sa forme à nombre de ses poèmes : au contraire, cette œuvre fait entendre en sourdine la contestation contre l’ordre du monde, pour faire du mouvement du debat, inhérent à la conscience humaine, une expérience salutaire des limites de l’esprit.
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- 1 La distinction initialement proposée par E. J. Hoffman, Alain Chartier : His Work and Reputation, (...)
- 2 Voir E. Cayley, Debate and Dialogue : Alain Chartier in his Cultural Context, Oxford, Clarendon Pr (...)
- 3 Voir l’introduction de F. Bouchet à sa traduction du Quadrilogue invectif d’Alain Chartier (Paris, (...)
1L’étude de l’œuvre d’Alain Chartier a longtemps pâti d’une approche opposant de manière trop tranchée ses œuvres « courtoises » à ses œuvres « sérieuses1 », c’est-à-dire liées aux préoccupations politiques et éthiques du temps ainsi qu’à la tradition savante en latin. Cette distinction a joué plutôt en la défaveur de l’œuvre poétique, soupçonnée de frivolité ou qualifiée de conventionnelle. La réhabilitation des poèmes de Chartier, menée en particulier par Emma Cayley, s’est donc fondée avec raison sur la comparaison avec les œuvres en prose, latine ou française, pour montrer que les écrits courtois de Chartier ont plus de fond qu’il n’y paraît2. Mais les convergences formelles sont moins souvent mises en valeur, alors même que, comme Florence Bouchet l’a rappelé, les traités politiques de Chartier se fondent sur le sentement, source même de l’inspiration poétique, et font écho comme ses poèmes à la forme du débat contradictoire3. Pourquoi alors ne pas tenter la démarche complémentaire, si ce n’est inverse, et revenir sur l’œuvre « sérieuse » en l’éclairant par les compositions amoureuses de notre auteur ? Les écrits en prose ne sont-ils pas habités également par une forme de poésie, qui va bien au-delà de la virtuosité rhétorique ? Car en un sens le mouvement du débat, si essentiel dans l’écriture de Chartier, rattache aussi le traité à son inspiration lyrique.
- 4 De fait défendre les œuvres en vers en leur reconnaissant avant tout un poids idéologique ne fait (...)
- 5 Voir en particulier J.-Cl. Mühlethaler, « Disputer de mariage. Débat et subjectivité, des jeux-par (...)
- 6 Pour l’histoire du genre, nous nous permettons de renvoyer à notre thèse : L. Tabard, Bien assaill (...)
- 7 Cayley, Debate and Dialogue, p. 114-115 et p. 128-129.
2Ce qui fait obstacle à cette approche, c’est peut-être la condamnation qui plane encore sur l’œuvre « courtoise » de Chartier4, en raison même du caractère conventionnel que l’on veut voir dans la forme du débat. Ces dialogues opposent des personnages, sous l’œil d’un narrateur-auteur attentif qui écrit finalement une relation de la scène et sollicite le jugement ou la réflexion du public ; ils s’inscrivent dans une longue tradition de jeux courtois bien connus5, du jeu-parti et des « demandes d’amour » aux jugements de Guillaume de Machaut en passant par nombre de dits dialogués, jusqu’aux débats de Christine de Pizan qui semblent avoir directement inspiré Alain Chartier, pour le Débat de deux fortunés d’amours en particulier6. En introduisant la référence à l’histoire contemporaine, dans le Livre des quatre dames par exemple, ou dans le Débat du Hérault, du Vassault et du Villain, Alain Chartier aurait subverti ce qui apparaît comme un vieux moule rhétorique courtois. À propos de La Belle Dame sans mercy, Emma Cayley oppose le discours tyrannique qu’incarne l’amant et la liberté de langage offerte par la rhétorique humaniste. C’est dans cette perspective qu’est interprétée l’absence de clôture de l’œuvre, qui s’ouvre à la réflexion politique et éthique, et ne demeure pas close sur elle-même et sur son propre discours7. La fin ouverte du débat devrait donc nous orienter vers l’intertexte des œuvres morales, et dénoncerait le dialogue contradictoire incarnant littérairement les divisions du royaume contre lesquelles l’auteur appelle à lutter, si bien que l’on a tendance à considérer que la forme du débat joue en quelque sorte comme une antiphrase : elle est destinée à exemplifier la vacuité d’une discussion qui ne mène nulle part et qui se dénonce elle-même comme argutie.
- 8 Alain Chartier, Le Livre de l’Espérance, éd. F. Rouy, Paris, Champion, 1989, poème IX, v. 13-14, p (...)
- 9 R. Meyenberg, Alain Chartier prosateur et l’art de la parole au xve siècle, Berne, Francke, 1992, (...)
- 10 F. Rouy, L’esthétique du traité moral d’après les œuvres d’Alain Chartier, Genève, Droz, 1980, p. (...)
- 11 Meyenberg, Alain Chartier prosateur, p. 168 ; Rouy, L’esthétique du traité moral, p. 185-233. F. R (...)
3Dans cette perspective, alors que le Quadrilogue invectif reste ouvert, Le Livre de l’Espérance représenterait une « sentence vive / Final et diffinitive8 » incarnée par le discours religieux. La bipartition de la composition, entre la partie dominée par les figures des Vices (Défiance, Indignation, Désespérance) et celle qui est consacrée aux Vertus (Foi et Espérance), est souvent lue comme l’opposition entre deux régimes de parole, et selon une progression qui signe la victoire de la vérité révélée sur les arguties des passions mauvaises. L’analyse du dialogue tend à montrer, pour Regula Meyenberg, une opposition entre la dialectique vide des monstres et la rhétorique inspirée de Foi et des Vertus9, ce qui fait écho aux remarques de François Rouy pour qui le « contraste significatif dans l’usage dramaturgique de la parole » permet d’opposer la rhétorique réglée et le moule rigide des plaidoiries des Vices aux discours vivants des Vertus, qui visent une vraie communication et déploient deux « conversations pédagogiques10 ». Le Livre de l’Espérance se présenterait ainsi avant tout comme un traité, où prédominerait finalement la forme didactique du dialogue, sur le modèle de la catéchèse et de l’exposé doctrinal11 : parole de vérité, donc, contre la vaine agitation des débats – et prose contre vers.
- 12 Cette dimension a d’autant plus d’importance que Chartier fait figure de précurseur et de modèle p (...)
- 13 Poirion, Le poète et le prince, p. 405 ; Rouy, L’esthétique du traité moral, p. 337-349 ; Meyenber (...)
- 14 Minet-Mahy, Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique, p. 498 : « La seconde rhétorique a conqu (...)
- 15 Sur ce point, voir Huot, « Re-fashioning Boethius », notamment p. 274 et 279, ainsi que les réflex (...)
4Or cette approche néglige les effets d’écho avec les œuvres poétiques, et minore l’un des principaux points de rapprochement entre Le Livre de l’Espérance et la poésie de Chartier, c’est-à-dire le fait qu’Alain Chartier adopte la forme du prosimètre12. Cette persistance du vers, au cœur du discours didactique, a suscité déjà bien des analyses et des interrogations13, mais les critiques ont considéré en général que les poèmes, tendus vers le lyrisme dévotionnel, ont vocation à exprimer, par leur singulière musicalité, leur portée universelle et leur hauteur spirituelle, une harmonie supérieure qui s’oppose à la dispersion des voix dans le dialogue : ils dessinent la figure d’un sujet réconcilié avec lui-même et avec le monde, grâce à l’espérance et à la foi, dans l’illumination immédiate de la révélation, alors que la prose tâche de parvenir à cet état par le raisonnement, dans un cheminement plus sinueux et plus laborieux, à travers arguments et exemples ; il y a là, pour Virginie Minet-Mahy, une manière d’humilier la raison humaine14. Vérité du vers, donc, contre les arguties de la prose… Le Livre de l’Espérance en ce sens tend en effet à valoriser le pouvoir de la poésie15 et suggère que l’œuvre poétique constitue un modèle positif d’écriture.
- 16 Voir Minet Mahy, Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique, note 2, p. 404, pour la définition (...)
5Peut-on aller plus loin et considérer que le principe du débat lui donne son mouvement, et ne joue pas justement comme un repoussoir ? L’œuvre en effet ne se résorbe pas en une unique parole de vérité : entre la prose et les vers, le prosimètre met en œuvre une écriture de la tension16, et le dialogue, même faiblement, maintient des oppositions et figure formellement la division de la conscience. Le Livre de l’Espérance se rapproche en cela des débats poétiques, dont il semble retenir la logique sous-jacente. Le debat en effet ne se résume pas à un processus dialectique d’argumentation et suppose un état d’âme, une parole en crise, un trajet de conscience, qui s’incarnent dans une forme signifiante. Nous aimerions donc montrer que le traité de Chartier continue de faire résonner la voix complexe du poète, aux prises avec les doutes, bien plus que le monologue de la vérité révélée.
Les vertus contre les « debas » : l’irréductible logomachie intérieure
- 17 Espérance se propose ainsi, dans la prose XVI, de développer ses idées « sans forme de response » (...)
6Dans la construction d’ensemble du Livre de l’Espérance, la phase polémique opposant les monstres à l’Acteur apparaît d’abord comme un point de départ qu’anéantit le discours d’autorité porté par Foi. Les Vertus développent en effet une critique explicite des disputes. À plusieurs reprises, elles rappellent qu’elles se refusent à user d’un mode d’argumentation qui se sert des outils de la dialectique et des « argumens », entre un respondans et un opponens, pour démontrer une thèse17. Ainsi à propos de la question du libre-arbitre humain, apparemment impossible à concilier avec la toute-puissance divine et avec la prédestination, Espérance renonce aux subtilités développées par les « docteurs », et peint la dispute sur la question comme une sorte de mouvement circulaire dont le va-et-vient ne fait qu’embrouiller l’intelligence :
- 18 Le Livre de l’Espérance, prose XV, l. 224-240, p. 158-159.
Plusieurs docteurs ont subtillié leurs engins et ont voulu acorder la predestination de Dieu avec le franc arbitre de l’omme. Maiz ilz ont nagié par dessus sans trouver le fons, et vagué a l’entour tant qu’ilz n’ont veu en quoy reposer leurs engins entreveschiez. Les responses en ceste maniere arguent contre les respondans, et les argumens retournent contre celuy qui argue. Tu veulx dire en arguant que Dieu sçait toutes choses ains qu’ellez adviennent, et puis que sa science est certaine et invariable, s’il lez sçait, de necessité elles seront ; doncquez n’y peult il pour noz oreisons ne muer ne changer. Or retournons l’argument contre toy mesmez, et disons ainsi : se Dieu ne peult changer l’estre dez choses advenir, il est quant ad ce non puissant ; et s’il n’a povoir es choses qu’il sçait estre futures, il fault dire qu’il sçait plus qu’il ne peult, qui est erreur manifeste, ou que tu confesses qu’il ne sçait riens de ce qui est advenir. Que vault multiplier argumens en matiere arrestee18 ?
- 19 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 343-349, p. 78 : « Maintes choses manifestes se monstrent en (...)
7Quant à Foi, elle exclut de son domaine ce qui ressortit aux « argumens et silogismes », qualifiant de « discors » les raisonnements qui passent par le vocabulaire de la logique (« accidens », « effect », « cause efficiens ») lorsqu’il s’agit d’analyser les causes des souffrances infligées au royaume de France19.
- 20 Le Livre de l’Espérance, prose VIII, l. 85, p. 52.
8Mais le terme de débat ne s’emploie pas tant pour la discussion argumentée que pour le conflit, en particulier lorsqu’il prend place au sein d’une communauté qui devrait former un tout : ce sont les « debaz publiquez20 » qui entraînent les malheurs de la nation, et parmi les trois signes de la divine fureur figurent, en dernier lieu, les discordes civiles et les divisions internes :
- 21 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 375-388, p. 79-80.
Tiercement peult on aperchevoir le glaive de Dieu levé sur les seigneurs, lors quant entre les effors des forains ennemis se engendrent es royaulmes discordes civiles, et que la force de resister dehors est tournee sur soy-mesmez pour confundre sa propre resistence. Pour certain l’evidence en est tout oultre manifeste, se on veoit que ou dedens des haultz palaiz naissent et croissent intestines dissentions et privees deffiances. Car le venin et l’infection de civille discorde fut ordonné de Dieu pour reprimer l’orgueil dez haultesses mondaines, et affin que ceulx qui surmontoient lez autres si esleveement que nul autre mondain ne les peult humilier, fussent par eulx mesme reprimés en humilité soubz Dieu, et ramenés a congnoissance de leur fraelle puissance. Et ce nous ratiffie la decision evangelique qui aux royaulmes divisés mande desolation et ruyne21.
- 22 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 452-454, p. 82.
9Lorsque Foi en arrive concrètement au cas des Français, c’est bien le terme de « debas » qui vient sous la plus d’Alain Chartier pour qualifier le conflit interne qui s’insinue « jucques dedens lez couchez, et ou meillieu de ceulx qui menguent et dorment ensemble22 » :
- 23 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 434-438, p. 81-82.
Au surplus il vous est advenu comme a gens mauldis, qui, si maleureux comme vous estez, ne povez ensemble vivre ne durer, et destruisés vous mesmez et aneantissés voz oeuvres par voz debas et envies plus que par lez glaives de voz adversaires23.
- 24 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 445 et l. 452, p. 82.
- 25 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 361-365, p. 79 : les hommes sont « matz et descongnoissans l (...)
10Cette « guerre au dedens » des « priveez discordes24 » fait écho directement au second signe de la punition divine, la perte d’un jugement sûr, de l’« advis » et du « conseil25 » par lesquels l’homme se détermine à l’action. Cet état de perplexité intérieure marque la déchéance de la personne sous le coup de la punition divine, et, dans la prophétie d’Ysaïe qui est ensuite citée, l’auteur semble recourir à une image similaire à celle de la dispute, peignant un esprit qui « tourno[ie] » sur lui-même et erre sans but :
- 26 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 370-374, p. 79.
Je amatyray vostre cueur dedens voz entraillez, et precipiteray vostre conseil, et mettray en vous esperit tournoyant, variable et sans constance, et vous feroy errer comme homme yvre, qui pert le savoir de soy conduire et la vertu pour soy soustenir26.
11C’est une image que l’on retrouve lorsque Foi dénonce la vanité des débats dans le cas des Français :
- 27 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 417-433, p. 81.
Si perissés non chalaument et a votre escient, sans mettre nul arresté conseil en voz oeuvrez. Bien est avoiré sur vous le language du prophete, qui disoit : « Vous parlerés beaucoup, et il n’en sera riens ; vous conseillerés souvent, et voz conseilz seront vains, variables et dissipés ; et procederés en voz faitz comme l’aveugle qui va tastonnant a la paroy, et ne se scet a quoy affermer, ne en quel endroit il en est. » Ainsi en faictez vous. Car voz conseilz sont sans liberté et sans ordre, vos oppinions par affection, voz conclusions sans arrest, et voz ordonnances sans exploit. A vous en advient ce que Dieu discerna par la voix de Ysaie sur yceulx qui chastier ne se voulloient, par telz termes : « Mandés et remandés, attendés et ratendés, maintenant de ça, maintenant de la. C’est le chemin par quoy vous cherrés en arriere, et serés marchés soubz lez piez, enlacés, prins et peris par variableté de conseil et par faulte de constance27. »
12De la dispute scolastique des docteurs à la discorde civile jusqu’à la délibération intérieure se dessine ainsi la continuité d’une errance de l’esprit aveuglé, qui appelle à l’humilité un homme dont les facultés rationnelles, le cœur et la volonté révèlent l’impuissance dès lors qu’il se détourne de la lumière divine.
- 28 Le Livre de l’Espérance, prose I, l. 6-7, p. 3.
- 29 Le Livre de l’Espérance, prose III, l. 102, p. 15. Voir également Poème III, v. 11-20, p. 11.
13Le débat intérieur du narrateur est l’exemple même de cet effondrement du sujet pris dans ses propres contradictions, et qui se blesse lui-même par l’atteinte de ses propres passions : alors que son entendement est « surprins et environné de desplaisans frenesies », l’Acteur ne parvient plus à l’« exploicter28 » pour en tirer une consolation, son cœur est obscurci par la mélancolie qui étouffe ses sens, et avec l’apparition des monstres, c’est la volonté qui semble se dérober face à la « perplexité », évoquée dans le discours de Défiance (« Vise doncquez quel part tu doys eslire, ne quelle consolation ou adresse tu esperes en telle perplexité trouver29 »). Avant que n’intervienne Désespérance, l’Acteur semble en proie à la malédiction divine qui plonge la volonté dans l’incertitude :
- 30 Le Livre de l’Espérance, prose IV, l. 1-7, p. 17.
Tandis que ma povre fantasie tormentee de diverses considerations recuilloyt lez parolles en la prose dessus recitees, debatant a par moy tous ces partis, et que cha ne la je ne trouvoye fors espoventement et contrarieté, je demouray tout suspens et surprins, et mes pensees vagues et esgarees, sans ordre et sans certaine fin, ne vraye election30.
- 31 Le Livre de l’Espérance, poème III, v. 26-40, p. 16-17.
14Certes, les Vertus viendront remédier à cet état, en rendant à Entendement le repos de conscience nécessaire à un choix éclairé, et l’égarement de l’esprit n’apparaît plus que comme un point de départ, un prologue, avant le redressement salutaire et le réveil d’Entendement. Il n’en reste pas moins que ce trouble intérieur caractéristique du « debat », c’est-à-dire du conflit intérieur, procède directement du fonctionnement de l’esprit qui se trouve confronté, par l’imagination, aux passions vicieuses qui viennent du corps. Le poème III exprime cette conception guerrière de la conscience humaine, que Dieu laisse « esprendre » et « surprendre » par les passions qui font « chanceler et suspendre / Le jugement raysonnable », tout en lui donnant par sa grâce la force de ne pas se « laissier vaincre ou rendre31 ». Après le discours de Foi, qui s’efface avec humilité devant Espérance, l’Acteur revient sur ces dissensions de l’esprit, en montrant cette fois que le débat intérieur des Vices s’oppose à l’ordre introduit par les Vertus :
- 32 Le Livre de l’Espérance, prose X, l. 82-93, p. 88.
Car lez bontés et lez vertus ne sont jamaiz discordans ne derrogans ensemble, ainçoys consonent et acordent bien avecquez bien, et verité avecquez verité. Mais entre les vices a contrarieté et debat, et mettent en trouble et en discention sur soy mesmez la pensee ou ilz habitent. Paresse veult dormir et non chaloir, et Avarice quiert travail et chagrin. Ire esmeult riotes et noises et cris, et Luxure conseille blandir, flater et decepvoir. Remirons yci la merveille des oeuvres divines ; car comme la proprité de sapience soit d’ordonner ses faitz, nous trouvons que tout ce qui est de Dieu tient et garde ordonnance, et ce qui naist de pechié tourne en desroy et en agitation confuse et involution desordonnee32.
15Cette partition de la conscience reflète celle de la composition du Livre de l’Espérance, et montre en cela le progrès de l’Acteur qui sait désormais distinguer entre la perplexité qui naît du trouble passionnel (le debat) et la délibération réglée et ordonnée autour d’une question. Mais elle maintient cependant l’image d’une conscience divisée, juxtaposant deux régimes de gouvernements intérieurs qui semblent coexister dans l’esprit.
- 33 Le Livre de l’Espérance, prose X, l. 112, p. 89.
16Le contraste entre les deux parties du Livre de l’Espérance peut être alors aussi une manière de figurer cette division insurmontable de la conscience. La « Fantasie » d’où sortent les « monstres » s’oppose à la mémoire, dont la petite porte est ouverte par Entendement après son réveil. Loin de s’effacer avec l’entrée des Vertus, cette opposition demeure grâce à la scénographie allégorique, qui traduit la progression spirituelle en termes d’espace, dans une vision qui maintient donc les divisions. Les figures monstrueuses, placées à gauche du lit et en la partie la plus sombre, demeurent présentes et l’intervention de l’Acteur, lorsqu’Espérance va prendre la parole, montre qu’elles reculent seulement « ariere en l’ombre de la courtine du lit comme en tapinage33 ». Cette disposition tient à la représentation éclatée du sujet qui s’instaure dès le prologue, puisque la figuration des instances mentales se fait sans solution de continuité dans le récit, par juxtaposition, sans que la fiction du songe ne vienne créer un cadre pour l’intervention de Mélancolie ou d’Entendement, sans que l’on passe donc à un autre niveau de réalité.
- 34 V. Minet-Mahy explique ces dédoublements de la figure du sujet plutôt par la nécessité herméneutiq (...)
- 35 Le Livre de l’Espérance, prose I, l. 39-46, p. 4.
17Or cette figuration de la conscience semble faire écho à la conception complexe de l’âme34 développée dans les différents discours : l’Acteur évoque les quatre vertus sensitives ayant leur siège « dedens homme », « sensitive, ymaginative, estimative, et mémoire », qui « sont corporelles et organiques35 » ; Foi rappelle quant à elle que l’entendement se doit de gouverner la partie végétative de l’homme ainsi que « l’appetit sensitif » qui émane du corps, et s’opposer aux passions qui lui tiennent tête :
- 36 Le Livre de l’Espérance, prose V, l. 76-84, p. 24.
Or es conjoint a corps humain pour gouverner la partie vegetative despotiquement et l’appetit sensitif par seigneurie royal et politique. Nature que Dieu t’a baillié en ayde n’est pas oyseuse en sa commission, ainçois par ses belles vertus qui lui ministrent chacun en son ordre, s’estudie a continuer l’espece humaine et conserver l’individuel suppost ; car la Puissance Vegetative jamais ne repose, avecquez ses filles Nutritive, Formative, Assimilative et Unitive […]36.
18Comment se représenter alors la conscience ? On hésite entre l’idée d’une hiérarchie ordonnée des facultés, que métaphorisent rapports de pouvoir ou liens de parenté, et leur symbiose dans l’esprit, qui correspond au vécu de l’Acteur et que figure la juxtaposition dans l’espace. Cette distribution allégorique plurielle interdit que se fixe une image claire et organisée de l’esprit : les explications rationnelles ne peuvent en fait que recouvrir et non effacer les fantaisies de l’imagination.
- 37 Le Livre de l’Espérance, prose VI, l. 9-10, p. 30.
- 38 Voir Rouy, Esthétique du traité moral, p. 36-37 : Entendement est relativement peu décrit, et un c (...)
- 39 Le Livre de l’Espérance, prose XV, l. 213-217, p. 158 : « Ainsi selon l’Escripture yre est attribu (...)
- 40 Voir par exemple Le Livre de l’Espérance, prose VI, l. 28, p. 31 ; prose V, l. 191-182, p. 28 (« l (...)
- 41 Le Livre de l’Espérance, prose V, l. 2-3, p. 21.
- 42 On peut d’ailleurs signaler que dans Le Livre de paix de Georges Chastelain, l’entendement de l’au (...)
19C’est qu’Entendement lui-même ne constitue pas une personnification transparente. Selon Foi, il a été fait à l’image de la divinité, et conjoint les trois puissances que sont la connaissance, la volonté et la mémoire37 : il s’identifierait ainsi à la partie rationnelle de l’âme. Mais il apparaît presque comme un double de l’Acteur38, se révélant comme lui sensible aux poisons de Mélancolie, et Espérance souligne que le mouvement des passions affecte son jugement, à propos de la prétendue colère de Dieu39. Son identité floue en fait un être participant à la fois du spirituel et du charnel, dont il dénonce à plusieurs reprises le « poys » sur lui40. La scène mixte de la pensée n’est nullement imperméable à la partie sensitive, à l’imagination qui fait irruption dans l’espace intérieur pour « tresperc[er] le cueur et la pencee41 », et de même Entendement ne semble pas une essence pure, mais un être composé42. Dans le dialogue avec les Vertus, il ne se contente pas d’être illuminé par la vérité, mais rapporte les doutes qui demeurent, ou bien cherche à relier l’enseignement abstrait au cas particulier de l’Acteur, comme s’il participait de la condition corporelle tout autant que du monde intellectuel. Il occupe de fait une position d’intermédiaire, voire de médiateur, dans l’opposition entre les Vertus et les Passions.
- 43 Le Livre de l’Espérance, prose III, l. 105-106, p. 15.
- 44 Le Livre de l’Espérance, prose V, l. 186, p. 28. Le poème attribué à Entendement est le sixième (p (...)
- 45 Poirion, Le poète et le prince, p. 405.
- 46 Meyenberg, Alain Chartier prosateur, p. 184.
- 47 Poirion, Le poète et le prince, p. 404 : « La succession de séries discontinues, les changements d (...)
20La discontinuité formelle entre vers et prose donne forme à ces tensions internes : à une exception près, les vers sont le lieu d’une énonciation blanche, et ne peuvent être rapportés à un sujet. On peut citer par exemple la fin du discours de Défiance, disant « le sens me fault avecquez la parolle43 », avant que ne se développent les vers, comme s’ils tenaient la place d’un silence dans le concert des voix, et faisaient s’élever, en contrepoint des objurgations des monstres, une parole qui émane de la révélation divine. Seul Entendement est donné comme locuteur d’un poème, au moment où il se trouve « conforté de sa douleur44 » et adresse à Foi un discours de louange : il y a là un indice de la double nature de cette entité, qui s’exprime à la fois en vers et en prose. Le poème lui-même fait signe vers une sorte de tension intérieure. Daniel Poirion fait ainsi la remarque que Chartier reprend dans les passages lyriques du Livre de l’Espérance les schémas propres au genre du lai pour les rimes45 ainsi que l’hétérométrie caractéristique de la strophe « layée », notamment l’alternance entre vers de sept et vers de trois syllabes. Le poème VI en particulier est qualifié par Regula Meyenberg de « micro-lai46 », parce qu’il reprend une même rime au début et à la fin. Ce rapprochement est significatif, dans la mesure où le lai est le genre qui permet l’évocation du mouvement changeant des états d’âme47.
- 48 Rouy, Esthétique du traité moral, p. 102 ; la mise à distance du schème des combats allégoriques r (...)
21La complexité du personnage d’Entendement nous invite donc à considérer le dialogue avec les Vertus comme un échange bien moins didactique qu’il n’y paraît au premier abord, et qui est habité, comme en sourdine, par la voix contradictoire des passions négatives. Le chant épuré des poèmes souligne certes par contraste que l’échange en prose reste imparfait, mais il suggère encore la persistance d’une division intérieure dans la voix. Pour reprendre les termes de François Rouy, un « schème psychomachique48 » demeure et n’est pas complètement gommé par le mouvement de la consolation et de la guérison.
Échos des disputes en vers dans le Livre de l’Espérance : le debat comme structure profonde
- 49 Il nous semble que Le Livre de l’Espérance entretient un rapport essentiel avec les débats de Char (...)
22Parce que persiste le conflit passionnel au cœur de la voix de la raison, Le Livre de l’Espérance met en scène une parole troublée et énigmatique, qui est également caractéristique des débats en vers de Chartier49. La mise en sourdine des oppositions et de la polémique est en effet une des marques de fabrique du débat poétique de cet auteur, et ce notamment dans La Belle Dame sans mercy et Le Debat de Resveille Matin. Ce dernier est particulièrement exemplaire de l’effet de brouillage. Le narrateur couché dans son lit entend une conversation nocturne entre deux personnages, le Dormeur et l’Amoureux, mais aucune opposition nette ne se dessine entre eux :
Apprés mynuyt, entre deulx sommes,
Lors qu’Amours les amans esveille,
En ce paÿs cy ou nous sommes,
Pensoye eu lit, ainsy c’on veille
Quant on a la puche en l’oreille ;
Si escoutay deulx amoureux
Dont l’un a l’autre se conseille
Du mal dont il est doullereux.
- 50 Alain Chartier, Le Debat de resveille matin, éd. D. F. Hult, dans Le Cycle de la Belle Dame sans m (...)
Deulx gisoient en une couche,
Dont l’un veilloit qui fort amoit ;
Maiz de leong temps n’ouvroit sa bouce
En pensant que l’autre dormoit.
Puis ouÿs je qu’il le nommoit
Et huchoit pour mectre a raison,
Dont l’autre forment le blasmoit
Et disoit, « Il n’est pas saison50 ».
23En précisant seulement que « l’un a l’autre se conseille / Du mal dont il est doullereux », l’auteur n’indique pas la tournure contradictoire de la discussion qui suit, et les deux personnages ne se distinguent que progressivement, dans la seconde strophe introductive. Le cadre donné au dialogue, censé se dérouler après minuit, recouvre d’obscurité les corps, qui ne font l’objet d’aucune description : la scène se présente ainsi comme une sorte d’énigme. Le nom de debat apparaît cependant explicitement dans le texte, au dernier vers :
- 51 Le Debat de resveille matin, v. 365-368, p. 470.
Si mis en escript ce qu’ilz dirent
Pour mieulx estre de leur butin,
Et l’ont nommé ceulx qui le virent
Le Debat Resveille Matin51.
24La formule est rapportée au jugement du public et ne donne pas d’indication sur les parties en présence ou sur la question qui est en jeu, Resveille Matin renvoyant seulement à un sujet de querelle anecdotique : ce qui est proposé rétrospectivement, c’est un travail d’élucidation, appelé par la fin du débat, qui s’achève par une prière à Dieu et par l’irruption de la lumière du jour. L’opposition théorique n’est guère lisible dans l’échange poétique, où l’argumentation n’apparaît que par bribes. Le problème, le « point », demeure en fait informulé, dans un dialogue qui suggère seulement l’existence d’un désaccord que l’on peine à cerner, et qui semble évoluer au fur et à mesure du texte. Le terme de debat dans les poèmes d’Alain Chartier recouvre plutôt la structure que le sujet d’une œuvre qui ne se présente plus comme une véritable altercation autour d’une question à résoudre, mais comme un dialogue énigmatique offert à la sagacité du public, pour qu’il en perçoive les rouages secrets. Le Livre de l’Espérance met en œuvre un jeu similaire en dissimulant l’opposition dans le dialogue didactique.
- 52 Cayley, Debate and Dialogue, p. 7 : « The private forum of the dialogue becomes the public perform (...)
- 53 Voir sur ce point Minet-Mahy, Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique, p. 422 et 425.
- 54 Dans Le Livre des quatre dames comme dans La Belle Dame sans mercy, l’auteur se présente comme un (...)
25L’on devine de fait dans le traité les linéaments de la structure du débat poétique, qui l’informe en profondeur. On reconnaîtra, tout d’abord, la présence continue et encadrante d’un narrateur-acteur, qui se présente comme un témoin et un intermédiaire entre les personnages et le public, et transforme le dialogue en un spectacle52. L’Acteur du Livre de l’Espérance exerce cette fonction dans la dramaturgie allégorique, ses interventions se présentant parfois comme des didascalies, notamment lors de l’entrée des personnages53. Le début du livre fonctionne comme le prologue du débat poétique, mettant en scène les tourments de l’Acteur qui se rattachent à la situation réelle, y compris peut-être par le discours des monstres qui s’adressent à lui et reprennent de fait des thèmes, comme la critique de la cour, développés ailleurs par Chartier. Ce topos de l’auteur en débat avec lui-même forme l’ouverture de nombre de débats, dont ceux de Chartier54. L’inachèvement de l’œuvre laisse dans l’ombre ce qu’aurait pu être la fin du débat qui agite le moi, et tient lieu d’ouverture pour cette œuvre qui demeure, comme les disputes poétiques, en suspens.
- 55 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 267-269, p. 75. Voir également la prose XVI, où Espérance pr (...)
- 56 Le Livre de l’Espérance, prose VI, l. 1-7, p. 30.
- 57 Le Livre de l’Espérance, prose VI, l. 104, p. 33.
- 58 Sur la stratégie de disqualification des questions d’Entendement, voir Blanchard, « Artéfact litté (...)
26Dans le dialogue avec les Vertus, on peut noter également l’obscurité du « point » débattu qui caractérise le débat en vers : la multiplicité des apostrophes, qui prennent à partie les Français, les rois, le clergé, introduisent comme des voies obliques dans l’argumentation, soulevant des questions annexes au point qu’une remarque d’Entendement souligne, non sans humour, la logique digressive du discours : « Retourne a l’interrogatoire premier, duquel tu me semblez avoir ung peu esloingné, et me contentes de la longe duree de noz maulx55 ». D’emblée le dialogue se signale d’ailleurs par une double orientation, Entendement face à Foi « requerant son aide contre les assaulx de Deffiance, de Indignation et de Desespoir », « elle, d’autre part, voulant encercher lez causes de l’essoine d’entendement humain et de l’enfermeté du corps malade56 » : les visées pratiques d’Entendement, qui aspire à la conduite juste de l’homme dont il a la garde, semblent différentes de la recherche des causes profondes qui anime Foi, figure de médecin qui diagnostique la maladie. Avec la première question, Entendement s’interroge sur la justice divine qui l’a attaché à un corps qui l’emprisonne et qui laisse régner persécution et misère dans le royaume de France ; Foi constate alors qu’elle a, « par [s]a demande fondee sur une complainte », « attaint la playe de [s]a doleance57 », mis métaphoriquement le doigt, finalement, sur l’endroit de la blessure, sur le mal qu’elle doit guérir, c’est-à-dire sur l’erreur qu’elle doit dissiper. Il semble ainsi que deux logiques s’entremêlent dans le dialogue, pris entre la demande de justice d’une part, et d’autre part le discours moral et religieux qui en nie le principe même58.
27Même si l’intervention des Vertus oriente donc le dialogue vers le sermon ou la catéchèse, le modèle judiciaire reste sous-jacent, dans l’ambiguïté même des termes comme « demande », « complainte » ou « doleance » qui peuvent s’interpréter comme expression de la détresse morale ou comme plainte judiciaire. Face à Foi, Entendement semble devoir renoncer à fonctionner comme une instance juridique :
- 59 Le Livre de l’Espérance, prose V, l. 132-139, p. 26.
Sy se vergongna de sa faulte, confus et humble, prest a recepvoir correction de doctrine, et en ceste vergoigne rappella a soy toutes ses officiaulx puissances dispers et esgarés es discors des mondains desirs ; et pour elle suspendi la commission des troys seurs, Demonstrative, Dyaletique et Sophistique, qui de apparence verbal povoient troubler et empeschier sa rayson, et les soubzmist du tout en l’obeissance et franche servitude de la foy divine59.
- 60 Le Livre de l’Espérance, prose VI, l. 174, p. 36.
- 61 Le Livre de l’Espérance, prose XI, l. 109-110, p. 98 (discours d’Espérance contre le suicide).
- 62 Le Livre de l’Espérance, prose IV, l. 4, p. 17.
28On reconnaît dans ces métaphores de l’activité intellectuelle les commissaires du juge et les officiers chargés d’exécuter leurs ordres, la raison se présentant comme une enquête destinée à apaiser les conflits pour rétablir le droit. Ce réseau d’images explique la persistance, dans la logique d’Entendement, d’une contestation que Foi puis Espérance s’efforcent d’éradiquer : on ne doit pas « contrester » Dieu, il est vain d’« estriver60 » contre le créateur dont le jugement nous dépasse ; s’élevant contre celui qui l’a créé, l’homme désespéré conteste Dieu et se trouve en discorde avec lui-même61. En sourdine se pose donc la question de la justice divine, convoquée devant le tribunal de l’Entendement. C’est par cela que se décide l’action de l’homme dans le monde, qu’il accepte les événements qui viennent de Dieu ou s’y oppose. La question est de savoir ce que l’Acteur va élire, lui qui se dit « debatant a par [s]oi tous ces partis62 ». Le problème pratique court sous les enjeux théoriques de la discussion.
- 63 Le Livre de l’Espérance, prose XV, l. 248, p. 159.
29Ainsi l’autorité des Vertus ne peut écraser totalement les « doubtez », qu’on ne peut « vuider63 », ni les « scrupullez » qui ne cessent de réapparaître dans le discours d’Entendement. Une logique concessive l’amène à reconnaître le bien-fondé de la leçon, mais pour lui opposer une nouvelle objection. Ce mouvement, selon l’Acteur, le fait passer sans cesse du repos au mouvement :
- 64 Le Livre de l’Espérance, prose X, l. 1-9, p. 85.
Par ces solutions et decisions catholiquez demoura Entendement assis et rendu en plus doulz repos de conscience, car des secrés de sa pensée furent baloiez tous scrupullez sur lez jugemens divins. Et la crainte de Dieu, qui entre ces scrupuellez se tappissoit, moitié receue, moitié reboutee, demoura seulle victorieuse en la discretion d’Entendement. Celle l’ameult a de rechief fourmer nouvelle demande sur ce qu’est advenir de ces premisses en ceste sentence64.
- 65 Ce mélange de révolte et de soumission de la part d’Entendement est interprété dans l’autre sens p (...)
30Sans cesse ressurgit la « complainte » qui est au principe de la plainte, au sens juridique, contre l’état du monde voulu par Dieu65, et alors même que s’affirme ici la toute-puissance de la crainte de Dieu et que l’on pouvait croire tous les scrupules balayés.
31Le Livre de l’Espérance retient ainsi des débats en vers la structure sous-jacente, même si le dialogue s’organise autour d’un médiateur, Entendement, plutôt que dans la confrontation directe des opposants. C’est que dans le dialogue, l’instance raisonnable reste déchirée entre la logique supérieure du divin et la raison humaine, qui se rattache aussi à l’expérience sensible et au corps. On lui dit que ses questions, qui procèdent d’un attachement au monde, n’ont pas de sens et qu’il faut que la raison s’humilie, mais cela ne l’empêche pas de réclamer contre sa situation, et de relancer le dialogue.
- 66 Le Livre de l’Espérance, prose XIII, l. 189-193, p. 119-120.
32Comment comprendre alors que rien n’éradique totalement les soubresauts de révolte de la raison humaine ? N’est-ce pas aussi que la structure du débat participe, malgré tout, de l’accès à la vérité et du trajet intellectuel et moral du sujet ? Dans deux passages en tout cas une vertu est reconnue au debat. Le mot est employé, tout d’abord, pour critiquer l’Islam, considérée comme une loi trop douce, qui choisit la voie moyenne en s’efforçant de concilier les éléments des différentes religions, ruse ou « cautelle » qui permet à Mahomet d’attirer aisément des fidèles : il « s’apensa qu’extremité n’aquiert riens sans debat66 ». Ainsi la contestation et le conflit accompagnent nécessairement l’idée forte et pure, la rigueur de la loi, et ils apparaissent comme le signe que se manifeste justement une logique transcendante. Non sans jouer un peu sur le sens du mot, on peut retrouver la même idée lorsqu’est décrite la réaction de la Nature confrontée à l’idée de la mort :
- 67 Le Livre de l’Espérance, prose V, l. 12-18, p. 22.
Si s’esvertua tellement et esmeut toutes ses vaines, ses nerfz et ses arteriques, spondilles et musculles, que par son esbranler et debatre elle esveilla Entendement, qui coste moy soumeilloit, et le bouta si vertueusement que en sursault il se leva, ses yeulx a paine demy ouvers, et la parolle tremblant et bauboyant, et se print a guermenter […]67.
33Mouvement frénétique et révolte du corps sont alors des sursauts salutaires, liées à la manifestation d’une logique supérieure, s’opposant à la léthargie introduite par les passions.
- 68 Le Livre de l’Espérance, prose X, l. 43-53, p. 86-87.
- 69 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 373-374, p. 79, l. 422-423, p. 81, et prose XV, l. 226-227, (...)
34Aussi peut-on remarquer que l’image de l’errance de l’esprit n’est pas si éloignée de celle qui dit la foi, du moins dans le discours de l’Acteur. Ainsi, à l’apparition d’Espérance, il évoque le mouvement de la croyance par l’image de l’envol, la foi n’ayant « point de pié ne de soustenue, en quoy elle se puisse fonder sur sens humain », mais des « eles de ferme adhesion », et pouvant donc être métaphorisée par « l’aleron », « lequel n’a point de piez pour errer sur terre, maiz est tout son mouvement par ellez qui l’essaulcent en l’air68 ». Cette image poétique évoque le mouvement même du débat, qui fait tournoyer l’esprit, sans lui offrir aucun appui ferme, qui fait « nagi[er] par dessus sans trouver le fons », errer comme un homme ivre qui perd « la vertu pour soy soustenir », « comme l’aveugle qui va tastonnant a la paroy, et ne se scet a quoy affermer69 ». Alors que ce mouvement peut faire tomber, ne peut-il aussi se convertir en un principe d’élévation, et changer de sens une fois qu’Espérance apparaît à l’Acteur ?
- 70 Le Livre de l’Espérance, prose X, l. 14-17, p. 85-86.
- 71 Le Livre de l’Espérance, prose VIII, l. 126, p. 53.
- 72 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 468-469, p. 83.
- 73 Le Livre de l’Espérance, prose XV, l. 246-249, p. 159.
35Le mouvement du débat semble ainsi participer, finalement, d’un effort de purification de la conscience, par le détachement à l’égard de la terre. Divaguant sans plus trouver d’appui, la pensée en vient à une séparation entre la partie sensible (« sensitive ») de l’âme et la partie spirituelle, idéal exprimé par Entendement lorsqu’il remercie Foi pour sa « langue et parolle tresperçans plus que glaives agus pour pervenir jucquez a la division de l’ame joincte au corps sencitivement et de l’esperit eslevé a Dieu par espirituelle grace et feu embrasé de vraye amour et crainte70 ». Le débat, dans le discours des Vertus, est un argument de la foi, il impose un abandon de la raison et le recours à une révélation extérieure qui seule peut arrêter la divagation : Foi demande ainsi de laisser la question de la punition des uns pour le péché des autres, et de « demourer71 » en la pensée de la justice divine, elle exhorte les Français qui se déchirent dans des luttes internes à considérer la vérité de ses dires (« Arrestés vous sur ces points, et deffermez vos yeulx72 ») ; de même Espérance, à propos du libre arbitre, conseille à Entendement de s’en tenir à une « matiere arrestee » : « Souffise toy se nous te relatons ce que les docteurs en ont escript, et demeure sur le point ou ils se sont arrestés. Car combien que leur détermination ne puisse vuider doubtez, pour certain elle est vuide de toute erreur73. » Paradoxalement, la dispute intérieure garantit ainsi le repos de conscience.
36Cette vertu du débat se dit avant tout par l’image poétique, par la réactivation d’un sens du mot qui le lie au sensible, à ce mouvement de battement et de pulsation organique par lequel on retrouve, au cœur de l’agitation intellectuelle, un mouvement du corps vivifié par l’esprit, un principe lyrique finalement. C’est en ce sens peut-être qu’on peut reconsidérer les passages en vers dans Le Livre de l’Espérance. Dans le poème VI, Entendement loue ainsi l’action de Foi, qui permet la détermination du cœur tout entier, tourné vers Dieu :
- 74 Le Livre de l’Espérance, poème VI, v. 18-35, p. 29.
Mais ta grant perfection,
Surmontant opinion,
Donne ferme adhesion,
Dont le cueur se determine
A Dieu qui tout examine,
Ou science naist et fine,
Comme la sourse et la mine,
Le fondement, la rachine,
Et la puissant medicine
Qui l’esprit purge et affine
Par divin eslevement,
Et lui donne essaulcement
Sur son propre sentement,
Sans prendre aultre fondement,
Silogisme ne argument,
Fors par le lieu seulement
D’auctorité qui ne ment,
En qui du tout nous fion ; […]74.
- 75 La notion d’opinion est liée au débat, et a fait l’objet d’une réflexion approfondie dans l’œuvre (...)
37L’expérience du débat semble ainsi conduire le poète à délaisser « opinion75 », ce jugement toujours contestable, sans certitude, que le sujet élabore d’après ses connaissances limitées, pour s’en remettre au « cuer », lieu de la conviction intime et du « sentement », qui devient le fondement même de la croyance. Ce dernier terme renvoie directement au principe de l’inspiration de Chartier, évoquée au seuil de l’œuvre :
- 76 Le Livre de l’Espérance, poème I, v. 54-56, p. 2.
Ainsi me fault mon sentement changier ;
Et en moy n’est entendement ne sens
D’escripre fors ainsy comme je sens76.
38Avec le mouvement à la fois passionnel et intellectuel qui agite l’esprit en débat, l’on retrouve une unité de l’entendement et du sens, et un principe d’écriture : un effort pathétique et sublime pour s’élever tout en restant un être de chair et de sang, dans un élan qui est celui même de l’espérance.
- 77 Meyenberg, Alain Chartier prosateur, p. 144.
39Si donc Le Livre de l’Espérance met en œuvre une éloquence divine77 qui humilie la raison humaine, il semble qu’il reste, au cœur même de son inspiration, l’esprit même du debat tel qu’on le trouve dans l’œuvre d’Alain Chartier. Dans la conscience divisée, le discours d’autorité des Vertus ne vient jamais totalement à bout de la révolte que suscite, dans le corps, dans l’imagination sensible comme dans l’esprit, la souffrance de vivre en des temps de désastre. Entendement, allégorie ambivalente de l’esprit, est humain et trop humain : même s’il entrevoit par moment le repos de la conscience, tente de réprimer la voix de la sensibilité blessée pour s’abandonner à une justice divine qui lui demeure incompréhensible, il reste une voix animée par les passions, par la révolte, le doute, la mise en cause du monde, et ne parvient pas réellement à la division du corps sensible et de l’âme spirituelle. Et faut-il, de toute façon, en arriver là ? Le repos de conscience absolu est une image de la mort. Récusant la tentation du suicide, le sujet finit par prendre appui sur son agitation désordonnée, qui est à la fois le symptôme de ses déchirements intérieurs, la marque de la défaite de la raison et le signe de la logique divine, pour trouver un point d’attache en dehors de lui-même. Par la logique souterraine du debat, il semble que l’exil puisse se convertir en détachement, que le sentement renaisse dans l’expérience de la désorientation, et que l’espoir revienne à celui qui erre jusqu’à quitter le chemin terrestre : à force de tourner en rond et de brasser de l’air, l’oiseau s’envole.
Notes
1 La distinction initialement proposée par E. J. Hoffman, Alain Chartier : His Work and Reputation, New York, Wittes Press, 1942, p. 39, est désormais largement remise en cause, ce dont témoigne l’ouvrage tout récemment consacré à Chartier, A Companion to Alain Chartier (c. 1385-1430), Father of French Eloquence, éd. D. Delogu, J. McRae et E. Cayley, Leiden-Boston, Brill, 2015.
2 Voir E. Cayley, Debate and Dialogue : Alain Chartier in his Cultural Context, Oxford, Clarendon Press, 2006, notamment p. 88-89.
3 Voir l’introduction de F. Bouchet à sa traduction du Quadrilogue invectif d’Alain Chartier (Paris, Champion, 2002), notamment p. 11-12. F. Bouchet rattache la structure du débat à la fois à la tradition lyrique et musicale et à celle de la disputatio : sa reprise dans le Quadrilogue tient selon elle à la recherche d’une parole animée, plus efficace que dans la forme plus impersonnelle du traité (p. 22-23), mais aussi à la recherche dialectique de la vérité (p. 25).
4 De fait défendre les œuvres en vers en leur reconnaissant avant tout un poids idéologique ne fait pas pleinement justice à l’art du poète. La pénétration du discours d’idée dans le poème est interprétée ainsi par Daniel Poirion comme un défaut de pureté lyrique, Alain Chartier ayant, par « cette orientation presque exclusive de sa création littéraire vers le discours et le procès », adapté « le débat, primitivement lyrique, à l’esprit prosaïque, analytique et chicanier de son époque » (D. Poirion, Le poète et le prince. L’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans, Genève, Slatkine Reprints, 1978, p. 257).
5 Voir en particulier J.-Cl. Mühlethaler, « Disputer de mariage. Débat et subjectivité, des jeux-partis d’Arras à l’échange de ballades et de rondeaux chez Eustache Deschamps et Charles d’Orléans », Il genere « tenzone » nelle letterature romanze delle Origini, éd. M. Pedroni et A. Stäuble, Ravenna, Longo, 1999, p. 203-221.
6 Pour l’histoire du genre, nous nous permettons de renvoyer à notre thèse : L. Tabard, Bien assailly, Bien deffendu. Le débat dans la littérature française de la fin du Moyen Âge, thèse de doctorat, Université Paris IV, 2012.
7 Cayley, Debate and Dialogue, p. 114-115 et p. 128-129.
8 Alain Chartier, Le Livre de l’Espérance, éd. F. Rouy, Paris, Champion, 1989, poème IX, v. 13-14, p. 62.
9 R. Meyenberg, Alain Chartier prosateur et l’art de la parole au xve siècle, Berne, Francke, 1992, p. 142.
10 F. Rouy, L’esthétique du traité moral d’après les œuvres d’Alain Chartier, Genève, Droz, 1980, p. 167-169 et p. 176.
11 Meyenberg, Alain Chartier prosateur, p. 168 ; Rouy, L’esthétique du traité moral, p. 185-233. F. Rouy récuse cependant l’idée que le traité mette en œuvre un « dogmatisme chrétien », et analyse de manière nuancée le jeu du dialogisme, où percent selon lui les propres doutes de Chartier (p. 244-245). En revanche, pour J. Blanchard, le discours d’Espérance substitue l’histoire au raisonnement et interdit l’échange (J. Blanchard, « Artéfact littéraire et problématisation morale au xve siècle », Le Moyen Français, 17, 1985, p. 7-47).
12 Cette dimension a d’autant plus d’importance que Chartier fait figure de précurseur et de modèle pour les grands rhétoriqueurs. Voir sur ce point l’article de T. Van Hemelryck, « Le modèle du prosimètre chez Alain Chartier », Le prosimètre à la Renaissance, Paris, Éd. Rue d’Ulm (éd. Centre V. L. Saulnier), 2005, p. 9-19.
13 Poirion, Le poète et le prince, p. 405 ; Rouy, L’esthétique du traité moral, p. 337-349 ; Meyenberg, Alain Chartier prosateur, p. 182-185 ; V. Minet-Mahy, Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique à l’époque de Charles VI. Imaginaires et discours, Paris, Champion, 2005, p. 497-512 ; S. Huot, « Re-fashioning Boethius : Prose and Poetry in Chartier’s Livre de l’Espérance », Medium Ævum, 76, 2, 2007, p. 268-284 ; A. Armstrong et S. Kay, Une muse savante ? Poésie et savoir, du Roman de la Rose jusqu’aux grands rhétoriqueurs, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 124 et p. 205-206.
14 Minet-Mahy, Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique, p. 498 : « La seconde rhétorique a conquis, dès le début du texte, la clef de l’harmonie que la prose doit construire, les bases de la vraie connaissance du sujet. »
15 Sur ce point, voir Huot, « Re-fashioning Boethius », notamment p. 274 et 279, ainsi que les réflexions plus générales d’A. Armstrong et S. Kay, pour qui le genre du prosimètre peut être considéré comme une revanche de la poésie, annexant la prose aux formes versifiées (Armstrong et Kay, Une muse savante ?, p. 207-211).
16 Voir Minet Mahy, Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique, note 2, p. 404, pour la définition du prosimètre autour de la notion de « crise » et une revue de la bibliographie critique.
17 Espérance se propose ainsi, dans la prose XVI, de développer ses idées « sans forme de response » (l. 7-8, p. 170).
18 Le Livre de l’Espérance, prose XV, l. 224-240, p. 158-159.
19 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 343-349, p. 78 : « Maintes choses manifestes se monstrent en ceste maledition, qui te feront certain de ce que tu quiers. Car les causes efficiens de chacune chose reluisent en leur effect, et la demonstration humaine se commence en imperfection par les accidens et par les effectz imparfaitz. Mais je ne me arreste guaires a telx discors, car argumens et silogismes sont forclos de mes metez. »
20 Le Livre de l’Espérance, prose VIII, l. 85, p. 52.
21 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 375-388, p. 79-80.
22 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 452-454, p. 82.
23 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 434-438, p. 81-82.
24 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 445 et l. 452, p. 82.
25 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 361-365, p. 79 : les hommes sont « matz et descongnoissans leur cas et leur peril, et ont l’advis troublé au besoing, et conseil incertain et vagant en la necessité ».
26 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 370-374, p. 79.
27 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 417-433, p. 81.
28 Le Livre de l’Espérance, prose I, l. 6-7, p. 3.
29 Le Livre de l’Espérance, prose III, l. 102, p. 15. Voir également Poème III, v. 11-20, p. 11.
30 Le Livre de l’Espérance, prose IV, l. 1-7, p. 17.
31 Le Livre de l’Espérance, poème III, v. 26-40, p. 16-17.
32 Le Livre de l’Espérance, prose X, l. 82-93, p. 88.
33 Le Livre de l’Espérance, prose X, l. 112, p. 89.
34 V. Minet-Mahy explique ces dédoublements de la figure du sujet plutôt par la nécessité herméneutique de la mise à distance et de la dépossession de l’ego, dans la démarche qui doit conduire à la connaissance et à la reconstruction de soi ; mais elle souligne également la complexité de la représentation, qui n’aboutit à aucune opposition tranchée entre la sensualité et la raison humaine (voir Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique, p. 415-429, notamment p. 427-428).
35 Le Livre de l’Espérance, prose I, l. 39-46, p. 4.
36 Le Livre de l’Espérance, prose V, l. 76-84, p. 24.
37 Le Livre de l’Espérance, prose VI, l. 9-10, p. 30.
38 Voir Rouy, Esthétique du traité moral, p. 36-37 : Entendement est relativement peu décrit, et un certain flou entoure cette figure de jeune homme, ce que F. Rouy explique par son rôle de doublon par rapport à l’auteur : « s’étant donné un rôle dans l’action allégorique, il a pu éprouver quelque embarras à y prêter corps aussi à une partie seulement de sa personne » (p. 37).
39 Le Livre de l’Espérance, prose XV, l. 213-217, p. 158 : « Ainsi selon l’Escripture yre est attribuee a Dieu non pas pour alternation qu’il reçoive en soy, maiz pour les passions que tu seuffres par sa justice, dont le mouvement est en toy, et lui demeure eternelement la constant perseverance de sa sainte voulenté. »
40 Voir par exemple Le Livre de l’Espérance, prose VI, l. 28, p. 31 ; prose V, l. 191-182, p. 28 (« la grant charge que le corps mortel foullé de tribulations publiquez et privees lui donnoit »).
41 Le Livre de l’Espérance, prose V, l. 2-3, p. 21.
42 On peut d’ailleurs signaler que dans Le Livre de paix de Georges Chastelain, l’entendement de l’auteur se divise en deux entités, Sens superficiel et Entendement penetrant.
43 Le Livre de l’Espérance, prose III, l. 105-106, p. 15.
44 Le Livre de l’Espérance, prose V, l. 186, p. 28. Le poème attribué à Entendement est le sixième (p. 29-30).
45 Poirion, Le poète et le prince, p. 405.
46 Meyenberg, Alain Chartier prosateur, p. 184.
47 Poirion, Le poète et le prince, p. 404 : « La succession de séries discontinues, les changements de rythmes, créent un désaccord intérieur. »
48 Rouy, Esthétique du traité moral, p. 102 ; la mise à distance du schème des combats allégoriques rend plus complexe le personnage d’Entendement, et suggère une lutte intérieure dans cette figure ainsi plus vivante et plus proche de l’humanité.
49 Il nous semble que Le Livre de l’Espérance entretient un rapport essentiel avec les débats de Chartier et se fonde sur des principes de fonctionnement similaires, par-delà les échos ponctuels qui ont été justement relevés : l’image de l’auteur dans son lit apparaît par exemple dans les poèmes de Chartier, notamment dans le Debat de resveille matin (voir Huot, « Re-fashioning Boethius », p. 272, et J.-Cl. Mühlethaler, « Le prince-poète au lit : jeux avec l’horizon d’attente dans l’œuvre de Charles d’Orléans », Lectures de Charles d’Orléans. Les Ballades, éd. D. Hüe, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 109-122) ; dans « Le “rooil de oubliance”. Écriture de l’oubli et écriture de la mémoire dans Le Livre de l’Espérance d’Alain Chartier », Études de Lettres, 1-2, 2007, p. 203-222, J.-Cl. Mühlethaler établit également un parallèle entre l’oubli de Dieu, qui caractérise le discours faux, chez l’amant de La Belle Dame sans mercy et dans le discours des monstres.
50 Alain Chartier, Le Debat de resveille matin, éd. D. F. Hult, dans Le Cycle de la Belle Dame sans merci, une anthologie poétique du xve siècle (BNF MS FR. 1131), éd. D. F. Hult et J. E. McRae, Paris, Champion, 2003, p. 439-471, ici v. 1-16, p. 441.
51 Le Debat de resveille matin, v. 365-368, p. 470.
52 Cayley, Debate and Dialogue, p. 7 : « The private forum of the dialogue becomes the public performance of the debate as soon as it is mediated by a third agent. » La médiation par un narrateur transforme le dialogue en un débat, « since the narrator acts in some sense as a locus for the performance of the conflict between the speakers » (p. 29).
53 Voir sur ce point Minet-Mahy, Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique, p. 422 et 425.
54 Dans Le Livre des quatre dames comme dans La Belle Dame sans mercy, l’auteur se présente comme un être divisé, pris dans un combat avec lui-même (Le Livre des quatre dames, éd. J. Laidlaw, The Poetical Works of Alain Chartier, Cambridge, Cambridge University Press, 1974, v. 105-120, p. 201; La Belle Dame sans mercy, éd. D. F. Hult, Le Cycle de la Belle Dame sans merci, v. 17-40, p. 16-18).
55 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 267-269, p. 75. Voir également la prose XVI, où Espérance présente ses propos comme une « transgression traversaine » (l. 8, p. 170) et une « disgression » (l. 197, p. 179).
56 Le Livre de l’Espérance, prose VI, l. 1-7, p. 30.
57 Le Livre de l’Espérance, prose VI, l. 104, p. 33.
58 Sur la stratégie de disqualification des questions d’Entendement, voir Blanchard, « Artéfact littéraire », p. 30-34.
59 Le Livre de l’Espérance, prose V, l. 132-139, p. 26.
60 Le Livre de l’Espérance, prose VI, l. 174, p. 36.
61 Le Livre de l’Espérance, prose XI, l. 109-110, p. 98 (discours d’Espérance contre le suicide).
62 Le Livre de l’Espérance, prose IV, l. 4, p. 17.
63 Le Livre de l’Espérance, prose XV, l. 248, p. 159.
64 Le Livre de l’Espérance, prose X, l. 1-9, p. 85.
65 Ce mélange de révolte et de soumission de la part d’Entendement est interprété dans l’autre sens par V. Minet-Mahy, pour qui l’acquiescement précède en général la récrimination et en désamorce la force plaintive (Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique, p. 441-442). Il nous semble que les constructions concessives ont plutôt tendance à donner le dernier mot à la résurgence constante des doutes.
66 Le Livre de l’Espérance, prose XIII, l. 189-193, p. 119-120.
67 Le Livre de l’Espérance, prose V, l. 12-18, p. 22.
68 Le Livre de l’Espérance, prose X, l. 43-53, p. 86-87.
69 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 373-374, p. 79, l. 422-423, p. 81, et prose XV, l. 226-227, p. 158.
70 Le Livre de l’Espérance, prose X, l. 14-17, p. 85-86.
71 Le Livre de l’Espérance, prose VIII, l. 126, p. 53.
72 Le Livre de l’Espérance, prose IX, l. 468-469, p. 83.
73 Le Livre de l’Espérance, prose XV, l. 246-249, p. 159.
74 Le Livre de l’Espérance, poème VI, v. 18-35, p. 29.
75 La notion d’opinion est liée au débat, et a fait l’objet d’une réflexion approfondie dans l’œuvre de Christine de Pizan, dans les lettres du débat sur le Roman de la Rose et surtout dans L’Avision Cristine, où « Oppinion » est un personnage allégorique, fille d’Ignorance et de Désir de Savoir. Voir Christine de Pizan, Le Livre de l’advision Cristine, éd. Ch. Reno et L. Dulac, Paris, Honoré Champion, 2001, ainsi que D. Kelly, Christine de Pizan’s Changing Opinion, Cambridge, D. S. Brewer, 2007.
76 Le Livre de l’Espérance, poème I, v. 54-56, p. 2.
77 Meyenberg, Alain Chartier prosateur, p. 144.
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Référence papier
Laëtitia Tabard, « Le Livre de l’Espérance et le mouvement du débat », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 33 | 2017, 149-169.
Référence électronique
Laëtitia Tabard, « Le Livre de l’Espérance et le mouvement du débat », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 33 | 2017, mis en ligne le 16 août 2020, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14735 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14735
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