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Textes et savoirs scientifiques et magiques médiévaux entre Orient et Occident

Cinq diagrammes musicaux inédits dans le manuscrit Venezia, Bibl. Marciana, lat. VIII. 22 (2760)

Isabelle Draelants
p. 27-41

Résumés

Cet article édite et commente cinq diagrammes musicaux rares, dont un unicum, tracés dans la première moitié du xiiie siècle à la fin du manuscrit Venezia, Bibl. Marc., VIII. 22 (2760), copié d’une main anglaise vers le dernier quart du xiie siècle. Certains indices permettent d’avancer que le manuscrit aurait appartenu au bibliophile et musicien amiénois Richard de Fournival (1201-1259 ou 1260).

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Texte intégral

  • 1 Descriptions dans : J. Valentinelli, Bibliotheca Manuscripta ad S. Marci Venetiarum. Codices MSS. (...)

1Les derniers feuillets (40r-v et 41r) du manuscrit de Venise, Biblioteca Marciana, lat. VIII. 22 (cat. 2760)1, portent des diagrammes musicaux tracés avec soin dont certains s’avèrent rares, l’un d’entre eux constituant même un unicum jamais signalé dans la littérature scientifique. C’est la raison pour laquelle ils sont publiés ici.

  • 2 On en trouve une autre représentation dans le manuscrit St. Gallen, Stiftsbibl., Cod. Sang. 18, p. (...)

2Ce manuscrit conservé à Venise mesure 244 mm sur 178 mm, il ne compte que quarante-deux feuillets. Il contient, au fol. 1r, les neuf premiers vers du poème astronomique de Pacificus de Vérone, Spera celi, illustré d’un personnage utilisant un instrument de visée, à savoir l’horologium sur lequel porte le poème2. Suit immédiatement, aux fol. 1r-31r, le Liber Nemrod de astronomia (Inc. : Incipit liber de astronomia de forma celi et quomodo decurrit inclinatum. Celum igitur inclinatum volvitur a meridiano…). On trouve ensuite, aux fol. 28v-31r, des chapitres sur le comput mis sous le nom d’« Eusebius Cesariensis » (Inc. Annus interger habet dies ccclxv et horas iii. et si vis scire numerum mensium…), puis, aux fol. 31v-36r, le De signis celi faussement attribué à Bède (Inc. : Helix arctus maior habet autem in capite stellas obscuras vii…). Ces divers éléments de contenu font du manuscrit de Venise un jumeau de la deuxième partie du manuscrit Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 14754, provenant de Saint-Victor (mais dont au moins la première partie, fol. 1-94, est originaire de Chartres), sur lequel il a probablement été copié. Pour ces œuvres, les deux manuscrits ont un texte quasiment identique, à quelques rares fautes de copiste près, et une mise en page semblable. À l’heure actuelle, le manuscrit de Paris a perdu quatre feuillets (les anciens feuillets 203-206 qui devraient se trouver entre les actuels fol. 206 et 207) sur lesquels figuraient le De spera celi et les dix premiers chapitres du Liber Nemrod.

  • 3 Cette constatation a été faite avec l’aide paléographique de Patricia Stirnemann, que je remercie (...)

3Le manuscrit de Venise a généralement été considéré comme écrit dans son ensemble au tournant des xiie et xiiie siècles, mais il faut désormais le considérer comme copié par une main anglaise, peut-être dès la fin du troisième quart du xiie siècle3.

  • 4 J’ai bénéficié, pour réaliser cette description, de l’aide bienvenue de Christian Meyer, musicolog (...)

4Par ailleurs, une main elle aussi anglaise, dans la première moitié du xiiie siècle (1er quart ?), a tracé d’une écriture fine et anguleuse la deuxième colonne du feuillet 36r, le feuillet 36v et les deux lignes en bas du fol. 37r. Le même copiste a dessiné les diagrammes musicaux des feuillets 40-41 et les textes qui les accompagnent, qui font l’objet de ce petit article4. Cette écriture présente des a à la haste très haute et des T majuscules avec deux lignes verticales plutôt qu’une, qui font penser à un copiste familier de l’écriture diplomatique.

  • 5 Un volume sous presse dans la collection Micrologus’ Library est consacré à diverses contributions (...)
  • 6 P. Zambelli, « Da Aristotele a Abu Ma’shar, da Richard de Fournival a Guglielmo da Pastrengo », Ph (...)

5Le bibliophile Richard de Fournival5 a possédé une copie semblable du Liber Nemrod, c’est-à-dire précédée comme dans le manuscrit de Venise et son jumeau de Paris de quelques vers du De spera celi. Son exemplaire était sans doute le même que celui répertorié par l’auteur du Speculum astronomiae. Il est en effet admis depuis longtemps que le contenu de la Biblionomia est en relation directe avec la liste des livres astronomico-astrologiques dressée par l’auteur du Speculum astronomiae6. On peut lire dans la Biblionomia, Areola prima [philosophie], Tabula quinta [musique-astronomie], sous le numéro 53 : Mercurii Trismegisti liber de motu spere celi inclinati, qui intitulatur Nemroth ad Ioanton, in uno volumine cuius signum est littera F. Quant au Speculum astronomiae, il présente, au chapitre 2, le Liber Nemrod en tête de la liste des œuvres astronomiques. Il fait le lien avec le personnage biblique de la descendance de Cham et caractérise Nemrod comme un des géants. La mention du Sphaera celi montre que la composition du volume était analogue à celle des manuscrits de Paris et de Venise :

  • 7 P. Zambelli, The Speculum Astronomiae and its Enigma, Dordrecht, 1992 (Boston Studies in the Philo (...)

Ex libris ergo qui post libros geometricos et arithmeticos inveniuntur apud nos scripti super his, primus tempore compositionis est liber quem edidit Nemroth gigas ad Iohanton discipulum suum, qui sic incipit : « Sphaera celi etc. », in quo est parum proficui et falsitates nonnulae, sed nihil est ibi contra fidem, quod sciam7.

Diagramme I

  • 8 Éd. par R. Steglich, Die Quaestiones in musica. Ein Choraltraktat des zentralen Mittelalters und i (...)
  • 9 Signalés par M. Huglo, « Recherches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », Scriptorium, 6 (...)
  • 10 Ces occurrences ont été relevées par A. Hicks, Myth, and Metaphysics : Harmony in Twelfth-Century (...)

6Au fol. 40r [fig. 1, infra], occupant la partie droite de la page, on trouve un diagramme lamboïde de la structure de l’octave, correspondant au diagramme IX de la traduction et du commentaire sur le Timée de Calcidius. Il fut bien diffusé avec cette œuvre à partir du xie siècle. Plus tard, le diagramme accompagne aussi les Quaestiones in musica anonymes compilées au tournant des xie et xiie siècles à partir de notions de théorie musicale modale du xie siècle d’origine germanique8. Ce diagramme, dit « en triple lambda » ou « trilambdoïde », est présent aussi dans certaines copies du commentaire In somnium Scipionis de Macrobe, comme dans les manuscrits Baltimore, Walters Art Museum, W 22, fol. 66 et München, Universitätsbibl., 8o 375, fol. 42r9, ainsi que dans au moins trois autres copies glosées du Commentaire au Songe de Scipion ; il est mis en rapport avec le passage du livre II, 2, 15 dans le manuscrit Cambridge, Trinity College, R. 9.23, fol. 50v. Il se trouve aussi dans une compilation de gloses sur le De nuptiis de Martianus Capella et la Consolation de Boèce, datable de la fin du xiie ou du début du xiiie siècle, dans le manuscrit Zwettl, Stiftsbibliothek, 313, fol. 193v, et dans un bifeuillet inséré au début du manuscrit Oxford, Corpus Christi College, 283, fol. 3r, où il accompagne cette fois un recueil de textes de quadrivium10.

7Le diagramme combine les nombres 1, 2, 3, 4, 9, 8, 27, avec les nombres 6, 12, 18, 24, 54, 48, 162, de manière à donner les moyennes intercalées (harmoniques et arithmétiques) en nombres entiers. Il est ici en forme de cercle doté d’un « pied » en forme de lambda ; à l’intérieur du cercle, et de part et d’autre des branches du lambda, sont tracés à gauche trois demi-cercles, à droite quatre demi-cercles.

Diatessaron
cxcii. Pars octava .xxiiii.
Tonus
ccxvi. Pars octava .xxvii.
Tonus
ccxliii. Pars octava .xxx.
prope semis non tota autem a subsequenti habetur, sed pars eius .xiii. quod est semitonium minus, i. lima, remanet xvii. de hac octava parte.

Dyapente
cclvi. Pars octava .xxxii.
Tonus
cclxxxviii. Pars octava .xxxvi.
Tonus
cccxxiiii. Pars octava .xl. <et semis>.
Tonus
ccclxiiii. Pars octava .xlvi. semis. non autem tota a subsequenti habetur sed pars eius .xx. quod est emitonium minus vel lima et remanet .xxvi. de hac octava parte.

Semitonium
cclvi.
Sic epitritum spatium quod est dyatessaron .cxcii et .cclvi. completur epogdois partibus, i. duobus tonis, et limate

Semitonium
ccclxxxiiii.
Sic sextuplum spatium quod est diapente .cclvi. et .ccclxxxiiii. completur epogdois partibus, i. tribus tonis, et limate

Diagramme II

  • 11 A. Hicks m’a indiqué les deux manuscrits de Paris et d’Oxford ainsi que les manuscrits comparables (...)
  • 12 I. Caiazzo, à qui j’ai signalé ce diagramme, connaissait la copie de Turin, reproduite dans le cah (...)

8Le deuxième diagramme du fol. 40r [fig. 1, infra], un peu plus rare, présente les planètes et les symphoniae (consonances) de la fin de l’Antiquité. Il évoque la manière dont Macrobe a été compris dans la tradition diagrammatique du commentaire au Songe de Scipion et, d’après Andrew Hicks, il est au moins carolingien dans son origine, par comparaison avec Paris, BnF, lat. 6370, fol. 76r11. Le diagramme apparaît aussi dans le manuscrit Torino, Bibl. Naz., D.V.38, fol. 50r, déjà signalé12, dans le manuscrit Oxford, Bodleian Libr., Selden Supra 25, fol. 211v, qui porte sur Macrobe, mais dont le diagramme se trouve après l’explicit, et dans le manuscrit Paris, BnF, lat. 2389, fol. 40r (seul).

9L’exemplaire de Venise comporte des fautes, en particulier dans le libellé des intervalles et des rapports.

Cercles intérieurs

Saturnus .xxvii.
Dyapente – Tonus
Iupiter .viii.
Dyapente – Epogdos
Mars .viiii.
dyapason – <…>
Mercurius .iiii.
Dyatessaron – Epitritus [epogdous ante, corr.]
Venus .iii.
Dyapente – Sesqualter
Sol .ii.
Dyapason – Duplus
Luna .i.

Arcs extérieurs

I-III

Diapason et diapente

– Triplus

I-IIII

<Bis>diapason

– Quadruplus

II-IIII

Diapason

– Duplus

III-VIIII

Diapason et diapente

– Triplus

IIII-VIII

Diapason

– Duplus

VIIII-XXVII

Diapason et diapente

– Triplus

Diagramme III

  • 13 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre II, texte établi, traduit et commenté par J. Beaujeu, Pa (...)

10Au fol. 40v est tracé un diagramme circulaire de la gamme stellaire [fig. 2, infra] donnant les intervalles harmoniques, qu’on peut rapprocher du passage de Pline, Naturalis Historia, II, 83, 84, avec la valeur centrale de 126 000 stades pour les intervalles entre les corps célestes, représentant un ton de l’échelle diatonique13.

  • 14 Voir Obrist, La cosmologie médiévale, p. 180 sq.; B. Eastwood, Ordering the Heavens. Roman Astrono (...)

11Découpé en douze quartiers et en neuf cercles concentriques dont le premier, externe, reprend en sens antihorlogique les signes du zodiaque, ce diagramme présente une structure inspirée de celui – dépourvu de référence à la gamme – qui est généralement inclus dans le texte de Macrobe, In Somnium Scipionis I, 21, 3-7 et 24-27 (qui décrit l’ordre « platonicien » des planètes) ou I, 19, 1-9 (qui décrit l’ordre « chaldéen » et « égyptien » des planètes). Ce diagramme représente les planètes dans l’ordre « chaldéen/plinien », répertoriées sous le signe Aries, comme par exemple dans les manuscrits Paris, BnF, lat. 16677, fol. 37v ; BnF, lat. 6370, fol. 61v ; et Bern, Burgerbibliothek, 347, fol. 9r14.

12Dans le diagramme III du manuscrit de Venise, l’association entre les planètes et les muses provient de Martianus Capella, Noces de Philologie et Mercure, I, 27-28 ; cette copie est correcte, exceptée pour l’omission de Thalia (la terre).

13Les intervalles harmoniques sont des multiples de la distance entre la Terre et la Lune et sont représentés généralement par un diagramme plinien circulaire correspondant à la Naturalis Historia, II, 83, De intervallis earum, qui contient huit cercles concentriques dont les distances de l’un à l’autre varient en fonction de l’intervalle musical. Le cercle externe contient les noms des signes du zodiaque, le cercle central représentant la Terre. Chaque distance séparant un cercle de l’autre correspond à un intervalle musical : Terre-Lune / ton ; Lune-Mercure / demi-ton ; Mercure-Vénus / demi-ton ; Vénus-Soleil / trois demi-tons ; Soleil-Mars / ton ; Mars-Jupiter / demi-ton ; Jupiter-Saturne / demi-ton ; Saturne-zodiaque / trois demi-tons. Dans le manuscrit de Venise, ce diagramme a été fondu dans le diagramme zodiacal-planétaire macrobien.

Urania : au-dessus du cercle externe

Dans le premier cercle interne, un nom par quartier :
Aries – Taurus – Geminis – Cancer – Leo – Virgo – Libra – Scorpius – Sagitarius – Capricornus – Aquarius – Pisces

Dans les quartiers :

(sous Aries)

(sous Libra)

(sous Geminis)

Saturnus
Iupiter
Mars
Sol
Venus
Mercurius
Luna

Tria semitonia
Semitonium
Semitonium
Tria semitonia tonus
Semitonium
Semitonium
Tonus

Polinia
Eutarpe
Eratho
Melpomene
Ptersicore
Calliope
Clio

Diagramme IV

  • 15 On peut trouver une reproduction de la roue de solmisation de ce manuscrit provenant de Lambach su (...)

14Sur le même feuillet 40v se trouve un second diagramme circulaire [fig. 2, infra] présentant quatre cercles concentriques découpés en seize quartiers. Associant la musique céleste et la musique vocale, il semble être unique dans tradition manuscrite. À la base, il représente une roue de solmisation comparable à celle, rare, qu’on peut trouver dans le manuscrit du xiie siècle Göttweig, Benediktinerstift, 53b, fol. 83v, originaire de l’abbaye de Lambach15, mais dans le cas du manuscrit de Venise, cette roue est complétée de plusieurs éléments.

15Le diagramme IV indique, dans la tradition de Guy d’Arezzo, la liste des degrés de l’échelle des sons de la gamme, de part et d’autre du cercle externe, de .Γ.ut à .dd.lasol. La suite des degrés les plus aigus (superacutae) se termine sur le cercle externe, et les sons bas et moyens (graves et acutae) se trouvent dans le premier cercle intérieur, en commençant par la cellule notée Γ.re. ut. On compte ainsi vingt-deux emplacements (dont les seize quartiers), qui peuvent correspondre avec la gamme guidonienne de vingt-et-une notes, auxquelles est ajouté ici un si bémol dans l’octave grave.

16Le diagramme représente les hexacordes, c’est-à-dire les groupes successifs d’intervalles ton – ton – demi-ton – ton – ton ; sept hexacordes sont ici figurés, totalisant presque trois octaves Γ-G, G-g, g-d (sans les trois notes de l’octave supérieur) ; il faut les lire en sens horlogique à partir du Γ à l’intérieur du premier cercle externe et terminer à l’extérieur. L’hexacorde dur commence le plus bas, sur Γ (sol grave), l’hexacorde naturel commence sur le C (do grave), l’hexacorde mou sur le F (fa grave). Seule manque alors la note « ut » qui devrait se trouver en bas du diagramme, dans le neuvième quartier (lire sol-ré-ut au lieu de sol-ré). On peut représenter ces hexacordes de la manière suivante, en lisant de bas en haut, les lettres des notes aiguës n’étant pas encore doublées dans la graphie du manuscrit :

dd

sol

do

cc

sol

fa

si bécarre

bb

mi

si bémol

bb

fa

la

aa

la

mi

sol

g

sol

ut (2e reprise hex. dur)

fa

f

fa

ut (reprise hex. mou)

mi

e

la

la

mi

d

sol

sol

do

c

fa

ut (reprise hex. naturel)

si bécarre

b

mi

si bémol

b

fa

la

a

la

mi

sol

G

sol

ut (reprise hex. dur)

fa

F

fa

ut (début hex mou)

mi

E

la

mi

D

sol

do

C

fa

ut (début hex. naturel)

si

B

mi

la

A

sol

Γ

ut (début hexacorde dur)

17Je n’ai pas pu déterminer la raison d’être des petites lettres noires, qui semblent représenter des lettres grecques (quartier 1, ligne 3 en partant de l’extérieur : e, f ; ligne 4 : o ; ligne 5 : s, τ, Γ, q, σ renversé ( ?) ; quartier 2, ligne 3 en partant de l’extérieur : Γ ; ligne 5 : p, ϛ ; quartier 3, ligne 5 : q ; quartier 4, ligne 5 : σ renversé ( ?) ; quartier 5, ligne 5 : r ou τ ; quartier 6, ligne 5 : ϛ. Il pourrait s’agir d’une notation qui représente les muances (mutationes) qui permettent de passer d’un hexacorde à l’autre.

18Les lettres A (en forme de Z)-B-C-D-G(pour E)-F-G-H-Z(pour I)-L-M-N-O en rouge dans le 3e cercle intérieur pourraient correspondre à la notation alphabétique de Boèce (De musica, IV, 14), mais dans ce cas elles seraient représentées d’une manière peu cohérente et avec des erreurs.

19Les notes formant une spirale à l’intérieur du diagramme donnent les intervalles fondamentaux. Cela semble indiquer que le diagramme est tardif, car il inclut, en plus du ton habituel (Γ-A, sol-la), le demi-ton semitonus (A-B, la-si bémol), le ditonus (Γ-B, tierce majeure sol-si naturel), le dyatessa[ron] (la quarte Γ-[C]), le dy[a]pente (Γ-[D], la quinte sol-ré), le dy[a] exa (la sixte, G-E, sol-mi), le dy[a]epta (la septième, G-F, sol-fa) et le dy[a] pason (Γ-G, l’octave sol-sol). On remarque que le copiste a oublié la tierce mineure, semiditonus. La désignation médiévale de ceci serait diapente cum tono et diapente cum semiditono. D’après A. Hicks, que je remercie de son aide dans l’interprétation de ce diagramme, même si les termes pourraient avoir été utilisés plus tôt, la première attestation de diahexa et de diahepta se trouverait seulement chez le Jésuite Anastasius Kircher… au xviie siècle !

Intervalles (dans le cercle intérieur)

tonus

Γ-A

ditonus

Γ-B

dyatessaron

Γ-<C>

dyapente

Γ-<D>

diapason

Γ-G

etc. les mêmes à l’octave

Diagramme V

  • 16 Citation de I. Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe, p. 258, n. 2, avec reproduction du diagram (...)

20Au fol. 41r figure le dernier diagramme [fig. 3, infra], assez courant. Lamboïde, il représente la partition de l’âme du monde, c’est-à-dire les diagrammes VII et VIII du Commentaire sur le Timée de Calcidius emboîtés, restructurés sous forme de lambda, quoiqu’il ne maintienne pas la forme pair/impair des diagrammes précédents. Il a bien circulé au-delà de son contexte originel et fut souvent intégré à partir du xie siècle dans les Commentarii de Macrobe : « Le diagramme du “nombre de l’âme du monde” est un lambdoïde départageant les progressions binaires II, IIII, VIII, placés sur la branche de gauche et les progressions ternaires III, VIIII, XXVII, sur celle de droite ; la combinaison des deux séries donne les rapports numériques constitutifs des consonances musicales, d’autant plus pures qu’elles sont plus proches de l’unité, à la pointe du lambdoïde : 2/1 (diapason), 3/2 (diapente), 4/3 diatessaron, 9/8 (tonus)16 ». Dans le cas du manuscrit de Venise, il faut noter l’intercalation de l’epogdoa à l’intérieur de l’epitriton (le diatessaron ou quarte, à gauche) et du sesqualter (rapport de ½ à 1).

  • 17 Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe, p. 258, n. 2.

21D’après Irène Caiazzo, la première insertion de diagrammes de Calcidius dans un Commentaire au Somnium Scipionis de Macrobe apparaît dans le manuscrit d’origine champenoise Paris, BnF, lat. 6371, fol. 12v, de la première moitié du xie siècle, puis se répand au xiie siècle17.

22Souvent, les diagrammes apparaissent ensemble, à l’exception du diagramme IV, le deuxième du fol. 40v, associant harmonie céleste et musique instrumentale.

23Quel peut être le contexte de copie de ces cinq diagrammes ? Ils se trouvent dans un manuscrit tout entier occupé par des textes astronomiques et cosmologiques, où figurent quelques annotations d’une main anglaise, qui a aussi tracé les diagrammes finals. Le possesseur du manuscrit dans la première moitié du xiiie siècle devait être à la fois un musicien et un connaisseur de l’astronomie et de l’astrologie, qui a possédé un manuscrit du Liber Nemrod précédé de neuf vers du De spera celi semblable au manuscrit de Venise, Marc. VIII. 22. Je gage qu’il s’agit de Richard de Fournival.

Fig. 1 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 40r

Fig. 1 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 40r

Diagrammes I (= diagramme IX du In Timaeum de Calcidius) et II (diagramme des planètes et symphoniae)

Fig. 2 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 40v

Fig. 2 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 40v

Diagrammes III et IV

Fig. 3 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 41r

Fig. 3 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 41r

Diagramme V

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Notes

1 Descriptions dans : J. Valentinelli, Bibliotheca Manuscripta ad S. Marci Venetiarum. Codices MSS. Latini, Venetiis, 1872, vol. IV, p. 255 ; P. McGurk, Catalogue of Astrological and Mythological Illuminated Manuscripts, vol. IV, London, The Warburg Institute, 1966, p. 84-85 ; D. Blume, M. Haffner et W. Metzger, Sternbilder des Mittelalters : Der gemalter Himmel zwischen Wissenschaft und Phantasie, I. 800-1200, t. I. 1, Text und Katalog der Hanschriften, Berlin, Akademie Verlag, 2012, no 62, p. 530-532, qui indique erronément « Oberitalien, Venedig ( ?), frühes 13. Jahrhundert ».

2 On en trouve une autre représentation dans le manuscrit St. Gallen, Stiftsbibl., Cod. Sang. 18, p. 43.

3 Cette constatation a été faite avec l’aide paléographique de Patricia Stirnemann, que je remercie vivement. On trouvera une description de ce manuscrit et de son contenu et une discussion sur sa datation dans : I. Draelants, « Le Liber Nemroth De astronomia : état des lieux et nouveaux indices », dans Revue d’histoire des textes, 2018 (à paraître).

4 J’ai bénéficié, pour réaliser cette description, de l’aide bienvenue de Christian Meyer, musicologue au CNRS, et d’Andrew Hicks, de la Cornell University, dont la thèse, en cours de publication, porte sur les traductions médiévales et les transformations de l’ancienne théorie harmonique grecque dans les traditions latine et arabo-perse.

5 Un volume sous presse dans la collection Micrologus’ Library est consacré à diverses contributions sur Richard de Fournival et les sciences ; il est édité par Ch. Lucken et J. Ducos.

6 P. Zambelli, « Da Aristotele a Abu Ma’shar, da Richard de Fournival a Guglielmo da Pastrengo », Physis, 15, 1973, p. 375-400 (qui affirme que la source du Speculum astronomiae devait être la Biblionomia elle-même) ; S. J. Livesey et R. Rouse, « Nimrod the Astronomer », Traditio, 37, 1981, p. 203-266, ici p. 248.

7 P. Zambelli, The Speculum Astronomiae and its Enigma, Dordrecht, 1992 (Boston Studies in the Philosophy of Science, 135), p. 212.

8 Éd. par R. Steglich, Die Quaestiones in musica. Ein Choraltraktat des zentralen Mittelalters und ihr mutmasslicher Verfasser Rudolf von St. Trond (1070-1138), Leipzig, Breitkopf & Hartel, 1911.

9 Signalés par M. Huglo, « Recherches sur la tradition des diagrammes de Calcidius », Scriptorium, 62, 2008, p. 185-230 ; B. Bakhouche, « Lectures médiévales de l’harmonie musicale de l’âme selon Platon (Timée 35b-36b) : l’influence de Calcidius », Revue de Musicologie, 98, 2012, p. 339-362 ; Ch. Meyer, « L’âme du monde dans la rationalité musicale, ou l’expérience sensible d’un ordre intelligible », Harmonia mundi : Musica mondana e musica celeste fra Antichità e Medioevo. Atti del convegno internazionale di studi (Roma, 14-15 dicembre 2005), éd. M. Cristiani, C. Panti et Gr. Perillo, Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2007, (Micrologus’ Library, 17), p. 74-75 et illustration 4 (qui ne connaissent pas ce manuscrit).

10 Ces occurrences ont été relevées par A. Hicks, Myth, and Metaphysics : Harmony in Twelfth-Century Cosmology and Natural Philosophy, Thèse de doctorat, University of Toronto, Centre of Medieval Studies, 2012, p. 177.

11 A. Hicks m’a indiqué les deux manuscrits de Paris et d’Oxford ainsi que les manuscrits comparables pour les autres diagrammes ; je lui exprime toute ma reconnaissance. Sur le ms. Paris, BnF, lat. 6370, voir B. Obrist, La cosmologie médiévale, I. Les fondements antiques. Textes et images, Florence, SISMEL-Edizioni del Galuzzo, 2004 (Micrologus’ Library, 11), p. 174.

12 I. Caiazzo, à qui j’ai signalé ce diagramme, connaissait la copie de Turin, reproduite dans le cahier d’illustrations non numéroté après la p. 96 dans ses Lectures médiévales de Macrobe. Les glosae colonienses super Macrobium, Paris, Vrin, 2002 (sur la même page est reproduit aussi le diagramme V présenté ci-dessous, qui se trouve aussi dans le manuscrit de Turin).

13 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre II, texte établi, traduit et commenté par J. Beaujeu, Paris, Les Belles Lettres, 1950, p. 36.

14 Voir Obrist, La cosmologie médiévale, p. 180 sq.; B. Eastwood, Ordering the Heavens. Roman Astronomy and Cosmology in the Carolingian Renaissance, Leiden, Brill, 2007 (Medieval and Early Modern Science, 8), p. 43 sq., sur le rôle de Dungal à ce propos; B. Eastwood et G. Grasshoff, Planetary Diagrams for Roman Astronomy in Medieval Europe, ca. 800-1500, Philadelphia, 2014 (Transactions of the American Philosophical Society, 94, 3), p. 49-53, sur les variations de ce diagramme zodiacal-planétaire chez Macrobe.

15 On peut trouver une reproduction de la roue de solmisation de ce manuscrit provenant de Lambach sur le site en ligne « Musicologie Médiévale », dans un billet posté par Dominique Gatté le 29 juin 2016.

16 Citation de I. Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe, p. 258, n. 2, avec reproduction du diagramme du ms. Torino, Biblioteca nazionale universitaria, D.V.38, fol. 50r dans le cahier d’illustrations non numéroté après la p. 96. Elle se réfère à M. Huglo, « La réception de Calcidius et des Commentarii de Macrobe à l’époque carolingienne », Scriptorium, 44, 1990, p. 3-20, ici p. 4. Voir Ead., « Harmonie et mathématique dans le cosmos du xiie siècle », Micrologus, 25, 2017, p. 121-147 (avec la reproduction du diagramme du ms. Torino à la p. 128 et commentaire p. 129).

17 Caiazzo, Lectures médiévales de Macrobe, p. 258, n. 2.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 40r
Légende Diagrammes I (= diagramme IX du In Timaeum de Calcidius) et II (diagramme des planètes et symphoniae)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/docannexe/image/14683/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 401k
Titre Fig. 2 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 40v
Légende Diagrammes III et IV
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/docannexe/image/14683/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 415k
Titre Fig. 3 – Ms. Venezia, Bibl. Marc., lat. VIII. 22 (2760), fol. 41r
Légende Diagramme V
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/docannexe/image/14683/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 441k
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Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Draelants, « Cinq diagrammes musicaux inédits dans le manuscrit Venezia, Bibl. Marciana, lat. VIII. 22 (2760) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 33 | 2017, 27-41.

Référence électronique

Isabelle Draelants, « Cinq diagrammes musicaux inédits dans le manuscrit Venezia, Bibl. Marciana, lat. VIII. 22 (2760) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 33 | 2017, mis en ligne le 16 août 2020, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14683 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14683

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Auteur

Isabelle Draelants

Institut de recherche et d’histoire des textes – UPR 841 du CNRS

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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