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2018

Religious Franks. Religion and Power in the Frankish Kingdoms. Studies in Honour of Mayke de Jong, éd. Rob Meens, Dorine van Espelo, Bram van den Hoven van Genderen, Janneke Raaijmakers, Irene van Renswoude et Carine van Rhijn

Marie-Céline Isaïa
Référence(s) :

Religious Franks. Religion and Power in the Frankish Kingdoms. Studies in Honour of Mayke de Jong, éd. Rob Meens, Dorine van Espelo, Bram van den Hoven van Genderen, Janneke Raaijmakers, Irene van Renswoude et Carine van Rhijn, Manchester, Manchester University Press, 2016, 559 p.

ISBN: 978-0-7190-9763-8

Texte intégral

1Dans quelle unité mesure-t-on la valeur de Mélanges ? Si c’est au nombre d’éditeurs, alors les Mélanges de Jong sont sans doute les meilleurs du genre. Et après tout, pourquoi pas, puisque c’est un témoignage éloquent sur l’esprit que Mayke de Jong a su créer autour d’elle, et pas seulement à Utrecht ; il y a là des savants habitués à travailler ensemble, une école que rendent visibles les multiples renvois d’un article à l’autre, hommage éloquent au professeur capable d’inspirer à tant d’élèves et de collègues le désir d’approfondir encore la composante religieuse du pouvoir politique durant le haut Moyen Âge. Les vingt-cinq contributions sont réparties entre les thèmes de prédilection de Mayke de Jong.

2Dans « Définitions religieuses et polémiques de l’autorité royale », Gerda Heydemann et Walter Pohl passent en revue toutes les utilisations de la citation de Pierre « Vous êtes le peuple choisi, le sacerdoce royal, la nation sainte » (I P 2, 9) pour montrer qu’elle n’est pas appliquée au peuple franc en un sens ethnique exclusif. Rutger Kramer remarque que Constantin est utilisé par les deux camps que la controverse adoptianiste oppose : Élipand met Charlemagne en garde de finir comme Constantin, c’est-à-dire dans l’hérésie d’Arius ; Charlemagne lui répond qu’il a (comme Constantin) réuni un concile pour mettre un terme à l’hérésie. Janneke Raajmakers et Irene van Renswoude complètent le propos : ce n’est pas Constantin, mais Récarède qui peut servir de modèle à l’action de Charlemagne, puisque Grégoire de Tours en parle comme d’un arbiter, un juge qui départage entre la confession catholique et la confession homéenne. Bart Jaski examine dans le Psautier dit d’Utrecht, créé à Reims, la représentation d’un chef en regard des psaumes 13 et 52, qui tient son épée à plat sur ses genoux : tant le dialogue avec le texte que la tradition iconographique confirment qu’il s’agit d’une représentation du mauvais prince, celui qui commande violence et injustice, mais aussi le mauvais prince par excellence qu’est l’Antichrist.

3Le deuxième thème est celui de « la correctio » ou gouvernement par la réforme. Ian Wood plaide pour qu’on ne fasse pas confiance aux accents dramatiques de l’hagiographie colombanienne pour évaluer l’état de l’Église mérovingienne : l’appartenance au camp colombanien est un critère ajouté a posteriori, jamais pertinent pour rendre compte de ses lignes de partage réelles. Marco Mostert demande qu’on applique à l’Admonitio generalis la prudence qui s’impose avec tous les textes de la Renaissance carolingienne, et qu’on ne s’étonne pas si un document officiel, transmis avec l’autorité de Charlemagne dans un processus réglé de copie et de proclamations orales, contient des variantes nombreuses qui en altèrent le sens. Ces variantes ne sont pas les fautes de demi-savants, mais l’expression même de la compétence des meilleurs scribes qui sont persuadés que leur intervention sur ces textes est légitime (dont acte ; sans que cela explique qu’on puisse écrire emendatos à la place d’inemendatos, c’est-à-dire s’alarmer que certains « prient de travers à cause de livres corrigés » !). Els Rose compare les corrections apportées aux sacramentaires de Bobbio et de Prague : il ne s’agit pas en majorité de corrections de grammaire ni de syntaxe, mais d’adaptations du sens, par un scribe qui est aussi le prêtre qui se sert du sacramentaire et veut qu’il soit efficace (Bobbio), ou par une équipe de scribes qui travaille dans une bibliothèque et corrige d’après d’autres modèles (Prague). Dans les deux cas, la correctio n’est pas un travail formel, elle cherche la cohérence avec l’autorité de la tradition et les buts de la liturgie. Yitzhak Hen explique pourquoi Alcuin a envoyé entre 800 et 804 deux textes rares et apocryphes réunis en cadeau à Charlemagne, soit un échange de lettres entre Alexandre le Grand et le roi des Brahmans (Collatio Alexandri et Dindimi) et la correspondance de saint Paul avec Sénèque (Epistulae Senecae ad Paulum et Pauli ad Senecam) : les deux textes sont rassurants pour le nouvel empereur puisqu’ils affirment que la modération et l’humilité (plus que les exploits ascétiques par exemple) sont les critères selon lesquels on peut juger le grand homme. Carine van Rhijn poursuit ses travaux sur la formation des prêtres ruraux en éditant sous le titre Dic mihi pro quid l’un des minuscules questionnaires des années 780-820 qui servent soit à l’examen réel des prêtres, soit à la remémoration pédagogique de leurs connaissances fondamentales. Elle en conclut avec Susan Keefe que l’uniforme insistance des Carolingiens sur la correcte célébration du baptême n’impose pas une uniformisation littérale des rituels. Robert Flierman, après Y. Hen, donne les raisons qu’il a de penser que le premier capitulaire saxon réagit à la révolte de 792 : sa date tardive (ca. 795 ?) devrait empêcher d’y voir un texte destiné à convertir les Saxons païens par la force ; il s’agit de la norme à appliquer à des chrétiens infidèles, d’où le recours au vocabulaire vétéro-testamentaire de la loi mosaïque – morte moriatur, qu’il soit mis à mort – et non au seul vocabulaire du droit royal. Maximilian Diesenberger lit dans le sermon d’Ambroise Autpert De cupiditate des reproches si vifs à l’égard de l’aristocratie lombarde qu’ils expliquent en partie qu’Autpert ait été démis comme abbé du Vulturne et n’ait pas reçu le soutien de la cour carolingienne en 778 – le discours d’admonition doit rester dans les limites précises que le contexte autorise. Mariken Teeuwen regarde les marges des manuscrits Paris, BnF lat 8658A (Lettres à Lucilius), Bern, BurgerBib. 344 (Florus de Lyon sur l’Apôtre), Paris, BnF lat 2858 (Lettres de Loup de Ferrières) et constate que les notes marginales dans les manuscrits carolingiens témoignent de toute la gamme de l’activité intellectuelle : elles commentent et corrigent, confirment et complètent, utiles tant pour l’annotateur que pour ses lecteurs et élèves.

  • 1 La démonstration avait été faite par K. Gibson, « La vie monastique dans les Vies de saint Gall réé (...)

4Le troisième thème est celui des monastères, lieux de vie religieuse et de culture. Albrecht Diem explique qu’entre la Règle bénédictine promue comme norme absolue et son application réelle, il y a une telle distance que les Carolingiens ont eu recours à quatre médiations, ou traductions, soit l’exégèse appliquée à la Règle comme à la Bible, la lecture sélective (ou plutôt allusive : on peut renvoyer à la Règle par un regulariter qui n’entre pas dans les détails), la réification (où le codex de la Règle fonctionne comme objet sacralisant l’idée de Règle plutôt que comme code de référence réellement compulsé) et l’incarnation (des saints sont des Règles incarnées, notamment Benoît d’Aniane selon Ardon-Smaragde ou Gall pour Walafrid comme pour Wetti1). Régine Le Jan utilise le concept de coopétition pour comprendre les listes de noms du livre de confraternité de Reichenau : le monastère serait un outil pour engager les élites, fussent-elles rivales à la cour ou localement, à créer des liens de confiance suffisants pour qu’elles puissent coopérer pour le bien de l’empire. Reichenau est une place centrale évidente pour étudier ce phénomène puisque l’abbaye entretient des liens vitaux avec les Agilolfinger qu’elle connecte avec les Carolingiens (Swanahilde) et avec tous les puissants d’Alémanie qui résistent à l’ascension politique de Judith et des Welf. Sven Meeder réfute subtilement quelques évidences : la promotion de la Règle bénédictine sous Charlemagne n’implique pas l’adoption automatique des usages du Mont-Cassin comme références normatives. Il y a un apogée de l’assimilation idéologique entre saint Benoît et sa fondation sous l’abbé Théodemar au cours des années 780, à un moment où le Mont-Cassin a choisi en Italie l’alliance carolingienne ; mais dès que le duché de Bénévent reprend son indépendance (791) et place un allié comme abbé du Mont-Cassin (Gisulf, 796), les Francs se tournent vers d’autres sources (Aniane, Inden, Rome) pour connaître la vérité du monachisme bénédictin. Erik Goosmann et Rob Meens s’étonnent de trouver dans la Chronique de Réginon de Prüm une longue anecdote sur le comportement édifiant de Carloman, le prince devenu moine au Mont-Cassin. Par rapport à la trame des Annales royales, l’ajout révèle l’importance de la réflexion sur le bon comportement royal chez Réginon, qui oppose à Carloman la figure de Lothaire II, anti-moine incontinent, menteur et rebelle à l’Église.

  • 2 G. Vocino, « Framing Ambrose in the Resources of the Past : the Late Antique and Early Medieval Sou (...)

5Dans la partie consacrée aux évêques, David Ganz décrit méticuleusement l’évangéliaire auj. Durham, Bibliothèque cathédrale, A II 16, du VIIIe siècle ; l’écriture semi-onciale des quatre scribes n’impose pas l’origine insulaire qu’on a dite, ou du moins pas une provenance de Wearmouth-Jarrow. David Ganz relève les indications marginales de lectures : elles correspondent aux usages gallicans, et sont adaptées à une Église épiscopale, d’où la suggestion d’un rapprochement avec Wilfrid, élève d’Ennemond évêque de Lyon, qui serait l’importateur en Northumbrie d’une liturgie gallicane ouverte aux influences romaines. Giorgia Vocino élargit ce qu’elle a observé à propos de la réécriture hagiographique dont bénéficie Ambroise à Milan2 au cas de Grégoire le Grand, dont Jean Hymmonides réécrit la Vie à peu près dans le même contexte : il y a promotion contemporaine d’évêques de l’Antiquité tardive remarqués pour leurs compétences rhétoriques et leur franchise. Jinty Nelson part du constat que 1000 désignations d’évêques ont eu lieu sous Charlemagne : il est évident que le roi n’a prêté attention qu’à une petite minorité d’entre elles, et que l’immense majorité des évêques émane des pouvoirs locaux – il n’y a aucune autre homogénéité ni a fortiori d’esprit de corps dans l’épiscopat avant que l’empereur ne s’adresse vigoureusement aux évêques comme corps constitué à partir de 802, faisant du collège épiscopal le relais des grandes réformes de la fin du règne – « l’entrée en scène de l’épiscopat » de ce point de vue est une construction du règne de Charlemagne. Philippe Depreux invite à regarder le manuscrit Wolfenbüttel, Blankenburg 130, seule collection de capitulaires à transmettre la liste des capitula soumis par les évêques à Louis le Pieux en 822. Il suggère que ce manuscrit est la reproduction en Italie des dossiers de travail d’un homme présent à Attigny qui aurait embrassé ensuite le parti de Lothaire (Agobard de Lyon ? Wala par l’intermédiaire d’Adalard ?). Stefan Esders et Steffen Patzold commentent la présence d’un extrait de droit romain dans la collection d’Anségise : la mesure est tirée, via l’Epitome Iuliani, de la législation de Justinien qui fait de l’empereur le premier responsable des biens d’Église et lui donne le droit de les échanger. La circulation de l’Epitome Iuliani montre que c’est dans l’entourage le plus proche de Louis le Pieux que l’intérêt de ces lois a été reconnu – en témoigne un manuscrit à rapprocher de Ratold de Vérone, auj. Leipzig, Univ. Hänel 8+9 – et que la question de l’intervention privilégiée de l’empereur est d’actualité dès les années 820, peut-être parce qu’une exceptionnelle succession de mauvaises récoltes provoque alors des famines extrêmes. Bram van den Hoven van Genderen pointe la Passion de Frédéric d’Utrecht comme un exemple au début du XIe siècle de relecture de la crise des années 828-835 et de la survie de l’idéal carolingien de réforme de l’Église.

6Dans la dernière partie consacrée aux relations entre le monde franc et Rome, Julia M. H. Smith suit l’apparition dans un diplôme de Pépin III en faveur de Prüm (762) d’une relique des sandales du Christ. Comme Prüm, fondée en 721 par Pépin III et Bertrade, a été comme refondée par le nouveau couple royal en mai 752, date à laquelle l’église a reçu le nouveau titre de Saint-Sauveur – hommage à la basilique pontificale du Latran –, J. M. H. Smith se demande si ce n’est pas à l’occasion de la venue d’Étienne II en 751 à Ponthion qu’une paire de chaussures d’apparat, à la mode byzantine, aurait été offerte par le pape au futur roi, puis donnée par Pépin à Prüm. Devenues « sandales [du vicaire] du Christ », elles auraient été remises comme des reliques insignes par Louis le Pieux à Étienne IV en 816, et intégrées dans le trésor des reliques du Latran. Dorine van Espelo sait que le Codex carolinus créé en 791 n’est pas conservé sous sa forme originelle, mais par une copie colonaise, auj. Codex Vindobonensis 449 de la deuxième moitié du IXe siècle : elle retrace donc la crise marquée à Cologne par l’excommunication de l’archevêque Gunther – un des effets collatéraux du divorce de Lothaire II – puis par l’élection de son successeur Willibert avec la faveur du roi Louis le Germanique. Le règne de ce dernier, qui se présente dans les Annales de Xanten comme le seul Carolingien digne de l’héritage de Charlemagne, serait le bon contexte pour qu’un archevêque de Cologne (Willibert ?) cherche à faire valoir les excellentes relations des Carolingiens avec Rome. Tom Noble plaide pour une compréhension globale de l’action de Nicolas Ier : le pape n’intervient dans les affaires franques (Rothade de Soissons, divorce de Lothaire, valeur des ordinations d’Ebbon de Reims, etc.) qu’à partir du moment où l’on fait appel à Rome. Il agit alors sans légalisme mais convaincu d’être investi par Dieu d’un ministère au service de l’unité de l’Église.

7Le volume, uniquement en anglais, est complété par une abondante bibliographie et un index et servira de référence pour tous les amateurs de haut Moyen Âge occidental dans les années à venir.

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Notes

1 La démonstration avait été faite par K. Gibson, « La vie monastique dans les Vies de saint Gall réécrites au IXe siècle », Normes et hagiographie, Turnhout, 2014, p. 329-343.

2 G. Vocino, « Framing Ambrose in the Resources of the Past : the Late Antique and Early Medieval Sources for a Carolingian Portrait of Ambrose », The Resources of the Past in Early Medieval Europe, éd. Clemens Gantner, Rosamond McKitterick et Sven Meeder, Cambridge, 2015, p. 135-151.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Céline Isaïa, « Religious Franks. Religion and Power in the Frankish Kingdoms. Studies in Honour of Mayke de Jong, éd. Rob Meens, Dorine van Espelo, Bram van den Hoven van Genderen, Janneke Raaijmakers, Irene van Renswoude et Carine van Rhijn »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 26 mars 2018, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14223 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14223

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Marie-Céline Isaïa

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