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2017

Francis Dubost, La Merveille médiévale

Myriam White-Le Goff
Référence(s) :

Francis Dubost, La Merveille médiévale, Paris, Champion (« Essais sur le Moyen Âge » 60), 2016, 451 p.

ISBN 978-2-7453-3051-2

Texte intégral

1Le volume regroupe quinze articles, jusque là dispersés, autour du terme clé médiéval de « merveille », dont la substance est au cœur des recherches de Francis Dubost depuis toujours. Les textes ont été peu ou pas retouchés, si ce n’est pour quelques ajouts ou modifications marginales. L’auteur propose en outre, dès l’avant-propos, trois perspectives à développer par la suite : explorer davantage les productions du Moyen Âge tardif, en français ou dans d’autres langues romanes, « affiner le concept de fantastique », « repenser le concept de merveille en relation avec la problématique médiévale des causes et de leur hiérarchie » (p. 16). L’un des mouvements qui orientent ces articles les uns vis-à-vis des autres est celui de « l’appel de sens » (p. 17) qui les rend éminemment stimulants, toujours finalement neufs à la lecture pour les perspectives qu’ils ouvrent à chaque fois.

2Je ne commenterai pas ici l’ensemble des textes dans le détail, mais en rappellerai au moins les titres. La première section est consacrée à l’articulation entre « merveilleux et fantastique ». Le volume s’ouvre avec « La pensée de l’impensable dans la fiction médiévale », c’est-à-dire avec l’une des questions essentielles, définitoires et singulières de la pensée médiévale. « La pensée de la merveille s’inscrit dans les cadres généraux de la pensée médiévale, qui est une pensée à double articulation référentielle à l’image du couple fides/ratio sous-jacent à l’ensemble du débat autour des modes de pensée. Cette dualité est lisible partout, mais s’exprime plus nettement lorsqu’il s’agit de penser la merveille dans son rapport au surnaturel » (p. 30). « Le texte médiéval fonctionne donc beaucoup plus comme système de signes que comme système de représentation. En tant que système de signes, il s’accommode fort bien de situations topiques dans lesquelles la conquête (ou la reconquête) du Haut impose d’affronter quelque merveille. C’est encore un mode de pensée qui s’est fixé en structure narrative, selon un modèle qui n’a plus à se penser. Car qu’est-ce qu’un mode d’écriture, sinon une pensée qui ne se pense plus, suspendue à une pensée qui se pense ? » (p. 39) C’est d’ailleurs à la suite de ce constat que Francis Dubost rappelle les « ressources infinies de l’analogie » (p. 40). Le deuxième article s’intitule « Merveilleux, fantastique et ironie dans Le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes ». Il est comme toujours très riche et convaincant, notamment dans la partie consacrée à l’homme sauvage : « Après s’être dégagé de l’emploi du ‘grotesque’, que lui assignait le portrait parodique qui masquait sa véritable nature, l’homme sauvage va tourner en dérision le mythe de ‘l’inaltérable altérité de l’Autre’ » (p. 68). Le troisième article est consacré à « Merlin, la merveille et le roman » : on y fait la part entre merveilles occupant une place « verticale » dans l’espace imaginaire, liées au surnaturel, et merveilles occupant une place « horizontale », qui « n’engagent aucune transcendance » et « relèvent en fait des différentes expressions de la nature humaine en tant qu’elle est nature désirante » (p. 79). « Mise en évidence par le registre objectif, la merveille sans merveilleux n’engage que l’homme, l’homme livré à ses passions, saisi dans son héroïsme et ses défaillances, dans les extrémités où le désir le porte, dans les décisions criminelles auxquelles peut le conduire l’exercice du pouvoir, dans l’enchaînement des catastrophes dont la mescheance l’accable. Oubliant Dieu, mesure, sagesse, prodomie, l’homme devient ‘merveille’ par trop de complaisance à son humanité » (p. 79). Le quatrième article porte sur la « naissance du concept », « Quelque chose que l’on serait tenté d’appeler le fantastique… ». Il reprend l’approche historique, en s’appuyant notamment sur l’apport de Franz Hellens à la conception du fantastique, du côté des « réalités spirituelles » (p. 106). Il articule le fantastique avec les catégories du surnaturel puis explique « l’appropriation du concept par les médiévistes » (p. 113), notamment autour de la question de la causalité. Ce qui ouvre la voie au cinquième article, « Fantastique médiéval : esquisse d’une problématique », qui prend ses distances avec la définition traditionnelle du fantastique et, pour reprendre l’une des idées essentielles de Francis Dubost, le bien-fondé de l’évocation d’un fantastique médiéval. Le fantastique médiéval mêle des « thèmes d’effroi » et une « poétique de l’incertain » (p. 134) : « incertitude référentielle » (p. 134), « narration heuristique » (p. 137)… Ce fantastique médiéval est vaste et perçu de manière profonde et ambitieuse : il « est étroitement lié à la merveille, et la merveille elle-même est le produit d’une pensée duelle qui admet un double système de références au monde naturel et au monde surnaturel. Les sujets porteurs de fantastique correspondent aux grandes problématiques qui nourrissent la pensée chrétienne. Traiter du fantastique médiéval nous renvoie ainsi aux rapports que l’homme entretient avec la transcendance, à la réflexion sur l’être, sur la nature, sur l’événement et sur la causalité » (p. 142). Le sixième article aborde certaines de ces questions, au moins, en s’intéressant à « La vie paradoxale : la mort vivante et l’imaginaire fantastique au Moyen Âge », autour de la résurrection, de la renaissance, de la vie utérine…

3La deuxième section est consacrée aux « thèmes et motifs ». Le premier article s’intitule : « Tel cuide bien faire qui faut » et traite du « ‘beau jeu’ de Renaut avec le merveilleux » dans une approche ludique du Bel Inconnu. Le deuxième et le troisième article s’intéressent aux lais : aux « motifs merveilleux dans les Lais de Marie de France » puis à « Yonec, le vengeur, et Tydorel, le veilleur », deux descendants d’unions entre un être humain et un être surnaturel. Le quatrième article observe « Trois géants, trois époques, un ‘roman’. Le géant poseur d’énigmes, le géant de Cornouailles et Taulas de la Montagne dans le Tristan en prose ». Le cinquième article évoque « Quelques chevaux extraordinaires dans le récit médiéval : esquisse d’une configuration imaginaire ». « L’imaginaire a travaillé dans deux directions opposées. Par rapport à un seuil dont l’homme formerait la référence essentielle, le cheval a été imaginé tantôt en rapprochement de ce seuil, tantôt en éloignement » (p. 292) : compagnonnage, complicité, adversité… d’animaux familiers mais aussi de chevaux cornus, ailés, marins… On reste dans le domaine animalier avec le sixième article, « Les Merveilles du cerf : miracles, métamorphoses, médiations », où l’on distingue, notamment, « la médiation sacrée de la médiation féerique, même si dans les deux cas le même animal, affecté de la même couleur, est utilisé comme support figuratif » (p. 319). Le cerf mène droit à « Merlin ou la métamorphose de la substance impure », sujet du septième article, puis à Arthur, « Mescheance, merveille, mort dans La Mort le roi Artu : recherche sur un champ associatif », objet du huitième article. Le volume se clôt sur « La ‘merveille des merveilles’ : d’un Graal à l’autre » : « À la littérature du désir véhiculée par le roman arthurien, […] les proses du Graal répondent par de saintes fictions » (p. 393). Un répertoire des notions, thèmes et motifs, un index des noms propres et des œuvres et des auteurs sont fort utiles à l’utilisation du volume et à la mise en perspective des différents articles. Ils en soulignent à la fois la profondeur et l’acuité en croisant les modes de lecture. Même les articles les plus anciens sont novateurs.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Myriam White-Le Goff, « Francis Dubost, La Merveille médiévale  »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 11 juin 2017, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14146 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14146

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