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2017

Autour des Cent Nouvelles nouvelles, sources et rayonnements, contextes et interprétations, textes édités par Jean Devaux et Alexandra Vélissariou

Estelle Doudet
Référence(s) :

Autour des Cent Nouvelles nouvelles, sources et rayonnements, contextes et interprétations, textes édités par Jean Devaux et Alexandra Vélissariou, Paris, Champion (« Bibliothèque du XVe siècle » 81), 2016, 318 p.

ISBN 978-2-7453-3016-1

Texte intégral

1L’année 2011 a été faste pour l’un des plus importants recueils de contes d’expression française du Moyen Âge, Les Cent Nouvelles nouvelles. Deux colloques lui ont été successivement consacrés : à Glasgow, lieu de conservation du manuscrit de référence Hunter 252, ont été interrogés sur nouveaux frais les aspects codicologiques et la transmission textuelle de l’ouvrage ; à Dunkerque, ont été posés les problèmes interprétatifs qu’il continue à soulever. Le présent volume, actes du colloque dunkerquois, se caractérise d’emblée par deux traits assez originaux. Il entrecroise des synthèses de recherches lancées il y a plusieurs décennies par d’éminents spécialistes français, tels que Roger Dubuis et Jean Dufournet (qui a livré ici l’une de ses dernières publications et auquel le volume rend hommage) et de nouvelles lectures proposées par de jeunes chercheurs internationaux. En outre, les analyses des historiens de la littérature sont complétées en fin d’ouvrage par l’interprétation, au sens artistique du terme, que livre des Cent Nouvelles nouvelles le conteur Claude Mastre. Joignant réflexion sur la remise en voix du recueil et proposition de quatre courts récits inspirés de lui, le récitant professionnel met en valeur la richesse de ce patrimoine vivant.

2L’introduction du volume ne livre pas d’organisation claire des pages qui suivent, mais la conclusion de Danièle Quéruel en résume les principales perspectives, au demeurant assez nettes à la lecture.

3La première piste consiste à explorer le champ socio-culturel au sein duquel le recueil a émergé. Son époque de réalisation, ces décennies du XVe siècle que Jean Dufournet a autrefois labellisées « génération Louis XI », est précisée par Jelle Koopmans. Il fait apparaître comment un espace social, la cour de Bourgogne, a pu être infléchi par une « infrastructurelle » plus vaste, celle de la culture joyeuse et des modes de sociabilité ludique qu’elle génère aux XVe et XVIe siècles. Mais si la société de cour partage l’appétence pour les jeux d’esprit, l’humour et les performances parodiques qu’illustrent, à la même époque, divers milieux urbains, elle met également en tension cette culture avec un constant souci de légitimation morale, fondée sur la portée potentiellement exemplaire des nouvelles, comme le montre Jean Devaux.

4Ces tensions traversent un recueil dont l’organisation n’a pas encore livré tous ses mystères. Aussi est-ce la seconde perspective étudiée. Plusieurs contributions sont consacrées à la place de certaines nouvelles : les premières, dont la ruse inaugurale est soulignée par Brindusa Grigoriu ; et surtout les dernières, qui imposent à l’ensemble une fin sans fin énigmatique. Si Roger Dubuis rappelle les thématiques de la nouvelle notée 99 ou 100 selon les manuscrits, Nelly Labère s’attache à explorer les enjeux structurels de cette curieuse oscillation, à travers une lecture décapante inspirée par Deleuze et Guattari. Envisager les cent épisodes du recueil à la manière de mille plateaux n’a pourtant rien d’un anachronisme périlleux, puisqu’à cette lumière se révèle une organisation qui fait jouer ensemble lignes de force (retour de personnages, de motifs) et lignes de fuite (brouillage des sens, ambiguïté des interprétations).

5La troisième orientation des études est un peu plus attendue car thématique. Néanmoins les trois principaux motifs analysés permettent de problématiser le fonctionnement des Cent Nouvelles nouvelles. La circulation des valeurs et des marchandises est illustrée par Cristina Azuela à travers les thèmes de l’argent et du commerce. David La Guardia se penche sur les identités genrées, la masculinité et la féminité, que bien des nouvelles posent pour mieux les brouiller. Enfin les relations complexes qu’entretiennent le corps et le verbe attirent l’attention de Luca Pierdominici, qui propose une stimulante réflexion sur les formes d’incarnation mises en scène dans l’ouvrage, et de Tovi Bibring, qui étudie le lien de cause à effet existant entre le (bon) mot et la chose dans la nouvelle 64. Ces études éclairent le langage des Cent Nouvelles nouvelles et sont prolongées par les analyses linguistiques de Geoffrey Roger et stylistiques d’Evelio Miñano Martinez, notamment sur la délicate question de l’ironie.

6La quatrième perspective retrace le rayonnement des Cent Nouvelles nouvelles jusqu’à aujourd’hui. S’il fut une importante source d’inspiration pour des écrivains aussi variés que Philippe de Vigneulles au XVe siècle (Hisara Kondo), Bonaventure des Périers au XVIe siècle (Madeleine Jeay) et Jean de La Fontaine au XVIIe siècle (Mathieu Bermann), tous habiles ciseleurs de récits brefs, le recueil bourguignon connut aussi des réceptions plus politiques. L’enquête menée par Alexandra Vélissariou sur les paratextes du chef-d’œuvre septentrional révèle ainsi sa rapide intégration dans le patrimoine littéraire du royaume de France, via la légende d’un Dauphin Louis, futur Louis XI, qui aurait été le véritable concepteur des Cent nouvelles nouvelles. Bouclage d’une boucle avec l’hypothèse de la « génération Louis XI » rappelée par Jean Dufournet au début de l’ouvrage ? Quoi qu’il en soit, mêlant retours réflexifs, lectures transversales et ouvertures interprétatives, ces actes contribuent sans aucun doute à l’exploration toujours en cours des Cent Nouvelles nouvelles.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Estelle Doudet, « Autour des Cent Nouvelles nouvelles, sources et rayonnements, contextes et interprétations, textes édités par Jean Devaux et Alexandra Vélissariou  »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 11 juin 2017, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14144 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14144

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Auteur

Estelle Doudet

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