Les Neapolitaines de François d’Amboise, deux textes pour le prix d’un
Résumés
Les Neapolitaines, Comedie Françoise facétieuse publiée par François d’Amboise en 1584 présente une originalité : une nouvelle racontant la même histoire précède la pièce. L’analyse de cette bizarrerie éditoriale et de son contexte de publication nous éclairent sur la manière dont la comédie et la narration facétieuse ont été perçus à l’époque : divertissement humaniste relativement bien implanté ou, au contraire, texte nouveau et d’importation étrangère cherchant sa voie
Texte intégral
- 1 François d’Amboise, Les Neapolitaines, Comedie Françoise [fort] Facecieuse. Sur le subject d’une H (...)
- 2 Aucune mention dans l’édition Dante Ughetti (François d’Amboise, Œuvres complètes, Edizioni Scient (...)
- 3 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Sommaire de ceste histoire Comique », fol. 4r -13r.
- 4 Voir l’Eugene (1574) de Jodelle ; La Reconnue (1578) de Rémy Belleau ; Le Muet insensé (1576) et l (...)
- 5 Voir La Tresoriere et Les Ebahis (1561) de Jacques Grévin ; Les Corrivaus (1573) de Jean de La Tai (...)
- 6 Voir Les Six premieres comedies facecieuses de Pierre de Larivey […] (Paris, A. Langelier, 1579) e (...)
1Pour cerner les relations qu’entretiennent le théâtre comique et la facétie à la Renaissance, je me suis proposé d’étudier la comédie des Neapolitaines de François d’Amboise1 qui possède une originalité passée jusque-là inaperçue2 : elle est publiée conjointement à une « histoire » ou « nouvelle » située entre la « Preface » et le « Prologue3 ». Il s’agit, semble-t-il, du seul exemple connu d’association d’une comédie et d’un récit facétieux. Pourtant, à l’exception des Contens d’Odet de Turnèbe (Paris, Felix le Mangnier, 1584), les comédies ne sont jamais publiées seules au xvie siècle, mais bien en recueil, associées à de la poésie4, à des tragédies5 ou à d’autres comédies6. Le contexte de publication de la comédie humaniste est bel et bien le recueil, mais le recueil disparate, car on ne constate jamais de relation entre la comédie et les œuvres qui l’accompagnent. Pas de recueils thématiques ou génériques, sauf chez Larivey qui groupe ses comédies pour les publier. Les Neapolitaines font donc figure d’exception puisque narration et comédie y sont intimement liées.
- 7 Voir l’Erotopegnie, ou Passetemps d’amour. Ensemble une Comedie du Muet insensé. Par Pierre Le Loy (...)
- 8 Comme La Reconnue de Remy Belleau, dans les Odes d’Anacreon […] Avec quelques petites Hymnes de so (...)
- 9 C’est le cas de La Tresoriere et des Ebahis de Jacques Grévin, dans Le theatre de Jacques Grevin, (...)
2En les examinant de plus près, on s’aperçoit que les comédies humanistes sont en retrait dans leur recueil. Il n’y en a pas, en dehors des Neapolitaines, qui soient en quelque sorte « en tête d’affiche » sur la page de titre du volume. Lorsqu’elles apparaissent tout de même au titre, elles ne sont jamais en première position, comme chez Pierre Le Loyer par exemple7. Parfois, elles n’ont droit qu’à une simple mention générique : « Ensemble une comedie8 », mais le plus souvent, elles sont totalement absentes du titre du recueil9. La comédie est au xvie siècle un genre nouveau qu’il semble difficile de vendre, les libraires (ou les auteurs) attendant le prétexte d’un recueil pour les écouler. Et une fois couchés sur le papier, ces textes ne valent pas même la peine d’une mention en page de titre. La comédie n’est pas vendeuse, du moins sous sa forme imprimée. Elle souffre de toute évidence d’un fort déficit de légitimité.
- 10 Amboise, Les Neapolitaines, fol. 4r.
- 11 Voir La Croix du Maine, Premier volume de la Bibliotheque du sieur de la Croix du Maine, Paris, Ab (...)
- 12 À noter également que le libraire l’Angelier n’exclut pas ce genre de textes de sa politique édito (...)
- 13 Amboise, Les Neapolitaines, fol. 4r.
3Le cas des Neapolitaines semble donc là encore une originalité qui prend le contre-pied de tout ce qui s’est fait jusque-là puisque la pièce est en « tête d’affiche », accompagnée d’un texte secondaire, au statut flou et qui n’a pas les honneurs de la page de titre. On apprend que ce texte secondaire est extrait d’un recueil écrit par l’auteur : « Parmi plusieurs histoires facétieuses qui sont plus au long recueillies en mon livre des Amours Comiques10 ». Quel est ce recueil d’histoires facétieuses ? Personne ne le sait, car on n’en trouve aujourd’hui aucune trace. Il est bien mentionné par le bibliographe La Croix du Maine, mais celui-ci n’en sait pas plus que nous11. Étonnant, lui qui publie sa Bibliotheque françoise la même année et chez le même libraire que d’Amboise12 ! C’est que manifestement ce recueil n’a jamais été publié, puisque nous découvrons que l’histoire sera trouvée « fort nouvelle13 ».
- 14 Voir supra la première note de l’article.
- 15 Ibid.
- 16 De loin en loin, on trouve au cours de l’histoire, des rappels de sa fonction de résumé de la comé (...)
- 17 Amboise, Les Neapolitaines, fol. 4r.
4Que nous apprend le texte des Neapolitaines sur cette « Histoire comique » ? Le mot « Histoire » tout d’abord prend une majuscule en page de titre14 pour bien signifier qu’il s’agit d’un terme générique. Nous sommes en présence d’une narration facétieuse, mais celle-ci n’a pas de titre à proprement parler puisqu’elle n’est qualifiée, dans son titre propre, que de « Sommaire de ceste histoire Comique ». Un peu plus loin nous apprenons que cette histoire n’est en réalité que « sommairement decrite15 ». Nous ne serions donc qu’en présence du résumé d’une histoire d’un recueil constituant l’argument de la comédie16. Enfin, cette histoire-résumé serait tout de même à prendre comme une œuvre puisque l’auteur affirme qu’elle « merite estre entendue » et sera trouvée fort « recreative17 ».
- 18 Le Negromant de la Taille, La Tresoriere et Les Esbahis de Grévin, L’Eugene de Jodelle, Les Escoli (...)
- 19 Voir La Taille, Les Corrivaus, dans La Famine, ou les Gabeonites […], fol. 65r-67v ou Le Loyer, Le (...)
- 20 La Nephelococugie de Le Loyer possède un « Argument par acrostiche » de huit vers (Les œuvres et m (...)
- 21 Ramené en nombre de caractères (la comparaison narration-théâtre étant rendue difficile par la rép (...)
5Qu’en est-il de la présence de résumé / argument dans les comédies de l’époque ? Il y a différents cas de figure. Certaines n’en contiennent aucun18 ou l’ont intégré à un « prologue19 ». Trois seulement présentent un argument autonome20. On peut donc conclure que la présence d’un véritable argument est rare et, surtout, qu’on ne trouve rien qui approche le développement énorme de celui des Neapolitaines qui s’étend sur 19 pages, correspondant à environ 20 % de la taille de la pièce21. Éditorialement parlant, cela représente un investissement en caractères et en papier pour l’imprimeur. Deux éléments au coût important, on le sait, dans la production d’un livre au xvie siècle.
6Autre véritable originalité, cet argument n’est pas le résumé exact de la comédie. Car sa narration se déroule sur une longue durée (plusieurs années) alors que la pièce est restreinte à un temps très court (une journée). Cet usage de la longue durée est une spécificité de la fiction narrative. Grâce à elle, nous apprenons ce qui est arrivé aux personnages plusieurs années avant qu’ils n’entrent en scène, nous apprenons même les tribulations d’un personnage, Alfonce, qui meurt avant le début de la comédie. Par ailleurs, il n’y a pas de surprise sur le statut des deux Napolitaines, car très vite nous savons qu’Angélique n’est pas la mère de Virginie, ce qui fait s’écrouler en partie le coup de théâtre final de la pièce.
- 22 Voir E. L. N. Viollet-le-Duc (éd.), Ancien théatre [sic] françois ou Collection des ouvrages drama (...)
7Cette histoire comique est donc bien plus qu’un argument. Elle a sa temporalité, ses recours propres, elle est indépendante de la comédie, même si elle en partage la trame. Ce qui a probablement incité les deux éditeurs des Neapolitaines au xixe siècle, E. Viollet-le-Duc et É. Fournier, à la supprimer de leurs rééditions22. Le cas qui nous occupe est atypique aussi parce qu’on ne sait pas si l’on peut vraiment parler d’un recueil. Les deux textes ne sont pas simplement juxtaposés, il y a un lien organique fort entre eux, qui plus est annoncé dans le titre et le « Sommaire » : la comédie est tirée de la nouvelle, ils racontent la même histoire. De tous les recueils examinés, aucune comédie ne présente de liens avec les œuvres qui l’accompagnent.
- 23 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Sommaire », fol. 8v -9r : Augustin et Camille risquent d’être s (...)
- 24 Aussi, par une sorte de remords, d’Amboise revient-il dessus dans la pièce, quatre scènes plus loi (...)
8On peut se demander à quoi servait la présence de cette « histoire comique », d’autant plus que ses possibilités narratives demeurent sous-exploitées. Seules les quatre premières pages se déroulent avant que ne commence l’action de la pièce, le reste narre les mêmes événements. On n’y trouve ni réflexions sur le récit présenté, ni jeux de narrateur/lecteur, ni dialogues ; autant d’éléments fondamentaux du genre « nouvelle ». L’« histoire » reste assez sèche, en ce sens plutôt éloignée de la tradition. Un épisode est symptomatique du fait : une ruse féminine sortie tout droit des meilleurs recueils comiques et remontant au Décaméron23. Mais l’épisode est avorté : pas de suspens, pas d’inquiétude pour les protagonistes comme dans la version de référence24. D’Amboise rate l’occasion d’une véritable histoire comique dans la plus pure tradition, ce qui fait douter de l’intérêt qu’il pouvait porter au genre ou de la connaissance qu’il pouvait en avoir.
9L’« histoire comique » n’est pas non plus nécessaire à la pièce qui reste bien sûr parfaitement autonome. Le résultat est donc mitigé : on a une impression de redite entre les deux textes qui racontent la même histoire, bien qu’avec de légères différences. Pourquoi introduire cette filiation avec un texte que l’auteur ne s’est jamais donné la peine de publier ? Pourquoi publier cet argument trop long ou cette « nouvelle » redondante qui n’exploite que timidement les recours spécifiques de la narration facétieuse ? Cet élément est pourtant suffisamment important pour que le libraire le mette en exergue sur la page de titre comme argument de vente pour le lecteur ou l’acheteur potentiel.
- 25 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Preface de Thierri de Timofile Gentilhomme Picard. A hault et p (...)
- 26 Amboise, Les Neapolitaines, « Préface », fol. 2r et 2v.
- 27 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Preface », fol. 2v -3r : « la France, ayant de long temps surpa (...)
10Puisque ne nous sont parvenus ni témoignage, ni information extérieurs au texte, la réponse est bien sûr à chercher dans l’ouvrage lui-même ; or, on y trouve beaucoup d’éléments originaux. La « Preface », tout d’abord, fait un éloge très appuyé de la pièce, ce qui est rare dans le domaine comique où généralement les auteurs font profil bas25. On y apprend que cette comédie fait partie de pièces écrites dans sa jeunesse qui ont été, sans modestie, « veües & receües avec un plaisir indicible » ; on apprend encore qu’il lui en reste d’autres « plus excellentes, qu’il nous garde pour un meilleur loysir26 ». Enfin, que la pièce est publiée pour faire savoir que la France, qui a déjà surpassé les Latins depuis longtemps en matière de tragédie, a maintenant pour les comédies de quoi arracher des lauriers aux plus savants Italiens27.
- 28 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Preface », fol. 3v : « Nos roys, de toute ancienneté, ont pris (...)
- 29 Amboise, Les Neapolitaines, « Preface », fol. 3v.
- 30 Ibid.
11La « Preface » rappelle aussi à quel point les anciens tenaient en haute estime le genre de la comédie et combien elle participait de la grandeur des princes28. Enfin, il nous est dit que la pièce « apportera aussi un grand proffict & contentement, autant ou plus que pas une de celles qui ont esté divulguées jusques à present » pour son sujet, sa construction, son invention… et grâce à son « François aussi pur & correct qu’il s’en soit veu depuis que nostre langue est montée à ce comble29 ». François d’Amboise prend donc acte de l’évolution de la langue française et prétend participer à une excellence encore jamais atteinte « à l’aide de tant de laborieux & subtils esprits qui y ont chacun contribué de leur travail & diligence pour la rendre polie & parfaicte30 ». De plus, convaincu de la supériorité du genre de la comédie, il a dépassé la rivalité qui l’oppose à la farce et qui irrigue la plupart des textes de ses prédécesseurs. Il n’a plus besoin d’y faire référence comme Jean de La Taille en 1573, dans le prologue des Corrivaus. Pour résumer, c’est tout un programme qui semble se dessiner dans ce paratexte : défendre et illustrer la langue et la culture françaises en fondant une comédie nationale, affranchie de ses modèles antiques et italiens.
- 31 Larivey, Les Six premieres comedies facecieuses, « A Monsieur d’Amboise, advocat en Parlement », é (...)
- 32 Voir Larivey, Les Six premieres comedies facecieuses, « A Monsieur d’Amboise… », éd. 1579, fol. a (...)
- 33 Voir Larivey, Les Six premieres comedies facecieuses, « Prologue », fol. [b iijr-v] ; éd. Zilli, p (...)
- 34 Voir Larivey, Les Six premieres comedies facecieuses, « A Monsieur d’Amboise… », fol. a iiijr ; éd (...)
- 35 Depuis La Taille dans son Art de la Tragedie : « Et voudrois bien qu’on eust banny de France telle (...)
12Mais en fait, ce programme n’est pas vraiment neuf, car d’Amboise semble marcher dans les pas de son ami Larivey qui publie en 1579 ses Six premieres comedies facecieuses (toujours chez le même L’Angelier). Dans l’épître dédicatoire de ce recueil, dédiée justement à François d’Amboise, Larivey dit utiliser une « nouvelle façon d’escrire […] qui n’a encores esté beaucoup praticqué entre noz François31 ». Un peu plus loin, il appelle de ses vœux une comédie en prose se déroulant en France32 et évoque dans son « Prologue » un futur proche où la France n’aura plus besoin d’aller chercher ailleurs le théâtre glorieux qu’elle va produire33. Larivey désire donc fonder une comédie « françoise » qu’il ne suit pas, puisque ses pièces sont des adaptations faites « A l’imitation des anciens Grecs, Latins & modernes Italiens », mais qui correspond exactement au projet des Neapolitaines. Nous apprenons enfin que ce projet est une initiative de… François d’Amboise lui-même34, Larivey se plaçant pour cette raison sous sa protection. Ce renversement chronologique ne doit pas surprendre puisque les Neapolitaines qui ne sont publiées qu’en 1584 ont en fait été jouées dès les années 1569-1570. Ce programme semble finalement le programme commun de toute une génération de dramaturges35.
- 36 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Sommaire », fol. 4r.
- 37 Voir Amboise, Les Neapolitaines, V, 1, fol. 63r-v.
- 38 Voir Amboise, Les Neapolitaines, V, 4, fol. 64v-65r.
13Une lecture attentive du texte nous révèle aussi l’importance de la question des nationalités. Dès le titre, nous apprenons la spécificité de la pièce : c’est une comédie « Françoise » avec des personnages de trois nationalités, « un Parisien, un Espagnol, & un Italien ». Ce qui pourrait passer pour un élément insignifiant est ici mis en évidence, il faut donc y prêter attention. Le paratexte, par ailleurs, glorifie la France et dévalorise l’Italie qui a perdu de sa grandeur. Le royaume de Naples, nous dit-on, vit sous le « servage insupportable » de l’Espagne dont le commandement est arrogant, cruel et avaricieux36. Les Italiens maintenant admirent Paris. Dans un passage souvent cité, le Napolitain Marc-Aurel fait un éloge long et dithyrambique de Paris, de sa richesse, de sa grandeur : « Paris est veritablement sans pair, sans second37 ». Un peu plus loin c’est l’université française et ses savants universaux qui sont décrits comme ayant dépassé de loin l’Italie38.
- 39 Voir Amboise, Les Neapolitaines, fol. 4v.
- 40 Voir Amboise, Les Neapolitaines, fol. 5r.
- 41 Voir Amboise, Les Neapolitaines, fol. 25v : « lon dict que ceux de son pays sont avaricieux, & Mar (...)
- 42 Amboise, Les Neapolitaines, fol. 6r et 42v.
14Des personnages principaux, seul le Français Augustin a toutes les qualités, il est généreux et respecte celle qu’il aime, c’est un « accort & gentil personnage39 ». L’Italien Alfonce, lui, suit « le naturel ombrageux de sa nation40 ». Quant au jeune Napolitain Camille, il organise le viol de la belle Virginie dès leur première rencontre. Enfin, la palme (si je puis dire) revient à Diegho, gentilhomme espagnol, matamore ridicule, traité de marrane ainsi que tous ses compatriotes41. On apprend qu’il a massacré « lachement, un Gentilhomme à Naples » et a fait pression « tantost par presens […], tantost par menaces » sur Angélique pour obtenir ses faveurs42.
15La volonté de François d’Amboise de valoriser la France passe par un abaissement de l’Italie et une forte critique de l’Espagne, l’ennemie politique des Guerres d’Italie avec laquelle le pouvoir entretient toujours de mauvaises relations. On dit François d’Amboise proche d’Henri III et tout cela sent vraiment son soutien à la politique royale.
- 43 Argument repris par Pierre Laudun d’Aigaliers dans son Art poetique françois (Paris, A. du Brueil, (...)
- 44 Amboise, Les Neapolitaines, « Le Prologue, ou avant-jeu », fol. 14v.
- 45 Voir l’Art poëtique departi en deus Livres de Jacques Peletier du Mans (Lyon, J. de Tournes et G. (...)
16Dernier avatar de cette entreprise de légitimation : faire remonter l’inspiration de la pièce non pas à un modèle théâtral redevable de l’étranger (grec, latin ou italien), mais à un autre genre littéraire, les histoires facétieuses, considéré comme français, d’autant plus que dans notre cas, le modèle est écrit par d’Amboise lui-même. Un second aspect important du paratexte concerne justement le rapport de la comédie à ce genre narratif. Le « Prologue, ou avant-jeu » s’ouvre en effet sur un parallèle entre le théâtre et la « nouvelle ». On y apprend que les auteurs d’Arts poétiques affirment que la comédie est bâtie sur une « nouvelle » « inventée à plaisir43 ». D’Amboise contredit alors immédiatement la seconde partie de ce propos en affirmant qu’on peut s’écarter de cette règle, comme il le fait dans ses Neapolitaines fondées sur « une histoire vraye & fort recreative avenue de nostre tems en la ville Capitale de ce royaume44 » dont plusieurs spectateurs peuvent se souvenir. Il opère alors un double mouvement en étayant sa comédie sur la véracité des événements relatés et en passant sous silence la topique qui voudrait que la comédie se cantonne au bas populaire45. Il place comme élément principal de la définition de la comédie la véracité du sujet qui se trouve être aussi un des principaux arguments de justification des recueils comiques.
- 46 Comme le Cymbalum mundi en françoys contenant quatre Dialogues poetiques, fort antiques, joyeux, (...)
- 47 François d’Amboise n’a pas dédaigné le dialogue puisqu’il publie en 1581 les Dialogues et devis de (...)
17Pourquoi s’appuyer sur le genre du recueil de narrations facétieuses ? Probablement parce que c’est le seul genre qui associe gaité, véracité, prose et narration. Le dialogue, par exemple, a des lettres de noblesse depuis l’Antiquité, il peut être comique, voire satirique46, mais semble trop proche de la forme théâtrale, probablement pas assez narratif, ne présentant que peu d’action et ambigu quant à la véracité des propos rapportés47.
18Le recueil d’histoires comiques a toujours revendiqué par contre la véracité des faits rapportés, l’ici et le maintenant, des effets de réalité appuyés, loin de tout exotisme, ce qui convient parfaitement à l’heure où il s’agit de créer une comédie française parisienne. Il se différencie en cela du roman, de l’épique et du fabuleux. Il se différencie par là également de deux nouveaux genres en vogue : les recueils d’histoires prodigieuses et ceux d’histoires tragiques qui, même s’ils revendiquent aussi d’être fondés sur des faits réels, doivent une partie de leur succès à leur exotisme, faisant voyager le lecteur de l’Italie à la Turquie, de l’Égypte antique au pays des Goths…
- 48 Cette double vie des œuvres théâtrales est notée par d’Amboise dans le début de sa préface où il m (...)
- 49 Les Cent Nouvelles nouvelles (d’abord sous forme manuscrite en 1462 ; Paris, Anthoine Verard, 1486 (...)
19Il existe d’autres liens entre histoires facétieuses et comédies humanistes : la volonté de divertissement, le rire bien sûr (comique verbal, mise en scène de ruses, de tromperies), la présence de dialogues, la prose (dans le cas des Neapolitaines, seconde comédie en prose après Les Corrivaus de La Taille, si l’on excepte les traductions d’œuvres italiennes), un va-et-vient constant entre l’écrit et l’oral, la pièce jouée et l’histoire entendue ou dite48. Enfin, les recueils facétieux connaissent une trajectoire proche de celle de la comédie. Ils sont aussi d’importation italienne avec pour référence, bien sûr, le Décaméron. Mais ils ont trouvé en France des traducteurs et des imitateurs depuis plus de 150 ans. En 1584, le genre ne semble plus italien. Des œuvres à succès l’ont naturalisé : Les Cent Nouvelles nouvelles, l’Heptameron de Marguerite de Navarre ou Les Nouvelles recreations de Bonaventure Des Périers49, pour ne citer que les plus prestigieuses. On peut imaginer qu’une pareille trajectoire est le but que recherche d’Amboise pour la comédie : être si bien acclimatée que disparaisse son origine étrangère.
- 50 Voir A. Blanckaert et R. Weber, « Nouvelles récréations et joyeux devis : pour qui ? Pourquoi ? »,(...)
20Le recueil comique a par ailleurs conquis des lettres de noblesse. C’est en général une littérature d’humanistes, émanant des milieux de cour50 : Laurent de Premierfait traducteur du Décaméron dans l’entourage de Charles VI ; Guillaume Tardif, celui du Pogge, proche de Charles VIII ; Les Cent Nouvelles nouvelles dans l’entourage des ducs de Bourgogne ; Marguerite de Navarre, Des Périers son valet de chambre, Antoine Le Maçon son secrétaire particulier comme probablement l’énigmatique ADSD des Comptes du monde adventureux, etc. L’aspect matériel de ces ouvrages, souvent grands et luxueux, vient renforcer ce statut. Nombre de contemporains de François d’Amboise devaient avoir conscience du fait et pouvaient désirer une intégration identique pour la comédie.
- 51 Ainsi de l’exemplaire BnF-Richelieu 8-RF-1239, contrairement à celui de l’Arsenal 8-BL-14478.
21Malgré ces bons auspices, le projet des Neapolitaines est un échec. Pas de réédition. Seuls sept exemplaires sont conservés dans les bibliothèques publiques de par le monde, ce qui montre une faible diffusion du texte. De plus, on observe une variation dans le titre de certains exemplaires : Les Neapolitaines, Comedie Françoise fort Facecieuse et l’ajout d’une signature en fin de privilège51 qui fait penser à une modification en cours de tirage pour rendre le texte un tout petit peu plus alléchant ? En dépit de ce qu’annonce la « Preface », aucune autre pièce de d’Amboise ne sera publiée. Notre auteur a-t-il a pris acte de l’insuccès de son texte ?
- 52 Voir supra les citations p. 230 n.45.
22On ne relève pas davantage de reprise par d’autres écrivains du procédé associant fiction narrative et comédie ni, semble-t-il, d’influence sur la manière dont les doctes ont envisagé le genre. Pour Laudun d’Aigaliers, dans son Art poetique françois, la comédie demeure encore en 1597 un art grec et latin qui présente des « persones viles & de bas estat52 ».
23Son recueil facétieux, enfin, ne sera pas non plus édité. La manière qu’il a de le nommer, ainsi que l’histoire qui en provient est troublante, car les « Amours Comiques », les « histoires facetieuses », l’« Histoire Comique » (au singulier), ne renvoient jamais à des formules consacrées. Les titres de recueils publiés depuis le xve siècle jusqu’en 1584 ne révèlent rien de semblable. Brouille-t-il sciemment les pistes ou méconnaît-il les règles du genre ? Aussi, on peut supposer que si le recueil des Amours Comiques avait été publié, son imprimeur lui aurait trouvé un titre mieux défini génériquement, plus immédiatement classable, dans un souci de visibilité et donc de rentabilité économique.
24Les recueils narratifs et plus spécifiquement les recueils comiques, obéissent à des critères relativement repérables pour le lecteur de l’époque et assez stables dans le temps. En général leur titre contient les substantifs « nouvelles », « contes », « devis », « discours », « rencontres », « recreations »…, on y trouve aussi les adjectifs, « nouvelles », « joyeux », « joyeuses », « facétieux » ou « facétieuses »… tout est proche du lexique employé par d’Amboise, mais sans le recouvrir exactement.
25Il faut ensuite remarquer que ce que nous appelons « nouvelle » ou « conte » n’existe pas au singulier sous forme autonome à l’époque. Il n’y a pour ainsi dire pas d’histoires publiées séparément. De très nombreux livrets de quelques pages nous sont parvenus, mais quasi pas de fictions narratives. Les contes et nouvelles étaient toujours proposés sous forme de recueils et le titre de ceux-ci, toujours pluriel, faisait systématiquement référence à l’ensemble et non à une histoire mise en avant comme cela se pratique aujourd’hui. Le titre pouvait aussi faire référence aux moments où ont été créés ou rassemblées ces histoires, aux narrataires et parfois à la réception possible ou à l’usage des textes.
26Aucun lien, aucune thématique ne viennent organiser ces textes. Le recueil est un dispositif éditorial qui a pour fonction de faire tenir ensemble un grand nombre d’unités narratives tout en veillant à ce qu’elles restent autonomes. Sinon, il bascule dans le roman. Ce n’est pas la taille qui détermine ce genre, mais le regroupement et l’organisation pour une lecture discontinue : maintenir le désordre et faciliter la circulation en son sein. Pour cela, le recueil a une organisation qui lui est propre : une table, une pagination, une numérotation des unités narratives permettant un repérage plus fin du texte. Peu de volumes y échappent. Chaque histoire comporte un titre résumant l’action, qui peut être repris par un titre courant, au haut de chaque page, là encore par souci de « navigation » dans la « bibliothèque » que constitue le recueil. On le voit, recueils d’histoires et comédies obéissent à des exigences éditoriales très différentes. Comme pour la majorité des comédies humanistes, d’Amboise aurait pu opter pour une publication dans un véritable recueil et tenter d’innover en adossant sa pièce à ses Amours comiques. Mais ce n’était manifestement pas son but.
27La comédie humaniste, en tout cas celle que propose d’Amboise, est également loin de suivre la composition, l’éthique et les personnages des histoires comiques qui ne mettent jamais en scène de jeunes amoureux cherchant à se marier. Elles ne traitent de la ruse et du désir que dans l’optique de l’adultère. On rit de l’habileté des personnages à enfreindre les conventions sociales et non de leur capacité à prendre en main leur destin : les histoires comiques ne finissent jamais par le mariage des amoureux. Elles renvoient moins à l’univers de la comédie humaniste qu’à celui de la farce.
- 53 Amboise, Les Neapolitaines, « Preface », fol. 2v.
28Que conclure de tout cela ? Probablement que cette publication arrive trop tard dans la carrière de notre auteur. En 1584, d’Amboise est devenu un personnage important. Nous apprenons, s’il faut l’en croire, que ce n’est que sous la pression de ses amis « le voyant constitué en dignité, & occupé en affaires plus graves53 » qu’il consent à publier son texte, 15 ans après sa représentation. Plus prosaïquement, on peut considérer qu’il n’a pas défendu la culture française et la politique royale de manière totalement désintéressée. Si aucune de ses « plus excellentes » pièces, ni son recueil narratif n’ont été publiés, c’est que d’Amboise devient l’année même de la publication des Neapolitaines avocat du roi à la chambre du trésor. Il est anobli un peu plus tard. Une fois bien installé socialement, entre autres grâce à ses écrits, tout cela ne semble plus l’intéresser. L’échec du croisement de la comédie humaniste avec le recueil de narrations facétieuses est manifestement le résultat d’un succès personnel.
29Cet échec peut aussi s’expliquer par la recherche d’une autorité qui n’en est plus vraiment une. Avec son étrange dispositif éditorial, d’Amboise tente une stratégie de légitimation osée. Pour la première fois, il ne s’agira plus de s’appuyer sur des modèles étrangers (antiques ou italiens), mais bien de participer à la défense de la langue française en proposant une « comedie françoise » basée sur un genre ancré dans une tradition séculaire et ayant acquis ses lettres de noblesse. Mais d’Amboise n’a pas perçu que le recueil facétieux est d’une certaine manière aussi sur son déclin, sa période « noble » est passée. Il se popularise nettement à partir des années 1560, au sens où il n’est plus l’occasion de production de livres de prestige : plus aucun recueil en grand format ou des recueils n’émanant plus forcément de la cour ou de milieux humanistes. La production se diversifie. On voit aussi se développer la pure compilation de libraire, ne provenant pas d’un vrai projet d’écrivain, ne présentant ni création littéraire ni réécriture du matériau compilé. D’Amboise n’a pas perçu ce phénomène. Ce nouveau visage du recueil narratif traduit aussi une évolution de son lectorat. Et celui-ci ne correspond pas à celui que d’Amboise espère toucher. L’homme de cour, l’homme de loi voulant porter très haut la culture française, a 30 ans de retard dans la conception qu’il se fait du recueil facétieux. Ce texte nous permet de prendre conscience de ce mouvement discret, inscrit dans la longue durée et nous confirme, s’il était besoin, l’image qu’il a pu avoir dans l’esprit des hommes de la Renaissance. Il est un témoignage intéressant de la réception des recueils d’histoires facétieuses à cette période charnière.
- 54 Pour Charles Mazouer « contrairement à la tragédie, la comédie humaniste ne s’impose pas, c’est le (...)
30Pour Larivey, d’Amboise fut un maître qui a montré la voie de la création d’une comédie française en prose. Sa pièce résume, pour ainsi dire, ce que toute une génération de dramaturges appelle de ses vœux. Son échec est symptomatique de la difficulté qu’a rencontrée la comédie humaniste pour s’imposer par elle-même54. Il faudra attendre les années 1630 pour qu’une production française acquière une reconnaissance, un statut équivalent à celui rêvé par nos dramaturges. Pour qu’elle soit adoubée par le pouvoir royal, dans un mouvement général qui va mettre les arts et les lettres (dont le théâtre) au service de l’État. Le théâtre devient à ce moment-là un important outil de culture nationale, mais il se transforme aussi et c’est une autre comédie qui acquiert cette reconnaissance. Ironie de l’histoire, c’est une comédie tournée vers l’Espagne qui s’impose. Au xviie siècle, nous assistons donc à un total renversement de situation : la comédie devient un genre « noble » pendant qu’une partie de la production de recueils facétieux glisse lentement vers la littérature de « second rayon ».
Notes
1 François d’Amboise, Les Neapolitaines, Comedie Françoise [fort] Facecieuse. Sur le subject d’une Histoire d’un Parisien, un Espagnol, & un Italien. À Paris, Pour Abel l’Angelier, Au premier Pillier de la grand Salle du Palais, Avec Privilege du Roy, 1584. Les références seront données dans cette édition.
2 Aucune mention dans l’édition Dante Ughetti (François d’Amboise, Œuvres complètes, Edizioni Scientifiche, Napoli, 1973), ni dans celle de Hilde Spiegel (François d’Amboise, Les Neapolitaines, comédie, Heidelberg, C. Winter, 1977).
3 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Sommaire de ceste histoire Comique », fol. 4r -13r.
4 Voir l’Eugene (1574) de Jodelle ; La Reconnue (1578) de Rémy Belleau ; Le Muet insensé (1576) et la Nephelococugie (1579) de Pierre Le Loyer (1579).
5 Voir La Tresoriere et Les Ebahis (1561) de Jacques Grévin ; Les Corrivaus (1573) de Jean de La Taille.
6 Voir Les Six premieres comedies facecieuses de Pierre de Larivey […] (Paris, A. Langelier, 1579) et Trois comedies des six dernieres de Pierre de Larivey Champenois (Troyes, Pierre Chevillot, 1611) ; Les Escoliers de François Perrin à la suite de Sichem ravisseur, Tragedie […] (Paris, Guillaume Chaudiere, 1589).
7 Voir l’Erotopegnie, ou Passetemps d’amour. Ensemble une Comedie du Muet insensé. Par Pierre Le Loyer (Paris, Abel L’Angelier, 1576) et Les œuvres et meslanges poetiques de Pierre Le Loyer Angevin. Ensemble la comedie Nephelococugie (Paris, Jean Poupy, 1579).
8 Comme La Reconnue de Remy Belleau, dans les Odes d’Anacreon […] Avec quelques petites Hymnes de son invention, & autres diverses poësies : Ensemble une comedie (Paris, Gilles Gilles, 1578).
9 C’est le cas de La Tresoriere et des Ebahis de Jacques Grévin, dans Le theatre de Jacques Grevin, Ensemble, la seconde partie de l’Olimpe & de la Gelodacrye (Paris, Vincent Sertenas et Guillaume Barbé, 1561) ; Les Corrivaus de Jean de La Taille, dans La Famine, ou Les Gabeonites, tragedie prise de la Bible, & suivant celle de Saül. Ensemble plusieurs autres Œuvres poëtiques de Jehan de La Taille de Bondaroy […] (Paris, Federic Morel, 1573) ; l’Eugene de Jodelle, dans Les œuvres et Meslanges Poetiques d’Estienne Jodelle sieur du Lymodin. Premier volume (Paris, Nicolas Chesneau et Mamert Patisson, 1574) ; Les Escoliers de François Perrin, dans Sichem ravisseur, tragedie extraicte du Genese, trente quatriesme chapitre par François Perrin, Autunois (Paris, Guillaume Chaudière, 1589).
10 Amboise, Les Neapolitaines, fol. 4r.
11 Voir La Croix du Maine, Premier volume de la Bibliotheque du sieur de la Croix du Maine, Paris, Abel l’Angelier, 1584, p. 86 : « Il a escrit dés ses plus jeunes ans, plusieurs Tragedies & Comedies, & entre autres un livre intitulé Amours Comiques, contenant plusieurs histoires facétieuses, entre lesquelles est celle qu’il appelle les Neapolitaines, imprimee à Paris chez Abel l’Angelier l’an 1584 » ; et p. 87 : « soubs un nom deguisé, de Thierry de Timophile G. Picard. / Soubs lequel nom il a autrefois traduit […] / Ensemble la Comedie des Neapolitaines, dont nous avons parlé cy dessus ».
12 À noter également que le libraire l’Angelier n’exclut pas ce genre de textes de sa politique éditoriale puisqu’il publie les Facetieuses nuicts de Straparole dans la traduction d’un autre auteur de comédies, Larivey, dès 1576 et de nouveau en 1585, donc un an après les Neapolitaines. Il publie également un an avant (1583) les Cent excellentes nouvelles de Giambattista Cinzio.
13 Amboise, Les Neapolitaines, fol. 4r.
14 Voir supra la première note de l’article.
15 Ibid.
16 De loin en loin, on trouve au cours de l’histoire, des rappels de sa fonction de résumé de la comédie : voir Amboise, Les Neapolitaines, fol. 6v : « en cest endroict est la Protase & premiere partie de ceste Comedie » ; puis fol. 7v : « l’Epitase & seconde partie de ce Poëme Comic ».
17 Amboise, Les Neapolitaines, fol. 4r.
18 Le Negromant de la Taille, La Tresoriere et Les Esbahis de Grévin, L’Eugene de Jodelle, Les Escoliers de François Perrin.
19 Voir La Taille, Les Corrivaus, dans La Famine, ou les Gabeonites […], fol. 65r-67v ou Le Loyer, Le Muet insensé, dans Erotopegnie, fol. 65r-67v. Larivey, quant à lui, aime jouer avec l’argument des pièces de ses Six premieres comedies facecieuses. Le « Prologue » du Laquais donne un argument de 13 lignes, puis le narrateur s’exclame : « Mais quand j’y pense, je vous ay sans y penser dict l’argument de la Comedie » (éd. 1579, fol. [b iiir] ; Les six premieres Comedies facecieuses (Le Laquais, La Vefve, Les Esprits), éd. L. Zilli, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 61). Un argument rapide (6 lignes) est donné à la fin du « Prologue » du Morfondu (Les Six premieres comedies, 1579, fol. 167r) sous prétexte d’expliciter le titre de la pièce. Dans le « Prologue » des Esprits, il s’abstient volontairement d’en donner un : « Au reste l’Autheur a pensé que ce seroit chose superflue, vous reciter l’argument parce que d’acte en acte la Comedie vous le declarera. » (Les six premieres comedies, éd. 1579, fol. 112r ; éd. Zilli. p. 381). Procédé qu’il continue à la fin du « Prologue » Des Jaloux : « Il vous vouloit dire l’argument : mais parce qu’il a veu sortir ces deux jeunes hommes, il a pensé qu’ils vous le feront entendre : & puis la Comedie est l’argument d’elle mesme. » (Les six premieres comedies, éd. 1579, fol. 228r). Et que l’on retrouve enfin dans le « Prologue » du Fidele (Trois comedies, éd. 1611, fol. 3r-v).
20 La Nephelococugie de Le Loyer possède un « Argument par acrostiche » de huit vers (Les œuvres et meslanges poetiques de Pierre Le Loyer Angevin, Paris, Jean Poupy, 1579, fol. 169r). Il y a un « Argument de la Reconnue » de Remy Belleau, mais faisant un peu moins de deux pages (Les Odes d’Anacreon […] Par Remy Belleau, t. II, Paris, Gilles Gilles, 1578, fol. 111r-v). Enfin, dans Trois comedies, recueil tardif (1611) de Larivey, Les Tromperies présente une pièce liminaire nommée « Sommaire » (et non « Prologue ») donnant bien un argument relativement développé de 4 pages de la pièce (fol. 2r-4r).
21 Ramené en nombre de caractères (la comparaison narration-théâtre étant rendue difficile par la répétition des noms des personnages, des alinéas, etc.) : le « Sommaire » 21.500 ; la pièce 111.800.
22 Voir E. L. N. Viollet-le-Duc (éd.), Ancien théatre [sic] françois ou Collection des ouvrages dramatiques les plus remarquables depuis les mystères jusqu’à Corneille, t. VII, Paris, Plon, 1856 et É. Fournier (éd.), Le Théâtre français au xvie et au xviie siècle ou choix des comédies les plus curieuses antérieurs à Molière […], Paris, Laplace, Sanchez et Cie, [s. d., ca. 1870], nombreuses rééditions chez Garnier Frères.
23 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Sommaire », fol. 8v -9r : Augustin et Camille risquent d’être surpris chez Angélique par Diegho. Angélique demande alors à Camille de partir furieux, l’épée au poing, grommelant qu’il se vengera et à Augustin de feindre de s’être réfugié là pour échapper à la fureur d’un inconnu armé. Pour les sources, voir : Décaméron, VII, 6 ; Le Pogge, Callida consilia Florentinae feminae in facinore deprehensae (facétie absente de Guillaume Tardif, Les Facecies de Poge (ca. 1492) ; n° 267 de l’édition E. Wolf, Facéties, Paris, Anatolia, 1994) ; H. Estienne, L’Introduction au traité de la conformité des merveilles anciennes avec les modernes, [s. l.], [s. n.], 1566, « Des larrecins de nostre temps, chap. xv. », p. 193-195.
24 Aussi, par une sorte de remords, d’Amboise revient-il dessus dans la pièce, quatre scènes plus loin, en le faisant gloser, par deux protagonistes : « Mais quel esprit Angelique de femme : comme elle luy a bien donné soudain la trousse, faisant ceste mocquerie de vous & de moy » (Les Neapolitaines, fol. 54r).
25 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Preface de Thierri de Timofile Gentilhomme Picard. A hault et puissant prince, Messire Charles de Luxembourg, Comte de Brienne, & de Ligni », fol. 2r-3v. Dante Ughetti, l’éditeur des Œuvres complètes de François d’Amboise, a saisi la fierté de cet auteur quant à la qualité de sa comédie et de sa langue : voir son introduction, p. xx-xxi.
26 Amboise, Les Neapolitaines, « Préface », fol. 2r et 2v.
27 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Preface », fol. 2v -3r : « la France, ayant de long temps surpassé les Itales en l’artifice de bien faire de doctes tragedies, a aussy dequoy maintenant arracher le laurier aux plus sçavants, & mesmes aux plus grands seigneurs de l’Italie, qui s’y sont exercez à l’envi à qui composeroit & exhiberoit de plus ingenieuses & somptueuses comedies, jusques à là que les princes mesmes ont tellement affecté ceste gloire, qu’ils n’y ont espargné ny leur plume & leur esprit, ny leur bource & leur magnificence ».
28 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Preface », fol. 3v : « Nos roys, de toute ancienneté, ont pris plaisir d’en voir de telles que leur siecle rude le pouvoit porter, affin d’apprendre par icelles la maniere de vivre de leurs subjects ». Elle entérine ce que Jean de la Taille appelait de ses vœux dans son Art de la Tragedie, A Treshaulte Princesse Henriette De Cleves, Duchesse de Nevers : « que les Roys & les grands sçeussent le plaisir que c’est de voir reciter, & representer au vif une vraye Tragedie ou Comedie en un theatre tel que je le sçaurois bien deviser, & qui jadis estoit en si grande estime pour le passetemps des Grecs & des Romains » (dans Saul le Furieux, Tragedie prise de la Bible, Paris, Federic Morel, 1573, fol. 4v).
29 Amboise, Les Neapolitaines, « Preface », fol. 3v.
30 Ibid.
31 Larivey, Les Six premieres comedies facecieuses, « A Monsieur d’Amboise, advocat en Parlement », éd. 1579, fol. a ijr ; éd. Zilli, p. 37.
32 Voir Larivey, Les Six premieres comedies facecieuses, « A Monsieur d’Amboise… », éd. 1579, fol. a iijr ; éd. Zilli, p. 38-39 : « J’ay dict que j’en jette les premiers fondemens, non que par la je veulle inferer, que je sois le premier qui faict veoir des Comedies en prose : car je sçay qu’assez de bons ouvriers, & qui meritent beaucoup pour la promptitude de leur esprit, en ont traduict quelques unes. Mais aussi puis-je dire cecy sans arrogance, que je n’en ay encore veu de Françoises, j’enten qui ayent esté representees, comme advenues en France ».
33 Voir Larivey, Les Six premieres comedies facecieuses, « Prologue », fol. [b iijr-v] ; éd. Zilli, p. 59 : « ces bons peres à qui l’aage a desja mis un de leurs pieds en la fosse, lesquels vouldroient estre rajeunis de trente ans pour vivre encore autant d’années avecques nous, & oyr reciter tant de belles Comedies que je scay que noz Francois nous feront veoir cy-apres, dressans un Theatre autant magnifique, superbe & glorieux que nation qui soit au monde, affin de n’aller plus chercher ailleurs, qu’en noz propres maisons ces honnestes plaisirs, & utiles recreations ».
34 Voir Larivey, Les Six premieres comedies facecieuses, « A Monsieur d’Amboise… », fol. a iiijr ; éd. Zilli, p. 41-42 : « vous […] m’avez plus eguillonné de donner commancement à ces fables, qu’icy je vous offre & desdie, comme au meilleur de mes meilleurs amys : Affin que vous, qui estes mon auteur & garand formel, preniez s’il vous plaist, la cause pour moy, […]. Me semblant, puis qu’avez mis entre mes mains la pierre dont j’ay faict ce coup, que me devez garantir envers & contre tous, de l’offense qu’en cet endroit je pourrois avoir faicte ».
35 Depuis La Taille dans son Art de la Tragedie : « Et voudrois bien qu’on eust banny de France telles ameres espiceries [spectacles théâtraux qui ne “sont faicts selon le vray art, & au moule des vieux”] qui gastent le goust de nostre langue, & qu’au lieu on y eust & naturalisé la vraye Tragedie & Comedie, qui n’y sont point encor à grand’peine parvenues, & qui toutefois auroient aussi bonne grace en nostre langue Françoise, qu’en la Grecque & Latine » (dans Saul le furieux, 1573, fol. 4v). Suivi Des Contens de Turnèbe « comedie nouvelle en prose Françoise » (1584) et des Escoliers de Perrin (1589) dont le « Prologue » reprend la bataille : « Au reste il n’a pas voulu prendre / L’argument vers les estrangers, / Menteurs, imposteurs et leger, / Aymant mieux la façon gauloise, / Que la phrigienne ou gregeoise ; / Car les fruicts luy semblent meilleurs/En nos propres vergers qu’ailleurs » (éd. P. Lacroix, Bruxelles, A. Mertens, 1866, p. 3).
36 Voir Amboise, Les Neapolitaines, « Sommaire », fol. 4r.
37 Voir Amboise, Les Neapolitaines, V, 1, fol. 63r-v.
38 Voir Amboise, Les Neapolitaines, V, 4, fol. 64v-65r.
39 Voir Amboise, Les Neapolitaines, fol. 4v.
40 Voir Amboise, Les Neapolitaines, fol. 5r.
41 Voir Amboise, Les Neapolitaines, fol. 25v : « lon dict que ceux de son pays sont avaricieux, & Marranes » ; et fol. 44v : « et si il vous pourra servir d’ecorte [sic], s’il vous faut venir aux mains avec ce Marrane ».
42 Amboise, Les Neapolitaines, fol. 6r et 42v.
43 Argument repris par Pierre Laudun d’Aigaliers dans son Art poetique françois (Paris, A. du Brueil, 1598, p. 286), éd. J. -Ch. Monferran et al., Paris, Société des Textes Français Modernes, 2000, p. 206 : « l’argument de la Tragedie est vray, & celuy de la comedie est feinct & inventé ».
44 Amboise, Les Neapolitaines, « Le Prologue, ou avant-jeu », fol. 14v.
45 Voir l’Art poëtique departi en deus Livres de Jacques Peletier du Mans (Lyon, J. de Tournes et G. Gazeau, 1555, p. 70), éd. M. Jourde et J. -Ch. Monferran, Paris, Champion, 2011, p. 369 : « an ęlɇ s’introduisɇt pęrsonnɇs populerɇs » ou l’Art poetique françois de Laudun d’Aigaliers (éd. 1598, p. 271 et 286), éd. Monferran, p. 187 et 206 : « Comedie est un genre de Poëme […] auquel sont introduicts personnes viles & de bas estat » et « Les personnes de la […] comedie sont basses & de petit estat ».
46 Comme le Cymbalum mundi en françoys contenant quatre Dialogues poetiques, fort antiques, joyeux, & facetieux (Paris, Jehan Morin, 1537) ou Les Dialogues de feu Jaques Tahureau […] non moins profitables que facetieus (Paris, Gabriel Buon, 1565). Voir à ce propos E. Kushner, Le dialogue à la Renaissance, Genève, Droz, 2004.
47 François d’Amboise n’a pas dédaigné le dialogue puisqu’il publie en 1581 les Dialogues et devis des damoiselles, à Paris, Chez Vincent Norment, qui est là encore l’adaptation d’un texte italien (voir l’éd. D. Costa, Paris, Société des Textes Français Modernes, 1998).
48 Cette double vie des œuvres théâtrales est notée par d’Amboise dans le début de sa préface où il mentionne la difficulté spécifique à contenter un lectorat et un auditoire. Les histoires comiques, qu’elles aient un cadre comme le Décaméron ou non, mettent souvent en scène les instances d’énonciation qui ont présidé à la création des histoires présentées. Elles semblent également faites pour être dites, pour retourner à l’oral, comme cela l’est fréquemment évoqué dans leurs paratextes.
49 Les Cent Nouvelles nouvelles (d’abord sous forme manuscrite en 1462 ; Paris, Anthoine Verard, 1486) ; l’Heptameron sous le titre Histoires des amans fortunez (Paris, Gilles Gilles, 1558) ; Les Nouvelles Recreations et Joyeux Devis (Lyon, Robert Granjon, 1558).
50 Voir A. Blanckaert et R. Weber, « Nouvelles récréations et joyeux devis : pour qui ? Pourquoi ? », Lire les Nouvelles Récréations et joyeux devis de feu Bonaventure Des Périers, éd. D. Bertrand, Clermont-Ferrand, PU Blaise Pascal, 2009, p. 39-70.
51 Ainsi de l’exemplaire BnF-Richelieu 8-RF-1239, contrairement à celui de l’Arsenal 8-BL-14478.
52 Voir supra les citations p. 230 n.45.
53 Amboise, Les Neapolitaines, « Preface », fol. 2v.
54 Pour Charles Mazouer « contrairement à la tragédie, la comédie humaniste ne s’impose pas, c’est le moins qu’on puisse dire : en deux générations de dramaturges, guère plus d’une vingtaine de comédies » (Théâtre français de la Renaissance, Paris, Champion, 2002, p. 311).
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Référence papier
Romain Weber, « Les Neapolitaines de François d’Amboise, deux textes pour le prix d’un », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 32 | 2016, 221-235.
Référence électronique
Romain Weber, « Les Neapolitaines de François d’Amboise, deux textes pour le prix d’un », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 32 | 2016, mis en ligne le 08 décembre 2019, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14105 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14105
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