Une facétie matricielle
Résumés
Les comédies françaises, à la fin de la Renaissance, racontent la conquête d’une jeune fille en l’assimilant, par la métaphore, à la prise d’une ville fortifiée. Le théâtre comique est sous-tendu par de constantes allusions facétieuses à la « porte » qui renvoient, en un jeu de cercles concentriques, à la ville, à la maison ou au sexe de la jeune première. Cette poétique humoristique de la porte est fondée sur le phallocentrisme – que cette lecture critique s’attachera à déconstruire
Plan
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- 1 M. Lazard, La Comédie humaniste du XVIe siècle et ses personnages, Paris, PUF, 1978, p. 19.
- 2 Ce travail s’adosse à notre thèse, laquelle porte sur les comédies françaises des années 1550-1650 (...)
- 3 La tradition critique est unanime à constater que la première comédie humaniste ne se dissocie que (...)
1La comédie savante d’inspiration grecque et transalpine est introduite dans le champ dramatique français dans la première moitié du xvie siècle. Ce vaste mouvement de « naturalisation1 » passe par des traductions puis donne lieu à des créations originales2. Si l’on en croit les déclarations d’intention des auteurs, cette comédie nouvelle, forte de ses mérites littéraires et didactiques, doit supplanter la farce, dénigrée pour sa part comme un genre fruste et grossier. Dans les faits, pour s’imposer sur les scènes théâtrales parisiennes, la noble Thalie doit composer avec sa rivale qui, certes, sait se montrer ordurière, mais n’en reste pas moins fort populaire auprès du public3. Le théâtre comique nouveau accorde donc une importance inédite au second degré et aux sous-entendus, qui masquent de franches obscénités. Nous montrerons que les références équivoques à la porte constituent une facétie matricielle, à tous égards, de la comédie de la fin de la Renaissance. En érigeant la porte en… clef de lecture, nous accéderons sans coup férir à l’« enfer », pavé de lestes intentions, du théâtre comique des années 1550-1610. Nous verrons d’abord que la porte joue un rôle central dans l’architecture spatiale et narrative de la comédie. Nous pourrons alors élucider les valeurs, comiques et anthropologiques, qui s’attachent à ce fameux « huis ».
La porte, une ville concentrée
- 4 Les humanistes français lisent non seulement les dramaturges, mais aussi les architectes transalpi (...)
2Une longue tradition poétique, rhétorique mais aussi architecturale assigne au théâtre comique la représentation de la vie citadine quotidienne. Les premiers promoteurs de la comédie nouvelle sont des lecteurs assidus du latin Vitruve (ier siècle avant Jésus-Christ) et de son continuateur italien Serlio (début du xvie siècle)4. Vitruve décrit ce que doit être la scène comique en la distinguant des scènes tragique et satyrique :
- 5 Vitruve, De Architectura, Livre V, chapitre vi, trad. Cl. Perrault revue par A. Dalmas, Paris, Bal (...)
Il y a trois sortes de scènes, savoir : la tragique, la comique et la satyrique. Leurs décorations sont différentes en ce que la scène tragique a des colonnes, des frontons élevés, des statues et tels autres ornements qui conviennent à un palais royal. La décoration de la scène comique représente des maisons particulières, avec leurs balcons et leurs croisées disposés à la manière des habitations ordinaires. La scène satyrique est ornée de bocages, de cavernes, de montagnes, et de tout ce qu’on voit représenté dans les paysages des tapisseries5.
- 6 Voir le croquis de la scena comica à l’adresse : http://www.examenapium.it/aams/s02serliocomica.jp (...)
3La comédie met en scène une ville bourgeoise et populaire ; la tragédie représente la ville des puissants ; la satyre, qui deviendra la pastorale, dessine une campagne fantasmée. Serlio reprend cette tripartition, en l’agrémentant de dessins qui fascinent les humanistes français6.
4En pleine conformité avec ce discours architectural, les prologues de nos pièces ancrent le spectacle comique dans une société citadine. L’« avant-jeu » des Néapolitaines de François d’Amboise installe ainsi la pièce à Paris :
- 7 François d’Amboise, Les Néapolitaines, « Prologue ou avant-jeu », éd. H. Spiegel, Heidelberg, Carl (...)
Voicy venir un enfant de Paris assez secret et discret en ses amours, qui aura l’honneur d’entamer ce gasteau. Oyez-le, s’il vous plaist, avec faveur et attention… N’ayez point envie, Messieurs, de vous enquerir de son surnom et de l’enseigne de la maison de son père, lequel, sans rien nommer, se tient à la ruë Sainct-Denis7…
5Le bonimenteur qui tient ce discours sert d’intermédiaire entre deux univers. Le prologue fait passer l’assistance du Paris réel à son équivalent imaginaire, que s’apprêtent à investir les personnages. L’enjeu est double. Il importe d’intégrer les spectateurs dans le spectacle et, réciproquement, d’intégrer le spectacle dans un monde urbain. Cet univers urbain est le plus souvent parisien. Vingt-neuf des cinquante-deux pièces que nous avons prises en compte sont situées explicitement dans la capitale.
6Il s’avère que, pour dessiner l’espace parisien qui lui sert de cadre, la comédie opère essentiellement par métonymie. Elle choisit de représenter des lieux symptomatiques de la ville pour la convoquer tout entière. Elle livre moins une image ultra-réaliste de l’espace urbain qu’elle n’esquisse une silhouette. La littérature procède en l’occurrence par suggestion, abréviation, condensation, et la ville comique se confond avec la place publique que prévoyait le dessin de Serlio. Ce carrefour se réduit lui-même à un seuil, c’est-à-dire à une interface entre une maison et une rue. Les textes, de fait, évoquent jusqu’à l’obsession des portes que l’on ouvre ou que l’on ferme. Le comique naît souvent de l’insistance forcenée avec laquelle les personnages tambourinent :
- 8 Pierre de Larivey, Le Laquais, IV, 3, éd. M. Lazard et L. Zilli, Paris, Société des Textes Françai (...)
symeon. – Ah, mal’heureux que je suis ! va, fay ouvrir la porte, helas, je creve de deuil !
valere. – Tic, tac, toc.
symeon. – Personne ne dict mot, frappe plus fort.
valere. – Tic, tac, toc.
symeon. – Encore plus fort.
valere. – Toc, toc, toc, toc, toc, ou la chambriere est morte, ou elle s’en est allée.
symeon. – Le mal’heur se plaist bien en ma ruyne. Frappe tant que tu pourras.
valere. – Toc, toc, toc, or il n’y a personne.
symeon. – Ma femme y doit estre, si elle ne tient compagnie à sa fille.
valere. – Voicy, on ouvre8.
7Il y a deux types d’onomatopées récurrentes dans la comédie : les « ha ha ha » qui transcrivent les rires, et les « toc toc toc » qui signalent les coups frappés à la porte. L’univers comique des années 1550-1610 en vient à résonner de doux « tic toc » ou « tic tac », de fermes « tic toc tac », « tic tac toc », « tic toc toc », « tac tac tac » et « toc toc toc », de pressants « tic tac tic toc », voire de tempétueux « toc, toc, toc, toc, toc ».
8Faisons donc le point. La comédie met en scène Paris, singulièrement le quartier latin, l’île de la Cité et le Marais. Chacun de ces quartiers de prédilection est réduit à une rue, qui se résume elle-même aux abords d’un logis, que symbolise le plus souvent une porte, laquelle n’est souvent évoquée que par les fameux « tic toc tac » et autres « tic tac toc ». La cartographie du genre comique échouerait-elle sur de simples onomatopées ? Au-delà de toute velléité facétieuse, on pourrait l’affirmer à condition d’ajouter que l’épure est tout sauf une carence. Dans la comédie, chaque strate spatiale, fût-elle élémentaire, soutient quelque chose qui la déborde. Le pas de la porte trahit la vie d’une maison privative, la rue exhibe l’armature du quartier tout entier, chaque quartier abrite un microcosme spécifique, l’organisation spatiale de la ville tout entière vaut stratigraphie sociale.
9Ce qui doit retenir notre attention, c’est que le pivot de ce jeu de poupées russes est bien la porte. Cette porte est tout sauf un espace figé, c’est un objet que l’on traverse ou auquel on se heurte. Le passage du seuil est gros de péripéties, d’hypothèses et d’interprétations. Il constitue à lui seul une dramaturgie :
- 9 Odet de Turnèbe, Les Contens, IV, 5, éd. N. B. Spector complétée par R. Aulotte, Paris, Société de (...)
girard. – Je m’en vay faire un tour en mon logis pour m’enquerir de mes gens qu’est devenu Eustache. La porte est fermée. J’ay peur qu’ils soient tous allez à vespres. Tic, toc, tac.
eustache. – Qui est là-bas ?
girard. – Il me semble que j’entens sa voix. Tic, toc, tac.
eustache. – Qui est-ce qui frape ainsi ?
girard. – C’est luy sans doute. Dieu soit loué ! Il faut bien dire qu’il aura trouvé moyen d’eschapper. Eustache, ouvre-moy !
eustache. – O mon pere, je ne pensois pas que vous deussiez revenir si tost. Avez-vous disné ? Vous plaist-il pas d’entrer9 ?
10La porte permet les entrées et les sorties, autorise ou empêche les mouvements. Elle suscite à elle seul des récits. La porte, de surcroît, n’est pas un lieu sans qualités mais un espace mental signifiant et axiologiquement marqué : les allusions au fameux « huis » se chargent presqu’immanquablement d’une valeur érotique.
La porte, une fille concentrée
11Dans la comédie humaniste, la porte du logis est le substitut de son occupante et promet le septième ciel. Partons d’un exemple circonstancié. À l’acte IV des Tromperies de Larivey, le Capitaine et Bracquet trouvent porte close devant la maison de la prostituée Dorothée. Ils s’efforcent néanmoins de rentrer. L’acharnement des deux énervés devait donner lieu à force lazzi et déclencher le rire :
- 10 Pierre de Larivey, Les Tromperies, IV, 1, éd. K. Cameron et P. Wright, Exeter, University of Exete (...)
le capitaine. – Ne perdons point temps, la porte est fermée, frappe vistement, fay ouvrir.
bracquet. – Tic, toc, hola, qui est leans. […] Que diable font ces femmes, je croy qu’elles n’ouvriront jà. […] Ces mocqueries ne me plaisent point avant disner, si j’estois vous, je me courroucerois : Hola, tic, toc.
le capitaine. – Tu es un lourdaut, ces jeux sont proprement la salade, ou la saulse d’amour, tu n’entends le mestier.
bracquet. – Je me contenterois d’un disner positif sans ceste salade. Je voy bien que l’hoste ne nous veut heberger.
le capitaine. – Que diable est cecy, hola m’amour, ne me tenez plus icy en aboy, ouvrez.
bracquet. – Voire, voire, vous l’ay-je pas bien dit ?
le capitaine. – Vous me mettez en colere, je jetteray la porte par terre, je vous accoustreray le visage à la Mosayque, si menu que ressemblerez à une mappe monde. Frappe deux coups tant que tu pourras.
bracquet. – Tic, tac, prenons party mon maistre, et allons disner en l’hostellerie, car l’heure de gouster est desja passée.
le capitaine : M’en aller, je ne sçay qui me tient que je ne romps les dents à ces maraudes. Je voudrois veoir qui m’en oseroit empescher. O Ciel ! approche, mettons l’huys en dedans10.
12Le capitaine prend la porte du lupanar pour une muraille et se montre prêt à l’enfoncer. Le geste n’est pas sans faire penser à un viol, tant la situation est claire : les vicissitudes de la porte fermée ont partie liée avec la « saulce d’amour ».
13L’« huys », lesté de son double sens, littéral et figuré, devient donc un point de cristallisation érotique. La porte du logis sert de métonymie autant que de comparant métaphorique en contexte sexuel. Le jeu constitue la facétie centrale de nos pièces. Dans Le Morfondu de Larivey, Lazare choisit de reléguer sa nièce Helaine dans son logis, derrière une porte qu’il espère inexpugnable, pour parer aux tentations galantes de la rue. Malicieux, le serviteur Lambert s’inscrit en faux contre la paranoïa du vieil homme :
- 11 Pierre de Larivey, Le Morfondu, III, 5, éd. E. L. N. Viollet-le-Duc, dans Ancien Théâtre François (...)
lazare : […] Je sçay bien comme je traitte ma niepce. Regarde un peu, la vys-tu jamais ou à la porte, ou à la fenestre, ou sortir dehors, sinon aux dimanches et jours de feste, pour aller oyr une petite messe ? Encore estelle tousjours de retour devant soleil levé.
lambert : Les femmes ne se laissent pourtant aujourd’huy manier de ceste façon. […] Peut-estre que devant qu’il soit jour elle fera…
lazare : Quoy ?
lambert : Ce que font les autres : un pertuis dedans un trou.
lazare : C’est bien rencontré ! j’ay laissé ma servante en la salle et mon laquais à la porte de sa chambre, qui est bien fermée, lesquels, je m’asseure, feront bonne sentinelle jusqu’à mon retour11.
14La porte de la maison est l’analogon du (beau) sexe. Elle renvoie en l’espèce au « pertuis ». Dans la progression chaotique du désir amoureux, elle fonctionne comme signe de la virginité, avatar symbolique de l’hymen. L’ouverture ou bien la fermeture de l’huis deviennent donc le baromètre des relations amoureuses. Les femmes gardent porte close lorsqu’elles se refusent à leurs amants, elles l’ouvrent quand elles veulent se donner.
- 12 Voir Jean-Antoine de Baïf, L’Eunuque, éd. S. Maser, dans La Comédie à l’époque d’Henri II et de Ch (...)
15Dès la première scène de L’Eunuque de Baïf, Fédri se plaint de s’être vu « refuser » l’« entrée » chez la courtisane Thaïs. Face aux dénégations de l’intéressée, il regrette que la « porte » ne lui soit guère « ouverte ». Thaïs tentant de se justifier, le valet Parménon relaie l’indignation de son maître en usant de l’ironie : « D’amour qu’on lui porte / Il lui fallait fermer la porte ! » Un acte plus bas, le même Parménon empêche Naton, qui voulait avoir le « plaisir » de l’« entrée chez elle » d’« ouvrir l’huis de [son] petit doigt ». En l’absence de Fédri, Parménon monte une garde sourcilleuse à proximité du logis, commandant à sa propriétaire de « fermer les portes à nullui ». C’est Chéreau qui parvient à franchir la limite dans l’intervalle entre les actes II et III : il prend soin de « verrouiller la porte » pour violenter Panfile, la jeune protégée de Thaïs12…
- 13 Larivey, Les Tromperies, II, 1, éd. Cameron et Wright, p. 25.
16La Dorothée des Tromperies de Larivey déplore quant à elle ne pas avoir pu accueillir Constant : « O chetive moy, que je crain que ce pauvre Constant n’ayt prins en mauvaise part qu’on luy a fermé l’huys, et que par desespoir il ne me laisse13 ». Ce n’est donc pas sans raison que les jaloux craignent de voir les jeunes femmes sur le seuil…
17Les huis constituent finalement le cœur battant de la conquête grotesque que met en scène le genre comique.
La porte au cœur du siège de ville Burlesque
- 14 La métaphore qui fait de la conquête amoureuse une conquête guerrière et d’une femme une place-for (...)
18La comédie, à la fin de la Renaissance, est l’histoire d’une conquête amoureuse – elle se termine par le mariage, alors que la farce met en scène les vicissitudes de la vie conjugale. Le cœur de l’intrigue de la comédie, c’est de prendre d’assaut la demeure de l’héroïne. Or la trame métaphorique directrice du genre rapporte cet assaut à celui d’une prise de ville fortifiée14. Tous les personnages, notamment masculins, sont décrits et se décrivent comme des combattants. L’enjeu du combat a simplement cessé d’être héroïque ; il ne s’agit plus de prendre des villes, mais de séduire des jeunes filles. Nous avons précédemment signalé le sens général de la représentation de la ville et de celle des jeunes filles dans la comédie. Voici venu le temps de montrer le lien entre ces deux plans.
19La conquête amoureuse est assimilée à une conquête militaire et, comme de juste, c’est au soldat fanfaron qu’il revient de donner l’impulsion à cette transmutation grotesque de la geste martiale. Le fanfaron des Contens d’Odet de Turnèbe, entre autres exemples, répond au nom de Rodomont. Il se glorifie de hauts faits d’armes à la « bataille de Moncontour » et à la « rencontre de Jarnac ». Il ne souhaiterait cependant rien tant que de posséder la belle Geneviève, que lui dispute Basile. Et, dans cette entreprise, il confond continûment le métier des armes et la séduction amoureuse :
- 15 Turnèbe, Les Contens, III, 2, éd. Spector et Aulotte, p. 95-96.
rodomont. – Il m’est advis que je vay maintenant me presenter à quelque breche, la rondache au bras et l’estoc au poing. Et quand je pense là où je vay, il me souvient de la prise d’Issoire ou de Mastric… Mais amour, qui me conduit sous son estandart, me promet que je demoureray maistre de la place sans effusion de beaucoup de sang, pourveu que je conduise mes troupes en silence, pendant que ceux de dedans ne se doubtent de l’embuscade que je leur ay dressée et qu’ils se preparent de se rendre à Basile, sur lequel je raviray aujourd’huy une belle victoire. J’ay envoyé mon homme faire une patrouille autour des avenues, et selon le raport qu’il m’en fera je jetteray mes gens à la campaigne et feray marcher mes bataillons15.
20La majorité des pièces du corpus mettent en œuvre un siège burlesque de ce type. La métaphore poliorcétique, constamment filée, porte le sens profond de la dramaturgie. Tout le sel de la comédie tient au passage de Mars à Vénus. La ville, la maison et le corps féminin sont présentés comme des citadelles assiégées. Soutenue par les personnages masculins et nettement phallocrate, la dynamique de l’intrigue revient à percer ces murailles successives. Si on l’envisage sous l’angle de son imaginaire spatial, la comédie se conçoit ainsi comme une parodie de la guerre. Ce n’est plus l’enceinte de la cité qu’il s’agit de fracturer, mais les « pertuis » des vierges. Dans la logique spatiale de la comédie, les portes s’imbriquent pour renvoyer à la ville, à la maison ou au sexe de la jeune première. Les pièces jouent fondamentalement d’un emboîtement de ces trois échelles.
21L’orchestration matérielle du spectacle comique concrétisait d’ailleurs le principe de la correspondance métonymique entre la porte de la ville, la porte de la maison et le corps des acteurs. Les décors antiques, tels que s’en inspirent les humanistes, et tels que les évoque Charles Estienne dans ses traductions de L’Andrie et de La Comédie du Sacrifice, articulent une porte de ville et des portes de maison :
- 16 Charles Estienne, L’Andrie, « Épître du translateur au lecteur, en laquelle est déclarée la manièr (...)
Se voyaient certaines portes et entrées de diverses maisons, desquelles saillaient les joueurs et auxquelles se retiraient. […] Vers le meilleu de la scène y avait une grande porte ouverte, faite en forme d’entrée de ville, en laquelle entraient les joueurs, quand ils signifiaient vouloir aller ou à la ville, ou au marché, ou aux champs, ou ailleurs que à leurs logis, et de laquelle porte aussi retournaient ou de la ville, ou de quelque autre lieu16.
- 17 C’est aussi ce que laisse entendre l’« introduction » de P. Pasquier dans son éd. du Mémoire de Ma (...)
22À la fin du xvie siècle, les portes sont plus que jamais les éléments centraux de ce qui ne s’appelle pas encore la scénographie. Le système des décors dits à « compartiments » exhibe la logique de l’imbrication des limites17.
- 18 Voir sur ce point D. Roussel, Violences et passions dans le Paris de la Renaissance, Seyssel, Cham (...)
23Quoi qu’il en soit, le point d’application de l’action est invariable : il s’agit de franchir une porte équivoque. Sur le champ de bataille grotesque qu’est la rue, prendre femme, c’est s’emparer de sa demeure, donc passer son « huis ». Les portes concentrent la concupiscence et l’énergie guerrière des jeunes premiers. Instrument d’inclusion et d’exclusion, elles dessinent une frontière à transgresser ou à défendre – c’est selon. Elles définissent la ligne de front, l’enjeu des combats18. Frères, pères et tuteurs espèrent que l’honneur des jeunes filles sera sauvé par le gond. Toute l’intrigue de la comédie revient à décevoir cette certitude.
24L’« huis », pivot de la dramaturgie, devient le prétexte d’une multitude de jeux de mots grivois, qui masquent autant qu’ils révèlent le soubassement sexuel de l’intrigue.
Les équivoques facétieuses
- 19 Jacques Grévin, La Trésorière, IV, 1, éd. C. Douël Dell’Agnola, dans La Comédie à l’époque d’Henri (...)
25Au cours du siège parodique, c’est aux domestiques qu’incombe le rôle ingrat de vigile ou d’espion. Laissons-leur donc l’honneur d’ouvrir le feu des sous-entendus. À l’acte IV de La Trésorière, le valet Richard raconte comment il a vu le Protenotaire « entrer dedans » le logis de Constante, et comment cette dernière « l’a reçu ». À ce déplacement succède un « baiser ». L’ensemble « montre assez l’affection de l’amoureuse passion », assure le narrateur19.
- 20 Jacques Grévin, Les Esbahis, II, 3, éd. C. Douël Dell’Agnola, dans La Comédie à l’époque d’Henri I (...)
- 21 Jean de La Taille, Le Négromant, V, 4, éd. F. Rigolot, dans La Comédie à l’époque d’Henri II et de (...)
- 22 Pierre de Larivey, Les Jaloux, Gotard à Richard, IV, 2, éd. E. L. N. Viollet-le-Duc, dans Ancien T (...)
- 23 Pierre de Larivey, Les Escolliers, III, 3, éd. E. L. N. Viollet-le-Duc, dans Ancien Théâtre Franço (...)
- 24 Larivey, Les Escolliers, V, 6, éd. Viollet-le-Duc, p. 177.
26Cependant, au-delà des serviteurs, tous les personnages de la comédie, notamment les jeunes premiers, font bourgeonner les plaisanteries. À l’acte II des Esbahis, le vieux tousseux Josse est décrit ironiquement comme « frisque et gaillard, / Devant l’huis du sire Gérard, / Faisant l’amour20 ». Au dernier acte du Négromant, au moment où doivent être conclus les mariages, Cynthien reste introuvable. Maxime révèle qu’il est « entré secrètement par l’huis de derrière en la maison » de Lavinie21… Vincent quant à lui, jeune premier des Jaloux, conquiert sans difficultés excessives la belle Magdelaine. Après avoir passé les murs de son logis, il « frappe contre [sa] porte deux petitz coups avec la pointe du doigt », et il « luy fut ouvert22 ». Les Escolliers, la sixième des « comédies facétieuses » publiées par Larivey en 1579, persévère dans la double entente. À Hippolite, qui s’apprête à pénétrer dans le logis de la belle Susanne, Nicolas livre cette ultime recommandation : « Passez vistement, et fermez l’huys23 ». Au médecin Theodore, que sa femme Lucresse a trompé en son absence, le valet Luquain se permet de donner ce conseil : « Vous devriez bien fermer vos portes, principalement le soir24 ».
- 25 Turnèbe, Les Contens, I, 7, éd. Spector et Aulotte, p. 36-38.
- 26 Turnèbe, Les Contens, III, 7, éd. Spector et Aulotte, p. 82-83.
27Revenons à Odet de Turnèbe. À l’acte I des Contens, Geneviève redoute de « faire entrer Basile en [sa] maison » et de « faire brèche à [son] honneur ». L’entremetteuse Françoise parvient à dissiper les craintes de la jeune fille en détournant quelques maximes bibliques : « La demande de Basile, qui vous ayme de si bon amour, est sainte, juste et raisonnable. Vous avez ouy dire souvent à vostre confesseur, comme je croy, qu’il faut aymer son prochain comme soy-mesme ». Rapidement convaincue par ce sermon fort peu catholique, Geneviève se laisse tenter. Avant de s’éclipser, Françoise lui suggère de « laisser [sa] porte entrouverte25 »… À l’acte III, la vieille Louise surprend les ébats de sa fille. Elle s’étonne d’abord, à l’entrée dans son domicile, de trouver « la porte ouverte » et craint que des « larrons [soient] venus pendant [son] absence ». Le larcin a bien eu lieu, la maîtresse du logis raconte comment elle l’a découvert : « Je me suis mise à regarder par le trou de la serrure de l’huis. Mais je n’y ay veu qu’un larron qui voloit l’honneur de ma fille et le mien26 »… Louise est spectatrice de jeux sexuels qui, pour le spectateur, restent confinés dans le hors scène. Nous accédons par le récit de la mère possessive à cette vision d’un Basile « volant l’honneur » de Geneviève. Le dispositif dramatique en forme de « trou de la serrure de l’huis » fait de nous des voyeurs de second rang.
- 27 Amboise, Les Néapolitaines, II, 8, éd. Spiegel, p. 48-49.
- 28 Amboise, Les Néapolitaines, III, 6, éd. Spiegel, p. 57-58.
28À l’acte II des Néapolitaines, Augustin explique à son valet Loys qu’Angélique a été, sinon violée, du moins contrainte par l’Espagnol Dom Dieghos. Le valet commente la révélation en filant la métaphore spatiale : « Le chemin est frayé et bien hanté » ; puis : « Pour peu d’entrée que les Espagnols ayent en une maison, ils s’en font à la fin maistres, si on leur permet27 ». À l’acte III, c’est néanmoins Augustin qui brûle la politesse à Dieghos auprès d’Angélique. L’Espagnol se présente devant le domicile de la jeune femme, il dit vouloir « hurter à la porte » et l’ouvrir de son « passe-partout ». Peine perdue : Augustin l’a devancé à l’intérieur de la maison, dont il a trouvé l’« huis ouvert par fortune28 »…
29À l’acte I des Tromperies, la maquerelle Gillette subordonne l’entrée dans son lupanar à la solvabilité des clients. Pour s’adonner aux plaisirs, il faut de l’argent. Constant se montre récalcitrant :
- 29 Larivey, Les Tromperies, I, 1, éd. Cameron et Wright, p. 9.
constant. – Et si je n’en ai point ?
gillette. – Demeure à l’huys, et conte les chevilles.
constant. – Ne t’en ai-je pas donné tandis que j’en ay eu ?
gillette. – La porte ne t’a-elle pas esté ouverte tandis que tu en avois ?
constant. – Je t’en donneray quand j’en auray, que veux-tu d’avantage ?
gillette. – Je t’ouvriray quand tu en auras, que veux-tu d’avantage29 ?
30L’imaginaire spatial que projette l’échange stichomythique a beau rester au stade de l’euphémisme, le sens grivois est transparent.
- 30 Pierre Troterel, Les Corrivaux, II, 4, éd. E. L. N. Viollet-le-Duc, dans Ancien Théâtre françois o (...)
- 31 Troterel, Les Corrivaux, III, 3, éd. Viollet-le-Duc, p. 277.
- 32 Troterel, Les Corrivaux, IV, 2, éd. Viollet-le-Duc, p. 284.
31Dans les Corrivaux de Troterel, la porte de la maison de Clorette apparaît toujours fort ambiguë. À l’acte II, le valet Almérin drogue son maître Brillant avant de se substituer à lui auprès de la protagoniste. Il signale son entrée dans la demeure de la jeune femme d’une notation trop équivoque pour être tout à fait honnête : « Je m’en vay gratter doucement à la porte ». Almérin parvient à donner le change à la jeune fille, qui lui enjoint de « [se] mettre en [sa] place » au plus vite30… Mais le maître Brillant est de retour à l’acte III. Il déplore d’avoir dormi au lieu d’honorer le rendez-vous initialement prévu avec la belle. Clorette s’étonne, rapporte à son amant qu’il a bel et bien « tabouré trois coups à [sa] porte », rappelle qu’elle s’est alors « levée du lict, ouvrant tout bellement/ [Son] huis bien tourillé ». Brillant s’alarme de ce compte rendu, mais Clorette se sort du mauvais pas : l’action rebondit rapidement, les deux amoureux sont repérés en train de s’« enfiller31 ». C’est cette fois-ci le père de la jeune fille qu’il faut abuser. On accuse Brillant d’être « venu se coucher finement avec elle, / Après avoir ouvert avecques son couteau / [L’]huis, qui n’estoit clos qu’avecques un coipeau32 ».
- 33 « Geneviève : Je crains que quelcun de nos voisins ne le [Basile] voye entrer ou sortir. Nivelet : (...)
32Refermons le florilège, qui est très loin d’être d’exhaustif. Ce qui est constamment en jeu dans le genre comique, c’est, pour reprendre le mot d’un des valets des Contens, « l’entrée et la sortie33 ».
- 34 Voir J. Serroy, « De L’École des femmes à Britannicus. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée (...)
- 35 Pierre Le Loyer, La Néphélococugie ou La Nuée des cocus, « Au docte et benevole lecteur », éd. M. (...)
33Jean Serroy, dans un article de 1996, a montré l’importance dramatique de la porte dans L’École des femmes, en s’attachant à signaler sa signification grivoise. Cependant, il suggérait que Molière inaugurait ce jeu de mots et, de la sorte, inventait une nouvelle forme de comédie34. Cette conclusion faisait peu de cas du théâtre du xvie siècle. Molière s’inscrit dans le fil d’une tradition éprouvée. Uranie, personnage central de La Critique de l’École des femmes (1663), estime, certes au nom des laquais du parterre, que les spectateurs de la comédie sont « plus chastes des oreilles que de tout le reste du corps » (scène 3). Le lecteur que sollicite la comédie antérieure à Molière anticipe à bien des égards celui que convoque L’École des femmes. La plaisanterie que nous avons étudiée a beau préserver en apparence la décence, elle n’en ouvre pas moins la porte à bien des équivoques. Les comédies des années 1550-1650 sont émaillées de ce que Pierre Le Loyer, dans l’avertissement « au docte et benevole lecteur » qui précède La Néphélococugie (1579), appelle des « parolles ambigues et à deux ententes35 ». L’évocation des huis concentre l’essentiel de ce comique gaillard.
- 36 Voir notamment M. Lazard, La Comédie humaniste du xvie siècle et ses personnages, passim.
34Dans sa thèse, Vincent Dupuis montre que la tragédie est un genre féminin. Contrairement à ce que peuvent laisser accroire certaines interprétations36, la comédie est au contraire un genre masculin et même machiste. Elle intéresse le féminisme par là-même : proposer une lecture critique de ce corpus apporte une contribution originale à la déconstruction du phallocentrisme.
- 37 La porte renvoie à l’inscription d’une propriété. Il n’y a pas de porte dans le monde paysan, où l (...)
35La référence à la porte constitue la facétie matricielle de la comédie et ne se réduit jamais à un pur jeu verbal. L’allusion doit être rapportée à ses fondements anthropologiques. On a vu en premier lieu que l’huis représente une ville par synecdoque. Les coups frappés à la porte constituent un rituel hautement signifiant, qui relève d’un système bourgeois et urbain37. On a établi ensuite que l’huis, parce qu’il dessine un espace symbolique, renvoie à la jeune première qui est l’objet de toutes les convoitises masculines dans le déroulement de l’intrigue. L’association de l’espace citadin et du personnage féminin fonde le schème narratif de la conquête parodique que nous avons exploré dans un troisième temps. Ces éléments successifs nous autorisent à résumer la logique du théâtre comique du xvie siècle d’une formule : la comédie, c’est l’art d’enfoncer des portes fermées et de découvrir que certaines ont été indûment ouvertes…
36À ta mémoire, Vincent, que ta journée d’étude m’a révélé comme un jumeau en l’esprit : le 30 mai 2015, nous découvrions, avec un amusement partagé, que nous avions effectué nos thèses pendant les mêmes années et sur des sujets symétriques, que nous les avions soutenues le même mois, que nous nous apprêtions à les publier chez le même éditeur…
37Adieu, cousin canadien.
Notes
1 M. Lazard, La Comédie humaniste du XVIe siècle et ses personnages, Paris, PUF, 1978, p. 19.
2 Ce travail s’adosse à notre thèse, laquelle porte sur les comédies françaises des années 1550-1650. Cet article synthétise une partie de ses conclusions et vaut pour les comédies suivantes (que nous classons selon les dates de première publication) : L’Andrie (1542) et La Comédie du Sacrifice (1543) de Charles Estienne ; La Trésorière et Les Esbahis de Jacques Grévin (1561) ; L’Eunuque (1565) et Le Brave (1573) de Jean-Antoine de Baïf ; Le Négromant et Les Corrivaus de Jean de La Taille (1573) ; L’Eugène d’Étienne Jodelle (1574) ; La Reconnue de Rémy Belleau (1578) ; Le Laquais, La Veuve, Les Esprits, Le Morfondu, Les Jaloux et Les Escolliers de Pierre de Larivey (1579) ; La Néphélococugie ou La Nuée des cocus de Pierre Le Loyer (1579) ; Les Néapolitaines de François d’Amboise (1584) ; Les Contens d’Odet de Turnèbe (1584) ; Les Escoliers de François Perrin (1589) ; Les Desguisez de Jean Godard (1594) ; La Constance, Le Fidèle et Les Tromperies de Pierre de Larivey (1611) ; Les Corrivaux de Pierre Troterel (1612).
3 La tradition critique est unanime à constater que la première comédie humaniste ne se dissocie que problématiquement de la farce : voir notamment J.-Cl. Ternaux, « La comédie humaniste et la farce : La Trésorière de Grévin », Seizième Siècle, 6, 2010, p. 77-93 ; Ch. Mazouer, Le Théâtre français de la Renaissance, Paris, Champion, 2002, p. 313 ; et M. Freeman, « Hearty Laugh and Polite Smiles. The Evolution of the Comic Theatre in Sixteenth-Century France », Origini della commedia nell’Europa del Cinquecento, actes du colloque de Rome tenu du 30 septembre au 3 octobre 1993, éd. M. Chiabo et F. Doglio, Rome, Centro studi sul teatro medioevale e rinascimentale, 1994, p. 131-144.
4 Les humanistes français lisent non seulement les dramaturges, mais aussi les architectes transalpins. Jean Martin donne à lire Le Premier livre d’architecture et le Second livre de perspective de Serlio en 1545, puis l’Architecture, ou Art de bien bastir de Vitruve en 1547.
5 Vitruve, De Architectura, Livre V, chapitre vi, trad. Cl. Perrault revue par A. Dalmas, Paris, Balland, 1979, p. 167.
6 Voir le croquis de la scena comica à l’adresse : http://www.examenapium.it/aams/s02serliocomica.jpg.
7 François d’Amboise, Les Néapolitaines, « Prologue ou avant-jeu », éd. H. Spiegel, Heidelberg, Carl Winter Universitätsverlag, « Beiträge zur neueren Literaturgeschichte », 1977, p. 17.
8 Pierre de Larivey, Le Laquais, IV, 3, éd. M. Lazard et L. Zilli, Paris, Société des Textes Français Modernes, diff. Nizet, 1987, p. 184-185.
9 Odet de Turnèbe, Les Contens, IV, 5, éd. N. B. Spector complétée par R. Aulotte, Paris, Société des Textes Français Modernes, diff. Didier, 1964, p. 106.
10 Pierre de Larivey, Les Tromperies, IV, 1, éd. K. Cameron et P. Wright, Exeter, University of Exeter Press, Textes Littéraires, C, 1997, p. 57-58.
11 Pierre de Larivey, Le Morfondu, III, 5, éd. E. L. N. Viollet-le-Duc, dans Ancien Théâtre François ou Collection des ouvrages dramatiques les plus remarquables depuis les mystères jusqu’à Corneille, Paris, Pierre Jannet (Bibliothèque elzévirienne, 1), t. V, 1855 ; Millwood, N. Y., Kraus Reprint, 1982, p. 345-346.
12 Voir Jean-Antoine de Baïf, L’Eunuque, éd. S. Maser, dans La Comédie à l’époque d’Henri II et de Charles IX. 1564-1573 [Théâtre français de la Renaissance, Première Série. Vol. 8], Florence, Olschki ; Paris, Presses Universitaires de France, 1996, successivement I, 1, p. 193 ; II, 2, p. 207 ; III, 2, p. 222 ; III, 5, p. 231.
13 Larivey, Les Tromperies, II, 1, éd. Cameron et Wright, p. 25.
14 La métaphore qui fait de la conquête amoureuse une conquête guerrière et d’une femme une place-forte à prendre n’est pas nouvelle : elle est modulée notamment par la poésie ovidienne ou pétrarquiste. Cependant, elle joue d’une façon bien différente dans la comédie humaniste, dont elle constitue de surcroît la trame centrale et emblématique – ce qui avait échappé à la critique et ce que montre notre thèse.
15 Turnèbe, Les Contens, III, 2, éd. Spector et Aulotte, p. 95-96.
16 Charles Estienne, L’Andrie, « Épître du translateur au lecteur, en laquelle est déclarée la manière que les anciens ont observée en leurs comédies », éd. L. Zilli, dans La Comédie à l’époque d’Henri II et de Charles IX. 1541-1554 [Théâtre français de la Renaissance, Première série, vol. 6], Florence, Olschki ; Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. 33-34. L’« Épître du traducteur à Monseigneur le Dauphin de France : déclarative de la manière que tenaient les anciens, tant à la composition du jeu qu’à l’appareil de leurs comédies » de La Comédie du Sacrifice, du même Charles Estienne, avance des termes comparables pour décrire l’organisation spatiale du théâtre à l’antique.
17 C’est aussi ce que laisse entendre l’« introduction » de P. Pasquier dans son éd. du Mémoire de Mahelot, Paris, Champion (coll. « Sources classiques », 58), 2005, p. 81 : « Les rideaux de chambre servaient à dévoiler l’intérieur d’un compartiment du dispositif scénographique quand l’action de la pièce représentée allait s’y dérouler, puis à voiler celui-ci quand l’action se poursuivait dans l’espace vide ou dans une autre chambre. D’un seul tenant ou à deux panneaux, ces rideaux étaient sans doute peints de manière à figurer, dans leur extension maximale, l’extérieur de l’élément figuré par la chambre, le plus souvent la façade d’un édifice. C’est, en tout cas, ce que suggère une allusion faite par l’abbé d’Aubignac dans la seconde dissertation du Térence justifié publiée en 1656, à ces “rideaux qu’un (fait) aller et venir, pour faire et défaire subtilement les murailles” ». Le seul jugement de P. Pasquier qui nous semble contestable, c’est l’affirmation selon laquelle à l’« intrigue comique » correspondraient une « logique de l’extériorité » et un « refus de l’action intérieure » (p. 169) : on voit que la comédie ne tire pas moins profit de l’articulation extérieur/intérieur que les genres tragique, tragi-comique ou pastoral.
18 Voir sur ce point D. Roussel, Violences et passions dans le Paris de la Renaissance, Seyssel, Champ Vallon (coll. « Époques »), 2012, p. 209 : « Espace de transition entre le logis et la rue, le seuil de la porte principale du logis apparaît comme un lieu majeur de la violence : à lui seul il représente, à l’échelle de la maison, un quart des homicides pardonnés et 41,5 % des violences enregistrées par la justice de Saint-Germain-des-Prés ».
19 Jacques Grévin, La Trésorière, IV, 1, éd. C. Douël Dell’Agnola, dans La Comédie à l’époque d’Henri II et de Charles IX. 1561-1568 [Théâtre français de la Renaissance, Première Série. Vol. 7], Florence, Olschki ; Paris, Presses Universitaires de France, 1995, p. 57.
20 Jacques Grévin, Les Esbahis, II, 3, éd. C. Douël Dell’Agnola, dans La Comédie à l’époque d’Henri II et de Charles IX. 1561-1568 [Théâtre français de la Renaissance, Première Série. Vol. 7], Florence, Olschki ; Paris, Presses Universitaires de France, 1995, p. 118.
21 Jean de La Taille, Le Négromant, V, 4, éd. F. Rigolot, dans La Comédie à l’époque d’Henri II et de Charles IX. 1566-1573 [Théâtre français de la Renaissance, Première Série. Vol. 9], Florence, Olschki ; Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p. 207.
22 Pierre de Larivey, Les Jaloux, Gotard à Richard, IV, 2, éd. E. L. N. Viollet-le-Duc, dans Ancien Théâtre François ou Collection des ouvrages dramatiques les plus remarquables depuis les mystères jusqu’à Corneille, Paris, Pierre Jannet (Bibliothèque elzévirienne, 1), t. VI, 1855 ; Millwood, N. Y., Kraus Reprint, 1982, p. 59.
23 Pierre de Larivey, Les Escolliers, III, 3, éd. E. L. N. Viollet-le-Duc, dans Ancien Théâtre François […], t. VI, p. 137.
24 Larivey, Les Escolliers, V, 6, éd. Viollet-le-Duc, p. 177.
25 Turnèbe, Les Contens, I, 7, éd. Spector et Aulotte, p. 36-38.
26 Turnèbe, Les Contens, III, 7, éd. Spector et Aulotte, p. 82-83.
27 Amboise, Les Néapolitaines, II, 8, éd. Spiegel, p. 48-49.
28 Amboise, Les Néapolitaines, III, 6, éd. Spiegel, p. 57-58.
29 Larivey, Les Tromperies, I, 1, éd. Cameron et Wright, p. 9.
30 Pierre Troterel, Les Corrivaux, II, 4, éd. E. L. N. Viollet-le-Duc, dans Ancien Théâtre françois ou Collection des ouvrages dramatiques les plus remarquables depuis les mystères jusqu’à Corneille, Paris, Plon (Bibliothèque elzévirienne, 1), t. VIII, 1856, p. 263.
31 Troterel, Les Corrivaux, III, 3, éd. Viollet-le-Duc, p. 277.
32 Troterel, Les Corrivaux, IV, 2, éd. Viollet-le-Duc, p. 284.
33 « Geneviève : Je crains que quelcun de nos voisins ne le [Basile] voye entrer ou sortir. Nivelet : La pauvre fille ! Elle n’a peur que de l’entrée et de la sortie, car elle seroit bien aise qu’il fust tousjours dedans » (Turnèbe, Les Contens, I, 7, éd. Spector et Aulotte, p. 35).
34 Voir J. Serroy, « De L’École des femmes à Britannicus. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée », Littérature classiques, 27, 1996, p. 65 : « Touchant aux grand sentiments et aux grandes questions, Molière transforme la nature même de la comédie : le moindre jeu de scène, le plus petit accessoire peut ainsi se charger chez lui d’une profondeur dramatique insoupçonnée, qui ouvre à la scène comique le champ le plus large ».
35 Pierre Le Loyer, La Néphélococugie ou La Nuée des cocus, « Au docte et benevole lecteur », éd. M. Doe et K. Cameron, Genève, Droz (coll. « Textes Littéraires Français », 570), 2004, p. 75. Ces « circonlocutions » permettent, ajoute l’auteur, de « se gaudir » mais avec « respect ». Seule l’obscénité ouverte est répréhensible.
36 Voir notamment M. Lazard, La Comédie humaniste du xvie siècle et ses personnages, passim.
37 La porte renvoie à l’inscription d’une propriété. Il n’y a pas de porte dans le monde paysan, où les maisons sont fragiles. Il n’y a pas de porte dans un château-fort (le pont-levis passé). Il y a certes des portes dans les palais de tragédie, mais elles ont une signification politique qui les distingue des portes de la comédie (voir le commentaire de J. Serroy sur Britannicus dans l’art. cité supra).
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Goulven Oiry, « Une facétie matricielle », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 32 | 2016, 189-203.
Référence électronique
Goulven Oiry, « Une facétie matricielle », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 32 | 2016, mis en ligne le 08 décembre 2019, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14103 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14103
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