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Corps du roi en scène. Théâtre et représentation du pouvoir (1460-1610)

Présence du corps absent

Théâtre et disparition du prince au xve siècle
Estelle Doudet
p. 19-36

Résumés

En 1461 et 1468, l’écrivain officiel George Chastelain présente La Mort du roi Charles VII et La Mort du duc Philippe de Bourgogne à l’occasion des fêtes d’avènement de leurs successeurs. La pièce française se distingue de la pièce bourguignonne, où le duc disparu est pleuré par des sujets sans identité précise. Les choix esthétiques et politiques du dramaturge montrent combien le théâtre reflète et reconstruit les différents imaginaires du corps souverain au xve siècle

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Texte intégral

  • 1 E. Kantorowicz, Les Deux corps du roi, essai sur la théologie politique au Moyen Âge, trad. J.-P. (...)
  • 2 F. Assaf, La Mort du roi, une thanatographie de Louis xiv, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1999.
  • 3 Sur le rôle symbolique de l’effigie du défunt et son évolution en France aux xve et xvie siècles, (...)

1« Le roi ne meurt jamais » est le titre donné aux pages finales des Deux corps du roi d’Ernst Kantorowicz1. La mort princière est l’un des moments-clefs de la théorie des corps symboliques et des imaginaires politiques qu’elle articule. C’est alors que se pose de façon aiguë la dialectique de l’absence et de la présence, de l’éphémère et du permanent. Lorsqu’advient un décès royal, les commentateurs contemporains déploient en général ce que Francis Assaf a appelé une thanatographie2 : se multiplient déplorations poétiques, proses commémoratives, épitaphes ornées des couleurs de la louange. Grâce à une rhétorique mêlant plainte et consolation, ces productions disent le changement de règne tout en prévenant les troubles qu’il pourrait provoquer. Les spectacles ont activement participé au xve siècle à une telle publicisation de la mort du souverain. Parallèlement aux effigies présentes aux funérailles des rois de France depuis Charles VI3, des mises en scène théâtrales montrant le prédécesseur disparu ont parfois été intégrées aux entrées urbaines offertes aux nouveaux gouvernants.

  • 4 La représentations des revenants est fréquente aux xiie et xiiie siècles, notamment dans les récit (...)

2Les spectacles qui s’affrontent à la représentation de la mort du prince régnant visent moins, en général, à commenter la disparition de tel ou tel individu qu’à démontrer la pérennité du corps politique dont il était le chef. En cela, leur propos ne se distingue guère des thanatographies lyriques et narratives. Cependant le théâtre étant lui-même un lieu où s’articulent des corps de chair, ceux des acteurs, et des corps de fiction, ceux des personnages, y montrer un souverain qui vient de décéder soulève des problèmes délicats. Comment donner à voir ce qui échappe désormais aux regards à une époque où les spectres hantent rarement les planches4 ? Quel corps du roi les corps de théâtre permettent-ils d’incarner ? Pour quelles raisons représente-t-on un passé désormais révolu lors des fêtes d’avènement ?

3Pour tenter d’approcher le fonctionnement assez complexe du corps du roi dans ce qu’on pourrait appeler la « thanato-scénographie » en moyen français, la présente enquête se propose d’explorer deux pistes. L’une, dans une perspective dramaturgique, interroge la représentabilité du corps royal défunt au théâtre. L’autre, fondée sur l’hypothèse qu’entre les imaginaires du pouvoir politique et les circonstances de leur énonciation existe une profonde interdépendance, s’attache à étudier les variations que les occasions de représentation font naître au sein d’une production dramatique cohérente. Voilà pourquoi le corpus choisi pour l’étude est dû à la plume d’un unique dramaturge, George Chastelain, actif dans la seconde moitié du xve siècle.

  • 5 Nous empruntons cette désignation à É. Lecuppre-Desjardin, Le Royaume inachevé des ducs de Bourgog (...)
  • 6 Sur les circonstances de cette nomination, voir G. Small, George Chastelain and the Shaping of Val (...)
  • 7 Pour une étude globale de l’œuvre du premier Grand Rhétoriqueur, nous nous permettons de renvoyer (...)

4L’œuvre de George Chastelain s’enracine dans un espace partiellement francophone mais situé en dehors du royaume, la Grande Principauté de Bourgogne5. De la fin du xive siècle au milieu du siècle suivant, cet ensemble territorial pluriel s’est affirmé, sous la houlette de ducs Valois, comme une puissance rivale du trône des lys. En 1455, Philippe le Bon a nommé pour la première fois un historiographe officiel de sa dynastie en la personne de Chastelain6. La mission de celui qui recevra en 1473 le titre d’indiciaire est de répondre hic et nunc à l’entreprise royale des Grandes Chroniques de France, tout en assurant in secula seculorum la gloire de ses maîtres. Mue par cette ambition, l’écriture géorgine est devenue rapidement polygraphique : chroniques du présent, poésies de circonstance, commentaires sur l’actualité, spectacles politiques ont assuré à Chastelain une position de porte-parole de la Grande Principauté et le surnom flatteur d’« orateur George7 ».

  • 8 Les quatre pièces sont entre autres conservées dans l’une des anthologies des œuvres de l’indiciai (...)
  • 9 Les comptes ducaux notent le paiement de six acteurs ayant joué une pièce devant Charles le Téméra (...)
  • 10 Auteur dramatique, Chastelain a été sans doute impliqué dans l’organisation matérielle de certains (...)

5L’activité dramatique du Bourguignon nous est connue par quatre œuvres : Les Épitaphes d’Hector, dont une représentation est attestée en 1454 ; La Mort du roi Charles VII rédigée en 1461 à la suite du décès du monarque ; La Mort du duc Philippe représentée en mars 1468, quelques mois après la disparition de ce prince ; enfin La Paix de Péronne qui commente l’alliance entre Louis XI et Charles le Téméraire à la fin de la même année8. Bien que la documentation soit lacunaire, il semble que les deux premières pièces aient été présentées à Nevers pour Les Épitaphes d’Hector, possiblement à Paris pour La Mort du roi Charles VII. Les deux œuvres de 1468 sont demeurées en territoire bourguignon, La Mort du duc Philippe ayant été jouée à Mons9. La carrière d’homme de scène de Chastelain10 s’est ainsi accompagnée d’une certaine mobilité géographique, non sans conséquence sur son travail d’écriture.

6La Mort du roi Charles VII et La Mort du duc Philippe ont en commun une présentation lors d’entrées princières. Intégrées à des manifestations dédiées à la spectacularisation d’une communauté politique au moment où le nouveau gouvernant en accepte la charge, les deux œuvres sont fondées sur une double temporalité : elles commémorent les anciens règnes qui s’achèvent au moment où s’ouvrent ceux des héritiers tout en s’efforçant de placer l’actualité politique qu’elles représentent dans une perspective transcendante. En découle le choix de la dramaturgie allégorique. Les convergences esthétiques et contextuelles entre les deux pièces sont cependant nuancées par des divergences notables, qui révèlent, selon notre hypothèse, les cultures politiques différentes du royaume de France et de la Grande Principauté de Bourgogne.

La mort du roi Charles VII : du corps du roi au sang de la France

  • 11 La réception du duc de Bourgogne à Paris est décrite dans le chapitre xvii du livre VI de la Chron (...)
  • 12 La Mort du roi Charles VII, Œuvres de Georges Chastellain, t. VI, p. 437-457. En attendant la nouv (...)

7En 1461, le décès de Charles VII apporte à son fils la couronne tant attendue. Philippe de Bourgogne, protecteur du dauphin depuis 1456, paraît triompher. D’août à septembre 1461, le duc et son entourage se rendent à Reims puis à Paris pour les fêtes de joyeux avènement en l’honneur de Louis XI. La Chronique de Chastelain ainsi que son œuvre de circonstance L’Entrée du roi Louis en nouveau règne suggèrent que l’historiographe est à leurs côtés11. La Mort du roi Charles VII est conçue à cette occasion12. Ni la date, ni les circonstances d’une possible représentation ne nous sont connues, malgré quelques indices sur lesquels nous reviendrons.

8Le spectacle s’articule en trois moments, organisation qui souligne d’emblée l’importance donnée au rythme dramatique – duos, trios, figures et discours en miroirs – et à ses possibles sens symboliques. Le roi Charles est mort. Chastelain le fait apparaître sur les tréteaux pour répondre aux demandes de France, qui souhaite exalter sa personne par une « histoire » :

  • 13 La Mort du roi Charles VII, p. 437.

france
Roy sur tous roys, haut roy victorieux,
O, et quel los, quelle fameuse histoire
Mettray je avant de tes faits glorieux13.

  • 14 Ibid.
  • 15 La Mort du roi Charles VII, p. 437-438.

9Écartant l’épithète à connotation biblique de « roi des rois », Charles rappelle sa disparition, qui le mêle désormais à la poussière des choses passées : « Roy jadis fus, or suys devenu terre14 ». L’écart entre individu et incarnation du pouvoir est manifesté par le face-à-face du corps failli de Charles et de la personnification intemporelle de France. Le contraste est amplifié par l’opposition rhétorique des couleurs de la vanitas, le roi rappelant humblement ses faibles mérites, et de la gloria, France louant le destin exceptionnel offert par Dieu au souverain, qui a permis à ce dernier de sauver le royaume d’une situation désespérée. Ces deux faces du roi esquissées, les rimes cristallisent leur désunion dans la mort : le corps transcendant, auquel France promet « memoire », « gloire », « victoire », s’éloigne irrémédiablement du corps immanent, que le défunt renvoie à « terre », « guerre » et « misere15 ».

  • 16 « Parlent l’un apres l’autre, chascun deux couplets », La Mort du roi Charles VII, p. 440.
  • 17 La Mort du roi Charles VII, p. 446-447.
  • 18 La Mort du roi Charles VII, p. 442-443.

10À la demande de Charles, vingt-quatre serviteurs de son règne apparaissent successivement. Tous sont nobles, les trois quarts d’entre eux décédés sur les champs de bataille de la guerre civile et internationale des années 1420-1440. Corps abolis, oubliés parfois, ils se réincarnent devant leur ancien seigneur, chacun lui adressant, ainsi qu’au public, deux huitains d’alexandrins16. Le tempo énumératif des tirades esquisse une grossière chronologie : Arnaud de Barbazan, tué lors de l’engagement de Bugnéville en 1433, ouvre la théorie des capitaines défunts, dont l’un des derniers est le connétable Arthur de Bretagne, décédé en 1458. Les figures s’articulent entre elles en de brèves séries, dont la forme la plus fréquente est celle du trio héroïque. Ainsi des chefs tombés à Verneuil en 1424, d’Aumale, Jean Stuart, comte de Buchan et Archibald Douglas17 ; ou encore de Poton de Xaintrailles, de La Hire et de son frère Amadoc de Vignoles, que leur célébrité en tant que compagnons de Jeanne d’Arc place en tête de la troupe martiale18. La réplique de Poton de Xaintrailles, qui disparaît en octobre 1461 – peu après une éventuelle mise en scène de l’œuvre de Chastelain –, est encadrée par celles de ses compagnons, morts respectivement en 1443 et 1434. Le tempo scénique et la commémoration symbolique qu’il soutient prennent le pas sur le destin des corps réels.

  • 19 Les derniers vers du texte dans le ms. de Florence synthétisent par ce terme le sens du spectacle  (...)
  • 20 La restauration de l’intégrité sociale et territoriale est une thématique encadrante de l’œuvre : (...)

11Les trios de guerriers, redoublant la structure ternaire de l’œuvre elle-même, appellent à une lecture trinitaire et spirituelle du spectacle politique. Pour la plupart glorieusement tombés, les capitaines de Charles VII offrent un miroir louangeur à la disparition du roi dans une France désormais pacifiée. Les chefs de guerre mettent en perspective leur propre mort et celle de leur seigneur grâce à la « remembrance » des devoirs chevaleresques à laquelle ils invitent le public19. La mise en scène exploite la polysémie de ce mot : entre appel à la mémoire et méditation sur la reconstruction d’un pays naguère déchiré, le spectacle « remembre » le royaume en affirmant sa plénitude retrouvée20.

12Enfin les défunts se taisent. Ils laissent place au couple de France et de l’Acteur. Les derniers mots de celui-ci, enjoignant l’allégorie et les spectateurs à prier Dieu pour le salut de « Charles mort que le viie. on nomme », révèlent la voix auctoriale :

  • 21 La Mort du roi Charles VII, p. 456.

l’acteur
Donc et afin qu’encore en plus proflues,
George en fait l’advertance a tout homme21.

  • 22 Jean de la Haye, baron de Coulonces, fait du sang visible sur son habit la seule richesse qui lui (...)

13La Mort du roi Charles VII développe une réflexion sur la représentation du corps du roi d’évidence influencée par les théories théologico-politiques contemporaines. La scène exploite, à travers des corps détruits et réincarnés, le paradoxe du caduc et de l’éternel. L’individu Charles, décrit par lui-même comme commun et fragile, laisse place et parole au corpus mysticum du royaume et aux capitaines qui ont permis sa pérennité. La tension entre mort et immortalité est amplifiée par les vingt-quatre héros, certains d’entre eux désignant les traces sanglantes de leur décès comme des parures sur leurs costumes de théâtre22. Mais les corps nobles ont eux aussi une dimension collective. Ils représentent d’autres disparus, la foule anonyme des sujets dont la mort a assuré la survie du pays :

  • 23 La Mort du roi Charles VII, p. 448. Guillaume de Gamaches a été un compagnon de Poton de Xaintrail (...)

le seigneur de gamaches
Les morts pour toy par milliers plus de trente
Ont tant saoulé ta fortune adversaire
Que vainqueur d’elle en a fin refulgente23.

14En les invitant à prendre corps auprès de lui, Charles VII redonne à ses serviteurs d’outre-tombe ce que ceux-ci lui avaient offert, leur vie. Échange placé sous le signe explicite du sacer facere, où le roi est tour à tour sacrifié et sacrificateur. Le maréchal de Boussac, disparu en 1433, est le premier défunt à insister sur l’analogie entre le sacrifice de la messe et le service du prince :

  • 24 La Mort du roi Charles VII, p. 441.

le mareschal de boussac
On doit a Dieu sacriffice à l’autel
Et a son roy service par prebende24.

15La comparaison avec le martyre est suggérée par le comte Douglas, l’amour de Dieu se confondant avec l’amour du roi et de la patrie :

  • 25 La Mort du roi Charles VII, p. 447.

le conte douglas
Amour vers Dieu fit entrer en martire
Les saints jadis pour la foy catholique […]
Amour me fit entrer fier en bataille25.

16L’image du sang versé circule à travers les huitains, y faisant retentir des accents eucharistiques :

  • 26 La Mort du roi Charles VII, p. 446.

le comte d’aumalle
De leur sang rouge ont restably ton trosne
Toy rendant vie en leur mortelle outrance
Et la ou mort de gloire les fleuronne26.

  • 27 La rédemption par le sacrifice du sang qui unit le roi et ses guerriers fait écho aux réflexions d (...)
  • 28 G. Agamben, Opus Dei, Archéologie de l’office (Homo sacer, II, 5), trad. M. Rueff, Paris, Le Seuil (...)

17Dans la théorisation capétienne des relations entre représentants de la dynastie et corpus mysticum du pays, le sang royal, à l’instar de celui du Christ, est supposé doté d’une vertu coalescente qui assure le fonctionnement harmonieux du corps social27. La mise en scène du Bourguignon Chastelain reflète fidèlement cet imaginaire français. Elle développe en particulier la pensée de l’officium qui lui est sous-jacente : office entendu ici au double sens de service rendu à Charles VII et de ministère royal, auquel s’ajoute la dimension liturgique que la théologie chrétienne associe à cette notion depuis saint Ambroise et que Giorgio Agamben a récemment rappelée28.

  • 29 Apoc. 5 : 8-10.
  • 30 Pour l’une des premières attestations en français des Ordines prophetarum, voir le Jeu d’Adam, éd. (...)
  • 31 Sur les oscillations sémantiques du terme « mystère » dans les intitulés théâtraux en moyen frança (...)

18Les choix de Chastelain se laissent aisément déchiffrer à cette lumière. Les vingt-quatre personnages que le monarque appelle à apparaître autour de lui font écho aux vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse auprès du Christ en gloire29. L’histoire contemporaine se déplace par là vers une eschatologie dont les Français seraient les héros ; le spectacle théâtral se confond avec la Révélation. Pareillement, la lente succession des figures, leurs brefs discours à la fois constatifs et ostensifs (« ceci est mon corps », « ceci est ma mort ») rappellent les Ordres des prophètes. Dans ces processions liées aux offices pascals, le cortège de ceux qui ont annoncé la gloire du Seigneur précède et suit à la fois les pas du Messie, descendu aux Limbes pour les faire participer à la Résurrection30. Visuellement, stylistiquement, une grille d’interprétation mystique s’impose aux spectateurs de la manifestation politique. De ce point de vue, le titre de « mistere » donné à La Mort du roi Charles VII dans les six manuscrits de la pièce paraît bien venu, si on l’entend, non pas au sens générique, mais au sens spirituel du mot31.

  • 32 La Mort du roi Charles VII, p. 453.
  • 33 Le recueil de Florence donne à la Mort du roi Charles VII deux épilogues adressés au public. L’un (...)
  • 34 Chronique, Proesme du livre VI, Œuvres de Georges Chastellain, t. IV, p. 5-22. Sur ce texte crucia (...)
  • 35 La Mort du roi Charles VII, p. 455.
  • 36 « J’ay deffendu ma nourrice et ma mere / La noble France en qui j’ay pris mon estre », dit Raoul d (...)
  • 37 Sur le développement précoce de la « Nation France », voir C. Beaune, Naissance de la Nation Franc (...)

19La dramaturgie construite par George Chastelain ne laisse pas cependant de soulever quelques questions. La première est soulevée par la figuration de Charles VII. La signature de l’écrivain officiel de Bourgogne à la fin de la pièce suggère que celle-ci n’est pas une commande du pouvoir français. Ceci pourrait expliquer quelques infléchissements donnés à l’histoire du règne français. Le message adressé au public exalte la paix retrouvée après les guerres contre les Anglais. À ces « tors-faisans » orgueilleux32, La Mort du roi Charles VII n’attribue ni chefs, ni alliés. Silence est aussi fait sur Jeanne d’Arc, remplacée par ses compagnons, et sur le rôle de Philippe de Bourgogne dans le conflit. Le sacre de Charles par des figures d’outre-tombe dont le nombre symbolique ne permet pas d’ajout semble en ce sens un spectacle aveuglant : le regard est détourné d’un passé déplaisant – la guerre civile, l’alliance entre Angleterre et Bourgogne, le bûcher de Rouen – pour mieux faire « remembrer » à des spectateurs – petit groupe choisi ou large public33 – une histoire franco-bourguignonne partagée. Pour autant qu’on puisse en juger, les intentions de Chastelain n’étaient pas seulement iréniques. Le corpus mysticum du royaume, que les historiographes officiels des Capétiens ont traditionnellement lié à l’existence d’une dynastie stable selon le principe Dignitas numquam perit, est ici détaché de la famille royale. Aucune référence à Louis XI, nulle allusion à la succession. Tout se passe comme si le nouveau monarque n’était pas concerné ; comme s’il importait seulement de conclure le règne de Charles VII. La Chronique de Chastelain montre que la disparition du roi en 1461 n’a pas été ressentie comme une perte, mais comme un soulagement pour le parti bourguignon34. Charles mort, peut enfin s’apaiser la vieille querelle entre Bourgogne et France. Aussi est-ce à celle-ci que l’Acteur adresse sa harangue finale : « France, entens cy, prens garde a ceste histoire35 ». À l’allégorie, « nourrice et mere » des personnages36, image d’une communauté nationale à laquelle Chastelain s’associe37, est offert le seul corps récurrent, le seul corps éternel sur le théâtre.

  • 38 « […] Quelle fameuse histoire / Mettray je avant… », La Mort de Charles VII, p. 438 ; « Et la ou l (...)
  • 39 Une ordonnance régulant les activités théâtrales dans les Pays-Bas méridionaux au xvie siècle défi (...)
  • 40 L. Weigert, French Visual Culture and the Making of Medieval Theater, Cambridge, Cambridge Univers (...)

20La deuxième question porte sur la nature du spectacle dont nous conservons le texte. Son statisme est frappant : les personnages dialoguent moins qu’ils n’enchaînent des tirades ; les mouvements scéniques semblent inexistants. En outre, « l’histoire » et la « peinture » que France et l’Acteur souhaitent faire du règne de Charles38, la « remonstrance » que la voix auctoriale propose de voir dans la pièce39 et l’intitulé « mistere par personnages » sont autant d’indices décelant une mise en scène particulière. Dans la langue théâtrale des xve et xvie siècles, tous ces termes désignent en effet des dispositifs spectaculaires mêlant des figures inanimées – personnages peints, tapisseries, sculptures, automates –, et des figures animées – acteurs mobiles ou immobiles. Laura Weigert l’a récemment montré, cette articulation était fréquente lors des entrées princières ; elle appelait le public à observer ensemble des corps de nature différente et à réfléchir à leur possible mise en tension40. Si l’on accepte l’hypothèse que La Mort du roi Charles VII a mêlé des acteurs vivants, des fictions inanimées et des voix de récitants, ce théâtre hybride a pu donner à voir et à comprendre la complexité du corps royal français, au moment où la mort le transforme.

La mort du duc Philippe ou le corps inachevé de la grande principauté de Bourgogne

  • 41 Sur ces textes et leur articulation, Doudet, Un cristal, p. 278-282.
  • 42 La Mort du duc Philippe, mystere par maniere de lamentacion, Œuvres de Georges Chastellain, t. VII (...)
  • 43 Small, George Chastelain, p. 119-120.
  • 44 G. Small, « When indiciaires meet rederijkers : a contribution to the history of the Burgundian th (...)

21En juin 1467, Philippe de Bourgogne s’éteint à Bruges. Le décès provoque chez Chastelain une thanatographie intense qui mobilise toutes les facettes de son écriture pendant plusieurs mois : plaintes lyriques de la part du poète (Le Lion Rampant, Les Rythmes sur le trépas du duc Philippe), récit de l’événement dans la Chronique, réflexions sur le bilan du règne par le moraliste (Les Hauts Faits du duc Philippe)41. En mars 1468 est jouée La Mort du duc Philippe42. Les circonstances de la représentation sont relativement documentées43. À l’occasion de la prise de pouvoir officielle du nouveau duc sur le comté de Hainaut, une entrée princière a été organisée à Mons. Des joueurs valenciennois ont participé aux manifestations en présentant devant Charles de Bourgogne une pièce offerte par leur cité et composée par George Chastelain, l’écrivain officiel de la cour en résidence à Valenciennes. Ils ont été récompensés par un don de vingt livres, somme qui suggère la satisfaction ducale44.

  • 45 Voir C. Thiry, « Débats et moralités dans la littérature française du xve siècle : intersection et (...)

22La Mort du duc Philippe a été conçue pour une occasion comparable à celle de La Mort du roi Charles VII, une fête urbaine de joyeux avènement. Mais les modalités de la « thanato-scénographie » sont bien différentes. Dans la pièce bourguignonne dominent les dialogues, au style influencé par la forme du débat45. L’espace est animé de personnages en mouvement, le cœur de la pièce étant la quête, entre Terre et Ciel, du prince défunt.

  • 46 La Mort du duc Philippe, p. 277.
  • 47 Le cheminement organise entre autres, à la fin du xve siècle, les vastes pièces que sont Bien Advi (...)

23Philippe de Bourgogne est désormais un corps dérobé par la mort. Le trouble provoqué par sa disparition suscite en retour l’apparition de personnifications allégoriques. Seuls personnages visibles en scène – car le jeu suppose un hors-scène, la voix off d’un acteur « sans nom et clos dedens le ciel sans estre vu » retentissant au dénouement46 –, leurs traits sont empruntés aux moralités spirituelles. Le protagoniste est une incarnation du genre humain dotée d’un nom pluriel, Les Hommes. Il s’engage dans un voyage allant de l’ici-bas, siège de La Terre, à l’au-delà où règnent Le Ciel et Les Anges. La métaphore du cheminement, usuelle dans les moralités47, structure le jeu selon un axe vertical, Les Hommes franchissant les étapes qui mènent du lieu terrestre au lieu céleste et débattant avec leurs représentants. Discussions et parcours ont le même moteur : retrouver le duc dont la soudaine absence plonge ses peuples dans le désarroi. Mais où découvrir le corps du souverain lorsqu’il est frappé par la mort ?

24Les Hommes évoquent d’abord le bouleversement de la situation politique en Bourgogne par le biais d’une métaphore. Pendant plusieurs décennies, un « vaissel de voirre » a été suspendu au-dessus des territoires ducaux. Recueillant les rayons du soleil divin et les renvoyant à la manière d’un puissant miroir, la « fiole » a protégé les peuples et repoussé les menaces des ténèbres :

  • 48 La Mort du duc Philippe, p. 241.

les hommes
Les princes s’y enrichissoient,
Les riches s’y assouffissoient
Les bons d’honneur s’y exemploient
Et de bien faire s’arregloient
Desoubs le ray de ses splendeurs.
Luppars et tigres le craignoient
Felons voisins le redoubtoient48.

  • 49 La relation entre verrière mariale et écriture spéculaire est explorée dans La Louenge à la tres g (...)
  • 50 La Mort du duc Philippe, p. 241.

25L’image mariale de la verrière traversée par le soleil, que Chastelain a par ailleurs élue pour décrire sa propre poétique49, insiste sur le rôle d’intercesseur céleste longtemps assumé par Philippe. La fiole de verre a été pour ses sujets une corne d’abondance – elle donnait aux « marchands » « richesse » et « liberté » –, un graal qui assurait « a la terre fecondité50 ». Mais le filage de la métaphore laisse aussi transparaître la fragilité de l’objet. Le « vaissel de voirre » est « materiel ». Tous sont conscients que la « fracture » le guette :

  • 51 La Mort du duc Philippe, p. 240.

les hommes
Car quoyque riche fust et bel
Sy estoit il materiel
Et se pouvait rompre et desfaire
Par le seul fillet luy fourtraire51.

26L’instant est venu où la fiole merveilleuse a chuté. Les Hommes ne peuvent se résoudre à cet accident et partent à la recherche des restes princiers. Terre leur confirme que les « tessons » sont conservés par elle, mais elle refuse de les laisser voir. Aucune ostension possible pour ce qui n’est plus qu’un cadavre :

  • 52 La Mort du duc Philippe, p. 244.

la terre
Je n’en feroye ostension
A nulle vivant creature ;
Ne il ne loist telle froissure
Monstrer a creature nee.
Depuis qu’en moy est retournee
Le secret en sert seul a moy52.

27Abandonnant le discours figuré, Les Hommes demandent alors raison de la mort d’un homme, Philippe de Bourgogne :

  • 53 La Mort du duc Philippe, p. 251.

les hommes
Sy n’est-ce que fainte figure
Vous aussy, vous l’entendez bien.
Il me deul d’un prince chrestien,
Un homme que je voy plorant,
Et vous l’avez laissé mourant53.

28La tension entre le corps caduc du roi et ses corps politique et mystique qui traversait La Mort du roi Charles VII ne se remarque pas dans La Mort du duc Philippe. Ni le défunt, ni une allégorie de la Grande Principauté ne semblent pouvoir apparaître en scène. De ce fait, la quête change de sens. Elle se transforme en débat autour de la question : pourquoi le décès du souverain ? À l’argument de Terre, qui associe Philippe au commun sort de l’humanité, Les Hommes répliquent que d’autres formes vivantes ont une longévité supérieure malgré un rôle moins important dans l’équilibre du monde. Le Ciel est offusqué de cette audace argumentative, ce qui contraint Les Hommes à préciser leur question : à quel moment la mort du prince, par nature inéluctable, est-elle politiquement acceptable ?

le ciel
Cest homme a corps materiel
Le voulez-vous perpetuel
Et qu’a tousjours il vous durast ?

  • 54 La Mort du duc Philippe, p. 258.

les hommes
Nennil, mais qu’il nous demorast
Encor par aucun nombre d’ans
Tant que beaucoup de mauvais temps
Qui sont en cours fussent passés54.

29Alors que La Mort du roi Charles VII était entièrement dédiée à la « remembrance » d’un passé que son évocation permettait de clore, La Mort du duc Philippe est mue par un questionnement prospectif : la disparition du prince sera-t-elle une rupture historique pour ses sujets ? La continuité du pouvoir, garante de l’équilibre économique et social des territoires bourguignons, sera-t-elle assurée ?

30Le thème de la succession dynastique, que Chastelain avait évité dans la pièce consacrée aux rois de France, donne son dénouement au spectacle sur les ducs de Bourgogne. L’âme de Philippe étant désormais en attente des prières de ses sujets pour accéder au Paradis, la bienfaisante influence paternelle se transfère à son fils :

  • 55 La Mort du duc Philippe, p. 264.

le ciel
Car l’influence de son pere
Luy fait la sienne haute et clere.
Le temps l’a ainsy apporté55.

31Le message à l’héritier est d’autant plus clair que Charles fait partie des spectateurs. Ces derniers sont invités à déplacer leur regard des tréteaux, sur lesquels l’effacement de l’ancien corps de pouvoir a été acté, vers le lieu qu’ils partagent désormais avec leur nouveau prince. Ce mouvement vers le hors-scène est soutenu par l’irruption dans la pièce de la voix off de Dieu. Elle rassure le public sur le salut éternel du vertueux Philippe. Les personnages, quittant les accents de la plainte, entonnent un chant de grâce final pour célébrer l’avènement de Charles :

  • 56 La Mort du duc Philippe, p. 278.

la terre
Dansons, chantons cy ou nous sommes
D’un nouvel prince recevoir56.

32La Mort du duc Philippe se présente comme une pièce ouverte. Choix des métaphores, mouvements scéniques, jeux de dialogues et de points de vue, tout y exprime la traversée, le passage d’un principat à l’autre par l’intermédiaire de corps de pouvoir réels, celui du mort laissant place à celui du vif.

33La transfiguration théologico-politique qui caractérise l’imaginaire capétien du corps du roi est cependant affaiblie et surtout décalée. Malgré la dramaturgie allégorique, malgré le voyage des Hommes entre Terre et Ciel, l’enjeu de la Mort du duc Philippe se situe hic et nunc. Le transfert de pouvoir que la mise en scène tente de cerner est moins celui d’une dignitas immortelle, d’un officium sacré, à l’instar de celui des rois de France, que la transmission d’un héritage humain et politique. Il implique la prise en compte de l’écoulement du temps et son incarnation dans des corps princiers tour à tour défaits et reconstruits. De là découle peut-être le mouvement d’une écriture portée par un rythme discursif circulaire – les couplets d’octosyllabes enchaînés par les allégories au début de la pièce revenant la clore –, par des personnages mobiles, par des acteurs aux voix situées. C’est en effet une ville, Valenciennes, et un écrivain, Chastelain, qui s’adressent ensemble in fine à Charles de Bourgogne :

  • 57 La Mort du duc Philippe, p. 280.

Ce dit vostre humble Valenciennes
Par la bouche de vostre George57.

  • 58 Lecuppre-Desjardin, Le Royaume inachevé, p. 313-356.

34Cette double signature souligne par contraste l’absence de corpus mysticum sur la scène de Mons. À la différence de France, Bourgogne ne se laisse pas facilement allégoriser. Plus encore, la personnification des sujets ducaux, Les Hommes, affiche dans son nom la pluralité des territoires bourguignons. Le détail révèle que la conscience d’une identité politique, a fortiori nationale, n’a guère cours dans les espaces soumis aux ducs Valois de Bourgogne au xve siècle : à cet égard, comme l’a récemment démontré Élodie Lecuppre-Desjardin, la « burgondisation » semble bien avoir été plus fantasmée qu’effective58. La dramaturgie de Chastelain conforte cette hypothèse : sur le théâtre, le corps de la principauté, par nature inachevé, ne peut prendre chair que dans la succession toujours fragile de princes mortels.

35On ne peut manquer d’être frappé de la variété de ce que nous avons appelé les « thanato-scénographies » princières dans l’œuvre d’un dramaturge du xve siècle. Le théâtre n’est pas une théorisation du politique, à l’instar d’un traité de philosophie, mais sa mise en pratique spectaculaire. Mise en scène, mise en contexte impliquent des choix d’écriture, ceux-ci éclairant en retour la complexité des imaginaires contemporains. La Mort du roi Charles VII, conçue pour un public français, présentée sur le sol du royaume, exploite scéniquement les principales caractéristiques de la pensée théologico-politique qui y a cours. Le corps du roi est présenté dans sa multiplicité : corps naturel du défunt, corps de la communauté qu’il a gouvernée, corps mystique de la nation. Mais le message distillé par le dispositif de la « remonstrance » est plus retors qu’il n’y paraît. La préférence donnée au corpus mysticum de France sur le corps dynastique suggère que le règne du défunt s’abolit dans l’éternité. Le théâtre forclôt ce qu’il paraît glorifier. La Mort du duc Philippe, au contraire, est animée de dynamiques qui sont autant de points de fuite et de questions ouvertes : traversée de l’espace par les personnages, dialogue des débatteurs, transfert symbolique du pouvoir vers un héritier qui est aussi un spectateur. Ces mouvements se nouent autour d’un corps dérobé, celui de Philippe de Bourgogne, et d’un corps exposé, celui de son fils. Manque pourtant un corps qui permettrait de stabiliser le lien entre ces deux personnages hors-scène, celui de la Grande Principauté elle-même. De nouveau, le spectacle joue le rôle d’un révélateur : il cristallise une culture politique où les relations et les identités sont plus locales que globales et dont les spécificités échappent à la théorisation du royaume voisin.

  • 59 Chastelain, Les Épitaphes d’Hector [La Complainte d’Hector], op. cit.

36Au fil de son œuvre polygraphique, George Chastelain aborde fréquemment la représentation du pouvoir, dont un écrivain officiel est statutairement en charge, comme une voie privilégiée pour expérimenter le pouvoir de la représentation. Représenter conduit en effet à interroger la manière dont interagissent, dans une production donnée, des acteurs, des récepteurs, des occasions, mais aussi des pensées et des impensés. Les Épitaphes d’Hector, premier essai dramatique de Chastelain en 1454, avait déjà proposé d’articuler au spectacle problématique d’un roi mort un questionnement sur les relations entre représentation et interprétation59. Dans la pièce, les épitaphes d’Hector et d’Achille déchiffrées dans un cimetière par Alexandre le Grand poussent l’impérial lecteur à reconstituer et à conserver en mémoire la valeur de ces héros. Mais ces textes sont en réalité issus de la plume de commentateurs partiaux, qui ont coupablement occulté les personnalités des guerriers comme les circonstances de leur fin. Pour rétablir la vérité, les défunts se réincarnent sur une scène d’outre-tombe et débattent une dernière fois. Les lettres de pierre des inscriptions funéraires sont complétées et rectifiées par le « publicque theatre » grâce auquel les corps royaux abolis reprennent vie.

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Notes

1 E. Kantorowicz, Les Deux corps du roi, essai sur la théologie politique au Moyen Âge, trad. J.-P. et N. Genet, Paris, Gallimard, NRF, 1989 (Princeton, 1re éd. 1957), p. 228-325.

2 F. Assaf, La Mort du roi, une thanatographie de Louis xiv, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1999.

3 Sur le rôle symbolique de l’effigie du défunt et son évolution en France aux xve et xvie siècles, voir entre autres M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, la mort et les funérailles dans le royaume de France au bas Moyen Âge, Lille, Presses du Septentrion, 2005, p. 242 et suiv.

4 La représentations des revenants est fréquente aux xiie et xiiie siècles, notamment dans les récits hagiographiques, miracles, exempla (voir J. -C. Schmitt, Les Revenants, les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris, Gallimard, 1994). Ils restent en revanche discrets dans le théâtre d’expression française jusqu’aux premières décennies du xvie siècle. George Chastelain en offre un exemple dans Les Épitaphes d’Hector, Achille et Hector apparaissant dans un lieu indéfini qui semble être l’outre-tombe. Voir George Chastelain, Les Épitaphes d’Hector [La Complainte d’Hector], Œuvres de Georges Chastellain, éd. J. Kervyn de Lettenhove, Bruxelles, F. Heussner, 1863-1866, 8 volumes ; réimpression Slatkine, Genève, 1971, 4 volumes (même pagination), t. VI, p. 168-202.

5 Nous empruntons cette désignation à É. Lecuppre-Desjardin, Le Royaume inachevé des ducs de Bourgogne (xive-xve s.), Paris, Belin, 2016, que nous remercions par ailleurs de ses conseils lors des relectures de cet article.

6 Sur les circonstances de cette nomination, voir G. Small, George Chastelain and the Shaping of Valois Burgundy, Suffolk, University of London Press, 1997, p. 91-102.

7 Pour une étude globale de l’œuvre du premier Grand Rhétoriqueur, nous nous permettons de renvoyer à E. Doudet, Un cristal mucié en un coffre. Poétique de George Chastelain (1415-1475), Paris, Champion, 2005 (p. 671-688 pour l’analyse de la production dramatique).

8 Les quatre pièces sont entre autres conservées dans l’une des anthologies des œuvres de l’indiciaire, le manuscrit de Florence, Bibliothèque Médicéenne Laurentienne, ms. mediceo-palatino 120, fol. 103-131v, 139v-156, 399v-432 et 592-615v. Pour leurs autres témoins, voir E. Doudet, « Un dramaturge politique et son public au xve siècle : George Chastelain », European Medieval Drama, n° 9, 2005, p. 61-86, liste p. 75.

9 Les comptes ducaux notent le paiement de six acteurs ayant joué une pièce devant Charles le Téméraire lors de son entrée dans la ville le 27 mars 1468. Nous suivons Graeme Small dans son interprétation de cette mention comme d’une trace possible de la représentation de la Mort du duc Philippe (Small, George Chastelain, p. 118.)

10 Auteur dramatique, Chastelain a été sans doute impliqué dans l’organisation matérielle de certains spectacles, comme le suggèrent les comptes ducaux pour la représentation des Épitaphes d’Hector : « À George Chastellain, pour convertir et emploier en certains habillemens pour aucuns jeux que Monseigneur a fait jouer devant lui en la ville de Nevers, xiij francs ix. gros royaux » (Lille, Archives du Nord, B. 2017, fol. 237v). Une autre mention des mêmes comptes note la rémunération, pour cette représentation, de trois acteurs et de Chastelain. Les Épitaphes, dans la version conservée, comptent quatre intervenants, dont un commentateur s’adressant au début et à la fin de la pièce. Il est impossible de préciser s’il pouvait s’agir de Chastelain lui-même.

11 La réception du duc de Bourgogne à Paris est décrite dans le chapitre xvii du livre VI de la Chronique (Œuvres de Georges Chastellain, t. IV, p. 73-79) ; L’Entrée du roi Louis en nouveau règne insiste sur le dispositif théâtral de la cérémonie : « avez receu oh certes en lieu public […] en vostre publicque theatre ouvert tous lez, presenté a tous venans, Paris certes » (Œuvres de Georges Chastellain, t. VII, p. 7). Voir également W. Paravicini, « Le temps retrouvé ? Philippe le Bon à Paris en 1461 », Paris, capitale des ducs de Bourgogne, éd. W. Paravicini et B. Schnerb, Ostfildern, Jan Thorbecke Verlag, 2007, p. 399-470.

12 La Mort du roi Charles VII, Œuvres de Georges Chastellain, t. VI, p. 437-457. En attendant la nouvelle édition des pièces de Chastelain préparée en collaboration avec Tania van Hemelryck, nous citons cet ouvrage ancien, vérifié et amendé à partir du ms. de Florence, Biblioteca Laurenziana, ms. mediceo-palatino 120.

13 La Mort du roi Charles VII, p. 437.

14 Ibid.

15 La Mort du roi Charles VII, p. 437-438.

16 « Parlent l’un apres l’autre, chascun deux couplets », La Mort du roi Charles VII, p. 440.

17 La Mort du roi Charles VII, p. 446-447.

18 La Mort du roi Charles VII, p. 442-443.

19 Les derniers vers du texte dans le ms. de Florence synthétisent par ce terme le sens du spectacle : « Contentez vous, vous tous princes de France / Contentez vous de ceste ramembrance / D’un roy deffunct d’excellente nature… » (p. 457).

20 La restauration de l’intégrité sociale et territoriale est une thématique encadrante de l’œuvre : introduite par Charles VII (« J’ay siege et trosne et gloire a plenitude », La Mort du roi Charles VII, p. 439), elle est reprise dans l’adresse finale de l’Acteur louant France « remise en paix, en regne et en victoire / […] Rondie en rond comme une entiere pomme » (p. 456).

21 La Mort du roi Charles VII, p. 456.

22 Jean de la Haye, baron de Coulonces, fait du sang visible sur son habit la seule richesse qui lui reste dans l’outre-tombe : « N’ay fors le sang qui pend a mon achemme » (La Mort du roi Charles VII, p. 449). Mot fréquent sous la plume des écrivains bourguignons, achesme désigne un vêtement orné.

23 La Mort du roi Charles VII, p. 448. Guillaume de Gamaches a été un compagnon de Poton de Xaintrailles.

24 La Mort du roi Charles VII, p. 441.

25 La Mort du roi Charles VII, p. 447.

26 La Mort du roi Charles VII, p. 446.

27 La rédemption par le sacrifice du sang qui unit le roi et ses guerriers fait écho aux réflexions de Jean Chrysostome sur le sang de Jésus réunissant les membres de la communauté chrétienne : « Pretiosus Christi sanguis, si cum fiducia sumatur, omnis hoc remedio morbus extinguitur » (voir P. Camporesi, La Sève de la vie, symbolisme et magie du sang, trad. Brigitte Pérol, Paris, Le Promeneur, 1990, 1re éd. 1988). La représentation symbolique du sang dynastique comme légitimation de la « race capétienne » et l’assimilation de ce sang dynastique et du royaume de France devient un topos au cours du xiiie siècle. Voir A. Lewis, Le Sang royal. La Famille capétienne et l’État, xe-xive siècle, trad. J. Carlier, Paris, NRF, 1986 (1re éd. 1981).

28 G. Agamben, Opus Dei, Archéologie de l’office (Homo sacer, II, 5), trad. M. Rueff, Paris, Le Seuil, 2012 (1re éd. 2011).

29 Apoc. 5 : 8-10.

30 Pour l’une des premières attestations en français des Ordines prophetarum, voir le Jeu d’Adam, éd. et trad. V. Dominguez, Paris, Champion, 2012, p. 142-144 et 292-314. Nous remercions l’éditrice de nous avoir suggéré ce rapprochement.

31 Sur les oscillations sémantiques du terme « mystère » dans les intitulés théâtraux en moyen français, voir G. Runnalls, « When is a mystère not a mystère ? Titles and Genres in Medieval French Religious Drama » (1980), Études sur les mystères, recueil de 22 études sur les mystères français, suivi d’un répertoire du théâtre religieux français du Moyen Âge et d’une bibliographie, Paris, Champion, 1998, p. 51-57.

32 La Mort du roi Charles VII, p. 453.

33 Le recueil de Florence donne à la Mort du roi Charles VII deux épilogues adressés au public. L’un d’entre eux contient une excusatio aux nobles qui n’ont pas pu être évoqués puis la promesse d’une œuvre ultérieure qui leur rendra hommage : « Vous n’estes pas laissés par ignorance / Ains expectans claire ailleurs couverture / Et la ou lettre et nouvele peinture / Espoir donront de vos faits remembrance / Contentez vous de cette remontrance. » (La Mort du roi Charles VII, p. 457). Si ces lignes ne sont pas seulement destinées à des lecteurs, elles suggèrent que la pièce a pu être présentée devant une audience aristocratique française ou franco-bourguignonne.

34 Chronique, Proesme du livre VI, Œuvres de Georges Chastellain, t. IV, p. 5-22. Sur ce texte crucial dans la pensée politique et la pratique rhétorique de Chastelain, Doudet, Un cristal, p. 274-278.

35 La Mort du roi Charles VII, p. 455.

36 « J’ay deffendu ma nourrice et ma mere / La noble France en qui j’ay pris mon estre », dit Raoul de Gaucourt (La Mort du roi Charles VII, p. 442).

37 Sur le développement précoce de la « Nation France », voir C. Beaune, Naissance de la Nation France, Paris, Gallimard, 1985.

38 « […] Quelle fameuse histoire / Mettray je avant… », La Mort de Charles VII, p. 438 ; « Et la ou lettre et nouvelle peinture / Espoir donront de vos fais remembrance », p. 457. « Histoire » peut désigner aussi bien les jeux dramatiques (Philippe le Bon assiste à Bruges en 1449 à « certain jeu, histoire et moralité » donné par Nicaise de Cambrai et ses compagnons) que les décors des entrées (lors de la venue de Louis XI à Lyon en 1476, les rues sont tendues de « tapisseries honnestes avec pluseurs istoires et moralitez »). Nous nous permettons de renvoyer sur ce point à E. Doudet, Moralités et jeux moraux en français (xve-xvie s.), Paris, Garnier, à paraître en 2016.

39 Une ordonnance régulant les activités théâtrales dans les Pays-Bas méridionaux au xvie siècle définit ainsi la « remonstrance » : « jeuz muetz […] ou representations par personnages » (K. Lavéant, Un Théâtre des frontières, la culture dramatique dans les provinces du Nord aux xve et xvie siècles, Orléans, Paradigme, 2011, p. 247).

40 L. Weigert, French Visual Culture and the Making of Medieval Theater, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, p. 26-73. Nous remercions l’auteure de ses précieuses suggestions.

41 Sur ces textes et leur articulation, Doudet, Un cristal, p. 278-282.

42 La Mort du duc Philippe, mystere par maniere de lamentacion, Œuvres de Georges Chastellain, t. VII, p. 237-280. Le seul témoin conservé de cette œuvre est le ms. de Florence déjà cité.

43 Small, George Chastelain, p. 119-120.

44 G. Small, « When indiciaires meet rederijkers : a contribution to the history of the Burgundian theatre state », Stad van koopmanschap en vrede. Literaire cultuur in Brugge op de grens van Middeleeuwen en rederijkerstijd, éd. J. Oosterman, Louvain, Peeters, 2005, p. 130-162.

45 Voir C. Thiry, « Débats et moralités dans la littérature française du xve siècle : intersection et interaction du narratif et du dramatique », La Langue, le texte, le jeu. Perspectives sur le théâtre médiéval, Montréal, CERES, 1986, p. 203-244 et L. Tabard, « Le débat des allégories : construction et dissolution des personnages sur la scène médiévale », Revue d’Histoire du Théâtre, n° 265, janvier-mars 2015, p. 21-32.

46 La Mort du duc Philippe, p. 277.

47 Le cheminement organise entre autres, à la fin du xve siècle, les vastes pièces que sont Bien Advisé, Mal Advisé ou L’Homme Pecheur ; mais il soutient également La Moralité de Pauvre Commun de Michault Taillevent, jouée à l’occasion de la paix d’Arras en 1435 (Un poète bourguignon du xve siècle, Michault Taillevent, édition et étude, éd. R. Deschaux, Genève, Droz, 1975, p. 97-110).

48 La Mort du duc Philippe, p. 241.

49 La relation entre verrière mariale et écriture spéculaire est explorée dans La Louenge à la tres glorieuse Vierge (pour le tissage des métaphores de l’intercession dans ce texte, voir V. Minet-Mahy, L’Automne des images, pragmatique de la langue figurée chez George Chastelain, François Villon et Maurice Scève, Paris, Champion 2009, p. 72-82) et dans Les Douze Dames de Rhétorique sous la forme du « cristal mucié en un coffre » (Doudet, Un cristal, p. 541-545).

50 La Mort du duc Philippe, p. 241.

51 La Mort du duc Philippe, p. 240.

52 La Mort du duc Philippe, p. 244.

53 La Mort du duc Philippe, p. 251.

54 La Mort du duc Philippe, p. 258.

55 La Mort du duc Philippe, p. 264.

56 La Mort du duc Philippe, p. 278.

57 La Mort du duc Philippe, p. 280.

58 Lecuppre-Desjardin, Le Royaume inachevé, p. 313-356.

59 Chastelain, Les Épitaphes d’Hector [La Complainte d’Hector], op. cit.

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Pour citer cet article

Référence papier

Estelle Doudet, « Présence du corps absent »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 32 | 2016, 19-36.

Référence électronique

Estelle Doudet, « Présence du corps absent »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 32 | 2016, mis en ligne le 08 décembre 2019, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14078 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14078

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Auteur

Estelle Doudet

Université de Grenoble – Alpes [CNRS UMR 5316 Litt&Arts] Institut universitaire de France
Estelle Doudet est professeur de langue et de littérature française du Moyen Âge à l’université Grenoble – Alpes et membre junior de l’Institut universitaire de France. Ses travaux portent sur les écritures de circonstance, l’éloquence publique et le théâtre en France et dans les anciens Pays-Bas bourguignons (xive-xvie siècle)

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