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2017

The Resources of the Past in Early Medieval Europe, éd. Clemens Gantner, Rosamond McKitterick et Sven Meeder

Marie-Céline Isaïa
Référence(s) :

The Resources of the Past in Early Medieval Europe, éd. Clemens Gantner, Rosamond McKitterick et Sven Meeder, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, 354 p.

ISBN : 978-1-107-09171-9

Texte intégral

  • 1 W. Pohl, « Creating Cultural Resources for Carolingian Rule », p. 15-33, ici p. 33.
  • 2 M. de Jong, « Carolingian Political Discourse and the Biblical Past : Hraban, Dhuoda, Radbert », p. (...)

1Rosamond McKitterick a consacré sa vie scientifique à démontrer que le haut degré de culture auquel les Carolingiens n’avaient cessé d’aspirer reflétait directement leur projet politique : qu’ils scrutent, critiquent ou s’approprient l’histoire impériale romaine, c’est toujours dans le but de justifier par un rapport intellectuel avec le passé un projet de société actuel. Comme l’écrit W. Pohl, la notion d’empire par exemple est travaillée vers 786-796 par Paul Diacre à travers son Histoire des Lombards dans le but de la présenter comme une réalité toujours vivante qui attend l’empereur capable d’en prendre la tête : « L’empire était une ressource du passé qui pouvait avoir un futur1 ». Cette ligne fondamentale, initialement nourrie par la découverte de la literacy des sociétés du haut Moyen Âge, rencontre dans Resources of the Past les travaux de l’école de Vienne (Walter Pohl, Helmut Reimitz) sur la fabrique de la communauté : puisque la théorie ethnogénétique affirme que les barbares se sont constitués comme peuples dans le partage de récits communs, l’écriture de l’histoire, puis toute écriture, peut être analysée comme le moyen privilégié de faire corps. L’écriture, qui trace une ligne claire entre « eux » et « nous », comme toute relecture d’ampleur du passé qui sollicite l’adhésion des contemporains, doit être analysée comme le processus intégrateur majeur des sociétés altimédiévales. Dans ce volume collectif, deux modulations viennent en outre colorer ce thème principal : avec Mayke de Jong, la Bible est mise au rang de ces « ressources du passé » dans lesquelles les auteurs viennent puiser grâce à l’exégèse typologique. Attendu que les Carolingiens s’imaginent être le nouveau peuple élu chargé de poursuivre l’histoire sainte, il est normal que les auteurs en lien avec la cour mobilisent des personnages de l’Ancien Testament pour porte-paroles, comme Raban Maur quand il offre son De honore parentum à Louis le Pieux en 834, Dhuoda dans son Manuel en 841-843 ou Paschase Radbert avec l’Epitaphium Arsenii du milieu des années 8502. Ian Wood et ses élèves enfin font des frontières septentrionale et orientale de l’empire carolingien les terres de mission où sera au mieux révélé le processus intégrateur par l’écriture et la manipulation du passé. Outre les précieux apports ponctuels de chacune des quinze communications, ce livre présente de ce fait l’intérêt de montrer comment une idée qui a dominé l’historiographie ces trente dernières années est en train d’être assimilée et nuancée par une nouvelle génération des jeunes chercheurs.

  • 3 G. Ward, « Lessons in Leadership : Constantine and Theodosius in Frechulf of Lisieux’s Histories », (...)
  • 4 D. Scholten, « Cassiodorus’ Historia tripartita before the Earliest Extant Manuscripts », p. 34-50.
  • 5 G. Vocino, « Framing Ambrose in the Resources of the Past : The Late Antique and Early Medieval Sou (...)
  • 6 R. Flierman, « Gens perfida or populus Christianus ? Saxon (In)fidelity in Frankish Historical Writ (...)
  • 7 E. Goosmann, « Politics and Penance : Transformations in the Carolingian Perception of the Conversi (...)

2À cause de la priorité donnée à l’interprétation politique de l’écriture de l’histoire, l’élucidation du contexte de rédaction de telle ou telle œuvre est au centre de beaucoup de communications : Graeme Ward montre que Fréculf de Lisieux met en valeur la collaboration de Constantin avec les clercs à Nicée (325) puis le pieux Théodose, en fonction du contexte du règne de Louis le Pieux (pénitence d’Attigny, 822), pour servir de miroir au prince à Charles le Chauve et souligner les avantages d’une harmonieuse coopération du prince et des évêques juste après les conciles de 8293. Désirée Scholten part à la recherche des moyens de transmission de la compilation historique de Cassiodore entre le VIe et le IXe siècle : l’œuvre n’est pas connue en effet avant que ne fleurissent des manuscrits au IXe siècle, en des points de l’empire tous reliés de près ou de loin à la cour carolingienne. La querelle des Trois Chapitres est le contexte d’écriture et de réception le plus à même de mettre en lumière le projet de Cassiodore : le sénateur ne se contente pas de traduire Sozomène, Socrate et Théodoret, mais jette les bases d’une collaboration entre l’Église et l’empire de Justinien après la chute du royaume ostrogothique d’Italie4. Giorgia Vocino souligne que c’est au moment où les Carolingiens deviennent maîtres du royaume lombard, et redonnent à Milan le rang d’une capitale, qu’est rédigée une nouvelle Vie de saint Ambroise (BHL 377d) fortement historiographique : en augmentant la biographie de Paulin (BHL 377) de passages de l’Historia tripartita et d’extraits des lettres d’Ambroise lui-même, l’hagiographe transforme la légende pleine de miracles en miroir contextualisé pour évêques carolingiens mêlés aux affaires du monde5. Robert Flierman replace la construction du topos qui assimile les Saxons à un peuple incapable de fides dans une histoire de l’écriture de l’histoire des guerres carolingiennes contre les Saxons : le topos serait la réponse des annalistes des années 770-820, confrontés à la difficulté d’écrire, comme l’exige le genre, l’histoire d’un triomphe inéluctable et définitif de la foi et des Francs sur les Saxons païens, tout en constatant à l’évidence que ce triomphe n’avait jamais rien eu d’irrévocable6. L’utilité politique directe de ces relectures du passé est prouvée par l’exemple qu’étudie Erik Goosmann. Carloman, frère aîné de Pépin III et son princeps associé à la tête des royaumes francs après la mort de Charles Martel (741), devient moine en 746 selon le récit des Annales royales. Pour l’auteur, ce récit dissimule une mise à l’écart du pouvoir par le moyen si fréquent de la tonsure imposée aux rois et princes mérovingiens surnuméraires ; seulement les sources carolingiennes dissimuleraient ce déshonneur préjudiciable à la famille en le parant de mots valorisants, « irrépressible vocation monastique » sous le règne de Charlemagne (Annales de Metz) puis « héroïque pénitence monastique » à partir de Louis le Pieux (Annales Petaviani) et jusqu’à Région de Prüm7.

  • 8 M. Polheimer, « Divine Law and Imperial Rule : The Carolingian Reception of Junillus Africanus », p (...)
  • 9 R. McKitterick, « Transformations of the Roman Past and Roman Identity in the Early Middle Ages », (...)
  • 10 H. Reimitz, « Transformations of Late Antiquity : The Writing and Re-writing of Church History at t (...)
  • 11 T. Barnwell « Fragmented Identities : Otherness and Authority in Adam of Bremen’s History of the Ar (...)

3L’histoire des textes et de leurs remaniements est le moyen privilégié pour comprendre comment un legs du passé est réadapté aux besoins du présent. Par exemple, le manuel d’exégèse composé au VIe siècle par Junillus (Instituta regularia divinae legis) qu’étudie Marianne Polheimer a connu un grand succès aux VIIIe et IXe siècle : 16 manuscrits conservent alors l’œuvre en version intégrale ou abrégée. Le fait que Junillus définisse la loi comme ce qui permet à la sphère céleste d’agir dans le monde terrestre à travers le gouvernement des hommes explique en partie un succès, dont le contexte scolaire et l’intérêt des Carolingiens pour les outils exégétiques restent les deux causes les plus apparentes dans la tradition manuscrite8. Le Liber pontificalis étudié par Rosamond McKitterick montre comment l’Église des VIIe et VIIIe siècles a sélectionné certains symboles du passé impérial toujours visibles dans la topographie de la Cité mais à condition de leur donner une signification religieuse nouvelle. Une même logique présiderait à la traduction-adaptation par Jérôme du Chronicon d’Eusèbe de Césarée : les subtils ajouts de Jérôme chercheraient à replacer Rome au centre de l’histoire écrite d’un point de vue grec par Eusèbe9. Helmut Reimitz poursuit sur cette voie de la romanisation à partir du fonctionnement du scriptorium de Lorsch pour la période carolingienne : le fonds de la bibliothèque du monastère est alors enrichi d’une façon coordonnée et systématique en patristique puis œuvres historiques par des intellectuels de haut vol. Ce que H. Reimitz appelle l’Histoire ecclésiastique de Lorsch (Heidelberg, Universitätsbibliothek, Pal. lat. 864) y est composée vers 800-810 : il s’agit d’une compilation réalisée à partir d’une sélection des Decem Libri historiae, combinée avec la version carolingienne de la Chronique de Frédégaire et l’Origine des Francs de Dares Phrygius. Elle partage avec la généalogie des Carolingiens composée à Metz à la même époque, et plus largement avec le Liber de episcopis Mettensibus, une vision comparable du passé franc comme histoire christiano-romaine qui tranche avec la position plus ethnique du Liber historiae Francorum10. Dans l’étude qu’il consacre aux Gesta de l’Église de Hambourg cependant, Timothy Barnwell apporte un intéressant contrepoint à cette présentation désormais habituelle de textes plastiques que chaque génération se réapproprierait : pour l’auteur, Adam de Brême livre une vision des païens et des barbares sans cohérence (consistency), d’abord parce qu’il respecte la diversité et l’autorité des sources écrites qu’il copie, y compris quand elles sont contradictoires ; et peut-être aussi parce qu’il préfère qu’il n’y ait pas de cohérence11.

  • 12 I. Wood, « Who Are the Philistines ? Bede’s Readings of Old Testament Peoples », p. 172-187.
  • 13 R. Broome, « Pagans, Rebels and Merovingians : Otherness in the Early Carolingian Word », p. 155-17 (...)
  • 14 S. Meeder, « Biblical Past and Canonical Present : The Case of the Collectio 400 capitulorum », p.  (...)

4Quelques chapitres s’aventurent avec lui dans cette voie d’une analyse moins systématique de l’écriture historique : toute référence au passé est polysémique ; aucune œuvre médiévale n’est univoque d’autant que l’interprétation médiévale des temps et de l’histoire est fondée sur l’exégèse, qui est plurielle par structure. Ian Wood prouve ainsi pas-à-pas qu’il n’y a pas d’utilisation mécanique de la typologie chez Bède. Seule une lecture approximative de son Histoire ecclésiastique peut laisser penser qu’il y distribuerait les rôles d’une façon manichéenne, réservant par exemple aux Anglo-Saxons le rôle de Nouvel Israël : même s’il établit des correspondances entre peuples de la Bible et ses contemporains, les critères religieux et non ethnico-historiques l’emportent chez Bède, qui partage le monde entre ceux qui sont actuellement sauvés ou pourraient l’être, et les autres12. Une vision morale de l’histoire peut donc conduire à relativiser l’importance du passé. C’est aussi ce que constate Richard Broome. Au moment où l’empire carolingien atteint son expansion maximale, le discours ethnique figé des sources des VIIe et VIIIe siècles se périme : même si les noms de peuples sont toujours utilisés pour qualifier les Bavarois, les Saxons, etc., il n’est plus question d’opposer les Francs aux autres, puisque ces « autres »-là sont passés ou devraient passer sous domination franque. La frontière que construisent les textes sépare désormais un empire fondé sur la fidélité à un monde de désordre religieux (paganisme de Radbod) et politique (rébellion de Grifon, incompétence des Mérovingiens), car cette dichotomie morale porte en elle la possibilité voire l’espoir d’une intégration13. La Bible ne devrait donc pas être traitée comme une « ressource du passé » parmi d’autres, mais plutôt comme le modèle d’une articulation possible entre passé historique et sens du présent. C’est bien ainsi que l’envisagent les hommes du Moyen Âge, comme le prouve l’étude que Sven Meeder réserve à la Collectio 400 capitulorum. La Collectio 400 est une compilation systématique de normes religieuses réalisée au début du VIIIe siècle en Bavière, dans un milieu perméable aux influences irlandaises, et conservée dans trois manuscrits de la première moitié du IXe siècle. Elle confirme l’importance de la Bible comme source normative, mais dans une relation nuancée avec d’autres sources possibles (conciles, décrétales) : le compilateur ne conçoit pas la Bible comme une source dominant les autres a priori, mais leur donnant leur cohérence dans une perspective historique ; les conciles par exemple actualisent les principes bibliques14.

  • 15 Cl. Gantner, « The Eighth-Century Papacy as Cultural Broker », p. 245-261.

5Partant de prémisses marquées par le désenchantement du linguistic turn, le volume voit finalement le renouveau d’une possible histoire culturelle et politique avec l’essai de Clemens Gantner, qui publie ici les résultats d’un projet mené de 2010 à 2013. Cl. Gantner emprunte à l’anthropologie la notion de cultural broker pour l’appliquer à la papauté du VIIIe siècle : par cultural broker, on entendra tout médiateur qui, relevant de deux cultures distinctes au moins, peut servir d’intermédiaire ou passeur entre ces deux mondes ; le mécanisme implique que le médiateur en question soit revêtu d’une autorité suffisante pour être reconnu compétent par les deux parties ; il conduit aussi à un surcroît de pouvoir si le médiateur se trouve dans une situation d’intermédiaire plus ou moins monopolistique15. Le concept est à l’évidence idéal pour décrire la situation des papes entre royaumes barbares lombard et franc, et monde byzantin : les papes essaient d’être des cultural brokers quand ils organisent à Rome un concile œcuménique (649) ou transmettent aux Carolingiens titres de patrice et grammaires grecques ; leur incapacité à faire recevoir par Charlemagne les actes de Nicée II (787) signerait l’échec de ce projet de médiation. Ce chapitre propose un modèle qui n’est sans doute pas transposable vers tous les pouvoirs médiévaux ; presque vingt ans après la parution de The Use of the Past in the Early Middle Ages (Cambridge, 2000, dir. Y. Hen et M. Innes), il a le mérite d’envisager une porte de sortie, hors de l’utilisation du passé, hors de la mémoire collective, pour un retour de plain-pied dans l’histoire des pouvoirs.

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Notes

1 W. Pohl, « Creating Cultural Resources for Carolingian Rule », p. 15-33, ici p. 33.

2 M. de Jong, « Carolingian Political Discourse and the Biblical Past : Hraban, Dhuoda, Radbert », p. 87-102.

3 G. Ward, « Lessons in Leadership : Constantine and Theodosius in Frechulf of Lisieux’s Histories », p. 68-83.

4 D. Scholten, « Cassiodorus’ Historia tripartita before the Earliest Extant Manuscripts », p. 34-50.

5 G. Vocino, « Framing Ambrose in the Resources of the Past : The Late Antique and Early Medieval Sources for a Carolingian Portrait of Ambrose », p. 135-151.

6 R. Flierman, « Gens perfida or populus Christianus ? Saxon (In)fidelity in Frankish Historical Writing », p. 188-205.

7 E. Goosmann, « Politics and Penance : Transformations in the Carolingian Perception of the Conversion of Carloman », p. 51-67.

8 M. Polheimer, « Divine Law and Imperial Rule : The Carolingian Reception of Junillus Africanus », p. 118-134.

9 R. McKitterick, « Transformations of the Roman Past and Roman Identity in the Early Middle Ages », p. 225-244.

10 H. Reimitz, « Transformations of Late Antiquity : The Writing and Re-writing of Church History at the Monastery of Lorsch, c. 800 », p. 262-282.

11 T. Barnwell « Fragmented Identities : Otherness and Authority in Adam of Bremen’s History of the Archbishops of Hamburg-Bremen », p. 206-222.

12 I. Wood, « Who Are the Philistines ? Bede’s Readings of Old Testament Peoples », p. 172-187.

13 R. Broome, « Pagans, Rebels and Merovingians : Otherness in the Early Carolingian Word », p. 155-171.

14 S. Meeder, « Biblical Past and Canonical Present : The Case of the Collectio 400 capitulorum », p. 103-117.

15 Cl. Gantner, « The Eighth-Century Papacy as Cultural Broker », p. 245-261.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Céline Isaïa, « The Resources of the Past in Early Medieval Europe, éd. Clemens Gantner, Rosamond McKitterick et Sven Meeder »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 16 février 2017, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14069 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14069

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Marie-Céline Isaïa

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