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2016

The Divorce of King Lothar and Queen Theutberga. Hincmar of Rheims’s De divortio, translated and annotated by Rachel Stone and Charles West

Marie-Céline Isaïa
Référence(s) :

The Divorce of King Lothar and Queen Theutberga. Hincmar of Rheims’s De divortio, translated and annotated by Rachel Stone and Charles West, Manchester, Manchester University Press, 2016 (« Manchester Medieval Sources Series »), 351 p.

ISBN : 978-0-7192-8295-5

Texte intégral

1La vie d’un enseignant a ses joies – innombrables – et ses rares agacements, par exemple quand il voit des idées reçues devenir des vérités pour certains étudiants, au nom de la pseudo-lucidité que donne une distance chronologique confondue avec du recul historique. Hincmar de Reims (m. 882) est la victime récurrente de ces jugements à « on ne me la fait pas » : l’archevêque – on croirait un fait acquis et démontré – est un cynique et un canoniste d’opérette ; il fait semblant de défendre l’indissolubilité du mariage pour mieux servir son maître, le roi Charles le Chauve ; il conteste donc à Lothaire II (m. 869) le droit de se séparer de son épouse Theutberge pour mieux laisser le roi de Francie médiane mourir sans héritier légitime ; quand il couronne Charles le Chauve à Metz en 869, Hincmar met ainsi un point final à une œuvre machiavélique construite concile après concile depuis 858, et dont le traité De divortio est la justification idéologique. On ne lira ce traité de circonstance, chef d’œuvre de mauvaise foi, qu’un sourire entendu aux lèvres, pour ses pages suintantes de misogynie cléricale et comme un témoignage de la barbarie du haut Moyen Âge : Hincmar ne voit que des aspects positifs aux ordalies les plus exotiques, puisque « à l’évidence, les coupables sont ébouillantés par l’eau brûlante tandis que les innocents en réchappent sans dommage » (Réponse 6) ; il croit dur comme fer à la magie et répond le plus sérieusement du monde, et par l’affirmative, à la question « Est-il vrai qu’il existe des sorcières capables de faire naître entre mari et femme une haine inextinguible, et de provoquer une passion irrésistible entre un homme et une femme ? » (Question 15).

2Il faut avoir vécu ces agacements pour connaître la jubilation que provoque la lecture de l’ouvrage de vulgarisation intelligente publié par Rachel Stone et Charles West. Les deux historiens font d’abord aux étudiants – et à leurs collègues – le cadeau d’une traduction intégrale du De divortio, tel qu’il a été conservé dans l’unique manuscrit aujourd’hui à Paris, BnF, lat 2866 (IXe siècle). Ce manuscrit hincmarien présente l'exceptionnel intérêt d’avoir recueilli 65 ajouts importants, toujours rédigés par l’archevêque mais après qu’il a rendu sa consultation (860), et qui sont bien signalés dans la traduction ; Hincmar transformait ainsi un questionnaire complété à la hâte en une somme sur le lien conjugal dans une perspective chrétienne. R. Stone et Ch. West accompagnent encore le traité d’une présentation parfaitement à jour sur l’histoire du texte à partir de l’édition impeccable que Letha Bohringer a donnée aux Monumenta en 1992, et forts de la parution en anglais de la thèse de K. Heidecker, The Divorce of Lothar II. Christian Marriage and Political Power in the Carolingian World, Ithaca, New York, 2010 : Hincmar a répondu à deux séries de questions au printemps 860, puis à l’automne suivant, en ne faisant pas état de ses convictions intimes sur les sujets abordés, mais en offrant à ses correspondants une série d’autorités ou de citations rapidement collectées, au point parfois de paraître se contredire.

3Surtout, la longue introduction rédigée par les deux historiens rend à l’affaire toute sa complexité : non, Lothaire II, qui n’a pas trente ans au cours des années 860, n’avait pas un besoin urgent d’héritier au point de renoncer à la femme stérile pour épouser sa concubine féconde ; non, un mariage avec Waldrade ne lui apportait pas d’évidents appuis politiques ; non, il n’avait pas besoin de rompre avec Theutberge pour mettre au pas le frère de cette dernière, l’encombrant abbé de Saint-Maurice Hubert. L’événement est ainsi rendu à sa part d’irrationnel, donc de vérité humaine : il faut peut-être écouter les sources contemporaines et attacher foi à ce qu’elles rapportent avec un peu d’effroi, la folle passion du roi pour sa compagne – Lothaire II était donc avant tout amoureux. En même temps qu’ils montrent les faiblesses d’une interprétation politique univoque, Charles West et Rachel Stone rendent à l’attitude d’Hincmar toutes ses nuances : l’archevêque n’est pas opposé par principe au remariage de Lothaire II. Sans ignorer les potentielles conséquences géopolitiques de l’affaire – la pastorale carolingienne peut envisager qu’un roi soit déposé s’il donne l’exemple d’un scandale moral – Hincmar cherche surtout à donner des repères fiables sur le mariage, avec la conviction que le salut des personnes est directement engagé par leur comportement conjugal. Hincmar reste Hincmar : il est content d’être consulté comme une autorité de référence et de remplir un ministère qui le met en position de critiquer les rois. Son but cependant n’est pas d’humilier la majesté royale pour le plaisir mais plutôt d’aboutir, dans les limites de ce cas précis, à une solution négociée et consensuelle, capable de remplacer le scandale présent (le roi vit dans l’adultère public, la reine a confessé des turpitudes) par un accord de paix durable.

4L’archevêque n’agit donc pas en ennemi de Lothaire II, mais tient bon en avril 860 sur quelques principes : l’homme et la femme ont les mêmes obligations dans le mariage ; la faute de l’épouse, même avouée publiquement, ne met pas un terme au lien conjugal ; si les époux peuvent se séparer, ils n’en demeurent pas moins incapables de contracter une nouvelle union légitime ; le divorce est par définition impossible. La première stratégie de Lothaire II, qui consistait en 858 à faire avouer à Theutberge des crimes graves fort improbables (avortement, mystérieuses relations sexuelles « contre-nature ») le conduit donc à une impasse. D’où l’apparition d’une deuxième stratégie défendue au nouveau concile d’Aix : des relations incestueuses de Theutberge avec son frère Hubert auraient rendu son mariage illicite. Lothaire n’a donc pas à rompre leur union, mais à faire constater sa nullité. Alors que cette solution est catégoriquement refusée par Ratramne de Corbie (862, De propinquorum conjugiis), Hincmar ne la dénonce pas, peut-être pour laisser une chance au conflit qui s’envenime d’être résolu autrement que par le meurtre de Theutberge. De fait, un compromis est trouvé en avril 862, quand le troisième concile d’Aix autorise le mariage de Lothaire et de Waldrade, ce que confirment les légats pontificaux au concile de Metz (juin 863). Et ce n’est pas la rouerie d’Hincmar, mais bien l’intransigeance du pape Nicolas Ier qui empêche la solution négociée de s’imposer quand il annule les dispositions de Metz en octobre 863. Lothaire II meurt en 869 sans que son union avec Waldrade ait pu être reconnue par l’Église. Il faut fortement recommander le travail de R. Stone et Ch. West à tous les étudiants en histoire : Hincmar prête à coup sûr le flanc à la critique – autant l’attaquer pour de bonnes raisons.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Céline Isaïa, « The Divorce of King Lothar and Queen Theutberga. Hincmar of Rheims’s De divortio, translated and annotated by Rachel Stone and Charles West »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 22 novembre 2016, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14041 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14041

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Marie-Céline Isaïa

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