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Par le Détail. Frontières entre l'accessoire et l'essentiel

L’écriture du détail

Empreintes, traces, entailles dans les récits de pèlerinage et les fictions
Jean-Marie Fritz
p. 157-178

Résumés

Malgré leur côté dérisoire, empreintes et vestiges jouent un rôle important dans les récits de pèlerinage comme dans les fictions. Le récit de pèlerinage multiplie les empreintes du Christ dans la pierre et les constitue en lieux de mémoire qui rappellent l’Écriture. La fiction use avec plus de parcimonie des empreintes, mais leur assigne une extension narrative. Si l’empreinte monumentaire des récits de pèlerinage relève d’une pensée religieuse, la trace indiciaire des fictions ouvre sur la modernité

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Texte intégral

  • 1 Jean d’Arras, Mélusine ou la Noble histoire de Lusignan, éd. J.-J. Vincensini, Paris, Librairie gén (...)
  • 2 Ogier d’Anglure, Le Saint Voyage de Jérusalem (1395), éd. F. Bonnardot et A. Longnon, Paris, SATF, (...)

1Le Christ et Mélusine sont sans doute aux antipodes l’un de l’autre, mais un curieux détail les réunit : l’un et l’autre ont laissé dans la pierre une empreinte de pas au moment de quitter le monde ici-bas. Un pied du Christ est ainsi exhibé au pèlerin sur une pierre du sanctuaire de l’Ascension sur le Mont des Oliviers, un pied de Mélusine peut se voir, si l’on en croit Jean d’Arras, sur le rebord de la fenêtre du château de Lusignan d’où elle s’est élancée à tout jamais. Deux détails, car ils sont en un sens accessoires et ne sont pas constitutifs de l’identité du Christ ou de la fée : Coudrette n’en fait mention dans sa version de la légende de Mélusine et l’Ascension du Christ trouve sa justification dans l’Écriture, nullement dans l’empreinte du Mont des Oliviers. Mais ce détail relève bien d’une sorte d’écriture primitive que le pèlerin ou le lecteur est amené à déchiffrer en parcourant réellement ou mentalement Jérusalem ou Lusignan. Le verbe écrire (ou décrire) apparaît explicitement dans les textes ; ainsi, Jean d’Arras s’adresse à son lecteur en ces termes : « Et sachiez que la pierre sur quoy elle passa a la fenestre y est encores, et y est la fourme du pié toute escripte1 ». Son exact contemporain, Ogier d’Anglure, emploie une expression voisine pour la pierre du sanctuaire de l’Ascension : « Et darrier la chappelle est l’autre pierre ou l’autre pié senestre de Nostre Seigneur est descript2 ». Le détail, en tant qu’empreinte et entaille dans la pierre, relève de l’écriture chez le romancier comme chez le pèlerin. Mais le parallélisme s’arrête là : écriture, le vestige est l’objet d’un traitement contrasté dans les récits de pèlerinage et les récits de fiction. L’empreinte et la trace y occupent une grande place malgré ou peut-être en raison de leur caractère dérisoire ou précaire ; les guides de la Terre Sainte les multiplient jusqu’à saturation et leur assignent une fonction mémorielle ; les récits fictionnels comme les romans de Tristan sont plus économes, mais ne manquent toutefois pas de se cristalliser autour d’un certain nombre de vestiges : le héros laisse des traces ou brouille les pistes, le détail devient souvent un indice. Monumentaire ou indiciaire, le détail n’est accessoire qu’en apparence.

Récits depèlerinage

  • 3 Voir Louis de Rochechouart, Journal de Voyage à Jérusalem (1461), éd. C. Couderc, Revue de l’Orient (...)
  • 4 Voir B. Dansette, « Les pèlerinages occidentaux en Terre sainte : une pratique de la Dévotion moder (...)

2Descriptions de la Terre Sainte et récits de pèlerinage (deux genres souvent difficiles à distinguer) multiplient les détails dérisoires comme les empreintes : Jérusalem, Nazareth ou Bethleem, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne relèvent pas de la littérature de mirabilia ; rien à voir avec l’Inde ou la Chine de Marco Polo ou le Royaume du Prêtre Jean ; pas de monuments exceptionnels, pas de bestiaire exotique, pas de monstres ou de sauvages que l’on croiserait au détour d’un chemin. De plus, rien ou presque ne subsiste des temps christiques, si ce n’est, selon les guides franciscains, les oliviers du Mont des Oliviers3 ! Un pèlerin, l’anonyme de Rennes, remarque avec un peu de déception que l’arbre auquel s’est pendu Judas a disparu : « l’arbre n’y est plus pour ce qu’il est mort et pourry4 ». Nazareth ou Bethleem sont des bourgades bien insignifiantes pour le voyageur de la fin du Moyen Âge ; on lui montre des églises ou des sanctuaires édifiés par les croisés, souvent en ruines et à l’abandon. Avec l’installation provisoire d’un État latin, l’on va activer un certain nombre de détails dans le paysage, le sol, les pierres, la flore, qui vont permettre au pèlerin de se rappeler les temps bibliques et christiques ; après le départ des derniers croisés à la fin du XIIIe siècle, les franciscains resteront sur place pour entretenir cette culture du détail, grâce à laquelle le voyageur pourra faire mémoire du passé et revivre l’itinéraire terrestre du Christ.

3Ce qui frappe d’abord le lecteur moderne des récits de pèlerinage est l’atomisation de la narration ; le récit prend la forme d’une nomenclature, on accumule une série longue et souvent fastidieuse de loci, qui sont autant de détails ; parataxe, fragmentation structure le développement. Si l’on prend l’exemple central de Jérusalem, la ville est évoquée à travers une succession de pierres-témoins ; à chaque pierre est associé un événement ou une parole du Christ ou de ses disciples ; le récit de l’anonyme de Rennes illustre bien la démarche :

  • 5 Voir Dansette, « Les pèlerinages occidentaux », p. 351-352, nous soulignons.

Et au partir de la dicte eglise, et en la muraille d’icelle, a main senestre, est une pierre sur quoy Dieu fut asssis devant Pilate […]. Assez pres de la dicte maison, est une pierre ou a l’endroict Sainct Jehan l’Evangeliste, aprés l’Ascension Nostre Seigneur, chacun jour chantoit messe devant Nostre Dame […]. Et bien pres de la, y a une autre pierre en façon d’aultier, et la Nostre Dame, aprés l’Ascention Nostre Seigneur, demeura dix sept ans et en ce mesmes lieu mourut5.

  • 6 Voir Dansette, « Les pèlerinages occidentaux », p. 352.
  • 7 Voir Dansette, « Les pèlerinages occidentaux », p. 347.

4Rien ne différencie véritablement ces pierres ; elles constituent simplement les jalons d’un itinéraire mémoriel. Cheminer à travers la ville, c’est proposer un parcours à travers les évangiles et notamment le récit de la Passion. Le dispositif est parfois varié par l’ajout de lieux sans équivalent dans le texte biblique : l’on montre ainsi à Jérusalem une pierre dans l’église du Mont Sion, « lieu ou fut rosty l’aigneau pasqual le jour de la Senne Nostre Seigneur6 » ; autre détail apocryphe, l’on fait voir dans la même ville « une fontaine ou Nostre Dame tres souvant lavoit le linge en quoy elle enveloppoit Nostre Seigneur7 » ! Ces notations – pour nous bien naïves – créent un effet de réel et permettent au pèlerin de revivre les temps christiques.

  • 8 Voir inscription et image chez Jean de Wurzbourg (v. 1170) à propos d’une pierre qui rappelle l’exp (...)
  • 9 Voir J. -M. Fritz, « Empreintes et vestiges dans les récits de pèlerinage : quand la pierre devient (...)
  • 10 Voir D. Arasse, Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Paris, Flammarion, 1996, p. (...)

5Cette somme de détails qui constitue le récit de pèlerinage ne prend le plus souvent sens qu’à travers un guide : rien n’indique que cette pierre plutôt que telle autre est celle sur laquelle s’est assis Jésus devant Pilate ; on note certes à l’occasion la présence d’une inscription ou d’une image pieuse qui facilite l’identification8, mais le plus souvent la pierre n’a rien de particulier et ne devient une pierre-témoin qu’à travers l’exposé oral que le guide franciscain destine aux pèlerins. Mais à y regarder de plus près, certains lieux présentent bien un détail qui les authentifie. Il s’agit le plus souvent d’une empreinte en creux, d’une trace de pas, de doigts, de cheveux, voire de fesses qui sont comme des reliques en creux du Christ. Si certaines de ces marques apparaissent de manière sporadique dès le Haut Moyen Âge, elles foisonneront avec les Croisades et se maintiendront bien après la fin des Etats latins. Les traces les plus célèbres et les plus durables – Chateaubriand s’en fait encore l’écho – sont celles des pieds du Christ dans le sanctuaire de l’Ascension, traces visibles sur un sol meuble au Haut Moyen Âge, puis dans la pierre à partir de l’occupation croisée9. Trace hautement symbolique, puisqu’il s’agit de l’ultime pas de l’itinéraire du Christ ici-bas avant son passage de la terre vers le ciel. Cette trace n’est pas la seule. Les récits vont multiplier ces entailles (et le détail a étymologiquement partie liée avec le découpage)10, ces cicatrices dans la topographie de Jérusalem et d’abord sur le Mont des Oliviers, où le rocher affleure fréquemment et qui constituait donc un terrain propice à ces inventions.

  • 11 Voir Belardo d’Ascoli, Descriptio Terrae Sanctae (ca 1155), éd. S. de Sandoli, Itinera Hierosolymit (...)
  • 12 Philippe Brosserio de Savone, Libellus descriptionis Terrae Sanctae (1285-1299), éd. P. Marcellin d (...)
  • 13 Voir Burchard de Mont Sion, Descriptio terrae sanctae, p. 69.
  • 14 Voir, entre autres, Le Livre des Merveilles du Monde, ch. 13, p. 241 : « Et a dimi lieue de Nazaret (...)
  • 15 Saewulf, Itinerarium (1102-1103), Descriptio Terrae Sancta, éd. Huygens, p. 68 : « Ibi adhuc appare (...)

6Ainsi l’on montre au pèlerin des empreintes de doigts dans la grotte de l’Arrestation au pied du Mont dès le milieu du XIIe siècle avec Belardo d’Ascoli, puis, à la fin du XIIIe siècle, si l’on en croit Burchard de Mont-Sion, l’on peut y observer bien plus de détails, soit un moulage en creux d’un crâne, de cheveux, d’épaules, ceux du Christ11. D’autres vestiges sur le même Mont des Oliviers sont liés à l’agonie : motif de la pierre serrée par le Christ12, genoux et mains du Christ en prière imprimés dans la roche de Gethsémani13. D’autres scènes évangéliques, bien antérieures à la Passion, ont laissé par leur violence des traces dans le paysage ; ainsi l’on vénère à Nazareth un rocher – le Saut Nostre Seigneur – qui porte les vestigia du Christ, puisque les habitants de la cité ont voulu le précipiter du haut de cette falaise (Luc, 4, 29)14 ; et près du Temple de Jérusalem, l’on visite dès le début des années 1100 une grotte où il s’était refugié alors que les Juifs voulaient le lapider et où apparaissent également des empreintes anthropomorphes (Jean, 8, 59)15. Le Sinaï, autre passage obligé des pèlerins, pôle méridional et vétéro-testamentaire de la Terre Sainte, exhibe des marques similaires pour Moïse : selon Jean de Mandeville, sur l’Horeb, est

  • 16 Le Livre des Merveilles du Monde, ch. 8, p. 168. Pour des exemples plus anciens, voir Fritz, « Empr (...)

la roche ou Moïses se fuoit de paour quant il vist Nostre Seignur face a face. Et en celle roche est empressé (var. emprainte, en painture) la fourme de son corps, qar il se ferist si durement en la roche qe tout la corps enfoundra dedeins par miracle de Dieu16.

  • 17 Voir Dansette, « Les pèlerinages occidentaux », p. 407.

7Et l’anonyme de Rennes parle d’un rocher où s’est assis Moïse et qui conserve l’empreinte de ses fesses ! Et de noter que « cela est vray, sans fable » et que les Sarrasins eux-mêmes portent un grand respect à cette pierre et l’embrassent17.

8L’image récurrente de tous ces récits est celle de la cire et du sceau : la pierre est devenue en présence de Moïse ou du Christ molle comme de la cire et a pu conserver l’empreinte de leur passage sur terre. Dans cette geste eschatologique de l’Ancien et du Nouveau Testament, la substance la plus dure qui soit, la pierre, a subi une métamorphose provisoire pour permettre cette impression : le rocher devient le support d’un caractère au sens étymologique du terme (« marque gravée, imprimée »), détail qu’il convient au pèlerin de repérer et de réactiver. L’image de sceau est essentielle : les rochers de l’Horeb ou du Mont des Oliviers sont comme des sceaux qui authentifient le passage de Moïse ou du Christ sur terre. Ces empreintes ne sont qu’un élément d’une constellation plus vaste de détails que le pèlerin est appelé à identifier dans le paysage de la Terre Sainte. L’on peut ainsi repérer des traces de substances comme le lait ou le sang :

    • 18 Riccold de Monte Croce, Liber peregrinationis (voyage en 1288-1289, écrit en 1309), éd. et trad. du (...)
    • 19 Michele da Figline, Viaggio in Egitto e in Terrasanta (1489-1490), éd. M. Montesano, Rome, 2010, p. (...)

    traces de sang sur la colonne de la flagellation qui se confondent avec les veines du marbre rougeâtre de la colonne18 ; marques de sang rouge et noir (sangue rosse et nere) sur un rocher à proximité du lieu du martyr de saint Etienne19 ;

    • 20 Voir Le Livre des Merveilles du Monde, ch. 9, p. 180 (« Pur ceo qe elle avoit trop de lait en ces m (...)

    traces du lait de la vierge dans l’église de Bethleem20.

  • 21 Les géologues parlent à ce propos de dendrites. Voir Le Saint Voyage de Jérusalem, p. 47 : Moïse a (...)
  • 22 Jacques de Vitry, La Traduction de l’Historia orientalis, éd. Cl. Buridant, Paris, Klincksieck, 198 (...)
  • 23 Sur les fruits amers et malodorants (mais beaux à voir) de Sodome, voir Peregrinatio, XI, 30 et 41, (...)

9D’autres caractères mettent en jeu le monde végétal : ainsi certaines pierres du Sinaï portent la marque des feuilles du Buisson ardent21. Jacques de Vitry, décrivant les divers arbres d’Orient (en fait de Terre Sainte), mentionne après l’arbre de paradis (l’oranger ? le palmier dattier ?), un arbre qui porte des fruits dans lesquels apparaît le mors de l’home avec la marque des dents, « et por ce les apiele on les pomes Adan22 » ; le fruit, difficile à identifier, porte en quelque sorte à jamais les stigmates du péché originel. Le détail est ici la projection dans le domaine végétal de l’hérédité de la faute du premier homme. D’autres voyageurs évoquent les fruits amers des arbres des environs de la Mer Morte, souvenir du châtiment de Sodome et Gomorrhe23.

  • 24 Voir Fritz, « Empreintes et vestiges dans les récits de pèlerinage », p. 25-26. Voir la remarque ac (...)
  • 25 Burchard de Mont Sion, Descriptio Terrae Sanctae, p. 75 : « Lapis vero ille positus est in obstruct (...)
  • 26 Guillaume de Boldensele, trad. de Jean le Long, BNF, fr. 2810, fol. 127v : « D’en coste ce lieu son (...)
  • 27 William Wey, The Itineraries to Jerusalem (1458-1462), éd. A. Way, Londres, 1857, p. 126 : « Quereb (...)

10Toutes ces traces, infimes, cachées, partagent avec le détail l’idée de fragilité et d’évanescence. Ces traces sont difficiles à repérer, elles évoluent au gré des siècles et des récits ; telle pierre qui semble évoquer une figure humaine ou une main en creux n’apparaîtra que temporairement dans les récits de pèlerinage. Felix Fabri, auteur du récit le plus circonstancié et qui a fait deux voyages en Terre Sainte (1480 et 1483-1484), note avec tristesse que les empreintes de la grotte de l’Arrestation sur le Mont des Oliviers qu’il a pu voir lors de son premier périple demeurent introuvables lors du second, peut-être en raison des exactions des pèlerins, qui cherchaient coûte que coûte à ramener en Occident des reliques de Jérusalem, peut-être aussi en raison de la fragilité même d’une telle silhouette24. Quant aux fameuses traces de l’Ascension, le dominicain allemand Burchard de Mont Sion note que l’on peut toucher, et non plus voir, la pierre, puisqu’elle a été réemployée après la reconquête arabe pour murer la porte orientale du sanctuaire25. Enfin, certains auteurs remettent en cause la pertinence même du détail et n’y voient qu’un phénomène naturel ; ainsi, en 1336, Guillaume de Boldensele fait appel aux lapidaires et à Aristote pour expliquer que des colonnes près du Calvaire suintent continuellement : elles ne pleurent pas la mort du Seigneur comme l’affirment les simples gens, mais sont d’un marbre appelé enidros de nature si froide qu’il provoque une condensation et de l’humidité26. Quant à William Wey, qui voyage au siècle suivant, il nie la présence du sang sur la colonne de la Flagellation, mais avoue y reconnaître des traces de coups de fouet27.

  • 28 L’on peut noter la récurrence du terme latin impressiones dans tous ces récits pour désigner ces re (...)
  • 29 Voir Iliade, XVII, 599 (à propos de la lance qui incise l’os). Si scribere en latin n’a plus ce sen (...)
  • 30 Voir M. Carruthers, Le Livre de la Mémoire. Une étude de la mémoire dans la culture médiévale, trad (...)

11Le récit de pèlerinage se présente donc comme une addition de détails, fragiles, variables, même s’ils semblent inscrits dans la pierre et le paysage. La Terre Sainte est un territoire marqué, incisé, entaillé, sculpté par la geste biblique ; le pèlerin est amené à s’y déplacer comme sur la page d’un manuscrit, à y repérer à l’aide d’un texte écrit (les fameux manuels de pèlerinage) ou d’un guide en chair et en os (le plus souvent franciscain) les traces laissées par Moïse ou le Christ. Celles-ci sont comme des lettres à déchiffrer. L’image récurrente de la pierre devenue miraculeusement cire, le temps d’être imprimée28, nous rappelle non seulement celle du sceau – et donc de l’authentification – mais aussi celle de l’écriture : les tablettes de cire sont encore largement en usage à la fin du Moyen Âge. Le verbe grec qui désigne l’acte d’écrire – graphein – signifie primitivement chez Homère « entailler », « écorcher29 ». Le pèlerin doit lire ces caractères gravés dans la roche et s’en souvenir. Car la pierre/cire a partie liée avec l’écriture, mais aussi et surtout avec la mémoire : la cire est une image centrale dans le discours médiéval sur la Memoria30. De plus, Jacques de Voragine, dans le long chapitre final de la Légende dorée consacré à la fête de la Dédicace, fait le lien entre mémoire, inscription et image :

Nous avons trois façons de remémorer (triplex memoriale) la Passion du Seigneur : la première passe par l’inscription (in scripto) ; c’est la figuration de la Passion du Christ par les images, qui fait appel à la vue. L’image du Crucifié, comme les autres images, est placée dans l’église pour susciter la mémoire, la dévotion et l’instruction, car elles sont comme des livres pour les laïcs.

  • 31 Voir La Légende dorée, p. 1042.
  • 32 Voir H. Thurston, Étude historique sur le chemin de la croix, Paris, 1907 et M.-J. Picard, « Croix (...)
  • 33 Si François d’Assise ne parle jamais d’une quelconque obligation pour le chrétien de se rendre à Jé (...)

12L’image relève ici significativement du scriptum : le dominicain met sur le même plan l’image et l’inscription, le geste du peintre et du scripteur. Les deux autres remémorations font appel à l’ouïe (in verbo, par la prédication) et au goût (in sacramento, par le sacrement de l’eucharistie)31. Le détail, qu’il soit aussi infime qu’une marque de doigts dans le rocher, accroche la vue et permet l’anamnèse. Et leur multiplication jusqu’à saturation dans les récits de pèlerinage s’explique par cette fonction mnésique ; le voyageur / compilateur accumule les loci pour multiplier les références bibliques et évangéliques ; toutes les étapes de la Passion sont peu à peu localisées, projetés dans l’espace de la ville et donneront naissance au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge aux différentes étapes de la Via crucis32. La dimension christocentrique de la spiritualité franciscaine n’est évidemment pas étrangère à cette évolution : le pèlerin est appelé à mettre ses pas derrière ceux du Christ conformément aux paroles de Pierre (I Pierre, 2, 21)33. La prolifération du détail ne relève pas d’un parti-pris esthétique ou poétique, mais d’une anamnèse : le détail est testimonial, monumentaire. Il ne fait pas sens par rapport à la totalité de l’œuvre et n’a pas d’extension narrative : il vise à force de répétition à replonger le pèlerin dans l’espace-temps des évangiles.

Récits de fiction

13Qu’en est-il alors des récits de fictions ? Quelle place y occupent les empreintes, traces et autres vestiges ? Et surtout quelles fonctions convient-il de leur assigner ? Certes, l’on peut à première vue tisser des analogies entre ces deux corpus. L’on a vu comment Mélusine rejoint le Christ dans cette capacité à graver et à écrire la pierre. Quant au fameux Saut Nostre Seigneur dont parlent les pèlerins ou Jean de Mandeville lorsqu’ils décrivent Nazareth, il nous rappelle le Saut Tristan que mentionne Béroul en s’adressant à son auditoire :

  • 34 Béroul, Le Roman de Tristan, éd. D. Poirion, v. 948-954, dans Tristan et Yseut. Les premières versi (...)

Seignors, une grant pierre lee
Out u mileu de cel rochier :
Tristran i saut mot de legier.
Li vens le fiert entre les dras,
Quil defent qu’il ne chie a tas.
Encor claiment Corneualan
Cele pierre le Saut Tristran34.

  • 35 Riccold de Monte Croce, trad. de Jean le Long, BNF, fr. 2810, fol. 269v.
  • 36 Voir Hérodote, Enquête, IV, 82 et Lucien, Histoires vraies, I, 7.
  • 37 Sur ce pied d’Adam, voir le témoignage médiéval de Jean de Marignolli (franciscain qui séjourne en (...)
  • 38 Cité par B. Meistermann, Guide du Nil au Jourdain par le Sinaï et Pétra, Paris, Picard, 1909, p. 14 (...)

14Cette pierre ne porte certes pas d’empreintes de pas comme le rocher de Nazareth, où, selon Riccold de Monte Croce, nous « veismes lez enseignes des pas et la fourme des piés Jhesucrist en la roche empreinte35 ». Mais l’on a bien affaire à un lieu de mémoire ; les Cornouaillais se rappellent les exploits de Tristan comme les pèlerins occidentaux vénèrent le rocher de Nazareth. Ce trait est en fait universel : les héros de tous les temps et de tous les pays ont ce pouvoir de marquer la terre qu’ils ont foulée ; Hercule a laissé l’empreinte de son pied en Scythie si l’on en croit Hérodote36 et au sommet d’une haute montagne de Ceylan est vénérée une empreinte lapidaire dans laquelle les musulmans voient un pied d’Adam, les bouddhistes, un pied du Bouddha, les hindouistes, un pied de Siva37. Chacun y trouve son compte, chacun interprète l’empreinte en fonction de ses propres croyances. Les musulmans vénèrent sur le Mont Moïse à proximité de la chapelle d’Elie l’empreinte de la chamelle du prophète ; l’animal, monté par le prophète, avait posé un pied là, le deuxième à la Mecque, le troisième au Caire, le dernier à Damas38. Quant au chien d’Arthur, il aurait marqué un rocher dans la région du Buelt (sud du Pays de Galles), d’après un développement sur les merveilles de Bretagne qui figure dans l’Historia Brittonum de Nennius, texte latin, qui se fait dans ce cas précis l’écho de traditions celtiques :

  • 39 Historia Britonnum, c. 73 : « Est aliud mirabile in regione quae dicitur Buelt ; est ibi cumulus la (...)

Il est une autre merveille dans la région appelée Buel ; là se trouve un tumulus au dessus duquel se trouve une pierre portant l’empreinte d’un chien. Au cours de la chasse du porc Troynt, Cabal, le chien du chevalier Arthur, laissa son empreinte dans la pierre et, par la suite, Arthur fit cet amas sous la pierre qui portait l’empreinte de son chien et on l’appelle Carn Cabal. Et les hommes viennent et emportent dans leurs mains la pierre durant un jour et une nuit, et le lendemain la pierre se retrouve au sommet du tumulus39.

15Le détail se dilate jusqu’à devenir une double merveille : merveille de l’empreinte du chien (sans doute d’un cheval à l’origine comme le suggère le nom Cabal) et du retour miraculeux de la pierre à sa place initiale. Ce cairn permet de rappeler la mémoire de la chasse du porc Troynt.

  • 40 Ainsi le flot de sang ou de feu de la lance de Celtchar laisse la place à une seule goutte de sang (...)

16Mais cette universalité ne doit pas masquer les écarts entre le domaine religieux et celui des fictions profanes. La trace du chien d’Arthur ne se retrouve pas dans les fictions vernaculaires. Celles-ci sont plutôt pauvres en empreintes lapidaires et vont privilégier d’autres formes de supports, comme le sol meuble ou la neige. La merveille d’une pierre qui devient provisoirement molle comme de la cire est écartée, peut-être dans un souci de rationalisation et de réalisme dont on trouverait la marque ailleurs, notamment dans l’adaptation édulcorée des mythes celtiques par les romanciers du Graal40. Dans une chanson de geste comme la Chanson de Guillaume, la marque sur le sol s’explique très prosaïquement par la violence de l’affrontement ; Guillaume est jeté à terre par les païens avec tant de violence que la forme du combattant s’imprime en creux sur le graver ou sable :

  • 41 La Chanson de Guillaume, éd. Fr. Suard, Paris, Librairie générale française, 2008, v. 1813-1815, no (...)

Encuntre terre mistrent le chevaler,
Tote la forme repert el graver ;
Granz colps li donnent de lances e d’espees41.

17Ce détail de la trace est le signe visible de la brutalité de la geste épique. Un sol meuble a remplacé la pierre, l’empreinte est sans doute provisoire et n’est plus appelée à devenir un monument comme le Saut Tristan ; c’est la voix du jongleur seule qui en fait mémoire.

  • 42 Voir Marie de France, Yonec, v. 342 sqq., dans Les Lais, éd. J. Rychner, Paris, Champion, 1971, p. (...)
  • 43 Ovide, Métamorphoses, III, 17 sqq. ; Isidore de Séville, Étymologies, éd. M. Lindsay, Oxford, 1911, (...)
  • 44 Voir Chrétien de Troyes, Érec et Énide, v. 3524 et 4367 ; Le Chevalier au Lion, v. 752, 5021 ; Le C (...)

18Le réalisme n’explique pas tout, loin de là. Ce refus de fixer la trace dans la pierre se justifie aussi plus profondément par souci de lui conserver sa fragilité et, par là-même, son dynamisme et son ouverture vers l’avenir : le détail de l’empreinte est un appel à l’aventure ou un indice. Les pas que Tristan devait inscrire sur la fleur de farine ou qu’il inscrit réellement sur la neige ne relèvent pas de la célébration d’un passé – ils sont de ce point de vue aux antipodes du Saut Tristan –, mais scellent le destin d’un héros traqué et chassé et relancent la geste des amants de Cornouailles. Aucun texte médiéval ne montre peut-être avec plus d’acuité ce dynamisme de la trace que le Lai d’Yonec de Marie de France : l’héroïne se lance dans une course-poursuite effrénée de son amant-oiseau en suivant les traces de sang ; au bout de la quête, elle se retrouve dans un palais mystérieux, palais de l’Autre monde, où agonise l’amant42. Suivre la trace peut aussi conduire à la fondation d’une cité ; Cadmos fonde Thèbes à l’endroit où s’est couchée la vache (bos) dont il n’a cessé, à la suite d’un oracle, de suivre les vestigia (d’où l’étymologie de Béotie43). Quant aux nombreuses traces de chevaux (ou esclos) des romans arthuriens, elles permettent au narrateur de relancer la quête selon un modèle cynégétique, elles résonnent pour le héros comme un appel à agir, à poursuivre l’adversaire ou à se défendre s’il est lui-même traqué, comme pour Erec ou Perceval dans les romans de Chrétien de Troyes44. C’est la trace nueve qui guide le héros vers sa cousine après sa visite avortée chez le Roi Pêcheur :

  • 45 Le Conte du Graal, v. 3361-3369, nous soulignons.

Si antre en un santier et troeve
Qu’il i ot une trace nueve
De chevaus qui alé estoient.
Fait cil : « Par ci cuit que il soient
Alé cil que je querant vois. »
Lors s’eslaisse par mi lo bois
Tant con cele trace li dure,
Tant que il vit par aventure
Une pucele soz un chasne45.

  • 46 Pour l’épisode des traces de Tristan dans la neige et de Mériadoc, voir Folie Oxford, v. 721 ; Gott (...)

19L’adjectif neuve est décisif : cette trace relève du passé immédiat, du naguère, aux antipodes des empreintes millénaires de Jérusalem ou du Sinaï. Et elle est ce détail fragile, ce mince fil qui va permettre à la narration de rebondir et de se prolonger, alors que les mains ou pieds du Mont des Oliviers figeaient pour l’éternité les heures les plus tragiques de la Passion. Les traces dans la neige que suit par exemple le sénéchal Mériadoc traquant Tristan ou Méraugis à la poursuite de l’Outredouté relèvent de la même perspective et sont encore plus significatives de cette fugacité : elles ne durent qu’un temps46. On sait comment Chrétien exploitera cette fragilité dans sa célèbre scène des trois gouttes de sang dans la neige du Conte du Graal : le signe s’évanouit avec le lever du jour et le soleil. Le symbole n’est plus hors du temps, il est pris dans son flux et sa mouvance jusqu’à disparaître.

20À la différence des récits de pèlerinage, l’empreinte devient dans les récits de fiction un enjeu narratif majeur. Tout en restant un détail, elle met aux prises des personnages faisant appel à la ruse pour inscrire ou déchiffrer la trace. Trois types de ruses se dégagent de nos romans :

  • du côté du héros traqué ou menacé, la ruse qui consiste à masquer ses traces, à brouiller les pistes ;

  • du côté de ses opposants, la mise en place de pièges destinés à prouver par des traces et des empreintes tangibles et visibles la réalité d’une accusation ;

  • enfin, la ruse réside aussi dans l’aptitude à lire la trace, à déchiffrer l’empreinte, à en tirer un indice.

21Si l’on adopte la perspective métaphorique du livre qui affleure souvent dans nos textes, la première instance est celle du scripteur/imprimeur, la seconde, celle du libraire qui prépare le support sur lequel sera posée l’empreinte ; la troisième est celle du lecteur/herméneute. Examinons ces différentes figures.

  • 47 Pour les copeaux, voir Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 308 (Eilhart d’Ober (...)
  • 48 Mais à cette surenchère de la ruse, Hercule triomphera : il entendra leurs mugissements (voir Virgi (...)
  • 49 Voir Renart le Contrefait, éd. G. Raynaud et H. Lemaître, 2 vol., Paris, Champion, 1914, t. 1, p. 2 (...)
  • 50 Voir Physiologus Latinus (version B), I, éd. F. J. Carmody, Paris, Droz, 1939, p. 11 ; Isidore de S (...)
  • 51 La Légende dorée, p. 850.
  • 52 Voir Richard de Fournival, Le Bestiaire d’Amour, éd. et trad. G. Bianciotto, Paris, Champion, 2009, (...)
  • 53 Césaire d’Heisterbach, Dialogus Miraculorum, éd. J. Strange, 2 vol., Cologne, 1851, t. 1, V, 18, p. (...)
  • 54 Sagesse, 5, 10 (le bateau se déplace sans trace, « cujus cum praeterierit non est vestigium invenir (...)

22Un héros comme Tristan, traqué, banni de la cour de Marc, cherche à la fois à faire signe à Yseut par tous les moyens (chèvrefeuille, copeaux jetés dans la rivière, imitation du chant du rossignol…)47 et à masquer les preuves de sa présence à proximité du château. Le héros ingénieux est capable de maîtriser toutes les traces qu’il laisse ou de les inverser comme Cacus qui a voulu tromper Hercule en tirant les bœufs de Géryon par la queue48. Dans un pseudo-fabliau de Renart le Contrefait, le clerc amant est porté par la nonnain (qui n’est autre que la sœur de l’empereur Henri III !) pour que les traces de sa venue ne paraissent pas sur la neige49. L’exemple du lion est bien connu, puisqu’il apparaît en tête de tous les Bestiaires latins et français depuis le Physiologus : il efface de sa queue les traces qu’il laisse pour empêcher le chasseur de le repérer, image du Christ qui s’est incarné dans l’humilité et la discrétion50. Image aussi de l’ascétisme dans la Légende dorée : saint Léonard, comme le lion dont il dérive étymologiquement, bannit toute trace d’affection pour le monde51. Image enfin de la pourveanche, soit « prudence », de l’homme soucieux de sa réputation et effaçant tout ce qui pourrait lui nuire selon le Bestiaire d’Amour de Richard de Fournival52. Cette pourveanche n’est alors pas loin du masque et de l’hypocrisie. L’ambivalence de ce geste du lion est évidente. Image christique pour les Bestiaires, ce pouvoir a partie liée avec le diable selon Césaire d’Heisterbach ; ce dernier mentionne en effet des hérétiques qui, pour séduire les habitants de Besançon et les amener à leurs doctrines, « firent répandre de la farine sur le pavement avant de marcher sur elle sans laisser d’empreintes de pas » ; ils montraient également leur capacité à marcher sur l’eau53. Ce second pouvoir doit s’interpréter dans le même sens que le premier : l’eau est précisément un élément qui ne peut être imprimé. L’on a souvent opposé l’oiseau ou le bateau qui ne laissent pas de traces aux empreintes de l’homme ou des animaux terrestres54. Dans la réécriture de la scène du puits de Renart le Contrefait, Ysengrin qui prend son reflet au fond du puits pour Hersent et croit donc la reconnaître aux côtés de Renart, l’invective et distingue quatre choses qui sont insaisissables dans leur cheminement :

  • l’oiseau volant dans les airs, « Que nul ne poeut veoir sa voye » ;

  • la nef qui parcourt la rivière, dont « Nul ne poeut congnoistre l’alee » ;

  • la voie de pensee, « Qui si subtillement s’avoye / Qu’en son penser ne voit nulz voye » ;

    • 55 Renart le Contrefait, v. 27937-27956. Roole (lat. rotula ?) désigne ici la trace laissée par le poi (...)

    le serpent, « Qui si subtillement se glache, / Com fait le poix dessus la glace,/Qu’on ne poeut son roole trouver55 ».

  • 56 Il en est ainsi à l’endroit où saint Hyacinthe de Cracovie, dominicain polonais du XIIIe siècle can (...)

23Enfin, la femme aussi brouille les pistes ou masque ses allées et venues, comme le serpent qui partage avec une certaine forme de pensée – l’engin ou la voisdie de Renart – l’idée de subtilité. A contrario, certains textes hagiographiques mentionnent des saints qui, après avoir miraculeusement traversé un fleuve en marchant sur l’eau, ont laissé l’empreinte de leur pas sur la rivière (ou dans le fond ?) dans une sorte de pouvoir de marquage paroxystique56.

  • 57 Daniel, 14, 1-22.

24La ruse n’est pas le privilège du scripteur, de celui qui cherche à ne pas laisser trace de son passage ; elle se trouve aussi du côté opposé : on tend un piège à son adversaire en posant sur le sol une substance marquante. Cela peut être de la cendre comme le fait Daniel dans un apologue dirigé contre le culte des idoles : le roi de Perse, Cyrus, vénère Bel, une idole censée manger la nourriture qu’on lui offre ; les prêtres de l’idole pénètrent en fait la nuit dans le temple par un passage souterrain pour subtiliser les offrandes et faire croire que Bel est bien vivant. Daniel démasque les faussaires en répandant de la cendre autour de l’autel ; leur trace s’y imprime, les prêtres sont confondus et mis à mort par le roi, l’idole est détruite57. Dans le Tristan de Béroul, c’est la fleur de farine qui est mise à contribution par le nain Frocin ; ce dernier prépare la page blanche sur laquelle Tristan devra imprimer ses pas, soit très précisément l’espace qui sépare le lit conjugal de celui de Tristan :

  • 58 Voir Béroul, Tristan, v. 703-706 ; rappel qui suit immédiatement celui de l’épisode des traces dans (...)

Entre deus liez la flor respant,
Que li pas allent paraisant ;
Se l’un a l’autre la nuit vient,
La flor la forme des pas tient58.

  • 59 Le sang tombe ensuit aussi sur la farine (Béroul, Tristan, v. 748-749).
  • 60 Eilhart d’Oberg, Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 315, v. 4088.
  • 61 Sur le rapport à l’écriture et l’analyse précise de cette scène dans les différentes versions, voir (...)

25Les deux lits constituent comme la marge de la page. Le traitement est subtil : chez Béroul, Tristan a remarqué le manège du nain ; il saute à pieds joints dans le lit du roi pour prévenir la reine ; sa plaie, suite à une partie de chasse (Béroul) ou à une saignée (Folie Oxford, Gottfried, Saga), se rouvre et c’est le sang sur le lit, et non les pas sur la fleur de farine, qui aura valeur de preuve et confondra les amants : le sang fait signe sur les draps (« Le sanc qui’en ist les dras ensaigne », v. 732, nous soulignons). Une marque se substitue à une autre, plus éclatante, plus violente, plus riche aussi symboliquement ; non un simple vestige, mais du sang versé59. Notons qu’Eilhart d’Oberg privilégiera l’addition à la substitution : Tristan, tout en saignant dans le lit d’Yseut, échoue dans son saut et est contraint de poser son pied sur la farine au moment de retourner dans son lit60. Quoiqu’il en soit, la scène doit bien se lire comme une forme régressive et primitive d’écriture, ce que suggère également le fait que l’épisode intervient au moment où Tristan doit remettre au roi Arthur une lettre (« un brief escrit an parchemin », v. 652) scellée à la cire, une des rares mentions d’écrit dans le fragment béroulien61.

  • 62 Le roi reconnaît les traces et parvient même à différencier les hommes des femmes : « Video vestigi (...)
  • 63 Voir M. Delbouille, « Le nom du nain Frocin(e) », Mélanges István Frank, Saarbrücken, 1957, p. 191- (...)

26Reste donc la dernière instance, celle du héros qui va déchiffrer le détail, du lecteur-herméneute. Cette quête de la trace, du vestigium et de sa signification a un nom bien précis, l’investigatio ; investigare, c’est étymologiquement « suivre à la trace ». Si Daniel n’a pas de mal à faire lire et interpréter les traces de pas sur la cendre au roi Cyrus62, l’épisode de la fleur de farine dans les Tristan ne se résout pas aussi limpidement. Certes, chez Béroul la preuve est faite, le sang retrouvé dans le lit d’Yseut et dans celui de Tristan confond les amants ; Frocin – dont le nom a pu être rapproché de froncin(e), un parchemin très blanc63 – n’aura plus qu’à proposer au roi Marc la lecture de la scène :

Li rois choisi el lit le sanc :
Vermel en furent li drap blanc,
Et sor la flor en pert la trace
Du saut. Li rois Tristran menace. (v. 767-770)

27Le contraste chromatique est violent et doublé : le sang vermeil fait tâche sur les draps blancs et sur la fleur de farine ; la trace du saut – remarquons l’enjambement remarquable du vers 769 – est visible. Mais Gottfried – et sans doute Thomas, son modèle – avait une lecture plus équivoque de cette scène. Chez lui, point de sang sur la fleur de farine, celle-ci reste immaculée. Et lorsque Marc arrive au petit matin, il voit le carrelage (estrîch, 15206), sans la moindre trace, puis découvre le lit d’Yseut, puis celui de Tristan tout ensanglanté. Malgré la violence de ces marques, cela ne suffit pas :

  • 64 Gottfried de Strasbourg, Tristan et Isolde, v. 15232-15245 et 15253-15265, éd. F. Ranke et R. Krohn (...)

Il n’avait comme preuve de leur intimité à tous deux que le sang dans leurs deux lits. Et la preuve était fragile (swach) ! Le doute et la défiance, qu’il avait surmontés, reprirent possession de lui. Certes, il avait découvert un sol sans aucune trace (umbetreten), ce qui pouvait lui faire espérer que son neveu n’avait pas commis de faute envers lui. Toutefois, il avait trouvé la reine et le lit de Tristan couverts de sang […]. Certes, il venait de trouver dans le lit de Tristan les traces (spor) d’un amour coupable, mais devant le lit il ne pouvait en découvrir aucune. Ainsi la vérité (wârheit) lui était tout à la fois offerte et refusée. Ces deux indices l’égaraient : l’un disait la vérité, l’autre mentait. Maintenant il croyait, l’instant d’après il ne croyait plus. Il ne voulait pas les reconnaître coupables, mais il ne pouvait plus non plus croire à leur innocence64.

  • 65 Voir Defoe, Robinson Crusoé, trad. P. Borel, Paris, Gallimard/Folio, 1996, p. 269 sqq. Voir l’analy (...)
  • 66 Voir C. Ginzburg, Mythes Emblèmes Traces. Morphologie et histoire, Paris, Verdier, 2010, p. 218-294 (...)

28Le roi Marc, perpétuellement ballotté entre mansuétude et fermeté, hésite entre une lecture qui ne retiendrait que les traces de sang et une autre qui privilégierait le sol intact entre les deux lits ; ces deux indices contradictoires créent en lui un dilemme. Exemple remarquable d’une trace équivoque qui plonge le décrypteur dans les affres du doute et du soupçon. Dans un tout autre contexte, Defoe met en scène le bouleversement intérieur jusqu’au désarroi et à l’épouvante que provoque en Robinson la découverte d’une empreinte de pas sur son île déserte65. D’autres traces permettent de mettre en exergue un lecteur virtuose, un herméneute hors pair. On connaît l’ouverture du Nom de la Rose d’Umberto Eco, où Guillaume de Baskerville interprète magistralement les traces laissées par le cheval Brunel, pastiche du chapitre « Le chien et le cheval » du Zadig de Voltaire. Le héros se fait ici détective, capable de donner sens au moindre détail qui s’offre à son investigation. Carlo Ginzburg a montré la richesse de ce paradigme indiciaire dans le récit occidental depuis une nouvelle de Sercambi au début du quattrocento jusqu’au roman policier actuel66. Umberto Eco brouille les pistes en plaçant dans la bouche du frère franciscain la citation d’Alain de Lille « Omnis mundi creatura/quasi liber et pictura […] », car si le monde du Chartrain nous parle comme un grand livre, il nous parle du Dieu créateur, alors que pour Voltaire ou Conan Doyle les signes ne sont plus indices d’une transcendance, mais d’une vérité, d’une réalité ici-bas qu’il s’agit de reconstituer.

Conclusion

  • 67 Voir Chrétien de Troyes, Le Chevalier au Lion, v. 2908 ; Les Merveilles de Rigomer, éd. W. Foerster (...)
  • 68 Jean Renart, Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dôle, éd. F. Lecoy et trad. J. Dufournet, Paris (...)
  • 69 Le Roman de Thèbes, éd. et trad. A. Petit, Paris, Champion, 2008, v. 495-512. Si la reconnaissance (...)
  • 70 Voir Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 288-289 (Eilhart d’Oberg, v. 1942 sqq (...)
  • 71 Suite Vulgate du Roman de Merlin, § 493, éd. et trad. I. Freire-Nunes, A. Berthelot et P. Walter (s (...)

29Entailles dans la roche, traces de pas sur le sol, autant de détails dans le paysage des récits de pèlerinage comme des fictions. Autant d’inscriptions, de griffures, de cicatrices que le pèlerin, héros ou lecteur est amené à vénérer ou à déchiffrer. Le récit de pèlerinage fait du détail un lieu de mémoire, qui permet de célébrer le passé et rappelle l’Ecriture par excellence ; la fiction, elle, l’inscrit dans une perspective herméneutique, qui doit faire triompher la vérité. Dans le premier cas, il engage un passé qu’il commémore et qu’il confirme dans un jeu de redondance ; dans le second, il ouvre sur un avenir avec sa part de doutes et de questionnements. Les empreintes du Mont des Oliviers se déploient verticalement : l’ici-bas renvoie à un au-delà ; les traces des fictions, elles, sont des indices qu’il convient de déplier horizontalement pour reconstituer la vérité, vérité problématique comme le montrent les récits de Tristan. Le récit de pèlerinage accumulera les détails jusqu’à saturation, le récit fictionnel trouve son expansion et sa cristallisation autour de traces rares, mais décisives. Les empreintes ne sont dans les fictions qu’un versant de cette poétique du détail et de l’indice. La littérature présente un autre support que le sol, la pierre ou la neige : le corps humain. La marque inscrite dans le corps et la chair, le caractère en somme, prend essentiellement deux formes dans le corpus d’oïl : les cicatrices d’Yvain ou de Lancelot67, les naevi ou envies en forme de fleurs – rose, violette – dans les romans du cycle de la gageure68. Le partage est sexué : le corps incisé, entaillé, est plutôt masculin, les fleurs cutanées appartiennent aux héroïnes. Le domaine religieux connaît certes le corps marqué, mais il s’agit du cas-limite et radical de la stigmatisation de François d’Assise, qui fait du saint une imago Christi jusque dans sa chair de crucifié. Ce détail du corps incisé ou imprimé permet la reconnaissance et l’identification du héros ; tel est le cas d’Œdipe dans la scène bien médiévale du bain qui figure au début du Roman de Thèbes : Jocaste reconnaît en son époux le fils abandonné aux pieds fendus69. La légende de Tristan, tout en préservant le cadre intime du bain, déplace le détail sur l’épée : c’est l’entaille de l’épée du héros qui permet à Yseut de reconnaître en Tristan le meurtrier du Morholt70. Comme si l’épée était moins un objet qu’un prolongement du corps du chevalier, une prothèse. Pour Guenièvre, cette marque a trait à la légitimité : la fille du roi Léodagan porte sur les reins un naevus en forme de couronne signe de son élection future et preuve pour son père qu’elle est bien sa fille légitime71. Si l’empreinte monumentaire des récits de pèlerinage relève d’une pensée religieuse, voire magique, la trace indiciaire des fictions ouvre, Carlo Ginzburg l’a bien vu, sur la modernité, celle du paléontologue, du détective et du psychanalyste. Mais au delà de ce partage, l’on peut dégager une troisième dimension du détail : celle du lyrisme. La scène des trois gouttes de sang sur la neige laissées par les oies dans le Conte du Graal de Chrétien de Troyes en est un magnifique exemple, alors même que, selon Boèce, l’oiseau ignore le vestigium : la marque ici n’est pas de l’ordre de l’anamnèse ou de l’indice, mais introduit le rêve et la poésie, poésie qui n’exclut pas le souvenir. Et toute une poésie arabe très ancienne, pré-islamique, celle des Mu’allaqât (« Les Suspendues »), s’ouvre par une méditation sur la trace : les vestiges (atlal) d’un campement abandonné, marques fragiles sur le sable du désert, éveillent chez l’amant-poète le souvenir de la femme aimée. Citons le début (nasîb) de la Mu’allaqa de T’arafa Ibn al-’Abd (VIe siècle) :

  • 72 Voir Les Suspendues (Al-Mu’allaqât), trad. H. Toelle, Paris, GF-Flammarion, 2009, p. 101. Sur ce mo (...)

Du campement de Khawla les vestiges dans le désert de pierre de Thahmad Affleurent comme le reste d’un tatouage sur le dos de la main72.

30La trace, si importante dans la fable et la fiction, est peut-être d’abord poétique, si l’on en croit René Char :

  • 73 R. Char, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1983, p. 382 (La Parole en archipel).

Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver73.

31La trace est ici aux antipodes de la preuve et du paradigme indiciaire, elle est l’essence même du rêve, et de la poésie.

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Notes

1 Jean d’Arras, Mélusine ou la Noble histoire de Lusignan, éd. J.-J. Vincensini, Paris, Librairie générale française, 2003, p. 704, nous soulignons.

2 Ogier d’Anglure, Le Saint Voyage de Jérusalem (1395), éd. F. Bonnardot et A. Longnon, Paris, SATF, 1878, p. 18-19, nous soulignons.

3 Voir Louis de Rochechouart, Journal de Voyage à Jérusalem (1461), éd. C. Couderc, Revue de l’Orient Latin, 1, 1893, p. 168-274, ici p. 245. Sur tout ce corpus de récits de pèlerinage, voir la somme de N. Chareyron, Éthique et esthétique du récit du voyage à la fin du Moyen Âge, Paris, Champion, 2013.

4 Voir B. Dansette, « Les pèlerinages occidentaux en Terre sainte : une pratique de la Dévotion moderne à la fin du Moyen Âge ? Relation inédite d’un pèlerinage effectué en 1486 », Archivum Franciscanum Historicum, 72, 1979, p. 106-133, 330-428, ici p. 347. Mais si l’on en croit Jean de Mandeville, cet arbre est toujours visible : voir Le Livre des Merveilles du Monde (1356), éd. C. Deluz, Paris, CNRS, 2000, ch. 11, p. 210.

5 Voir Dansette, « Les pèlerinages occidentaux », p. 351-352, nous soulignons.

6 Voir Dansette, « Les pèlerinages occidentaux », p. 352.

7 Voir Dansette, « Les pèlerinages occidentaux », p. 347.

8 Voir inscription et image chez Jean de Wurzbourg (v. 1170) à propos d’une pierre qui rappelle l’expulsion des marchands du Temple (voir Descriptio Terrae Sancta, éd. R. B. C. Huygens, Peregrinationes tres, Turnhout, Brepols, 1994, p. 90).

9 Voir J. -M. Fritz, « Empreintes et vestiges dans les récits de pèlerinage : quand la pierre devient cire », Le Moyen Âge, 118, 2012, p. 9-40.

10 Voir D. Arasse, Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, Paris, Flammarion, 1996, p. 12.

11 Voir Belardo d’Ascoli, Descriptio Terrae Sanctae (ca 1155), éd. S. de Sandoli, Itinera Hierosolymitana Crucesignatorum, 4 vol., Jérusalem, 1978-1984, t. 2, p. 44 : « in hac (cripta) fuit captus, ad cujus introitum apparet forma trium digitorum sacre manus ejus impressa in saxo cripte, quam fecit cum captus fuit, ut dicitur ». Burchard de Mont Sion, Descriptio Terrae Sanctae (ca 1283), éd. J. C. M. Laurent, Peregrinatores Medii Aevi Quatuor, Leipzig, 1873, p. 68-69 : « Et videtur impressio calvarie ejus superius in rupe dependente et liniamenta verticis et capillorum ejus. Quam impressionem dicitur fecisse rupem apprehendendo, cum a turbis teneretur ».

12 Philippe Brosserio de Savone, Libellus descriptionis Terrae Sanctae (1285-1299), éd. P. Marcellin de Civezza, Le Missioni francescane in Palestina, 3, 1893, p. 334 : « Ibi est etiam lapis quem Dominus noster strinxit pro tristitia et impressio ibi digitorum remansit ».

13 Voir Burchard de Mont Sion, Descriptio terrae sanctae, p. 69.

14 Voir, entre autres, Le Livre des Merveilles du Monde, ch. 13, p. 241 : « Et a dimi lieue de Nazareth est le Saut Nostre Seignur, qar les Juys le menerent sur une roche haute pur jecter a val pur ly occire. Mes Jhesu passa parmy eux et sailly sur une autre roche, et ly piez y pierent unqore en ladite roche ».

15 Saewulf, Itinerarium (1102-1103), Descriptio Terrae Sancta, éd. Huygens, p. 68 : « Ibi adhuc apparent in rupe vestigia Domini dum ipse asbcondit se et exivit de templo, ne Judei in illum lapides jacerent quos tulerunt ».

16 Le Livre des Merveilles du Monde, ch. 8, p. 168. Pour des exemples plus anciens, voir Fritz, « Empreintes et vestiges dans les récits de pèlerinage », p. 28-32.

17 Voir Dansette, « Les pèlerinages occidentaux », p. 407.

18 Riccold de Monte Croce, Liber peregrinationis (voyage en 1288-1289, écrit en 1309), éd. et trad. du texte latin par R. Kappler, Paris, Champion, 1997, p. 50 : « vestigio sanguinis Christi cruentata » ; voir trad. française de Jean le Long d’Ypres (1351) : « D’en costé ceste eglise est la coulombe en laquelle Jhesuscrist fu liés et batus et encore appert toute ensanglantee » (BNF, fr. 2810, fol. 271r). Voir aussi Jacques de Voragine, La Légende dorée, éd. A. Boureau, Paris, Gallimard, 2004, p. 1046, qui reprend Pierre Comestor (Historia Scolastica, PL, 198, c. 1628 C). Dans les récits du Haut Moyen Âge (Théodose, Anonyme de Plaisance…), la colonne contient l’empreinte en creux de ses mains et de son visage (voir Fritz, « Empreintes et vestiges dans les récits de pèlerinage », p. 13-14). L’empreinte en creux a laissé la place à une trace.

19 Michele da Figline, Viaggio in Egitto e in Terrasanta (1489-1490), éd. M. Montesano, Rome, 2010, p. 111 (et pour la colonne de la Flagellation, p. 98 et 99).

20 Voir Le Livre des Merveilles du Monde, ch. 9, p. 180 (« Pur ceo qe elle avoit trop de lait en ces mamelles, et qe y ly fesoit mal, elle en gecta illecques sur les peres roigez de marbre si qe unqore y sont les techches blanches sur les peres »). Voir déjà Pseudo-Odoric de Pordenone, Liber de Terra Sancta (seconde moitié du XIIIe siècle ?), Peregrinatores Medii Aevi Quatuor, éd. J. C. M. Laurent, ch. 40, p. 153.

21 Les géologues parlent à ce propos de dendrites. Voir Le Saint Voyage de Jérusalem, p. 47 : Moïse a dispersé les fleurs du Buisson ardent « et par tous les lieux ou il les espandit, elles y sont encores aujourd’uy proprement figurees en telle maniere que vous ne sauriés rompre la roche en tant de lieux que tousjours vous n’y doyez veoir l’empraincte de la fleur si proprement figuree comme nul painctre la sauroit faire ». Voir déjà Thietmar, Peregrinatio (1217), éd. J. C. M. Laurent, Hambourg, 1857, XVIII, 34, p. 42 : « In quo loco adhuc effodiuntur lapides habentes in se tamquam pictam similitudinem rubi, qui valent contra diversas infirmitates ».

22 Jacques de Vitry, La Traduction de l’Historia orientalis, éd. Cl. Buridant, Paris, Klincksieck, 1986, c. 85, p. 135 (traduction anonyme de la seconde moitié du XIIIe siècle du BNF, fr. 17203).

23 Sur les fruits amers et malodorants (mais beaux à voir) de Sodome, voir Peregrinatio, XI, 30 et 41, p. 32 et 33 et Le Livre des Merveilles du Monde, ch. 12, p. 226 (« pommes tres beles et de bele color a regarder », mais qui, tranchées, exhibent de la cendre, trace du feu de l’Enfer qui a frappé la région). Voir aussi Gossuin de Metz, L’Image du Monde, éd. Ch. Connochie-Bourgne, Thèse, Université Paris IV-Sorbonne, 1999, qui reprend Jacques de Vitry et juxtapose pommes d’Adam et pommes cendrées : « Autres pommes i a bien granz, / Ou li mors de l’homme pert enz / A touz les dens, et les claime on / Pommes d’Adam par tel raison. / Autre arbre i sont poumes portanz,/Beles defors, cendre dedenz » (v. 2909-2914).

24 Voir Fritz, « Empreintes et vestiges dans les récits de pèlerinage », p. 25-26. Voir la remarque acerbe de Guillaume de Boldensele, Liber de quibusdam ultramarinis partibus, trad. de Jean le Long de 1351, BNF, fr. 2810, fol. 126v, à propos des pierres du Saint Sépulcre : « Car encore les pelerins qui y vont emportent des pierres et de la terre tout ce que ilz en peuent avoir, et emporteroient toute la terre sainte se ilz peussent ».

25 Burchard de Mont Sion, Descriptio Terrae Sanctae, p. 75 : « Lapis vero ille positus est in obstructionem ostii orientalis sine calce ; tamen et potest bene aliquis inmittere manum et tangere vestigia, sed non videre ».

26 Guillaume de Boldensele, trad. de Jean le Long, BNF, fr. 2810, fol. 127v : « D’en coste ce lieu sont coulompnes de marbre continuelment degoutans eaue et dient les simples gens que elles pleurent la mort Nostre Seigneur. Comment que il en soit, la nature souffist ne est il mestier de recourre a miracle. Celle coulompne est de une maniere de pierre qui a non enudras, dont li lapidaire et li naturien dient que elle est sy froide de sa nature et complexion que par sa froideur elle engroisse et empessist l’air tout environ soy et continuelment le transmue en eaue, raison le moustre assez, car Aristotiles le dist, li princes des naturiens […] ». Voir la traduction en français moderne de ce texte à partir du ms. Besançon 667 par C. Deluz dans Croisades et pèlerinages. Récits, chroniques et voyages en Terre sainte (XIIIe -XVIe siècle), éd. D. Régnier-Bohler, Paris, Laffont, 1997, p. 1019-1020.

27 William Wey, The Itineraries to Jerusalem (1458-1462), éd. A. Way, Londres, 1857, p. 126 : « Querebatur ulterius utrum columpna ad quam Christus ligatus erat in domo Pilati sit respersus guttis sanguineis Jhesu Christi ? Respondetur quod non, sed vestigia aculeorum scorpionum, cum quibus Christus flagellatus erat, remanent in columpna ».

28 L’on peut noter la récurrence du terme latin impressiones dans tous ces récits pour désigner ces reliques en creux.

29 Voir Iliade, XVII, 599 (à propos de la lance qui incise l’os). Si scribere en latin n’a plus ce sens d’« inciser », le radical peut être mis en relation dans les langues slaves avec des verbes signifiant « inciser » ou « gratter » : voir A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 1979, p. 605b.

30 Voir M. Carruthers, Le Livre de la Mémoire. Une étude de la mémoire dans la culture médiévale, trad. D. Meur, Paris, Macula, 2002 (original anglais 1990), p. 30, 89, 263, etc. ; voir aussi du même auteur, « Intention, sensation et mémoire dans l’esthétique médiévale », Cahiers de Civilisation Médiévale, 55, 2012, p. 367-378, ici p. 370.

31 Voir La Légende dorée, p. 1042.

32 Voir H. Thurston, Étude historique sur le chemin de la croix, Paris, 1907 et M.-J. Picard, « Croix (Chemin de) », Dictionnaire de Spiritualité, t. 2, Paris, Beauchesne, 1953, c. 2576-2606.

33 Si François d’Assise ne parle jamais d’une quelconque obligation pour le chrétien de se rendre à Jérusalem, ce dernier est pour ainsi dire toujours et partout un pèlerin invité, pour reprendre la formule quasiment inaugurale de la Règle de 1221, « à suivre la doctrine et les traces (doctrinam et vestigia) de Notre Seigneur Jésus Christ ». Voir, sur toute cette question, C. C. Billot, « La marche d’après les Écrits de saint François d’Assise », Études franciscaines, 16, 1966, p. 311-330.

34 Béroul, Le Roman de Tristan, éd. D. Poirion, v. 948-954, dans Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, éd. Ch. Marchello-Nizia, Paris, Gallimard, 1995, p. 28, repris sans précision supplémentaire dans le Tristan en prose, éd. R.-L. Curtis, t. 2, Leyde, Brewer, 1976, p. 145, § 546 (Saut Tristan).

35 Riccold de Monte Croce, trad. de Jean le Long, BNF, fr. 2810, fol. 269v.

36 Voir Hérodote, Enquête, IV, 82 et Lucien, Histoires vraies, I, 7.

37 Sur ce pied d’Adam, voir le témoignage médiéval de Jean de Marignolli (franciscain qui séjourne en Chine de 1342 à 1346), Relatio, éd. A. Van den Wyngaert, Sinica Franciscana, I, 1929, p. 538 et surtout d’Ibn Battûta, dans Voyageurs arabes, trad. P. Charles-Dominique, Paris, Gallimard, 1995, p. 947-948. Marco Polo évoque également cette montagne, mais parle simplement du tombeau d’Adam, non de son pied (Le Devisement du monde, c. 168, éd. Ph. Ménard, t. 6, Genève, Droz, 2009, p. 24-27). Sur cette tradition, voir L. de Sivry, Dictionnaire géographique, historique […] des pèlerinages anciens et modernes, 2 vol., Paris, 1850-1851, t. 1, c. 445-449 et A. Abeydeera, « Routes de la foi. Sur la trace bénie du Pas d’Adam », Diogène, 159, 1992, p. 75-102.

38 Cité par B. Meistermann, Guide du Nil au Jourdain par le Sinaï et Pétra, Paris, Picard, 1909, p. 148.

39 Historia Britonnum, c. 73 : « Est aliud mirabile in regione quae dicitur Buelt ; est ibi cumulus lapidum et unus lapis superpositus super congestum cum vestigio canis in eo. Quando venatus est porcum Troynt, impressit Cabal, qui erat canis Arthuri militis, vestigium in lapide et Arthur postea congregavit congestum lapidum sub lapide in quo erat vestigium canis sui, et vocatur Carn Cabal. Et veniunt homines et tollunt lapidem in manibus suis per spatium diei et noctis et in crastino die invenitur super congestum suum » (éd. F. Lot, Nennius et l’Historia Brittonum. Étude critique suivie d’une édition, Paris, Champion, 1934, p. 216). Nous traduisons. Le chien Cabal apparaît dans le conte gallois de Kulhwch et Olwen (voir Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen Âge, trad. P. -Y. Lambert, Paris, Gallimard, 1993, p. 157 et 161). Nombreux exemples d’empreintes : voir S. Thompson, Motif-Index of Folk-Literature, Copenhague, 1955-1958, A 972 ; S. Reinach, « Les monuments de pierre brute dans le langage et les croyances populaires », Revue archéologique, 3e s., 21, 1893, p. 195-226 et 329-367, ici p. 223-226 ; P. Toldo, « Leben und Wunder der Heiligen im Mittellalter. IX. Eindrücke der Heiligen », Studien zur vergleichenden Literaturgeschichte, 5, 1905, p. 337-339.

40 Ainsi le flot de sang ou de feu de la lance de Celtchar laisse la place à une seule goutte de sang dans le récit de Chrétien de Troyes, si l’on retient le point de vue d’une origine celtique de l’objet (voir J. Marx, La Légende arthurienne et le Graal, Paris, PUF, 1952, p. 131 sqq.).

41 La Chanson de Guillaume, éd. Fr. Suard, Paris, Librairie générale française, 2008, v. 1813-1815, nous soulignons.

42 Voir Marie de France, Yonec, v. 342 sqq., dans Les Lais, éd. J. Rychner, Paris, Champion, 1971, p. 112 sqq.

43 Ovide, Métamorphoses, III, 17 sqq. ; Isidore de Séville, Étymologies, éd. M. Lindsay, Oxford, 1911, XIV, iv, 11.

44 Voir Chrétien de Troyes, Érec et Énide, v. 3524 et 4367 ; Le Chevalier au Lion, v. 752, 5021 ; Le Conte du Graal, v. 745, 2692, 3362 (dans Romans, éd. M. Zink, Paris, Librairie générale française, 1994).

45 Le Conte du Graal, v. 3361-3369, nous soulignons.

46 Pour l’épisode des traces de Tristan dans la neige et de Mériadoc, voir Folie Oxford, v. 721 ; Gottfried de Strasbourg, Tristan et Isolde, v. 13451 sqq. et Saga de Tristan, ch. 51 (Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 236, 562, 858) ; pour Méraugis, voir Raoul de Houdenc, Meraugis de Portlesguez, éd. et trad. M. Szkilnik, Paris, Champion, 2004, v. 3619-3621.

47 Pour les copeaux, voir Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 308 (Eilhart d’Oberg, v. 3453 sqq.) et 572-573 (Gottfried de Strasbourg, v. 14423 sqq.) ; pour Tristan Rossignol, voir Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 967-973 (extrait du Donnei des amants).

48 Mais à cette surenchère de la ruse, Hercule triomphera : il entendra leurs mugissements (voir Virgile, Enéide, VIII, 209 sqq.).

49 Voir Renart le Contrefait, éd. G. Raynaud et H. Lemaître, 2 vol., Paris, Champion, 1914, t. 1, p. 276-277 (§ 113) ; là aussi, la manœuvre échoue : l’empereur qui s’est levé la nuit pour faire orine surprendra sa sœur chevauchée par le clerc. Toute cette partie historique en prose reprend verbatim le Manuel d’histoire de Philippe de Valois (1326-1327), BNF, fr. 19477, fol. 153v -154r pour le fabliau en question ; l’histoire remonte à Guillaume de Malmesbury, Gesta Regum Anglorum, II, 190, éd. R. A. B. Mynors, R. M. Thomson et M. Winterbottom, 2 vol., Oxford, 1998, t. 1, p. 341-343.

50 Voir Physiologus Latinus (version B), I, éd. F. J. Carmody, Paris, Droz, 1939, p. 11 ; Isidore de Séville, Étymologies, XII, ii, 5 ; Pierre de Beauvais ( ?), Le Bestiaire, éd. Cr. Baker, Paris, Champion, 2010, p. 142 (il « covri as entendans les traces de sa deité »).

51 La Légende dorée, p. 850.

52 Voir Richard de Fournival, Le Bestiaire d’Amour, éd. et trad. G. Bianciotto, Paris, Champion, 2009, p. 208-210.

53 Césaire d’Heisterbach, Dialogus Miraculorum, éd. J. Strange, 2 vol., Cologne, 1851, t. 1, V, 18, p. 296 : « Ut autem eorum doctrinae populus crederet, farinam in pavimento cribrari jusserunt, et sine vestigii impressione super illam ambulaverunt. Similiter super aquas gradientes non poterant mergi ».

54 Sagesse, 5, 10 (le bateau se déplace sans trace, « cujus cum praeterierit non est vestigium invenire ») ; Boèce, La Consolation de Philosophie, éd. C. Moreschini, trad. E. Vanpeteghem, Paris, Librairie générale française, 2005, V, m. 5, v. 4-7, p. 308 (vol libre de l’oiseau opposé aux vestigia des animaux terrestres).

55 Renart le Contrefait, v. 27937-27956. Roole (lat. rotula ?) désigne ici la trace laissée par le pois sur la glace.

56 Il en est ainsi à l’endroit où saint Hyacinthe de Cracovie, dominicain polonais du XIIIe siècle canonisé en 1594, a traversé le Dniepr pour repousser les Tartares, si l’on en croit les Miracula S. Hyacinthi (texte du XIVe siècle) : « Et in testimonium hujus miraculi adhuc per fluvium vestigium pedum S. Hyacinthi manet, et videtur semper ab omnibus, ut testatur […] » (Acta Sanctorum Augusti, t. 3, Anvers, 1737, p. 378 A) ; scène qui apparaît dans l’iconographie moderne (voir L. Réau, Iconographie de l’Art chrétien, t. 3/2, Paris, PUF, 1958, p. 667-669).

57 Daniel, 14, 1-22.

58 Voir Béroul, Tristan, v. 703-706 ; rappel qui suit immédiatement celui de l’épisode des traces dans la neige et de Mériadoc dans Folie Oxford, v. 741-756 (dans Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 21 et 236) ; épisode qui se retrouvait chez Thomas : voir Gottfried, v. 15117 sqq. et la Saga, ch. 55 (Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 581-583 et 865). Dans la Tavola ritonda, c’est le roi Marc lui-même qui répand la farine (Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 1063).

59 Le sang tombe ensuit aussi sur la farine (Béroul, Tristan, v. 748-749).

60 Eilhart d’Oberg, Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 315, v. 4088.

61 Sur le rapport à l’écriture et l’analyse précise de cette scène dans les différentes versions, voir J.-Ch. Huchet, Tristan et le sang de l’écriture, Paris, PUF, 1990, p. 56-76.

62 Le roi reconnaît les traces et parvient même à différencier les hommes des femmes : « Video vestigia virorum et mulierum et infantium » (Daniel, 14, 19).

63 Voir M. Delbouille, « Le nom du nain Frocin(e) », Mélanges István Frank, Saarbrücken, 1957, p. 191-203.

64 Gottfried de Strasbourg, Tristan et Isolde, v. 15232-15245 et 15253-15265, éd. F. Ranke et R. Krohn, Stuttgart, Reclam, 1993, 3 vol. ; nous retouchons très légèrement la traduction de D. Buschinger dans Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 582-583.

65 Voir Defoe, Robinson Crusoé, trad. P. Borel, Paris, Gallimard/Folio, 1996, p. 269 sqq. Voir l’analyse d’A. Tadié, « De la trace au paradigme fictionnel », L’interprétation des indices. Enquête sur le paradigme indiciaire avec Carlo Ginzburg, éd. D. Thouard, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2007, p. 227-239.

66 Voir C. Ginzburg, Mythes Emblèmes Traces. Morphologie et histoire, Paris, Verdier, 2010, p. 218-294 (« Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », article paru en 1979, donc avant Le Nom de la Rose). Il s’agit de la deuxième nouvelle du recueil de Sercambi, intitulée De sapientia (voir Sercambi, Novelle, éd. G. Sinicropi, Bari, 1972, 2 vol.).

67 Voir Chrétien de Troyes, Le Chevalier au Lion, v. 2908 ; Les Merveilles de Rigomer, éd. W. Foerster et H. Breuer, Dresde, 1908-1915, 2 vol., v. 15726.

68 Jean Renart, Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dôle, éd. F. Lecoy et trad. J. Dufournet, Paris, Champion, 2008 et Gerbert de Montreuil, Le Roman de la Violette, éd. D. L. Buffum, Paris, SATF, 1928.

69 Le Roman de Thèbes, éd. et trad. A. Petit, Paris, Champion, 2008, v. 495-512. Si la reconnaissance par la cicatrice est antique, la scène du bain semble bien une invention de l’auteur de Thèbes ; résurgence mystérieuse de la scène archétypale de l’Odyssée, où la nourrice, Euryclée, reconnaît Ulysse dans son bain à la cicatrice de sa jambe (XIX, 392-470) ? Voir S. Messerli, Œdipe enténébré. Légendes d’Œdipe au XIIe siècle, Paris, Champion, 2002, p. 103-119.

70 Voir Tristan et Yseut. Les premières versions européennes, p. 288-289 (Eilhart d’Oberg, v. 1942 sqq.) et 518 (Gottfried de Strasbourg, v. 10070 sqq.).

71 Suite Vulgate du Roman de Merlin, § 493, éd. et trad. I. Freire-Nunes, A. Berthelot et P. Walter (sous le titre Les Premiers faits du roi Arthur), Le Livre du Graal, t. 1, Paris, Gallimard, 2001, p. 1292 ; ce signe permet de la différencier de la fausse Guenièvre, bâtarde conçue la même nuit par Léodagan. Sur ce signe royal et plutôt masculin, en général une croix portée sur l’épaule droite, voir M. Bloch, Les Rois thaumaturges, Paris, Gallimard, 1983, p. 246-258, qui cite notamment l’exemple de Richard le Beau.

72 Voir Les Suspendues (Al-Mu’allaqât), trad. H. Toelle, Paris, GF-Flammarion, 2009, p. 101. Sur ce motif des vestiges (ou du campement abandonné) présents dans six des sept poésies de ce corpus exceptionnel de poésie bédouine, voir D. Casajus, L’Aède et le Troubadour. Essai sur la tradition orale, Paris, CNRS, 2012, p. 99-106.

73 R. Char, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1983, p. 382 (La Parole en archipel).

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Marie Fritz, « L’écriture du détail »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 31 | 2016, 157-178.

Référence électronique

Jean-Marie Fritz, « L’écriture du détail »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 31 | 2016, mis en ligne le 03 août 2019, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14020 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14020

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Auteur

Jean-Marie Fritz

Jean-Marie Fritz est professeur de littérature médiévale à l’université de Bourgogne. Après une thèse consacrée à une approche comparée des discours médiévaux sur la folie publiée sous le titre Le Discours du fou au Moyen Âge (Paris, 1992), il a orienté ses recherches vers la question du paysage sonore au Moyen Âge avec Paysages sonores du Moyen Âge (Paris, 2000) et La Cloche et la lyre (Genève, 2011). Université de Bourgogne

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