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L’Ovide moralisé illustré

L’Ovide moralisé à l’aube de la Renaissance

De la prose brugeoise à la Bible des poëtes
Stefania Cerrito
p. 197-219

Résumés

L’article compare l’illustration des mss de l’Ovide moralisé en prose Paris, BNF fr.137; St. Pétersbourg, Bib. nat. F.v.XIV.1; Londres, BL, Royal 17.E.IV; Cambridge, Magdalene College, Old Library, F.4.34 et Pepys Collection, 2124; et les incunables de Mansion (Bruges, 1484) et Vérard (Paris, 1493), spécialement les luxueuses copies Londres BL IC41148 et Paris, BnF vél.559, peintes par Jacques de Besançon. L’illustration est fortement rattachée au texte et à sa signification allégorique.

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Texte intégral

  • 1 Un seul témoin illustré du xve siècle des Métamorphoses latines, le manuscrit BnF, latin 8016, figu (...)
  • 2 À l’édition de la mise en prose sur la base du manuscrit BnF, fr. 137, succédera celle de l’incunab (...)

1Dans les années qui préludent à la Renaissance, les beaux livres illustrés racontant les fables d’Ovide sont surtout de nouvelles éditions de l’Ovide moralisé, qui redessinent avec soin la forme et le sens du majestueux poème en vers1. Malgré le retentissement que ces réécritures eurent entre la fin du xve siècle et le début du xviie siècle, elles ne sont encore aujourd’hui que peu connues, ou décrites de manière imprécise. Dans la continuité du projet que je poursuis depuis quelques années pour sortir ces textes de l’ombre2, je m’attacherai aujourd’hui à faire quelques remarques sur les jeux de sens qui se créent entre texte et image au sein des exemplaires suivants : d’une part les manuscrits conservés à Paris (BnF, manuscrit français 137), Saint-Pétersbourg (Bibliothèque nationale de Russie, manuscrit F.v.XIV.1), Londres (British Library, manuscrit Royal 17.E.IV) et Cambridge (Magdalene College, Old Library, manuscrit F.4.34 et Pepys Collection, manuscrit 2124), et d’autre part les incunables imprimés par Colard Mansion à Bruges en 1484 (par exemple l’exemplaire de Lille, Bibliothèque municipale, incunable F5) et par Antoine Vérard à Paris, spécialement les versions sur vélin illustrées par Jacques de Besançon (Londres, British Library, IC41148 et Paris, BnF, vélin 559).

Les éditions brugeoises de l’ovide moralisé en prose

  • 3 Les manuscrits D1 (Bruxelles, Bibliothèque royale, manuscrit 9639), D2 (Cambrai, Bibliothèque munic (...)

2Si l’importance de l’Ovide moralisé dans la réception des Métamorphoses en France au Moyen Âge et à la Renaissance est désormais une évidence, les contours de sa circulation, qu’on peut estimer de grande ampleur, ne sont encore que vagues. Il est en revanche certain que la Bourgogne des ducs montra un vif intérêt pour ce gros recueil de gestes des héros de l’Antiquité incarnant les idéaux de l’Ordre de la Toison d’or, que Philippe le Bon fonda en 1430, lors de ses noces avec Isabelle du Portugal. Les Métamorphoses en français figurent dans les riches bibliothèques des nobles de Bourgogne, et une branche de leur tradition manuscrite, dont la langue se colore fortement de picard, témoigne d’une importante circulation de ce texte dans le Nord-Est de la France3. L’Ovide moralisé était un instrument narratif et conceptuel de ce raccord entre l’Antiquité et la Chrétienté dont se nourrissait la symbolique de l’Ordre, et surtout le rêve de Croisade contre les Turcs que Philippe cultiva toute sa vie.

3Quand le Moyen Âge finissant imposait un rajeunissement des fables ovidiennes en français, ce fut un noble et savant chevalier de la Toison d’or, Louis de Bruges, qui donna un nouvel élan à leur tradition. La mise en prose de l’Ovide moralisé qu’il commandita fut l’occasion d’une réflexion approfondie sur les aspects formels et sur les enjeux philosophiques de ce texte, encore profondément ancré dans une atmosphère culturelle désormais vieillie. Transformation des vers en prose, réécriture des gloses, rédaction d’un apparat préfaciel et enfin passage du manuscrit à l’imprimé, tels sont les éléments qui, différemment combinés, intervinrent dans la création des nouvelles éditions brugeoises des Métamorphoses.

  • 4 La première fut commanditée par René d’Anjou et composée entre 1466 et 1467, selon le colophon de l (...)
  • 5 Voir W. van Emden, « L’histoire de Pyrame et Thisbé dans la mise en prose de l’Ovide moralisé : tex (...)
  • 6 Sur l’iconographie, voir I. Hans-Collas et P. Schandel, Manuscrits enluminés des anciens Pays-Bas m (...)

4La deuxième mise en prose de l’Ovide moralisé4, qui est à l’origine de ce renouveau, fut composée autour de 1470. Très fidèle aux vers, la prose brugeoise en transforme radicalement la perspective exégétique : selon sa glose, débarrassée de la typologie et de l’anagogie, la fable raconte l’histoire antique, explique le fonctionnement du monde et de la nature, ou se revêt d’une valeur exemplaire, en accord avec une perspective évhémériste qui n’est pas sans influence sur son illustration. Son expression la plus somptueuse et accomplie est sans aucun doute l’exemplaire ayant appartenu à Louis de Bruges, aujourd’hui conservé à la BnF, sous la cote français 1375. Le maître de Marguerite d’York conçut pour le manuscrit du noble de Gruuthuse un système d’illustration en cent dix-neuf images, où les miniatures alternent avec des lettrines historiées en semi-grisaille d’une extraordinaire expressivité. Les quinze livres s’ouvrent sur un grand tableau qui introduit au premier mythe, en une synthèse illustrée de ses éléments cruciaux ; la narration est ensuite scandée par de petites miniatures, larges d’une colonne et hautes de 8-9 lignes, et par des lettrines historiées en grisaille de 6-7 lignes de haut6.

5Chargé également de l’illustration d’un manuscrit jumeau du parisien, destiné à la bibliothèque du beau-frère de Louis, Wolfart de Borssele – aujourd’hui à Saint-Pétersbourg, Bibliothèque nationale de Russie, manuscrit. F.v.XIV.1 –, l’artiste n’en exécuta que le beau frontispice, tandis que les espaces destinés aux cent-vingt images qui auraient dû le décorer – deux de plus que le manuscrit de Louis – sont restés vierges. Le troisième exemplaire, composé pour Édouard IV et aujourd’hui conservé à Londres, British Library, manuscrit Royal 17.E.IV, est un recueil volumineux, dont l’Ovide est illustré de quinze miniatures introduisant aux quinze livres des Métamorphoses. Sans atteindre la beauté de celles du manuscrit parisien, ces miniatures racontent néanmoins le mythe de manière agréable et efficace.

  • 7 Voir R. McKitterick et R. Beadle, Catalogue of the Pepys Library at Magdalene College Cambridge, vo (...)
  • 8 On se demande surtout pourquoi cette traduction ne fut jamais imprimée : c’est le seul exemple conn (...)
  • 9 Voir K. L. Scott, The Caxton Master and his patrons, Cambridge, Cambridge Bibliographical Society, (...)

6Libraire et traducteur spécialement sensible aux succès littéraires de la cour ducale, William Caxton voulut traduire la prose brugeoise en anglais, et acheva son entreprise le 22 avril 1480, comme on le lit dans le colophon du manuscrit unique en deux volumes, aujourd’hui enfin rappariés, conservé à la Bibliothèque du Magdalene College de Cambridge sous la double cote Old Library, F.4.34 et Pepys Collection, 21247. Nombreuses sont les interrogations qui accompagnent ce beau manuscrit8, et l’histoire de son illustration n’est pas sans quelques points obscurs. Confiée initialement au maître de Caxton, qui est sans doute l’auteur du frontispice et des deux miniatures qui suivent – dont une belle image de la chute de Phaéton en introduction du livre II (fig. 82) –, l’œuvre fut continuée par un autre artiste, qui n’exécuta que l’illustration de Pyrame et Thysbé au livre IV. Les frontispices des onze livres restants ne furent jamais peints9.

  • 10 Voir J. van Praet, Notice sur Colard Mansion, Paris, 1829 ; C. L. Carton, Colard Mansion et les imp (...)
  • 11 Transmise par une trentaine de manuscrits, puis par l’édition Josse Bade de 1509, la première rédac (...)
  • 12 Sur l’illustration de l’Ovide de Mansion, voir M. D. Henkel, De Houtsneden van Mansion’s Ovide mora (...)

7Si la tradition manuscrite est relativement mince, ce fut à l’imprimerie d’assurer une diffusion très ample de la mise en prose, qui constitue la pièce maîtresse de l’editio princeps que Colard Mansion imprima en 148410. Entièrement et fidèlement recopiée dans l’incunable, mais non sans quelques retouches à la langue et au style, la prose de Louis s’y enrichit de nouvelles gloses, savamment construites par une sélection de brefs passages d’allégories, tirées de la rédaction avignonnaise de l’Ovidius moralizatus de Pierre Bersuire11. Ce magnifique exemplaire de la prototypographie flamande est illustré de trente-quatre gravures sur bois, dont seize images des dieux antiques et quinze grandes images en introduction des livres des Métamorphoses12.

  • 13 Les éditions suivantes, sans date, se situent environ en 1498 et en 1507. Les éditions Le Noir date (...)

8Si les lourdes dettes accumulées par Mansion pour imprimer son magnifique Ovide marquèrent la fin de sa brillante carrière de libraire, ce furent les éditeurs parisiens qui tirèrent profit de ce bel ouvrage : en allégeant l’apparat préfaciel, Antoine Vérard en imprima, à partir de 1493, trois nouvelles éditions ; puis Philippe Le Noir en tira deux impressions ultérieures13. L’illustrateur de ces nouveaux imprimés reproduit, non sans quelques variantes, trente-et-une gravures de Mansion. Mais c’est dans les exemplaires de luxe imprimés par Vérard sur vélin que Jacques de Besançon conçut un richissime cycle iconographique, lequel se répète, pour ses lignes essentielles, dans les quatre exemplaires qui nous en sont parvenus : une copie, destinée au roi Henri VII, est aujourd’hui conservée à la British Library sous la cote IC41148 ; deux autres sont conservées à la BnF, sous les cotes vélin 559 (l’exemplaire qui appartint probablement à Charles VIII) et vélin 560 (celui de Charles d’Angoulême) ; une quatrième est à la Bibliothèque municipale de Grenoble (cote I 57). Dans ces tirages de luxe, les gravures sont peintes, et de nombreuses miniatures s’insèrent à la place des rubriques, recopiées à la main en marge du feuillet.

Les dieux antiques

  • 14 Voir F. Ghisalberti, « L’Ovidius moralizatus di Pierre Bersuire », Studi romanzi, 23, 1933, p. 74-7 (...)
  • 15 Voir F. Manzari, « Ovidio, Metamorphoses », Vedere i Classici, Rome, Palombi, 1996, p. 289-294, ici (...)
  • 16 Ibid.

9Référence obligée dans la représentation picturale des dieux antiques, le De formis figurisque deorum, premier chapitre de l’Ovidius moralizatus de Pierre Bersuire14, ne tardera pas à exercer son influence sur l’Ovide moralisé. Le lien entre ces deux lectures de l’œuvre ovidienne, différentes mais épistémologiquement similaires, s’était manifesté, avant que dans le texte, dans les images : un artiste que François Avril identifie avec le maître du Rational des divins offices, plutôt que se conformer à la tradition iconographique ovidienne, crée l’intertextualité par l’image, en renvoyant de manière explicite au traité berchorien15. Dans les manuscrits Reg. lat. 1480 de la Bibliothèque apostolique vaticane et 176 de la Bibliothèque de Genève, qui appartinrent tous deux au duc de Berry, quinze dieux païens, choisis sur la base des liens qu’ils tissent avec leur contenu, introduisent aux quinze livres de l’Ovide moralisé. Ces mêmes dieux figurent dans la table des rubriques de l’Ovide moralisé qui s’insère dans le recueil d’excerpta conservé à la British Library, sous la cote Cotton Julius F.VII16.

  • 17 Voir Ovide moralisé, éd. De Boer, livre XII, v. 3741.
  • 18 Les liens entre l’Ovide moralisé en prose et la réduction sans moralisations du De formis qu’on lit (...)

10Environ un siècle plus tard, l’Ovidius moralizatus et l’Ovide moralisé croiseront leurs traditions textuelles. L’intégration de Bersuire dans l’Ovide en français se fait progressivement, et la première étape s’enregistre dans la mise en prose. Un bref choix de passages du De formis, abrégés, traduits en français et dépouillés de l’allégorie, s’insère, sans en briser la cohérence, au livre XII17, dans la richissime ekphrasis des nouvelles armes d’Achille que Thétis fit forger par Vulcain, les dieux figurant dans la ciselure du bouclier destiné au héros grec18. L’interpolation est ainsi annoncée :

En cellui escu estoient paints et figurez par distinction et ordonnance IX personnaiges et ymaiges des dieux paÿens moult noblement, assavoir le vigoreux Herculés, et les autres ensieuvant… (Ovide moralisé en prose, XII, 10, BnF fr. 137, fol. 182v)

  • 19 Un phénomène similaire s’observe dans les Chroniques de Hainaut (Bruxelles, Bibliothèque royale, ma (...)

11Sont ensuite décrits les caractères des dieux antiques, qui sont mis en images dans huit lettrines en grisaille. Une savante fidélité aux indications de Bersuire se traduit, par le dessin rapide à la plume noire, en de jolis portraits d’une expressivité extraordinaire mêlée, non sans ironie, de traits discrètement caricaturaux. Hercule et Bacchus figurent en exergue, en se côtoyant dans la première lettrine (fol. 182v, fig. 73) : Hercule, couronné, brandit une masse de la main gauche et montre une pomme dorée de la droite ; Bacchus y apparaît à cheval, avec ses pommes et ses grappes de raisins. Les raisons de ce changement dans la hiérarchie traditionnelle, qui place Hercule, et non plus Saturne, en tête du catalogue des dieux, résident dans l’histoire symbolique des ducs, qui fait de ce dieu le fondateur de la dynastie des Valois de Bourgogne, comme le raconte Olivier de la Marche19.

  • 20 Voir De Saturno, fol. 3r, Metamorphosis Ovidiana moraliter a magistro Thoma Walley […] explanata, é (...)

12Suivent les sept dieux planétaires, selon l’ordre traditionnel : Saturne, Jupiter, Mars, Apollon, Vénus avec Cupidon, Mercure et enfin Diane. Si l’iconographie berchorienne s’est rapidement standardisée, le maître de Marguerite d’York révèle toute sa créativité par une réinterprétation originale des indications contraignantes de Bersuire. Ses extraordinaires grisailles sont d’ailleurs le lieu où s’exprime le mieux l’écart par rapport à la tradition iconographique, dont l’artiste ne s’inspire que pour mieux montrer son désir de jouer avec la norme et de créer du nouveau. Le dragon qui orne la faucille de Saturne se détache alors de la poignée et regarde d’un air menaçant l’enfant que le vieux dieu porte à sa bouche (fol. 182v, fig. 74). L’artiste s’inspire de la comparaison berchorienne du dragon avec le basilic, qui tue par son regard, et dont il fait le complice du mauvais roi Saturne qui dévore ses sujets, représentés par Jupiter20. Plus proches de la tradition, mais non sans originalité, les représentations des autres dieux se succèdent à un rythme serré dans les trois feuillets qui suivent, de 183r à 184r. Jupiter sur son trône d’ivoire domine par la foudre les Géants qui veulent s’emparer de l’Olympe, sur fond de ciel bleu clair où un aigle enlève l’enfant Ganymède (fol. 183r, fig. 75). L’image d’Apollon montre le dieu, avec sa lyre et son arc, qui écrase du pied un serpent tricéphale (fol. 183r, fig. 76). Une gracieuse Diane bandant son arc clôt la description de ce panthéon, puis le De formis se raccroche à l’ekphrasis du bouclier, et après en avoir décrit les nymphes, les sept arts libéraux et les neuf Muses, la narration reprend par le don des armes à Achille. Tel un commentaire s’articulant entre texte et image sur les dieux qui sont les protagonistes des fables, cette digression renforce la cohésion de l’ouvrage par les liens qu’elle crée avec la matière des différents livres, et tout d’abord avec la naissance de Jupiter et la castration de Saturne, qui figurent en introduction du livre I. Une belle miniature au fol. 3v représente une séduisante Cybèle aux seins nus qui vient d’accoucher de Jupiter (fig. 79), la grisaille qui suit au fol. 4v (fig. 78) raconte la castration de Saturne et la naissance de Vénus.

13Un tableau de la naissance de Jupiter ouvre également les Métamorphoses dans le manuscrit londonien (Royal 17.E.IV, fol. 13r, fig. 80). L’artiste reprend et amplifie le schéma de la miniature du BnF fr. 137 (fig. 79) : Saturne et la nourrice, aux deux côtés du baldaquin où Cybèle vient d’accoucher, tendent les mains vers le petit Jupiter. À l’extérieur, Saturne montre le faux nouveau-né, en fait la pierre qui lui a été donnée à la place de l’enfant. Sur la gauche, une vieille femme qui sort de la salle allégorise le temps qui passe, et annonce ainsi le déclin du vieux Saturne.

  • 21 Voir T. Voronova et A. Sterligov, Manuscrits enluminés occidentaux du viiie au xvie siècle à la Bib (...)

14Dans le superbe frontispice du manuscrit de Saint-Pétersbourg (fol. 1r), les sept dieux planétaires, peints sur un ciel bleu vu par une grande fenêtre rectangulaire, servent d’arrière-plan à Ovide installé à son écritoire et montrant l’œuf orphique. Dans une astucieuse glose par l’image, les dieux antiques constituent ainsi la toile de fond de la création du poème21.

  • 22 Fol. 1r-50r, sans numérotation. Sur ce manuscrit, voir, entre autres, Le Commentaire de Copenhague (...)
  • 23 Voir J. Engels, Études sur 1’Ovide moralisé, Groningen, Wolters, 1943, p. 70.
  • 24 S. McKendrick insiste sur les liens du maître de Rambures avec Bruges ; voir S. McKendrick, « Paint (...)

15À partir des années 1480, la complémentarité des deux textes devint indissoluble, et c’est dans ces Métamorphoses de la Renaissance que nous lisons la seule traduction en français, bien que partielle, de l’Ovidius moralizatus. Dans l’apparat liminaire que, selon la tradition de l’accessus, Colard Mansion créa pour son Ovide, le De formis devient un préambule exégétique aux anciens mythes. Le premier des trois prohemes de l’incunable – le seul qu’Antoine Vérard et Philippe Le Noir garderont dans leurs rééditions parisiennes – est une traduction fidèle du traité berchorien, qui oriente la lecture de l’Ovide moralisé en expliquant les dieux antiques selon les analogies établies dans la tradition exégétique chrétienne. Ce De formis en français est également l’introduction à l’Ovide moralisé en vers dans son témoin le plus tardif, le somptueux manuscrit conservé aujourd’hui à la Bibliothèque royale de Copenhague sous la cote Thott 39922 et dont on a souvent souligné les liens avec l’Ovide de Mansion23, sans pouvoir cependant en préciser la nature. Composé selon toute probabilité à Bruges24 comme nos autres témoins, ce manuscrit partage avec l’incunable la traduction du traité de Bersuire, avec des variantes qui semblent montrer que, plutôt que d’être la copie l’un de l’autre, comme J. Engels en avait fait l’hypothèse, les deux exemplaires eurent un modèle commun. Mais ce lien se montre surtout dans l’illustration, car les images peintes par le maître de Rambures et les gravures sur bois exécutées pour Mansion par un maître de Gouda se font souvent écho. La datation du manuscrit n’étant qu’approximative, il est impossible d’établir la chronologie des deux livres, mais il est évident qu’ils furent confectionnés dans un même milieu culturel, qu’ils puisèrent aux mêmes sources et qu’ils s’influencèrent mutuellement.

16Un superbe frontispice imagé représentant Saturne et ses enfants est posé en ouverture des deux volumes. Le concepteur de l’image du Thott 399 (page 1, fig. 7) représente le vieux dieu avec sa faucille ornée d’un dragon se mordant la queue, qui dévore un de ses enfants. Autour de lui figurent cinq dieux issus de sa généalogie : Junon sur la gauche, plus en arrière Neptune au bord de la mer, sur le côté droit Pluton qui sort des Enfers, et Vénus qui, un miroir dans la main gauche, surgit des eaux ; au premier plan, Jupiter mutile le vieux dieu.

  • 25 J’utilise dans cet article la foliotation de l’exemplaire en ligne du Musée historique de Bruges, q (...)
  • 26 Voir aussi le frontispice de l’édition Vérard (British Library, incunable IC 41148, fig. 85).
  • 27 Voir aussi le frontispice de l’édition Vérard (British Library, incunable IC 41148, fig. 90).
  • 28 Voir J. Baschet, « Inferno », Enciclopedia dell’arte medievale, Rome, Istituto dell’enciclopedia it (...)

17Bien plus synthétique que le frontispice du manuscrit, l’image de l’incunable de Mansion n’en reprend que la partie centrale, avec des variantes mineures (fol. 1r25, fig. 88)26. Comme dans le manuscrit, seize images des dieux ornent les différents chapitres du De formis. Jupiter écrase les Géants, et par une fenêtre on aperçoit sa métamorphose en aigle, subterfuge pour enlever Ganymède (fol. 6v, fig. 96)27 ; Junon est accompagnée de deux gros paons (fol. 22r, fig. 95). Au folio 28v se trouve une image de Pluton (fig. 86) : la porte des Enfers, en forme de gueule grande ouverte, peut être assimilée au monstre Léviathan28. Pluton figure sur un trône avec Proserpine. À ses pieds un Cerbère tricéphale, sur la gauche les trois Furies, nues, et sur la droite les trois Parques complètent ce tableau de la bouche d’Enfer.

Des dieux païens au dieu chrétien

18Comme la glose, l’image montre que c’est à Dieu que l’auteur veut adresser son poème. Si les illustrations à contenu explicitement chrétien sont rares, elles se chargent en revanche d’une valeur exégétique majeure. Placées aux seuils de l’œuvre, elles affirment avec force en introduction ou en clôture du livre la conformité à la théologie chrétienne de la lecture des Métamorphoses qui y est proposée. Que le mythe soit la déformation fabuleuse de la réalité, comme dans la mise en prose, ou qu’il soit integumentum, comme dans les vers puis dans les imprimés, c’est à la parole de Dieu que ces seuils imagés en confient la narration.

19Genèse du poème et genèse du monde sont mises en parallèle dans le frontispice du manuscrit BnF fr. 137, fol. 1r (fig. 13). Créateur, dans ses fables, d’un système cosmogonique païen, le poète renvoie par son index pointé au Dieu créateur, qui apparaît au centre d’un univers en quatre éléments : l’eau, le feu, le ciel et enfin la terre, avec Adam et Ève agenouillés en prière.

  • 29 Le problème que ce pluriel pose pour une lecture chrétienne du poème fut mis en évidence par Giovan (...)
  • 30 Voir Scott, The Caxton Master and his patrons.

20Le rapport privilégié entre le poète et Dieu s’amplifie dans la belle miniature qui introduit à l’Ovide moralisé en prose dans sa version anglaise (Magdalene College, Old Library, manuscrit F.4.34, fol. 16r, fig. 81). Accompagnée de la rubrique « How Ouyde at tje begynnyng of this booke maketh invocacion for helpe & dyvyne ayde », traduction fidèle de « Comment Ovide au commencement de ce livre invocque l’ayde divine » (BnF fr. 137, fol. 1v, fig. 13), l’image conçue par le maître de Caxton représente une grande salle gothique où Ovide, agenouillé en prière, invoque l’inspiration divine. Dieu, en accueillant son invocation, se montre à la fenêtre et fait apparaître les deux volumes de l’ouvrage. L’artiste met ainsi en image la solution de l’Ovide moralisé à la question épineuse de l’invocation adressée par Ovide (Mét. I, 2-4) au panthéon des dieux qui sont les protagonistes de ses histoires29 : Ovide s’adressait non pas à une pluralité de dieux, mais à un Dieu pluriel, ce pluriel se justifiant par la trinité divine. L’image renforce donc cette glose, qui était indispensable pour faire d’Ovide un poète chrétien30.

  • 31 Voir aussi l’image de l’édition Vérard (British Library, incunable IC 41148, fig. 91).
  • 32 Je crois avoir montré ces liens dans Cerrito, « Colard Mansion relit les Métamorphoses ». Sur le fr (...)

21Les artistes qui illustrèrent les témoins imprimés plus tardifs s’inspirèrent du schème bipartite du BnF fr. 137. Ovide, dans un édifice gothique, occupe désormais le registre de gauche, tandis que le registre de droite sera consacré au mythe et à son interprétation. Dans le bois gravé de Mansion (fol. 48v, fig. 89), Ovide, tenant l’œuf dans la main gauche, se montre à une fenêtre qui s’ouvre sur le monde du mythe. À l’extérieur, plutôt que la Genèse selon la Bible, l’artiste représente la régénération de l’humanité selon le mythe de Deucalion et Pyrrha, en raccordant ainsi l’image au contenu du premier livre : les deux époux, nouveaux Adam et Ève, lancent des cailloux qui se transforment en êtres humains. Mais c’est la partie supérieure de l’image qui s’impose au regard du lecteur : l’archange Michel, avec son glaive et son bouclier, plonge dans le feu infernal les anges rebelles, qui se transforment en êtres monstrueux31. L’intertextualité qui relie l’Ovide de Mansion au Speculum humanae salvationis affleure ici et là dans le volume, et se montre bien dans ce tableau liminaire : la chute de Lucifer et des anges rebelles est une citation claire et explicite du frontispice du Miroir, qui s’ouvre sur Lucifer, « jecté par son orgueil de la haultesse du ciel ou parfond de l’Enfer32 ». Poser le seuil imagé du Speculum dans le frontispice des Métamorphoses, c’est dire que les deux textes ont une même approche exégétique, c’est assimiler la lecture des mythes d’Ovide à la lecture vétérotestamentaire du Speculum, c’est enfin affirmer que, comme le dit le Speculum, la genèse de l’homme fut la conséquence de la chute de Lucifer et des anges rebelles :

[…] Pour quoy Dieu nostre createur le dejecta de la haultesse de Paradis au parfont d’Enfer avec les anges qui a lui estoient adherans et accordans, et pour la reparation de la dicte ruine, Dieu nostre createur, par son ineffable providence, crea nature humaine… (Miroir de la salvation humaine, BnF, vél. 906, fol. 2r)

  • 33 Dans l’accumulation de sens qui est typique des apparats de gloses, cette image suggère probablemen (...)

22Le texte d’Apocalypse 12 sert ainsi de prémisse d’abord au récit de la Genèse, qui s’amplifie dans l’incunable de Mansion, et ensuite à la narration des fables d’Ovide33, ce qui renforce par l’image l’analogie entre le Speculum et les Métamorphoses de Mansion. Ce fut également le choix du maître de Rambures pour l’Ovide moralisé en vers, mais il voulut ajouter un Dieu magnifique dans une mandorle en or, pour dominer une scène entièrement consacrée à la chute des anges (Copenhague, Bibliothèque royale, Thott 399, fol. 1r, fig. 8).

23La dimension téléologique que le parcours historique ovidien acquiert dans l’Ovide moralisé – puisque, au moment de l’avènement d’Auguste, est célébrée la naissance conjointe de Jésus-Christ – est bien mise en évidence au fol. 235v du BnF fr. 137 (fig. 68) : une dernière grisaille représente une Vierge à l’enfant qui trône, adorée par les trois rois mages, et souligne ainsi l’achèvement de l’histoire ancienne ovidienne et le début de l’ère nouvelle.

24Dans les exemplaires sur vélin de la Bible des poëtes d’Antoine Vérard apparaissent deux miniatures ultérieures à contenu biblique. Dans celui d’Henri VII (Londres, Bristish Library, IC 41148), une création de la femme montre Ève qui se détache du flanc d’Adam endormi et joint les mains en prière devant le Créateur (fol. 2v, fig. 83). L’image illustre la glose de Colard Mansion qui introduit la création de la femme pour la première fois dans l’Ovide moralisé :

Adam doncques fut de Dieu fourmé par creacion, mais il se diffourma par pechié. Dieu le reforma par sa grace, il le infourma par sa doctrine, il le conforma par sa similitude et le transforma par contemplacion, si le refourmera par sa gloire. Adam donques ainsi fourmé du Souverain fut transporté en Paradis terrestre où, illec dormant, Dieu de l’une de ses costes forma Eve, qu’il lui donna en commpaigne. Il ne la fist pas de la teste, affin qu’elle ne dominast Adam, ne du pié, affin qu’il ne la despitast ne comtempnast, mais la fist de son costé affin qu’elle lui fust joincte par le loyen amoureux. (Cy commence Ovide, fol. 49r)

25Au feuillet suivant, qui lui fait face, est figuré le péché originel : Adam et Ève qui cachent leur nudité se tiennent de part et d’autre de l’arbre où s’enroule le serpent (fol. 3r, fig. 84) ; ce serpent doté de grandes ailes de dragon tend le fruit défendu à Ève, qui comme Adam a déjà la pomme en main. La miniature souligne et amplifie le chapitre que Mansion consacre au péché et qui explique en six étapes la tentation, dont Ève est stratégiquement la première victime, comme le souligne la glose :

il [i.e le diable] se mist en espece de dragon, qui lors estoit simple beste, et pensa qu’il n’iroit pas premier à l’omme, ains au moindre sexe et le plus foible affin qu’il le vainquist plus legierement. (Cy commence Ovide, fol. 49r)

Et la glose expliquera encore que

Eve pecha en II manieres, car elle se enorgueillist et menga du fruit deffendu, pour quoy elle encourut en deux maledictions. C’est à savoir qu’elle seroit serve à l’omme qu’elle avoit deceu, et si enfanteroit ses enfans à doleur. (Cy commence Ovide, fol. 49r)

Les frontispices

26Les seuils imagés des livres II à XV représentent souvent le premier mythe. C’est la règle pour le manuscrit BnF fr. 137 – les autres exemplaires y dérogent parfois. Dans ces grandes images, le jeu de réécriture iconographique du modèle, qui est soigneusement reformulé pour s’insérer avec cohérence dans l’esprit du nouveau texte, se montre de manière claire. L’artiste qui illustra l’incunable de Mansion puisa tantôt au BnF fr. 137, tantôt au manuscrit de Copenhague, mais ses gravures révèlent toujours un travail de recréation de l’image à la lumière de la nouvelle lecture allégorique des fables. Quelques exemples pourront montrer comment ces beaux frontispices conjuguent tradition et créativité.

27L’arrivée de Phaéton au palais du Soleil introduit toujours au livre II. Agenouillé devant son père qui siège sur un trône resplendissant entouré de rayons de soleil, le Phaéton du frontispice du manuscrit BnF fr. 137 (fol. 13r, fig. 69) montre son respect de l’autorité paternelle et royale. Son orgueil ne le mène pas à subvertir l’autorité, mais à réaliser une entreprise folle, qui n’est pas à sa mesure. La glose le sanctionnera comme l’homme qui veut monter plus hault que a lui n’appartiengne, ou entreprendre plus qu’il ne puisse parfaire (BnF fr. 137, fol. 16r). Dans l’incunable de Mansion, l’attitude fière de Phaéton, debout face au lecteur, ignorant la souveraineté de son père, montre bien que l’orgueil du fils de Phébus est d’une autre nature, et l’artiste tient à souligner, par la chute du char qui apparaît dans le cadre de droite, l’échec auquel cet orgueil est condamné (fol. 69r). Peut-être peut-on mettre cette inflexion iconographique en relation avec le climat politique tendu qui règne dans le duché de Bourgogne après la mort de Charles le Téméraire. De fait, la glose allégorique donne du Phébus de l’incunable de Mansion une image de mauvais prince, qui ignore les enseignements du bon souverain qu’était son père :

Il semble a correction que Ovide sentist aucu[ne]ment le temps de nostre siecle en faignant la cheute de Pheton, filz du Soleil, car a semblable nous pouons dire que nous avons eu et veu en nostre temps deux Phebus qui ont engendré deux Phetons, par lesquelz le monde a esté fort desrochié et brulé, par ce qu’ilz n’ont sceut mener ne conduire le char du soleil comme firent leurs peres, et n’ont volu suivir les traches ne les amonnestemens d’iceulx bons et paciffiques princes… (Cy commence Ovide, fol. 73r)

  • 34 K. L. Scott estime que, si l’on reconnaît la main du maître de Caxton dans le dessin de cette minia (...)

28C’est seulement dans le frontispice conçu par le maître de Caxton que la chute de Phaéton occupe entièrement la scène. L’artiste peint le jeune orgueilleux qui tombe du char, foudroyé par Jupiter, et les quatre chevaux indomptables désormais sans freins34 (fol. 34v, fig. 82).

29Le livre IV est introduit dans le manuscrit Bnf fr. 137 par un tableau des Bacchanales (fol. 42v). Dans un château aux tours rondes, les filles de Minée, méprisant Bacchus, continuent de tisser et de se raconter des histoires malgré l’arrivée du dieu à Thèbes. À l’extérieur, un cortège de femmes et d’enfants s’arrête devant le dieu qui, sur la droite, à la porte d’une ample salle, se montre à la foule. Couronné de pampres, vêtu d’un manteau pourpre, le dieu tient dans la main droite un flambeau, au lieu du thyrse traditionnel ; deux grandes ailes révèlent, selon le code iconographique de ce manuscrit, son appartenance au panthéon païen. Un vol d’oiseaux décore le ciel bleu, dans le style du maître de Marguerite d’York. L’épilogue du mythe, avec la métamorphose des « demoiselles minediennes » en chauve-souris, est illustré au fol. 50v dans une lettrine historiée marquant la conclusion de ce petit cycle narratif découpé à l’intérieur du récit ovidien.

30L’artiste qui illustra l’exemplaire de Londres, comme plus tard celui de Colard Mansion, préfère aux Bacchanales la plus touchante et la plus populaire des histoires racontées par les filles de Minée : celle de Pyrame et Thysbé, dont il raconte la mort dans une miniature très synthétique au fol. 43r. La gravure de Mansion se développe en un tableau plus riche et articulé, où les phases successives du mythe sont représentées sur les différents plans de l’image (fol. 113r, fig. 97).

  • 35 Sur ces manuscrits, voir, entre autres, M. Smeyers, L’Art de la miniature flamande du viiie au xvie(...)

31Pièce maîtresse des livres illustrés pour les princes de Bourgogne, le tableau représentant le héros favori de Philippe le Bon à la conquête de la toison d’or se conforme à la synthèse de son aventure conçue par Loyset Liédet dans l’autographe de l’Histoire de Jason par Raoul Lefèvre (Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrit 5067, fol. 105v), qui fut également reprise, entre autres, par Lieven van Lathem pour la bibliothèque de Louis (BnF fr. 331, fol. 106v)35 et par le maître de Marguerite d’York : ce dernier a illustré les étapes de la conquête sur les différents plans de la miniature du manuscrit français 137, au fol. 86v (fig. 70), autour de la figure de Jason qui, au premier plan, dompte les taureaux grâce à la fiole magique que Médée lui a offerte.

  • 36 Image numérisée consultable sur le site du Museum of Fine Arts de Boston, avec le numéro de référen (...)
  • 37 Sur le Boccace de Mansion, voir, entre autres, H. Michel, L’Imprimeur Colard Mansion et le Boccace (...)

32Ce frontispice du livre VII du BnF fr. 137 sera à son tour le modèle de livres postérieurs. Une gravure sur cuivre reproduisant la miniature, aujourd’hui conservée au Musée des Beaux-Arts de Boston, fut signalée en 1902 par Max Lehrs36. La souplesse de la technique en taille-douce permet à l’artiste, que Max Lehrs appelle « maître de l’illustration de Boccace », d’en reproduire la composition dans les détails les plus fins et même de l’enrichir en remplissant tous les espaces, comme mené par une sorte d’horror vacui. Au fond, un paysage urbain avec ses châteaux aux tours rondes et son église, un moulin sur une colline, un petit lac avec des cygnes, ne sont que des exemples de la manière dont l’artiste cisèle minutieusement le tableau. Par un jeu de rayures, il emplit d’un clair-obscur les larges plages de couleur de la miniature. Les différentes scènes sont mises en relief par des éléments du paysage qui acquièrent une fonction d’encadrement : un bosquet touffu délimite le registre inférieur, les sillons creusés par les taureaux découpent la scène centrale de Jason labourant la terre. Le héros, dont le heaume est décoré d’un panache flottant, acquiert dans le cuivre une majesté et une expressivité encore plus intenses que dans la miniature, et montre son inégalable vaillance dans la lutte contre les taureaux qui crachent des flammes, puis en labourant la terre, ou enfin lorsqu’il arrache les dents du dragon qui se tord sous sa main. L’omission de la scène finale de Jason conquérant la toison est surprenante. Dittmar Henkel formule l’hypothèse que ce cuivre faisait partie d’un cycle que Colard Mansion avait commandé pour ses Métamorphoses à l’auteur des gravures au burin de son Boccace de 147637 ; mais ces cuivres ne furent jamais utilisés car, plutôt que d’insérer dans les blancs les gravures tirées à part, l’imprimeur préféra expérimenter le procédé de la xylographie, qui permettait d’imprimer simultanément texte et image. L’Ovide témoigne ainsi d’une évolution dans la technique du livre illustré par rapport au Boccace qui le précéda. Cette hypothèse expliquerait mieux aussi le lourd endettement que la création des Métamorphoses causa à notre imprimeur et qui marqua la fin ruineuse de son activité brugeoise.

33Très simplifiée par rapport à la miniature qui est son modèle (le fol. 175r du manuscrit Thott 399 de la Bibliothèque royale de Copenhague), la gravure sur bois qui décore le livre VII au fol. 175r de l’incunable se concentre sur la scène de Jason domptant les taureaux terrifiants grâce à la fiole de Médée. En arrière-plan on voit sur la gauche le navire, sur la droite le dragon, et le bélier au sommet d’un rocher qui symbolise les difficultés de l’aventure. Si ce bois gravé n’atteint pas la perfection du cuivre de Boston, il trouve, dans ses lignes sèches et souvent imparfaites, toute la beauté d’un art encore peu expérimenté. Loin de la virtuosité et de la richesse aussi bien de la peinture que du cuivre, l’image sur bois décorant l’incunable, quoique beaucoup moins explicite, suggère au lecteur la vaillance du héros et les dangers de son aventure en se concentrant sur les traits essentiels. Dans l’édition vérardienne, cette image est recopiée avec une technique désormais plus aboutie : les traits sont nets et sûrs, Jason perd sa raideur statique et montre sa vaillance par une attitude plus naturelle, les feuilles et les fleurs aux formes sinueuses décorent le tableau (fol. 69v). L’épilogue retrouve sa place au fond de l’image : Jason, la toison dans la main droite, se dirige vers le château. Dans les exemplaires sur vélin, les coloris de Jacques de Besançon en exaltent avec maîtrise la composition.

  • 38 Dans le manuscrit de Copenhague, c’est le mythe d’Icare qui ouvre le livre VIII, au fol. 196v.

34L’histoire de Scylla et de Mégare s’impose dans les différents exemplaires pour introduire au livre VIII38. Une synthèse efficace du somptueux tableau du BnF fr. 137 (fol. 100v) prend place au folio 118r du manuscrit londonien Royal 17.E.IV (fig. 92). L’image souligne la trahison de la princesse par la démarcation nette de l’espace entre assiégés et assiégeants : Scylla sort de la ville fortifiée, en détournant l’attention des soldats qui en défendent la porte, pour rejoindre le roi Mynos devant son riche campement. Habillée d’une robe d’un beau rouge foncé, la princesse s’incline en offrant au roi de Crète la tête couronnée de son père Nysus. Le roi, les mains levées, montre son refus de façon hiératique.

35Renversée par rapport à son modèle, la gravure de Mansion (fol. 195r) contient beaucoup moins de détails, tout en respectant le schéma en deux scènes du BnF fr. 137. L’artiste reformule l’image en transformant l’attitude des deux acteurs : Mynos se tourne à peine vers Scylla, qui arrive dans son campement, la tête de son père dans les mains. L’image perd les contours somptueux d’un rituel courtois, pour dessiner une Scylla moins obséquieuse, mais plus conforme au portrait de traîtresse sans pitié que la glose mettra en évidence.

  • 39 Au fol. 155r du manuscrit Royal 17.E.IV (fig. 93), la miniature montre un diable tirant franchement (...)

36Le mythe d’Orphée, en ouverture du livre X du manuscrit BnF fr. 137 (fol. 132v, fig. 94)39, se compose de trois tableaux. Sur la gauche, dans une salle ornée d’un tapis noir en brocart stylisé, selon le style du Maître de Marguerite d’York, la première scène illustre les noces d’Eurydice et d’Orphée. Les époux sont derrière une table somptueuse, où, la tête basse et les mains cachées dans ses manches, se tient le prêtre qui vient de célébrer les noces. Face au couple est représenté Hyménée, comme l’annonce le prologue du mythe :

A ces nopces vint Hymen sans boneur aporter, ne signe de joyeuseté, et moult tristement se contint. Il donna signe de doleur et de mescheance que avenir devoit aux espousez. (Ovide moralisé en prose, X, 1, fol. 132v)

37Sur la droite, à l’arrière-plan, Orphée joue de la lyre devant un château d’où sortent des flammes et une épaisse fumée noire. Au premier plan, Eurydice, couronnée et vêtue d’une belle robe de soie et de velours, fuit devant Aristée, les pieds nus dans l’herbe, et se fait mordre au talon par un serpent.

38La gravure sur bois de Colard Mansion omet la scène du mariage, pour se concentrer sur les moments les plus dramatiques du mythe (fol. 247r, fig. 87). Au premier plan, Orphée joue de la lyre ; derrière lui, un grand arbre avec un oiseau évoque le pouvoir extraordinaire qu’a le poète d’enchanter les arbres et les animaux. Sur la gauche, à l’arrière-plan, Eurydice, les pieds nus, s’éloigne vers le fond de l’image. Elle soulève élégamment son ample jupe d’un côté, laissant entrevoir son pied nu, qui est mordu par un dragon ailé. À la droite de l’image, les Enfers sont représentés par un bâtiment en flammes, au seuil duquel un diable attire Eurydice. Lourdement enchaîné, Cerbère, apprivoisé par le chant et par le son de la lyre d’Orphée, semble se coucher à ses pieds. À l’arrière-plan on distingue Ixion attaché à sa roue.

39Mais plutôt qu’à la narration, c’est à l’exégèse que ce tableau offre un support visuel. Les scènes représentées montrent les tentations de la sensualité, et enseignent à suivre la raison et à fuir le vice et le péché. C’est à l’Ovide moralisé, et non pas à Pierre Bersuire, que Colard Mansion puise ses commentaires du mythe d’Orphée, seul passage exégétique omis dans son modèle qu’il met en prose lui-même. À la lumière de la glose, l’image révèle son enseignement :

Par Orpheüs pouons entendre droittement raisonnable entendement, et par sa femme Erudice l’ame qui par mariage divin sont en l’umain lignage ensemble joinctes. Par le pasteur qui la prie, prenons la vertu de bien vivre. Par la contree de Trace pouons entendre vertuosité. Mais quant la sensualité s’eslonge de l’entendement raisonnable, adont va l’ame courant par l’erbe verde à piez nuds, c’est à dire par les malices de ce monde et delices terriennes, dont il s’abuse folement. Et aincores, qui pis est, quant il y donne son consentement, lors vient le serpent qui le treuve nud et descouvert de toute vertu, si le mort et aguillonne de la pointure mortele par laquele il le convient descendre en Enfer. (Cy commence Ovide, fol. 249rv)

40Figure emblématique du pécheur condamné aux peines infernales, Ixion sur sa roue représente l’amplificatio de ce message iconographique, en faisant encore écho à l’explication de la fable :

Par le tournoyemens que fait Ixion en la roe infernal pouons noter ceulx qui a maniere de roe vont et chieent de vice en autre, et de pechié en pechié sans eux arrester à aucune vertu, ains se laissent couler et aler selonc ce que Fortune les conduist et maine, sans tenir voye ne sentier où Prudence ait lieu, laquele vie leur est pire de mort. (Cy commence Ovide, fol. 249v)

41L’artiste conçoit son image en jouant sur le double plan narratif et exégétique, en parfaite assonance avec les nouvelles Métamorphoses de Mansion.

La narration en image des autres mythes ovidiens

42Une seule gravure s’ajoute aux grands frontispices dans l’incunable de Mansion : au livre XI, fol. 274v (fig. 98), une petite image montre Apollon et Neptune, l’un déguisé en maçon et l’autre en charpentier ; ayant érigé les murs de Troie, ils réclament la récompense que le roi Laomédon leur avait promise pour ce travail. La fable raconte que Laomédon refuse de les payer. Reproduction assez libre de la miniature peinte au folio 150r du BnF fr. 137, la gravure met en relief un moment de l’histoire de Troie qui revêt une valeur symbolique fondamentale dans sa réception bourguignonne : la fondation de Troie est le résultat d’un acte de déloyauté, et le fondateur de la nouvelle Troie n’est qu’un parjure. Par cette petite gravure, l’Ovide de Mansion se fait porteur d’un des messages les plus chers aux nobles de Bourgogne : la croisade contre les Turcs rêvée par les Chevaliers de la Toison d’or, nouvelle guerre de Troie, est une guerre sainte contre un ennemi puissant et redoutable, issu d’une lignée marquée par la déloyauté et l’immoralité.

  • 40 Voir P. Durrieu, Jacques de Besançon et son œuvre, Paris, Champion, 1892, p. 90, notice xliv. Voir (...)

43Si l’on excepte cette image isolée, ce n’est que dans le BnF fr. 137 et dans les copies sur vélin de la Bible des poëtes que les mythes secondaires, de par leur position ou leur importance, sont mis en image. Avec ses deux cent quarante-trois miniatures, toutes de la main de Jacques de Besançon selon Durrieu40, l’exemplaire de Charles VIII présente le programme iconographique le plus riche parmi ces livres illustrés de la fin du xve siècle.

44Souvent très narratives et explicites, ces images respectent fidèlement le texte, qu’elles racontent par une symbolique claire et immédiate. Tirésias prédit ainsi la mort de Narcisse à sa mère Liriope en lui montrant un crâne (fol. 30r). Si ces miniatures manquent parfois d’expressivité ou d’originalité, et relèvent d’une production quasi sérielle, elles sont en revanche vives et brillantes, et de beaux jeux de couleurs leur confèrent une certaine suggestivité. Sur des fonds aux teintes très claires qui, en exploitant les nuances de bleu, de violet, de gris, de brun, dépeignent des paysages monochromes – l’eau de la mer noyée dans le ciel, des villes et châteaux enveloppés de brumes –, des images aux couleurs vives ressortent au premier plan, illustrant les moments les plus significatifs des mythes. Les personnages sont en général stéréotypés, mais dans certaines scènes, et notamment dans l’action, ils s’animent et se débarrassent de leur raideur pour acquérir des attitudes plus dynamiques, comme dans le meurtre de Pélias (fol. 74r), dans l’enlèvement des Sabines (fol. 173r), ou dans les nombreuses scènes de bataille qui acquièrent une vivacité extraordinaire grâce à une multitude de soldats : ainsi, dans la lutte contre les Titans au fol. 52r. Les personnages féminins sont pleins de grâce et les personnages masculins non moins élégants. Les nus ne sont pas rares ; l’artiste peint des corps harmonieux, qui cachent souvent leur nudité par pudeur. Sont nus l’homme et la femme qui naissent des pierres lancées par Deucalion et Pyrrha (fol. 7r), Leucothée muée en encens (fol. 39r), la belle statue sculptée par Pygmalion (fol. 111v), Thétis violée par Pélée (fol. 122v), ou encore les Mirmidons issus de la métamorphose des fourmis (fol. 77v). Mais jamais un personnage que la glose rapproche de la Sainte Écriture n’apparaîtra déshabillé.

45Quand les protagonistes des fables sont les dieux antiques, leurs portraits se caractérisent par les traits de l’illustration berchorienne du De formis. Junon se plaignant avec Jupiter de la transformation de Callisto en ourse (fol. 16v), ou descendant aux Enfers à la recherche de Tisiphone (fol. 44r), sera reconnaissable à sa chevelure touffue, d’un bleu brillant ombré de gris ; Mercure aura toujours des ailes aux pieds et à la tête (fol. 10r, fol. 22r, etc.).

46La métamorphose est suggérée par différents procédés. Lorsqu’elle est en train de s’accomplir, elle se traduit généralement par des créatures hybrides qui gardent leur tête humaine sur un corps déjà métamorphosé en animal, en plante ou en un élément inanimé. Byblis en pleurs s’allonge par terre, et ses larmes donnent vie à un cours d’eau (fol. 104r). Parfois l’artiste montre la succession chronologique des étapes de la métamorphose : Ésaque qui se transforme en plongeon se lance dans l’air encore sous sa forme humaine, et dans sa chute lui poussent deux grandes ailes d’oiseau.

47Un goût marqué pour le merveilleux se manifeste dans les êtres hybrides et dans les animaux monstrueux comme les sirènes, les centaures, le minotaure ou les dragons : les compagnes de Proserpine métamorphosées en sirènes sont pleines de grâce (fol. 57r) ; Phyton (fol. 7v, fol. 25r) ou Cerbère (fol. 75r) montrent toute leur force de créatures terrifiantes.

  • 41 Voir, entre autres, J. Seznec, La Survivance des dieux antiques, Londres, The Warburg Institute, 19 (...)
  • 42 Une représentation similaire du mythe d’Europe apparaît dans les Cleres femmes de Boccace, mss BnF, (...)

48La comparaison de l’illustration de la mise en prose du fr. 137 et de ces témoins en vélin de la Bible des poëtes révèle bien qu’un esprit différent anime ces deux réécritures d’Ovide à l’aube de la Renaissance. Elles sont l’expression de deux approches exégétiques différentes des Métamorphoses, qui coexistèrent à la fin du Moyen Âge et encore à la Renaissance41 : la glose de la mise en prose est de matrice rationaliste et évhémériste, tandis que celle de la Bible des Poëtes est de matrice platonicienne et intégumentaire. Au maître de Marguerite d’York qui peint la glose évhémériste de l’enlèvement d’Europe (fol. 27v, fig. 71), en soulignant que Jupiter n’est en réalité qu’un roi, et le taureau la simple figure de proue de son navire, Jacques de Besançon répond par une représentation traditionnelle d’Europe caressant Jupiter sous la forme d’un taureau (fol. 23r), support visuel à l’allégorie qui fait d’Europe l’âme raisonnable, et de Jupiter le Christ incarné (fol. 23v)42. La séduisante Cybèle aux seins nus du BnF fr. 137 (fol. 3r) est pudiquement rhabillée dans la miniature de Jacques de Besançon (fol. 3v) : l’allégorie du De formis fera de la déesse l’image de Sainte Eglise ou de la religion chrétienne.

49Le cycle iconographique conçu pour illustrer la Bible des poëtes repose sur une approche exégétique qui assimile le monde antique au monde chrétien, l’un étant le voile de l’autre. Dans la représentation de ses héros et de ses héroïnes, l’artiste ne pourra pas ignorer qu’ils ne sont que l’expression typologique des figures de l’histoire sainte. La glose rationaliste de la mise en prose permet au contraire à l’artiste de prendre ses distances avec ce monde antique, avec ces dieux et ces héros dont la vaillance se mêle souvent au vice, et de s’exprimer ainsi dans l’image en pleine liberté. Plutôt que de l’assimiler au monde qui lui est contemporain, l’artiste veut souligner combien ce monde antique diffère du monde médiéval. Voici l’absence de pudeur, l’audace sexuelle, l’aspect caricatural de ces faux dieux aux grandes ailes disproportionnées qui caractérisent l’illustration du maître de Marguerite d’York dans le manuscrit BnF fr. 137. Mais s’il montre l’écart entre ce monde antique et le sien, il n’en célèbre pas moins la vaillance de ses héros et de ses dieux, sans jamais en sanctionner les vices et les excès, qui sont d’ailleurs les vices et les excès de l’être humain. Son regard sur l’Antiquité et sur l’homme est indulgent, souvent souriant et amusé. Ses images représentent un monde lointain, déréglé et sans morale, qui attend l’avènement du Christ rédempteur – lequel pourra seul marquer une nouvelle ère de l’histoire humaine. Parmi ces exemplaires des Métamorphoses illustrées qui rivalisent en beauté, son cycle d’illustrations, moderne et novateur, qui fut un modèle inégalable pour d’autres artistes, est sans doute le plus grand chef-d’œuvre de la miniature ovidienne de ce Moyen Âge finissant.

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Notes

1 Un seul témoin illustré du xve siècle des Métamorphoses latines, le manuscrit BnF, latin 8016, figure dans le recensement de C. Rabel, « Ovidio Nasone, Publio », Enciclopedia dell’arte medievale, Rome, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, 1998, p. 38-41.

2 À l’édition de la mise en prose sur la base du manuscrit BnF, fr. 137, succédera celle de l’incunable de Colard Mansion. Une édition partielle de la prose a été l’objet de ma thèse de doctorat de l’université de Vérone, dirigée par A. M. Babbi : Les traductions d’Ovide entre Moyen Âge et Renaissance : l’Ovide moralisé en prose (ms. BnF fr. 137). Édition partielle avec études linguistique et littéraire, 2010. Les citations de l’Ovide moralisé en prose qui figurent dans cet article sont tirées du manuscrit BnF, fr. 137 ; celles de l’incunable de Mansion sont tirées de l’exemplaire conservé à la BnF, Rés. G YC 1002.

3 Les manuscrits D1 (Bruxelles, Bibliothèque royale, manuscrit 9639), D2 (Cambrai, Bibliothèque municipale, manuscrit 973), D3 (Paris, BnF, français 24306), D4 (New York, Pierpont Morgan Library, manuscrit M. 443 ; ancien Fairfax Murray), D5 (Paris, BnF, français 24305, livres I-VII). Voir, entre autres, M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », Cahiers d’Histoire des Littératures Romanes / Romanische Zeitschrift für Literaturgeschichte, 20, 1996, p. 251-274.

4 La première fut commanditée par René d’Anjou et composée entre 1466 et 1467, selon le colophon de l’unique manuscrit qui nous la transmet, le Reginense Latino 1686 de la Bibliothèque apostolique vaticane. Sur cette prose, voir, entre autres, F. Mora-Lebrun, « Deux réceptions des Métamorphoses au xive et au xve siècle. Quelques remarques sur le traitement de la fable et de son exégèse dans l’Ovide moralisé en vers et sa première mise en prose », Lectures et usages d’Ovide (xiiie-xve siècles), éd. E. Baumgartner, Cahiers de recherches médiévales, 9, 2002, consultable sur le site des CRMH. L’édition de C. De Boer, Ovide moralisé en prose (texte du quinzième siècle), Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1954, serait à réviser.

5 Voir W. van Emden, « L’histoire de Pyrame et Thisbé dans la mise en prose de l’Ovide moralisé : texte du manuscrit Paris, BnF, fr. 137, avec variantes et commentaires », Romania, 94, 1973, p. 29-56 ; M.-R. Jung, « Ovide Metamorphose en prose (Bruges, vers 1475) », « A l’heure encore de mon escrire ». Aspects de la littérature de Bourgogne sous Philippe le Bon et Charles le Téméraire, éd. C. Thiry, Lettres Romanes, numéro hors-série, 1997, p. 99-115 ; S. Cerrito, « L’Ovide moralisé mis en prose à la cour de Bourgogne », Mettre en prose aux xive-xvie siècles, éd. M. Colombo Timelli, B. Ferrari et A. Schoysman, Turnhout, Brepols, 2010, p. 109-117.

6 Sur l’iconographie, voir I. Hans-Collas et P. Schandel, Manuscrits enluminés des anciens Pays-Bas méridionaux. I. Manuscrits de Louis de Bruges, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2009, p. 113-120, pl. 69-74 ; S. Cerrito, « L’Ovide moralisé en prose entre texte et image : un livre illustré de la bibliothèque de Louis de Bruges (ms. Paris, BnF, fr. 137) », Quand l’image relit le texte. Regards croisés sur les manuscrits médiévaux, éd. S. Hériché-Pradeau et M. Pérez-Simon, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2013, p. 41-57, planches p. ii-iii, et dans le présent volume, les pages de L. Harf-Lancner et M. Pérez-Simon, « Une lecture profane de l’Ovide moralisé. Le manuscrit BnF, français 137 : une mythologie illustrée », que je remercie de m’avoir permis de les lire avant publication.

7 Voir R. McKitterick et R. Beadle, Catalogue of the Pepys Library at Magdalene College Cambridge, vol. V. 1, Medieval manuscripts, Cambridge, Boydell and Brewer, 1993, p. 51-54 ; The Metamorphoses of Ovid translated by William Caxton, 1480, éd. D. Bush, New York – Cambridge, Braziller – Magdalene College, 1968 ; Ovyde. His Book of Methamorphose, éd. S. Gaselee et H. F. B. Brett-Smith, Oxford, Blackwell, 1924 ; William Caxton, The Booke of Ovyde named Methamorphose, éd. R. Moll, Toronto – Oxford, Pontifical Institute of Medieval Studies – Bodleian Library, 2013.

8 On se demande surtout pourquoi cette traduction ne fut jamais imprimée : c’est le seul exemple connu de traduction de Caxton restée manuscrite. Si la question est destinée à rester un mystère, je formule quand même une nouvelle hypothèse dans « William Caxton traduttore di Ovidio », Dis/affinità elettive. Studi per Matilde De Pasquale, éd. N. Novelli, M. Freschi et A. Iacovella, Rome, Empiria, 2013, p. 43-56.

9 Voir K. L. Scott, The Caxton Master and his patrons, Cambridge, Cambridge Bibliographical Society, 1976, p. 3-23.

10 Voir J. van Praet, Notice sur Colard Mansion, Paris, 1829 ; C. L. Carton, Colard Mansion et les imprimeurs brugeois du xve siècle, Bruges, 1844 ; J.-Cl. Moisan et S. Vervacke, « Les Métamorphoses d’Ovide et le monde de l’imprimé : la Bible des poëtes, Bruges, Colard Mansion, 1484 », Lectures d’Ovide, publiées à la mémoire de Jean-Pierre Néraudau, éd. E. Bury, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 217-237 ; « Colard Mansion », Cinquième Centenaire de l’imprimerie dans les Pays-Bas, Bruxelles, Bibliothèque Royale, 1973, p. 212-238 ; S. Cerrito, « Colard Mansion relit les Métamorphoses : une nouvelle version brugeoise de l’Ovide moralisé », Pour un nouveau répertoire des mises en prose, éd. M. Colombo, A. Schoysman et B. Ferrari, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 85-99.

11 Transmise par une trentaine de manuscrits, puis par l’édition Josse Bade de 1509, la première rédaction de l’Ovidius moralizatus fut composée entre 1320 et 1342.

12 Sur l’illustration de l’Ovide de Mansion, voir M. D. Henkel, De Houtsneden van Mansion’s Ovide moralisé. Bruges 1484, Amsterdam, 1922.

13 Les éditions suivantes, sans date, se situent environ en 1498 et en 1507. Les éditions Le Noir datent de 1523 et 1531. Voir J. Mac Farlane, Antoine Vérard, Londres, The Bibliographical Society, 1900, p. 15-16 ; M. B. Winn, Anthoine Vérard. Parisian publisher (1485-1512), Genève, Droz, 1997, p. 269-278 ; S. Cerrito, « À propos de la Bible des poëtes », Antoine Vérard, Le Moyen Français, 69, 2011, p. 1-14.

14 Voir F. Ghisalberti, « L’Ovidius moralizatus di Pierre Bersuire », Studi romanzi, 23, 1933, p. 74-75 ; M.-H. Tesnière, « Pierre Bersuire », Translations médiévales, éd. C. Galderisi, Turnhout, Brepols, 2011, vol. II, t. II, p. 739-741. Sur l’image, voir E. Panofsky, Renaissance and Renascences in Western Art, Stockholm, 1960.

15 Voir F. Manzari, « Ovidio, Metamorphoses », Vedere i Classici, Rome, Palombi, 1996, p. 289-294, ici p. 289.

16 Ibid.

17 Voir Ovide moralisé, éd. De Boer, livre XII, v. 3741.

18 Les liens entre l’Ovide moralisé en prose et la réduction sans moralisations du De formis qu’on lit dans l’Albricus sive Libellus de imaginibus deorum sont à approfondir. Voir Panofsky, Renaissance and Renascences.

19 Un phénomène similaire s’observe dans les Chroniques de Hainaut (Bruxelles, Bibliothèque royale, manuscrit 9242), où Baal, brandissant une masse comme Hercule, et Bacchus précèdent Saturne. Voir. J. Leclerc-Marx, « La représentation des dieux antiques dans le premier volume des Chroniques de Hainaut », Aspects de la vie culturelle dans les Pays-Bas méridionaux (xive-xviiie siècle). Miscellanea in memoriam Pierre Cockshaw, éd. F. Daelemans et A. Kelders, Bruxelles, Bibliothèque Royale de Belgique, 2009, p. 243-279.

20 Voir De Saturno, fol. 3r, Metamorphosis Ovidiana moraliter a magistro Thoma Walley […] explanata, éd. Josse Bade, Paris, 1509.

21 Voir T. Voronova et A. Sterligov, Manuscrits enluminés occidentaux du viiie au xvie siècle à la Bibliothèque nationale de Russie de Saint-Pétersbourg, Bournemouth – Saint-Pétersbourg, Parkstone – Éditions d’art Aurora, 1996, n° 374, p. 285-286, qui contient aussi la reproduction de l’image.

22 Fol. 1r-50r, sans numérotation. Sur ce manuscrit, voir, entre autres, Le Commentaire de Copenhague de l’Ovide moralisé, éd. J. Th. M. van’t Sant, Amsterdam, 1929 ; H. Nørgaard, « Sankt Ovid », Fund og Forskning, 10, 1963, p. 7-26 ; N. Koble, « Les dieux d’Ovide dans un manuscrit du xve siècle de l’Ovide moralisé en vers (Copenhague, Kongelige Bibl., Thott 399) », Lectures et usages d’Ovide, éd. Baumgartner, p. 157-175.

23 Voir J. Engels, Études sur 1’Ovide moralisé, Groningen, Wolters, 1943, p. 70.

24 S. McKendrick insiste sur les liens du maître de Rambures avec Bruges ; voir S. McKendrick, « Painting in Manuscripts of Vernacular Texts, circa 1467-1485 », The Renaissance. The Triumph of Flemish Manuscript, éd. Th. Kren et S. McKendrick, Los Angeles – Londres, The J. Paul Getty Museum – Royal Academy of Arts, 1950, p. 255-256.

25 J’utilise dans cet article la foliotation de l’exemplaire en ligne du Musée historique de Bruges, qui a appartenu à Charles de Croÿ.

26 Voir aussi le frontispice de l’édition Vérard (British Library, incunable IC 41148, fig. 85).

27 Voir aussi le frontispice de l’édition Vérard (British Library, incunable IC 41148, fig. 90).

28 Voir J. Baschet, « Inferno », Enciclopedia dell’arte medievale, Rome, Istituto dell’enciclopedia italiana, 1998 ; Les Justices de l’au-delà. Les représentations de l’enfer en France et en Italie (xiie-xve siècle), Rome, Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome, 1993.

29 Le problème que ce pluriel pose pour une lecture chrétienne du poème fut mis en évidence par Giovanni del Virgilio ; voir Engels, Études sur 1’Ovide moralisé, p. 88.

30 Voir Scott, The Caxton Master and his patrons.

31 Voir aussi l’image de l’édition Vérard (British Library, incunable IC 41148, fig. 91).

32 Je crois avoir montré ces liens dans Cerrito, « Colard Mansion relit les Métamorphoses ». Sur le frontispice du Speculum, voir, entre autres, A. et J. L. Wilson, A Medieval Mirror : Speculum Humanae Salvationis 1324-1500, Berkeley – Los Angeles Oxford, University of California Press, 1985, p. 142.

33 Dans l’accumulation de sens qui est typique des apparats de gloses, cette image suggère probablement aussi l’assimilation des anges déchus aux faux dieux, qu’on lit souvent dans l’exégèse chrétienne.

34 K. L. Scott estime que, si l’on reconnaît la main du maître de Caxton dans le dessin de cette miniature, la technique d’application des couleurs n’est pas la sienne. Voir Scott, The Caxton Master and his patrons, p. 3-24.

35 Sur ces manuscrits, voir, entre autres, M. Smeyers, L’Art de la miniature flamande du viiie au xvie siècle, Tournai, La Renaissance du Livre, 1998, p. 405 et p. 416, n. 96 ; McKendrick, « Painting in manuscripts of vernacular texts », p. 243-244 ; Hans-Collas et Schandel, Manuscrits enluminés des anciens Pays-Bas méridionaux, vol. I, p. 79-82.

36 Image numérisée consultable sur le site du Museum of Fine Arts de Boston, avec le numéro de référence P14506. Les dimensions : 178x134 mm. Je tiens à remercier Stephanie Stepanek du Musée des Beaux-Arts de Boston pour sa collaboration chaleureuse. Voir M. Lehrs, « Der Meister der Boccaccio-Bilder », Jahrbuch der K. Preussischen Kunstsammlungen, 23, 1902, p. 124-141 ; M. D. Henkel, « Engravings and Woodcuts after Flemish Miniatures », The Burlington Magazine for Connoisseurs, 51 / 296, 1927, p. 209-215.

37 Sur le Boccace de Mansion, voir, entre autres, H. Michel, L’Imprimeur Colard Mansion et le Boccace de la bibliothèque d’Amiens, Paris, 1925.

38 Dans le manuscrit de Copenhague, c’est le mythe d’Icare qui ouvre le livre VIII, au fol. 196v.

39 Au fol. 155r du manuscrit Royal 17.E.IV (fig. 93), la miniature montre un diable tirant franchement Eurydice contre lui.

40 Voir P. Durrieu, Jacques de Besançon et son œuvre, Paris, Champion, 1892, p. 90, notice xliv. Voir aussi F. Avril et N. Reynaud, Les Manuscrits à peintures en France (1440-1520), Paris, Flammarion, 1993. Une reproduction en couleur de l’exemplaire BnF, Rés. vél. 599 est consultable sur Gallica.

41 Voir, entre autres, J. Seznec, La Survivance des dieux antiques, Londres, The Warburg Institute, 1940 ; G. C. Alessio, « La letteratura latina medievale. Gli dèi nel Medioevo fra evemerismo e allegoria », Il mito nella letteratura italiana, vol. I, Dal Medioevo al Rinascimento, Brescia, Morcelliana, 2005, p. 59-96.

42 Une représentation similaire du mythe d’Europe apparaît dans les Cleres femmes de Boccace, mss BnF, fr. 598, fol. 18r, et BnF, fr. 599, fol. 11v.

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Pour citer cet article

Référence papier

Stefania Cerrito, « L’Ovide moralisé à l’aube de la Renaissance »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 30 | 2015, 197-219.

Référence électronique

Stefania Cerrito, « L’Ovide moralisé à l’aube de la Renaissance »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 30 | 2015, mis en ligne le 24 février 2019, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13889 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13889

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Auteur

Stefania Cerrito

Stefania Cerrito est maître de conférences à l’Università degli studi internazionali de Rome. Ses études portent sur la réception de l’Antiquité au Moyen Âge et à la Renaissance : l’Abbregement du siege de Troyes (Paris, 2010), l’édition du livre IV de la Cité de Dieu d’Augustin traduite par Raoul de Presles (Paris, 2015) et plusieurs articles sur l’Ovide moralisé en prose dans les manuscrits et dans les imprimés. Università degli studi internazionali di Roma.
Stefania Cerrito is a lecturer at the University of International Study in Rome. Her studies focus on the reception of Antiquity in the Middle Ages and the Renaissance: the Abbregement du siege de Troyes (Paris, 2010), the edition of Book IV of Augustine’s Cité de Dieu, translated by Raoul de Presles (Paris, 2015), and several articles on the Ovide moralisé en prose in manuscript and printed forms.

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