Le cycle d’Orphée (livres X-XI) dans l’Ovide moralisé de Rouen (B. M. MS. O.4)
Résumés
JD étudie structure, contenus, fonctionnement sémantique du cycle d’Orphée dans le ms Rouen, Bm. O.4. Les miniatures épousent l’articulation textuelle : succession d’images narratives puis interprétatives au livre X ; alternance fable/exégèse au livre XI. L’iconographie mythologique prévaut sur celle de la glose, qui se limite à des réflexes de peintre sans construire de système allégorique cohérent. Par son ampleur et sa variété thématique, elle contribue à l’émergence d’une imagerie neuve.
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À Iris et Sabine, nées le même jour que le présent opus.
- 1 C. Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », Art Bulletin, 57, 1975, p. 161-175, ici p. 16 (...)
- 2 Pour une présentation des manuscrits de l’Ovide moralisé, voir M.-R. Jung, « Les éditions manuscrit (...)
- 3 F. Avril, Les Fastes du Gothique. Le siècle de Charles V, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1981 (...)
- 4 C. Lord, « Marks of ownership in medieval manuscripts : The case of the Rouen Ovide moralisé », Sou (...)
1« Ancêtre de tous les manuscrits enluminés survivants de l’Ovide moralisé » selon la formule de Carla Lord1, le manuscrit O.4. de la Bibliothèque Municipale de Rouen2 a été réalisé au cours du premier tiers du xive siècle : entre 1315 et 1320 selon François Avril3 ; entre 1315 et 1328 selon Carla Lord, qui met ces dates en relation avec l’identité probable de la commanditaire, Clémence de Hongrie, deuxième épouse du roi de France Louis X le Hutin. Le terminus post quem serait fourni par son mariage, le terminus ante quem par son décès, après lequel Philippe VI acquiert le manuscrit4.
- 5 Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », p. 163, attribue à cet artiste, qu’elle désigne (...)
- 6 On pourra compléter la liste des manuscrits attribués au Maître du Roman de Fauvel avec Lord, « Thr (...)
2Son iconographie semble se partager entre deux artistes parisiens : un précurseur du style de Jean Pucelle, responsable d’une trentaine de miniatures5, et le Maître du Roman de Fauvel à qui l’on doit toutes les autres. La main de cet enlumineur prolifique, resté fidèle au style de Maître Honoré déjà retardataire en ce début du xive siècle, se retrouve également dans l’exemplaire de l’Ovide moralisé conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrit 5069, ainsi que dans le Roman de Fauvel (Paris, BnF, manuscrit français 146), l’Image du monde (Paris, BnF, manuscrit français 574) et les Grandes Chroniques de France (Paris, BnF, manuscrit français 2615)6.
- 7 Le décompte est celui de Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », p. 162, que nous confir (...)
- 8 Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 29-31, expose une série d’arguments qu (...)
- 9 Ce décalage a déjà été signalé par J.-R. Jung, « Ovide, texte, translateur et glose dans les manusc (...)
3L’ensemble, monumental, des illustrations qui ornent l’Ovide de Rouen ne compte pas moins de quatre cent cinquante-trois miniatures7, toutes surmontées dans la marge supérieure par un chiffre romain. Celui-ci renvoie à la table des légendes, copiées alternativement à l’encre rouge et noire, qui occupe les fol. 3r à 15r de l’ouvrage et fournit la signification des images8. Mais en réalité, le jeu des renvois est faussé dès le premier livre, soit qu’une légende n’ait pas donné lieu à son équivalent figuré, soit à l’inverse qu’une image supplémentaire apparaisse dans le corps du manuscrit, sans légende préalable9. Il s’ensuit donc qu’en dehors des n° 1 à 21 du livre I et des n° 272 à 296 du livre IX, où l’on observe une concordance parfaite entre la numérotation des entrées de la table et celle des images insérées dans le texte, tous les autres numéros sont décalés d’une unité.
- 10 Il faut y ajouter des mentions marginales latines de type incipit liber tertius, apposées par une m (...)
- 11 Les deux autres se glissent soit quelques vers après (livre XI, fol. 271r), soit quelques vers avan (...)
4On pourrait s’attendre à ce que le texte de l’Ovide moralisé, dont le modèle latin se subdivise en quinze livres, décalque cette organisation en mobilisant des miniatures comme éléments de démarcation. Or dans le manuscrit de Rouen, aucun signe visuel tel qu’un intitulé rubriqué, un espace blanc ou une lettrine surdimensionnée ne vient interrompre le flux textuel, qui n’est scandé que par des images et des initiales ornées, hautes de deux unités de réglure10. Parmi les quatre cent cinquante-trois miniatures du manuscrit, treize d’entre elles, qui coïncident effectivement avec le début d’un nouveau livre selon le découpage effectué dans l’édition de Cornelius De Boer11, peuvent être considérées comme des facteurs de démarcation ; mais rien ne les distingue de celles qui les précèdent et de celles qui les suivent. Qui plus est, dans les premiers livres, un certain flottement se fait sentir en ce qui concerne le rapport entre leur point d’insertion dans le texte et le sujet qu’elles représentent. Ce n’est qu’à partir du livre VI que leur contenu renvoie systématiquement à la première fable traitée dans le livre qu’elles introduisent ; jusque-là, ces images s’inspirent tantôt de la matière sur laquelle s’achève le livre précédent (livres II, IV et V), tantôt de celle qui informe le début d’un livre nouveau (livres I et III).
5Les miniatures, de format carré, n’excèdent pas la largeur d’une colonne, à l’exception de deux d’entre elles qui se déploient sur toute la largeur de la justification. L’une est le frontispice liminaire (fol. 16r, fig. 1), frise de créatures hybrides qui annoncent le programme des métamorphoses passées sous silence dans le titre du manuscrit, Fables Ovide le grant (fol. 3r) ; l’autre est une grande miniature consacrée à la transformation de Myrrha en myrrhe, en plein milieu du livre X (n° 322, fol. 258r).
- 12 Rappelons que, selon M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé. Essai d’interprétation, Paris, Champion, (...)
- 13 Pour l’analyse des constructions par alternance ou par dissociation entre les récits mythologiques (...)
- 14 Cette série narre successivement les amours de Jupiter et de Ganymède, puis de Phébus et d’Hyacinth (...)
6Dans cet ensemble labyrinthique, nous nous focaliserons sur les livres X et XI (fol. 246v-296r), afin d’examiner dans quelle mesure l’iconographie qui y est attachée reflète une construction et des contenus textuels complexes, associant récit légendaire et glose allégorique selon des principes en apparence incompatibles, celui de la cohésion et celui de la disparité. La cohésion est assurée par le cycle d’Orphée, véritable récit-cadre qui embrasse et soude les deux livres. Le destin du poète s’y partage en deux volets : le premier, qui va du mariage à la descente aux Enfers, occupe la première section du livre X ; le second, qui va des amours masculines à la mise à mort du poète, est quant à lui repoussé au début du livre XI. La fable d’Orphée est ainsi fragmentée, morcelée, à l’image du corps même du poète promis au démembrement. Mais cette bipartition du cycle-cadre est aussi le moyen de faire du chant d’Orphée le vecteur du chapelet de récits encadrés qui occupent l’essentiel du livre X. Le cycle d’Orphée a donc clairement une vocation structurante, celle-ci étant déjà présente chez Ovide. C’est dans la contribution spécifique de l’Ovide moralisé aux Métamorphoses du poète latin, soit dans les moralisations chrétiennes, que réside la disparité qui oppose les deux livres. Cette disparité résulte des logiques différentes selon lesquelles s’articulent la fable ovidienne et sa glose. Le livre XI obéit à l’habituelle alternance entre récit et explication, le sens venant s’ajouter pas à pas à la fable12. Par contraste, le livre X est le seul, avec le livre XV, à opérer un regroupement massif des moralisations, en l’occurrence au début et à la fin du livre13. Ainsi, le premier volet du destin d’Orphée est-il suivi d’une série de trois interprétations. Après cette coupure, le fil narratif reprend pour enfiler pas moins de huit légendes successives relatées par Orphée en personne14. Ce n’est qu’au terme de cette nouvelle série narrative que des explications en cascade viennent éclairer des référents distants de plus de deux mille vers.
- 15 Nous reprenons les conclusions de Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé. Essai d’interprétation, p. 651- (...)
7Marylène Possamaï-Pérez dégage deux raisons à cette accumulation d’allégories à la fin du livre X. D’une part, ayant pris soin de former le lecteur à une appréhension en deux temps, par paliers, des paires formées par une fable païenne et sa senefiance chrétienne, le moraliste peut se permettre d’accélérer l’allure sans s’astreindre à appliquer systématiquement le principe d’alternance qu’il avait observé jusqu’au livre IX. Confiant en la patience d’un lecteur désormais familier de sa démarche, il lui délivre le message allégorique tout d’un bloc, sans transitions superflues. Mais surtout, l’écart introduit entre les deux séries de fables et de gloses, qui a pour effet de préserver la cohérence propre à chacune des séries, se justifie par le statut particulier d’Orphée. Identifié au Christ cependant que sa harpe l’est à la foi chrétienne et son chant au Nouveau Testament, Orphée par sa voix transmet la vérité révélée, qui ne souffre aucune interruption15.
8De ce fait, la tension entre la cohésion thématique et la disparité structurelle des livres X-XI offre un terrain privilégié à l’analyse de l’illustration des deux livres. Interroger les valeurs structurantes, narratives et herméneutiques de ce micro-corpus ouvre la voie à un ensemble d’hypothèses et d’expérimentations qui demanderaient à être vérifiées à l’échelle de l’iconographie du manuscrit entier.
Répartition des illustrations entre fables et gloses
- 16 Les quinze livres de l’Ovide comportent entre dix-neuf (livre XIII) et cinquante-cinq images (livre (...)
9En termes quantitatifs, les illustrations se répartissent à parts presqu’égales entre les deux livres examinés : on compte trente-deux images au dixième livre et vingt-huit au onzième, ce qui les place exactement dans la moyenne du nombre d’images par livre16.
- 17 Voir Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé. Essai d’interprétation, p. 365-366.
- 18 Les références aux vers et les citations renvoient toutes à Ovide moralisé, éd. De Boer.
10Les proportions entre le nombre d’images qui accompagnent les fables et celui des images associées aux gloses sont plus délicates à établir, car elles dépendent des critères retenus pour classer certaines miniatures. La question se pose pour des images qui, bien qu’elles représentent des scènes relatives à une fable, s’inscrivent au début des gloses, et plus précisément au seuil du premier palier herméneutique, celui des « relais sensibles » bien dégagés par Marylène Possamaï-Pérez17. On peut en effet considérer ces images comme associées soit aux fables, soit aux gloses, selon que l’on fait prévaloir leur contenu ou leur emplacement. De ce cas de figure relève par exemple une illustration placée au début du bloc de moralisations regroupées à la fin du livre X (fig. 47, n° 327, fol. 261v, v. 2494). Par son sujet – elle offre la classique effigie d’Orphée jouant de la harpe devant un groupe d’animaux – l’image est narrative ; par son emplacement au v. 2494 du livre X, elle relève du contexte explicatif, puisqu’il s’agit ici de poser l’équivalence entre les arbres, charmés par la musique orphique, et les jeunes gens qui, attirés par la « male douctrine » du poète (livre X, v. 2521), en viennent à « pechier / Contre nature et contre loi » (livre X, v. 2523-2524)18. Si l’on privilégie le contexte d’insertion, on dénombre trente-six miniatures rehaussant les récits, contre vingt-quatre seulement placées dans les allégorèses, soit un tiers de moins que dans les séquences narratives.
- 19 Il est probable que par le terme d’images « allégoriques », l’auteur désigne les images consacrées (...)
- 20 Selon Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », p. 169, « in the earliest manuscript at Ro (...)
- 21 La critique s’accorde en effet à ne voir que deux miniatures à caractère religieux dans le manuscri (...)
11À l’échelle du manuscrit entier, Carla Lord a montré que près de quatre-vingt-dix miniatures sur les quatre cent cinquante-trois, soit un cinquième, relèvent d’une imagerie « allégorique », mais sans fournir d’indications sur ses critères de classement19. Il existe donc un net déséquilibre en faveur de l’iconographie de la fable dans l’Ovide moralisé de Rouen, déséquilibre qui ira s’intensifiant dans les manuscrits ultérieurs appartenant au même groupe : tandis que dans l’exemplaire de l’Arsenal la part des sujets religieux et moraux s’amenuise jusqu’à se réduire de moitié20, dans celui de Lyon l’iconographie religieuse disparaît quasi totalement avec les moralisations textuelles21.
Fonction structurante des illustrations
- 22 Exception faite, comme on l’a vu, des images liées aux « relais sensibles ».
12Dans les livres X-XI, l’examen des points d’insertion des miniatures conduit à leur reconnaître une fonction structurante. En effet, toutes les démarcations entre sections narratives et herméneutiques sont soulignées par la présence d’une image, dont le contenu, clairement connoté comme mythologique ou chrétien, fournit ainsi au lecteur un système de repérage efficace22. Pour autant, le degré de structuration visuelle n’est pas équivalent pour les deux modalités d’écriture en présence.
- 23 La seule exception notable est celle de la séquence, formée de deux miniatures (les n° 351 et 352, (...)
- 24 Deux miniatures sont consacrées à l’histoire de Ganymède, deux autres à celle de Hyacinthe, une aux (...)
13Chacune des séquences mythologiques du texte est dotée d’un accompagnement figuré comptant une à six miniatures. Les passages dédiés à l’allégorèse sont quant à eux bien plus pauvres en matière de ponctuation visuelle. On en vient donc à se demander si cette disparité dans la présence des images ne résulterait pas du mode d’articulation textuel entre fables et gloses. Ainsi au livre XI, fondé sur l’alternance, chacune des moralisations est-elle introduite par une miniature, et une seule, quel que soit le nombre des subdivisions internes de l’exégèse23. Un balisage visuel systématique soutient donc l’attention du lecteur. Au livre X cependant, la répartition globalement bipartite installe de longs tunnels de développements, d’abord narratifs puis interprétatifs. Les illustrations des gloses elles aussi s’agglutinent : trois miniatures accompagnent les trois significations prêtées au mythe d’Orphée et Eurydice proprement dit ; dix autres s’égrènent au fil des moralisations regroupées à la fin. Mais l’apparat iconographique va en s’amenuisant : trois nouvelles images rehaussent les explications indexées sur la dernière partie de la vie du poète, puis seulement deux sont consacrées à chacune des légendes qu’il chante24 ; aucune n’accompagne la glose des fables de Myrrha et d’Atalante.
14De ces observations, il découle que, quelle qu’en soit la structure textuelle, toutes les séquences narratives sont soigneusement balisées par des illustrations. En revanche, là où les moralisations se succèdent, le choix d’un montage enchaîné plutôt qu’alterné des récits et des explications entraîne la diminution des insertions visuelles. La construction textuelle en blocs rend donc la structuration iconographique moins soutenue. Comment justifier cette diminution ? Sans doute la séparation nette entre fables et gloses a-t-elle été perçue comme plus nécessaire à la lisibilité du texte que les distinctions qui se glissent entre les feuilletés de sens successifs dans le continuum des passages explicatifs.
15La fonction structurante de l’iconographie établie, on peut s’intéresser de plus près à ses contenus thématiques et à ses modes de fonctionnement.
L’iconographie « herméneutique »
Contenus thématiques
16L’iconographie que nous appellerons, faute de mieux, « herméneutique » – non qu’elle offre toujours une interprétation du texte par elle-même, mais simplement parce qu’elle accompagne les développements explicatifs de l’Ovide moralisé – peut se ramener à une gamme thématique restreinte. Les contenus représentés puisent en effet dans trois répertoires religieux : celui de l’Ancien Testament, et plus particulièrement de la Genèse (on ne compte pas moins de trois images montrant Adam et Ève, les n° 336, fol. 268r : création d’Ève, 351, fol. 285r : péché originel et 354, fol. 287r : Adam bêchant et Ève filant, ainsi qu’une scène du déluge, le n° 345, fol. 277r) ; celui des Évangiles (six miniatures, les n° 310, 329, 331, 339, 341, 356, où prévalent des scènes de la vie du Christ, et tout spécialement la Crucifixion comme dans les n° 329, fol. 261v et 341, fol. 274r) ; celui des diverses manifestations de la foi (cinq images, les n° 333, 334-335, 352, 361, respectivement aux fol. 267r, 267v, 285r et 293r).
- 25 On trouvera la Crucifixion aux n° 51, fol. 48r, n° 233, fol. 186r, n° 291, fol. 237r, n° 329, fol. (...)
17Cette gamme thématique reflète les choix opérés à l’échelle du manuscrit entier, parcouru d’une série de sujets récurrents traités selon des formules visuelles quasiment identiques. Les sujets les plus représentés dans le manuscrit, qui comptent chacun trois à six occurrences, sont sans conteste la Crucifixion, l’Annonciation, la descente du Christ aux Enfers, le Jugement dernier, la chute des anges rebelles, le péché originel et la paire Ecclesia et Synagoga25.
Modes de fonctionnement
- 26 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre XI, v. 2421-2533.
- 27 On trouvera l’exposé de cette allégorie dans Fabii Planciades Fulgentii V. C. Opera, éd. R. Helm, L (...)
- 28 Cette image a été commentée par C. Lord, R. Blumenfeld-Kosinski et M. Ehrhart. Tandis que Lord, « T (...)
18Dans les livres X-XI, ces images herméneutiques soulèvent un ensemble de questions portant sur la nature des relations qu’elles tissent avec leurs référents tant textuels que visuels. Quelles sont leurs liens avec le texte correspondant ? Les unes avec les autres ? Avec les images basées sur les fables ? Par quels moyens traduisent-elles les deux niveaux de sens propres au discours allégorique ? À voir la relative pauvreté de l’imagerie religieuse des deux livres, on en vient à soupçonner qu’elle fait bien peu honneur à l’infinie richesse de l’exégèse. Il est, de fait, extrêmement rare qu’une image isolée associe des éléments visuels relevant, les uns, des données de la fable, les autres, des orientations exégétiques, et seule la miniature n° 352 (fig. 50, fol. 285r, livre XI, v. 2421) se prête à une surimpression de cet ordre. Insérée dans un développement tropologique du livre XI26, cette image illustre l’allégorie du jugement de Pâris reprise des Mythologies de Fulgence27. Les trois déesses en lice pour le prix de beauté, Junon, Vénus et Minerve, sont interprétées dans le texte comme les trois modes de vie qui s’offrent au choix du chrétien : la vie active, la vie voluptueuse et la vie contemplative, cette dernière emportant évidemment les faveurs de l’auteur. Pour donner corps à ces trois personnifications, le peintre les a dotées chacune d’attributs symboliques, respectivement le dévidoir à laine et le fuseau, le peigne et le miroir – symboles attitrés de la luxure –, le livre28. L’incarnation de la vie contemplative se démarque en outre par un vêtement spécifique, vraisemblablement celui d’une sœur dominicaine. C’est donc clairement la dimension morale que privilégie l’artiste ici, montrant la senefiance allégorique à travers les trois voies offertes au chrétien. Pour autant, les signifiants de la fable (les trois déesses païennes) ne s’effacent pas complètement, puisque les personnifications conservent une apparence féminine. Ainsi la miniature 352 offre-t-elle un exemple rare de fusion entre les données du mythe et la signification ajoutée par la glose, tout en respectant le projet didactique poursuivi par l’auteur.
19Mais les images herméneutiques au sens plein, qui restituent visuellement un message textuel complexe, restent l’exception. Plus fréquemment, les illustrations insérées dans un contexte explicatif procèdent de choix simplificateurs, ne retenant, de la paire signifiant-signifié réunis dans le montage allégorique du texte, que l’une des deux composantes.
- 29 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre X, v. 255-293. Les cinq fleuves sont ceux de l’oubli, d (...)
- 30 La référence à Macrobe se trouve aux v. 255-257. Pour le texte original, on consultera Macrobius, é (...)
20C’est ainsi que la miniature n° 309 (fig. 43, fol. 248r, livre X, v. 220) donne forme au versant signifiant de la paire. Placée, au livre X, après l’évocation de la descente d’Orphée aux Enfers, elle offre un équivalent visuel à la description29, empruntée à Macrobe de l’aveu même de l’auteur30, de l’Enfer et des fleuves qui s’en échappent : le séjour des morts prend l’aspect d’une tête de diable démesurée vue de face, dont la bouche entrouverte laisse deviner un amas de têtes humaines. Tandis que de ses yeux mi-clos, de ses narines épatées et de ses lèvres s’échappent des rais de feu, des flots d’eau jaillissent de ses oreilles, des commissures et du milieu de sa bouche. À l’exposé géographico-moral mené par Macrobe et par son disciple tardif, progressant par énumération et association (chaque fleuve est assimilé à une passion de l’âme moralement condamnable, car éloignant le chrétien des voies du salut), l’image préfère une visualisation plus descriptive que morale : si chaque fleuve y est localisé, s’écoulant d’un point précis de la face démoniaque, aucun ne véhicule de valeur psychologique précise. La tête de diable donne certes une version christianisée de l’Hadès païen, mais la vision du caractère peccamineux des fleuves reste globale, synthétique, et se fait au prix de l’escamotage des signifiés particuliers (les vices attachés à chacun).
21En bonne logique, c’est le versant signifié qui ressort de la plupart des images distribuées dans les gloses. Celles-ci, pourtant, loin de remplir l’ambitieux programme allégorique annoncé dans les légendes de la table du manuscrit, se contentent d’un lien ténu avec leur source, comme le montre un large éventail de scènes tirées de la passion du Christ, censées affirmer la dimension christique de la figure orphique.
- 31 Les étapes de la christianisation du mythe d’Orphée, ainsi que les principales traditions dans lesq (...)
- 32 Pour une comparaison des interprétations du mythe d’Orphée musicien chez Clément d’Alexandrie et Eu (...)
- 33 Pour l’exposé de la réflexion menée sur le couple Orphée et Eurydice chez les principaux mythograph (...)
22L’assimilation d’Orphée au Christ est au cœur même de la démarche herméneutique suivie par l’anonyme de l’Ovide moralisé dans les livres X-XI, héritage d’une tradition millénaire largement documentée par la critique31, et dont on peut brièvement rappeler les étapes. Prenant appui sur une légende, datant du milieu du iiie siècle av. J.-C., d’un Orphée s’initiant au monothéisme auprès de Moïse, Clément d’Alexandrie, dans sa Protreptique (début du iiie siècle ap. J.-C.), énonce l’idée d’une analogie entre Orphée et le Christ par le biais de la musique : alors que tous deux partagent le pouvoir d’agir sur les êtres grâce aux sons et / ou aux mots, le premier n’est qu’un imposteur qui fait entendre une musique trompeuse, dévoyée au service des fausses idoles, tandis que le second par son verbe exhale un « chant nouveau », une musique véridique qui libère l’homme de l’emprise des démons et révèle le vrai Dieu32. C’est ensuite le Concile de Constantinople, tenu en 381, qui marque un nouveau pas dans le processus d’assimilation d’Orphée au Christ, en reconnaissant l’épisode, déjà bien diffusé dans les sources apocryphes, de la descente du Christ aux Enfers. Au vie siècle, Boèce et Fulgence, en interrogeant la signification du couple formé par Orphée et Eurydice, posent les fondements de deux traditions promises à une féconde carrière33. L’une, morale – celle de la Consolatio Philosophicae de Boèce –, voit dans Eurydice la vérité ou la raison que son époux cherche à atteindre en descendant aux Enfers. C’est là l’interprétation reprise par les commentateurs de Boèce, Notker Labeo, Rémi d’Auxerre, Guillaume de Conches et Nicolas Trivet, et adoptée à son tour par l’auteur de l’Ovide. L’autre, historico-musicale – celle de Fulgence et de ses continuateurs, parmi lesquels figurent également Rémi d’Auxerre et Guillaume de Conches, mais aussi Reginone de Prüm, Jean Scot, Bernard Sylvestre, Arnoul d’Orléans et Boccace – fait d’Eurydice la théorie secrète de la musique qu’Orphée, incarnation de la pratique musicale, doit reconquérir aux Enfers.
- 34 Pour l’étude des représentations d’Orphée-Christ dans l’art paléochrétien, voir les travaux de K. G (...)
- 35 Friedman, Orphée au Moyen Âge, p. 53 et p. 94, fig. 5, voit dans la fresque d’Orphée du cimetière a (...)
- 36 Friedman, Orphée au Moyen Âge, p. 72.
23Les traditions textuelles sont en outre largement alimentées par les témoignages iconographiques des premiers siècles du christianisme34. Pour représenter le Christ, les artistes de l’Antiquité tardive auraient puisé dans des modèles orphiques, contribuant au processus d’identification d’Orphée au Christ par le biais de la symbolique musicale et messianique : dans les catacombes, les fresques, les sarcophages sculptés et les pavements en mosaïque montrent un Orphée-Christ musicien entouré d’animaux, exaltant à la fois les vertus apaisantes de la musique et l’harmonie de l’au-delà chrétien, figuré par le cadre naturel. Dans cette figure mixte, comment s’opère la collusion du Christ et d’Orphée ? Tandis qu’on reconnaît le musicien thrace grâce à sa lyre et à son bonnet phrygien, l’infléchissement chrétien se fait sentir à travers le passage du narratif au symbolique35. Ce symbolisme réside dans l’attitude plus frontale, plus hiératique du personnage, sa façon ostentatoire d’exhiber sa lyre plutôt que d’en jouer, ses vêtements plus somptueux, le choix des animaux qui l’entourent (les brebis notamment, attributs du Bon Pasteur, mais aussi les colombes, symboles du Saint Esprit et signes d’élection de ceux qui vivent dans l’Église, ou l’aigle psychopompe) et les sept étoiles qui flottent parfois au-dessus de sa tête, emblèmes du nouveau séjour de l’âme vers lequel Orphée-Christ sert de guide36.
- 37 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre XI, respectivement v. 138-161 et v. 287-302.
- 38 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre X, v. 2587-3008. Cette allégorie énumérative de la harp (...)
- 39 Nous reprenons la démonstration de Vicari, « Sparagmos », p. 70-72, qui dresse la liste de tous les (...)
24La critique a montré à quel point le texte de l’Ovide moralisé était tributaire de la longue tradition de lectures morales du mythe d’Orphée, la plus fertile tout au long de la période médiévale. Elle n’a pas manqué non plus de souligner un curieux paradoxe. Son auteur est à la fois celui qui restitue le plus fidèlement la légende d’Orphée et d’Eurydice, en réintégrant des éléments oubliés depuis l’époque classique, comme l’épisode où Phébus défend contre un serpent la tête du poète démembré ou la métamorphose infligée par Bacchus à ses meurtrières37. Mais il est aussi celui qui, en appliquant de manière systématique l’allégorèse chrétienne – l’exemple le plus frappant étant la décomposition des parties de la lyre, devenue harpe, en trois séries de dogmes, de sacrements et de vertus chrétiens38 –, s’éloigne le plus de l’esprit primitif du mythe39.
25On s’est moins interrogé sur la persistance, ou la disparition, des schémas anciens de l’iconographie d’Orphée-Christ dans les illustrations des manuscrits de l’Ovide. Or dans les livres X-XI du manuscrit de Rouen, il n’existe pas de représentations d’Orphée qui résulte de la combinaison d’un double jeu de signes, païen et christique. L’Orphée figuré dans l’Ovide de Rouen, comme ce sera le cas dans les manuscrits qui le suivront, est résolument un Orphée païen et narratif, et ce même dans les images insérées en contexte herméneutique (il s’agit des fig. 47-48, miniatures n° 327 et 328, fol. 261v, livre X, v. 2494 et 2512). Orphée narratif, dans la mesure où il est toujours représenté en action, impliqué dans les situations successives de son histoire ; même lorsque cette action se réduit à jouer de la lyre, sa gestuelle est bien celle de l’interprétation musicale, non de l’ostentation symbolique. Orphée païen, parce qu’il n’est entouré d’aucun des symboles chrétiens, tels que colombes ou brebis, identifiés par les historiens de l’art et les archéologues comme inhérents au type de l’Orphée-Christ depuis ses origines. Le seul indice de « médiévalisation » du musicien thrace, bien distinct cependant d’une démarche de christianisation, se révèle dans l’apparence qui lui est prêtée : il revêt tantôt la robe longue dotée d’un chaperon, tantôt un manteau jeté par-dessus une tunique, un chapeau rond couvrant sa tête. Dans les deux cas, son vêtement fait de lui un clerc et un sage, une figure du savoir et de l’autorité – non un Messie.
- 40 Voir le décompte dans la n. 1 p. 126.
- 41 Jung, « Aspects de l’Ovide moralisé », p. 161.
26Mais en dehors de ces deux effigies d’Orphée païen insérées en contexte herméneutique, ce sont des scènes strictement chrétiennes qui émaillent les passages de moralisation. Encore les liens de ces scènes avec la figure orphique d’une part, avec leur source textuelle d’autre part, ne sautent-ils pas aux yeux, comme en témoigne une série de représentations de la vie du Christ qui servent de signifiés à l’histoire d’Orphée. Ainsi, au début du livre XI, la lecture typologique de la mort d’Orphée, assimilé au Christ, est-elle accompagnée de la scène du baiser de Judas (fig. 53, n° 339, fol. 272r, livre XI, v. 179). Pourtant l’allusion textuelle à « Judas Scarioth » (livre XI, v. 255) reste des plus furtives, l’auteur ne s’attardant guère sur l’arrestation du Christ. De manière plus radicale encore, une scène de Crucifixion, où figure Longin recouvrant la vue, orne le passage qui dresse l’analogie entre les femmes de Cyconie, responsables de la mort d’Orphée, et les Juifs, assassins du Christ (n° 341, fol. 274r, livre XI, v. 490). Or s’il est bien question de la Crucifixion au v. 498, aucune allusion n’est faite à Longin. De même, au livre X, en regard d’une autre glose consacrée à Orphée, une image de la Crucifixion fait cette fois apparaître Marie et Jean au pied de la croix, mais toujours en l’absence de la moindre mention textuelle (fig. 49, n° 329, fol. 261v, livre X, v. 2542). Dans les deux cas, l’ajout pur et simple de personnages sans référents dans l’écrit doit moins se comprendre comme démarche signifiante que comme réflexe, automatisme de peintre. Le Christ en croix avec Jean et Marie étant l’un des sujets les plus traités de l’iconographie religieuse de l’Ovide moralisé40, on peut en conclure qu’une simple allusion à la Crucifixion suffit à mobiliser ce poncif, sans égards pour les particularités textuelles. Cette démarche de l’iconographe rejoint d’une certaine façon celle de l’auteur qui, selon M.-R. Jung, place dans « les moralisations du livre X […] un sermon, dont le thème est […] la prédication de la bonne doctrine », thème qui « s’articule dans des mots-clés et dans des images » récurrents41. Autrement dit, l’anonyme rebondit sur le texte ovidien pour en faire la matière d’un sermon construit sur le martellement des mêmes notions et des mêmes métaphores. L’illustrateur s’empare à son tour des mots-clés fournis par l’Ovide, produisant des images qui s’en font parfois l’écho (la croix, le diable, la pomme, la mer…). Mais il ne livre pour sa part qu’un discours émietté, sans fil conducteur cohérent.
- 42 Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », p. 169.
- 43 Nos observations rejoignent celles de Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. (...)
27À propos de ces images stéréotypées, Carla Lord invoquait le recours possible à des carnets de croquis ou à une galerie mentale, qui auraient fourni aux artistes un stock d’images passe-partout, qu’elles soient religieuses ou profanes. Selon Carla Lord, « some of the formulae found in the manuscripts – Adventus scenes, dialogues, chivalric combats, ships at sea, love scenes, Nativitie – could be exploited for any purpose42 ». Nous ajouterions que ce répertoire prêt à l’emploi peut admettre, autour d’un motif central tel que le Christ en croix, des variables – en l’occurrence Marie et Jean ou Longin. La croix en quelque sorte attire l’un ou l’autre de ces motifs secondaires, indépendamment du texte correspondant. En outre, la représentation du motif central lui-même (la croix ou le baiser de Judas) ne se fonde pas forcément sur l’idée force de la démonstration écrite. Il semble plutôt que, prenant prétexte d’une mention faite en passant par l’auteur, l’artiste vise avant tout à exhiber une scène clairement connotée comme chrétienne, en contraste avec l’image mythologique qui précède, afin de mieux faire ressortir l’articulation entre les séquences narratives et herméneutiques43. L’imagerie religieuse est en ce sens un puissant marqueur de moralisation, au même titre que l’emploi du mot « allégorie » par l’auteur.
28Si la plupart des moralisations ne s’accompagnent que d’une illustration isolée, il arrive aussi, du moins dans le livre X, qu’elles fonctionnent en série. Déroulent-elles alors un discours séquentiel véritablement structuré ? Cette séquence visuelle est-elle indexée sur la séquence textuelle correspondante ? Tisse-t-elle des liens signifiants avec la séquence mythologique qu’elle est censée commenter ? Et dans le cas contraire, quels effets de sens se dégagent de ces images formant cycle ?
- 44 La séquence textuelle et iconographique consacrée aux amours d’Orphée fait l’objet d’un développeme (...)
- 45 Selon Friedman, Orphée au Moyen Âge, p. 10-11, le poète hellénistique Phanoclès, dans ses Amours (2 (...)
- 46 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre X, v. 205-219. En réalité, l’auteur revient à trois rep (...)
- 47 On trouvera la citation du passage, sa traduction anglaise et son commentaire dans Chance, Medieval (...)
- 48 Conceptions exposées par Chance, Medieval Mythography, vol. II, p. 363-365. L’auteur désigne l’ouvr (...)
29À la différence des miniatures narratives dont il sera question plus loin, les miniatures en contexte herméneutique semblent moins susceptibles de fournir un discours enchaîné. Le cas échéant, le sens qui s’en dégage ne coïncide pas nécessairement avec la démonstration textuelle. C’est ce que l’on observe pour les illustrations de la première séquence explicative du mythe d’Orphée, qui présentent successivement une scène centrée sur deux hommes enlacés (fig. 42, n° 308, fol. 247v, livre X, v. 196), la Gueule d’Enfer selon Macrobe déjà évoquée (fig. 43, n° 309, fol. 248r, livre X, v. 220), la Résurrection du Christ (fig. 44, n° 310, fol. 249r, livre X, v. 446)44. L’enchaînement de ces trois images peut faire sens. La première donne à voir le péché d’homosexualité45, stigmatisé parallèlement par l’auteur46. L’Enfer représenté dans l’image suivante annonce sans ambages le sort qui attend l’âme pécheresse. Mais la scène de Résurrection qui clôt la série promet le rachat du pécheur. La séquence iconographique semble ainsi déployer un discours bien différent de celui, homophobe, de l’auteur, et l’on pourrait y voir des échos de la revalorisation des amours masculines d’Orphée entreprise par un Arnoul d’Orléans. Dans ses Allegoriae super Ovidii Metamorphosin, ce dernier voit en effet dans les nouveaux penchants du veuf une conversion à la virtus dans son sens premier, qui reste l’apanage des hommes47. Des conceptions semblables, mais plus bienveillantes encore à l’égard de l’homosexualité d’Orphée, se retrouveront plus tard dans l’Ovidius moralizatus de Pierre Bersuire48.
- 49 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre X, v. 396-443.
- 50 Nous n’adhérons donc pas à la lecture de Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, (...)
30Cette série de trois images se détourne donc complètement de la démonstration suivie par le moraliste : elle évacue l’histoire d’amour d’Orphée et d’Eurydice, que l’auteur interprète, dans la tradition chartraine, comme l’union du « regnable entendement » (livre X, v. 221) avec la « sensualité de l’ame » (livre X, v. 223) ; elle évince du même coup la condamnation des pécheurs récidivistes49, ceux dont « pire est l’errour desreniere / Que la premeraine ne fu » (livre X, v. 435-436). En se concentrant plutôt sur la seconde période de la vie d’Orphée, celle des amours masculines, elle délivre au contraire un message optimiste, qui offre en raccourci l’histoire de la chute et de la rédemption50.
31Ce faisant, au gré de ce discours parallèle, le microcycle des images herméneutiques s’écarte non seulement de l’exégèse verbale, mais également du cycle formé au préalable par les images mythologiques. Car mises à part les deux représentations de l’Enfer (fig. 40, n° 306, fol. 246v, livre X, v. 50 et fig. 43, n° 309, fol. 248r, livre X, v. 220), qui occupent chacune une position médiane dans leurs cycles respectifs, on n’observe guère d’échos de l’un à l’autre.
- 51 Voir Blumenfeld-Kosinski, « Illustrations et interprétations dans un manuscrit de l’Ovide moralisé (...)
32En règle générale, peu d’images forment des paires associées selon un principe typologique comme celles que Renate Blumenfeld-Kosinski a dégagées dans l’exemplaire de l’Arsenal51. En dépit d’un contexte d’insertion surtout typologique, rares sont les miniatures consécutives liées par des correspondances visuelles terme à terme, qui mettraient en évidence l’analogie entre le signifiant et le signifié, soit entre la donnée ovidienne et son message allégorique. À la rigueur, on peut considérer que les deux miniatures, placées au début du livre XI, qui illustrent la fin du mythe d’Orphée, suggèrent un parallèle entre le martyre du poète, impassible au milieu des coups (fig. 51, n° 337, fol. 271r, livre XI, v. 11), et celui du Christ trahi par Judas (fig. 53, n° 339, fol. 272r, livre XI, v. 179). Leur lien reste pourtant bien mince. D’une part, les deux miniatures ne sont pas consécutives, ni même réunies sur le même folio ou la même double page, ce qui empêche une confrontation visuelle directe. D’autre part, malgré leur tonalité commune, celle d’un sacrifice sereinement consenti, aucun élément du langage pictural, comme la composition ou les attitudes corporelles, ne suggère un effet de rappel. La paire d’images échoue donc à signifier visuellement l’assimilation d’Orphée au Christ.
33À défaut d’un langage typologique construit, on remarque des associations d’images allant deux par deux grâce à la reprise d’un motif visuel minimal. Ce motif peut être un attribut concret, comme la pomme au centre du jugement de Pâris (n° 350, fol. 283v, livre XI, v. 2110) et celle du péché originel (n° 351, fol. 285r, livre XI, v. 2403) ; un élément naturel, comme la mer au-dessus de laquelle plane Phébus (n° 344, fol. 276v, livre XI, v. 969) et où se noient les victimes du Déluge (n° 345, fol. 277r, livre XI, v. 1046) ; ou encore un principe dynamique, notamment le mouvement de chute, commun à Ésaque transformé en plongeon (fig. 57, n° 363, fol. 295v, livre XI, v. 4218) et aux diables tombés du ciel (fig. 58, n° 364, fol. 295v, livre XI, v. 4235). Ce mécanisme d’association, bien modeste, ne suffit cependant pas à construire une interprétation globale.
- 52 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre XI, v. 1099-1313.
- 53 Nous reprenons la catégorisation de F. Garnier, Le Langage de l’image au Moyen Âge. Signification e (...)
- 54 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre XI, v. 1330-1334.
34Il semblerait même que ce mécanisme opère parfois non dans le sens fable-glose, la première informant la seconde, mais dans le sens glosefable, comme si l’illustration herméneutique infléchissait par anticipation celle d’un mythe afin de créer un lien de l’une à l’autre, au risque de vider le mythe de son contenu. C’est le cas, au livre XI, de la paire des miniatures n° 346 et n° 347. La première s’insère dans l’évocation des métamorphoses de Thétis devant Pélée, qui finissent par conduire à leurs noces52. En lieu de quoi elle représente Éaque, le père de Pélée, assis sur son trône (n° 346, fol. 277v, livre XI, v. 1099), personnage dont le début de la séquence vante la « grant nobilité » (livre XI, v. 1099). Quelque deux cents vers plus loin, au début du passage explicatif invoquant Dieu comme « rois de pardurable vie » (livre XI, v. 1316) et créateur de toutes choses, c’est Dieu en majesté que nous présente l’image (n° 347, fol. 278r, livre XI, v. 1316). L’effigie canonique de Dieu trônant semble donc avoir exercé un phénomène d’attraction sur l’image précédente. À toutes les mises en scène dramatiques de métamorphoses ou de noces possibles, l’artiste a préféré une représentation « en état53 ». Avec Éaque, il propose un comparant païen à Dieu le père dont il est question dans la glose. Dans le texte pourtant, c’est entre la Néréide Thétis et le limon originel avec lequel Dieu a créé l’homme que l’auteur opère une analogie54. Ainsi, même lorsque la typologie visuelle joue à plein, l’équivalence qu’elle instaure ne porte pas sur les termes adéquats.
35Dans les livres X-XI, la mise en images du discours herméneutique fournit en somme des balises visuelles fiables aux points d’articulation entre fables et gloses, et dans une moindre mesure, entre les strates exégétiques internes. Mais l’iconographie de la glose est sans commune mesure avec l’ampleur, la complexité structurale et la pluralité sémantique des écrits correspondants. Sans doute parce que l’imagerie religieuse est riche d’une longue tradition, le maître du Roman de Fauvel se laisse-t-il aller à ses habitudes. Il se contente d’accrocher à tel mot-clé du texte une scène dont l’à-propos reste parfois limité.
36Pour la matière mythologique, au contraire, dont bien des composantes sont encore inédites, l’artiste fait preuve à la fois d’une attention plus soutenue à l’égard de l’écrit et d’une inventivité plus grande dans l’art d’illustrer.
L’iconographie mythologique
- 55 Lord, « A survey of imagery in medieval manuscripts of Ovid’s Metamorphoses », p. 257-261, passe en (...)
- 56 Voir Rabel, L’illustration de l’Ovide moralisé, p. 52 et p. 190, n. 186.
- 57 Les contributions principales sont fournies par Friedman, Orphée au Moyen Âge, p. 185-233, où l’aut (...)
- 58 Une synthèse des témoignages archéologiques d’Orphée et du couple formé avec Eurydice est présentée (...)
- 59 Pour une analyse des représentations d’Orphée à l’époque post-médiévale, on se reportera par exempl (...)
37Les fables compilées dans l’Ovide moralisé ont fourni aux imagiers une matière à illustrer riche et neuve, pratiquement sans modèles directs ni précédents médiévaux55. Cette absence de tradition iconographique pour les sujets mythologiques admet pourtant des exceptions, en tête desquelles on peut justement placer ceux qui se rapportent à la légende d’Orphée et d’Eurydice. Celle-ci a, en effet, bénéficié d’un relatif succès dans les représentations médiévales56, même si la floraison la plus abondante est postérieure au manuscrit de Rouen. Les études consacrées à l’iconographie médiévale d’Orphée sont quant à elles assez pauvres57, en comparaison avec celles qui s’intéressent à son traitement d’une part dans l’Antiquité tardive, période d’intense créativité bénéficiant à la fois de la tradition classique et des nouvelles orientations données par le christianisme en expansion58, et d’autre part pendant la Renaissance italienne, ère du retour aux sources antiques59.
38Mais si, dans les livres X-XI de l’Ovide moralisé de Rouen, le cycle d’Orphée est le plus développé, il est loin d’être le seul à dérouler un récit mythologique sous les yeux du lecteur, et ce sont les principes de la narration visuelle que nous voudrions à présent interroger.
Principes de la narration visuelle
39Deux principes narratifs sont mobilisés pour donner à voir les Fables Ovide le grant : celui de la miniature autonome et celui du microcycle.
- 60 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre X, v. 736-737.
40Le principe le plus rudimentaire consiste à ne retenir qu’un moment unique de la fable, donné à voir dans une miniature isolée. Notre corpus compte sept de ces images qui se suffisent à elles-mêmes, dont quatre au livre X et trois au livre XI. Un exemple de scène autonome particulièrement intense est celle de l’enlèvement de Ganymède (fig. 46, n° 313, fol. 250v, livre X, v. 708). D’un point de vue purement artistique, sa réussite tient au fait que l’imagier s’est pour une fois départi du fond géométrique traditionnel. Il s’essaie ici à un rendu quasiment atmosphérique du paysage, qu’il saisit en plongée. L’aigle divin, même s’il a encore quelque chose d’héraldique, plane entre le ciel et une forêt qui s’étend à perte de vue. Mais l’enfant, déjà mort, a le visage en sang. L’artiste confère ainsi à l’enlèvement une violence et une dimension tragique complètement absentes du texte, qui insiste au contraire sur le côté doux et plaisant des histoires qui vont suivre60, variations sur le thème des amours inspirées aux dieux par de jeunes garçons. À l’inverse, quand il ne surinterprète pas le texte, l’illustrateur reste curieusement en-deçà. On a vu qu’en montrant Eaque trônant (n° 346, fol. 277v, livre XI, v. 1099) dans la seule illustration de l’histoire de Thétis, il est bien loin de dramatiser son sujet.
41En comparaison, le principe du cycle iconographique apparaît comme une stratégie bien plus propice à restituer fidèlement une séquence narrative. Il s’agit alors d’une série d’images, continues ou discontinues, dont chacune met en scène une seule action, deux tout au plus sous une forme synthétique. Le procédé de représentation simultanée, consistant à étager des actions successives sur des plans distincts comme dans le manuscrit BnF, fr. 137, n’est pas attesté ici. Il reste, semble-t-il, encore rare en ce début de xive siècle.
42Les livres X-XI déroulent cinq cycles de deux à six images consécutives. Il faut y ajouter le cas particulier du cycle-cadre d’Orphée, qui totalise sept images, mais distillées en cinq fois, de manière discontinue, comme en pointillés. En tête du livre X, le premier volet du cycle montre successivement Eurydice piquée par un dragon en cherchant à échapper à Aristée, Orphée harpant devant la gueule d’Enfer, puis cherchant en vain à saisir Eurydice (fig. 39-41, n° 305 à 307, fol. 246v-247r, livre X, respectivement v. 1, 50 et 102). Une première interruption vient des moralisations illustrées par les trois images qui suggèrent le rachat des homosexuels déjà évoquées (fig. 42-44, n° 308 à 310, fol. 247v, 248r et 249r, livre X, v. 196, 220 et 446). Une nouvelle image (fig. 45, n° 311, fol. 250r, livre X, v. 496) présente alors Orphée harpant au milieu des arbres. Elle fait office de raccord entre le premier pan du cycle, celui du récit-cadre, et la série des récits enchâssés à partir du v. 708, dont Orphée est le narrateur second. La posture typique d’Orphée à la lyre sert donc à la fois à rappeler visuellement une image antérieure, la n° 306 (fig. 40), et à désigner le chantre de Thrace comme l’instance émettrice des fables ultérieures. C’est cette même posture emblématique du poète à la lyre qui sert encore de rappel au début de la seconde séquence de moralisations du livre X (v. 2494-3361), qui commence par les « relais sensibles ». Cette fois Orphée est représenté harpant devant des animaux puis devant deux hommes (fig. 47-48, n° 327-328, fol. 261v, livre X, v. 2494 et 2512), signifiant ainsi, selon une lecture de type historique, un rapport d’équivalence entre les bêtes et les hommes épris de leurs semblables : « Sa male douctrine plesoit / Aus folz qui o lui s’amusoient / Et de valetons abusoient. / Cil qui furent de dure orine / Plus que arbre ne sauvecine » (livre X, v. 2535-2538). Le dernier volet du cycle est reporté au début du livre XI. On y voit le poète jouant toujours de la lyre sous les coups des femmes de Cyconie. Puis Phébus sauve sa tête de la gueule d’un dragon, avant que Bacchus ne tire vengeance de sa mort en métamorphosant en arbres les coupables (fig. 51-52, n° 337-338, fol. 271r et 272r, livre XI, v. 11 et 156 et fig. 54, n° 340, fol. 272v, livre XI, v. 287).
- 61 Pour le catalogue des témoignages archéologiques, depuis le vie siècle av. J.-C. jusqu’au ve siècle (...)
- 62 Voir Garezou, « Orpheus », p. 88-90 et Schwarz « Eurydike I », p. 98-100.
- 63 Machaut évoque l’épisode d’Orphée aux Enfers dans le Confort d’Ami, éd. E. Hoepffner, Paris, Sociét (...)
- 64 Christine de Pizan glose deux facettes de la légende d’Orphée (Orphée musicien et Orphée aux Enfers (...)
- 65 On retrouve ce type de schéma dans l’Ovide moralisé, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrit 50 (...)
- 66 On se reportera aux illustrations de l’Ovide moralisé, Lyon, Bibliothèque municipale, manuscrit 742 (...)
- 67 Voir les miniatures de l’Ovide moralisé, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrit 5069, fol. 145(...)
43Le cycle iconographique d’Orphée réunit les étapes clés de sa légende, avant et après sa mort, et fait intervenir tous les actants qui y ont un rôle à jouer. Ne manque que la situation initiale, celle du mariage à l’occasion duquel la triste mine d’Hymen présage un funeste destin. En l’absence d’étude exhaustive sur les sources possibles de l’imagerie orphique de l’Ovide, il est difficile d’évaluer la part de la tradition et celle de l’invention qui revient au Maître de Fauvel dans la décoration des livres X-XI du manuscrit de Rouen. Il n’en est que plus troublant de constater que la plupart de ces scènes clés rejoignent les attestations les plus répandues dans l’Antiquité, soit, par ordre décroissant de popularité61 : Orphée à la cithare entouré d’animaux, la mise à mort du poète par les femmes de Thrace, Orphée jouant devant les divinités infernales – le couple qu’il forme à la sortie de l’Hadès avec Eurydice fournissant quant à lui des représentations nettement plus rares62. Les scènes de la vie d’Orphée, telles qu’on les voit traitées dans l’Ovide de Rouen, semblent fournir à leur tour thèmes et formes canoniques pour toute la fin de la période médiévale, voire au-delà. Dans les copies postérieures de l’Ovide moralisé, comme dans les manuscrits renfermant les réécritures du mythe qui fleurissent aux xive-xve siècles sous les plumes de Guillaume de Machaut63 ou de Christine de Pizan64, on retrouve, par-delà les variantes de détail, les mêmes schémas : celui, christianisé, du musicien harpant devant l’entrée des Enfers, béante et parfois flamboyante, d’où un / des diable(s) pousse(nt) Eurydice vers l’extérieur65, qui a été mis en place dans la miniature n° 305 (fig. 39, fol. 246v, livre X, v. 1) ; celui du harpeur entouré d’animaux (fig. 47, n° 327, fol. 261v, livre X, v. 2494)66 ou celui du poète assailli par les femmes thraces (fig. 51, n° 337, fol. 271r, livre XI, v. 11)67.
- 68 L’interprétation de Rabel, L’illustration de l’Ovide moralisé, p. 93-94 est reprise par Kohli, L’Ic (...)
- 69 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. V, livre X, v. 396-443.
44L’image la plus surprenante du cycle est celle où Eurydice échappe définitivement à Orphée (fig. 41, n° 307, fol. 247r, livre X, v. 102). En porte-à-faux avec la scène attendue, qui montrerait les époux l’un derrière l’autre, les visages tournés dans la même direction, ou bien Orphée se retournant vers celle qu’il guide vers la lumière, elle attribue aux deux membres du couple le même geste des bras tendus en avant. Mais Eurydice tourne résolument le dos à Orphée, comme si son désir de replonger en Enfer égalait celui de son époux à la retenir. Sans doute ce geste trahit-il, comme le suppose Claudia Rabel68, l’influence de la moralisation. Celle-ci, rappelons-le, rend Eurydice, incarnation de la sensualité récidiviste, seule responsable de sa damnation éternelle. Ainsi le peintre aurait-il, par anticipation, intégré dans cette image narrative une donnée qui n’est présente que dans l’exégèse correspondante, près de trois cents vers plus loin69.
45À l’exception de cette immixtion de l’interprétatif dans le narratif, les sept cycles visuels des livres X-XI se caractérisent dans l’ensemble par leur univocité sémantique, leur exhaustivité et leur cohérence. Ils couvrent de manière à peu près complète la matière ovidienne, même s’il manque l’épisode matrimonial des fables d’Orphée et de Pélée ou la métamorphose de la statue de Pygmalion. Formés de moments clés propices à la mémorisation, ils offrent un condensé des récits mythologiques, un compendium de ce qu’il faut retenir de chacun.
Choix de représentation des données mythologiques
46Or la spécificité de ce fonds mythologique tient essentiellement à deux thématiques essentielles : la métamorphose et la présence des dieux païens. Il convient donc pour finir de dégager les choix opérés par l’artiste dans la représentation de ces deux composantes.
- 70 La représentation des métamorphoses dans les manuscrits de l’Ovide moralisé a fait l’objet de plusi (...)
- 71 Il s’agit là de 12 % du corpus d’étude formé par les illustrations des livres X-XI. Kohli, L’Iconog (...)
47L’illustration des livres X-XI ne présente qu’une proportion réduite de scènes de métamorphose70, comptant cinq images en tout71. Elle n’en offre pas moins un échantillonnage varié des divers modes de visualisation du changement corporel.
48Trois miniatures figent l’état final, la forme acquise lorsque le procès de transformation est achevé. Les Cérastes ont pris l’apparence de bœufs (n° 315, fol. 252r, livre X, v. 883), les femmes de Ciconie sont devenues des arbres (fig. 54, n° 340, fol. 272v, livre XI, v. 287), Céyx et Alcione ont été mués en oiseaux (n° 360, fol. 293r, livre XI, v. 293).
- 72 Il est difficile de déterminer la raison d’une telle ampleur. Même si elle se trouve à peu près au (...)
49Par contraste, les représentations des mutations respectives de Myrrha et d’Ésaque captent un processus en cours. À chaque fois, le personnage en devenir apparaît dédoublé par le biais de la juxtaposition de ses états successifs. De manière classique, Ésaque apparaît à la fois sous sa forme humaine et dans son état final de plongeon (fig. 57, n° 363, fol. 295v, livre XI, v. 4218). Plus intéressante, la grande miniature72 consacrée à Myrrha (n° 322, fol. 258r, livre X, v. 1900) montre à gauche l’héroïne incestueuse, encore sous l’aspect d’une jeune fille, cherchant à échapper à son père qui la poursuit en brandissant une épée. À droite elle est déjà aux trois quarts gagnée par sa nature végétale ; seule sa tête témoigne encore de son humanité. Ainsi est-elle saisie à la fois en pleine course dans son état premier, et figée dans un état intermédiaire entre la femme et la plante. Le jeu des drapés, les gestes véhéments du père, la torsion donnée à la tête de Myrrha concourent à produire un puissant effet de dramatisation.
50Le nombre restreint des scènes de métamorphose dans les livres X-XI est largement contrebalancé par l’abondance des dieux olympiens. Leur figuration est toutefois loin d’obéir à des principes homogènes, et l’on peut dénombrer jusqu’à quatre stratégies distinctes dans le traitement des personnes divines.
- 73 La représentation de dieux en plein vol reste rare : on n’en compte que cinq occurrences environ da (...)
51L’essence supérieure des divinités païennes est préservée quand on les voit exercer leurs pouvoirs surnaturels. Par un geste autoritaire, Vénus accomplit la métamorphose des Cérastes en bœufs (n° 315, fol. 252r, livre X, v. 883) ; Bacchus celle des femmes de Cyconie en arbres (fig. 54, n° 340, fol. 272v, livre XI, v. 287). Ailleurs, Phébus apparaît victorieux du dragon qui voulait engloutir la tête d’Orphée (fig. 52, n° 338, fol. 272r, livre XI, v. 156), ou volant au-dessus des flots qui doivent dévorer, sur ses ordres, la ville de Laomédon (n° 344, fol. 276v, livre XI, v. 969)73. Ces deux dernières images contribuent à l’héroïsation du dieu de la lumière, à la fois vainqueur de monstres et maître des éléments. Mais même lorsque l’autorité des dieux est mise en avant, leur pouvoir de métamorphose est diminué du fait que seul l’état final du changement est donné à voir. De fait, dans toutes les circonstances textuelles où les hommes entrent en interaction avec des divinités qui se sont métamorphosées elles-mêmes ou qui ont métamorphosé des humains, toutes sortes de procédures d’évitement contribuent à éluder la rencontre dans les images correspondantes. Tantôt, le mortel étant parvenu au terme de sa transformation, il ne subsiste plus rien de son humanité : il a entièrement revêtu sa forme nouvelle, animale pour les Cérastes (n° 315), végétale pour les femmes de Cyconie (fig. 54, n° 340, fol. 272v, livre X, v. 287). Tantôt l’humain est déjà mort, son corps ensanglanté gisant entre les bras du dieu qui l’a aimé : ainsi d’Hyacinthe (n° 314, fol. 251r, livre X, v. 753) et d’Adonis (n° 325, fol. 259r, livre X, v. 2082), ou de Ganymède emporté dans le bec de Jupiter aquilin (fig. 46, n° 313, fol. 250v, livre X, v. 708). Dieux et hommes sont bien présents côte à côte, mais l’âme des seconds les a déjà quittés. Par suite, leur union est comme annihilée.
52En règle générale, c’est la représentation des dieux sous une forme humaine qui prévaut. Le seul signe distinctif de l’origine transcendante est alors la couronne, parfois le trône, qui ramène alors la supériorité des Olympiens à une hiérarchie purement humaine. Dans la scène du jugement de Midas (n° 342, fol. 275r, livre XI, v. 651), la hiérarchie entre les dieux et le mortel ordinaire, mais aussi des dieux entre eux, s’affirme grâce aux jeux de la symétrie, des postures et des attributs. Midas, tête nue, occupe le centre, flanqué de part et d’autre par les deux musiciens divins. La supériorité de Phébus se lit dans la conjonction de la couronne et du trône, signes forts de royauté humaine et divine. Pan, en revanche, divinité subalterne, reste debout et sans aucun ornement de tête. Ainsi l’humanisation des dieux porteurs de couronne affiche sans ambiguïté un parti-pris de type évhémériste. Les moralisations historiques, sur le modèle de « Jupiter fu uns rois de Crete » (livre X, v. 3368), ont informé l’ensemble de l’iconographie ovidienne.
- 74 Rabel, L’illustration de l’Ovide moralisé, a été la première à noter ce détail.
- 75 M. Camille, The Gothic Idol : Ideology and Image-Making in Medieval Art, Cambridge, Cambridge Unive (...)
53Un degré supplémentaire dans la dégradation des dieux se traduit par leur forme d’idoles. Statues inanimées, en buste ou en pieds, nues ou revêtues d’une draperie, couronnées ou non, la distribution des morphèmes iconiques est pour elles aléatoire. Interchangeables, elles ne reçoivent en outre aucun attribut distinctif. Même leur genre sexuel ne spécifie en rien leur identité. C’est ainsi qu’on peut voir Alcyone prosternée devant une Junon torse nu au visage… barbu74 ! (fig. 55, n° 358, fol. 291r, livre XI, v. 3394). La forme idole réservée aux dieux du paganisme contribue à leur désacralisation75.
- 76 On mesurera le changement de perspective opéré dans le cycle de Céyx et Alcyone qui illustre la Fon (...)
54Enfin, la solution la plus radicale dans le traitement des dieux païens consiste à leur dénier toute efficace dans le destin des hommes, en prenant le parti de la non-représentation pure et simple. Les dieux brillent par leur absence dans la séquence de Céyx et Alcyone. Pourtant le récit progresse grâce à une succession de relais divins : Junon, Iris, Hypnos et Morphée interviennent tour à tour pour rendre possible la révélation, faite en songe à Alcyone, du naufrage mortel de Céyx. Ainsi toute l’intrigue céleste et onirique, tout ce qui relève du surnaturel est escamoté, ramenant une fable qui illustre le pouvoir de la prière et la vérité du songe à un drame purement humain76. Ce cycle iconographique est porteur comme rarement d’une idéologie claire : la prière élevée vers une idole est forcément déceptive. La preuve en est que la prière d’Alcyone est directement suivie de la découverte du corps sans vie de celui qu’elle devait sauver (fig. 55-56, n° 358-359, fol. 291r-292v, livre XI, v. 3394 et 3710). Le spectateur des images qui n’aurait pas lu la fable ne saura jamais que, grâce à l’intercession en chaîne des dieux, Alcyone aura eu la consolation d’entendre, de la bouche de Morphée sous l’apparence de Céyx, le récit de ses derniers moments.
55Parmi ces diverses procédures de représentation du paganisme s’affirme une tendance forte à l’effacement du surnaturel, de l’altérité et de la transcendance. La communication entre les dieux en tant que tels et les hommes est entravée autant que faire se peut : face à un immortel, l’humain est déjà mort ou réduit à un inanimé. De son vivant, il n’invoque qu’une idole inopérante, quand il ne côtoie pas ses propres semblables. Dans le cas extrême, les dieux sont absents. Il paraît évident que l’iconographie contribue, du moins dans les livres X-XI, à maintenir à distance les objets d’une fausse foi, à en annihiler toute trace de séduction. L’image, en cela, est un puissant moteur de démythification.
Conclusion
56Le mythe d’Orphée, mythe structurant des livres X-XI, est le point d’ancrage d’un cycle iconographique qui court comme un fil rouge, ou faudrait-il dire comme une corde de lyre, tout au long des deux livres. Il tisse une vaste toile de fables adjacentes, toutes balisées par des illustrations tantôt autonomes, tantôt formant cycle. L’artiste pose ainsi les premiers jalons d’un répertoire mythologique promis à une fortune féconde. En comparaison, les illustrations des strates herméneutiques restent curieusement en retrait. Moins nombreuses, moins régulières, moins à l’écoute de la pensée de l’exégète, rarement séquentielles, enfin, elles ont quelque chose de mécanique ou de décalé. On en vient même à se demander si la véritable glorification de la déité chrétienne ne passe pas tant par sa monstration que par la non-figuration des dieux païens. L’image qui fait sens est l’image absente.
Notes
1 C. Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », Art Bulletin, 57, 1975, p. 161-175, ici p. 162 : « ancestor of all surviving illustrated Ovide moralisé manuscripts ».
2 Pour une présentation des manuscrits de l’Ovide moralisé, voir M.-R. Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide Moralisé », Romanistische Zeitschrift für Literaturgeschichte, 20, 1996, p. 251-274. Le manuscrit de Rouen a récemment fait l’objet d’une synthèse d’O. Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, Rouen O. 4., mémoire de baccalauréat universitaire, Université de Genève, 2012 (consultable en ligne sur le site Academia).
3 F. Avril, Les Fastes du Gothique. Le siècle de Charles V, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1981, p. 284.
4 C. Lord, « Marks of ownership in medieval manuscripts : The case of the Rouen Ovide moralisé », Source. Notes on the History of Art, 18, 1998, p. 7-11 et « A survey of imagery in medieval manuscripts of Ovid’s Metamorphoses and related commentaries », Ovid in the Middle Ages, éd. J. Clark, F. Coulson et K. McKinley, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 257-283, ici p. 261 et 265. Pour la datation du manuscrit et l’identification de sa commanditaire avec Clémence de Hongrie, l’auteur se fonde sur l’inventaire après décès de Clémence, établi en 1328 et mentionnant la vente du manuscrit à Philippe VI, ainsi que sur le jeu et le style des initiales C et L par lesquelles commencent toutes les rubriques de la table liminaire. Rappelons que l’hypothèse qui prévaut concernant l’attribution de la commande du texte (et non du manuscrit de Rouen) à une « reine Jeanne », probablement Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe V décédée en 1329, est celle avancée par C. de Boer, Ovide moralisé, poème du commencement du quatorzième siècle, publié d’après tous les manuscrits connus, éd. C. de Boer, Amsterdam, Müller, 1915, vol. I, p. 9-11, hypothèse reprise et développée par Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide Moralisé », p. 254-255. Il semble donc que le manuscrit de Rouen ne soit pas l’édition originale de l’Ovide moralisé. – Pour l’histoire du manuscrit, notamment après son acquisition par Philippe VI, voir J. Dupic, « Ovide moralisé, ms. du xive siècle (Bibl. de Rouen, ms. O4) », Précis des travaux de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, 1945 à 1950, Rouen, 1952, p. 67-77, ici p. 70-72, ainsi que la synthèse proposée par Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 8.
5 Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », p. 163, attribue à cet artiste, qu’elle désigne sous l’appellation de « Temporary Master », vingt-neuf miniatures placées aux fol. 48-55 et 64-79.
6 On pourra compléter la liste des manuscrits attribués au Maître du Roman de Fauvel avec Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », p. 163 ; F. Avril, « Manuscrits », L’Art au temps des rois maudits : Philippe le Bel et ses fils, 1285-1328, éd. J. Favier, E. Lalou et J.-R. Gaborit, Paris, Grand Palais, 1998, p. 289 ; et surtout R. et M. Rouse, Manuscripts and their Makers. Commercial Book Producers in Medieval Paris, 1200-1500, Turnhout, Harvey Miller, 2000, vol. I, p. 212-213. L’attribution des illustrations à deux artistes distincts fait cependant débat : R. et M. Rouse penchent en faveur du seul Maître de Fauvel, en expliquant les différences stylistiques par la hâte ou la fatigue.
7 Le décompte est celui de Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », p. 162, que nous confirmons. Il est à noter que si la dernière image du manuscrit, au fol. 400v, porte bien le n° 453, la dernière entrée de la table des légendes, au fol. 15r, a reçu le n° 454. Ce décalage s’explique par un doublon, le n° 448 figurant deux fois de suite dans la numérotation des légendes.
8 Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 29-31, expose une série d’arguments qui vont dans le sens d’un ajout postérieur et des chiffres marginaux, et de la table des légendes initiale. Celle-ci aurait eu pour fonction d’expliquer les images et, à travers elles, de clarifier, « de subdiviser et de catégoriser le texte ». Les conclusions de l’auteur rejoignent les propos de F. Avril recueillis par C. Rabel, L’illustration de l’Ovide moralisé dans les manuscrits français du xive siècle. Essai pour une étude iconographique, mémoire de maîtrise, Université Paris IV-Sorbonne, 1981, p. 39 : « Mr. Avril pense que cette dernière [la table des rubriques] a été rajoutée peut-être 10 à 15 ans après, comme une sorte de description des images. En effet, les rubriques énoncent plus concrètement leurs sujets que le passage du texte qui leur est tout proche. Elles montrent aussi que déjà peu de temps après l’exécution des images, soit leur compréhension n’était plus claire, soit était-ce de la négligence, une confusion de leurs sujets pouvait arriver : par exemple, la rubrique confond les deux histoires successives, mais tout à fait distinctes, d’Iphis et d’Orphée. »
9 Ce décalage a déjà été signalé par J.-R. Jung, « Ovide, texte, translateur et glose dans les manuscrits de l’Ovide moralisé », The Medieval Opus. Imitation, Rewriting, and Transmission in the French Tradition, éd. D. Kelly, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 1996, p. 75-98, ici p. 76-77 et n. 7. Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 30-31, se livre à un relevé extrêmement fin et précis du détail des décalages, qui s’élèvent parfois à deux unités. Nous observons pour notre part que les miniatures correspondant aux légendes n° 22 (livre I), 338 (livre X) et 411 (livre XIII) de la table liminaire n’ont pas été réalisées, tandis que celles qui, dans le corps du texte, portent les n° 267 (livre VIII, fol. 216r), 338 (livre XI, fol. 272r) et 443 (livre XIV, fol. 384r) sont surnuméraires par rapport aux données de la table. Les images manquantes et supplémentaires alternent et s’équilibrent, ce qui laisse supposer, de la part du concepteur du programme iconographique ou des artistes impliqués, un projet délibéré d’ajuster au bout du compte le total des deux séries.
10 Il faut y ajouter des mentions marginales latines de type incipit liber tertius, apposées par une main plus maladroite que celle du scribe, qui signalent le commencement d’un nouveau livre, mais qui ne sont vraisemblablement pas contemporaines de la copie du volume.
11 Les deux autres se glissent soit quelques vers après (livre XI, fol. 271r), soit quelques vers avant (livre XIV, fol. 351r) le début d’un livre.
12 Rappelons que, selon M. Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé. Essai d’interprétation, Paris, Champion, 2006, p. 336, « la technique allégorique la plus fréquente dans l’Ovide moralisé est en effet la juxtaposition de deux récits ayant chacun sa cohérence propre : après la traduction de la fable, avec sa cohérence narrative, l’auteur introduit un autre récit, le récit explicatif, en ménageant des équivalences épisode par épisode ». L’analyse la plus poussée de l’articulation entre fables et moralisations dans le livre XI est celle de M.-R. Jung, « Aspects de l’Ovide moralisé », Ovidius redivivus. Von Ovid zu Dante, éd. M. Picone et B. Zimmermann, Stuttgart, M. und P. Verlag für Wissenschaft und Forschung, 1994, p. 149-172, ici p. 155-162.
13 Pour l’analyse des constructions par alternance ou par dissociation entre les récits mythologiques et leur allégorèse dans l’Ovide moralisé, voir R. Blumenfeld-Kosinski, Reading Myth. Classical Mythology and its Interpretations in Medieval French Literature, Stanford, Stanford University Press, 1997, p. 110-112, ainsi que la remise en question qu’en propose Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé. Essai d’interprétation, p. 648-653. À la différence de R. Blumenfeld-Kosinski, M. Possamaï-Pérez observe que la tendance à séparer une série de légendes de la série des interprétations correspondantes, loin de se limiter aux livres X et XV, s’affirme également dans les livres VIII, et surtout XII et XIII.
14 Cette série narre successivement les amours de Jupiter et de Ganymède, puis de Phébus et d’Hyacinthe, la métamorphose des Cérastes en bœufs, l’histoire de Pygmalion et de sa descendance, celle de Cynaras aimé de sa fille Myrrha, celle d’Adonis, le fils né de leurs amours incestueuses, à son tour aimé de Vénus, la chaîne se concluant avec la course d’Atalante et d’Hyppomène.
15 Nous reprenons les conclusions de Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé. Essai d’interprétation, p. 651-652 et n. 2.
16 Les quinze livres de l’Ovide comportent entre dix-neuf (livre XIII) et cinquante-cinq images (livre IV) chacun, la moyenne se situant à trente images par livre. Le livre XV et dernier, doté de six miniatures seulement, fait exception, témoignant sans doute d’un certain essoufflement dans la production iconographique.
17 Voir Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé. Essai d’interprétation, p. 365-366.
18 Les références aux vers et les citations renvoient toutes à Ovide moralisé, éd. De Boer.
19 Il est probable que par le terme d’images « allégoriques », l’auteur désigne les images consacrées à des sujets religieux, laissant de côté les images inspirées des fables mais insérées dans un contexte explicatif. Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 17, en dénombre pour sa part cent vingt, au sein desquelles elle distingue les images « bibliques » (inspirées de l’Ancien ou du Nouveau Testament), les images « religieuses » (en rapport avec les pratiques chrétiennes) et les images « morales » (proprement allégoriques).
20 Selon Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », p. 169, « in the earliest manuscript at Rouen approximately ninety images, or almost one fifth of the manuscript, was devoted to allegorical imagery. The surviving miniatures from the Arsenal Ovide moralisé show a proportional lessening of enthusiasm for religious themes : about thirty or one tenth of the images are of a devout nature ». Reprenant ces analyses, R. Blumenfeld-Kosinski, « Illustrations et interprétations dans un manuscrit de l’Ovide moralisé (Arsenal ms. 5069) », Cahiers de recherches médiévales, 9, 2002, p. 71-82 (version en ligne, non paginée, sur le site des CRMH), souligne à son tour la baisse d’une copie à l’autre de la proportion des miniatures qui relèvent du niveau allégorique : tandis que le manuscrit de Rouen en compte encore 20 %, il n’en reste que 10 % dans celui de l’Arsenal (§3). L’auteur y ajoute que, parmi les trente images allégoriques ou morales de ce dernier exemplaire, une dizaine seulement reprend un sujet déjà traité dans le codex de Rouen (§17).
21 La critique s’accorde en effet à ne voir que deux miniatures à caractère religieux dans le manuscrit 742 de la Bibliothèque municipale de Lyon : celle de la Création (fol. 4r) et celle de la Tour de Babel (fol. 10r) ; voir les travaux de Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », p. 169 ; Jung, « Les éditions manuscrites de l’Ovide moralisé », p. 256-259, et « Ovide, texte, translateur et gloses dans les manuscrits de l’Ovide moralisé », p. 93, n. 49 ; Blumenfeld-Kosinski, « Illustrations et interprétations dans un manuscrit de l’Ovide moralisé », §3. Dans l’article que nous consacrons à l’analyse des illustrations du manuscrit de Lyon, J. Drobinsky, « La narration iconographique dans l’Ovide moralisé de Lyon (B. M. ms. 742) », Ovide métamorphosé. Les lecteurs médiévaux d’Ovide, éd. L. Harf-Lancner, L. Mathey-Maille et M. Szkilnik, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 1er tirage janvier 2009, p. 223-244 [article incomplet : manquent les notes et le tableau de l’annexe], 2e tirage juillet 2009, fascicule à part, p. 223-262 [version complète], p. 241-243, nous signalons la superposition d’éléments chrétiens et païens dans la représentation des dieux antiques, en l’occurrence dans la miniature au fol. 10v, qui montre Jupiter, entouré de sa cour, inscrit dans une mandorle et portant une tiare papale à triple couronne, symboles issus de l’iconographie chrétienne.
22 Exception faite, comme on l’a vu, des images liées aux « relais sensibles ».
23 La seule exception notable est celle de la séquence, formée de deux miniatures (les n° 351 et 352, fol. 285r), introduisant les deux niveaux d’interprétation qui éclairent l’histoire de la pomme de Discorde et du jugement de Pâris.
24 Deux miniatures sont consacrées à l’histoire de Ganymède, deux autres à celle de Hyacinthe, une aux Cérastes et encore deux à Pygmalion.
25 On trouvera la Crucifixion aux n° 51, fol. 48r, n° 233, fol. 186r, n° 291, fol. 237r, n° 329, fol. 261v, n° 341, fol. 274r et n° 378, fol. 307r ; l’Annonciation aux n° 40, fol. 35r, n° 145, fol. 119r, n° 226, fol. 179r, n° 273, fol. 227v, n° 356, fol. 288r ; la descente du Christ aux Enfers, représenté tirant un couple hors de la gueule d’Enfer aux n° 35, fol. 32v, n° 236, fol. 188v, n° 239, fol. 191r, n° 383, fol. 312v ; le Jugement dernier (le Christ surmonté de deux anges, entouré de deux saints et aux pieds duquel s’élèvent les âmes des ressuscités) aux n° 56, fol. 49v, n° 174, fol. 141r, n° 241, fol. 192r, n° 375, fol. 305v et n° 403, fol. 333r ; la chute des anges rebelles (des diables tombant du ciel dans la gueule d’Enfer) aux n° 46, fol. 41v, n° 185, fol. 154v, n° 256, fol. 209r ; n° 364, fol. 295v ; le péché originel (Adam et Ève de part et d’autre de l’arbre de la tentation) aux n° 231, fol. 183v, n° 257, fol. 209r, n° 351, fol. 285r et n° 412, fol. 340v ; et les figures d’Ecclesia et Synagoga aux n° 71, fol. 59r, n° 258, fol. 209v et n° 408, fol. 336v. Nos décomptes rejoignent ceux de Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 17 et annexe, p. 50-72.
26 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre XI, v. 2421-2533.
27 On trouvera l’exposé de cette allégorie dans Fabii Planciades Fulgentii V. C. Opera, éd. R. Helm, Leipsig, Teubner, 1898, p. 34-36 (Mitologiarum libri tres, Liber II, I, Fabula de judicio Paridis).
28 Cette image a été commentée par C. Lord, R. Blumenfeld-Kosinski et M. Ehrhart. Tandis que Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », p. 166, s’en sert pour mettre en évidence la parenté de contenu et les divergences de détail dans les manuscrits de Rouen et de l’Arsenal, Blumenfeld-Kosinski, « Illustrations et interprétations dans un manuscrit de l’Ovide moralisé », §10, souligne l’originalité de l’artiste de l’Ovide de Rouen donnant une apparence féminine à une figure de la vie spirituelle, habituellement masculine. M. Ehrhart, The Judgment of the Trojan Prince Paris in Medieval Literature, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1987, p. 23-27 et p. 224-226, pousse plus loin l’analyse, montrant que l’habit monacal et le livre prêtés à la figure de droite rejoignent davantage l’idéal de clergie prôné par Fulgence – dans le double sens de savoir et d’appartenance au monde clérical –, que la conception plus large défendue par l’auteur de l’Ovide, pour qui la vie contemplative, n’incluant pas nécessairement d’activité intellectuelle, doit être accessible à l’ensemble des chrétiens. Selon M. Ehrhart, cette surimpression du féminin et des symboles du savoir pour incarner la vie spirituelle peut résulter de la référence à Minerve.
29 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre X, v. 255-293. Les cinq fleuves sont ceux de l’oubli, de la haine (le Styx), de la tristesse, des larmes (le Cocyte) et de la colère.
30 La référence à Macrobe se trouve aux v. 255-257. Pour le texte original, on consultera Macrobius, éd. F. Eyssenhardt, Leipsig, Teubner, 1893, p. 525 (Commentariorum in Somnium Scipionis, Liber I, 10, l. 3-16). Dans sa géographie moralisée de l’Hadès, Macrobe énumère les fleuves infernaux avant de les assimiler aux passions humaines. Le passage est commenté par J. Chance, Medieval Mythography. From Roman North Africa to the School of Chartres, A. D. 433-177, Gainesville, University Press of Florida, 1994, p. 86-87.
31 Les étapes de la christianisation du mythe d’Orphée, ainsi que les principales traditions dans lesquelles s’inscrivent ses utilisations en contexte chrétien sont exposées par K. Heitmann, « Orpheus im Mittelalter », Archiv für Kulturgeschichte, 45, 1963, p. 253-294 et « Typen der Deformierung antiker Mythen im Mittelalter. Am Beispiel der Orpheussage », Romanistisches Jahrbuch, 19, 1963, p. 45-77 ; J. B. Friedman, Orpheus in the Middle Ages, Cambridge, Harvard University Press, 1970 [traduction française : Orphée au Moyen Âge, Paris, Cerf, 1999], ici chap. 3-4 ; E. Irwin, « The Songs of Orpheus and the New Song of Christ », Orpheus : the Metamorphoses of a Myth, éd. J. Warden, Toronto, University of Toronto Press, 1982, p. 51-62 ; P. Vicari, « Sparagmos : Orpheus among the Christians », Orpheus : the Metamorphoses of a Myth, éd. Warden, p. 63-83 ; et plus récemment M. Tabaglio, « La cristianizzazione del mito di Orfeo », Le metamorfosi di Orfeo, éd. A.-M. Babbi, Vérone, Fiorini, 1999, p. 65-82. Pour sa part, M. Zink, « Le poète désacralisé. Orphée médiéval et l’Ovide moralisé », Le metamorfosi di Orfeo, éd. Babbi, p. 15-27, considère que l’assimilation d’Orphée au Christ a été une « voie remarquablement peu suivie au Moyen Âge » (p. 19) et voit dans le livre X de l’Ovide moralisé une « audace qui pousse [l’auteur] à comparer Orphée au Christ, comparaison devant laquelle le Moyen Âge avait jusque-là presque complètement reculé » (p. 21).
32 Pour une comparaison des interprétations du mythe d’Orphée musicien chez Clément d’Alexandrie et Eusèbe de Césarée, on consultera J.-M. Roessli, « Convergence et divergence dans l’interprétation du mythe d’Orphée. De Clément d’Alexandrie à Eusèbe de Césarée », Revue de l’histoire des religions, 219, 2002, p. 503-513.
33 Pour l’exposé de la réflexion menée sur le couple Orphée et Eurydice chez les principaux mythographes médiévaux, voir J. Chance, Medieval Mythography, vol. I et II (From the School of Chartres to the Court at Avignon, 1177-1350, Gainesville, University Press of Florida, 2000), passim.
34 Pour l’étude des représentations d’Orphée-Christ dans l’art paléochrétien, voir les travaux de K. Goldammer, « Christus Orpheus. Der μουσικός ανήρ als unerkanntes Motiv in der ravennatischen Mosaikikonographie », Zeitschrift für Kirchengeschichte, 74, 1963, p. 217-243 ; Friedman, Orphée au Moyen Âge, chap. 3 ; H. Stern, « Orphée dans l’art paléochrétien », Cahiers archéologiques, 23, 1974, p. 1-16 ; S. C. Murray, « The Christian Orpheus », Cahiers archéologiques, 26, 1977, p. 19-27 et Rebirth and Afterlife : a Study of the Transmutation of Some Pagan Imagery in Early Christian Funerary Art, Oxford, B. A. R., 1981 ; P. Prigent, « Orphée dans l’iconographie chrétienne », Revue d’histoire et de philosophie religieuse, 64, 1984, p. 205-211 ; F. Bisconti, « Un Fenomeno di continuità iconografica : Orfeo citaredo, Davide salmista, Cristo Pastore, Adamo e gli animali », Augustinianum, 28, 1988, p. 429-436 ; ainsi que la synthèse proposée par M.-X. Garezou, « Orpheus », Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, Zurich-Munich, Artemis, vol. VII, 1, p. 104.
35 Friedman, Orphée au Moyen Âge, p. 53 et p. 94, fig. 5, voit dans la fresque d’Orphée du cimetière aux Deux Lauriers, à Rome (iiie siècle), le premier « portrait » d’Orphée-Christ.
36 Friedman, Orphée au Moyen Âge, p. 72.
37 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre XI, respectivement v. 138-161 et v. 287-302.
38 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre X, v. 2587-3008. Cette allégorie énumérative de la harpe a été abondamment commentée, notamment par Vicari, « Sparagmos », p. 71 ; Zink, « Le poète désacralisé », p. 25 et Possamaï-Pérez, L’Ovide moralisé. Essai d’interprétation, p. 339-341, qui propose un tableau des équivalences sur lesquelles se fonde l’allégorie.
39 Nous reprenons la démonstration de Vicari, « Sparagmos », p. 70-72, qui dresse la liste de tous les éléments du mythe d’Orphée qui ont été moralisés par l’auteur de l’Ovide.
40 Voir le décompte dans la n. 1 p. 126.
41 Jung, « Aspects de l’Ovide moralisé », p. 161.
42 Lord, « Three Manuscripts of the Ovide moralisé », p. 169.
43 Nos observations rejoignent celles de Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 17 : « la pertinence [du] choix [des sujets religieux] n’est pas toujours […] claire, et donne parfois l’impression qu’un thème a été pris un peu au hasard, juste pour signifier au lecteur le début des passages allégoriques. »
44 La séquence textuelle et iconographique consacrée aux amours d’Orphée fait l’objet d’un développement selon la perspective des « gender studies » dans M. Desmond et P. Sheingorn, Myth, Montage, and Visuality in Late Medieval Manuscript Culture. Christine de Pizan’s Epistre Othea, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2003, p. 101-108, mais sans approfondir l’analyse des choix de représentation.
45 Selon Friedman, Orphée au Moyen Âge, p. 10-11, le poète hellénistique Phanoclès, dans ses Amours (225 av. J.-C.), aurait été le premier à évoquer l’homosexualité d’Orphée et à en faire la cause de sa mise à mort.
46 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre X, v. 205-219. En réalité, l’auteur revient à trois reprises sur les tendances homosexuelles d’Orphée : d’abord à la fin de la première séquence narrative qui lui est consacrée au début du livre X (v. 179-195), puis au début de la première moralisation, de type historique, dont il s’agit ici, et enfin dans le passage de « relais sensibles » au début du second bloc de moralisations du même livre (v. 2519-2539). À chaque fois, le moraliste ne manque pas de se livrer à une attaque en bonne et due forme des amours masculines, jugées « contre nature » (livre X, v. 215 et v. 2524) et facteurs de la perdition des hommes qui s’y abandonnent (livre X, v. 211 et 2521-2523). Dans le dernier passage, il mobilise le répertoire des formules déjà mises à contribution pour condamner l’attachement d’Orphée à son épouse, usant avec une densité particulière de l’adjectif « fol ». Une lecture plus subtile de l’usage que fait le moraliste des amours masculines d’Orphée, et plus généralement des unions scandaleuses évoquées dans son œuvre, a été proposée par D. Hult, « Allégories de la sexualité dans l’Ovide moralisé », Lectures et usages d’Ovide, éd. Baumgartner, p. 53-70, ici § 30-34 dans la version en ligne. Sous le discours critique de surface, la sexualité « contre nature » du chantre se voit investie d’une valeur hautement positive, car analogique des mystères chrétiens les plus hauts : est également qualifiée de « contre nature » l’Incarnation du Christ, né d’une vierge sans géniteur humain. Selon D. Hult, « le dégoût que ressent notre auteur pour tout ce qui a trait au féminin, y compris la féminité de certains hommes, suggère que la jointure hétérosexuelle ne peut pas être une image adéquate pour l’Incarnation. Étant donné que le féminin est toujours suspect, qu’il est toujours associé au corps et non à l’esprit, à la chair et non à l’âme […], c’est un élément déjà imprégné de corruption. Par contre, l’Ovide moralisé semble vouloir étayer la thèse que tout ce qui est purement masculin, y compris ces relations sodomites qui sont par ailleurs indiscutablement condamnées, s’approche du divin » (« Allégories de la sexualité dans l’Ovide moralisé », §34).
47 On trouvera la citation du passage, sa traduction anglaise et son commentaire dans Chance, Medieval Mythography, vol. II, p. 78-81.
48 Conceptions exposées par Chance, Medieval Mythography, vol. II, p. 363-365. L’auteur désigne l’ouvrage de Bersuire comme un « handbook of masculine or virile Christianity (that is, a mirror of virile clerics) », p. 364.
49 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre X, v. 396-443.
50 Nous n’adhérons donc pas à la lecture de Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 26, selon qui la condamnation de l’homosexualité serait également rendue visuellement explicite dans la première de ces images (notre fig. 42), à travers le motif d’une lance pointant vers le postérieur du personnage masculin de gauche. Nous voyons dans cet élément une simple bavure de l’artisan qui a réalisé le fond de l’image, et qui n’est pas forcément le même que celui à qui l’on doit les figures principales. En effet, la prétendue lance s’ajuste parfaitement avec le quadrillage qui décore le fond. Ce premier réseau de lignes, de couleur bordeaux, orienté verticalement et horizontalement, est à son tour recouvert par un réseau de diagonales blanches. S’il s’agissait d’un motif faisant partie du sujet principal qui occupe le premier plan, le réseau de lignes blanches serait interrompu de part et d’autre de la lance hypothétique, au lieu de passer par-dessus.
51 Voir Blumenfeld-Kosinski, « Illustrations et interprétations dans un manuscrit de l’Ovide moralisé », §16 (version en ligne).
52 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre XI, v. 1099-1313.
53 Nous reprenons la catégorisation de F. Garnier, Le Langage de l’image au Moyen Âge. Signification et symbolique, Paris, Le Léopard d’or, 1982, p. 41.
54 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre XI, v. 1330-1334.
55 Lord, « A survey of imagery in medieval manuscripts of Ovid’s Metamorphoses », p. 257-261, passe en revue les rares manuscrits enluminés médiévaux des Métamorphoses d’Ovide antérieurs à l’Ovide moralisé (Naples, Biblioteca Nazionale, manuscrit F IV 3, datant de la fin du xie siècle, et Vatican, Bibliothèque apostolique, manuscrit Lat. 1596, réalisé au début du xiie siècle), pour souligner que leur décoration est trop éloignée de l’iconographie de l’Ovide pour avoir pu lui servir de modèles. L’étude la plus poussée des processus de mise en image des mythes antiques dans les manuscrits de l’Ovide reste à ce jour celle de Rabel, L’illustration de l’Ovide moralisé. La monographie de Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 11-29, s’intéresse aux « thèmes iconographiques » du manuscrit de Rouen, en s’inspirant beaucoup des travaux de C. Rabel, mais elle s’en tient à quelques généralités en ce qui concerne les représentations d’Orphée (p. 16).
56 Voir Rabel, L’illustration de l’Ovide moralisé, p. 52 et p. 190, n. 186.
57 Les contributions principales sont fournies par Friedman, Orphée au Moyen Âge, p. 185-233, où l’auteur s’intéresse principalement aux images d’Orphée-David dans les manuscrits des xe-xiiie siècles, puis aux effigies tardives du poète, notamment dans l’Épistre Othea de Christine de Pizan et dans les Ovide moralisé de Lyon et de Paris, BnF, fr. 871 ; et par Rabel, L’illustration de l’Ovide moralisé, p. 85-95, qui passe en revue le traitement de quatre figures mythologiques (Narcisse, Persée, Orphée et Pygmalion) dans les manuscrits de son corpus de l’Ovide.
58 Une synthèse des témoignages archéologiques d’Orphée et du couple formé avec Eurydice est présentée par Garezou, « Orpheus », p. 81-105 et G. Schwarz « Eurydike I », Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, vol. IV, 1, p. 98-100. Pour les études de l’iconographie orphique aux premiers siècles du christianisme, nous renvoyons aux travaux cités en n. 3 p. 130.
59 Pour une analyse des représentations d’Orphée à l’époque post-médiévale, on se reportera par exemple à G. Scavizzi, « The Myth of Orpheus in Italian Renaissance Art, 1400-1600 », Orpheus : the Metamorphoses of a Myth, éd. Warden, p. 111-162.
60 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. IV, livre X, v. 736-737.
61 Pour le catalogue des témoignages archéologiques, depuis le vie siècle av. J.-C. jusqu’au ve siècle de l’ère chrétienne, avec une synthèse des principales tendances iconographiques, on se reportera à Garezou, « Orpheus », p. 83-105.
62 Voir Garezou, « Orpheus », p. 88-90 et Schwarz « Eurydike I », p. 98-100.
63 Machaut évoque l’épisode d’Orphée aux Enfers dans le Confort d’Ami, éd. E. Hoepffner, Paris, Société des Anciens Textes Français, vol. III, 1921, v. 2277-2352 et dans le Dit de la Harpe, éd. K. Young, Essays in Honor of Albert Feuillerat, éd. H. M. Peyre, New Haven, Yale University Press, 1943, p. 1-20. Nous consacrons un article à l’iconographie de quelques figures antiques, notamment Orphée, dans les manuscrits de Machaut dans J. Drobinsky, « Des images sans mère ? Quelques exemples d’innovation iconographique dans les manuscrits de Machaut », Sens, Rhétorique et Musique. Mélanges offerts à Jacqueline Cerquiglini-Toulet par ses anciens élèves et collègues, éd. S. Albert, M. Demaules, E. Doudet, S. Lefèvre, Ch. Lucken et A. Sultan, Paris, Champion, à paraître en 2015.
64 Christine de Pizan glose deux facettes de la légende d’Orphée (Orphée musicien et Orphée aux Enfers) dans l’Épistre Othea, éd. G. Parussa, Genève, Droz, 1999, p. 293-294 et p. 297-299.
65 On retrouve ce type de schéma dans l’Ovide moralisé, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrit 5069, fol. 132v et Lyon, Bibliothèque municipale, manuscrit 742, fol. 166v ; l’Épistre Othea, Paris, BnF, fr. 606 (1406), fol. 32v ; Londres, British Library, codex Harley 4431 (1410-1415), fol. 126 ; Bruxelles, Bibliothèque royale, manuscrits 4373-4376, fol. 108v, et Lille, Bibliothèque municipale, manuscrit 391 (1460), fol. 65r ; le Confort d’Ami, Paris, BnF, fr. 1584 (vers 1370), fol. 144v, fr. 22545 (vers 1390), fol. 111r, et dans le Dit de la Harpe, Paris, BnF, fr. 1584, fol. 174r et fr. 22545, fol. 135r. Il est à noter cependant que dans tous ces cas, la gueule typiquement chrétienne du Léviathan a laissé la place à un passage plus profane, porte architecturale ou ouverture naturelle ; les diables, eux, restent présents pour en signifier la nature infernale.
66 On se reportera aux illustrations de l’Ovide moralisé, Lyon, Bibliothèque municipale, manuscrit 742, fol. 167r ; l’Épistre Othea, Paris, BnF, fr. 606 (1406), fol. 31v ; Bruxelles, Bibliothèque royale, manuscrits 4373-4376, fol. 106r et Lille, Bibliothèque municipale, manuscrit 391 (1460), fol. 68r.
67 Voir les miniatures de l’Ovide moralisé, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrit 5069, fol. 145r ; Lyon, Bibliothèque municipale, manuscrit 742, fol. 178v ; et celles du Confort d’Ami, Paris, BnF, fr. 584 (vers 1370), fol. 145r.
68 L’interprétation de Rabel, L’illustration de l’Ovide moralisé, p. 93-94 est reprise par Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 26 : l’illustrateur relaie l’auteur dans sa lecture négative du personnage d’Eurydice, chargée, en tant que femme donc pécheresse, de la responsabilité de l’échec, ce qui, par contrecoup, innocente son époux.
69 Ovide moralisé, éd. De Boer, vol. V, livre X, v. 396-443.
70 La représentation des métamorphoses dans les manuscrits de l’Ovide moralisé a fait l’objet de plusieurs études : Rabel, L’illustration de l’Ovide moralisé, p. 162-164 ; F. Clier-Colombani, « La transposition iconographique du surnaturel dans l’Ovide moralisé de Rouen », Traduction, transposition, adaptation au Moyen Âge, Bien Dire et Bien Aprandre, 14, 1996, p. 113-138, ici p. 122-129 ; Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 18-19. Dans ce dernier ouvrage, l’auteur répartit celles du codex de Rouen entre quatre modes de représentation : la transformation accomplie, celle en cours (donnant lieu à des hybrides), l’« enrobage » (les êtres humains transformés en éléments aquatiques sont comme enveloppés d’un nuage d’eau) et le « simultané multiple », qui réunit dans la même image plusieurs figures à des stades différents de leur transformation.
71 Il s’agit là de 12 % du corpus d’étude formé par les illustrations des livres X-XI. Kohli, L’Iconographie d’un manuscrit de l’Ovide moralisé, p. 18, dénombre cinquante-cinq images de métamorphoses dans l’ensemble du manuscrit de Rouen.
72 Il est difficile de déterminer la raison d’une telle ampleur. Même si elle se trouve à peu près au milieu du manuscrit (fol. 258r sur 492 folios ; le milieu exact étant le fol. 246r), l’image ne marque pas le milieu du texte de l’Ovide moralisé (v. 1900 sur 7548 vers). Certes la moralisation fait de Myrrha, amoureuse de son père, une préfiguration de l’amour de la Vierge pour Dieu. Mais cette correspondance n’est-elle pas répétée à l’envi pour toute une galerie d’autres païennes ? Peut-être l’artiste a-t-il simplement voulu disposer d’un espace plus grand pour rendre compte à la fois du mouvement de fuite et du processus de métamorphose.
73 La représentation de dieux en plein vol reste rare : on n’en compte que cinq occurrences environ dans tout le manuscrit, dont deux pour Persée délivrant Andromède au livre IV, fol. 128r et 129r.
74 Rabel, L’illustration de l’Ovide moralisé, a été la première à noter ce détail.
75 M. Camille, The Gothic Idol : Ideology and Image-Making in Medieval Art, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, analyse le traitement des dieux païens dans l’iconographie médiévale.
76 On mesurera le changement de perspective opéré dans le cycle de Céyx et Alcyone qui illustre la Fonteinne amoureuse de Guillaume de Machaut dans les manuscrits Paris, BnF, fr. 1584 (vers 1370), fr. 22545 (vers 1390), New York, Pierpont Morgan Library, manuscrit M 396 (vers 1425-1430) et Cambridge, Corpus Christi College, Parker Library, Ferrell manuscrit 1 (ex-manuscrit Vogüé, vers 1370) : d’esprit courtois et donc favorables aux dieux antiques, les images constitutives de ce cycle ne manquent pas de montrer tous ceux qui interviennent dans la chaine des relais entre Alcyone et Morphée.
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Référence papier
Julia Drobinsky, « Le cycle d’Orphée (livres X-XI) dans l’Ovide moralisé de Rouen (B. M. MS. O.4) », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 30 | 2015, 117-147.
Référence électronique
Julia Drobinsky, « Le cycle d’Orphée (livres X-XI) dans l’Ovide moralisé de Rouen (B. M. MS. O.4) », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 30 | 2015, mis en ligne le 24 février 2019, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13886 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13886
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