Le Theatre des bons engins de Guillaume de La Perrière
Résumés
Composé par Guillaume de La Perrière pour Marguerite de Navarre en 1535, le Théâtre des Bons Engins constitue une œuvre singulière. Théâtre philosophique de la vie humaine inspiré par le stoïcisme, il fait écho à une actualité intellectuelle, politique, et religieuse brûlante : celle de la réhabilitation des œuvres de Sénèque par Calvin, au moment même où l’évangélisme prôné par la souveraine de Navarre est mis en échec par la politique menée par François Ier au lendemain de l’affaire des Placards.
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- 1 Voir la bibliographie non exhaustive de 167 titres donnée par L. van Delft, « L’idée de théâtre (XV (...)
- 2 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, auquel sont contenus cent emblemes, Paris, Denis Jan (...)
- 3 Sur la définition du genre voir notamment L’emblème à la Renaissance, éd. Y. Giraud, Paris, Société (...)
- 4 Voir sur l’œuvre notamment I. Bergal, « Discursive strategies in early French emblem books », Emble (...)
- 5 G. Cohen, Études d’histoire du théâtre en France au Moyen Âge et à la Renaissance, Paris, Gallimard (...)
- 6 S. Chaouche, « Problématique du théâtral », Le théâtral de la France d’Ancien Régime. De la représe (...)
- 7 Notamment L. Desgraves et J. Megret, Répertoire des livres imprimés à Toulouse au XVIe siècle, 20e (...)
- 8 M. Magnien, « Approches humanistes de la satire régulière : hésitations et réticences », La satire (...)
- 9 La Croix Du Maine, Du Verdier, Les bibliothèques françoises […]. Nouvelle édition, revue, corrigée (...)
1Si, du XVIe au XVIIe siècle, l’idée de théâtre a donné lieu à une foule d’imprimés1, c’est au Theatre des bons engins de Guillaume de La Perrière d’ouvrir le bal2. La chose peut aujourd’hui étonner. Premier ouvrage d’emblèmes français, associant selon les canons du genre de petites pièces épigrammatiques à des gravures3, le Theatre des Bons Engins s’avère en effet bien différent des œuvres que nous avons l’habitude de considérer comme relevant du théâtre4. Pourtant, dans la décennie 1530, celles-ci se montraient extrêmement diversifiées, tenant tout aussi bien des mystères médiévaux que des tragédies et des comédies antiques que les humanistes s’efforçaient de traduire et déjà d’imiter5. Et, dans la société du temps, la théâtralité prenait des formes mouvantes, donnant lieu à des propositions diverses dont nous peinons encore à imaginer les contours6. L’œuvre de La Perrière en constitue une illustration de poids. L’humaniste n’ignore de fait ni les formes traditionnellement associées au théâtre ni les enjeux qui peuvent être liés à la théâtralité. Plusieurs ouvrages malheureusement perdus auraient pu en attester avec une acuité toute particulière. L’invective satiricque […] Contre les suspects monopoles de plusieurs crimineulx satellites : et gens de vie reprouvée7 était probablement une forme de sotie, un texte dramatique, en vers, susceptible d’être joué sur scène, « avatar confus du drame satyrique grec8 ». Le Dialogue moral de la lettre qui occit et de l’esprit qui vivifie ; interlocuteurs Engins : humains, Franc Vouloir, Bon Conseil, Glose confuse […], constituait quant à lui l’une des rares pièces produites par la Renaissance toulousaine9. Particulièrement sensible, comme le révèlent ces titres, aux potentialités dramatiques, philosophiques, voire polémiques du théâtre, La Perrière fait par ailleurs de ces dernières un usage intensif dans son Theatre des Bons Engins. Ce titre n’a certes pas été choisi au hasard. Recueil d’emblèmes particulièrement raffiné, auquel un dispositif textuel soigneusement pensé confère une singulière théâtralité, l’œuvre est l’occasion d’une véritable mise en scène de la vie humaine, qui se présente comme un authentique théâtre philosophique, et la sagesse spéculative inspirée par le stoïcisme qu’elle tend à promouvoir, à l’attention première de Marguerite de Navarre, fait écho à une actualité intellectuelle, religieuse et politique brûlante.
Le Theatre des bons engins, l’emblématique comme théâtre philosophique de la vie humaine
- 10 Voir supra, note 2, p. 271.
2Pour l’histoire de l’emblématique, le Theatre des bons engins reste un ouvrage exceptionnel : premier ouvrage d’emblèmes composé et publié après celui d’Alciat, premier ouvrage d’emblèmes français, il connaît une singulière fortune sous l’Ancien Régime, étant réédité un nombre incalculable de fois10. Il suffit d’ouvrir l’un des précieux exemplaires qui nous ont été conservés pour le constater : au plan esthétique, ses emblèmes offrent un tableau d’une homogénéité remarquable, et l’intérêt qu’ils présentent aux plans littéraires, philosophiques et politiques, reste encore à préciser.
- 11 Ce sont les éditions Wechel qui ont lancé, à partir de 1534, la vogue de ce dispositif matériel, qu (...)
- 12 Voir infra notamment note 1, p. 282.
- 13 J. -M. Châtelain, Livres d’emblèmes et de devises, p. 75.
3Dès la première édition donnée par Denis Janot, les gravures occupent la totalité de l’espace offert par les pages de gauche, précieusement encadrées dans d’élégantes bordures à l’antique ; les dizains décasyllabiques qui leur répondent, tout aussi soigneusement encadrés, remplissent l’espace correspondant sur les pages de droite. Rare dans les ouvrages d’emblèmes11, ce dispositif permet de saisir chaque emblème dans sa globalité, sans égard pour ce qui est en deçà ou en delà de la page. Le lecteur peut ouvrir l’œuvre à n’importe quelle page, il découvre un diptyque qu’il embrasse d’un seul regard. Même si la relation entre les textes et les images n’est pas toujours des plus pertinentes12, l’harmonie qui résulte de l’association des textes et des illustrations s’affiche avec force, et « le caractère monumental de l’encadrement transforme la lecture en une cérémonie dont les lenteurs sont propres à inviter le lecteur à méditer et imprimer dans sa mémoire la gravité morale des sujets qui lui sont présentés13 ».
- 14 L’hypothèse selon laquelle La Perrière aurait lui-même effectué les dessins de ces emblèmes, au moi (...)
- 15 Le rôle du maître dans l’illustration de ses emblèmes reste éminemment controversé. Il est traditio (...)
- 16 Sur ce lien entre emblématique et hiéroglyphes, G. Cazals, « Les juristes et la naissance de l’embl (...)
4Cette harmonie n’est pas seulement le fruit d’une habile politique éditoriale. En s’attelant à la composition de cet ouvrage, La Perrière a, manifestement, pensé conjointement et peut-être composé simultanément les dizains et les illustrations correspondantes14. Quand certains auteurs d’emblèmes, à commencer peut-être par Alciat, pouvaient considérer les illustrations comme secondaires15, lui les juge primordiales. Inscrivant ce Theatre dans la lignée de la tradition hiéroglyphique, « par figures et ymages », sur laquelle il a consulté les travaux de Chérémon, Horapollon « et leurs semblables16 », Lucain (la Pharsale ), le Songe de Poliphile, Caelius Rhodiginus sans oublier, bien sûr, Alciat, ayant « redigez certains emblemes et illustrez de vers latins », il l’affirme en effet :
- 18 Selon les théories humanistes de la peinture, la tâche de l’artiste se divise en plusieurs parties (...)
5Cette phrase, qui reste d’interprétation délicate, semble signifier que La Perrière a pu non seulement composer les textes mais aussi penser l’histoire à représenter, réfléchir à l’esquisse du tableau, voire contribuer lui-même à cette dernière18. Et l’hypothèse d’un rôle actif dans la composition des illustrations qu’elle suggère est confirmée par le fait qu’il assure ailleurs avoir voulu, dès l’origine,
- 19 G. de La Perrière, « Epistre », fol. [A iiiv-A iiii].
preparer, lymer, et parachever cent emblesmes moraulx, accompaignez de cent dixains uniformes, declaratifz et illustratifz d’iceulx19.
- 20 Ibid., fol. [A iiii] : « lesquelz des leur invention et commencement sont à vous seule tresillustre (...)
- 21 G. Cazals, Guillaume de La Perrière, 2003, vol. 1, p. 124 sq. ; G. Cazals, Guillaume de La Perrière(...)
- 22 D. Janot, « A monsieur le prevost de Paris ou son lieutenant civil », dans G. de La Perrière, Theat (...)
6Cette fois en effet le doute n’est pas permis : c’est non seulement à l’égard des dizains mais aussi à l’égard des illustrations qu’il assure être allé au-delà d’un travail préparatoire, ayant voulu finaliser le tout lui-même, ce qui inclut nécessairement qu’il se soit également investi dans la facture des dessins. Un tel travail peut expliquer le temps qui fut nécessaire à la finalisation de la centurie d’emblèmes à la composition de laquelle il dit s’être attelé à la seule intention de Marguerite de Navarre20, dont la venue à Toulouse est annoncée début mars 153521. Bien que l’entrée de la souveraine ait été retardée, n’intervenant qu’au début du mois de juillet suivant, il n’a finalement que cinquante pièces à lui présenter. L’accueil très chaleureux que sa destinataire leur réserve incite cependant l’auteur à s’affairer jusqu’en 1536 pour en porter le nombre jusqu’à cent. L’œuvre reste par la suite plusieurs années inédite : ce n’est qu’en 1540 que la première édition sort des presses parisiennes de Denis Janot. Entre temps, les dessins ornant le manuscrit originel ont pu être confiés aux artistes capables de graver les bois destinés à l’imprimé. Et Janot dépense manifestement une belle somme d’argent pour la facture de ces bois créés tout exprès, et que pourtant il ne réutilisera pas22.
- 23 « L’emblème, c’est fait par un comité ! », affirme D. Russel. Cité par A. Adams, « La conception et (...)
- 24 Outre le Theatre des Bons Engins, furent également illustrés les Annalles de Foix, les Cent Considé (...)
- 25 Tel est encore le cas des Annalles de Foix, dont la nature historiographique a priori n’appelait pa (...)
- 26 L’invention des « arbres » et des « portraits », arborescences et illustrations du Miroir politicqu (...)
- 27 G. Cazals, Guillaume de La Perrière, 2003, p. 59 sq. ; à paraître.
- 28 Ibid., p. 88 sq. ; à paraître.
- 29 Voir supra note 2, p. 277.
- 30 Voir simultanément l’emblème du Theatre des bons engins figurant un peintre (XV) et le portrait des (...)
- 31 Sur ce motif classique tiré de l’Art poétique d’Horace (v. 361), voir notamment R. J. Clements, Pic (...)
7S’il faut considérer le fait que, de manière générale, les livres d’emblèmes sont le fruit d’une collaboration incluant nécessairement l’inventeur des textes (souvent considéré comme l’auteur) et un illustrateur, sans compter encore les graveurs, éditeurs, imprimeurs et typographes, il faut aussi reconnaître qu’il existe à cet état de fait un certain nombre d’exceptions, en particulier pour les ouvrages manuscrits23. Le Theatre des bons engins pourrait bien en constituer une. Qui connaît bien les œuvres et la vie de son auteur ne saurait s’en étonner. Même lorsque le sujet a priori ne s’y prête pas, la plupart des ouvrages de La Perrière en effet sont remarquablement illustrés24, souvent par des bois uniques, qui ne seront jamais réemployés25, et selon des schémas dont l’emblématiste revendique parfois très explicitement la paternité26. Ces goûts et ces talents d’ailleurs étaient manifestement connus. En 1533, en prévision de l’entrée royale de François Ier à Toulouse, les capitouls l’embauchent pour contribuer à la mise en place des décors, arcs de triomphes, feintes, statues et peintures, tableaux vivants qui doivent rythmer le parcours du roi, comme très vraisemblablement pour l’invention de la médaille ornée qui doit lui être offerte27. En 1535, lors de l’entrée des souverains de Navarre, ils le chargent d’imaginer les modèles des médailles précieuses qui sont offertes aux souverains28. En se consacrant, à cette même occasion, à la composition d’une centurie d’emblèmes, La Perrière ne fait finalement que pousser plus avant un travail qu’il mène depuis plusieurs années et qu’il continuera jusqu’à sa mort, notamment dans le Miroir Politicque29, un travail qui porte non seulement sur le texte, mais aussi sur l’image. Ce n’est probablement pas sans raison que les portraits que l’on a de lui présentent d’étranges similitudes avec les représentations d’artistes au travail que contiennent ses livres d’emblèmes30. Peut-être y a-t-il là, certes, l’évocation théorique du motif horacien ut pictura poesis31. Mais pourquoi s’interdire d’y voir l’autoportrait d’un poète qui pouvait aussi avoir quelques authentiques talents d’artiste ?
- 32 G. Cazals, « Les juristes et la naissance de l’emblématique », notamment p. 58-60.
- 33 Les livrets d’entrée solennels se multiplient dans les années 1530, souvent après la cérémonie de l (...)
- 34 C. Balavoine, « Le Theatre des bons engins », p. 304.
- 35 Contrairement à ce que semble croire C. Balavoine, Ibid., p. 305. Mais aucun acte des archives muni (...)
- 36 « Remplissage » dont La Perrière serait coutumier et qu’illustrerait par ailleurs l’insertion, dans (...)
- 37 C. Balavoine, Ibid., p. 304.
- 38 Sur les modifications intervenues entre les différentes éditions, voir les travaux de S. Rawles cit (...)
- 39 Et ceci d’autant plus qu’est saisissante la ressemblance entre certains emblèmes et les tableaux vi (...)
- 40 Ces techniques se complexifient à la Renaissance, l’Italie opérant la révolution scénographique qui (...)
- 41 Sur laquelle voir entre autres travaux E. R. Curtius, La littérature européenne et le Moyen Âge lat (...)
- 42 L. van Delft, « L’idée de théâtre », p. 1350. Le terme médiéval de theatrum désignait l’étal du mar (...)
- 43 M. de Montaigne, Essais, III, 9, « De la vanité », éd. Villey et Saulnier, Paris, PUF, 1965, p. 994
- 44 Sur la théorie humaniste selon laquelle, pour la peinture comme pour la poésie, « l’homme était l’o (...)
8Si le Theatre des bons engins s’inscrit, comme du reste d’autres ouvrages d’emblèmes, dans la continuité de traditions ornementales liées à l’usage des devises, notamment dans le cadre d’entrées royales32, il ne saurait être réduit à cela et regardé comme une simple « entrée de papier33 », un substitut au langage symbolique d’une entrée, « co-inventé » par les capitouls et La Perrière pour suppléer d’éventuelles constructions décoratives lors de la venue des souverains de Navarre à Toulouse34. L’absence de ces dernières ne semble nullement en effet inquiéter les magistrats municipaux, qui ne se soucient manifestement pas de pallier la « relative pauvreté de la célébration35 ». Et si l’humaniste reprend dans son recueil certains emblèmes politiques peut-être précédemment utilisés pour l’entrée de François Ier, il le fait selon toute vraisemblance de sa propre initiative, parce que ces emblèmes peuvent s’inscrire dans le cadre du projet qu’il nourrit en 1535 et qu’il poursuit par la suite plusieurs années durant. Loin d’être une farrago, ayant donné lieu de la part de l’auteur à un vulgaire « remplissage36 », peut-être à la demande de l’éditeur, un « avatar éditorial » d’une version originelle disparue37, le Theatre des bons engins publié en 1540 apparaît bel et bien comme un projet abouti, mené à son terme et parachevé selon le bon vouloir d’un auteur qui prend encore le soin d’en revoir plusieurs fois le texte à la faveur des rééditions et retirages faits par Denis Janot puis ensuite par Jean de Tournes38. Son titre du reste le suggère : rappelant les dispositifs scéniques utilisés lors des entrées, le théâtre évoquant l’échafaud ou l’estrade sur lesquels se trouvaient mis en scène les tableaux vivants39 comme l’engin figurant l’artefact qui se développe à la Renaissance40, c’est aussi à la métaphore du theatrum mundi41 qu’il renvoie, promettant le traitement complet d’un thème, des perspectives d’ordre encyclopédique tendant au dénombrement, à l’inventaire et à l’indexation42. Placée sous les auspices de Janus, dont Alciat avait fait un modèle de prudence, la centurie tient tout à la fois de la philosophie et de la poésie, de l’histoire et de la fable, des connaissances anciennes et des modernes, de celles du collège et de celles du monde. N’ayant pas cherché à former un ensemble d’axiomes coordonné, La Perrière y aborde des thèmes pour le moins variés, pêle-mêle, en accord avec les usages du temps qui se plaisent à aller, comme devait l’évoquer Montaigne, « à sauts et à gambades43 ». Comme dans les coqs-à-l’âne marotiques, cette diversité surprend le lecteur tout en servant la portée morale et satirique des pièces. Et, au-delà d’un apparent désordre ou éparpillement qui peut aujourd’hui déplaire à nos esprits cartésiens, l’ensemble peut être ramené à un sujet unique, éminemment cher à l’humanisme : l’Homme, qui se trouve là analysé sous bien des aspects, peint dans son intériorité, par l’analyse critique des vices et des vertus, comme dans les manifestations extérieures de sa sociabilité44.
- 45 L. van Delft, « L’idée de théâtre », p. 1350.
- 46 Comme le rappelle L. van Delft, « L’idée de théâtre », p. 1352-1353.
- 47 V. Stiénon, « Filer la métaphore dramaturgique. Efficacité et limites conceptuelles du théâtre de l (...)
- 48 Tels le peintre (XV), l’oiseleur (LIIII) ou le praticien (LXVI).
- 49 Tels le jeu de balle (V), le jeu de paume (XLI) ou le jeu de cartes (LXXVI).
- 50 L’homme s’y trouve représenté rasant un lion (III), faisant fuir des mouches (IIII), attisant le fe (...)
- 51 L’idée est en permanence sous-jacente, et les termes d’« homme » et ou d’humains, omniprésents.
9Dans la perspective qui était celle des théâtres anciens, mais avec une force décuplée par le type emblématique comme par les qualités esthétiques qui sont les siennes, l’œuvre donne à voir ce que la somme de Theodor Zwinger nomme le « theatre de la vie humaine45 ». Permettant une approche du corps en situation, les vignettes livrent au regard (theaomai, regarder46) un spectacle des plus vivants, et des plus parlants. Leur solennel encadrement circonscrit et souligne, en le dramatisant, le sens qui est donné à une série d’épisodes de vie particuliers47. Il y est tantôt question d’activités ayant un rapport clair avec la vie réelle, de situations relevant de fonctions professionnelles48 ou de passe-temps ludiques49, tantôt d’images allégoriques qui évoquent les méandres de la vie humaine50. Sous le masque de la fable, sous celui de l’allégorie, à l’aide d’un impressionnant bestiaire et d’un intéressant répertoire végétal, la grande question posée reste celle de l’humanité51.
- 52 Voir Aristote, La poétique, éd. R. Dupont-Roc, J. Lallot, Paris, Le Seuil, 1980, notamment 1448b4. (...)
- 53 Tels l’ adulescens, le senex, le parasitus, le servus, l’ uxor, la mulier . F. Dupont, P. Letessier (...)
- 54 La vision de l’homme terrassé par le chagrin ou la colère peut ainsi saisir le lecteur quel que soi (...)
- 55 Comme l’écrivait Philostrate au sujet de Théophraste décrivant des tableaux : il « entend parler » (...)
10Dans la tradition de la Poétique, dont une nouvelle édition paraissait justement en 1536, le théâtre est ici « imitation » (mimesis) des « hommes en action », « au moyen d’une action », et non d’un récit, via l’utilisation d’un outil qui n’est pas exclusivement textuel mais se trouve également constitué de signes et d’images, comme le préconisait aussi Aristote52. L’évocation de personnages mythologiques, allégoriques ou historiques y reste rare, La Perrière privilégiant la représentation de figures neutres qui, possiblement venues de la tragédie53, font appel à une codification gestuelle connue de tous, commune à la rhétorique et aux arts plastiques. Suivant une rhétorique de l’évidence et de l’exhibition chère à la tradition romaine, laquelle assignait au visible une efficacité plus grande qu’à la parole, il frappe ainsi directement l’imagination du spectateur, le persuade en lui faisant partager un sentiment, non en cherchant à le convaincre de la vérité d’un énoncé par une argumentation54. Pour ainsi dire, il fait parler les figures peintes55.
- 56 Même si, aux yeux de certains, l’adéquation entre les illustrations et les textes ne va pas sans lo (...)
- 57 Voir la citation citée supra, note 4, p. 274.
- 58 Les références savantes restent rares dans le texte puisque seuls sept emblèmes se réfèrent explici (...)
- 59 G. de La Perrière, « Au lecteur Huitain », fol. [O iiiir ] ; « Epistre », fol. [A iiiiir].
- 60 Voir sur ces problématiques les lignes de G. Venet, Temps et vision tragique. Shakespeare et ses co (...)
11S’articulant autour d’une structure bipartite, dans la tradition épigrammatique antique, les dizains bien souvent évoquent les thèmes représentés par les gravures avant d’en découvrir la signification morale56. Manifestement, l’image ici n’est pas une illustration du texte. C’est au contraire le texte qui vient l’éclairer, jouant le rôle « déclaratif et illustratif » annoncé par La Perrière57, pour en restituer utilement le sens à l’aide, éventuellement, de quelques références savantes58. Par-delà le plaisir esthétique procuré par les emblèmes, l’ambition de l’œuvre est de procurer un « esbatement », une « intellectuelle recreation59 ». Transformé en spectateur par la contemplation des gravures, invité à en méditer la signification profonde par les dizains, le lecteur est appelé à prendre de la hauteur, comme dans un théâtre ou amphithéâtre à l’antique. Le caractère figé de l’image permet comme une distanciation entre l’action représentée, le « tumulte temporel de la fiction tragique », et le temps de la réflexion et de la méditation60 auquel invite la lecture des dizains. Mais, comme l’indiquent clairement les emblèmes, qui ne cessent d’interpeler le lecteur, « chacun » est invité à devenir acteur de ce théâtre pour prendre la vie à bras-le-corps, et suivre les leçons de prudence qui lui sont ici prodiguées.
- 61 G. Navaud, Persona. Le théâtre comme métaphore théorique de Socrate à Shakespeare, Genève, Droz, 20 (...)
12La tâche de la philosophie spéculative étant de définir l’homme tel qu’il devrait être, les figures du sage ou de l’honnête homme, le modèle « surhumain » du personnage tragique, voire la personne du roi sont donnés en modèle61. Tel est le cas dès le premier emblème de la centurie, qui figure Janus, dieu des commencements et des fins, des choix, des clés et des portes :
- 62 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème I.
Le dieu Janus jadis à deux visages
Noz anciens ont pourtraict, et trassé,
Pour démonstrer que l’advis des gens sages,
Vise au futur aussi bien qu’au passé .
Tout temps doibt estre en effect compassé,
Et du passé avoir la recordance,
Pour au futur preveoir en providence,
Suyvant vertu en toute qualité .
Qui le fera verra par evidence,
Qu’il pourra vivre en grand’tranquilité62.
- 63 Celle de François Ier à Toulouse en 1533 selon C. Balavoine, « Le Theatre des Bons Engins », p. 309
13Au-delà d’un éventuel renvoi à la symbolique d’une entrée royale63, Janus sert ici de prétexte au développement d’un thème des plus classiques de la philosophie antique. Cher à l’humanisme, celui-ci s’avère des plus opportuns pour ouvrir un ouvrage d’emblèmes discrètement nourri par la philosophie antique, et dont l’objectif est de promouvoir une prudence pratique capable de guider tout un chacun sur le chemin de la sagesse. Presque à chaque page, sont dénoncées les innombrables et constantes difficultés de la vie humaine. Nul épicurisme ou hédonisme ici. Inspiré par Sénèque, La Perrière l’écrit à Marguerite de Navarre :
- 64 G. de La Perrière, « Epistre », fol. [A iiiv]. Voir également les emblèmes XXX et LVII.
fortune n’est jamais en repos, et d’advantage, […] elle n’est coustumiere de donner ioye sans tristesse, doulceur sans amertume, repos sans travail, renommée sans envie, et generalement aulcune felicité sans infortune […]64.
- 65 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, XLVII.
- 66 Ibid., XVI, XVIII, XXXVII, LXXVII, XCIII, XCVI.
- 67 Ibid., XI, XIIII, XXXI.
- 68 Ibid., XX, XXVIII.
- 69 Ibid., XIII, XVII, XXIX, XXX, XIX, XXIIII, XLVI, LXIX, XCVIII.
- 70 Voir infra.
- 71 Ibid., III, XLII, XLV, LIIII, LVIII, LXX, LXXIII, XCIIII.
14Les emblèmes n’ont de cesse que d’illustrer cette idée. De la naissance à la tombe, la vie constitue un parcours semé d’embuches, qu’il convient de suivre sans trop s’illusionner sur les quelques douceurs qu’il procure : l’amour bien souvent s’avère nocif, non seulement parfois à l’égard des enfants65 mais aussi bien sûr à l’endroit des femmes, dont La Perrière véhicule comme Alciat, et comme bien des hommes de leur temps, une image extrêmement négative66 ; l’amitié est soumise à rude épreuve67 et les aléas de la fortune sont nombreux68. Quant à la science, il s’agit d’une maîtresse exigeante, tout aussi insatisfaite qu’insatisfaisante, et ce d’autant plus que le statut et la place des savants dans la société restent éminemment problématiques69. Contribution aux réflexions contemporaines portant sur la nature de la science, l’œuvre débouche ainsi sur une analyse de la place des savants dans la société contemporaine, et sur la critique de cette dernière. En revisitant la tradition médiévale des miroirs des princes70, et en glissant, au passage, de très amères et récurrentes remarques sur la société de cour, les flatteurs et les princes qui les écoutent71.
- 72 F. Dupont, Les monstres de Sénèque, p. 55-56.
- 73 G. de La Perrière, Ibid., XXXVIII.
- 74 Comme il l’est chez Boiastuau, Theatre du Monde (1558), éd. M. Simonin, Paris, Droz, 1981 ; C. Andr (...)
- 75 Les emblèmes démontrent, remontrent ou font « notable demonstrance » (I, XVIII, XVIIII, XXV, XXVII) (...)
- 76 Comme dans de nombreux théâtres. S. Bastien, « La métaphore théâtrale pour penser la vie », Que peu (...)
- 77 E. R. Curtius, La littérature européenne, p. 241. C’était le cas de l’œuvre de Jean Bodin : J. Bodi (...)
- 78 G. Navaud, Persona, p. 491.
- 79 E. R. Curtius, La littérature européenne, p. 241. Dans la tragédie antique les notions de sujet et (...)
15Le Theatre des Bons Engins cependant n’est pas une tragédie. L’homme n’y est jamais stigmatisé comme un furieux, et les notions clés que sont le dolor, le furor et le nefas, autours desquelles s’organise le récit dans le théâtre antique72, en sont presque absentes. Pour être omniprésents, le chagrin et le malheur ne détruisent pas tout. L’homme ne saurait se résigner, ou rester en deuil73. Il n’est pas enfermé dans la vision tragique de la condition humaine que véhiculait le pessimisme augustinien74. Et le vice n’est mis là en avant, en définitive, que pour mieux être évité. Certes, la plupart des emblèmes se concluent par l’affirmation d’une vérité péremptoire, d’une règle inéluctable et souvent sévère, à laquelle nul ne peut échapper75. Ils supposent une certaine transcendance, les lois s’imposant à des hommes qui n’y peuvent rien faire, ou presque76. Mais La Perrière n’en profite pas pour célébrer les « causes efficientes et finales de toutes choses », la toute puissance d’un Créateur77. Éludant des thèmes religieux que l’actualité rendait trop sensibles, il évite d’ailleurs les référents appartenant à la sphère chrétienne et biblique. Mettant en garde contre la plupart des péchés capitaux définis par le catholicisme, il n’emploie pas le terme, trop connoté. Au contraire d’un théâtre chrétien, théocentrique et focalisé sur la métaphysique, son Theatre est ainsi un théâtre païen, anthropocentrique et par conséquent focalisé sur l’éthique78. L’homme ne s’y trouve pas écartelé entre le Bien et le Mal, le salut et la damnation, mais entre la folie et la vertu, identifiée à la raison. Ce sont ses désirs, sa volonté, ses choix, ses refus et ses erreurs qui se retrouvent de ce fait au premier plan. À l’instar d’un héros de théâtre, confronté aux décisions à prendre, l’homme y « est le sujet dans le caractère duquel s’enracine la décision tragique, enfermé dans la sublime solitude de la morale79 ».
- 80 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème XXVIII : « Jeu de fortune est tant impetueul (...)
- 81 F. Farago, Les grands courants de la pensée antique, Paris, A. Colin, 1998, p. 77.
- 82 Ibid., p. 75.
- 83 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème XXX.
- 84 Ibid., XXIIII, XLVIII, LVI, notamment.
- 85 Ibid., LXXXIII.
- 86 Ibid., LII.
- 87 Ibid., LXVII : « L’homme constant est semblable à l’enclume,/Qui des marteaulx ne crainct la violen (...)
- 88 Ibid., XLIII : « Contre le vent et la grande tempeste/La main de l’homme a valeur et puissance […] (...)
- 89 Ibid., XXXXIII : « Vertu de bras fait voguer la gallée,/Malgré des vents, ses forces, & renforts. / (...)
- 90 Ibid., I.
16Aussi la leçon primordiale qui semble pouvoir être tirée de l’œuvre est d’apprendre à lutter avec constance contre les différents obstacles qui jalonnent une vie, en développant une forme d’indifférence à l’égard de la fortune80. En se rangeant à la récursivité immanente et en la faisant sienne, l’homme parviendra à une sorte d’ apatheia correspondant à une forme de liberté, à l’opposé de tout ce qu’il subit passivement, contre ou en dehors de sa volonté81. À la suite d’Héraclite, et à la manière des stoïciens, La Perrière affirme une corrélation des contraires aboutissant à reconnaître, finalement, que les choses mauvaises peuvent potentiellement devenir source de bien82. « Apres douleur, on ha plaisir83 ». À condition cependant de prendre en main son destin. Et de respecter un certain nombre de règles : vivre selon sa nature, sans vouloir la contrefaire84, ce qui suppose d’avoir de soi-même la connaissance85, avoir cette discrétion d’ôter de soi ce qui déçoit86, résister aux maux universels avec constance87, croire en la valeur de ses capacités88, et persévérer en cas d’échec : « vertu de bras fait voguer la gallée89 ». C’est celui qui, tel Janus, aura suivi vertu « en toute qualité » qui pourra, sinon atteindre le bonheur, du moins vivre en « grand’tranquilité90 ».
- 91 C. Andrès, « La metáfora del theatrum mundi », p. 67-78.
- 92 M. Trédé, « Le théâtre comme métaphore au IIe siècle ap. J. -C. : survivances et métamorphoses », C (...)
- 93 Mundus est fabula affirmeront les philosophes classiques. J. -P. Cavaillé, Descartes : la fable du (...)
- 94 G. de La Perrière, Le Theatre des bons engins, emblème VI : « Masques seront cy apres de requeste,/ (...)
- 95 Ibid., LX par exemple.
17Plusieurs de ces thèmes le révèlent : c’est un auteur des plus influencés par le stoïcisme que dévoilent ces emblèmes. La Perrière du reste reconnaît cette dette : Sénèque est évoqué dès la première ligne de l’épître dédiée à Marguerite de Navarre, Pythagore est cité dans trois emblèmes, alors même que les noms d’auteurs qui ont pu les inspirer sont rarement mentionnés, et nombreuses sont les autres pièces que le stoïcisme a pu, plus ou moins directement, influencer. Cette importance du stoïcisme dans l’œuvre, dont il conviendrait de prendre davantage la mesure, est donc loin d’être anecdotique. Il se pourrait même qu’elle explique, au fond, l’usage de la métaphore théâtrale. Pour Sénèque, en effet, l’acceptation de la brièveté de la vie et des illusions que sont les richesses et dignités mondaines constitue l’une des sources de cette métaphore91. Épictète en déduisait aussi l’importance pour le sage d’être disponible, prêt à jouer le rôle qu’on lui attribue, le mieux possible, sans jamais s’y attacher92. La vie est théâtre enseignent les stoïciens93. L’auteur du Theatre des Bons Engins en est manifestement convaincu, même s’il paraît aussi le regretter, en constatant l’omniprésence des masques parmi ses contemporains94 et en ironisant sur leur inefficacité95.
- 96 M. Trédé, « Le théâtre comme métaphore au IIe siècle ap. J. -C. : survivances et métamorphoses », p (...)
- 97 L. Zanta, La renaissance du stoïcisme au XVIe siècle, Paris, 1914 ; Genève, Slatkine reprints, 1975 (...)
- 98 P. Veyne, Sénèque, p. 18-19.
- 99 L. van Delft, Le moraliste classique. Essai de définition et de typologie, Genève, Droz, 1982, p. 2 (...)
- 100 Comme le préconise également l’éthique chrétienne, et notamment Saint Thomas qui syncrétise dans la (...)
18Au fil des pages, La Perrière décrit ainsi les rôles à tenir, donne les normes d’une conduite avisée pour proposer, finalement, une leçon de prudence. Suivant le modèle des exercices spirituels proposés par Lucien, il met devant les yeux les événements de la vie pour les faire défiler dans une sorte de théâtre intérieur et les évaluer selon les critères de la sagesse96. Dans le sillage du stoïcisme, il cherche à construire une sorte de morale « indépendante » qui s’épanouit sous une forme pédagogique, sur la base d’une certaine idée de l’unicité de la nature et de la dignité humaine97. Un art de vivre98 qui se donne sous les traits d’une sagesse pratique, impliquant une technique tournée, dans la tradition aristotélicienne, vers l’action99. Bien vivre consiste aussi, comme le préconisait l’éthique chrétienne, à bien agir100.
- 101 L. van Delft, Ibid., p. 205-206.
19Cette vision très anthropocentrique et très volontariste de la nature humaine aboutit à un rétrécissement de la scène : le théâtre s’intériorise : « le théâtre de la conscience a remplacé celui du monde ». Le lieu, cette fois, est « le cœur de l’homme101 ». Dans ces emblèmes, c’est le cœur de l’homme dont est sondée la conscience, le cœur de celui des lecteurs qui assistent et méditent le spectacle de ses errances qui est interrogé. Au-delà de ces perspectives intimistes, le Theatre recèle aussi des perspectives autrement plus vastes, en lien avec les enjeux politiques et religieux du temps, et cela à l’attention toute particulière de la destinataire pour laquelle il fut premièrement conçu : Marguerite de Navarre.
Le Theatre des bons engins, un miroir des princes théâtre de l’actualité intellectuelle, politique et religieuse du temps
20L’importance qui est celle du stoïcisme dans le Theatre des bons engins contribuait en soi à l’inscrire au cœur de l’actualité intellectuelle, politique et religieuse de son temps. S’excusant, dès les premières lignes de l’épître dédicatoire à Marguerite de Navarre, de n’avoir point mené à terme la composition des cent emblèmes qu’il avait initialement prévu de lui offrir, La Perrière faisait, de fait, un hommage appuyé à un philosophe en réalité jusque là fort décrié :
- 102 G. de La Perrière, « Epistre », fol. [A iiiv].
Madame, Senecque philosophe stoicque (auquel sans aulcune controverse, les doctes attribuent entre les philosophes latins la principaulté de moralle philosophie), dict en petites parolles pleines de grande substance : que fortune n’est jamais en repos […]102.
- 103 Sur ces critiques, voir notamment P. Faider, Études sur Sénèque, Gand, Van Rysselberghe et Rombaut, (...)
- 104 La première édition des œuvres de Sénèque donnée par Érasme (Senecae opera, Bâle, Froben, 1515), es (...)
- 105 Le Sermon sur la Providence de Zwingli donnant l’impression d’être un commentaire de morceaux chois (...)
- 106 Calvin, L. Annei Senecae, romani senatoris, ac philosophi clarissimi, libri duo de clementia, ad Ne (...)
- 107 Calvin, dans la préface du Libri duo de clementia, cité par H. Lecoultre, « Calvin d’après son comm (...)
21C’est dès l’Antiquité, en effet, que l’œuvre de Sénèque avait attiré les critiques. Tacite, Quintilien, Fronton et Aulu-Gelle avaient dénoncé au niveau formel son « absence de grâce et de dignité », sur le fond l’insuffisance de son contenu philosophique, une « science bouffonne et plébéienne ». Au Moyen Âge, l’intérêt que pouvaient lui porter les Pères de l’Église n’avait pas permis de lui rendre meilleure justice103. Et, bien qu’ayant publié plusieurs fois ses œuvres, Érasme la regardait encore avec sévérité. Suivant les auteurs antiques, il en dénonçait évidemment le style, qu’il jugeait incomparable à celui de Cicéron, puis, en bon chrétien, il en critiquait en outre le panthéisme, condamnant les positions de l’auteur sur la Providence et sur l’immortalité de l’âme, le caractère peu religieux de sa morale104. Ce n’est qu’avec l’essor de la Réforme protestante que s’amorça, en définitive, une authentique réhabilitation. Auteur important pour Zwingli105, Sénèque attira l’attention de Calvin. Consacrant au De clementia, en 1532, sa première œuvre d’humaniste, c’est lui qui, le premier, lui rendit un éloge vigoureux106 . Tout en regrettant certains excès et surtout l’absence d’ordre du texte (« cette lumière du discours »), Calvin loue la langue « pure et brillante », élégante et fleurie, de Sénèque, un style qui coule sans efforts ; il reconnaît en lui un « philosophe complet », d’une grande érudition, lequel « connaissait à fond les mystères de la nature qui ressortissent à cette partie de la philosophie que les Grecs nomment physique ». Et l’assure : « Sénèque est le premier après Cicéron, il est une colonne de la philosophie et de la littérature romaines107 ».
- 108 H. Lecoultre, ibid., p. 59.
- 109 En atteste l’affaire Caturce, en 1532. G. Cazals, « Des procès humanistes au procès de Toulouse : T (...)
- 110 H. Busson, Le rationalisme dans la littérature française de la Renaissance, 1533-1601, Paris, J. Vr (...)
- 111 G. Cazals, « Des procès humanistes ».
- 112 G. Cazals, Guillaume de La Perrière, à paraître.
- 113 Après le 1er novembre 1533, date à laquelle Nicolas Cop, nouveau recteur de l’université de Paris, (...)
- 114 La première traduction française du Manuel d’Épictète (Lyon, Jean de Tournes, 1544) est due à Antoi (...)
- 115 Selon Bertrand Hélie qui relate dans l’Historia Fuxensium comitum (Toulouse, N. Vieillard, 1540) le (...)
- 116 Pour paraphraser H. Lecoultre, « Calvin d’après son commentaire », p. 61.
- 117 C. Schmidt, « Le mysticisme quiétiste en France au début de la réformation », Bulletin de la Sociét (...)
- 118 À l’ouverture du Tiers Livre, Rabelais invite Marguerite de Navarre à abandonner pour un temps sa d (...)
- 119 M. Spanneut, « Permanence de Sénèque le Philosophe », ici p. 384. Convaincu que le monde, étant l’œ (...)
- 120 P. -F. Moreau, Ibid., p. 53-54.
22En reconnaissant à Sénèque « la principaulté de moralle philosophie », La Perrière se situait immanquablement dans le sillage de cette réhabilitation. Bien qu’il ne cite pas explicitement le commentaire de Calvin sur le De clementia, qui avait été imprimé à frais d’auteur et n’avait connu qu’une diffusion modeste108, il n’avait pu manquer d’être informé de sa publication. Dès 1532, à Toulouse, la diffusion des travaux humanistes et des idées réformées allait bon train109. Tandis que la présence dans la ville de prélats possédants d’exceptionnelles bibliothèques favorisait la venue d’ouvrages rares, les contacts avec l’Italie, notamment avec Padoue, y facilitaient la diffusion d’un esprit curieux, intéressé précocement au rationalisme comme au néo-stoïcisme110, et la diffusion des idées réformées s’accompagnait de la diffusion des œuvres de ses Pères111. Un temps proche, à Toulouse, de Jean de Boyssoné, La Perrière fréquentait Clément Marot lorsqu’il accompagnait la souveraine de Navarre112. La parution du commentaire du De clementia pouvait d’autant moins avoir pu passer inaperçue à un tel entourage que c’est auprès de Marguerite que Calvin avait pu se réfugier en 1534113 et que c’est ce milieu toulousain qui devait jouer un rôle majeur dans le développement du stoïcisme en France114. Après l’affaire des Placards, pendant sa retraite forcée dans le comté de Foix, la souveraine de Navarre avait incessamment la bible entre les mains, consacrant toutes ses méditations aux choses divines115. Or, même si le commentaire du De clementia était avant toute chose un travail d’humaniste, dans lequel « le souffle religieux ne se fait pas sentir d’une façon distincte116 », il avait été pour Calvin l’occasion de prendre position sur certaines questions cruciales, qui devaient jouer un rôle majeur dans le système posé dans l’Institution chrétienne, terminée en 1535. Ainsi en était-il de la définition de l’ apatheia, à laquelle Marguerite de Navarre, tentée par un mysticisme quiétiste, s’intéressait tout particulièrement117, comme s’en plaint du reste quelque peu Rabelais118. Ainsi en était-il aussi de la notion de fatum, que Calvin voulait distinguer de la prédestination119, raison pour laquelle il reprochait à Sénèque l’emploi du terme de fortune en place de celui de providence divine120.
23Averti de ces débats polémiques, et potentiellement dangereux, La Perrière s’y réfère dans son épître à Marguerite de Navarre :
- 121 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, fol. [A iiiv].
Mais pour autant (madame) que vostre majesté ne me puisse inculper, d’autant que suyvant l’erreur des gentilz et ethniques j’attribue à fortune, ce que (comme chrestien escripvant à princesse chrestienne) je doibs attribuer à providence divine. J’estime que vostre dicte heureuse venue ne dependit onc de fortune, ains (ainsi que sont tous aultres actes et negoces humains) de seule providence divine : laquelle (comme il est nécessaire de croire) faict toutes choses pour le mieulx : Et que consequemment vostre heureuse venue n’a esté vers moy hastive que pour le mieulx121.
- 122 Par nous même, dans notre thèse et dans G. Cazals, « Les juristes et la naissance de l’emblématique (...)
- 123 G. Bossé-Truche, « Les représentations de la Prudence et de la Providence », p. 2-3.
- 124 P. -F. Moreau, « Calvin : fascination et critique du stoïcisme », p. 55.
24Vu comme une « très précautionneuse déclaration de foi catholique122 », ce passage indique en réalité très subtilement comment l’emblématiste entendait se situer par rapport à Calvin. En humaniste se jouant de la polysémie des termes employés, La Perrière y maintient l’usage de celui de fortune tout en reconnaissant la toute puissance d’une providence constituant elle aussi un concept d’origine hellénique, ayant été synonyme de nécessité et de raison universelle avant d’être christianisé123. Considérant que la providence s’étend non seulement au domaine des choses extérieures mais aussi aux actes humains, auxquels le gouvernement divin s’impose, il paraît y nier tout libre arbitre. Au-delà de ce qu’affirmait Calvin124, il semble même opter (« comme il est necessaire de croire ») en faveur du maintien de la finalité de la providence, même s’il tend à reconnaître l’impossibilité de comprendre cette dernière et, en définitive, l’impossibilité pour l’homme de déchiffrer la sagesse divine. Dans ce passage, il rebondit ainsi sur une actualité brûlante, tenant en grande partie aux questionnements humanistes liés à la redécouverte des œuvres de Sénèque comme, évidemment, à l’actualité religieuse.
- 125 Si l’année 1533 avait paru être une année miraculeuse, le 1500e anniversaire de la mort du Christ, (...)
- 126 Tels Roussel, Du Bourg, Fumée, d’Espence. F. Higman, « De l’affaire des Placards aux nicodémites », (...)
- 127 Selon Higman, ce mouvement de réforme qui rejetait la « solution suisse » et faisait des progrès im (...)
- 128 J. A. Reid, King’s sister, vol. 2, p. 449 ; renvoyant à F. Higman, Piety and the poeple : religious (...)
- 129 O. Millet, Calvin et la dynamique de la parole. Étude de rhétorique réformée, Paris, Champion, 1992 (...)
- 130 C. A. Mayer, « Coq-à-l’âne : définition, invention, attributions », French Studies, 16, 1962, p. 1- (...)
- 131 Première dramaturge française connue à ce jour, Marguerite de Navarre a été nourrie, dès son enfanc (...)
- 132 Que révèle l’invitation à dîner qu’adresse le poète à Boyssoné, Villars, et La Perrière : « Demain (...)
- 133 J. A. Reid, King’s sister, vol. II, p. 389 et 448.
- 134 G. Cazals, Guillaume de La Perrière, à paraître.
25« Chrestien escripvant à princesse chrestienne », La Perrière revendique avec finesse une certaine connivence avec les sensibilités religieuses de Marguerite de Navarre. Celles-ci pourtant s’avéraient à la mi-temps de l’année 1535 difficiles à tenir. Quelques mois après l’affaire des placards, après la mise en circulation dans le royaume de textes extrêmement provocateurs à l’égard du culte catholique, les espoirs d’une alliance avec les princes allemands comme la politique de réconciliation entre les réformistes fidèles à Rome et les luthériens iréniques que Lefèvre et les siens s’étaient efforcés de faire progresser sous le regard bienveillant de François Ier s’étaient trouvés anéantis125. Beaucoup se refusaient cependant à accepter la bipolarité religieuse qui était en train de se mettre en place, et continuaient de rêver à un christianisme réformé mais unifié. Marguerite était de ceux-là. Et nombreux étaient ceux qui s’activaient autour d’elle, dans l’ombre, pour atteindre cet objectif126. Jusqu’aux années 1540, plus de deux cent personnes pourraient s’être efforcé de promouvoir la mise en œuvre d’une réforme de l’Église de France selon les principes évangéliques127. Pour tous ceux qui appartenaient à ce réseau, l’heure était à la discrétion. Même après l’édit de Coucy qui devait permettre, au lendemain de l’entrée toulousaine des souverains de Navarre (ou quasiment, le 16 juillet 1535) d’apaiser quelque peu la situation, il fallut jouer serré. Pour ce faire, toutes les ressources utiles furent mobilisées, à commencer, bien sûr, par l’écriture. Depuis la disparition des imprimeurs les plus intrépides, Simon Du Bois, Antoine Augereau et Martin Lempereur, il était impossible de publier, en France, des œuvres trop audacieuses128. Mais il était permis d’user de subterfuges. Les questions de dialectique, de rhétorique et de linguistique, entraînant la revalorisation du statut de l’image et la remise à l’honneur, voire l’invention, de certains types d’œuvres littéraires, firent non sans raison l’objet d’intenses débats. Tandis que Melanchthon s’interrogeait sur les genres capables de répondre aux besoins des prédicateurs luthériens pour l’instruction des fidèles et de fournir des outils pour les controverses religieuses129, Marot inventait le coq-à-l’âne, qui lui permettait de laisser libre cours à son génie satirique130, et Marguerite utilisait le théâtre polémique pour confronter les thèses évangéliques avec les normes institutionnelles représentatives de l’orthodoxie131. Dès lors la question doit être posée : La Perrière nourrissait-il quant à lui des aspirations similaires, qui pouvaient l’avoir rapproché de Marguerite de Navarre ? Au vrai, la chose n’est pas impossible. Si l’appartenance de La Perrière à ces réseaux n’est pas manifeste, il faut en effet relever sa proximité avec Boyssoné, dont la rétractation en 1532 s’attaque aux thèses évangéliques, et celle qu’il a pu avoir avec Clément Marot, qui l’invita en 1538 à dîner dans une épigramme pleine de sous-entendus132, au moment où le poète célèbre « ung grand nombre de freres […] tous enfans d’Apollo » attachés à servir l’évangélisme133. Il faut aussi souligner que si la proximité humaine et intellectuelle qui pouvait unir La Perrière à la souveraine de Navarre reste à préciser, les témoignages de la fidélité montrés par l’humaniste à la souveraine de Navarre se maintiennent jusqu’a son décès, se prolongeant même ensuite à sa famille, notamment à Antoine de Bourbon134. Et il faut constater enfin que le texte de certains de ses emblèmes semble se prêter très opportunément aux interprétations les plus favorables à cette hypothèse.
- 135 Selon l’analyse de J. Schwartz, « Emblematic theory and practice : the case of the Sixteenth centur (...)
- 136 Tel sera le sens de l’emblème repris par Thomas Combe, et explicité par John Selden. P. Goodrich, « (...)
- 137 Le theatre des bons engins, XV, XXIII, XXXIIII, LXXXV. Selon une thématique déjà fort présente chez (...)
- 138 En lien avec le problème de la traduction des Saintes Écritures. P. Cabanel, Histoire des protestan (...)
- 139 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème XXXIIII.
- 140 G. Bosse-Truche, « Les représentations de la Prudence et de la Providence », p. 6.
- 141 S’abstenant de parler de la vénération des saints, du purgatoire, des reliques, du système sacramen (...)
- 142 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème VII : « Feu ne se doibt de cousteaux attiser (...)
- 143 Dès la fin d’année 1535, elle correspond avec les souverains anglais, reçoit de Genève des remercie (...)
- 144 Voir G. De La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème XXVI (qui cependant peut aussi faire ré (...)
- 145 Le theatre des bons engins, LXXIIII. En particulier pour mener à bien la politique conduite par les (...)
- 146 Le theatre des bons engins, XI, XIIII.
26De fait, relus à la lumière du délicat contexte qui est celui de l’actualité politique et religieuse de 1535, plusieurs emblèmes du Theatre des bons engins paraissent se charger d’un sens favorable au message évangélique, voire aux positions calvinistes. La figure de Janus elle-même est susceptible de prendre un tel relief : le roi capable de fixer son attention dans des directions opposées donnant le modèle du sage roi capable de conserver les opposés en équilibre135, la clé qu’il tient en la main pouvant être vue comme celle qui permet d’entrer dans le royaume de dieux, selon le langage du Psaume 43, celle qui distingue et sépare les royaumes intérieur et extérieur et permet l’entrée au royaume céleste de la providence136. Délivrant un message de prudence à l’attention de ceux qui voudraient « trop cuyder137 », les emblèmes relatifs à la sagesse et à la science se montrent conformes au discours calviniste considérant l’impossibilité et les dangers de déchiffrer le monde138, en avertissant contre le péril mortel qui guette les audacieux139. Dans la veine des emblèmes plus tard inspirés par la contre-réforme et les jésuites, tendant à mettre en garde le lecteur contre les choses vaines140, ils font écho au message évangélique qui dénonçait la radicalisation d’Antoine de Marcourt et des « suisses » de Neuchâtel pour préconiser l’apaisement, voire l’effacement, en s’abstenant de tout propos susceptible d’envenimer la situation, et en cherchant à ne pas nourrir les polémiques141. Celui qui, inspiré par Pythagore, enseigne que « Feu ne se doibt de cousteaux attiser142 », pourrait quant à lui renfermer une condamnation des provocations des Placards. Par ailleurs, certaines pièces se trouvent répondre très directement aux préoccupations politiques qui étaient celles de Marguerite de Navarre en 1535, en lien avec son combat évangélique. Bien qu’en exil, perdue dans les Pyrénées, la souveraine ne cessait en effet de s’intéresser à la politique générale. Dès le lendemain de sa visite à Toulouse, elle revient aux affaires, avec stratégie143. Pour mener à bien la politique de pacification et de réconciliation à laquelle elle ne renonce pas, elle doit, comme l’enseignent les emblèmes, jouer de ruse, faire en sorte que ses troupes conservent l’espoir et le cœur haut144, que ses secrets ne soient points révélés, en prenant garde notamment à la fiabilité des étrangers145, et La Perrière insiste fortement dans ce cadre sur l’amitié, la nécessité d’éprouver les mœurs et les façons de vivre des gens avant que de s’en faire des amis146.
- 147 Le theatre des bons engins, LI : « Le pelerin en abus trop se fonde,/Qui soubz couleur de sainct pe (...)
- 148 Le theatre des bons engins, XIII : « En Thessalie on voit communement/Asnes bien gras, de belle cor (...)
27Quelques rares, mais virulentes charges sont aussi adressées à l’Église romaine et à certains de ses membres. Et, outre la dénonciation de l’hypocrisie de certains pèlerins147, il faut souligner l’intransigeance de l’attaque visant la noce d’« asnerie et dignité » que La Perrière observe en quelques « lourdaux, massifz à testes grosses » qui « en plusieurs lieux portent mitres et crosses148. Comme celle qu’il adresse encore aux prélats déviants :
- 149 Le theatre des bons engins, LXXXI. Dans cette logique nous semble s’inscrire l’extrême rigueur qu’i (...)
Tout bon prelat doibt monstrer la lumiere
Sur le hault lieu, affin que tous la voyent :
S’ilz ne le font ne suyvent la maniere
De tout bon droict, ains de raison fourvoient :
Quand les plus grans du droict chemin desvoient
A leurs subjectz donnent occasion
De faire mal, et pour l ’ abusion
Seront puniz au respect de leur reng,
Et tomberont en grand confusion :
Car des subjectz dieu requerra le sang149.
- 150 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème XXXIII : « Quy d’ung rasouer la roche cuyde (...)
- 151 Le theatre des bons engins, XXXVI : « Qui cuyde abatre abuz inveteré/est bien frustré de tout ce qu (...)
- 152 Le theatre des bons engins, LXXXV.
- 153 Le theatre des bons engins, LIX : « Il n’est pas temps de jouer aulx eschetz,/lors que le feu te br (...)
- 154 Le theatre des bons engins, car « esprit vaut mieux que force », LV.
- 155 Le theatre des bons engins, C : « Quand Hercules apres plusieurs conquestes/Cuydoit avoir repos de (...)
28Les espoirs que pouvait placer l’humaniste dans la victoire éventuelle de ceux qui s’attaquaient à de tels abus étaient minces : « Contre plus fors (comme scavent bien tous)/L’on prend debat, à son tresgrand dommaige150 », affirme un emblème ; « qui cuyde abatre abuz inveteré, est bien frustré de tout ce qu’il pourchasse151 », insiste l’autre. Avant d’entreprendre un quelconque combat, il faut en mesurer les chances : « l’homme rassis ayant instruction,/chose impossible oncques ne mist en lice » assène un troisième152. Conformément à la philosophie qu’il avait acquise, cela pour autant ne pouvait l’inciter à la résignation : « il n’est pas temps de jouer aulx eschetz, lors que le feu te brusle ta maison153 ». Engageant à une action prudente, tout autant réfléchie154 que modérée, c’est en constatant la perpétuité des maux et la nécessité de lutter qu’il achève sa centurie155.
- 156 Selon une thématique rappelée par plusieurs emblèmes. Le theatre des bons engins, XXXVII, LIII.
- 157 G. Cazals, « Les juristes et la naissance de l’emblématique », p. 72, et sur la tradition des miroi (...)
- 158 Sur le rôle des tragédies antiques (dont le stoïcisme dans l’instruction des grands personnages de (...)
- 159 C. Balavoine, « Le Theatre des Bons Engins », notamment p. 326, 314, 317 : on voit « La Perrière dé (...)
- 160 La Perrière ne traite pas des maximes classiques du droit romain contrairement à Calvin, élève de P (...)
- 161 Voir l’édition donnée par F. L. Battles et A. M. Hugo, Calvins commentary’s on Seneca’s De clementi (...)
- 162 Le Miroir Politicque de La Perrière est de fait l’un des premiers ouvrages attestant de la connaiss (...)
- 163 P. Veyne, Sénèque. Une introduction, p. 30.
- 164 Même si l’on peut s’étonner dans ce cadre des propos misogynes que tient La Perrière dans l’œuvre, (...)
29Ainsi, s’il faut bien voir dans ce Theatre des bons engins non seulement un miroir de la vie156 mais aussi un miroir des princes157, ce qui le situe encore dans la lignée des traditions théâtrales et du stoïcisme158, une œuvre dans laquelle le développement et l’importance des thématiques politiques est à mettre en lien avec un destinataire dont l’auteur espérait en partie faire l’éducation politique, encore reste-t-il à identifier précisément les ambitions et les idéaux qui se cachent derrière l’emploi de référents susceptibles d’interprétations divergentes. Récemment, et sur la base de certaines des pièces précitées, il a pu être affirmé que l’œuvre avait une coloration « ouvertement machiavélienne », et qu’il tendait à faire un « portrait allusif et audacieusement laudatif du véritable prince régnant » « où François Ier était amené à se reconnaître. Et à s’admirer », via notamment l’apologie des guerres de conquête conduites par le souverain159. Rien ne nous semble plus improbable. Si la Perrière avait entendu faire l’apologie du pouvoir de François Ier, ce qui serait bien en contradiction avec les perspectives qu’il développe dans ses autres œuvres, il aurait naturellement mobilisé bien des ressources que sa formation de juriste lui avait laissées ; il aurait pu aussi puiser dans sa culture humaniste et notamment dans les œuvres de Sénèque qui ont si bien su inspirer ce Theatre160, comme Calvin l’avait lui-même fait dans son propre travail sur le De clementia161. Par ailleurs, si tant est que La Perrière ait pu connaître l’œuvre de Machiavel lorsqu’il composait ces emblèmes162, il ne faut pas négliger l’importance, dans sa réflexion, d’une philosophie pratique inspirée par les Romains, et qui, notamment, via le stoïcisme, était prête à admettre que la politique est l’art du possible et qu’il faut sacrifier certains moyens à certaines fins, sans voir là forcément une trace de « machiavélisme163 ». Ni l’oublier, comme La Perrière lui-même nous le rappelle : c’est Marguerite de Navarre qui est, dès l’origine, la destinataire première de l’œuvre164, dans un contexte sur lequel il serait curieux de faire totalement l’impasse, et qui n’est pas celui d’une franche communion avec François I er. Relier cette œuvre à ce contexte immédiat comme à l’actualité philosophique, religieuse, et politique du temps semble incontournable. Et urgent, tant les questions qui restent sur ces différents plans en suspens s’avèrent d’importance.
Conclusion
30En concluant sa centurie d’emblèmes, La Perrière entendit prévenir ses lecteurs :
- 165 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème LXXXI.
Fut mis à fin nostre present theatre,
L’an mil cinq cens avecques trente six .
Pource lecteur quand te vouldras esbater
Tu le pourras lire de sens rassis.
Si le langage est rude et mal assis,
Le sens est grand si tu le veulx comprendre
Veuilles nous donc benignement reprendre165.
- 166 Sur les différentes éditions du Theatre des bons engins, A bibliography of French Emblem books, I, (...)
- 167 Sur l’inscription des emblèmes dans le cadre de problématiques herméneutiques, ou des réflexions hu (...)
- 168 D. Érasme, Prolégomènes à l’édition des Adages, Opera Omnia, I, p. 52-62 ; épître à Lord Mountjoy, (...)
- 169 A. Saunders, « The sixteenth century French emblem : decoration, diversion or didacticism », Renais (...)
- 170 Sur lesquelles voir G. Cazals, Une civile société.
- 171 Ainsi dans la traduction de Combe. M. V. Silcox, « The translation of La Perrière’s Le theatre des (...)
- 172 O. A. Duhl, « Introduction », Renaissance and reformation, 26/4, automne 2002, p. 7.
- 173 P. Choné, Emblèmes et pensée symbolique en Lorraine (1525-1633) : « Comme un jardin au cœur de la c (...)
- 174 L. van Delft, « L’idée de théâtre », p. 1356, donne quelques pistes en ce sens.
- 175 Laquelle doit être réaffirmée selon H. Daussy, « Les élites face à la Réforme dans le royaume de Fr (...)
31Par delà l’« intellectuelle recreation » promise à Marguerite de Navarre et l’« esbatement » de ses futurs lecteurs, que devait servir l’élégance du dispositif emblématique qu’il avait imaginé, La Perrière espérait ainsi contribuer à l’éducation philosophique de ces derniers. Le succès éditorial de l’œuvre confirme que, dès la première édition, son Theatre trouva son public166. Les raisons de ce succès semblent évidentes. L’auteur réalise là une alliance entre le texte et l’image qui propose une connaissance intuitive de la vérité profonde des êtres167. Prolongeant la tradition érasmienne selon laquelle les proverbes constituent des « étincelles » de vieille sagesse168, il propose une sorte de nouveau langage, une peinture du monde lisible par tous et une philosophie pratique utilisable par tous. Fait de « bons engins », l’œuvre cependant s’adressait aussi aux « bons engins », à ceux qui sauraient comprendre et découvrir le grand sens caché derrière les emblèmes, deviner et confondre les masques. La chose relevait en partie du jeu. Il s’agissait de saisir les réminiscences littéraires, de décrypter les énigmes recélées par les gravures et les dizains et d’en interpréter les allusions codées. Mais il s’agissait d’un jeu sérieux, et des plus érudits. Visant l’apprentissage, pour tout un chacun, de la sagesse169, celui-ci traitait en effet de perspectives politiques engageant le salut et le bien être de l’État170, et possiblement de la défense de vues spirituelles qui n’avaient pas, en 1535, le vent en poupe. Nul ne sait comment les nombreux lecteurs qui furent les siens interprétèrent les messages inscrits dans ces emblèmes, dont certains étaient susceptibles d’interprétations fort divergentes. Au fil du temps certaines allusions à l’actualité de la décennie 1530 ne pouvaient que s’évanouir. Dans les versions ultérieures, notamment dans les traductions, la portée satirique des pièces les plus piquantes fut du reste altérée171. Encore aujourd’hui, comprendre l’œuvre n’est pas chose aisée. Son type emblématique comme sa théâtralité servent une « mobilité doctrinale plus souple que la poésie lyrique ou la prose172 ». Les doctrines elles-mêmes qui l’inspirent, le stoïcisme en particulier, s’avèrent d’une grande malléabilité, dont les auteurs d’emblèmes religieux du second seizième siècle s’empareront sans ambages173. Malgré ces difficultés, l’œuvre nous paraît délivrer plusieurs enseignements notables. Tout d’abord, qu’il convient de restituer au théâtre la plénitude de son sens ancien, et aller plus avant dans l’étude des liens possibles entre l’emblématique et le théâtre174. Ensuite, qu’il est urgent de relire les œuvres d’emblèmes en s’attachant à l’étude du discours philosophique qu’il délivre, ce qui, à n’en pas douter, permettra d’apprécier plus sûrement le développement et la portée de certaines doctrines à la Renaissance, voire de mieux entendre la réceptivité des élites françaises à certaines thèses religieuses, à l’évangélisme non schismatique comme, peut-être, au calvinisme175. De tels travaux s’avèreront fort utiles, non seulement pour l’étude littéraire, philosophique et religieuse de la Renaissance, mais aussi pour l’étude historique du droit, et en particulier pour l’étude des doctrines juridiques portées par l’humanisme. L’importance du stoïcisme dans les évolutions connues par la pensée juridique à la Renaissance reste en effet à préciser, et dans ce cadre la fortune du De clementia de Sénèque, comme celle des doctrines stoïciennes vulgarisées par l’emblématique, n’est certainement pas à négliger.
Notes
1 Voir la bibliographie non exhaustive de 167 titres donnée par L. van Delft, « L’idée de théâtre (XVIe -XVIIIe siècle) », Revue d’histoire littéraire de la France, 101, 2001, p. 1349-1365.
2 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, auquel sont contenus cent emblemes, Paris, Denis Janot, 1540 [n. s.]. L’œuvre a fait l’objet de très nombreuses éditions, dont le nombre reste controversé, et même de plusieurs traductions à la Renaissance, voir A. Adams, S. Rawles et A. Saunders, A bibliography of French emblem books, Genève, Droz, II, 2002, p. 20-45. Deux éditions modernes ont été données par A. Saunders, Le Theatre des bons engins, 1539, Menston, Yorkshire ; London, Scolar press, 1973 ; A. Saunders, Le Théâtre des bons engins. La Morosophie, Aldershot, Scolar Press, 1993. Dans la mesure où cet article s’efforce notamment de resituer l’œuvre dans le contexte de sa composition, c’est la première édition, l’édition A de Denis Janot qui a été ici utilisée, plus précisément l’exemplaire Rés. Z-2556 (numérisé) de la Bibliothèque nationale de France.
3 Sur la définition du genre voir notamment L’emblème à la Renaissance, éd. Y. Giraud, Paris, Société d’édition d’enseignement supérieur, 1982 ; A. Saunders, The sixteenth-century french emblem book : a decorative and useful genre, Genève, Droz, 1988 ; The emblem in Renaissance and Baroque Europe : tradition and variety, éd. A. Adams et A. J. Harper, Leide-New York-Cologne, E. J. Brill, 1992 ; J. -M. Châtelain, Livres d’emblèmes et de devise : une anthologie : 1531-1735, Paris, Klincksieck, 1993 ; A. -É. Spica, Symbolique humaniste et emblématique : l’évolution et les genres (1580-1700), Paris, H. Champion, 1996 ; Mundus emblematicus : studies in neo-latin emblem books, éd. K. A. E. Enenkel et A. S. Q. Visser, Turnhout, Brepols, 2003 ; V. Hayaert, « Mens emblematica » et humanisme juridique : le cas du « Pegma cum narrationibus philosophicis » de Pierre Coustau, 1555, Genève, Droz, 2008.
4 Voir sur l’œuvre notamment I. Bergal, « Discursive strategies in early French emblem books », Emblematica, 2/2, 1987, p. 273-291 ; S. Rawles, « The earliest editions of Guillaume de La Perrière’s Theatre des bons engins », Emblematica, 2/2, 1987, p. 381-386 ; A. Saunders, « The Theatre des bons engins through English eyes (La Perrière, Combe and Whitney) », Revue de littérature comparée, 64/4, 1990, p. 653-673 ; G. Cazals, Guillaume de La Perrière. Un humaniste à l’étude du politique, thèse, Université des sciences sociales de Toulouse, 2003 ; C. Balavoine, « Le Theatre des bons Engins de Guillaume de La Perrière : une “écriture” de l’entrée de Marguerite de Navarre à Toulouse en 1535 », Writing royal entries in early Modern Europe, éd. M. -C. Canova-Green, J. Andrews, M. -F. Wagner, Turnhout, Brepols, 2013, p. 303-322 ; G. Cazals, Guillaume de La Perrière, Genève, Droz, à paraître.
5 G. Cohen, Études d’histoire du théâtre en France au Moyen Âge et à la Renaissance, Paris, Gallimard, 1956 ; C. Mazouer, Le théâtre français de la Renaissance, Paris, H. Champion, 2002 ; Le théâtre en France des origines à nos jours, éd. A. Viala, Paris, Presses universitaires de France, 1997 (partie III, par M. -M. Fragonard) ; les travaux de J. Koopmans, notamment « Le théâtre à Toulouse au début du XVIe siècle », L’humanisme à Toulouse (1480-1596), éd. N. Dauvois, Paris, H. Champion, 2006, p. 393-407.
6 S. Chaouche, « Problématique du théâtral », Le théâtral de la France d’Ancien Régime. De la représentation de soi à la représentation scénique, éd. S. Chaouche, Paris, H. Champion, 2010, p. 7-21.
7 Notamment L. Desgraves et J. Megret, Répertoire des livres imprimés à Toulouse au XVIe siècle, 20e livraison, 151 : Toulouse, Baden-Baden, 1975, p. 68.
8 M. Magnien, « Approches humanistes de la satire régulière : hésitations et réticences », La satire en vers au XVIIe siècle. Littératures classiques, 24, printemps 1995, p. 10-28.
9 La Croix Du Maine, Du Verdier, Les bibliothèques françoises […]. Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée, éd. M. Rigoley de Juvigny (1772-1773), Austria, 1969, IV, p. 113. L’œuvre a malheureusement elle aussi disparu. Sur le théâtre à Toulouse, à la Renaissance, voir cependant la Sotise à huit personnaiges [Le nouveau monde], éd. crit. O. A. Duhl, Genève, Droz, 2005 ; J. Koopmans, « Le théâtre à Toulouse au début du XVIe siècle », p. 393-407.
10 Voir supra, note 2, p. 271.
11 Ce sont les éditions Wechel qui ont lancé, à partir de 1534, la vogue de ce dispositif matériel, qui cependant n’a pas par la suite fait l’unanimité. S. Rawles, « Layout, typography and chronology in Chrétien Wechel’s editions of Alciato », An interregnum of the sign. The emblematic age in France, éd. D. Graham, Glasgow, Glasgow Emblem Studies, 2001, p. 49-71 ; G. Cazals, « Les juristes et la naissance de l’emblématique au temps de la Renaissance », Revue d’histoire des facultés de droit et de la culture juridique, 33, 2013, p. 37-124.
12 Voir infra notamment note 1, p. 282.
13 J. -M. Châtelain, Livres d’emblèmes et de devises, p. 75.
14 L’hypothèse selon laquelle La Perrière aurait lui-même effectué les dessins de ces emblèmes, au moins dans la première version manuscrite de ce travail, ne saurait selon nous être exclue comme le pense C. Balavoine, « Le Theatre des bons engins », notamment p. 306, et note 20.
15 Le rôle du maître dans l’illustration de ses emblèmes reste éminemment controversé. Il est traditionnellement affirmé et admis que c’est Steyner qui, destinant l’ editio princeps des Emblemata d’Alciat à un public lettré comme à des lecteurs moins savants, a pris l’initiative d’associer aux textes des gravures sur bois de Jörg Breu, ayant jugé « fort utile d’expliciter par quelques dessins un peu frustes les profondes pensées de l’auteur, car les doctes comprendront tout cela par eux-mêmes ». Mais, à la fin du XIXe siècle, Max Rubensohn avait émis l’hypothèse selon laquelle le manuscrit transmis à Peutinger était accompagné de dessins attribuables au peintre milanais Bernardo Zenale. Et l’hypothèse s’avère d’autant plus intéressante que, dès les premières éditions Steyner et Wechel, sont présents des emblèmes dont les illustrations sont très proches de celles incluses dans la version de son recueil des antiquités milanaises revu en 1518-1519. Voir sur cet épineux débat, notamment H. Miedema, « The Term Emblema in Alciati », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 31, 1968, p. 234-250 ; C. Balavoine, « Archéologie de l’emblème littéraire : la dédicace à Conrad Peutinger des Emblemata d’André Alciat », Emblèmes et devises au temps de la Renaissance, éd. M. -T. Jones-Davies, Paris, J. Touzot, 1981, p. 9-21 ; C. Balavoine, « Les emblèmes d’Alciat : sens et contresens », L’emblème à la Renaissance, p. 49-59 ; D. L. Drysdall, « Alciat et le modèle de l’emblème », dans Le modèle à la Renaissance, éd. C. Balavoine, J. Lafond et P. Laurens, Paris, Librairie Vrin, 1986, p. 169-181 ; P. Laurens et F. Vuilleumier, « Entre histoire et emblème », Revue des études latines, 72, 1994, p. 218-237 ; P. Laurens, préface à l’édition fac-similé d’Alciat, Les emblèmes, Paris, Klincksieck, 1997, p. 27-30.
16 Sur ce lien entre emblématique et hiéroglyphes, G. Cazals, « Les juristes et la naissance de l’emblématique », p. 45 sq.
17 G. de La Perrière, « Epistre. A treshaulte et tresillustre princesse, madame Marguerite de France, seur unicque du treschrestien Roy de France. Guillaume de La Perrière son treshumble seriteur », Le theatre des bons engins, fol. [A iii v].
18 Selon les théories humanistes de la peinture, la tâche de l’artiste se divise en plusieurs parties correspondant aux parties de la rhétorique romaine. Ainsi, faisant écho à la tripartition entre inventio, dispositio et elocutio, Dolce (Dialogo della pittura intitolato l’Aretino, 1557) distingue-t-il inventione, disegno et colorio . Selon lui, l’invention correspond avant tout au travail intellectuel préparatoire au travail de la toile : il s’agit du choix de l’histoire dont sera tirée la matière du tableau, mais aussi de l’esprit créateur (« l’engin ») dont procèdent l’ordre et la convenance, les attitudes, la variété et, pour ainsi dire, l’énergie des personnages, qui toutefois font aussi partie du disegno. Si l’on suit cette logique (sans bien sûr suivre à la lettre les théories de Dolce que La Perrière ne connaissait sans doute pas), il faut croire que La Perrière, qui revendique « l’invention » de ses emblèmes, a pu, a minima, faire le choix de l’histoire à représenter et prévoir l’arrangement général de l’image. Le terme d’« illustration » qu’il utilise par ailleurs (mais dans le cadre d’une déroutante polysémie puisque souvent ce sont pour lui les dizains qui « illustrent » les figures, voir infra) peut quant à lui constituer l’équivalent du disegno, esquisse préliminaire faite à partir de l’invention du peintre, équivalent de la dispositio laquelle, en rhétorique, consiste en une ébauche préliminaire du discours oratoire. W. L. Rensselaer, Ut pictura poesis. Humanisme et théorie de la peinture, XVe -XVIIIe siècles (1967), trad. et mise à jour M. Brock, Paris, Macula, 1991, p. 183 sq.
19 G. de La Perrière, « Epistre », fol. [A iiiv-A iiii].
20 Ibid., fol. [A iiii] : « lesquelz des leur invention et commencement sont à vous seule tresillustre princesse, par moy vostre humble et petit serviteur (telz qu’ilz sont) consacrez et dediez ». Ce qui ne signifie pas forcément que ces emblèmes ont été composés pour la circonstance même de son entrée, comme l’affirme C. Balavoine, « Le Theatre des Bons Engins », p. 306.
21 G. Cazals, Guillaume de La Perrière, 2003, vol. 1, p. 124 sq. ; G. Cazals, Guillaume de La Perrière, à paraître.
22 D. Janot, « A monsieur le prevost de Paris ou son lieutenant civil », dans G. de La Perrière, Theatre des Bons Engins, fol. [A iv]. Chose que relève Stephen Rawles, qui souligne la part potentielle pris par La Perrière dans le dispositif graphique des éditions de son Theatre, tant auprès de Denis Janot qu’auprès de Jean de Tournes. S. Rawles, « The earliest editions of Guillaume de la Perrière’s Theatre des bons engins ’ », p. 381-386 ; voir aussi A. Adams et S. Rawles, « Jean de Tournes and the Theatre des bons engins », Emblems from Alciato to the Tattoo, éd. P. M. Daly, J. Manning et M. van Vaeck, Turnhout, Brepols, 2001, p. 21-51 ; S. Rawles, « The Daedalus affair : the Lyon piracy of the Theatre des bons engins », Intellectual Life in Renaissance Lyon, éd. Ph. Ford et G. Jondorf, Cambridge, Cambridge French Colloquia, 1993, p. 49-61 ; S. Rawles, « The full truth about Daedalus : Denis de Harsy’s introduction of emblem books to the Lyons market », Emblematica, 7/2, 1993, p. 205-215.
23 « L’emblème, c’est fait par un comité ! », affirme D. Russel. Cité par A. Adams, « La conception et l’édition des livres d’emblème dans la France du XVIe siècle. Une problématique collaboration entre un auteur et un éditeur », Littérature, 145, 2007/1 (« L’emblème littéraire : théories et pratiques »), p. 10.
24 Outre le Theatre des Bons Engins, furent également illustrés les Annalles de Foix, les Cent Considérations d’amour (du moins dans sa première édition, qui a malheureusement disparu), la Morosophie et le Miroir Politicque.
25 Tel est encore le cas des Annalles de Foix, dont la nature historiographique a priori n’appelait pas l’illustration, et dont le caractère particulièrement soigné dénote dans le cadre de la production imprimée toulousaine, dans laquelle les gravures restaient rares, et les bois étaient souvent, voire systématiquement réutilisés. Abbé R. Corraze, « L’impression des Annales de Foix en 1539 », Bulletin historique du diocèse de Pamiers, Couserans et Foix¸ 15e année, 45-46, janvier-juin 1940, p. 193-199.
26 L’invention des « arbres » et des « portraits », arborescences et illustrations du Miroir politicque est en effet explicitement revendiquée par La Perrière, qui les avait conçus dès la première version, restée manuscrite et ayant disparu, de l’ouvrage. G. Cazals, Guillaume de La Perrière, à paraître. Le Miroir politicque constitue l’un des rares ouvrages politiques illustrés de la Renaissance, et reste considéré comme l’une des plus belles réalisations de l’association entre Macé Bonhomme et Georges Reverdy. L’exceptionnel « pourtraict de Prudence » qui y figure, considéré comme le chef d’œuvre de ce graveur, a été, affirme La Perrière, « disposé de notre invention et declaré par un huytain ». G. de La Perrière, Miroir Politicque, Lyon, Macé Bonhomme, 1555 [a. s.], p. 54.
27 G. Cazals, Guillaume de La Perrière, 2003, p. 59 sq. ; à paraître.
28 Ibid., p. 88 sq. ; à paraître.
29 Voir supra note 2, p. 277.
30 Voir simultanément l’emblème du Theatre des bons engins figurant un peintre (XV) et le portrait des Annalles de Foix représentant l’auteur écrivant son livre, probablement vers 1539 (Toulouse, Nicolas Vieillard, 1539, fol. [Br ]) ; puis le portrait qui le représente à 52 ans ainsi que l’emblème représentant un tailleur de bois dans La Morosophie (Lyon, Macé Bonhomme, 1553, fol. [A 2v] ; emblème 78).
31 Sur ce motif classique tiré de l’Art poétique d’Horace (v. 361), voir notamment R. J. Clements, Picta poesis. Literary and humanistic theory in Renaissance emblem books, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1960 ; W. L. Rensselaer, Ut pictura poesis, p. 12 et suivantes.
32 G. Cazals, « Les juristes et la naissance de l’emblématique », notamment p. 58-60.
33 Les livrets d’entrée solennels se multiplient dans les années 1530, souvent après la cérémonie de l’entrée, pour commémorer l’événement. Voir récemment French ceremonial entries in the Sixteenth century : event, image, text, éd. N. Russell et H. Visentin, Toronto, Centre for Reformation and Renaissance Studies, 2007, notamment H. Visentin, « The material form and the function of printed accounts of Henri II’s triomphal entries (1547-1551) », p. 1-28 ; M. M. McGowan, « The status of the printed text », p. 29-54 et W. Kemp, « Transformations in the printing of royal entries during the reign of François Ier : the role of Geofroy Tory », p. 111-132.
34 C. Balavoine, « Le Theatre des bons engins », p. 304.
35 Contrairement à ce que semble croire C. Balavoine, Ibid., p. 305. Mais aucun acte des archives municipales de Toulouse n’existe en ce sens, alors même que nous avons conservé les traces des commandes relatives aux harangues et à l’ordonnancement des médailles. Si tel avait été le cas, La Perrière du reste n’eut pas manqué de s’en vanter et de chercher à se faire rémunérer pour ses services.
36 « Remplissage » dont La Perrière serait coutumier et qu’illustrerait par ailleurs l’insertion, dans le Miroir Politicque, de la partie qui correspond au mariage. C. Balavoine, Ibid., p. 304 et 307. Mais le mariage fait au premier chef partie des questions politiques et juridiques fondatrices de l’État. La Perrière ne s’y trompe pas plus que Bodin. G. Cazals, Une civile société. La République selon Guillaume de La Perrière (1499-1554), Toulouse, Presses de l’université des sciences sociales, 2008.
37 C. Balavoine, Ibid., p. 304.
38 Sur les modifications intervenues entre les différentes éditions, voir les travaux de S. Rawles cités supra note 4, p. 271.
39 Et ceci d’autant plus qu’est saisissante la ressemblance entre certains emblèmes et les tableaux vivants mis en scène lors des entrées royales, lorsqu’un « expositeur » est chargé d’expliquer ces tableaux par des textes qui correspondent à des quatrains ou des dizains, éventuellement inscrits sur des rouleaux. Voir chez P. Gringore, Les entrées royales à Paris de Marie d’Angleterre (1514) et Claude de France (1517), éd. C. J. Brown, Genève, Droz, 2005, notamment p. 85-86, et les figures p. 108 sq. Voir aussi sur la notion de pegme V. Hayaert, « Mens emblematica » et humanisme juridique : le cas du « Pegma cum narrationibus philosophicis » de Pierre Coustau, 1555, Genève, Droz, 2008.
40 Ces techniques se complexifient à la Renaissance, l’Italie opérant la révolution scénographique qui devait amener au développement d’illusions capables de donner sur la scène l’exacte image de lieux réels grâce à l’art de la perspective et du trompe-l’œil. C. Mazouer, « Les machines de théâtre au XVIe siècle », L’invention au XVIe siècle, éd. C. -G. Dubois, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1987, p. 197-218.
41 Sur laquelle voir entre autres travaux E. R. Curtius, La littérature européenne et le Moyen Âge latin, Paris, Presses universitaires de France, 1956, rééd. 1991, p. 238 ; R. Bernheimer, « Theatrum mundi », The art bulletin, 38, 1956, p. 225-247 ; J. Jacquot, « Le théâtre du monde de Shakespeare a Calderon », Revue de littérature comparée, 31/3, 1957, p. 341-372 ; H. Weisinger, « Theatrum mundi : illusion as reality », The agony and the triumph : papers on the use and abuse of Mythe, Michigan, East Lansing, 1964, p. 58-70 ; L. Christian, theatrum mundi : the history of an idea, New York, Garland, 1987 ; G. Camillo, L’idea tel Theatro, éd. Lina Bolzoni, Turin, RES, 1990 ; J. -P. Bordier, Le jeu théâtral, ses marges, ses frontières, Paris, H. Champion, 1999.
42 L. van Delft, « L’idée de théâtre », p. 1350. Le terme médiéval de theatrum désignait l’étal du marchand et l’ambition du théâtre de la mémoire conçu par Giulio Camillo (1480-1544) était d’élaborer un système mnémonique universel, avec le but affiché de « rassembler tous les concepts humains, toutes les choses qui existent dans le monde entier ». M. -D. Couzinet, Histoire et méthode à la Renaissance : une lecture de la Methodus ad facilem historiarum cognitionem de Jean Bodin, Paris, J. Vrin, 1997, p. 65-66.
43 M. de Montaigne, Essais, III, 9, « De la vanité », éd. Villey et Saulnier, Paris, PUF, 1965, p. 994.
44 Sur la théorie humaniste selon laquelle, pour la peinture comme pour la poésie, « l’homme était l’objet d’étude le plus approprié à l’humanité », et la représentation idéalisée des actions de l’homme, le thème de la peinture humaniste. W. L. Rensselaer, Ut pictura poesis, p. 175 sq.
45 L. van Delft, « L’idée de théâtre », p. 1350.
46 Comme le rappelle L. van Delft, « L’idée de théâtre », p. 1352-1353.
47 V. Stiénon, « Filer la métaphore dramaturgique. Efficacité et limites conceptuelles du théâtre de la posture », Contextes, 8, 2011, en ligne.
48 Tels le peintre (XV), l’oiseleur (LIIII) ou le praticien (LXVI).
49 Tels le jeu de balle (V), le jeu de paume (XLI) ou le jeu de cartes (LXXVI).
50 L’homme s’y trouve représenté rasant un lion (III), faisant fuir des mouches (IIII), attisant le feu d’un glaive (VII), mettant à son doigt un anneau (IX), pesant sur une balance (X) tendant la main à un étranger (XI), affaibli par l’âge ou trop vigoureux en sa jeunesse (XII), nourrissant un porc (XVII), luttant contre les insectes qu’attire son épée couverte de miel (XXI), pêchant (XXIII, aussi XLIIII), tirant à l’arc (XXV), combattant (XXVI), jouant aux échecs (XXVII, LIX), cueillant une rose (XXX), frappant l’enclume d’une épée (XXXI), cherchant à fendre la roche d’un rasoir (XXXIII), au cœur d’un labyrinthe (XXXV), cherchant à attraper le vent dans un filet (XXXVI), mort dévoré par les corbeaux (XLV), les puces et les poux (XCIIII), nourrissant âne et chien (XLVI), malade (L), se regardant au miroir (LIII), arrachant le queue d’un cheval (LV), conduisant un lion (LVIII), cherchant à abuser le lion avec un masque (LX), nageant chargé de fer (LXX), fixant une horloge (LXXI), appâtant ses semblables (LXXIII), versant de l’eau dans un pot (LXXIIII), aux prises avec amour (LXXVII), cherchant à animer les ailes d’un moulin avec un soufflet (LXXXV), avec sa femme (LXXXVIII), brûlé par le soleil (LXXXIX), laissant s’échapper un oiseau (LXXXX), se mariant bandé (XCIII), se lamentant face à son mulet embourbé (XCV), capturant un dauphin (XCVI), foulant aux pieds le safran (XCVII).
51 L’idée est en permanence sous-jacente, et les termes d’« homme » et ou d’humains, omniprésents.
52 Voir Aristote, La poétique, éd. R. Dupont-Roc, J. Lallot, Paris, Le Seuil, 1980, notamment 1448b4. Traduite en latin en 1498, éditée en grec en 1503, la Poétique fit l’objet d’une nouvelle traduction latine par Paccius, en 1536. Cette édition fut l’occasion d’un intérêt renouvelé pour le modèle théâtral qu’elle proposait, dont témoignent les éditions commentées de Robortello (1548), Maggi (1550) puis Scaliger (1561).
53 Tels l’ adulescens, le senex, le parasitus, le servus, l’ uxor, la mulier . F. Dupont, P. Letessier, Le théâtre romain, Paris, A. Colin, 2011.
54 La vision de l’homme terrassé par le chagrin ou la colère peut ainsi saisir le lecteur quel que soit son degré d’instruction. F. Dupont, Les monstres de Sénèque. Pour une dramaturgie de la tragédie romaine, Paris, Belin, 1995, p. 92, 94 sq.
55 Comme l’écrivait Philostrate au sujet de Théophraste décrivant des tableaux : il « entend parler » les figures peintes. Celui qui regarde le tableau « voit les cris aigus des Bacchantes ». F. Dupont, Ibid., p. 98.
56 Même si, aux yeux de certains, l’adéquation entre les illustrations et les textes ne va pas sans lourdeur, le commentaire tournant à la paraphrase amplificatrice de l’image et à la glose peu raffinée. A. Stegmann, « La théorie de l’emblème et de la devise en France et en Italie », L’emblème à la Renaissance, p. 65 ; A. Saunders, « Picta Poesis : the relationship between figure and text in the sixteenth-century French emblem Book », Bibliothèque d’humanisme et Renaissance, 48/3, 1986, p. 621-652 ; voir aussi C. Balavoine, « Le statut de l’image dans les livres emblématiques en France de 1580 à 1630 », L’Automne de la Renaissance, éd. J. Lafond et A. Stegmann, Paris, Librairie Vrin, 1981, p. 163-178.
57 Voir la citation citée supra, note 4, p. 274.
58 Les références savantes restent rares dans le texte puisque seuls sept emblèmes se réfèrent explicitement à des sources ayant inspiré l’auteur : Pythagore (VII, VIII, IX), Homère (LVII), saint Paul (XV), Boccace (LXII) et « mainct poète » (LXXXVII). Évidemment, La Perrière a bien plus largement puisé dans ses lectures que ne pourrait le laisser penser ce petit nombre de citations, assez peu dans les hiéroglyphes ou dans sa culture classique mais plus étonnamment chez les modernes Boccace, Pétrarque sinon Machiavel Francesco Colonna, Mario Equicola, Pétrarque, Alciat, Marot, et surtout Érasme, dont les Adagia ont fourni la matière principale du Theatre . G. Cazals, Guillaume de La Perrière, à paraître.
59 G. de La Perrière, « Au lecteur Huitain », fol. [O iiiir ] ; « Epistre », fol. [A iiiiir].
60 Voir sur ces problématiques les lignes de G. Venet, Temps et vision tragique. Shakespeare et ses contemporains, 2e éd., Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2002, p. 115-117.
61 G. Navaud, Persona. Le théâtre comme métaphore théorique de Socrate à Shakespeare, Genève, Droz, 2011, p. 74.
62 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème I.
63 Celle de François Ier à Toulouse en 1533 selon C. Balavoine, « Le Theatre des Bons Engins », p. 309.
64 G. de La Perrière, « Epistre », fol. [A iiiv]. Voir également les emblèmes XXX et LVII.
65 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, XLVII.
66 Ibid., XVI, XVIII, XXXVII, LXXVII, XCIII, XCVI.
67 Ibid., XI, XIIII, XXXI.
68 Ibid., XX, XXVIII.
69 Ibid., XIII, XVII, XXIX, XXX, XIX, XXIIII, XLVI, LXIX, XCVIII.
70 Voir infra.
71 Ibid., III, XLII, XLV, LIIII, LVIII, LXX, LXXIII, XCIIII.
72 F. Dupont, Les monstres de Sénèque, p. 55-56.
73 G. de La Perrière, Ibid., XXXVIII.
74 Comme il l’est chez Boiastuau, Theatre du Monde (1558), éd. M. Simonin, Paris, Droz, 1981 ; C. Andrès, « La metáfora del theatrum mundi en Pierre Boiastuau y Calderón (en la vida es sueño y el grand theatro del mundo ) », Criticon, 91, 2004, p. 67-78.
75 Les emblèmes démontrent, remontrent ou font « notable demonstrance » (I, XVIII, XVIIII, XXV, XXVII), font entendre au lecteur (II), l’avisent (VII), lui font connaître (XIIII), dénotent (XXVIII).
76 Comme dans de nombreux théâtres. S. Bastien, « La métaphore théâtrale pour penser la vie », Que peut la métaphore ? Histoire, savoir et poétique, éd. S. David, J. Przychodzen et F. -E. Boucher, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 97-111.
77 E. R. Curtius, La littérature européenne, p. 241. C’était le cas de l’œuvre de Jean Bodin : J. Bodin, Universae naturae theatrum, Lyon, J. Roussin, 1596 ; M. -D. Couzinet, Histoire et méthode à la Renaissance, p. 67 également p. 72. C’était aussi le cas de nombreux recueils d’emblèmes inspirés par la Contre-Réforme et l’humanisme jésuite. G. Bossé-Truche, « Les représentations de la Prudence et de la Providence dans quelques recueils d’emblèmes espagnols (XVIe -XVIIe siècles) », dans Hasard et Providence XIVe -XVIIe siècles, éd. M. -L. Demonet, Tours, Centre d’études supérieures de la Renaissance, 2007, p. 6, en ligne.
78 G. Navaud, Persona, p. 491.
79 E. R. Curtius, La littérature européenne, p. 241. Dans la tragédie antique les notions de sujet et de volonté sont en pleine émergence. J. -P. Vernant, P. Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne (1972), rééd. Paris, La découverte, 2001, p. 44-45.
80 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème XXVIII : « Jeu de fortune est tant impetueulx,/Que grans et gros souvent elle renverse. /Le saige estant, en tous faictz vertueulx,/N’est point subject à sa fureur perverse :/Car non obstant qu’elle soit trop diverse,/Contre vertu n’a toutesfois puissance. /Par la Tortue en avons reponstrance,/Qui sur son corps porte cocque si dure,/Qu’elle ne craint des mousches l’insolence,/Car pour sa cocque ont trop foyble poincture. »
81 F. Farago, Les grands courants de la pensée antique, Paris, A. Colin, 1998, p. 77.
82 Ibid., p. 75.
83 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème XXX.
84 Ibid., XXIIII, XLVIII, LVI, notamment.
85 Ibid., LXXXIII.
86 Ibid., LII.
87 Ibid., LXVII : « L’homme constant est semblable à l’enclume,/Qui des marteaulx ne crainct la violence. /Cueur vertueux est de telle coustume,/Que de malheur ne doubte l’insolence :/Ne craint fureur, yre, malevolence,/Contre tous maulx est prompt à resister :/Pour quelque effort ne se veult desister/De parvenir en honneur et prouesse. /Constance faict le saige persister/En son entier, et conquester noblesse. » Sur la constance voir encore l’emblème XCVII.
88 Ibid., XLIII : « Contre le vent et la grande tempeste/La main de l’homme a valeur et puissance […] ».
89 Ibid., XXXXIII : « Vertu de bras fait voguer la gallée,/Malgré des vents, ses forces, & renforts. /Ce que nous fait demonstance assez claire,/De ceulx, qui ont les couraiges peu forts. /Si d’adventure on n’est par ses efforts,/Du premier coup parvenu, ou l’on tend,/Sans desespoir, osté ce qu’on pretend,/Par autre endroit il fault qu’on y pourvoye :/Car qui ne peult venir, ou il s’attend,/Par un costé, si cherche une aultre voye ». Voir également l’emblème XCV : « En revenant ou allant à ta grange,/S’il advenoit que tout subitement/Cheust ton mulet au meillieu de la fange/Don’t il ne peust sortir facilement :/Que ferois-tu ? Vers Dieu premierement t’adresseras, implorant son secours :/Mais cependant qu’as à luy ton recours/mectz y la main, avant qu’arrester plus, Releve le par la queue à plain cours,/priant que Dieu parface le surplus ».
90 Ibid., I.
91 C. Andrès, « La metáfora del theatrum mundi », p. 67-78.
92 M. Trédé, « Le théâtre comme métaphore au IIe siècle ap. J. -C. : survivances et métamorphoses », Comptes-Rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 146/2, 2002, p. 585.
93 Mundus est fabula affirmeront les philosophes classiques. J. -P. Cavaillé, Descartes : la fable du monde, Paris, Vrin, 1991, p. 34.
94 G. de La Perrière, Le Theatre des bons engins, emblème VI : « Masques seront cy apres de requeste,/Aultant ou plus qu’elles furent iamais. /On n’en usoit en banquet ou en feste/Anciennement, sinon par entremetz,/Encor non pas toute personne : mais/Pour le present, n’est homme qui n’en use,/Chascun veult faindre & colorer sa ruse,/Dissimuler, soubz contrefaict langaige. /Merveille n’est, si de masque on abuse,/Car chascun tasche à faulser son visaige ».
95 Ibid., LX par exemple.
96 M. Trédé, « Le théâtre comme métaphore au IIe siècle ap. J. -C. : survivances et métamorphoses », p. 594.
97 L. Zanta, La renaissance du stoïcisme au XVIe siècle, Paris, 1914 ; Genève, Slatkine reprints, 1975, p. 75-94.
98 P. Veyne, Sénèque, p. 18-19.
99 L. van Delft, Le moraliste classique. Essai de définition et de typologie, Genève, Droz, 1982, p. 224-226.
100 Comme le préconise également l’éthique chrétienne, et notamment Saint Thomas qui syncrétise dans la Somme théologique le rapport entre vertus théologales et vertus cardinales. G. Bossé-Truche, « Les représentations de la Prudence et de la Providence », p. 1-18, p. 2.
101 L. van Delft, Ibid., p. 205-206.
102 G. de La Perrière, « Epistre », fol. [A iiiv].
103 Sur ces critiques, voir notamment P. Faider, Études sur Sénèque, Gand, Van Rysselberghe et Rombaut, 1921 ; M. Spanneut, « Permanence de Sénèque le Philosophe », Bulletin de l’Association Guillaume Budé : Lettres d’humanité, 39, 1980, p. 361-407 ; M. Armisen-Marchetti, « Des mots et des choses : quelque remarques sur le style du moraliste Sénèque », Vita Latina, 141, 1996, p. 5-13 ; V. Trovato, L’œuvre du philosophe Sénèque dans la culture européenne, Paris, L’Harmattan, 2005.
104 La première édition des œuvres de Sénèque donnée par Érasme (Senecae opera, Bâle, Froben, 1515), est rapidement désavouée par lui, et suivie de plusieurs rééditions. Sur les différentes éditions de Sénèque et des auteurs stoïciens à la Renaissance, voir J. Eymard d’Angers, « Le renouveau du stoïcisme en France au XVIe et au début du XVIIe siècle », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1, mars 1964, p. 122-147 ; W. Trillitzsch, « Erasmus und Seneca », Philologus, 109, 1965, p. 270-293 ; J. Eymard d’Angers, Recherches sur le stoïcisme aux XVIe et XVIIe siècles, Hildesheim et New York, 1976 ; Le stoïcisme au XVIe et au XVIIe siècle, éd. P. -F. Moreau, Paris, Albin Michel, 1999 ; L. Zanta, La renaissance du stoïcisme au XVIe siècle ; F. de Caigny, Sénèque le tragique en France (XVIe -XVIIe siècles), Imitation, traduction, adaptation, Paris, Classiques Garnier, 2011.
105 Le Sermon sur la Providence de Zwingli donnant l’impression d’être un commentaire de morceaux choisis de Sénèque, selon F. Wendel, Calvin, sources et évolution de sa pensée religieuse, Paris, Presses universitaires de France, 1950 ; rééd. Genève, Labor et Fides, 1985 ; P. Stephens, Zwingli le théologien, Genève, Labor et Fides, p. 129.
106 Calvin, L. Annei Senecae, romani senatoris, ac philosophi clarissimi, libri duo de clementia, ad Neronem Caesarem […] commentariolis illustrati, [Paris], L. Cyaneum, 1532 ; voir l’édition de F. L. Battles et A. M. Hugo, Calvins commentary’s on Seneca’s De clementia, Leiden, E. J. Brill, 1969. L’hypothèse selon laquelle Calvin aurait pu avoir, en commentant ce texte, comme arrière-pensée politique celle de recommander à François Ier la clémence à l’égard des protestants n’est étayée par aucune source. La date de la publication ne s’y prête guère puisque ces commentaires sont publiés au moment où les persécutions sont rares, le roi de France paraissant justement disposé à ouvrir son règne aux idées nouvelles. L’œuvre paraît en revanche prioritairement témoigner des travaux humanistes conduits par le jeune Calvin, notamment à Bourges. H. Lecoultre, « Calvin d’après son commentaire sur le De clementia de Sénèque », Revue de théologie et de philosophie, Lausanne, 24, 1891, p. 51-77 ; Q. Breen, John Calvin. A Study in French Humanism, Grand Rapids, Michigan, 1936, p. 67-99 ; F. Wendel, Calvin, sources et évolution, p. 12-20 ; V. Mellinghoff-Bourgerie, « Calvin émule d’Érasme », Calvin et ses contemporains, éd. O. Millet, Genève, Droz, 1998, p. 225-245 ; D. Crouzet, Jean Calvin. Vies parallèles, Paris, Fayard, 2000 ; Calvin et l’humanisme, éd. B. Boudou, A. -P. Pouey-Mounou, Genève, Droz, 2012, notamment M. Engammare, « Jean Calvin Exégète humaniste », p. 53-72.
107 Calvin, dans la préface du Libri duo de clementia, cité par H. Lecoultre, « Calvin d’après son commentaire », p. 57-59.
108 H. Lecoultre, ibid., p. 59.
109 En atteste l’affaire Caturce, en 1532. G. Cazals, « Des procès humanistes au procès de Toulouse : Toulouse barbare ? », Littérature et droit, du Moyen Âge à la période baroque : le procès exemplaire, éd. S. Geonget et B. Méniel, Paris, H. Champion, 2008, p. 161-189.
110 H. Busson, Le rationalisme dans la littérature française de la Renaissance, 1533-1601, Paris, J. Vrin, rééd. 1971 ; F. de Caigny, Sénèque le tragique en France, p. 34 note 4.
111 G. Cazals, « Des procès humanistes ».
112 G. Cazals, Guillaume de La Perrière, à paraître.
113 Après le 1er novembre 1533, date à laquelle Nicolas Cop, nouveau recteur de l’université de Paris, a prêché la justification par la foi, Calvin s’enfuit. La tradition veut qu’avant de s’installer à Bâle et après être passé par Poitiers et Angoulême, il se soit réfugié à Nérac où il aurait été reçu par Marguerite. P. Jourda, Marguerite d’Angoulême. Duchesse d’Alençon, Reine de Navarre (1492-1549). Étude biographique et littéraire, Paris, H. Champion, 1930 ; rééd. Genève, Slatkine Reprints, 1978, p. 181, 185 note 90 ; M. Vial, Jean Calvin. Introduction à sa pensée théologique, Genève, Labor et Fides, 2008, p. 17.
114 La première traduction française du Manuel d’Épictète (Lyon, Jean de Tournes, 1544) est due à Antoine Du Moulin que Marguerite rencontre justement lors de son voyage à Toulouse en 1535. C’est ensuite Jean De Coras qui traduit de l’Epictète apocryphe la fameuse Altercation en forme de dialogue (Paris, G. Buon, 1558). Par la suite, ce ne sera pas un Toulousain, mais un franc réformé, Antoine de Rivaudeau, qui publie La doctrine d’Epictete stoïcien, comme l’homme se peult rendre vertueux, libre, sans passion (Poitiers, E. de Marnef, 1567). L. Zanta, La renaissance du stoïcisme au XVIe siècle, p. 143-144.
115 Selon Bertrand Hélie qui relate dans l’Historia Fuxensium comitum (Toulouse, N. Vieillard, 1540) le séjour qu’elle fit dans le comté de Foix, à Mazères, où l’accueillit l’évêque de Mirepoix Philippe de Lévis. Voir aussi P. Jourda, Marguerite d’Angoulême, p. 188-189 ; R. Ritter, Les solitudes de Marguerite de Navarre (1527-1549), Paris, Ancienne librairie H. Champion, 1953, p. 39-41.
116 Pour paraphraser H. Lecoultre, « Calvin d’après son commentaire », p. 61.
117 C. Schmidt, « Le mysticisme quiétiste en France au début de la réformation », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 1857, p. 449-464 ou tiré à part, 1858. Voir également F. Higman, « De l’affaire des Placards aux nicodémites : le mouvement évangélique français sous François Ier », Lire et découvrir : la circulation des idées au temps de la Réforme, Genève, Droz, 1998, p. 619-625.
118 À l’ouverture du Tiers Livre, Rabelais invite Marguerite de Navarre à abandonner pour un temps sa divine « apathie ». A. Dickow, « “Remede contre fascherie ?” Critique de l’Apatheia dans le Tiers Livre de Pantagruel », Études Rabelaisiennes, 46, 2008, p. 77-99, notamment p. 77 note 3.
119 M. Spanneut, « Permanence de Sénèque le Philosophe », ici p. 384. Convaincu que le monde, étant l’œuvre de la providence divine, ne saurait être dominé par le hasard, Calvin y défend les doctrines stoïciennes par rapport à celles d’Épicure. Sans aller jusqu’à les suivre en totalité. Tandis que pour les stoïciens la fortune est une nécessité aveugle, liée à la connexion des causes (que Calvin compare souvent à un labyrinthe), pour Calvin rien n’est fortuit, Dieu décide de tout, conservant son libre arbitre. Voir aussi P. -F. Moreau, « Calvin : fascination et critique du stoïcisme », Le stoïcisme au XVIe et au XVIIe siècle, p. 61.
120 P. -F. Moreau, Ibid., p. 53-54.
121 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, fol. [A iiiv].
122 Par nous même, dans notre thèse et dans G. Cazals, « Les juristes et la naissance de l’emblématique », p. 72.
123 G. Bossé-Truche, « Les représentations de la Prudence et de la Providence », p. 2-3.
124 P. -F. Moreau, « Calvin : fascination et critique du stoïcisme », p. 55.
125 Si l’année 1533 avait paru être une année miraculeuse, le 1500e anniversaire de la mort du Christ, les choses s’étaient rapidement gâtées. D. Crouzet, « Circa 1533 : anxieties, desires, and dreams », Journal of early modern history, 5, 2001, p. 24-61. Les vrais vaincus des années 1540-1550 ne furent pas les hommes de l’exil, l’incandescent duo Farel-Calvin, mais ceux qui restèrent dans le royaume et dans l’Église catholique. P. Cabanel, Histoire des protestants en France (XVIe -XXIe siècle), Paris, Fayard, 2012, p. 38, 43 sq. Dans la mesure où l’affaire des Placards fut le fruit d’une politique consciente et non pas un acte de folie, elle représente pour Higman une tentative de saboter cette « réforme douce » qui progressait si bien en France. F. Higman, « De l’affaire des Placards aux nicodémites », p. 623.
126 Tels Roussel, Du Bourg, Fumée, d’Espence. F. Higman, « De l’affaire des Placards aux nicodémites », p. 625 ; J. A. Reid, « French evangelical networks before 1555 : protochruches ? », La réforme en France et en Italie. Contacts, comparaisons, et contrastes, Rome, École française de Rome, 2007, p. 105-124, 123 ; J. A. Reid, King’s sister-queen of dissent : Marguerite of Navarre (1492-1549) and her evangelical network, Leide, Brill, 2009.
127 Selon Higman, ce mouvement de réforme qui rejetait la « solution suisse » et faisait des progrès importants vers 1534, et qui subit les lourdes conséquences de l’affaire des Placards, se prolongea même jusqu’à la fin du siècle. Pour eux, Genève n’était pas le seul modèle possible. Ainsi, quand le cardinal Odet de Châtillon s’exila de France, c’est en Angleterre qu’il se réfugia. Ces gens menaient une vie à haut risque (Anne Du Bourg fut envoyé au bûcher en 1550 pour avoir critiqué contre la persécution des hérétiques) et la discrétion était de rigueur. L’identification de ces personnes, l’étude de leurs réseaux de contacts et de clientèles, l’analyse de leurs idées forment un domaine de recherche loin d’être épuisé. F. Higman, « De l’affaire des Placards aux nicodémites », p. 625. La formation tardive des églises serait due non au manque de leadership mais aux directions que les leaders donnaient. J. A. Reid, King’s sister ; J. A. Reid, « French evangelical networks », p. 123.
128 J. A. Reid, King’s sister, vol. 2, p. 449 ; renvoyant à F. Higman, Piety and the poeple : religious printing in french, 1511-1551, Aldershot, Scolar press, 1996.
129 O. Millet, Calvin et la dynamique de la parole. Étude de rhétorique réformée, Paris, Champion, 1992 ; I. Garnier-Mathez, L’épithète et la connivence : écriture concertée chez les évangéliques, Genève, Droz, 2005.
130 C. A. Mayer, « Coq-à-l’âne : définition, invention, attributions », French Studies, 16, 1962, p. 1-13, rééd. dans Clément Marot et autres études sur la littérature française de la Renaissance, Paris, Champion, 1993, p. 145-158 ; J. E. Girot, « La poétique du coq-à-l’âne : autour d’une version inédite du “Grup” de Clément Marot », La génération Marot. Poètes français et néo-latins (1515-1550), éd. G. Defaux, Paris, H. Champion, 1997, p. 315-346.
131 Première dramaturge française connue à ce jour, Marguerite de Navarre a été nourrie, dès son enfance, par les spectacles qui rythmaient la vie sociale de son époque : mystères, passions, moralités, farces, sotties et autres jeux dramatiques. Héritière d’un théâtre qui se veut un lieu de communion entre les puissants et leurs sujets, elle n’hésite pas à donner à ses pièces un contenu satirique ou revendicatif. Au lendemain de l’affaire des Placards, entre 1534 et 1534, elle s’attèle à la composition du Mallade et de l’Inquisiteur, lesquelles confrontent les thèses évangéliques avec les normes institutionnelles représentatives de l’orthodoxie, avec des tendances polémiques nettes. Dans le Midi, dans le Béarn et en Navarre, où elle compose ses pièces, elle et son cercle d’intimes se laissent fréquemment aller à faire, comme à Nérac, en 1543, « mommeries et farces », comme elle l’écrit à M. d’Izernay le 12 janvier 1543. P. Jourda, Répertoire analytique et chronologique de la correspondance de Marguerite d’Angoulême, duchesse d’Alençon, reine de Navarre (1492-1549), Paris, H. Champion, 1930, n. 926, p. 205. Voir M. de Navarre, Théâtre profane, éd. V. L. Saulnier, Genève-Paris, Droz-Librairie Minard, 1978, p. xvii-xviii ; M. de Navarre, Œuvres complètes, IV : Théâtre, éd. G. Hasenohr et O. Millet, Paris, H. Champion, 2002, notamment p. 9 ; et sur les œuvres, G. Dirk Jonker, Le protestantisme et le théâtre en langue française au XVIe siècle, Groningen-Batavia, J. B. Wolter, 1939 ; F. R. Atance, « Les comédies profanes de Marguerite de Navarre : aspects de la satire religieuse en France au XVIe siècle », Revue d’histoire et de philologie religieuse, 56, 1976, p. 289-313 ; J. Beck, Théâtre et propagande au début de la réforme, Genève-Paris, Slatkine, 1986 ; Marguerite de Navarre 1492-1992, actes du colloque de Pau, éd. N. Cazauran et J. Dauphiné, Mont-de-Marsan, éditions interuniversitaires, 1995, p. 235-241 ; Renaissance et réforme, 26, 2002, Quêtes spirituelles et actualités contemporaines dans le théâtre de Marguerite de Navarre, éd. O. A. Duhl, notamment R. Reynolds-Cornell, « Comédies bibliques, comédies profanes de Marguerite de Navarre, deux faces d’un Janus évangélique », p. 11-31 ; J. Koopmans, « L’allégorie théâtrale au début du XVIe siècle : le cas des pièces profanes de Marguerite de Navarre », p. 65-89 ; Théâtre de femmes de l’Ancien Régime, XVIe siècle, éd. A. Evain, P. Gethner, H. Goldwyn, Saint-Étienne, Presses de l’université de Saint-Étienne, 2006, p. 16-17 ; O. A. Duhl, « La polémique religieuse dans le théâtre de Marguerite de Navarre », dans Le théâtre polémique français 1450-1550, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 189-210.
132 Que révèle l’invitation à dîner qu’adresse le poète à Boyssoné, Villars, et La Perrière : « Demain que Sol veult le jour dominer,/Vien Boyssoné, Villas, & La Perriere,/Je vous convie avec moy à disner,/Ne rejectez ma semonce en arriere :/Car en disnant, Phebus par la Verriere/(Sans la briser) viendra veoir ses Supposts,/Et donnera saveur a noz propos,/En les faisant dedans noz bouches naistre :/Fy du repas, qui en paix, & repos/Ne sçait l’esprit (avec le corps) repaistre » (C. Marot, « Second Livre des Epigrammes », L, « Il convie troys poëtes a disner », Œuvres poétiques, éd. G. Defaux, Paris, Bordas, vol. II, 1993, p. 269).
133 J. A. Reid, King’s sister, vol. II, p. 389 et 448.
134 G. Cazals, Guillaume de La Perrière, à paraître.
135 Selon l’analyse de J. Schwartz, « Emblematic theory and practice : the case of the Sixteenth century French emblem books », Emblematica, 2/2, 1987, p. 295 sq.
136 Tel sera le sens de l’emblème repris par Thomas Combe, et explicité par John Selden. P. Goodrich, « Devising law : on the philosophy of legal emblems », Law, Culture and Visual Studies, éd. A. Wagner et R. K. Sherwing, Dordrecht, Springer, 2013, p. 3-23.
137 Le theatre des bons engins, XV, XXIII, XXXIIII, LXXXV. Selon une thématique déjà fort présente chez Alciat, une éthique de la parole fondée avant toute chose sur la sobriété du langage. G. Cazals, « Les juristes et la naissance de l’emblématique », p. 66.
138 En lien avec le problème de la traduction des Saintes Écritures. P. Cabanel, Histoire des protestants en France (XVIe -XXIe siècle), Paris, Fayard, 2012, p. 28.
139 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème XXXIIII.
140 G. Bosse-Truche, « Les représentations de la Prudence et de la Providence », p. 6.
141 S’abstenant de parler de la vénération des saints, du purgatoire, des reliques, du système sacramentel, des adiaphora, dont l’Évangile ne parle pas. F. Higman, « De l’affaire des Placards aux nicodémites », p. 622 ; H. Daussy, « Les élites face à la Réforme dans le royaume de France (ca 1520-ca 1570) », La réforme en France et en Italie. Contacts, comparaisons, et contrastes, éd. P. Benedict, S. Seidel Menchi et A. Tallon, Rome, École française de Rome, 2007, p. 331-349.
142 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème VII : « Feu ne se doibt de cousteaux attiser/Disoit ce beau propos pithagorique :/Duquel le sens est, pour nous adviser,/Que celuy la commet folle pratique,/Qui le cheval felon au ventre picque. /Pareillement ne debvons irriter/Gens courroucez, mais plustost inviter/A bonne amour, par joyeuse parolle :/Cheval qui court vouloit trop inciter, Ne vint jamais que d’entreprinse folle ».
143 Dès la fin d’année 1535, elle correspond avec les souverains anglais, reçoit de Genève des remerciements pour la charité dont elle témoigne à l’égard des réformés et s’inquiète d’obtenir pour Georges d’Armagnac et René du Bellay des abbayes à Seez et au Mans. P. Jourda, Marguerite d’Angoulême, p. 192.
144 Voir G. De La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème XXVI (qui cependant peut aussi faire référence aux combats intellectuels menés par Alciat) : « Toy qui te bas à gens forclos d’espoir,/Trop entreprendz perilleuse bataille […] ». Voir également sur la nécessité de mener des troupes avec hardiesse l’emblème XXXIX. Or, animée, en 1536, d’un souffle guerrier, Marguerite de Navarre passe justement en revue les troupes du roi, en espérant une guerre courte qui se terminera par le succès du roi. P. Jourda, Marguerite d’Angoulême, p. 199-249.
145 Le theatre des bons engins, LXXIIII. En particulier pour mener à bien la politique conduite par les Du Bellay auprès des princes allemands avec lesquels ils essaient de renouer et pour la tentative de récupération de la Navarre espagnole, qui amène alors les souverains de Navarre à négocier secrètement avec Charles Quint. P. Jourda, Marguerite d’Angoulême, notamment p. 188, 215, 228, 234.
146 Le theatre des bons engins, XI, XIIII.
147 Le theatre des bons engins, LI : « Le pelerin en abus trop se fonde,/Qui soubz couleur de sainct pelerinaige/Pense abuser dieu, la court, et le monde :/Portant le signe et la croix du sainct passaige :/Qui continue en ce train n’est pas saige,/Apres qu’aura cheminé mer et terre,/De colicuth jusques en Engleterre,/Encor fault il qu’en ung point s’esvertue/Bourdon volant, se doibt tenir en serre,/Et sur la fin faire pas de tortue ».
148 Le theatre des bons engins, XIII : « En Thessalie on voit communement/Asnes bien gras, de belle corpulence,/Qui toutesfois sont lourds en mouvement/Et n’ont d’esprit quelque honneste excellence :/Pour le present voyons grand affluence/De telz lourdaux, massifz à testes grosses/En plusieurs lieux porter mitres et crosses/Et les chevaulx estre chargez de batz. Puis qu’asnerie et dignité font nopces, Gens literez cerchez aillieurs esbats ».
149 Le theatre des bons engins, LXXXI. Dans cette logique nous semble s’inscrire l’extrême rigueur qu’il préconise à l’égard des larrons s’attaquant au bien public, à l’encontre desquels la roue (XL), ou le gibet (LXXV), lui semblent nécessaires. Claudie Balavoine les analyse au contraire comme une « approbation inconditionnelle » des agissements les plus contestables de François Ier, au nombre desquels la pendaison de Semblançay, et même le « vol » du camaïeu toulousain récupéré par le souverain après sa visite à Toulouse en 1535. C. Balavoine, « Le Theatre des Bons Engins », p. 319.
150 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème XXXIII : « Quy d’ung rasouer la roche cuyde fendre,/N’advance rien fors que perdre son temps :/Et le fillet du rasouer fin et tendre :/Gaste du tout en maigre passetemps :/Sur ce notons, que noyses ou contendz/Ne fault avoir à gens plus fors que nous. /Le rasouer a le taillant mol et doulx,/La roche est dure, et forte à l’advantaige. /Contre plus fors (comme scavent bien tous)/L’on prend debat, à son tresgrand dommaige ».
151 Le theatre des bons engins, XXXVI : « Qui cuyde abatre abuz inveteré/est bien frustré de tout ce qu’il pourchasse :/Car si souvent il est reiteré,/Que l’on n’a rien à suivre telle chasse. /Fort fascheuse est, et bien sotte l’audace,/De ceulx qui ont ce lourd entendement,/De prendre aux rez les ventz soudainement :/Les ventz qui n’ont ne corps ne bras ny teste/Qui veult aussi trop temerairement/changer abus sans prevoir est bien beste ».
152 Le theatre des bons engins, LXXXV.
153 Le theatre des bons engins, LIX : « Il n’est pas temps de jouer aulx eschetz,/lors que le feu te brusle ta maison/Lors que noz cœurs de douleur sont tachez/Musicque et jeux ne sont pas de saison. /Si nous avons negoces à foison,/Fault qu’aulx plus grandz venons à droicte luycte :/Il n’est pas temps d’en faire la poursuyte. /Ne quand c’est faict, dire, donnons dedans. /rayson nous a baillé sens et conduicte,/Pour obvier aulx futurs accidens ».
154 Le theatre des bons engins, car « esprit vaut mieux que force », LV.
155 Le theatre des bons engins, C : « Quand Hercules apres plusieurs conquestes/Cuydoit avoir repos de ses labeurs,/Hydra survnt avecques ses sept testes :/Renouvelant ses travaulx et douleurs. /Quand par vertu avons acquis honneurs/Pensant avoir bonne paix assouvie,/Quelque meschant surviendra par envie,/Pour nous donner plus que devant affaire :/Tel travail n’eust Hercules en sa vie,/Ne tel danger, que pour Hydra deffaire ».
156 Selon une thématique rappelée par plusieurs emblèmes. Le theatre des bons engins, XXXVII, LIII.
157 G. Cazals, « Les juristes et la naissance de l’emblématique », p. 72, et sur la tradition des miroirs des princes J. Krynen, Idéal du prince et pouvoir royal en France à la fin du Moyen Âge : 1380-1440. Étude de la littérature politique du temps, Paris, A. et J. Picard, 1981.
158 Sur le rôle des tragédies antiques (dont le stoïcisme dans l’instruction des grands personnages de l’État), voir notamment F. de Caigny, Sénèque le tragique en France, p. 30 ; C. Meier, De la tragédie grecque comme art politique, trad. M. Carlier, Paris, Les Belles Lettres, 1991 ; P. Vidal-Naquet, Le miroir brisé. Tragédie athénienne et politique, Paris, Les Belles Lettres, 2002.
159 C. Balavoine, « Le Theatre des Bons Engins », notamment p. 326, 314, 317 : on voit « La Perrière défier l’apologie humaniste de la paix qui ne tolère que la guerre défensive pour appliquer explicitement le cynisme machiavélien aux guerres de conquête qui furent la ruineuse passion de François Ier. Jusqu’à justifier ces dépenses mêmes et les terribles expédients auxquels le roi eut recours pour s’en libérer. Pour ce faire il suit, une fois de plus, Machiavel qui, considérant que la crainte que le souverain inspire est la plus sûre alliée de son pouvoir, défend l’intérêt du châtiment exemplaire, plus efficacement et finalement plus “pitoyable” que la miséricorde ». C. Balavoine, « Le Theatre des Bons Engins », p. 308.
160 La Perrière ne traite pas des maximes classiques du droit romain contrairement à Calvin, élève de Pierre de l’Estoile. Il ne reprend pas non plus la notion de loi naturelle. En revanche, il reprend, à la suite de Sénèque et des stoïciens, les notions de justice et d’équité, évoquées par Calvin. F. Wendel, Calvin, sources et évolution, p. 14-15.
161 Voir l’édition donnée par F. L. Battles et A. M. Hugo, Calvins commentary’s on Seneca’s De clementia, Leiden, E. J. Brill, 1969.
162 Le Miroir Politicque de La Perrière est de fait l’un des premiers ouvrages attestant de la connaissance de l’œuvre de Machiavel en France. G. Cardascia, « Machiavel et Jean Bodin », Bibliothèque d’humanisme et de Renaissance, 3, 1943, p. 129-167 ; G. Procacci, Studi sulla fortuna del Machiavelli, Rome, Istituto storico italiano per l’età moderna e contemporanea, 1965 ; G. Procacci, Machiavelli nella cultura europea dell’Età moderna, Roma-Bari, Laterza, 1995 ; G. Cazals, Guillaume de La Perrière ; G. Cazals, Une civile société . Une éventuelle et plus précoce influence du Prince sur les emblèmes du Theatre des bons engins reste plus incertaine, même si deux emblèmes de l’œuvre, les pièces XXII et XCIII, remémorent les chapitres xviii et xvii du traité.
163 P. Veyne, Sénèque. Une introduction, p. 30.
164 Même si l’on peut s’étonner dans ce cadre des propos misogynes que tient La Perrière dans l’œuvre, comme le fait P. L. Tawn, Women and women voices : their literary expression in France c. 1500-c. 1540, thèse, Université de Durham, 1993, en ligne.
165 G. de La Perrière, Le theatre des bons engins, emblème LXXXI.
166 Sur les différentes éditions du Theatre des bons engins, A bibliography of French Emblem books, I, 1999, p. 364-381.
167 Sur l’inscription des emblèmes dans le cadre de problématiques herméneutiques, ou des réflexions humanistes sur la difficulté de considérer comme parfaite l’adéquation entre le langage et le sens, la lettre et l’esprit, J. -M. Châtelain, Livres d’emblèmes et de devises, p. 25 sq. ; sur la signification des hiéroglyphes, C. -F. Brunon, « Signe, figure, langage : les Hieroglyphica d’Horapollon », dans L’emblème à la Renaissance, p. 44.
168 D. Érasme, Prolégomènes à l’édition des Adages, Opera Omnia, I, p. 52-62 ; épître à Lord Mountjoy, Paris, [Juin 1500], dans La Correspondance, vol. I (1484-1514), Bruxelles, Presses académiques européennes, 1967, lettre 126, p. 264 sq. ; P. Jacopin, J. Lagrée, Érasme, humanisme et langage, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 114 sq.
169 A. Saunders, « The sixteenth century French emblem : decoration, diversion or didacticism », Renaissance studies, 3/2, juin 1989, p. 133.
170 Sur lesquelles voir G. Cazals, Une civile société.
171 Ainsi dans la traduction de Combe. M. V. Silcox, « The translation of La Perrière’s Le theatre des bons engins into Combe’s The theater of fine devices », Emblematica 2/1, 1987, p. 61-94.
172 O. A. Duhl, « Introduction », Renaissance and reformation, 26/4, automne 2002, p. 7.
173 P. Choné, Emblèmes et pensée symbolique en Lorraine (1525-1633) : « Comme un jardin au cœur de la chrétienté », Paris, Klincksieck, 1991 ; A. Saunders, « The sixteenth-century French emblem book as a form of religious literature », The sixteenth century French religious books, éd. A. Pettegree et al., Aldershot, Ashgate, 2001, p. 38 sq. ; A. Adams, Webs of allusion : French protestant emblem books of the sixteenth-century, Genève, Droz, 2003 ; G. Richard Dimler, The Jesuit emblem : bibliography of secondary literature with select commentary and descriptions, New York, AMS Press, 2005 ; R. Dekoninck, Ad imaginem. Statuts, fonctions et usages de l’image dans la littérature spirituelle jésuite du XVIIe siècles, Genève, Droz, 2005 ; Emblematic images and religious Texts : studies in honor of G. Richard Dimler, S. J., éd. P. F. Campa and P. M. Daly, Philadelphie, 2010.
174 L. van Delft, « L’idée de théâtre », p. 1356, donne quelques pistes en ce sens.
175 Laquelle doit être réaffirmée selon H. Daussy, « Les élites face à la Réforme dans le royaume de France (ca 1520-ca 1570) », p. 349.
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Référence papier
Géraldine Cazals, « Le Theatre des bons engins de Guillaume de La Perrière », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 29 | 2015, 271-304.
Référence électronique
Géraldine Cazals, « Le Theatre des bons engins de Guillaume de La Perrière », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 29 | 2015, mis en ligne le 30 avril 2018, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13786 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13786
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