Quelle faute l’anglais a-t-il donc commise pour qu’il soit interdit de traduire en anglais ?
Résumés
Trevisa a fait précéder sa traduction du Polychronicon d’un dialogue entre le commanditaire et le clerc chargé de l’exécuter. Il reflète la controverse sur la traduction de textes scientifiques et religieux, compliquée par la présence de deux vernaculaires et de mutations socioculturelles. Le seigneur s’appuie sur le prestige de l’anglais avant la normandisation et sur l’historique de la translatio studii ; il use d’arguments souvent proches de ceux des milieux wyclifiens.
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- 1 What haþ Englisshe trespassed þat hit my3t no3t be translated into Englissh ? (l. 99-100). L’éditio (...)
- 2 On trouvera un examen détaillé de cette traduction, et plus particulièrement de l’insertion de maté (...)
- 3 Pour plus de détails concernant Thomas Berkeley et son mécénat, on se référera à l’article de Ralph (...)
- 4 La polémique, qui démarra à Queen’s College (Oxford) au début des années 1370, était à la fois cult (...)
- 5 C’est la thèse défendue par Dove, The First English Bible.
- 6 Selon l’analyse de Hanna (« Sir Thomas Berkeley », p. 896), comme Trevisa travaillait sous le contr (...)
- 7 Par exemple : « le Christ et ses apôtres n’étaient ni moines ni frères » (Crist ne non of alle his (...)
1Mon titre1 est emprunté au premier de deux petits textes, un dialogue entre un seigneur et son clerc suivi d’une épître adressée à ce seigneur, rédigés en guise de préface à la traduction anglaise du Polychronicon de Ranulph Higden2, une des chroniques universelles les plus diffusées en Angleterre à la fin du Moyen Âge. Leur auteur, également traducteur de la chronique, est John Trevisa, prêtre et chapelain de Sir Thomas Berkeley3. Ancien étudiant d’Oxford, Trevisa naquit vers 1342. Son nom est associé à la traduction de quelques autres grands textes latins, parmi lesquels nous retiendrons notamment le De Proprietatibus Rerum de Bartholomée l’Anglais et le De Regimine Principum de Gilles de Rome. Comme Mary Dove l’a récemment fait valoir, il a dû être un des personnages centraux de la violente polémique soulevée alors à Oxford par la traduction wyclifienne des Écritures saintes4. Que Trevisa ait été impliqué ou non dans cette entreprise5, il faut surtout retenir ici ses sympathies et celles de son mécène pour les milieux lollards6. Il avait été contemporain du théologien à Oxford et connaissait son œuvre, une influence qui se perçoit çà et là dans sa propre production, et sa version anglaise de la chronique latine comporte de surcroît plusieurs interpolations qui reflètent une franche hostilité envers le clergé régulier et certains de ses membres7.
- 8 Une soumission toute relative, car il y a bien entendu un jeu très subtil entre les propos du narra (...)
2Composés vers 1387, le Dialogue et l’Épître (probablement les seules œuvres originales de notre homme) présentent une mine d’informations sur la progression de la langue vernaculaire en Angleterre. Articulé sous la forme d’un débat opposant un seigneur à son clerc, le premier de ces petits textes de fiction fait état des réticences et autres objections de celui qui se voit ainsi chargé de la traduction des chroniques par son seigneur, lequel milite avec force arguments en faveur de la légitimation de la langue anglaise. Dans l’Épitre, après avoir dû se résigner à la soumission8, le lettré énumère certaines difficultés qu’il va devoir affronter et expose simultanément quelques-unes des techniques auxquelles il va recourir.
3Dans cet article consacré à la légitimation de traductions en langue anglaise, je voudrais surtout mettre l’accent sur trois points, intimement imbriqués, mais que je m’efforcerai de désenchevêtrer pour les besoins de cet article. Il s’agira tout d’abord de l’emploi du terme lewed. La seconde partie portera sur l’accusation de transgression portée à l’encontre de la langue anglaise, et sur l’exposé visant à légitimer son emploi. Je développerai ensuite quelques commentaires sur la mutation du paysage socioculturel à cette époque.
Un jeu sur la polysémie de lewed. Un paradoxe en conclusion
- 9 Une nouvelle génération d’historiens de la langue anglaise porte un regard plus nuancé sur la durée (...)
- 10 S. Lusignan, La Langue des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre, Paris, PUF, 2 (...)
- 11 On constate ici les débuts de l’appropriation par les laïcs de ce qui avait longtemps été chasse ga (...)
- 12 Þis reson ys worþy to be plonged yn a plod and leyd in pouþer of lewednes and of schame (l. 81-82).
- 13 The vorseyde lewed reson ys worþy to be pouþred, yleyd a water and ysouced (l. 96).
- 14 Hyt ys wonder þat þou makest so feble argementys and hast ygo so long to scole (l. 111-112).
4N’opposant pas simplement ceux pratiquant la langue savante à tous ceux qui sont réduits à l’usage du vernaculaire, la dichotomie opposant traditionnellement lettrés et illettrés est plus complexe en Angleterre qu’en France. Si le moyen-anglais recourt à lewed pour désigner les illiterati, la situation de diglossie, voire de triglossie, outre-Manche a généré quelque confusion sémantique dans l’emploi de ce terme. La présence de deux vernaculaires articulés en une relation initialement assez hiérarchisée9 a bouleversé le clivage habituel, qui, en Angleterre, ne se limite pas à opposer lettrés et illettrés, mais aussi les personnes qui ont accès au latin et/ou au français et celles qui ne connaissent que la langue du terroir. Contrairement à l’anglais, l’autorité du français avait cessé d’être très inférieure à celle du latin et il est probable qu’à l’époque qui nous concerne, « l’anglo-français utilisé comme deuxième langue du roi possédait un statut proche de la langue savante – il était une sorte de latin bis – qui l’opposait à l’anglais, la langue vulgaire10 ». En gros, les blocs antithétiques qui se sont ainsi construits opposent le public instruit (qu’il utilise la langue savante ou le « latin bis ») au reste de la population. Le terme moyen-anglais lewed a dès lors développé une polysémie qui conjugue les notions « illettré, inculte, laïc » (c’est-à-dire manquant de culture cléricale, ne possédant que la langue du terroir) avec celles « ignorant, bête ». Le seigneur joue sur cette ambigüité sémantique pour jongler avec les paradoxes et dénoncer avec mépris le caractère lewed – un manque d’instruction qui est proche de l’imbécilité – de la partie adverse11. Tandis que le clerc s’obstine à répéter qu’une traduction est inutile et allègue que le latin est bon et beau, le Dominus accumule les termes relevant du vocabulaire de la ferme, ce qui rabaisse singulièrement son interlocuteur au rang de paysan : « Cette raison mérite d’être plongée dans une mare et d’être mise dans de la poudre d’ignorance et de honte12 », d’autant qu’il ajoute avec perfidie qu’on pourrait croire que c’est une plaisanterie. L’escalade se poursuit, et le seigneur s’attaque alors directement au manque total de discernement de son clerc, n’hésitant pas à lui lancer qu’un myope verrait la réponse à cet argument et que même un individu complètement aveugle pourrait la saisir par tâtonnements, à moins que le toucher ne lui fasse également défaut. Il l’accable d’invectives et, filant sa métaphore de l’eau, de la boue et de la pulvérisation, le raille d’un : « Le précédent argument d’ignorant/de fou mérite d’être pulvérisé, mis dans l’eau et d’y être enfoncé13 ». Ce long persiflage se clôture sur un commentaire cinglant, qui allie logique implacable et remise en question de la formation savante : « C’est étonnant que tes arguments soient aussi faibles alors que tu as fréquenté si longtemps l’école14 ».
- 15 Les rédacteurs de la traduction wyclifienne avaient eux aussi relevé ce précédent. Voir A. Cole, « (...)
- 16 This vorseyde lewed reson scholde meeve no man þat haþ eny wyt to leve þe makyng of Englysch transl (...)
- 17 Voir R. Waldron, « John Trevisa and the Use of English », Proceedings of the British Academy, 4, 19 (...)
5Après avoir dénoncé la stupidité des propos de son homme de science, le commanditaire épingle l’absurdité de leur logique. Si traduire la Bible est inutile, ceux qui l’ont traduite de l’hébreu en grec se seraient alors consacrés à un travail de lewed, terme dont le sens n’est à nouveau guère laudatif. Saint Jérôme lui-même se serait dès lors livré à des activités imbéciles, alors que son texte avait été écrit sous la dictée du Saint Esprit15. Et d’ailleurs, adresser des sermons en latin à des fidèles anglophones, voilà bien un acte d’ignorant/d’imbécile en dépit de toute la bonté et la beauté du latin. Ce paradoxe permet au maître des lieux de conclure que « Cette raison d’ignare ne devrait inciter personne possédant un peu d’esprit à empêcher la rédaction d’une traduction anglaise16 ». Les douze tracts issus des milieux wyclifiens militaient exactement dans le même sens : « si nous prêchons la loi divine et l’Évangile aux laïcs en hébreu, grec ou latin, ils n’en seront pas plus sages17 ».
- 18 Pour un choix documenté de ces textes, consulter The Idea of the Vernacular, An Anthology of Middle (...)
- 19 Voir à ce propos The Idea of the Vernacular, éd. J. Wogan-Browne et al., p. 127-128, v. 63-74.
- 20 Mes citations du texte moyen-anglais du Treatise on the Astrolable sont extraites de The Riverside (...)
6Plusieurs autres auteurs ou traducteurs font alors valoir des revendications qui s’inscrivent dans un mouvement identique18. Dès la seconde décennie du siècle, l’auteur du Prologue au cycle de la Northern Homily justifiait le choix de l’anglais par son souci d’être compris des natifs du pays, lettrés comme illettrés, chose impossible s’il recourait au latin savant ou au français courtois19. C’est dans le Prologue à sa traduction du Traité sur l’Astrolabe que Chaucer entre dans la querelle sur la traduction anglaise de la Bible. Il procède de manière indirecte et s’appuie sur la métaphore d’un petit garçon de dix ans doué pour l’étude des sciences20, mais qui ne connaît pas encore suffisamment le latin, raison pour laquelle son père a entrepris de lui traduire le traité. Le « grant translateur » se prononce d’emblée en faveur de l’aptitude de l’anglais (suffisen) à transmettre les conclusions de cet ouvrage ; c’est exactement la même situation que chaque fois qu’il a fallu les traduire dans la langue locale :
- 21 Natheeles suffise to the these trewe conclusions in Englissh as wel as sufficith to these noble cle (...)
Néanmoins que ces conclusions en anglais t’apportent la même connaissance que celle que ces mêmes conclusions en grec ont apportée aux nobles clercs grecs ; et aussi aux Arabes en arabe, aux Juifs en hébreu et aussi au peuple latin en latin ; ce peuple latin les a d’abord eues de diverses autres langues, et les a ensuite écrites dans leur langue, c’est-à-dire en latin21.
- 22 Appliqué à une langue, light n’a rien de péjoratif et, selon le Middle English Dictionary, s’interp (...)
- 23 As trewe conclusions touching this mater, and not oonly as trewe but as man*y and as subtile conclu (...)
- 24 Cet extrait du Li Livres de comfort de Philosophie est cité par S. Lusignan dans Parler vulgairemen (...)
- 25 Now wol I preie mekely every discret persone that redith or herith this litel tretys (l. 41-44). Mo (...)
- 26 Edgar Laird a quelque peu développé ce point dans « Chaucer and Friends, The Audience for the Treat (...)
- 27 Pour une analyse de la constitution de ce public, voir ma troisième partie.
- 28 Teche (l. 12), for thy doctrine (l. 63).
- 29 J. Batany, « L’amère maternité du français médiéval », Langue française, 54, 1982, p. 20-39, ici p. (...)
7Chaucer affirme en même temps le statut intrinsèquement équivalent du latin et de leur langue maternelle, qu’il met sur un pied d’égalité avec d’autres, même les plus prestigieuses. Il stipule ensuite que son anglais light22 possède toutes les nuances nécessaires pour transmettre des connaissances « non seulement aussi vraies, mais également aussi nombreuses et subtiles que celles exposées en latin dans n’importe quel traité sur l’Astrolabe23 ». Lorsqu’il avait été confronté à une situation identique, Jean de Meun avait d’ailleurs dédouané sa langue en déclarant de même que le français était bien plus « legiers a entendre que le latin24 ». Dès le Prologue, l’auteur dépasse la perspective de l’enfant de dix ans et élargit son programme de réception : « Maintenant je prie humblement toute personne intelligente qui lit ou entend ce petit traité25 ». Le cercle visé est constitué d’un ensemble disparate de personnes dont il évite de préciser le degré de formation et de culture. L’éventail se veut très large : des personnages comme John of Gaunt ou la Reine Anne, des savants, des astronomes professionnels ou amateurs, tout comme aussi des compatriotes, des personnes dont il serait vexatoire de déclarer qu’ils sont assimilables à un enfant26. Lewis est en réalité une métaphore d’une assez large couche sociale, anglophone, sans formation scientifique, et extérieure aux milieux de la cour27. De même, le rôle d’enseignant28 rempli dans ce cas par le traducteur doit être élargi à celui d’agent de la transmission du savoir. Les remarques développées par Jean Batany sur la fonction de la langue maternelle en France permettent de considérer qu’il faut aller encore plus loin dans l’interprétation de la métaphore29. Jouer le rôle de père dans la langue maternelle de l’enfant, n’est-ce pas simultanément affirmer que cette langue héberge dorénavant les mots antérieurement réservés au domaine culturel du père ?
Une accusation de péché. La légitimation de l’anglais30
- 30 J’ai développé cette question au Congrès The Theory and Practice of Translation in the Middle Ages, (...)
8Le Dialogue s’étonne de l’interdiction de traduire vers l’anglais et s’interroge sur le péché qui aurait valu pareille sanction à leur langue maternelle. Le seigneur joue très habilement avec l’argument de la vertu esthétique et morale du latin, des qualités sur lesquelles le clerc avait particulièrement insisté, pour démontrer que cette langue n’est pas la seule qui les possède : il suffit en effet de penser à l’hébreu, d’inspiration divine.
- 31 S. Lusignan en rapporte les différentes étapes dans Parler vulgairement, p. 180.
- 32 Cité à ce propos par C. F. Briggs, « Teaching Philosophy at School and Court. Vulgarization and Tra (...)
- 33 To Latyn folk in Latyn ; whiche Latyn folk had hem first out of othere dyverse langages, and writte (...)
- 34 L’article de Cole, « Chaucer’s English Lesson », souligne les fortes analogies entre les deux prolo (...)
- 35 Il s’agit de Denis l’Aréopagite, que Trevisa confond avec le premier évêque de Paris.
- 36 Selon Waldron, « John Trevisa », p. 179, le manuscrit Cotton Tiberius D. VII est le seul qui ait co (...)
9Le second volet de la démonstration s’articule autour du motif de la translatio studii, à l’œuvre en France depuis le XIIe siècle31. L’histoire atteste plusieurs transferts du savoir, lequel fut dans un premier temps translaté du monde grec au monde latin. Sous l’impulsion de Charles V, qui mène une politique de vulgarisation et s’entoure de traducteurs, la latinité est ensuite déplacée physiquement à Paris. Précédant Trevisa de quelques années, Nicolas Oresme préconise alors de jumeler le déplacement de la science à Paris avec une translation à la langue vulgaire, et fait valoir qu’au départ le latin n’était rien de plus que la langue « commune et maternelle des Romains32 ». Un raisonnement identique figure en tête du Prologue à l’Astrolabe ; Chaucer y évoque le caractère initialement vernaculaire du latin, une langue qui n’était alors ni savante ni religieuse : les conclusions avaient été traduites « en latin pour le peuple latin, lequel peuple latin, après les avoir reçues de diverses langues, les a écrites dans la sienne, en l’occurrence le latin33 ». Imitant probablement aussi les rédacteurs du Prologue général à la Bible wyclifienne34, le commanditaire de la traduction de Higden s’appuie sur la même logique pour justifier une nouvelle étape dans la translation du savoir, et, cette fois, la cible doit être l’anglais. Le latin n’avait été qu’un idiome parmi d’autres dans cette chaîne de transmission et beaucoup de textes canoniques furent composés dans d’autres langues. Charles le Chauve confia à Jean Scot Érigène une traduction latine du texte grec “de saint Denis”35. Les Écritures furent de même traduites de l’hébreu en grec, puis du grec en latin, et ensuite du latin en français36. Le plaidoyer du seigneur est parallèle à celui développé dans le programme de traduction de la Bible présenté dans le De Officio Pastorali, traité polémique associé au nom de Wyclif :
- 37 Also þes worþy reume of Fraunse, notwiþstondinge alle lettingis, haþ translatid þe Bible and þe Gos (...)
Et aussi, malgré tous les obstacles, le noble royaume de France a traduit du latin en français la Bible et les Évangiles, ainsi que d’autres écrits fidèles de docteurs. Pourquoi les Anglais n’en feraient-ils pas de même37 ?
- 38 « A linguistic relativism that gives English equal standing with all other languages » (Olson, « Ge (...)
- 39 What haþ Englisshe trespassed þat hit my3t no3t be translated into Englisshe ? (l. 117).
- 40 Comme l’a fait remarquer N. Watson, « Lollardy : the Anglo-Norman Heresy », Language and Culture in (...)
- 41 On connaît l’incidence du Quatrième Concile de Latran (1215) et des Constitutions de Lambeth de 128 (...)
- 42 Les actes des manifestations organisées à l’occasion du XI e centenaire du décès du roi (Alfred the (...)
10Même lorsqu’ils n’explicitent pas clairement le lien entre la traduction biblique et l’anglicisation de la matière savante, les défenseurs du vernaculaire le suggèrent. Dans le Prologue au Traité sur l’Astrolabe, c’est cette même association qui sous-tend l’énumération des langues dans lesquelles les « conclusions » du traité furent rendues accessibles. Son regard empreint de relativisme linguistique38 permet au défenseur de l’anglais mis en scène par Trevisa de conclure que, dans ce contexte, rien n’empêche de conférer à leur idiome la dignité scripturale des autres langues vernaculaires. Face à pareille chaîne d’illustres précédents, il s’interroge même avec énervement, « Quelle faute l’anglais a-t-il donc commise pour qu’il soit interdit de traduire en anglais39 ? ». Pour compléter le bilan, il rappelle qu’une version bilingue (latine et française) de l’Apocalypse figure sur les murs et le plafond de la chapelle locale. Ce qui pourrait apparaître comme un détail insignifiant indique au contraire que, à l’époque anglo-normande40, des autorités ecclésiastiques cautionnaient la traduction de textes religieux41. Le champion de leur parler natal poursuit son plaidoyer pro domo en évoquant l’époque où l’autorité culturelle de l’anglais était bien établie, comme en témoignent le prestige des traducteurs et la nature des textes qui furent alors consignés en langue vulgaire. Il s’attarde au roi Alfred et à sa politique de traduction vernaculaire de textes latins42. Le souverain traduisit les meilleures lois et une importante partie des Psaumes et il confia ainsi à l’évêque Werferth la rédaction d’une version anglaise des Dialogues de saint Grégoire. Les exemples suivants ne sont pas moins édifiants puisque ce fut l’Esprit Saint qui inspira à Caedmon ses étonnants poèmes bibliques et qui inspira à Bède, un « saint », sa version anglaise de l’Évangile selon saint Jean.
- 43 Beal, John Trevisa a consacré un long développement à ce transfert.
- 44 Dans Ranulf Higden, The Universal Chronicle, éd. J. Taylor, Oxford, Clarendon Press, 1966, p. 45, T (...)
- 45 On consultera notamment A. Galloway, « Writing History in England », The Cambridge History of Medie (...)
11Partie intégrante de la démonstration, l’énumération de la filiation de ces chaînes de passeurs n’a toutefois rien d’un banal catalogue43. Le choix des cas et les précisions retenues sont en effet dictés par les impératifs de la thèse. L’inspiration divine, et plus particulièrement celle de la céleste colombe, tisse un des fils conducteurs du processus de légitimation de l’anglais. Elle figure une première fois dans l’évocation de saint Jérôme, puis lors du rappel de la nature de la poésie de Caedmon. De même, la sainteté de Bède, ou l’introduction de saint Denis dans cet historique ne sont pas étrangères au divin. Le motif atteint toutefois son apogée dans la réplique finale du clerc. Même si solliciter l’aide de Dieu constitue bien entendu un procédé rhétorique, celui qui va traduire s’inscrit dans la lignée de ces illustres prédécesseurs, qu’il demande pour mener à bien son travail, ou que son œuvre plaise aux trois personnes de la Trinité. La justification par le divin se complète d’un argument patriotique, car l’insertion relative à la fondation de l’Université d’Oxford par Alfred le Grand participe bien entendu de ce projet de réhabilitation de la composante nationale. L’attribution de cet acte patriotique au grand souverain n’est en effet pas une invention de Trevisa, dont le texte source rapportait déjà le mythe44. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le choix de ce qui est probablement la première traduction commanditée par Lord Berkeley s’est porté sur le Polychronicon. Comme c’est souvent le cas, bien que chronique universelle débutant avec Adam et Ève, la somme compilée par le moine bénédictin représente simultanément une histoire nationale engagée. Higden avait consacré les deux derniers livres à l’histoire du pays, qu’il couvrait jusqu’en 1352. Ses commentaires sur la « normandisation » de l’île dévoilent un scepticisme révisionniste qui insinue qu’une culture vernaculaire lettrée unifiée permettrait de remédier aux dommages opérés par la conquête normande45. Il déplore la détérioration de l’anglais, qu’il attribue à la concurrence déloyale du français, langue de prestige et d’enseignement :
- 46 Hæc quidem nativæ linguæ corruptio provenit hodie multum ex duobus ; quod videlicet pueri in scholi (...)
La corruption de la langue maternelle tient à deux causes. L’une est que les enfants à l’école, contrairement à l’usage chez toutes les autres nations, sont obligés d’abandonner leur propre langue et d’apprendre leurs leçons et de faire leurs travaux en français, et ce depuis que les Normands sont arrivés en Angleterre. De plus, on enseigne à parler le français aux enfants de la bonne société dès le temps qu’on les berce dans leur berceau et qu’ils commencent à parler et à jouer avec un hochet ; et les gens plus rustiques qui veulent les imiter s’efforcent avec peine de parler le français afin d’être mieux considérés46.
- 47 Même si cette dénomination (anachronique et imparfaite) a ses détracteurs, les décennies qui suivir (...)
- 48 Christine de Pizan, Le Livre des faits et bonnes mœurs du roi Charles V le sage, III, 13, trad. É. (...)
- 49 On trouvera des informations supplémentaires sur cet aspect de la translatio studii d’Athènes et de (...)
- 50 Voir Lusignan, Parler vulgairement, p. 161.
- 51 Christine de Pizan, Livre des faits et bonnes mœurs, p. 219-220.
12C’est par conséquent surtout l’Angleterre « précoloniale47 » qui suscite son intérêt, aussi s’applique-t-il à réhabiliter sa patrie et en évoque-t-il le lustre d’antan. La parenthèse qu’ouvre le Dialogue sur le roi Alfred clame avec force que l’illustre défenseur de la langue vernaculaire anglaise avait déjà pratiqué la translatio studii en élevant l’Université d’Oxford au rang de nouvelle héritière d’Athènes et de Rome. Si Charlemagne a transféré les études à l’Université de Paris, raison pour laquelle Charles V lui aurait voué un tel amour48, Oxford n’est sûrement pas en reste puisque son fondateur a effectué une démarche parallèle49. Curieuse réécriture postcoloniale du rôle joué par le savant de Northumbrie, le traitement réservé au Vénérable Bède rejoint une préoccupation similaire. Dans les commentaires relatifs au passage du savoir de Grèce à Rome, puis de Rome à Paris, Hélinand de Froidmont avait énuméré les instigateurs de cette ultime étape, en l’occurrence chez lui, Bède, Alcuin, Claude de Turin et Jean Scot Érigène. Cette version connut une longue postérité en France, où ces personnages finirent par être perçus comme les fondateurs de l’Université de Paris50. Christine de Pizan, par exemple, attribue celle-ci à Alcuin, Raban Maur (dont elle précise qu’il fut l’élève de Bède), Claude de Turin et Jean Scot Érigène51. Mais Trevisa se garde bien d’inclure Bède dans la liste des responsables ou de leurs maîtres, aussi gomme-t-il entièrement son activité continentale pour ne retenir que son rôle insulaire : c’est un saint homme (dès lors habilité à traduire les textes sacrés) et un pionnier de la langue commune à tous les Anglais. Il est significatif que le Prologue à la Bible wyclifienne donne un commentaire apparenté en ce qui concerne la création d’Oxford :
- 52 So manie men translatiden into Latyn, and to greet profyt of Latyn men, lat oo symple creature of G (...)
Tant d’hommes ont traduit vers le latin, pour le plus grand bénéfice des Latins, qu’on permette à une simple créature de Dieu de traduire vers l’anglais au bénéfice des Anglais ! Car si les clercs séculiers examinent les chroniques et les livres, ils devraient voir que Bède a traduit la Bible et donné beaucoup d’exposés en saxon, qui était la langue commune à tous les Anglais en ce pays à cette époque. Bède ne fut pas le seul, il y eut aussi le roi Alfred, qui fonda l’Université d’Oxford : à la fin de sa vie, il traduisit le début du psautier en saxon et aurait fait davantage s’il avait vécu plus longtemps. Et puis, les Français, le peuple de Bohème et les Bretons ont une traduction de la Bible dans leur langue maternelle, d’autres livres de dévotion et des traités. Je ne peux comprendre pourquoi les Anglais n’auraient pas la même chose dans leur langue maternelle52.
13Pas question pour le cercle de Wyclif d’évoquer le rôle de Bède en France, aussi le Prologue se borne-t-il à citer sa traduction de la Bible et d’autres ouvrages en « saxon ». De cette manière, le commentaire détourne intelligemment la tradition de l’implication du grand homme dans la translatio studii vers Paris au profit d’une autre démonstration, celle du rôle essentiel que le personnage a pu jouer dans la reconnaissance de leur propre langue nationale.
Une mutation socioculturelle. Un changement de public
- 53 Sa déclaration doit de nouveau se lire dans le cadre de la fiction. Comme on le sait, l’implication (...)
- 54 Voir The Idea of the Vernacular, éd. J. Wogan-Browne et al., p. 131.
- 55 Cette thèse est celle avancée par R. F. Green, Poets and Prince-Pleasers : Literature and the Engli (...)
- 56 Hanna, « Sir Thomas Berkeley and his Patronage ».
- 57 On trouvera un complément d’information dans la notice relative à Trevisa de The Idea of the Vernac (...)
14Dès l’ouverture du Dialogue, Dominus a annoncé que le but poursuivi en faisant exécuter une traduction anglaise de l’œuvre de Higden était d’en élargir le cercle des destinataires53. Dans le feu du débat, il laisse entendre que cette version la rendra compréhensible à tous ceux qui ignorent le latin mais comprennent l’anglais. C’est évidemment là un programme trop ambitieux, et, dans le double contexte du mécénat de Thomas Berkeley et des attaches bénédictines de la compilation de Higden, on peut considérer qu’en réalité son public émanera surtout du clergé, de la gentry et de la noblesse54. La situation linguistique de l’Angleterre connaît en effet alors une mutation profonde et il s’agit précisément là de couches de la population qui subissent une forte pénétration de l’anglais. Cet élan de légitimation du vernaculaire semble ne pas être le fruit des prétentions sociales d’un nouveau lectorat issu de la bourgeoisie. Il doit s’interpréter comme le résultat du jeu particulièrement complexe d’intérêts mutuels de riches et puissants aristocrates et d’écrivains soucieux de courtiser des protecteurs de cette envergure55, mais aussi56 du souci d’aucuns d’assurer la dissémination d’ouvrages qu’ils avaient commandités. Les deux textes témoignent du mouvement d’appropriation de la science et, avec elle, de la langue anglaise, par de nouvelles couches de la population57. Lord Berkeley a voulu la traduction, et son clerc n’a eu d’autre choix que d’acquiescer ; si le clergé se prête à la vulgarisation de l’information, c’est parce que les circonstances l’obligent à obtempérer. L’attrait du gain n’est d’ailleurs pas étranger à la soumission de celui qui va traduire ; Charles F. Briggs a mis l’accent sur l’avidité des clercs à transmettre leur science
- 58 Briggs, « Teaching Philosophy », p. 108.
to anyone […] who could both benefit from it and, in turn, benefit them. They had knowledge to give, but they also had knowledge for sale, and increasingly their market was to be found in the courts and households of the upper echelons of the laity58.
- 59 Medeful making (l. 139), mede (l. 155), this medeful dede (l. 155), profitable (l. 155), mede (l. 1 (...)
- 60 Le motif de la récompense céleste n’est pas original ; il figure par exemple également dans le Prol (...)
15Le bien-fondé de cette approche est confirmé par l’insistance mise par l’Épître sur des termes relevant du champ sémantique de la récompense, de la richesse ou encore du profit59. Elle concentre ces vocables, tout en mélangeant, non sans ambiguïté, profit culturel et autre avec gratification divine : Dieu récompensera ainsi le mécène d’avoir commandité un ouvrage aussi profitable60.
- 61 Dénomination proposée par P. F. Dembowski, « Learned Latin Treatises in French : Inspiration, Plagi (...)
- 62 Konnyng, informacion and lore (l. 29-31).
16En imposant la vernacularisation de l’information scientifique à son clerc, le seigneur réitère un phénomène qu’avait connu la France au cours du siècle précédent. Il s’agit là de « traduction service61 », concept que le mécène définit comme une traduction correspondant à une nécessité bénéfique. Le projet éducatif comporte la transmission du savoir, de l’information et de l’enseignement62 à un public élargi, un lectorat, que la discussion entre les deux hommes permet de préciser davantage. En réponse aux propos négatifs de son interlocuteur, qui réduit l’anglais à une langue comprise des seuls Anglais et qui surenchérit sur l’inutilité des traductions en stipulant qu’au sein de cette population il se trouve d’ailleurs des individus comme le seigneur qui lisent et comprennent le latin, le maître des lieux objecte que personne, pas plus le clerc que lui-même, n’a accès à l’intégralité du contenu des chroniques sans s’appuyer sur d’autres sources. Le seigneur brosse alors un bref panorama sociolinguistique des motifs interdisant l’apprentissage du latin à la majeure partie de la population (âge, manque d’intelligence ou d’argent, ou encore absence de proches qui puissent intervenir dans leur apprentissage). Quant aux raisons empêchant l’illettré de se documenter, elles aussi sont variables, qu’il ignore les questions à poser ou qu’il ne trouve aucune aide.
- 63 Il ne faudrait bien entendu pas en déduire qu’aucun traducteur ne traduira plus du français.
- 64 Les essais rassemblés dans le volume Language and Culture in Medieval Britain. The French of Englan (...)
- 65 Voir Mossé, Manuel de l’anglais du Moyen Âge, p. 325-330, et n. 36 supra.
17Tout comme ce fut le cas antérieurement en France, les destinataires de cette nouvelle littérature ont changé, mais la complexité du contexte anglais ne permet toutefois pas de considérer que les bénéficiaires du service culturel sont identiques des deux côtés de la Manche. Que Trevisa ne traduise pas en français, et même pas du français d’ailleurs63, est symptomatique d’un certain déclin de la langue des colonisateurs dans les provinces d’Outre-manche. Loin d’être linéaire, le glissement du français vers l’anglais est un phénomène hautement complexe64. Les anglicistes connaissent bien la mise à jour apportée par cet auteur à la description qu’avait donnée sa source de la distribution des langues dans le pays65. Même si les allégations du traducteur doivent probablement être nuancées, on y découvre que les données relatives à l’utilisation du français dans les milieux scolaires ont changé depuis la grande peste de 1348-1349. John of Cornwall prit l’initiative d’utiliser l’anglais pour enseigner le latin dans les écoles de grammaire, exemple qui fut bientôt suivi par d’autres, aussi la langue d’enseignement est-elle dorénavant l’anglais dans toutes les écoles de grammaire du royaume. Suit une digression sur les avantages (apprentissage plus rapide de la grammaire) et les désavantages (ignorance du français, situation préjudiciable lors de voyages sur le Continent, ainsi que dans d’autres circonstances, ajoutet-il malheureusement sans préciser) de cette nouveauté. Trevisa termine son commentaire en signalant que les gentilshommes ont largement cessé d’enseigner le français à leurs enfants.
- 66 Cité par J. H. Fisher, « Chancery and the Emergence of Standard Written English in the Fifteenth Ce (...)
- 67 Voir R. A. Potter, « Chaucer and the Authority of Language : The Politics and Poetics of the Vernac (...)
- 68 Gode save the king, that is lord of this langage, The Riverside Chaucer, p. 662, l. 56-57.
- 69 En 1333, Philippe VI l’imposa à la chancellerie, élevant ainsi le français au rang de langue qui sy (...)
- 70 Pour la France, on se référera à C. Beaune, Naissance de la nation française, Paris, Gallimard, 198 (...)
- 71 Ces questions sont étudiées dans le volume Inscribing the Hundred Years’War in French and English C (...)
- 72 Voir C. Collette, « Aristotle, Translation and the Mean : Shaping the Vernacular in Late Medieval A (...)
18On le constate, le caractère identitaire de l’anglais s’affirme avec de plus en plus de véhémence, phénomène auquel la royauté n’est pas totalement étrangère. Il faut savoir que, pour motiver ses troupes lors des conflits l’opposant à la France, le roi avait plus d’une fois exercé des pressions sur ses sujets en laissant entendre que le souverain français se proposait d’éradiquer la langue anglaise66. Et même si l’adoption de l’anglais par la royauté et son gouvernement est loin d’avoir terminé sa progression, il semble évident que le prestige de la langue de l’ennemi se ternissait au fil des combats67. Remarquons ensuite que c’est précisément dans le Prologue à l’Astrolabe que Chaucer use de la formule « Dieu bénisse le roi, qui est seigneur de cette langue68 ». Sans encore parler explicitement de « l’anglais du roi », prier Dieu pour le roi qui est seigneur de leur langue, c’est déjà réclamer pour celle-ci un statut correspondant à celui acquis par le « français du roi69 ». Si je m’associe à Serge Lusignan pour y déceler la volonté d’imiter le modèle français et de sortir l’anglais d’un rang subalterne, je ne puis accepter le lien qu’il établit avec le changement de dynastie. L’emploi par Chaucer précède de plusieurs années le renversement dynastique d’outre-Manche et, même si le pouvoir royal est alors fragilisé, on assiste plutôt à un effort du souverain pour se concilier d’importantes nouvelles couches de la population, sans toutefois pour autant prendre de mesures en faveur de l’anglais. N’oublions pas non plus que c’est Chaucer qui déclare ici Richard II seigneur de la langue anglaise et qui, par sa démarche, manipule en quelque sorte l’opinion publique, voire le roi, pour consolider la reconnaissance de ce qui allait devenir l’idiome national. Il est incontestable que l’identité nationale a peine à se construire dans le contexte de la domination anglaise d’une partie de la France, et que cette notion est particulièrement malmenée par la succession de pertes et reconquêtes territoriales de la guerre de Cent Ans70. Il est néanmoins manifeste que la formation d’une conscience nationale est en cours de réalisation et qu’elle se cristallise ici autour de la langue nationale, celle que Chaucer tente de d’établir sous l’appellation de langue du roi71. En France, comme en Angleterre ou en Italie, on ne peut le nier, la défense du vernaculaire transcende nos conceptions contemporaines des séparations entre les nations72, mais, au-delà du phénomène transnational et transhistorique, en s’inscrivant dans cette avancée de la vernacularité dans leur pays, des Oresme, Wyclif, Chaucer, Trevisa et Dante, pour ne citer qu’eux, ont également contribué au développement des identités nationales.
Notes
1 What haþ Englisshe trespassed þat hit my3t no3t be translated into Englissh ? (l. 99-100). L’édition utilisée est celle de R. Waldron, « Trevisa’s Original Prefaces on Translation : A Critical Edition », Medieval English Studies Presented to George Kane, éd. E. D. Kennedy, R. Waldron et J. S. Wittig, Woodbridge, D. S. Brewer, 1988, p. 285-299. Le manuscrit édité par Waldron est le British Library MS Cotton Tiberius D VII. Sauf indication contraire, je suis l’auteur de toutes les traductions françaises de cet article. Celui-ci s’est développé au départ d’un colloque « Exégèses vernaculaires » organisé pour l’AMAES par Tony Hunt et Jean-Pascal Pouzet, que je remercie pour ses remarques.
2 On trouvera un examen détaillé de cette traduction, et plus particulièrement de l’insertion de matériel paratextuel, dans J. Beal, John Trevisa and the English Polychronicon, Tempe/Turnhout, 2012.
3 Pour plus de détails concernant Thomas Berkeley et son mécénat, on se référera à l’article de Ralph Hanna III, « Sir Thomas Berkeley and His Patronage », Speculum, 64, 1989, p. 878-916.
4 La polémique, qui démarra à Queen’s College (Oxford) au début des années 1370, était à la fois culturelle, littéraire et religieuse ; elle a été déclenchée par le projet de traduction anglaise. Voir M. Dove, The First English Bible : the Texts and Contexts of the Wycliffite Versions, Cambridge, Cambridge University Press, 2007. Dove a aussi dirigé une anthologie de débats moyen-anglais en faveur de la traduction (The Earliest Advocates of the English Bible : the Texts of the Medieval Debate, Exeter, Exeter Medieval Texts and Studies, 2010). Les travaux d’Ann Hudson, spécialiste du mouvement wycliffite, apporteront un vaste complément d’information.
5 C’est la thèse défendue par Dove, The First English Bible.
6 Selon l’analyse de Hanna (« Sir Thomas Berkeley », p. 896), comme Trevisa travaillait sous le contrôle de son mécène, on peut supposer que celui-ci n’était pas opposé aux positions anticléricales de son vicaire, et qu’il n’était pas non plus hostile à ses liens avec les Lollards, d’autant que lui-même entretenait des relations amicales avec au moins deux chevaliers lollards (Sir John Cheyne et William Beauchamp).
7 Par exemple : « le Christ et ses apôtres n’étaient ni moines ni frères » (Crist ne non of alle his postles was nevere monk nor frere ), cité par D. C. Fowler, English Writers of the Late Middle Ages. John Trevisa, Aldershot, Variorum, 1994, p. 98. Comme l’ont montré les travaux de P. R. Szittya, The Antifraternal Tradition in Medieval Tradition, Princeton, Princeton University Press, 1986, l’hostilité envers les ordres mendiants n’était pas neuve.
8 Une soumission toute relative, car il y a bien entendu un jeu très subtil entre les propos du narrateur fictionnel et la position de l’auteur.
9 Une nouvelle génération d’historiens de la langue anglaise porte un regard plus nuancé sur la durée et la nature de la primauté du français durant les siècles qui suivirent la Conquête. Ardis Butterfiled résume ce changement d’attitude ainsi que les nouvelles recherches en cours dans The Familiar Enemy, Chaucer, Language and Nation in the Hunded Years War, Oxford, Oxford University Press, 2009, en particulier p. 54-56.
10 S. Lusignan, La Langue des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre, Paris, PUF, 2004, p. 200.
11 On constate ici les débuts de l’appropriation par les laïcs de ce qui avait longtemps été chasse gardée des clercs. Fiona Somerset a schématisé l’interaction traditionnelle entre les clercs et les laïcs (formés à cette fin, les premiers se réservaient jalousement la pratique du latin, l’art de l’argumentation et l’instruction) et a montré que les idées du seigneur sont en rupture avec le statut qui est le sien : F. Somerset, « As just as is asquyre : The Politics of Lewed Translacion in Chaucer’s Summoner’s Tale », Studies in the Age of Chaucer, 21, 1999, p. 187-207 ; Clerical Discourse and Lay Audience in Late Medieval England, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, notamment chapitre 3, « The publyschyng of informacion : John Trevisa, Sir Thomas Berkeley, and their Project of Englysch translacion », p. 62-100.
12 Þis reson ys worþy to be plonged yn a plod and leyd in pouþer of lewednes and of schame (l. 81-82).
13 The vorseyde lewed reson ys worþy to be pouþred, yleyd a water and ysouced (l. 96).
14 Hyt ys wonder þat þou makest so feble argementys and hast ygo so long to scole (l. 111-112).
15 Les rédacteurs de la traduction wyclifienne avaient eux aussi relevé ce précédent. Voir A. Cole, « Chaucer’s English Lesson », Speculum, 77, 2002, p. 1128-1167.
16 This vorseyde lewed reson scholde meeve no man þat haþ eny wyt to leve þe makyng of Englysch translacion (l. 105).
17 Voir R. Waldron, « John Trevisa and the Use of English », Proceedings of the British Academy, 4, 1988, p. 171-202, ici p. 180, n. 22 (þou3 we preche to þe lewid peple goddis lawe & þe gospel in ebrewe, grwe or latyn, þei schullen neuere be þe wiser).
18 Pour un choix documenté de ces textes, consulter The Idea of the Vernacular, An Anthology of Middle English Literary Theory, éd. J. Wogan-Browne, N. Watson, A. Taylor et R. Evans, University Park, The Pennsylvania State University Press, 1999.
19 Voir à ce propos The Idea of the Vernacular, éd. J. Wogan-Browne et al., p. 127-128, v. 63-74.
20 Mes citations du texte moyen-anglais du Treatise on the Astrolable sont extraites de The Riverside Chaucer, éd. L. D. Benson, Oxford, Oxford University Press, 1987, p. 661-683. Il s’agit d’un texte clef dans la relation entretenue par le père de la poésie anglaise avec le vernaculaire : voir à ce sujet G. Olson, « Geoffrey Chaucer », The Cambridge History of Medieval English Literature, éd. D. Wallace, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 566-588, ici p. 582. Le texte figure dans la traduction complète des œuvres de Chaucer dirigée par André Crépin ; voir Geoffrey Chaucer, Les Contes de Canterbury et autres œuvres, trad. A. Crépin et al., Paris, Laffont, 2010. Vu l’importance du sens précis des termes pour mon propos, j’ai toutefois préféré donner ma propre traduction.
21 Natheeles suffise to the these trewe conclusions in Englissh as wel as sufficith to these noble clerkes Grekes these same conclusions in Grek ; and to Arabiens in Arabik, and to Jewes in Ebrew, and to Latyn folk in Latyn ; whiche Latin folk had hem first out of diverse langages, and written hem in her owne tunge, that is to seyn, in Latin (l. 28-Preface).
22 Appliqué à une langue, light n’a rien de péjoratif et, selon le Middle English Dictionary, s’interprète comme facile à comprendre. L’adjectif est, par exemple, attesté avec cette valeur sémantique dans le Prologue à la Chronique de Robert Mannyng.
23 As trewe conclusions touching this mater, and not oonly as trewe but as man*y and as subtile conclusiouns, as ben shewid in Latyn in eny commune tretys of the Astrelabie (l. 51-55). On trouvera le texte de ce prologue dans The Idea of the Vernacular, éd. J. Wogan-Browne et al., p. 19-24. La formule light lange est attestée l. 63.
24 Cet extrait du Li Livres de comfort de Philosophie est cité par S. Lusignan dans Parler vulgairement. Les Intellectuels et la langue française aux XIIIe et XIVe siècles, Paris, Vrin, 1986, p. 149.
25 Now wol I preie mekely every discret persone that redith or herith this litel tretys (l. 41-44). Mon commentaire rejoint les remarques émises par S. Eisner, « Chaucer as a Technical Writer », Chaucer Review, 19, 1985, p. 179-201, ici p. 181 ; G. Olson, « Geoffrey Chaucer », p. 583 ; J. Mead, « Geoffrey Chaucer’s Treatise on the Astrolabe », Literature Compass, 3/5, 2006, p. 973-991, ici p. 986.
26 Edgar Laird a quelque peu développé ce point dans « Chaucer and Friends, The Audience for the Treatise on the Astrolabe », The Chaucer Review, 41/4, 2007, p. 439-443.
27 Pour une analyse de la constitution de ce public, voir ma troisième partie.
28 Teche (l. 12), for thy doctrine (l. 63).
29 J. Batany, « L’amère maternité du français médiéval », Langue française, 54, 1982, p. 20-39, ici p. 34. C’est à Nicolas Oresme que revient la création du néologisme « langue maternelle » pour désigner la langue qui n’était pas celle des clercs.
30 J’ai développé cette question au Congrès The Theory and Practice of Translation in the Middle Ages, consacré en 2013 à Translation and Authority – Authorities in Translation . L’article, « John of Trevisa légitimise la traduction en langue anglaise (vers 1387) », paraîtra dans The Medieval Translator, 13, Turnhout, Brepols, sous presse.
31 S. Lusignan en rapporte les différentes étapes dans Parler vulgairement, p. 180.
32 Cité à ce propos par C. F. Briggs, « Teaching Philosophy at School and Court. Vulgarization and Translation », The Vulgar Tongue. Medieval and Postmedieval Vernacularity, éd. F. Somerset et N. Watson, University Park, The Pennsylvania State University Press, 2000, p. 99-111, ici p. 109 n. 14 : « en ce pays le langage commun et maternel, c’estoit latin ». Voir aussi Batany, « L’amère maternité », p. 37, ainsi que, pour les prolongements au XVe siècle, S. Lusignan, « “Le latin était la langue maternelle des Romains” : la fortune d’un argument au XVe siècle », Préludes à la Renaissance. Aspects de la vie intellectuelle en France au XVe siècle, éd. C. Bozzolo et E. Ornato, Paris, CNRS, 1992, p. 265-282.
33 To Latyn folk in Latyn ; whiche Latyn folk had hem first out of othere dyverse langages, and written hem in her owne tunge, that is to seyn, in Latyn (l. 33-36).
34 L’article de Cole, « Chaucer’s English Lesson », souligne les fortes analogies entre les deux prologues et le débat de Trevisa, et démontre combien le personnage de Wyclif et sa pensée sont au centre des réflexions des écrivains de l’époque.
35 Il s’agit de Denis l’Aréopagite, que Trevisa confond avec le premier évêque de Paris.
36 Selon Waldron, « John Trevisa », p. 179, le manuscrit Cotton Tiberius D. VII est le seul qui ait conservé la phrase relative à la traduction des Écritures ; les autres manuscrits se sont prudemment dégagés de toute allusion à la controverse.
37 Also þes worþy reume of Fraunse, notwiþstondinge alle lettingis, haþ translatid þe Bible and þe Gospels, wiþ oþere trewe sentensis of doctours, out of Lateyn into Freynsch. Why shulden not Engli3schemen do so ? (cité par Waldron, « John Trevisa », p. 179). On trouvera l’édition du chapitre dans lequel figure cet extrait dans K. Sisam, Fourteenth Century Verse and Prose, Oxford, Clarendon Press, 1re éd. 1921, éd. revue, 1955, p. 117-119.
38 « A linguistic relativism that gives English equal standing with all other languages » (Olson, « Geoffrey Chaucer », p. 582).
39 What haþ Englisshe trespassed þat hit my3t no3t be translated into Englisshe ? (l. 117).
40 Comme l’a fait remarquer N. Watson, « Lollardy : the Anglo-Norman Heresy », Language and Culture in Medieval Britain. The French of England c. 1100 – c. 1500, éd. J. Wogan-Browne, Woodbridge, York Medieval Press, 2009, p. 334-346, ici p. 343-344, le renvoi à la période anglo-normande est contraire à la stratégie des wycliffiens, lesquels s’efforcent de démontrer la continuité d’une tradition biblique anglophone, et, pour renforcer la dichotomie latin/anglais, lettrés/ lewd, gomment l’activité de cette période.
41 On connaît l’incidence du Quatrième Concile de Latran (1215) et des Constitutions de Lambeth de 1287 sur le développement de l’instruction religieuse. Parmi l’abondante littérature sur ce sujet, citons R. M. Haines, « Education in English Ecclesiastical Legislation of the Later Middle Ages », Studies in Church History, 7, 1971, p. 161-175, ainsi que les articles de J. Shaw et de L. E. Boyle dans The Popular Literature of Medieval England, éd. T. J. Heffernan, Knoxville, The University of Tennessee Press, 1985, p. 40-60 et 30-43.
42 Les actes des manifestations organisées à l’occasion du XI e centenaire du décès du roi (Alfred the Great : Papers from the Eleventh-Centenary Conferences, éd. T. Reuter, Aldershot, Ashgate, Studies in Early Medieval Britain, 2003) reflètent bien le rôle du souverain. Parmi d’autres publications, voir aussi J. M. Bately, « Old English Prose Before and During the Reign of King Alfred », ASE, 17, 1988, p. 93-138.
43 Beal, John Trevisa a consacré un long développement à ce transfert.
44 Dans Ranulf Higden, The Universal Chronicle, éd. J. Taylor, Oxford, Clarendon Press, 1966, p. 45, Taylor fait remarquer qu’il s’agit d’une innovation de Higden et de chroniques contemporaines ; il donne d’autres détails illustrant l’intérêt du chroniqueur pour les périodes plus anciennes de l’histoire de son pays.
45 On consultera notamment A. Galloway, « Writing History in England », The Cambridge History of Medieval English Literature, p. 255-283, ici p. 276-277.
46 Hæc quidem nativæ linguæ corruptio provenit hodie multum ex duobus ; quod videlicet pueri in scholis contra morem cæteraru nationum a primo Normannorum adventu, derelicto proprio vulgari, construere Gallice compelluntur ; item quod filii nobilium ab ipsis cunabulorum crepundiis ad Gallicum idioma informantur. Quibus profecto rurales homines assimilari volentes, ut per hoc spectabiliores videantur, francigenare satagunt omni nisu . La citation latine est extraite de F. Mossé, Manuel de l’anglais du Moyen Âge des origines au XIVe siècle. II. Moyen-anglais, t. 1, Grammaire et textes, Paris, Aubier, 1959, p. 327 ; les deux versions y sont reprises en parallèle. La traduction française du texte de Higden donnée ici est celle qui figure dans Lusignan, Langue des rois, p. 201.
47 Même si cette dénomination (anachronique et imparfaite) a ses détracteurs, les décennies qui suivirent la conquête normande sont souvent perçues comme une période de domination coloniale (pensons notamment à B. Golding, Conquest and Colonisation. The Normans in Britain, 1066-1100, Londres, Palgrave Macmillan, 2012 2 ; J. C. Holt, Colonial England, 1066-1215, Londres, Hambledon Press, 1997 ; R. Evans, « Historicizing Postcolonial Criticism : Cultural Difference and the Vernacular », The Idea of the Vernacular, éd. J. Wogan-Browne et al., p. 366-378).
48 Christine de Pizan, Le Livre des faits et bonnes mœurs du roi Charles V le sage, III, 13, trad. É. Hicks et T. Moreau, Paris, Stock, 1997, p. 219-220.
49 On trouvera des informations supplémentaires sur cet aspect de la translatio studii d’Athènes et de Rome à Paris et sur le rôle de l’Université comme composante de l’identité nationale dans S. Lusignan, « L’Université de Paris comme composante de l’identité du Royaume de France : Étude sur le thème de la translatio studii », Identité régionale et conscience nationale en France et en Allemagne du Moyen Âge à l’époque moderne, éd. R. Babel et J. -M. Moeglin, Sigmaringen, Jan Thorbecke, 1996, p. 59-72.
50 Voir Lusignan, Parler vulgairement, p. 161.
51 Christine de Pizan, Livre des faits et bonnes mœurs, p. 219-220.
52 So manie men translatiden into Latyn, and to greet profyt of Latyn men, lat oo symple creature of God translate into English, for profyt of English men ! For if worldli clerkis loken wel here croniclis and bokis, thei shulden fynde that Bede translatide the Bible and expounide myche in Saxon that was English either comoun langage of this lond in his tyme ; and not oneli Bede but also King Alvred, that foundide Oxenford, translatide in hise laste daies the bigynning of the Sauter into Saxon, and wolde more if he hadde lyved lengere. Also Frenshe men, Beemers, and Britons han the Bible and othere bokis of devocioun and of exposicioun translatid in here modir langage. Whi shulden not English men have the same in here modir langage I can not wite. Voir Medieval English Political Writings, éd. J. M. Dean, Kalamazoo (Michigan), Medieval Institute Publications, 1996, l. 356-365.
53 Sa déclaration doit de nouveau se lire dans le cadre de la fiction. Comme on le sait, l’implication d’élites urbaines dans la diffusion d’œuvres savantes en anglais n’était pas un phénomène récent. Comme on le sait aussi depuis les travaux de Michael T. Clanchy (From Memory to Written Record, England 1066-1307, Oxford, Blackwell, 2e éd., 1993) et de Malcolm Parkes (« The Literacy of the Laity », Scribes Scripts and Reader, éd. M. B. Parkes, Londres, The Hambledon Press, p. 275-298), « l’alphabétisation pratique » avait débuté dès le XIIe siècle.
54 Voir The Idea of the Vernacular, éd. J. Wogan-Browne et al., p. 131.
55 Cette thèse est celle avancée par R. F. Green, Poets and Prince-Pleasers : Literature and the English Court in the Late Middle Ages, Toronto, 1980.
56 Hanna, « Sir Thomas Berkeley and his Patronage ».
57 On trouvera un complément d’information dans la notice relative à Trevisa de The Idea of the Vernacular, éd. J. Wogan-Browne et al., p. 130-131. Voir aussi F. Somerset, Clerical Discourse and Lay Audience in Late Medieval England, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
58 Briggs, « Teaching Philosophy », p. 108.
59 Medeful making (l. 139), mede (l. 155), this medeful dede (l. 155), profitable (l. 155), mede (l. 156), quiteth et quite (l. 156), welth (l. 156). L’édition de l’Épître utilisée est celle de The Idea of the Vernacular, éd. J. Wogan-Browne et al., p. 134-135.
60 Le motif de la récompense céleste n’est pas original ; il figure par exemple également dans le Prologue au Northern Homily Cycle (The Idea of the Vernacular, éd. J. Wogan-Browne et al., p. 129), mais ce qui frappe ici, c’est son caractère répétitif.
61 Dénomination proposée par P. F. Dembowski, « Learned Latin Treatises in French : Inspiration, Plagiarism, and Translation », Viator, 7, 1985, p. 255-269, notamment p. 257. Selon ce concept, le but du traducteur est de servir l’auteur latin en transmettant le sens et l’intention du texte à des contemporains dont la connaissance du latin est insuffisante, voire nulle.
62 Konnyng, informacion and lore (l. 29-31).
63 Il ne faudrait bien entendu pas en déduire qu’aucun traducteur ne traduira plus du français.
64 Les essais rassemblés dans le volume Language and Culture in Medieval Britain. The French of England c. 1100 – c. 1500, éd. Wogan-Browne, permettront de mesurer les interactions entre les deux vernaculaires ainsi que leur évolution.
65 Voir Mossé, Manuel de l’anglais du Moyen Âge, p. 325-330, et n. 36 supra.
66 Cité par J. H. Fisher, « Chancery and the Emergence of Standard Written English in the Fifteenth Century », Speculum, 52, 1977, p. 870-899 ; T. W. Machan, « French, English, and the Late Medieval Linguistic Repertoire », Language and Culture in Medieval Britain, p. 363-372. Dans l’article « Langue et nation en Angleterre à la fin du Moyen Âge », Revue française d’histoire des idées politiques, 36/2, 2012, p. 233-252, C. Fletcher énumère plusieurs épisodes de la guerre au cours desquels le roi ou son chancelier font état de l’intention du roi de France d’envahir l’Angleterre, ainsi que de détruire toute la nation et la langue anglaises.
67 Voir R. A. Potter, « Chaucer and the Authority of Language : The Politics and Poetics of the Vernacular in Late Medieval England », Assays, 6, 1991, p. 73-91.
68 Gode save the king, that is lord of this langage, The Riverside Chaucer, p. 662, l. 56-57.
69 En 1333, Philippe VI l’imposa à la chancellerie, élevant ainsi le français au rang de langue qui symbolisait le pouvoir du souverain ; voir Lusignan, La Langue des rois, p. 148-149.
70 Pour la France, on se référera à C. Beaune, Naissance de la nation française, Paris, Gallimard, 1985. Comme le montrent plusieurs travaux récents, la question est beaucoup plus complexe dans le cas de l’Angleterre, d’autant qu’il faut aussi s’entendre sur la signification précise du terme nacion. Le développement du concept de nation anglaise à la fin du Moyen Âge résulte de l’interaction d’un éventail de phénomènes. Voir par exemple Th. Turville-Petre, « The “Nation” in English Writings of the Early Fourteenth Century », England in the Fourteenth Century, éd. N. Rogers, Harlaxton Medieval Studies, 3, 1993, p. 128-139 ; Imagining a Medieval English Nation, éd. K. Lavezzo, Minneapolis/Londres, University of Minnesota Press, 2004 ; Butterfield, The Familiar Enemy ; Fletcher, « Langue et nation ».
71 Ces questions sont étudiées dans le volume Inscribing the Hundred Years’War in French and English Cultures, éd. D. N. Baker, Albany, State of New York Press, 2000, en particulier dans l’article d’E. J. Richards, « The Uncertainty in Defining France as a Nation in the Works of Eustache Deschamps », p. 159-175. L’auteur relève notamment la déclaration de la délégation anglaise au Concile de Constance (1415) : selon ces délégués, la définition d’une « nation » pouvait s’appliquer soit à un groupe distinct de personnes apparentées par le sang, soit à un groupe présentant une différence linguistique, soit encore à une unité politique (p. 160).
72 Voir C. Collette, « Aristotle, Translation and the Mean : Shaping the Vernacular in Late Medieval Anglo-French Culture », Language and Culture in Medieval Britain. The French of England c. 1100 – c. 1500, éd. Wogan-Browne, p. 372-385.
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Référence papier
Juliette Dor, « Quelle faute l’anglais a-t-il donc commise pour qu’il soit interdit de traduire en anglais ? », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 29 | 2015, 181-198.
Référence électronique
Juliette Dor, « Quelle faute l’anglais a-t-il donc commise pour qu’il soit interdit de traduire en anglais ? », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 29 | 2015, mis en ligne le 30 avril 2018, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13780 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13780
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