Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris, roman coffret, roman à coffrets
Résumés
Analyser les enchâssements dans le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris revient à montrer que ce poème est une réflexion sur la dette des arts d’aimer et du roman à l’égard de la lyrique courtoise et du mythe de Narcisse. Il en résulte une esthétique de la profondeur qui ressortit à la technique narrative de l’emboîtement et se traduit par des mises en abyme et des métaphores de la thésaurisation. L’œuvre explore le dialogue entre les écritures de l’amour à propos du rôle de l’image en amour.
Texte intégral
1Pour s’assurer de la loyauté de l’amant, le dieu Amour accepte sa proposition de fermer son cœur avec une clé. Mais plutôt que d’en fabriquer une, comme l’amant le lui suggérait, il décide de se servir d’une clé qu’il a déjà utilisée pour fermer son propre écrin où sont gardés, dit-il, ses « joial ». Cette clé, c’est la dame de son écrin, affirme Amour. Par son transfert, le cœur de l’amant devient le double de cet écrin. Quels joyaux y seront déposés ?
- 2 Sur la clôture et l’enchâssement, voir également P. Verhuyck, « Guillaume de Lorris ou la multiplic (...)
2Véritable obsession, le souhait de fermer, d’enclore ou d’entourer, pour emprisonner ou pour sauvegarder, se décline à tous les niveaux du récit, inachevé dit-on, d’une quête inaboutie. Les jeux d’enchâssements sont si nombreux que l’on peut se demander si l’écrin n’est pas l’emblème d’un poème hanté du début à la fin par l’idée de clôture2. La même clé-dame n’ouvre-t-elle pas aussi cet autre contenant qu’est le roman, d’après les premiers vers de l’œuvre ? Vers quels joyaux du roman conduit-elle le lecteur ?
D’une rose l’autre
3Dès le seuil de son poème, Guillaume de Lorris place son œuvre sous le signe de l’emboîtement et la présente comme un contenant :
- 3 Le Roman de la Rose, v. 37-38.
Ce est li romanz de la rose
Ou l’art d’amours est toute enclose3.
4Ces deux vers, souvent commentés, devraient être lus ensemble avec les vers suivants auxquels ils sont liés par la présence des mêmes termes « rose » et « amours » qui forment un chiasme :
- 4 Le Roman de la Rose, v. 37-44.
Ce est li romanz de la rose
Ou l’art d’amours est toute enclose.
La matiere est bone et nueve :
Or doint dieus qu’an gre le reçoive
Cele pour cui je l’ai empris .
C’est cele qui tant a de pris
Et tant est digne d’estre amee
Qu’ele doit estre rose clamee4.
- 5 Lien qui existe dans la poésie lyrique : que l’on pense à la « crin saura » de la dame dans le « so (...)
- 6 S’agit-il de la dame ou de la jeune fille ? La question débouche sur la distance que prend Guillaum (...)
5Dans ces huit vers, le narrateur attribue le même nom de « rose » deux fois, d’abord à l’œuvre, puis à sa destinataire. L’autre point commun entre l’écrit et la dame est le lien à l’amour, mais alors que le nom du roman n’est pas motivé, il apparaît comme une nécessité venant de l’amour lorsqu’il s’agit de celle qui l’a inspiré. La figure, fermée sur elle-même, dit la clôture où les deux parties, l’œuvre et sa destinataire, sont en position spéculaire. La justification du nom à propos de la destinataire rejaillit sur le roman : c’est sans doute parce qu’il contient un art d’aimer que son auteur veut lui donner le nom de « rose ». La spécularité joue aussi dans l’autre sens. Par ce redoublement du nom, le narrateur lie, au moins, son œuvre à celle qui l’a inspirée5 ; au mieux, la volonté organisatrice et esthétique de son œuvre double – enclore un « art d’amours » dans son roman – à l’image mystérieuse de l’inconnue, ou de sa représentation symbolique dans le texte, le bouton de rose clos6.
6La rose est partout : titre, senhal, partie du décor, objet de désir et objet de la quête amoureuse, mais peut-être également un blason de la technique narrative fondée sur le geste d’« enclore » à laquelle elle est associée à la rime (« rose »/« enclose »).
D’un écrin l’autre
- 7 Le Roman de la Rose, v. 2603-2605.
Nes qu’an puet espuisser la mer,
Ne porroit on les maus d ’ amer
Conter en romanz ne en livre7.
7La matière d’amour et des « maus d’amer » est si inépuisable qu’elle justifie l’association de tous les moyens, du narratif au didactique. Guillaume de Lorris y consacre les moyens romanesques de l’aventure et de la quête ainsi que la pédagogie directe des arts d’aimer, genre en vogue à cette époque. Mais où s’arrête le roman et où commence l’art d’aimer ? En d’autres mots, comment comprendre la déclaration du narrateur que son roman enclot un art d’aimer ? Comme une hybridation des genres ou comme l’enchâssement d’un genre dans un autre genre ?
- 8 E. Baumgartner, « L’absente de tous bouquets… », Études sur le Roman de la Rose, éd. Dufournet, p. (...)
- 9 J. -C. Payen, « L’art d’aimer chez Guillaume de Lorris », Études sur le Roman de la Rose, éd. Dufou (...)
- 10 « L’art d’aimer du premier Roman de la Rose est une aventure héroïque », J. -C. Payen, « L’art d’ai (...)
- 11 Le petit roman Floris et Lyriopé de Robert de Blois combine également une fiction courtoise et un a (...)
8Quête et pédagogie sont imbriquées dans le poème. L’œuvre toute entière est une initiation à cette matière intarissable autant par les enseignements et commandements du dieu Amour que par les étapes du cheminement du héros romanesque. L’art d’aimer serait alors l’autre visage de ce roman. C’est surtout ainsi qu’il a été perçu par la critique : comme un double de l’œuvre d’André le Chapelain8, comme une version en langue d’oïl de l’ensenhamen occitan9 et comme une forme de l’aventure héroïque10. Par conséquent, la déclaration initiale de l’auteur d’enclore un art d’aimer au sein de son roman doit être comprise comme la manifestation du syncrétisme des genres littéraires au Moyen Âge. Le cas n’est pas unique11 et fait ressortir l’aspect didactique du roman courtois médiéval.
- 12 Pour une récente mise au point sur les rapports entre roman, art d’aimer et lyrique, et entre tradi (...)
- 13 Gally, « Un art d’aimer », p. 92.
- 14 Michèle Gally rappelle que « plusieurs œuvres du XIIIe siècle se présentent comme des offrandes amo (...)
9Derrière cette imbrication revendiquée du narratif et du didactique se cache une parenté avec la lyrique qui a déjà été amplement commentée par la critique12. L’œuvre est donc « à la croisée du traité, du conte et de la poésie13 ». Mais, fait curieux, alors que l’auteur met en avant d’emblée roman et art d’aimer, il garde le silence sur la parenté de son œuvre avec la lyrique. Silence qui intrigue d’autant plus que, dès les premiers pas du personnage, le récit se donne à lire comme une mise en narration de l’incipit printanier. L’aventure romanesque s’y installe pour y rester. On sait que l’incipit printanier a été ressenti comme un cadre suffisant pour y implanter entièrement une chanson d’amour, ce qui a donné naissance à la reverdie, genre inventé et pratiqué par les trouvères. Ici, le verger printanier avec ses habitants devient le décor qui héberge intégralement l’aventure romanesque. La rivière, qui dans l’univers romanesque ouvre les portes de l’Autre monde, ouvre ici les portes vers un monde intérieur. La reverdie a donc englobé le poème entier qui constitue, tout comme la chanson lyrique, une requête amoureuse14. Il ne s’agit pas d’un simple réemploi de motifs lyriques. « Le roman de la rose, ou l’art d’amours est toute enclose » est aussi longue chanson d’amour où la matière romanesque et la pédagogie directe explicitent et dramatisent le discours lyrique. Ces divers visages du poème, revendiqués ou tus, n’épuisent pas le sens de la déclaration initiale sur l’emboîtement d’un genre dans l’autre. L’architecture du récit permet également une lecture littérale du geste d’enclore au sens où le roman enchâsse un art d’aimer à proprement parler. On peut en effet isoler une œuvre didactique à part entière insérée dans la trame romanesque. Cette œuvre se présente comme un long enseignement que le dieu Amour dispense à l’amant. Où commence ce petit traité d’amour ?
- 15 M. Mikhaïlova-Makarius, L’École du roman. Robert de Blois dans le manuscrit BnF fr. 24301, Paris, C (...)
10Après la scène où le dieu enferme à clé le cœur de l’amant, celui-ci se met en position d’écouter les précieux enseignements d’Amour. Une scène d’apprentissage – l’amant souhaite connaître les commandements d’Amour afin de bien faire son service – annonce l’insertion dissimulée d’une autre œuvre. Le même procédé sera repris dans des conditions analogues dans le roman de Beaudous où une scène pédagogique entre une mère et son fils marque le début d’une très longue insertion, comprenant plusieurs textes didactiques enchâssés dans sa trame15. Nul doute que cette scène didactique, pertinente à la fois dans la logique du roman et dans celle d’un art d’aimer, est utilisée comme la cheville qui permet d’insérer en douceur une autre œuvre, de passer imperceptiblement d’un modèle textuel à un autre. Quelques vers installent la scène du « mestre » et du « desciple » :
- 16 Le Roman de la Rose, v. 2049-2054.
Amor respont : « tu diz mout bien.
Or les escoute sel retien
Li mestres pert sa poine toute
Quant li desciples qui escoute
Ne met son cuer au retenir,
Si qu’il en puisse sovenir16. »
11Dans les arts d’aimer, le discours se divise souvent en répliques pour introduire des micro-dialogues sans que les interlocuteurs soient nécessairement explicités. Ici, la forme dialogique est accentuée et étendue à l’ensemble du texte didactique, même si la parole d’Amour domine, entrecoupée par des relances de la part de l’amant. La matière de ce traité ressemble tout à fait à celle des arts d’aimer par le contenu didactique où alternent règles, définitions, commandements et conseils.
12L’amant va écouter et mettre son cœur « au retenir », c’est-à-dire en position de réceptacle, afin d’accueillir tout l’enseignement du maître Amour. Ce cœur, devenu le double de l’écrin qui contient les joyaux d’Amour depuis que celui-ci l’a fermé avec sa clé quelques quarante vers plus haut, sera donc le réceptacle de l’art d’aimer, tout comme le roman, autre écrin pour la leçon d’Amour. Ses enseignements, dispensés à l’intention de son élève, l’amant, et du lecteur, tiennent lieu de « joial » qui vont d’un écrin à l’autre. Le texte de ce petit art d’aimer doit rester dans la mémoire de celui qui écoute, il est le trésor placé dans le cour-écrin de l’amant et dans l’écrin du roman. « L’art d’amour » comme texte, et comme genre, est non seulement enclos dans le roman, mais également thésaurisé.
- 17 Le Roman de la Rose, v. 2765.
13Ce petit traité d’amour pourrait presque fonctionner comme une œuvre autonome au sens où il possède des frontières délimitées. Doté d’une sorte de prologue, il s’achève avec la disparition subite d’Amour, qui s’« esvanoiz17 ». Quelques vers lancent le dialogue en précisant qu’Amour a alors livré :
- 18 Le Roman de la Rose, v. 2056-2057.
Mot a mot ses commandements :
Bien le devise cist romanz18.
14Suit une interpellation du public digne d’un prologue d’art d’aimer. C’est donc ici que commence véritablement ce texte enchâssé :
- 19 Le Roman de la Rose, v. 2059-2074.
Qui amer velt or i entende
Car li romanz des or commande ;
Des or le fet bon escouter,
S’il est qui le sache conter.
Car la fin dou songe est mout bele
Et la matiere en est novele :
Qui dou songe la fin orra,
Je vos di bien que il porra
Des geus d’amors assez apenre,
Por quoi il veille tant attendre
Dou songe la senefiance
Et la vos dirai sans grevance ;
La verite qui est coverte
Vos en sera lors toute aperte,
Quant espondre m’orroiz le songe,
Car il n’i a mot de mensonge19.
15Étant donné que la scène pédagogique est légitime à la fois dans le roman et dans l’art d’aimer et qu’elle permet de solidariser les deux genres, ce prologue interne a le double rôle d’introduire une œuvre didactique tout en renforçant la crédibilité d’une scène romanesque d’apprentissage. Comme dans un vrai prologue, le narrateur procède à une captatio benevolentiae. Comme dans un vrai prologue, il annonce la matière qui sera traitée, les « geus d’amors », ainsi qu’une « senefiance » à venir afin de retenir l’intérêt des auditeurs.
- 20 Le Roman de la Rose, v. 2073-2074.
16Ce prologue interne rappelle très fortement celui du poème entier qui introduit le thème du songe. La matière « novele » du vers 2064 fait écho au vers 39 du prologue général : « La matiere est bone et nueve ». Ce passage se termine par la reprise de tous les mots importants du premier prologue : rappel de la « senefiance » du songe, rappel de la vérité « coverte » qui, promesse renouvelée, sera bientôt « aperte » au public. Il s’achève par la rime initiale du poème « songe »/« mensonge20 ». Ainsi, en redoublant le prologue général, cet écho du début du poème fonctionne comme le signalement discret d’un seuil. Une autre œuvre commence, elle vous apprendra tout sur l’amour.
- 21 Le Roman de la Rose, v. 2058 et v. 2060.
17Au même moment, le roman reprend ses droits. Le terme revient à deux reprises21. D’ailleurs, comme dans les romans de quête, le récit s’émancipe de son énonciateur : le roman « devise », le roman « commande ». Il revêt presque l’autorité du dieu Amour dont il englobe les paroles et les commandements.
18La « fin » à venir n’est pas celle de l’art d’aimer proprement dit, mais celle du songe. Ce prologue circonscrit donc le début d’un art d’aimer mais évoque une fin qui coïnciderait avec celle, déjà promise, du songe et donc du roman.
- 22 Le Roman de la Rose, v. 1588 et v. 1589.
19Ce second prologue introduit la matière du traité didactique sur l’amour promettant d’enseigner « assez » sur les « geus d’amors ». S’agit-il des « laz » et des « engins22 » posés par Cupidon dans la fontaine ? Ou des enseignements contenus dans ce discours-art d’aimer ? Qu’y a-t-il de si précieux dans ce traité que le cœur-écrin de l’amant doit réceptionner ?
- 23 Le Roman de la Rose, v. 2075.
- 24 Le Roman de la Rose, v. 2223 et v. 2226.
- 25 Le Roman de la Rose, v. 2231-2578.
- 26 Le Roman de la Rose, v. 2579-2765.
20Ce petit art d’aimer comprend trois parties bien délimitées. Il commence par les dix commandements qui se présentent comme une glose de la dimension éthique dans le comportement social du fin’amant23, telle qu’elle apparaît chez les troubadours. Un résumé des commandements qui viennent d’être dispensés, présenté « briement » et à titre de mémorisation « brieve24 », scande la fin de cette partie. Une seconde partie porte sur le cœur, les pensées et les sentiments de l’amant25. Enfin, le dieu d’Amour accorde à son serviteur trois consolations : la douce pensée, la douce parole et le doux regard26.
- 27 Voir G. Agamben, Stanze. Parole et fantasme dans la culture occidentale, trad. Y. Hersant, Paris, P (...)
21Tandis que la première et la troisième partie égrènent des poncifs bien connus, la seconde partie renonce à ce principe énumératif. Elle retient l’attention par un degré de dramatisation supplémentaire. Elle commence au vers 2231 avec une incitation au panser, terme qui désigne l’imagination27 :
- 28 Le Roman de la Rose, v. 2231-2233.
Apres t’anjoing en penitance
Que nuit et jor sanz repentance
An amors metes ton panser28.
- 29 Voir Agamben, Stanze, p. 184-206.
22C’est là, au centre du traité didactique sur l’amour, que se trouve la véritable glose du sentiment amoureux. L’attention porte d’abord sur le sujet amoureux qui, sous le poids de la pensée – à entendre comme travail imaginatif – est plongé dans un état de mélancolie décrit dans les traités de médecine médiévale comme un accès d’amor hereos29. Le dieu Amour décrit cet état au futur en s’adressant à l’amant à la deuxième personne :
- 30 Le Roman de la Rose, v. 2282-2288.
Or revenra maintes foies
Qu’an pensant t’antroblieras
Et une grant piece seras
Ausis com une ymage mue
Qui ne se crole ne remue,
Sanz piez, sanz mains, sanz doiz croler,
Sanz iaus movoir et sanz parler30.
23Ayant perdu le mouvement des membres de son corps, l’amant sera figé en « une ymage mue ». La pensée de l’être aimé, qui est une image, statufie le sujet amoureux par un effet spéculaire et fait de lui une « ymage » immobile. Cette pétrification de l’amoureux au moment de la mise en image de l’objet d’amour est un écho du mythe de Narcisse, une représentation du rapport spéculaire entre l’homme qui se regarde dans le miroir et son reflet. Dans le roman, le sujet amoureux et l’objet d’amour ne sont plus la même personne. Pour garder l’idée de spécularité, quelque chose de l’image – l’absence de parole, l’immobilité – est reporté sur le sujet amoureux. Celui-ci devient un peu le double de l’image dont il rêve, en souvenir de l’effet spéculaire entre le sujet et son reflet dans le mythe de Narcisse.
- 31 Sur le rapprochement de ces deux figures, voir J. R. Scheidegger, « Son image peinte sur les parois (...)
24La situation future de l’amant est à rapprocher de deux autres figures littéraires plongées dans l’état d’entre-oubli. Perceval devant les trois gouttes de sang sur la neige qui lui rappellent l’image de Blanchefleur. L’amant-poète de la canso de Guillaume IX d’Aquitaine, Feray un vers de pur neant, en état de dorveille sur son cheval. Le premier, sujet amoureux absorbé par le fantasme, le second, poète lyrique dont la chanson, dépourvue d’auteur et vidée de contenu, surgit de l’énonciation faite à l’état de dorveille31.
25Il est remarquable que le dieu Amour construise ici, au futur et toujours à la deuxième personne, non seulement la figure du sujet amoureux, mais également celle du poète lyrique. L’analogie avec la canso du troubadour Guillaume IX d’Aquitaine n’est pas le seul indice de cette seconde figure. La deuxième partie du traité/discours d’Amour comprend deux nouveaux enchâssements étonnants qui évoquent la lyrique et creusent une nouvelle profondeur du récit.
- 32 Le Roman de la Rose, v. 2289-2290.
- 33 Le Roman de la Rose, v. 2299-2315.
- 34 Sur ce motif dans la lyrique, voir M. -N. Lefay-Toury, Mort et fin’amor dans la poésie d’oc et d’oï (...)
- 35 J. -C. Payen a fait le rapprochement entre l’amie « lontaigne » et le thème de l’amour de loin chan (...)
26Au retour de la mémoire32, l’amant se souviendra, poursuit Amour, de son amie « lontaigne ». Commence alors un discours direct de l’amant mais toujours imaginé par Amour, long de 17 vers33. Ce discours inséré développe, comme dans une chanson, le motif lyrique du cœur séparé34. L’amant est ainsi décrit dans son futur état d’amoureux, mais également comme un poète. On assiste à une mise en scène : l’amant s’entre-oubliera et, dans cette position propice au surgissement de la parole poétique, il entamera une complainte à la manière d’une chanson lyrique sur le cœur séparé et l’amour lointain. Cette complainte évoque la canso de Jaufré Rudel sur l’amor de lonh35.
- 36 Le Roman de la Rose, v. 2322.
- 37 Le Roman de la Rose, v. 2414.
- 38 Il s’agit de la strophe suivante : « Be-m parra joys quan li querray… ». Au moment où le fantasme p (...)
- 39 Le Roman de la Rose, v. 2417.
27À la suite de ce discours à la première personne qui ressemble à un poème inséré, l’amant, poursuit le dieu, se mettra en route pour retrouver son amie, mais il en ressortira « pensis et morne36 ». Si une rencontre avec l’amie se réalise, il n’en sortira qu’« en grant martire37 », pour n’avoir pas pu dire ce qu’il voulait. Même s’ils n’appartiennent plus au semblant de poème, ces vers glosent quasiment une strophe de la chanson de Jaufré Rudel où le moment de l’entretien fantasmé est aussi celui où l’éloignement est le plus radical38. Tout comme dans la lyrique, « Amant n’avra ja ce qu’il quiert39 », conclut Amour. La vérité de la lyrique sort de la bouche du dieu Amour.
28Le scénario imaginé par le dieu n’a pas fini de surprendre. Un nouvel enchâssement intervient. Amour évoque le moment où l’amant imaginera qu’il dort et verra alors en image l’être aimé. Le dieu résume en quelques vers cet état de saisie imaginaire de l’objet d’amour :
- 40 Le Roman de la Rose, v. 2435-2401.
Tieus foiz sera qu’il t’iert avis
Que tu avras cele au cler vis
Entre tes braz trestoute nue,
Aussint con s’el fust devenue
Dou tout t’amie et ta compaigne.
Lors feras chastiaus en Espaigne
Et avras joie de noiant40.
- 41 Ainsi, dans une de ses complaintes lyriques, Thisbé évoque-t-elle ses vains efforts d’étreindre Pyr (...)
29Ce passage peut figurer aussi bien dans une complainte lyrique que dans un récit41. Il joue ici le rôle d’une deuxième mise en scène. Là aussi, comme après l’état d’entre-oubli où le sujet amoureux n’est d’abord qu’« ymage mue » avant de faire sa complainte, Amour dit ce que l’amant dira alors. Il imagine à nouveau le discours de l’amant à la première personne. L’amant redevenu poète commente ses espoirs et ses désespoirs comme dans une nouvelle complainte lyrique encore plus longue (55 vers, 2447-2502).
- 42 Le Roman de la Rose, v. 2299 et v. 2447.
30À noter que ces deux complaintes insérées, imaginées et mises en scène par Amour, débutent chaque fois à la quatrième syllabe du vers, introduites par le même verbe « dire » au futur et par la même interpellation « Dieus » : « Lors diras : “Dieus con sui mauves…” », « Et diras : “Dieus ! ai ge songie ?”42 ».
- 43 Le Roman de la Rose, v. 2475 et v. 3476.
31L’analogie entre les deux complaintes est frappante. La technique de l’enchâssement introduit la lyrique dans le roman, puis prend l’allure d’une mise en abyme – un songe imaginé à l’intérieur du songe ! L’emboîtement creusé est vertigineux. Dans le Roman de la Rose, le narrateur-amant raconte un songe où le dieu Amour prend la parole et met en scène, à l’intérieur de son discours direct, le discours direct de l’amant qui entame une complainte lyrique suivie d’une autre complainte dans et sur un état proche du songe. Pour parfaire la mise en abyme entre ce petit songe et le songe-roman, l’évocation d’un baiser désiré anticipe le baiser que l’amant volera à la rose43.
Songe A :
je 1 du narrateur-amant
La découverte du Verger, puis de la fontaine et du reflet.
Amour décoche ses flèches et entreprend l’instruction de l’amant
« Art d’amours » :
je 2 du dieu Amour
Partie I : les dix commandements d’Amour
Partie II : description de l’état amoureux futur de l’amant – état d’entre-oubli
poème 1 :
je 3, discours direct de l’amant imaginé par Amour :
« Lors diras : “dieus con sui mauves” », v. 2299.
– fantasme (châteaux en Espagne, v. 2400 et « joie de noiant », v. 2401 )
poème 2, songe B :
je 3, discours direct de l’amant imaginé par Amour :
« Et diras : “dieus ! ai ge songie ?” », v. 2447.
Partie III : les trois consolations
La quête de la rose
- 44 J. Cerquiglini-Toulet, « Quand la voix s’est tue : la mise en recueil de la poésie lyrique aux XIVe(...)
32On l’aura remarqué, l’emboîtement des discours est circulaire. Le je 3 de l’amant qui profère un discours à teneur lyrique, imaginé par Amour, rejoint le je 1 du narrateur-amant qui raconte le songe-roman. Il manque les marques de la voix du chant, rimes ou mètre, remplacées par le triple emboîtement de l’énonciation du je qui se termine en fermant la boucle. On retrouve la circularité de l’amour au miroir du mythe de Narcisse, fondateur de la lyrique médiévale. Et à la place du chant, on trouve des voix énonciatives imbriquées les unes dans les autres qui font penser à la nouvelle esthétique, la polyphonie, qui accompagnera au siècle suivant la mise à l’écrit de la lyrique44. L’orchestration de cette polyphonie dans le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris se fait selon la logique de l’enchâssement : prise en charge d’une voix par une autre, du discours lyrique par le discours théorique/didactique, puis par le discours narratif.
- 45 On trouvera, en plus explicite et plus concret, un savant mélange de discours analogues pour rendre (...)
33Le geste d’enclore annoncé par le narrateur au début de l’œuvre ne se limite donc pas au roman qui enclot un art d’aimer. L’art d’aimer enclot à son tour deux chansons par leur contenu et par leur mise en scène qui recrée des circonstances-types de la création de la poésie lyrique45.
- 46 « Dame, vous em portés la clef ;/La serrure et l’escrin avés/Ou ma joie est, sil ne savés. » (Chrét (...)
- 47 Le Roman de la Rose, v. 2464.
- 48 Voir Cerquiglini-Toulet, « Quand la voix s’est tue », p. 326.
34Le prologue de l’art d’aimer promettait de tout dire sur les « geus d’amor ». Ces « geus », ne sont-ils pas les deux complaintes poétiques, dont le véritable auteur est Amour, ses joyaux placés dans l’écrin de son art d’aimer qui doivent passer dans le cœur de l’amant et briller dans l’écrin du roman ? Les jeux et les joyaux seraient à la base de l’étymologie du joi, d’après Charles Méla, qui rapproche les « joial » de l’écrin d’Amour à la « joie » mise sous clé dans Yvain46. Or précisément, la seconde complainte de l’amant porte sur la joie : sur le caractère éphémère de la joie, sur son désir, qu’il ose à peine formuler, d’avoir « de m’amie […] joie47 ». Le Roman de la Rose donnerait ainsi un avant-goût de la thésaurisation de la lyrique en cours aux XIVe -XVe siècles48. La forme de songe attribuée au second poème renvoie au songe entier qu’est le roman, comme pour rappeler la dimension fantasmatique de celui-ci. Autrement dit, par son architecture, le roman dit ce qui le nourrit : la nature fantasmatique du sentiment amoureux héritée de la poésie lyrique.
35Sans que ce soit explicitement affirmé – ainsi l’enjeu est-il beaucoup plus grand – tout converge vers la lyrique. Un autre enchâssement y aboutit : le mythe de Narcisse.
Le mythe enchâssé
36Le narrateur fait surgir le mythe de Narcisse, élément fondateur du roman, comme un souvenir à l’intérieur de cet autre souvenir qu’est le songe. Une fois de plus, ce qui est important fait l’objet d’un enchâssement.
- 49 Le Roman de la Rose, v. 1433.
- 50 Le Roman de la Rose, v. 1508.
37Une inscription gravée dans la pierre de la fontaine provoque le récit en guise d’explication. Cette « lettre petite49 » est à nouveau mentionnée à la fin de l’explication, « Quant l’escriz m’ot fet savoir50 », enclavant le récit du mythe sous l’autorité de l’écrit. Une interpellation quelque peu surprenante des Dames qui devraient prendre exemple sur cette légende clôt le rappel du mythe proprement dit à la manière d’un exemplum soulignant ainsi le caractère extérieur de ce petit récit inséré.
- 51 Baumgartner, « L’absente », p. 51.
- 52 Le Roman de la Rose, v. 1434-1435.
- 53 Baumgartner, « L’absente », p. 51.
38L’exemplum naît donc comme l’amplification d’une « phrase matrice51 » : « anqui desus/Se mori li biaus narcisus52 ». Il devient à son tour narration matrice en donnant un modèle à imiter et en produisant ainsi du récit. La fontaine mythique est non seulement source d’images, mais également « support et source d’un texte d’amour53 ». La mémoire apporte à la surface du poème une aventure passée afin qu’elle soit revécue par le songeur. Intervient alors une seconde version amplifiée du mythe.
39La juxtaposition des deux versions de la légende antique invite à leur comparaison. Le narrateur cherche à convaincre que son expérience redouble à l’identique celle de Narcisse et qu’il s’agit de la même fontaine. A-t-il raison ? La réponse à cette question est ambivalente.
- 54 Le Roman de la Rose, v. 1594.
- 55 Voir M. Mikhaïlova-Makarius, « Fantasmes et réalité. La déconstruction du miroir de Narcisse dans l (...)
40Tout d’abord, une différence majeure oppose les deux fontaines et les deux aventures. Faut-il s’étonner que, dans cette œuvre qui affectionne le geste d’enclore et les objets contenants, la fontaine mythique, surface plate et simple miroir de celui qui s’y mire, devient une fontaine qui est avant tout un récipient ? Le regard y plonge jusqu’au fond (le gravier), l’eau est évoquée non pas comme surface, mais en tant que quantité soulignée par les grandes ondes (12 vers sur le volume de l’eau, v. 1522-1533). Une multitude de choses s’y trouvent : cristaux, « laz », « engins » et plus loin, une graine qui a coloré l’eau. La fonction de miroir au sens strict est reléguée aux cristaux mais leurs capacités spéculaires ne sont pas simples. Volume, contenant riche en éléments divers : la nouvelle identité de la « fontaine d’amors54 » lui confère des capacités mimétiques d’une complexité supérieure à celles de la fontaine mythique. À défaut de pouvoir reprendre ici l’analyse de l’épisode dans le détail, nous nous bornerons à en exposer les conclusions55.
41La mimésis de la fontaine d’amour, portée par les deux cristaux, comprend deux aspects : elle montre d’une part ce qu’ils reflètent et d’autre part la manière dont ils le reflètent.
421. Le premier aspect de la mimésis concerne le monde extérieur qui s’y réverbère – le verger – et dans un coin, le rosier qui va fournir l’objet de désir et d’amour. La connaissance du monde et la découverte de l’amour dans le miroir, voici figurées les deux expériences que les médiévaux croient devoir au miroir.
43Mais alors que Narcisse voit l’image d’un enfant « bel a demesure » qui est son propre reflet, le promeneur découvre dans la fontaine la rose, autrement dit, l’Autre. L’expérience optique du promeneur dans le Roman de la Rose se détache de celle du héros antique. Le pas franchi est énorme et correspond à l’innovation de la lyrique où l’amant, tel Narcisse, aime une image, mais celle-ci est celle de la Dame. Dans ces vers est posée la question qui hante tout le Roman de la Rose : l’altérité en amour. Fantasme d’altérité qui reste une image insaisissable vue dans le miroir, mais néanmoins altérité. La juxtaposition des deux récits, le mythe enchâssé et le récit de l’expérience amoureuse du promeneur qui en découle, met en scène le pas en avant que la lyrique accomplit par rapport au mythe de Narcisse. Le reflet devient la rose. L’objet d’amour s’est affranchi de l’ombre du sujet amoureux. Mais que devient-celle-ci ?
- 56 Voir Méla, « Le miroir périlleux », p. 216.
- 57 Voir Agamben, Stanze, p. 134-136.
- 58 Dans le roman de Guillaume de Lorris, dans l’épisode qui suit celui de la fontaine, le chemin optiq (...)
442. Le second aspect de la mimésis de cette fontaine concerne le sujet qui se regarde dans cette fontaine. Au premier abord, il ne voit pas son propre reflet. Que voit-il ? Le promeneur voit d’abord le fait de voir56, mais d’après la seule façon légitime de voir pour les médiévaux, la vision indirecte. Selon les théories arabo-aristotéliciennes de la vision, pour qu’un objet soit vu, il faut qu’il s’imprime sur l’œil, miroir à double face, et son image ainsi imprimée est transmise aux sens et à l’imagination57. Les poètes et les romanciers figurent ce chemin optique par des métaphores diverses dont souvent l’œil et le cœur58. Le cœur, telle l’imagination, voit non pas l’objet réel, mais l’image imprimée sur l’œil, ce miroir à double face.
- 59 Le cœur voit l’image imprimée dans le cristal au sens où l’imagination voit l’image imprimée sur la (...)
45Dans ce passage, les deux cristaux symbolisent, à tour de rôle, ces deux relais nécessaires. Le promeneur, comme Narcisse penché sur l’eau, est penché sur son cœur et ne voit donc jamais qu’un seul cristal. Ce cristal-cœur voit59 le verger dans l’autre cristal, le cristal-œil sur lequel l’image du verger s’est imprimée. Ainsi, le promeneur ne peut voir à la fois que la moitié du verger que l’un des cristaux renvoie à l’autre. Pour voir l’autre moitié, il faut recommencer et se tourner vers l’autre cristal, qui devient à son tour le cœur dès que le promeneur se penche sur lui, et reçoit l’autre partie de l’image transmise par le cristal-œil :
- 60 Le Roman de la Rose, v. 1560-1563.
Car touz jorz quel que part qu’il soient,
L’une moitie dou vergier voient
Et s’il se tornent maintenant,
Puent veoir le remenant60.
46Ainsi, le reflet du promeneur n’est pas vraiment absent de la fontaine. Il est transfiguré et présenté sous la forme d’une projection de sa vision intérieure indirecte dans le dispositif des cristaux. Est-ce étonnant dans un roman dont l’intrigue est une dramatisation de la vie intérieure ? C’est sans doute pour cette raison qu’en faisant le récit du mythe de Narcisse, Guillaume de Lorris omet de parler du motif de la connaissance de soi doublement présent chez Ovide à travers la prémonition de Tirésias et la prise de conscience du héros de son erreur.
- 61 « Ce que je désire est en moi ; ma richesse a causé mes privations. Oh ! que ne puis-je me séparer (...)
47La mimésis de la fontaine mythique est donc entièrement réinterprétée. Grâce à la transformation de la fontaine en contenant et grâce aux cristaux qui s’y trouvent, elle est comme scindée en deux pour permettre de représenter le reflet du sujet et celui de l’objet d’amour tout en les différenciant comme le souhaitait Narcisse61. Seul un miroir représenté en volume pouvait en effet permettre de figurer les enjeux qui lient l’amour à la vision.
48L’expérience de l’amant à la « fontaine d’amors » met en scène la lyrique et son affranchissement du mythe. Mais elle met en scène également sa dette par rapport au mythe : certes, il s’agit d’une altérité, mais celle-ci reste une image. Sa réalité est celle d’un reflet dans le miroir. Le sens du récit mythique enchâssé est de révéler la source de la fin’amor et son dépassement.
- 62 Joan Kessler fait également le lien entre l’épisode de la fontaine et une mise en scène de l’évolut (...)
- 63 Représenter l’Autre en amour à la fois comme un être que l’on peut étreindre et comme une image est (...)
- 64 Pour reprendre le titre de l’article d’E. Baumgartner : « L’absente de tous bouquets… », en référen (...)
49Dépassement relatif d’ailleurs, car bien que la quête se poursuive en dehors de la fontaine, et que l’amant réussisse à voler un baiser à la rose, le roman ne réussit pas à dépasser la grande aporie de la lyrique62. Il ne dit pas comment aimer une image63. L’Autre reste l’image de la rose peinte sur le cristal dans la fontaine d’amour, ou fleur, absente de tous bouquets64, soit la possibilité de l’Autre. Le narrateur-songeur a raison : il ne fait que répéter l’expérience de Narcisse.
50Il reste à vérifier si la présence physique de la rose confirme ce que dit la fontaine. Le jeune homme quitte l’endroit de la fontaine et se dirige vers le rosier réel. La rose en vrai apparaît alors comme un bouton clos. Est-ce encore un contenant ?
Le récit absent
- 65 « Choisir la vie et la liberté, ce n’est pas plonger dans un extérieur illimité, c’est au contraire (...)
51Avant de devenir l’objet de désir élu par le protagoniste, la rose est partout. Titre du roman, surnom de sa destinataire, partie du décor. La fleur décore la tête de plusieurs personnages dans le verger, les feuilles de rosier embellissent la robe florale d’Amour. C’est un univers où la rose règne à tous les étages. Cependant, le promeneur découvre le bouton clos au bout d’un cheminement progressif dans un univers clos. Tout est fermé, le verger entouré par le mur avec les peintures repoussantes et dont il faut longtemps chercher la minuscule porte. La haie qui entoure les roses. Le château qui sera construit pour enfermer la rose. À l’intérieur du verger, la carole qui reprend l’idée de clôture donnant l’image d’une société élitiste repliée sur elle-même. Aucun contrepoint à l’accumulation des clôtures, aucune allusion à un jeu possible entre fermé et ouvert, comme c’est souvent le cas dans les récits courtois. Même l’eau, signe de l’Autre monde, conduit certes vers un monde autre, mais fermé65.
- 66 « Tout se passe donc comme si le verger, placé sous le signe du nombre quatre, celui de l’univers s (...)
- 67 Le Roman de la Rose, v. 1423.
- 68 Le Roman de la Rose, v. 1565.
- 69 Le Roman de la Rose, v. 1612 et v. 1614.
52L’évolution du dormeur dans cet univers suit la dynamique d’une pénétration66, d’une entrée progressive qui va vers l’intérieur, vers ce qui est profond et caché. La fontaine est découverte « dou darrenier67 ». La rose apparaît dans le cristal-miroir dont la particularité est de capter jusqu’à la moindre chose fût-elle cachée, « repote », ou enfermée, « enclose68 ». Inaperçue directement lors de la promenade, elle surgit comme un détail parmi d’autres à peine perceptible, « entre mil choses » et « en un destor69 ».
- 70 Le Roman de la Rose, p. 131.
- 71 Le Roman de la Rose, v. 967.
- 72 Le Roman de la Rose, v. 975-981.
53Lors de la première rencontre avec la rose véritable, sa description est « essentiellement “botanique” et ne permet pas d’équivalences directes avec ce qui est son comparé, défini dans le prologue, la femme aimée : la seule indication transposable est le choix du bouton, signe de la jeunesse70 ». Cependant, les attributs de la rose-jeune fille ne tardent pas à apparaître sous la forme de flèches que le dieu Amour décoche immédiatement à l’amant. Beauté, simplicité, franchise, compagnie et beau semblant sont désormais fichés dans le cœur du jeune homme en passant par l’œil et provoquant cinq plaies. Le texte avait anticipé et préparé la transposition entre le bouton et la jeune fille. Au moment de la présentation du dieu Amour, le narrateur avait en effet évoqué cette série de cinq flèches ainsi que sa série opposée (orgueil, vilenie, honte, désespoir et nouvelle pensée). Or, en évoquant ainsi les attributs féminins, il avait prévenu le lecteur qu’il ne dira pas toute leur « poeste » et toute leur « force71 ». Celles-ci sont placées sous le sceau d’une « vérité » et d’une « senefiance » qu’il promet de dire plus tard, avant la fin du conte72. Ainsi, la rose n’est qu’une fleur, mais ses attributs féminins sont chargés d’un pouvoir qui fait partie du mystère de la matière racontée.
- 73 A. Strubel, « Écriture du songe et mise en œuvre de la “senefiance” dans le Roman de la Rose de Gui (...)
54Le poème de Guillaume de Lorris contient quatre déclarations analogues sur le mystère et des promesses de dévoiler celui-ci au public. Ces passages ont déjà été commentés par la critique73. Il est néanmoins utile d’y revenir en tenant compte du réseau de leurs significations contextuelles :
551. La « senefiance » du songe vient aux dormeurs d’abord « covertement » et ce n’est que plus tard qu’elle leur apparaît « apertement », voir le prologue du roman :
- 74 Le Roman de la Rose, v. 16-20.
[…]
Que songe sont senefiance
Des biens au genz et des anuiz,
Que li plusor songent de nuiz
Maintes choses covertement
Que l’en voit puis apertement74.
562. Les attributs de la rose ont des vertus dont la « senefiance » ne sera révélée qu’à la fin, (voir la description des flèches que porte Doux Regard, le jeune homme au service du dieu Amour) :
- 75 Le Roman de la Rose, v. 975-981.
Mes ne dirai pas ore toute
Lor force ne lor poeste.
Bien vos en iert la vérité
Contee et la senefiance,
Nel metré pas en obliance,
Ainz vos diré que tout ce monte,
Ançois que je fine le conte75.
573. La fontaine d’amour n’échappe pas au « mistere » qui sera découvert à la fin :
- 76 Le Roman de la Rose, v. 1597-1599.
Mes james n’orrez meus descrivre
La verite de la matiere,
Quant j’auré espont le mistere76.
584. Le fin mot des « geus d’amors » sera, lui-aussi, livré avec la « senefiance » du songe, reléguée à la fin, (voir le second prologue interne qui introduit l’art d’aimer, passage déjà cité mais qu’il convient de reprendre ici) :
- 77 Le Roman de la Rose, v. 2065-2073.
Qui dou songe la fin orra,
Je vos di bien que il porra
Des geus d’amors assez apenre,
Por quoi il veille tant attendre
Dou songe la senefiance
Et la vos dirai sans grevance ;
La verite qui est coverte
Vos en sera lors toute aperte,
Quant espondre m’orroiz le songe
[…]77.
59Par les attributs féminins, figurés par les flèches et dont la « senefiance » reste « coverte », la rose fait partie du mystère que le narrateur fait planer sur tout le poème. Sont reliés par ce mystère : le songe et le conte, les attributs de la rose, la fontaine d’amour, les jeux d’amour. Mais avant de déplorer l’inachèvement du poème qui nous aurait privé de la révélation promise, regardons la seconde description de la rose.
60Tout aussi strictement botanique que la première, cette nouvelle évocation de la fleur dans sa réalité physique la présente comme un contenant. Un bouton cette fois mi-clos, et qui enclot pour ainsi dire tous les fils auxquels est relié le mystère.
- 78 Le Roman de la Rose, v. 3355-3368.
Ainsi com j’oi la rose aprochie,
Un po la trové engroissie,
Et vi qu’ele fu plus creüe
Que ne l’oi devant veüe.
La rose auques s’eslargissoit
Par amont, ce m’abelissoit.
Encor n’iere pas si overte,
Que la graine fust descoverte,
Ençois estoit encor enclose
Dedenz les fueilles de la rose
Qui amont droites s’ en aloient
Et les places dedenz emploient .
Si ne pooit paroir la graine,
Por la rose qui ere plaine78.
- 79 Le Roman de la Rose, v. 3361-3361.
- 80 Le Roman de la Rose, v. 19-20.
- 81 Le Roman de la Rose, v. 3367 et v. 5.
61Le bouton de rose qui enclot une graine fait écho au roman qui enclot un art d’aimer et dont le titre « rose » rime avec « enclose ». La graine renvoie également à la graine d’amour semée par Cupidon pour teindre l’eau de la fontaine. L’état mi-clos de la rose est évoqué avec des termes analogues à ceux qui décrivent la manière dont les songes apparaissent aux gens qui dorment, décrite au tout début du poème. La rime « overte/descoverte79 », renvoie à celle du prologue : « covertement/apertement80 » ; « paroir » renvoie à « aparant81 », laissant entendre l’analogie entre la graine cachée à l’intérieur du bouton et le contenu caché des songes.
- 82 Le Roman de la Rose, v. 3966.
- 83 Le Roman de la Rose, v. 3958.
- 84 Le Roman de la Rose, v. 3962.
- 85 Le Roman de la Rose, v. 3964 et v. 3967-3968.
- 86 Le Roman de la Rose, v. 3994-3999.
- 87 Le Roman de la Rose, v. 3976-3989.
- 88 Le Roman de la Rose, v. 4042.
62Si tous les fils sont repris et réunis dans cette seconde description de la rose, le mystère n’est pas pour autant révélé. Le texte revient une fois encore sur l’image florale qui enclot un « grain82 ». Réalisant qu’il a échoué, l’amant se compare à un « païsant83 ». Les termes employés dans cette longue comparaison qui dit son échec relèvent du domaine floral et font écho à la graine restée enclose dans le bouton. Le jeune homme ressemble à un paysan ayant jeté sa semence et attendant avec joie de pouvoir cueillir le « gerbe84 », lorsqu’au moment de la floraison une « male chose » « fait le grain dedenz morir/Et l’esperance au vilain tout85 ». Cette mort prématurée enlève l’espérance, mais ne signe pas la fin de l’amour86. Pourquoi cette image du « grain » mort ? Le narrateur poursuit en évoquant la roue de Fortune. L’amant pensait être « desure », or le voilà « versez87 ». Le premier commandement d’Amour dit comment éviter la vilenie et voilà que l’amant se sent comme le vilain. L’amant reprend sa plainte auprès de Bel Accueil, réinitialisant ainsi la quête lyrique et évoque les « losengeor88 ». Les derniers vers du poème se terminent comme une complainte lyrique. Un cycle est fini, celui de la semence et de la roue de Fortune qui renvoient à la circularité de la fin’amor et de la quête lyrique. On retrouve à nouveau, en creux, comme à propos des multiples mises en abyme du songe ou de la mise en scène que représente la fontaine d’amour, la poésie lyrique.
63On n’aura pas vu la graine contenue dans le bouton de rose. Le songeur ne se réveillera pas. On ne connaîtra pas le mystère. Mais Guillaume de Lorris avait-il l’intention de le révéler ?
64En s’adressant à Bel Accueil, et sous couvert de justification pour les besoins de la fable, l’amant dit soudain que ce n’est pas de sa faute si Bel Accueil est en prison :
- 89 Le Roman de la Rose, v. 4030-4031.
C’onques par moi ne fu retraite
Chose qui a celer feïst89.
- 90 Kessler, « La quête amoureuse », p. 138-142.
- 91 « Ce qui se découvre ainsi, au terme du roman de Guillaume de Lorris, n’est que le vide auquel abou (...)
65Étrange déclaration alors qu’il n’a pas été question, au niveau de l’intrigue, d’un secret dont dépend la liberté de Bel Accueil. Mais l’amant, c’est aussi le narrateur et l’on connaît l’ambiguïté qui règne entre ces deux rôles90. En jouant ici sur la discrétion en amour, motif courtois s’il en est, l’amant parle aussi en narrateur. Celui-là même qui avait promis d’éclairer le mystère, de donner la vérité de la « senefiance », qui avait multiplié ses promesses de tout dire, au point d’éveiller la suspicion du lecteur. Ce narrateur n’a pas raconté ce qui était à cacher, à savoir le récit impossible d’un vide et d’une impasse91. L’Autre en amour reste la rose : titre, senhal, image, fleur, bref écran qui dit l’absence de l’Autre. Secret courtois, récit tu, la plainte lyrique de l’amant peut reprendre.
Conclusion
- 92 Aristote, dont les théories du fantasme ont fortement influencé la pensée médiévale, définit le rêv (...)
66Mais peut-on dire que le narrateur n’a pas tenu ses promesses ? Dès son prologue, il avait promis au lecteur de lui livrer dans son roman tout « l’art d’amours ». Et il le fait. Le songeur ne doit pas se réveiller. L’amour se vit dans le fantasme, contenu du rêve et autre versant du rêve92. La promesse est tenue. La réponse donnée est analogue à la question posée. Le poème révèle l’essence fantasmatique de l’amour dont l’irréalité ne peut être saisie que par une autre irréalité.
67Enclore, enfermer, enchâsser pour mettre en abyme ou thésauriser un récit dans le récit, un genre dans le genre, une voix dans l’autre, crée les multiples étages d’une architecture dont la vérité est celle d’une réalité miroitante où se répondent des reflets de la rose. Celle d’une esthétique de la profondeur qui permet de rendre compte du pouvoir et des limites de l’image en amour.
Notes
1 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. A. Strubel, Paris, Librairie Générale Française, 1992, v. 2000-2005. Toutes les citations renvoient à cette édition.
2 Sur la clôture et l’enchâssement, voir également P. Verhuyck, « Guillaume de Lorris ou la multiplication des cadres », Neophilologus, 58, juillet 1974, p. 283-293 ; D. F. Hult, Self-fulfilling Prophecies. Readership and Authority in the first Roman de la Rose, Cambridge U. P., 1986.
3 Le Roman de la Rose, v. 37-38.
4 Le Roman de la Rose, v. 37-44.
5 Lien qui existe dans la poésie lyrique : que l’on pense à la « crin saura » de la dame dans le « sonet » d’Arnaut Daniel qu’Amour « daura ».
6 S’agit-il de la dame ou de la jeune fille ? La question débouche sur la distance que prend Guillaume par rapport à une idée stricte de la fin’amor occitane, voir M. Gally, « Un art d’aimer en forme de roman », Lectures du Roman de la Rose, éd. F. Pomel, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, p. 84-85. Cependant, il ne faut pas oublier que la fin’amor n’est pas une norme, mais la cristallisation d’un idéal courtois que les poètes et les romanciers déclinent librement, autrement dit une « limite vers laquelle tendent, avec d’énormes différences, Marie de France, Thomas, Chrétien, Gautier d’Arras, les troubadours… », selon J. Batany, « Miniature, allégorie, idéologie : “Oiseuse” et la mystique monacale récupérée par la “classe de loisir” », Études sur le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris, éd. J. Dufournet, Paris, Champion, 1984, p. 7-36, ici p. 31. Elle est, selon la formule de Y. Foehr-Janssens, un « millefeuille », un « modèle constitué de strates diverses et parfois inconciliables entre elles » (La Jeune fille et l’amour. Pour une poétique courtoise de l’évasion, Paris, Droz, 2010, p. 36). Dame ou jeune fille, la question essentielle dans le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris reste l’altérité en amour.
7 Le Roman de la Rose, v. 2603-2605.
8 E. Baumgartner, « L’absente de tous bouquets… », Études sur le Roman de la Rose, éd. Dufournet, p. 37-52, ici p. 39.
9 J. -C. Payen, « L’art d’aimer chez Guillaume de Lorris », Études sur le Roman de la Rose, éd. Dufournet, p. 105-144, ici p. 122.
10 « L’art d’aimer du premier Roman de la Rose est une aventure héroïque », J. -C. Payen, « L’art d’aimer chez Guillaume de Lorris », p. 128.
11 Le petit roman Floris et Lyriopé de Robert de Blois combine également une fiction courtoise et un art d’aimer.
12 Pour une récente mise au point sur les rapports entre roman, art d’aimer et lyrique, et entre tradition antique et tradition médiévale des trouvères, voir Gally, « Un art d’aimer », p. 79-92.
13 Gally, « Un art d’aimer », p. 92.
14 Michèle Gally rappelle que « plusieurs œuvres du XIIIe siècle se présentent comme des offrandes amoureuses à une dame », « Un art d’aimer », p. 80, n. 3.
15 M. Mikhaïlova-Makarius, L’École du roman. Robert de Blois dans le manuscrit BnF fr. 24301, Paris, Champion, 2010.
16 Le Roman de la Rose, v. 2049-2054.
17 Le Roman de la Rose, v. 2765.
18 Le Roman de la Rose, v. 2056-2057.
19 Le Roman de la Rose, v. 2059-2074.
20 Le Roman de la Rose, v. 2073-2074.
21 Le Roman de la Rose, v. 2058 et v. 2060.
22 Le Roman de la Rose, v. 1588 et v. 1589.
23 Le Roman de la Rose, v. 2075.
24 Le Roman de la Rose, v. 2223 et v. 2226.
25 Le Roman de la Rose, v. 2231-2578.
26 Le Roman de la Rose, v. 2579-2765.
27 Voir G. Agamben, Stanze. Parole et fantasme dans la culture occidentale, trad. Y. Hersant, Paris, Payot et Rivages, 1994 (1re éd. française, Paris, Christian Bourgeois, 1981 ; éd. italienne Turin, Einaudi, 1977), p. 30-31, n. 6.
28 Le Roman de la Rose, v. 2231-2233.
29 Voir Agamben, Stanze, p. 184-206.
30 Le Roman de la Rose, v. 2282-2288.
31 Sur le rapprochement de ces deux figures, voir J. R. Scheidegger, « Son image peinte sur les parois de mon cœur », Le Moyen Âge dans la modernité. Mélanges offerts à Roger Dragonetti, éd. J. R. Scheidegger, Paris, Champion, 1996, p. 395-409, ici p. 405-409.
32 Le Roman de la Rose, v. 2289-2290.
33 Le Roman de la Rose, v. 2299-2315.
34 Sur ce motif dans la lyrique, voir M. -N. Lefay-Toury, Mort et fin’amor dans la poésie d’oc et d’oïl aux XIIIe et XIIIe siècles, Paris, Champion, 2001, p. 209.
35 J. -C. Payen a fait le rapprochement entre l’amie « lontaigne » et le thème de l’amour de loin chanté par Jaufré Rudel, « L’art d’aimer », p. 124.
36 Le Roman de la Rose, v. 2322.
37 Le Roman de la Rose, v. 2414.
38 Il s’agit de la strophe suivante : « Be-m parra joys quan li querray… ». Au moment où le fantasme porte sur la rencontre, paradoxalement la distance grandit, l’anaphore « de lonh » se rapporte au « je » qui devient « il », « drutz lonhdas ».
39 Le Roman de la Rose, v. 2417.
40 Le Roman de la Rose, v. 2435-2401.
41 Ainsi, dans une de ses complaintes lyriques, Thisbé évoque-t-elle ses vains efforts d’étreindre Pyrame dans une vision à la limite du songe et du fantasme nocturne, v. 523-538 (Pyrame et Thisbé, Narcisse, Philomena, éd. et trad. E. Baumgartner, Paris, Gallimard, 2000). Dans une tirade longue de 34 vers (v. 166-200), le chevalier anonyme du Lai de l’Ombre évoque son fantasme nocturne où il croit tenir sa bien-aimée alors que le réveil le « desenbrace » (Jean Renart, Le Lai de l’Ombre, éd. F. Lecoy, Paris, Champion, 1983). Sur un ton ironique, la même saisie illusoire, cette fois sous l’effet d’un filtre, est mise en scène dans Cligès lors de la scène de noce où l’empereur croit tenir dans ses bras Fénice ; or il tient du « neent » (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. et trad. Ch. Méla et O. Collet, Paris, Librairie Générale Française, 1994, v. 3312-3317). Voir à ce sujet Y. Foehr-Janssens, « Songes creux et insomnies dans les récits médiévaux (fabliaux, dits, exempla ) », Le Rêve médiéval, éd. A. Corbellari et J. -Y. Tilliette, Genève, Droz, 2007, p. 111-136.
42 Le Roman de la Rose, v. 2299 et v. 2447.
43 Le Roman de la Rose, v. 2475 et v. 3476.
44 J. Cerquiglini-Toulet, « Quand la voix s’est tue : la mise en recueil de la poésie lyrique aux XIVe et XVe siècles », La Présentation du livre, éd. E. Baumgartner et N. Boulestreau, Paris, Centre de recherches du département de français de Paris-X Nanterres (Littérales), 1987, p. 313-327, ici p. 313.
45 On trouvera, en plus explicite et plus concret, un savant mélange de discours analogues pour rendre compte des circonstances de la création du lyrisme dans le Voir Dit de Guillaume de Machaut, Cerquiglini-Toulet, « Quand la voix s’est tue », p. 317 et p. 319.
46 « Dame, vous em portés la clef ;/La serrure et l’escrin avés/Ou ma joie est, sil ne savés. » (Chrétien de Troyes, Yvain ou le chevalier au lion, éd. D. F. Hult, Paris, Librairie Générale Française, 1994, v. 4626-4628). « La comparaison de ces deux textes livre l’énigme du fameux joi des troubadours et confirme l’étymologie proposée par Corominas dans le Diccionario critico etimologico de la lengue espanola, à partir de jocalia, jocalis, “bijou, joyau”, et joyoso, “ce qui est précieux, qui a de la valeur” » (Ch. Méla, « Le miroir périlleux ou l’alchimie de la rose », Europe, 654, 1983, p. 72-83, repris dans Le Beau trouvé. Études de théories et de critique littéraires sur l’art des « trouveurs » au Moyen Âge, Caen, Paradigme, 1993, p. 209-219, ici p. 219).
47 Le Roman de la Rose, v. 2464.
48 Voir Cerquiglini-Toulet, « Quand la voix s’est tue », p. 326.
49 Le Roman de la Rose, v. 1433.
50 Le Roman de la Rose, v. 1508.
51 Baumgartner, « L’absente », p. 51.
52 Le Roman de la Rose, v. 1434-1435.
53 Baumgartner, « L’absente », p. 51.
54 Le Roman de la Rose, v. 1594.
55 Voir M. Mikhaïlova-Makarius, « Fantasmes et réalité. La déconstruction du miroir de Narcisse dans le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris », L’Homme dans le texte. Mélanges offerts à Stoyan Atanassov, éd. D. Mantcheva et R. Kountcheva, Sofia, Presses universitaires de Sofia, 2008, p. 75-87. Pour une mise au point récente des diverses interprétations de l’épisode de la fontaine, voir Ch. Lucken, « Narcisse, Guillaume de Lorris et le miroir du roman », Lectures du Roman de la Rose, éd. Pomel, p. 121-140.
56 Voir Méla, « Le miroir périlleux », p. 216.
57 Voir Agamben, Stanze, p. 134-136.
58 Dans le roman de Guillaume de Lorris, dans l’épisode qui suit celui de la fontaine, le chemin optique est figuré par la flèche envoyée par le dieu Amour qui transperce l’œil d’Amant pour se ficher dans son cœur.
59 Le cœur voit l’image imprimée dans le cristal au sens où l’imagination voit l’image imprimée sur la face interne de l’œil.
60 Le Roman de la Rose, v. 1560-1563.
61 « Ce que je désire est en moi ; ma richesse a causé mes privations. Oh ! que ne puis-je me séparer de mon corps ! Vœu singulier chez un amant, je voudrais que ce que j’aime fût loin de moi. » (Ovide, Les Métamorphoses, trad. J. -P. Néraudau, Paris, Gallimard, 1992, p. 121-122).
62 Joan Kessler fait également le lien entre l’épisode de la fontaine et une mise en scène de l’évolution de l’amour et de la poésie. Mais pour lui, le roman de Guillaume de Lorris permet à l’amant de dépasser l’expérience tragique de son modèle Narcisse. Voir J. Kessler, « La quête amoureuse et poétique : la Fontaine de Narcisse dans le Roman de la Rose », Romanic Review, 73, 1982, p. 133-146, ici p. 136-138.
63 Représenter l’Autre en amour à la fois comme un être que l’on peut étreindre et comme une image est un véritable défi auquel tentera de répondre bien sûr Jean de Meun, mais également plusieurs romanciers comme Jean Renart avec le Lai de l’Ombre, Robert de Blois et son Floris et Lyriopé, ou encore Galeran de Bretagne.
64 Pour reprendre le titre de l’article d’E. Baumgartner : « L’absente de tous bouquets… », en référence à Mallarmé.
65 « Choisir la vie et la liberté, ce n’est pas plonger dans un extérieur illimité, c’est au contraire se laisser enfermer dans un monde plus beau, ou qui cherche à l’être. » (Batany, « Miniature, allégorie, idéologie », p. 8).
66 « Tout se passe donc comme si le verger, placé sous le signe du nombre quatre, celui de l’univers sensible, de la matière, ne se révélait dans sa totalité qu’au terme d’une triple pénétration, d’un triple décentrement du regard du rêveur, ce dernier ne pouvant passer du Jardin de Plaisir au Buisson de Roses qu’à condition de contempler, au risque de s’y perdre, la fontaine de Narcisse, fontaine de mort mais aussi d’ amor puisque là en est semée la graine. » (Baumgartner, « L’absente », p. 48).
67 Le Roman de la Rose, v. 1423.
68 Le Roman de la Rose, v. 1565.
69 Le Roman de la Rose, v. 1612 et v. 1614.
70 Le Roman de la Rose, p. 131.
71 Le Roman de la Rose, v. 967.
72 Le Roman de la Rose, v. 975-981.
73 A. Strubel, « Écriture du songe et mise en œuvre de la “senefiance” dans le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris », Études sur le Roman de la Rose, éd. Dufournet, p. 145-179, ici p. 158-160.
74 Le Roman de la Rose, v. 16-20.
75 Le Roman de la Rose, v. 975-981.
76 Le Roman de la Rose, v. 1597-1599.
77 Le Roman de la Rose, v. 2065-2073.
78 Le Roman de la Rose, v. 3355-3368.
79 Le Roman de la Rose, v. 3361-3361.
80 Le Roman de la Rose, v. 19-20.
81 Le Roman de la Rose, v. 3367 et v. 5.
82 Le Roman de la Rose, v. 3966.
83 Le Roman de la Rose, v. 3958.
84 Le Roman de la Rose, v. 3962.
85 Le Roman de la Rose, v. 3964 et v. 3967-3968.
86 Le Roman de la Rose, v. 3994-3999.
87 Le Roman de la Rose, v. 3976-3989.
88 Le Roman de la Rose, v. 4042.
89 Le Roman de la Rose, v. 4030-4031.
90 Kessler, « La quête amoureuse », p. 138-142.
91 « Ce qui se découvre ainsi, au terme du roman de Guillaume de Lorris, n’est que le vide auquel aboutit un désir qui n’a aucun moyen de s’accomplir » (Ch. Lucken, « Narcisse, Guillaume de Lorris », p. 139).
92 Aristote, dont les théories du fantasme ont fortement influencé la pensée médiévale, définit le rêve comme « une sorte de fantasme qui apparaît dans le sommeil », De insomniis, 459a, cité d’après Agamben, Stanze, p. 128-129.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Milena Mikhaïlova-Makarius, « Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris, roman coffret, roman à coffrets », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 29 | 2015, 147-169.
Référence électronique
Milena Mikhaïlova-Makarius, « Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris, roman coffret, roman à coffrets », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 29 | 2015, mis en ligne le 30 avril 2018, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13777 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13777
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