Personnification, enchâssement, étonnement et littérature arabe médiane
Résumés
Un texte fondateur, Khurâfa, est parmi les plus anciens à utiliser l’enchâssement dans la littérature arabe en même temps qu’il introduit un genre particulier, l’histoire étonnante, qu’il va personnifier à travers le nom du héros (Khurâfa). Le procédé, qui explicite le pourquoi du récit enchâssé (étonner), a servi à installer des pratiques littéraires qui mènent, via le plaisir du texte, vers les Mille et une nuits et la littérature médiane.
Plan
Haut de pageTexte intégral
- 1 Romans et contes égyptiens de l’époque pharaonique, trad. G. Lefebvre, Paris, Adrien-Maisonneuve, 1 (...)
- 2 Ibn al-Muqaffa’, Le Livre de Kalîla et Dimna, trad. A. Miquel, Paris, Klincksiek, 1980 (1957) ; Le (...)
1L’enchâssement ou mise en abyme, c’est-à-dire le récit dans le récit, est un procédé fréquent dans les traditions narratives médiévales, et notamment arabes. Celles-ci semblent avoir subi une double influence : (1) interne, continue et ancienne, puisque le procédé est attesté en Méditerranée dans des contes pharaoniques d’une haute antiquité, comme il est présent, sous forme d’exemples ou de rappels, dans les textes religieux du Moyen-Orient1 ; (2) externe et soudaine, car le procédé structure en profondeur plusieurs ouvrages nouveaux (Kalîla et Dimna, Sindbâd le sage ou Les Sept vizirs, Barlaam et Josaphat, Les Mille et une nuits, Les Contes du perroquet, etc.) qui ont commencé à affluer dans le domaine arabe, via le moyen persan en général, à partir du milieu du VIIIe siècle, ouvrages qui passeront ensuite pour la plupart en Occident2.
2L’arrivée massive et subite de cette littérature dans la civilisation arabe, caractérisée alors par une relative ouverture et une grande mixité des cultures, a été un important facteur de stimulation de la créativité.
- 3 La notion de littérature arabe « médiane » est nouvelle : l’auteur de ces lignes, depuis ses premie (...)
- 4 M. Gerhardt, « La technique du récit à cadre dans les 1001 nuits », Arabica, 8, 1961, p. 137-157 ; (...)
3De nouveaux thèmes et de nouvelles techniques de narration vont voir le jour. Les textes indiens ou persans vont être transformés et intégrés, à des degrés divers, suivant leur niveau d’adaptabilité interne, à la culture d’accueil. Des imitations où le procédé de l’enchâssement est très présent apparaissent. Et, très vite, en réalité, différents usages de ce procédé, en liaison avec certains genres et certaines pratiques savantes et médianes3, vont marquer durablement la production arabe médiévale, avec plus ou moins de succès, jusqu’au XVIIIe siècle. Cette problématique n’est pas nouvelle. Des chercheurs comme Mia Gerhardt (1961), Tzvetan Todorov (1971), Ferial Ghazoul (1983), l’auteur de ces lignes (1999), David Beaumont (2004), Claude Bremond (2012) et la plupart des intervenants d’un colloque qui s’est tenu à Genève en 2010 ont discuté du procédé de l’enchâssement presque toujours en relation avec l’héritage oriental4. L’objectif ici est de reprendre, en amont des Nuits ou parallèlement aux premières manifestations des Nuits, un texte fondateur, Khurâfa, l’un des plus anciens à utiliser l’enchâssement dans la littérature arabe en même temps qu’un genre littéraire, le conte ou, plus précisément, l’histoire étonnante, qu’il va personnifier pour mieux, littéralement, la faire vivre. L’idée sous-jacente est que le procédé qui explicite le pourquoi du récit enchâssé, en imposant un usage particulier du texte, a servi à installer des pratiques littéraires non utilitaristes, basées sur le récit comme objet d’agrément, qui nous mènent vers les Nuits et le vaste champ de la littérature arabe médiane.
- 5 Le Livre de Kalîla et Dimna, p. 28-29.
- 6 Abû ‘Abd Allâh al-Yamanî, Kitâb mudâhât amthâl kitâb Kalîla wa Dimna bimâ ashbahahâ min ash’âr al-’ (...)
- 7 Le Livre de Kalîla et Dimna, p. 9 : « […] quant au livre [lui-même], il joignait l’agrément à la sa (...)
4Prenons comme point de départ le livre de Kalîla et Dimna. Il a en effet un rôle prépondérant si l’on veut examiner la place de la « littérature » dans le domaine arabe médiéval. C’est le plus ancien de tous les ouvrages en prose profanes qui nous sont parvenus, et dans un état de conservation relativement acceptable. D’autre part, sa fonction première, son statut de miroir des princes, d’œuvre destinée à l’éducation des rois et de leur entourage, était supposée l’installer au-dessus de la mêlée, d’autant plus qu’il était soutenu par les traditions de la cour sassanide et, plus précisément, par des figures emblématiques comme le vizir Buzurjmihr et le roi Anûshirwân5. Cependant, le livre de Kalîla et Dimna va subir de la part de ceux qui s’opposent à cet héritage persan une violente charge. Comment ? Par le biais de son point faible : sa fictionnalité. Il parle de personnages qui n’ont jamais existé, d’événements qui ne se sont jamais passés et d’endroits qui ne sont nulle part. Autrement dit, il crée. Mais cet effort de création, louable aujourd’hui, manquait à cette époque de légitimité. C’est pourquoi, au début du Xe siècle, Abû ‘ Abd Allâh al-Yamanî a composé un livre extrêmement virulent contre les « mensonges » de Kalîla et Dimna6. Encore qu’il ne puisse rejeter l’ouvrage tout entier… Il reste en effet les leçons de sagesse. Kalîla et Dimna n’est pas un simple texte de littérature comme nous l’entendons aujourd’hui. Il comporte un cadre, sa matière est enchâssée dans un « mode d’emploi » qui en commande et transforme l’usage, de sorte à en faire un moyen et non pas une fin (un texte qui se suffirait à lui-même). Avant qu’aucune fable (mathal) ne soit énoncée, deux personnages occupent le milieu de la scène : un roi et un philosophe. Et sans doute que l’essentiel de la protection offerte par ce cadre réside dans le statut des deux personnages, qui représentent les deux autorités les plus élevées, l’une s’appuyant sur l’autre : le roi sur le philosophe pour être informé, le philosophe sur le roi pour être compris et suivi. Et ce qu’ils vont échanger, ce sont des modèles de conduite dont l’utilité est mise en avant sous prétexte de dominer l’inutile fictionnalité tout juste bonne à attirer et amuser les « esprits légers », comme cela est dit dans l’introduction7 . Tout le problème est là, dans une approche pragmatique où la fin justifie les moyens : des mensonges, on peut extraire de bons principes de conduite. Les fables de Kalîla ne sont qu’un « moyen ». Simultanément, il n’est pas besoin d’en faire la démonstration. L’effort de scénarisation s’en charge. Pourquoi racontet-on des histoires ? Aucune réponse n’est plus efficace que celle qui est induite par la mise en abyme : le récit lui-même va dire pourquoi il y a récit. Le roi écoute le philosophe parler de l’importance de l’amitié ou de la méfiance qu’il faut réserver à ses ennemis, par l’intermédiaire d’une fiction, d’une colombe prise dans un filet ou bien d’une guerre entre hiboux et corbeaux. Peu importe le recours au bestiaire, une longue tradition le justifie. Bien entendu, il y a une différence avec ces passages coraniques, où par la voix de son prophète, Dieu dit explicitement « qu’Il ne répugne pas à donner en exemple un moucheron » (Coran, II, 26) et, de fait, à plusieurs reprises, le Coran aura recours à l’exemple, au mathal (même terme que dans Kalîla et Dimna), comme celui du chien qui grogne aussi bien lorsqu’on l’attaque que lorsqu’on le laisse tranquille (Coran, VII, 176) ou de l’araignée et la toile qu’elle tisse et qui lui sert de maison (Coran, XXIX, 41). Ces exemples ne sont certes pas narrativisés, mais le principe rhétorique sous-jacent est le même, et la terminologie est identique. Dans les deux cas, il s’agit de convaincre et de moraliser.
La mise en abyme par l’intermédiaire de la tradition prophétique
5Il convient de citer un autre cas d’enchâssement fort ancien et exemplaire, où l’on ne peut narrer que pour bien faire et se rendre utile. Il s’agit d’un texte de première importance qui s’inscrit dans le savoir de la culture islamique en train de se construire, au même titre que Kalîla et Dimna, mais sur un autre registre, presque à l’opposé. Une tradition prophétique du IXe siècle implique l’une des autorités les plus importantes de l’islam, qui en cautionne l’énonciation, la véracité, l’utilité et en justifie même la conservation et la reprise. Elle installe un modèle. D’après plusieurs chaînes de transmetteurs, le prophète Muhammad aurait raconté l’histoire suivante :
- 8 La source de cette tradition semble être le Musnad d’Ahmad Ibn Hanbal (m. 855), n° 5937, où on la r (...)
Trois voyageurs sont pris par la pluie. Ils se réfugient dans une caverne. Mais un éboulement survient et un rocher bloque l’entrée. Les trois hommes décident de s’adresser à Dieu, de Lui raconter leur meilleure action afin qu’Il les délivre. Et le premier voyageur de raconter son histoire : « Mon Dieu, j’avais une cousine que j’aimais. Je lui versai cent pièces d’or pour pouvoir jouir d’elle. Lorsque nous fûmes ensemble et que je pouvais faire d’elle ce que je voulais, elle me dit : “Respecte Dieu, ne me déflore pas”. Je me retins, lui abandonnai l’or et partis. Mon Dieu, si j’ai fait cela par piété, alors libère-nous. » Et voilà le rocher qui se déplace d’un tiers. Le deuxième homme dit : « Mon Dieu, j’avais deux parents fort âgés et je veillais à leur apporter chaque jour leur repas du matin et leur repas du soir. Un jour, je les trouvai en train de dormir. Je répugnai à les réveiller et je refusai de repartir car ils seraient restés sans nourriture, alors j’attendis patiemment qu’ils soient réveillés pour leur donner à manger. Mon Dieu, si j’ai fait cela par piété, alors libère-nous. » Et voilà le rocher qui se déplace d’un deuxième tiers. Le troisième homme dit : « Mon Dieu, j’ai fait travailler un journalier et lorsque j’ai voulu le payer, il a refusé, disant qu’il méritait plus et il est parti. J’ai acheté avec sa paye du bétail qui a prospéré, fait des petits et est devenu un immense troupeau. Longtemps après, le journalier est revenu me voir, réclamant son salaire. Je lui ai montré l’immense troupeau et le lui ai donné. Il m’a remercié et l’a emporté. Mon Dieu, si j’ai fait cela par piété, alors libère-nous. » Et voilà le rocher qui se déplace du dernier tiers, leur permettant de retrouver la liberté8.
6Voici un cas de figure remarquable. Sous couvert d’une structure banale, exactement la même, comme nous le verrons, que celle de l’Histoire du marchand et du démon ou de Khurâfa, on introduit Dieu comme partenaire. Qu’est-ce qui peut Lui convenir ? Quelle littérature est « digne de Dieu » ? Est-ce aussi une littérature qui convient aux humains ? Habituellement ce rapport homme/Dieu se situe dans l’autre monde, dans le cadre d’un jugement pour décider du sort, pour l’éternité, de la créature qui vient de trépasser. Et là, assez curieusement, les trois voyageurs se mettent à disposer dans la balance de la justice divine leurs bonnes actions, mais ils sont encore vivants ! Il s’agit donc probablement de la transposition d’une structure qui met face à face non pas l’humain et le divin, mais d’autres catégories de personnages, vers un cas où l’homme doit affronter son créateur de sorte que l’enjeu symbolique est de montrer ce qu’il faut faire valoir pour être sauvé. Nous avons ici la transformation religieuse d’un récit qui a en priorité sa place dans la littérature profane. Très frappante également est l’interchangeabilité des rôles. Les trois histoires enchâssées sont construites suivant le même schéma d’intrigue. On peut le résumer ainsi : un homme a un choix à faire, à un instant donné de sa vie, un moment particulièrement dramatique ; il peut alors ou bien céder à son bon plaisir et commettre une mauvaise action ou bien se maîtriser et accomplir une bonne action ; l’homme se détourne de la mauvaise et choisit la bonne ; il en est récompensé par Dieu. Le récit répète ce même modèle théorique – les formules utilisées sont les mêmes – en changeant à chaque fois le champ d’application pratique : d’abord la chasteté, puis la piété filiale, enfin la probité.
- 9 R. P. Mottahedeh, « ’Ajâ’ib in The Thousand and One Night », The Thousand and One Nights in Arabic (...)
- 10 Dans Todorov, « Les hommes-récits », on peut lire, p. 37 : « Mais alors qu’est-ce que le personnage (...)
7Si l’on reprend l’analyse de Todorov sur l’enchâssement dans les Nuits, dans sa version amendée par l’étude de Mottahedeh, on constatera que, même si le personnage n’est là que pour introduire une histoire, il ne s’agit pas exactement de trois hommes-récits9. Sindbâd le marin, par exemple, par comparaison, ressemble mieux à un homme-récit. Il est la narration de ses voyages et inversement la narration des voyages de Sindbâd suffit à le représenter tout entier, depuis sa naissance jusqu’au moment où il s’est mis à parler. De même, si l’on prend l’un des trois calenders ou vagabonds de l’histoire du même nom, chacun d’eux traduit le modèle suggéré par Todorov10. Nous pouvons établir pour chacun d’eux la même équivalence que pour Sindbâd, entre ce qu’ils sont et ce qu’ils racontent. En revanche, dans le cas des trois voyageurs de la tradition prophétique, le champ de vision fourni est filtré, tronqué. Nous pouvons voir uniquement à travers le prisme du bien et du mal, à un moment particulier de la vie, et en trois versions, un même syntagme : la chasteté, la piété filiale, la probité. Avec, comme dangers à éviter, la tentation de la chair, l’ingratitude, la cupidité. Nous le voyons bien, tout cela est très encadré, limité, focalisé, et ne pourrait résumer un personnage sauf… dans la logique d’un discours religieux ou didactique. Le récit devient exemple et l’exemple allégorie. Il y a une certaine continuité de ce point de vue par rapport aux fables animalières de Kalîla et Dimna, même si celles-ci sont d’ordre profane et entachées de « fictionnalité ». Les trois voyageurs peuvent désormais personnifier respectivement Chasteté, Piété filiale et Probité. Leur réalité est celle de trois concepts, leur fonction utilitariste est leur motivation première.
Khurâfa ou le conte personnifié
- 11 Les Mille et une nuits, trad. A. Galland, vol. 1, p. 45-63 ; Les Mille et une nuits, trad. J. E. Be (...)
8Plus fascinant encore, car prenant le contre-pied de la fonction précédente, est le cas du protagoniste destiné à personnifier non pas une vertu ou un vice, comme cela est relativement courant depuis l’Antiquité, mais un genre narratif. Nous sommes donc en présence de M. Roman ou Mme Fable. En l’occurrence, il s’agit d’un bédouin nommé Conte (sachant qu’il s’agit plus exactement, comme on le verra, d’une narration étrange et étonnante), en arabe Khurâfa. Et c’est encore le prophète qui rapporte ce qui est arrivé, à l’aide d’un récit à enchâssement analogue à celui des trois voyageurs, et qui justifie une telle identification. En somme, Todorov ne croyait pas si bien faire lorsqu’il a été amené à construire la notion d’homme-récit et lorsqu’il a proposé un rapprochement, en contexte d’enchâssement, entre l’apparition d’un nouveau protagoniste et une nouvelle narration. C’est que notre bédouin Khurâfa, par son nom même, matérialise le récit de fiction : il est narration. Notre texte du début du Xe siècle aurait ainsi mis en pratique, jusqu’à son accomplissement ultime, la réflexion théorique proposée par Todorov. L’homme et le récit ne font qu’un et se réfléchissent, l’un est soluble dans l’autre : Conte est un personnage et ce personnage fera vivre le conte. Son nom impose non pas la chasteté ou la piété, mais un genre littéraire particulier, dont nous essayerons de relever les spécificités, à travers l’aventure qui lui est survenue, analogue à celle des trois voyageurs ou encore à celle du Marchand et du démon11 . Rapportée par le prophète, attestée au début du Xe siècle, d’après un recueil de proverbes, voici donc l’histoire de Khurâfa :
- 12 Le vieux taureau n’est pas en train de « voler » dans les airs, comme le traduisent par erreur R. B (...)
- 13 Al-Mufaddal Ibn Salama al-Kûfî (m. après 903), al-Fâkhir fî al-amthâl, éd. Qusayy al-Husayn, Beyrou (...)
Un jour ‘Â’isha, l’épouse du prophète, demanda à ce dernier de lui raconter l’histoire de Khurâfa. Le prophète lui répondit : « Que Dieu bénisse Khurâfa, c’était un honnête homme, il m’a rapporté qu’il était sorti de nuit pour quelque affaire. Alors qu’il était sur le chemin, trois démons le firent prisonnier et se mirent à discuter s’il fallait le tuer, l’asservir ou le libérer. Alors qu’ils en étaient là, un voyageur vint à passer et, apprenant ce qui les occupait, proposa aux démons de leur raconter une histoire étonnante (‘ajab ) contre le tiers de la vie de Khurâfa. Les démons acceptèrent. Il dit : « J’étais un riche marchand et habitais telle ville. Un jour, je fis faillite et accumulai tant de dettes que je fus obligé de fuir. Sur la route, je m’arrêtai pour boire à un puits. Mais une voix me repoussait à chaque fois que je m’en approchais. Finalement, n’y tenant plus de soif, je bus, et la voix dit : « Mon Dieu, faites que si c’est un homme, qu’il devienne une femme et que si c’est une femme, qu’elle devienne un homme ». Je me transformai sur le champ en femme, continuai ainsi mon voyage, arrivai dans une nouvelle ville, m’y mariai et donnai naissance à deux enfants. Plus tard, la nostalgie me poussa à retourner à ma ville natale. Sur le chemin, je m’arrêtai au même puits et y bus comme la première fois, alors la voix dit : « Mon Dieu, faites que si c’est un homme, qu’il devienne une femme et que si c’est une femme, qu’elle devienne un homme ». Je me transformai de nouveau en homme et retournai chez moi. Ainsi, tel que vous me voyez, j’ai eu deux enfants de mon ventre et deux autres de mon bas-ventre, n’est-ce point étonnant ? » Les trois djinns convinrent que c’était étonnant et lui remirent le tiers de la vie de Khurâfa. Passa à ce moment un vieux taureau12 que poursuivait un vieillard. Voyant la scène, le vieillard s’arrêta et, apprenant tout ce qui venait d’arriver, proposa de raconter à son tour une histoire encore plus étonnante que la précédente contre un deuxième tiers de la vie du marchand. Les trois djinns acceptèrent et le vieillard de raconter : « Nous étions sept frères et avions une seule cousine que nous voulions tous épouser. Notre oncle, son père, avait un jeune veau qui, un jour, s’échappa. L’oncle promit de donner sa fille à celui qui, parmi nous sept, lui ramènerait le veau. Depuis ce temps, je suis à sa poursuite. Le veau est devenu un taureau et je suis devenu un vieillard, et jamais il ne s’est arrêté de courir et moi de le pourchasser, en vain, jusqu’à ce jour. » Les trois démons convinrent que son histoire était encore plus étonnante que la précédente et lui remirent le deuxième tiers de la vie de Khurâfa. Arriva à ce moment un homme sur une jument accompagné de son serviteur sur un étalon. L’homme interrogea les démons et, informé de toute l’histoire, proposa de raconter la sienne, encore plus étonnante, en échange du dernier tiers de la vie de Khurâfa. Les trois djinns acceptèrent. L’homme commença son histoire : « J’avais une méchante mère, n’est-ce pas ? demanda-t-il en s’adressant à la jument qu’il montait, et celle-ci d’opiner de la tête, et on la soupçonnait, poursuivit-il, d’avoir une liaison avec cet esclave, n’est-ce pas ? dit-il en désignant l’étalon monté par son serviteur, et l’étalon d’opiner de la tête. Un jour, j’envoyai mon serviteur que voici chez ma mère pour quelque affaire. Elle le retint chez elle et il finit par s’assoupir. Il l’entendit dans son sommeil pousser un grand cri, et voilà qu’un rat apparut ; elle lui dit “Laboure !” et le rat de labourer. “Sème !” et le rat de semer. “Récolte ! Égruge !” et le rat de récolter et d’égruger. Elle moulut les grains et en fit un bol de bouillie qu’elle demanda au serviteur de me donner. Quand il m’eut raconté ce qu’il avait vu, je rusai pour servir, à ma mère et à l’esclave, la bouillie qu’elle me destinait, et voilà qu’ils se transformèrent elle en jument et lui en étalon. “N’est-ce point vrai ? demandat-il aux deux bêtes, et celles-ci d’opiner de la tête.” Les trois djinns s’écrièrent qu’ils n’avaient jamais rien entendu d’aussi étonnant. Ils remirent à Khurâfa le derniers tiers de sa vie et il fut libéré. » Khurâfa s’en alla voir le prophète à qui il rapporta ce qui lui était arrivé13.
- 14 Ibn Manzûr, Lisân al-’Arab, entrée ‘-j-b, texte en ligne, consulté sur le site www. alwaraq. net le (...)
9D’abord quelques précisions sur le terme arabe ‘ajab/étonnant, qui ne cesse de se répéter pour qualifier les récits enchâssés. Son rôle est important. La reconnaissance de l’intérêt dramatique des trois récits en dépend. Le ‘ajab est synonyme d’un récit de grande valeur. Mieux encore, pour que Khurâfa puisse tout simplement vivre, ou plus généralement pour qu’une histoire puisse vivre, il faut du ‘ajab. Par conséquent, qu’est-ce que le ‘ajab ? Il a été traduit, en tant qu’adjectif, par étonnant . Il faut donc de l’étonnement, le contraire de l’ennui. De manière plus précise, dans son dictionnaire, Ibn Manzûr (m. vers 1311) va insister à propos du ‘ajab sur deux aspects : le premier, le plus important, se rattache à la sensation créée par quelque chose d’inhabituel, de rare ou bien dont on pense qu’il n’existe sans doute pas de semblable (un concours de circonstances, un objet, une créature,…) ; le deuxième se rattache, par l’intermédiaire du verbe a’jaba/yu’jibu, tout simplement à des sentiments de contentement et de joie14. Un texte qui étonne, dans le sens induit par le terme arabe, c’est un texte qui va surprendre ses lecteurs et leur apporter du plaisir.
- 15 R. Basset, « Notes sur les Mille et une nuits VIII. Le Marchand et le génie », Revue des Traditions (...)
10Retournons à présent à l’histoire de Conte/Khurâfa dans son ensemble. Les travaux que l’on connaît ont tenté, ou bien de rapprocher Khurâfa de l’histoire du Marchand et du démon, qui ouvre les Mille et une nuits, ou bien de l’analyser comme l’une des tentatives pour légitimer la fiction dans la littérature arabe classique15. Il est possible en effet de la considérer comme un outil pour introduire la narration de récits fictionnels peu crédibles, et plus précisément de contes, de khurâfas, en s’appuyant sur la plus haute autorité de l’islam. Si le prophète n’a pas hésité à raconter une telle histoire, affirmant même que « Conte/Khurâfa est un honnête homme », c’est qu’il n’y a aucune raison de s’abstenir de lire, d’écrire ou de transmettre ce genre de récit. Bien au contraire, suivre les pas du prophète est toujours recommandable, cela constitue même pour les sunnites l’un des fondements juridiques du droit musulman. Cependant, il y a des réserves à faire : d’une part, le prophète ne prétend pas rapporter une fiction mais la réalité, une réalité certes singulière mais réalité quand même. Or, pour légitimer la fiction, il faut l’assumer ; d’autre part, il rapporte cette histoire non pas à l’un de ses compagnons, en assemblée, dans la mosquée ou à l’un des grands hommes de l’islam de l’époque mais à son épouse, dans un cadre intime, ce qui en réduit la portée : c’est le genre d’histoire qu’un époux peut transmettre à son épouse. Ce genre d’histoire n’est pas nécessairement adapté à une communication entre savants ou dans un cercle de lettrés.
11Sur le plan des significations, si l’on compare la tradition prophétique de Khurâfa avec celle que nous avons vue précédemment des trois voyageurs, deux différences apparaissent : (1) les trois voyageurs proposent de raconter une « bonne action » alors que, dans Khurâfa, les narrateurs proposent de raconter une « histoire étonnante » et même « de plus en plus étonnante » ; (2) le destinataire des récits enchâssés est Dieu alors que, dans Khurâfa, il s’agit de djinns, de démons. Ce n’est probablement pas le fruit du hasard. À chaque destinataire particulier, il convient d’offrir un type de récit particulier : à Dieu les récits des bonnes actions ; aux démons les histoires étonnantes. On pourrait même dire : à Dieu les récits utiles et exemplaires ; aux démons la littérature.
- 16 Les traducteurs n’ont pas toujours tenu compte des qualificatifs arabes (‘ajîb et gharîb) qui accom (...)
12L’essai de légitimation, à travers la tradition prophétique de Khurâfa, ne concernait pas nécessairement la fiction en tant que telle, qui est une préoccupation plutôt moderne, mais plutôt un certain agrément que l’on pourrait en tirer (et de ce point de vue, à l’époque médiévale, la femme était en effet un partenaire incontournable). Ce qui y est rapporté n’est pas assimilable en effet aux fables animalières de Kalîla et Dimna, pourtant elles aussi fictionnelles. En l’occurrence, les trois histoires enchâssées dans Khurâfa, contrairement aux fables, ne comportent aucune leçon de sagesse. Elles ne possèdent aucune prétention utilitariste. Ce qui est visé est plus simple : le plaisir du texte, une composante essentielle, comme nous l’avons vu, du terme ‘ajab . Qui pouvait y être plus sensible qu’à toute autre chose ? Les démons, bien entendu. La littérature est faite pour les démons et pour tous ceux qui leur ressemblent, ceux qui accordent à la satisfaction de leur plaisir la plus grande attention. Il en est ainsi par exemple du roi Shahriyâr et de plusieurs autres personnages des Nuits, dont les trois dames de Bagdad, le calife Hârûn al-Rashîd ou le roi de Chine, tous destinataires de récits étranges et surprenants (tel est leur qualificatif explicite : ’ajîb et gharîb)16. C’est toute une partie de la littérature arabe médiévale qui sera prise par le démon de la littérature, du plaisir du texte, de l’étrange et du surprenant. Examinons à présent, dans Khurâfa, le degré d’implication des histoires enchâssées dans la création de récits gratuits, tournés vers une littérarité avant la lettre.
13D’abord, à l’opposé des récits enchâssés dans les Trois voyageurs, il s’agit bien de trois histoires distinctes et non pas de trois variations sur un même syntagme narratif. Le lien entre les trois histoires enchâssées dans Khurâfa n’est ni structurel ni thématique, il semble plutôt générique.
Merveilles de la création
- 17 Les Mille et une nuits, trad. A. Galland, vol. 1, p. 232-234, Premier voyage de Sindbâd le marin ; (...)
- 18 Les Mille et une nuits, « Histoire de la source enchantée », trad. J. E. Bencheikh et A. Miquel, vo (...)
14La première histoire, relativement simple, tourne autour d’un phénomène rare et merveilleux : « un homme devient une femme, parce qu’il a bu l’eau d’un certain puits ; la femme qu’il est devenu se marie, tombe enceinte et a des enfants ; puis elle redevient un homme, parce qu’elle boit de nouveau au même puits, et en tant qu’homme, a encore des enfants. » Le hasard a placé l’homme, personnage anonyme, transparent et sans distinction ni mérite particuliers, sur le chemin qui mène vers le puits, et sans le puits, il n’y aurait rien à raconter. C’est moins l’histoire de cet homme que celle d’une merveille de la création, d’un puits aux effets extraordinaires. Cependant, la simple constatation de l’existence de ce puits ne suffit pas à fabriquer une histoire. Il a fallu la narrativiser, la dramatiser pour la transformer en récit. Le même principe est en jeu, par exemple, dans la manière d’utiliser « l’île-poisson », dans le premier voyage de Sindbâd le marin : l’entité « île-poisson » comme merveille du monde existait avant l’élaboration des différents voyages de Sindbâd le marin. Sindbâd ne se contente pas de dire : « j’ai vu à tel endroit tel jour une île qui s’est révélée être un poisson ». Il en fait l’expérience de manière dramatique : « il débarque avec ses compagnons sur ce qu’ils croient être une île, ils allument un feu ; sous l’effet de la chaleur, l’île se met à bouger, puis plonge dans l’eau. C’est en réalité un gigantesque poisson. Sindbâd a juste le temps de s’accrocher à une bassine en bois pour ne pas se noyer17 ». Tout cet épisode revient à une « narrativisation » d’une merveille fort bien connue depuis une haute antiquité de l’Inde jusqu’en Grèce (et jusqu’aux bestiaires du Moyen Âge chrétien). Sindbâd est construit sur une impression de déjà vu, sur une accumulation des différentes merveilles de la terre, connues avant lui, indépendamment de lui, et qu’il va à son tour narrer, rappeler et confirmer. Il en est de même dans Khurâfa . Le motif du « puits dont l’eau change le sexe » est attesté dans d’autres ouvrages indépendamment de Khurâfa . Lui aussi relève pour la culture de l’époque du « déjà vu », du moins pour ceux qui collectionnent les merveilles : il reprend une tradition rattachée au cycle de Sindbâd le sage (sept vizirs) et a circulé en arabe, grec, hébreu, persan et syriaque18. Il est scénarisé ici sous forme d’une double métamorphose d’une seule et même personne. Aucun malheur n’en résulte, mais plutôt une situation burlesque, socialement très compliquée : voilà un protagoniste qui est à la fois père et mère. La merveille est poussée jusqu’à ses derniers retranchements et la perspective devient à la fois humoristique et ironique : être homme ou femme, cela dépend du puits auquel on s’est abreuvé, et si on s’y abreuve plusieurs fois, on peut même être tour à tour l’un et l’autre. Une distance est créée entre le sexe du protagoniste et son identité : masculin ou féminin participe de l’accident et non pas de l’essence. C’est la conséquence de ce merveilleux poussé jusqu’à la caricature dont on voit poindre le potentiel subversif. Son usage comme phénomène historiquement acceptable peut entraîner, entre autres, une remise en cause des modèles sociaux conservateurs.
15Du point de vue littéraire, si la caricature se moque de l’usage du « puits dont l’eau change le sexe » comme l’une des « merveilles du monde », c’est aussi pour en affirmer la valeur intrinsèque. Il faut s’arrêter au récit lui-même, à ses qualités dramatiques propres afin d’éviter la contamination de la réalité par la fiction et les effets subversifs de cette dernière. Le récit ne provoque pas à proprement parler de désordre social. Le changement de sexe, potentiellement subversif, est un prétexte pour suggérer l’énorme potentiel du merveilleux sur le plan strictement « littéraire », dirions-nous aujourd’hui. Plusieurs émotions sont en effet en jeu, l’étonnement bien entendu, comme le texte le martèle de bout en bout, la confusion aussi, l’embarras, le rire enfin : tout cela n’est pas possible, c’est pour rire ! L’enchâssement, par la voix du prophète, entend assurément légitimer l’agrément que l’on peut avoir à entendre des contes/khurâfas. La première histoire enchâssée le confirme pour le cas particulier de toutes ces merveilles déjà vues, qu’il s’agisse de l’île-poisson ou du puits à l’eau miraculeuse, que l’on doit précisément assumer comme un pur objet d’amusement, l’équivalent d’une fiction pour le lecteur moderne, si l’on souhaite à la fois se préserver de ses effets « secondaires » perturbateurs et en extraire toute la saveur.
Récits bédouins
- 19 Il existe de nombreux livres composés en majorité d’histoires d’amoureux bédouins, comme celui d’al (...)
16Tout en changeant de registre et de structure, les aspects humoristiques et génériques de la première histoire de Khurâfa se poursuivent dans la deuxième. Celle-ci n’utilise pas d’accessoires merveilleux, mais s’appuie au contraire sur deux motifs d’une banalité confondante : (1) le bédouin qui veut retrouver une bête égarée dans le désert ; (2) le bédouin qui désire épouser sa cousine. Ce sont deux lieux communs de la littérature arabe médiévale19. Ils sont combinés ensemble, le premier étant conçu comme une épreuve dont la réussite entraînerait la réalisation du second : le bédouin doit retrouver une tête de bétail égarée afin de pouvoir épouser sa cousine. Mais tout cela va se répéter sans fin et devenir progressivement absurde et, là encore, caricatural. L’histoire ainsi esquissée peut être interprétée de la manière suivante : tous les jours, le bédouin va essayer d’attraper la bête égarée afin de pouvoir épouser sa cousine. Il faut ajouter encore, pour confirmer la dimension routinière et presque intemporelle du projet narratif : toute sa vie, tous les jours, le bédouin va essayer d’attraper la bête égarée afin de pouvoir épouser sa cousine. Cela devient excessif, et à la faveur de cet excès, ridicule et drôle. Notre bédouin, comme il le rapporte aux trois djinns, a commencé sa quête depuis qu’il est jeune et il la poursuit inlassablement maintenant que c’est un vieillard. Ce n’est pas un homme-récit ordinaire. L’histoire de sa vie est une méta-histoire qui nous parle des autres histoires qui lui ressemblent et qui renvoie à l’ensemble de ces récits qu’elle caricature : ceux où des bédouins cherchent des bêtes égarées ou tentent, en vain, d’épouser leur cousine, transformée pour l’occasion en une créature définitivement insaisissable ; récits dont l’importance est concentrée dans la quête et l’amour qu’une telle quête suscite et non pas dans la réussite ou l’échec de celle-ci, ni d’ailleurs dans la bien-aimée elle-même, passée au second plan. Les anecdotes bédouines, fort nombreuses, très appréciées, et soi-disant véridiques, construites sur ce modèle deviennent du coup, par l’effet de la répétition des mêmes événements, convenues et artificielles. Le discours induit par la parodie donne à voir ces histoires d’amour entre cousin et cousine comme des stéréotypes maladroits qui ont du mal à se renouveler et qui tentent tant bien que mal de dissimuler les lieux communs derrière une pseudo-historicité. Par conséquent, mieux vaut une histoire absurde mais capable d’étonner son auditoire : du point de vue littéraire, comme du point de vue du prophète qui en est le transmetteur, par l’effet de l’enchâssement, elle possède une plus grande dignité et suscite un plus grand plaisir.
Magie et ruses des femmes
17La troisième histoire enchâssée dans Khurâfa semble la plus complexe de toutes. D’abord, par le grand nombre de personnages impliqués et leur statut (un fils, une mère magicienne et adultère, un esclave amant de la mère, un serviteur, une jument et un étalon qui représentent la mère et l’esclave métamorphosés). Ensuite, dans son discours, par l’étrange dialogue qui se tisse entre les protagonistes, dans des métalepses narratives, en surimpression, comme une glose, alors même que le récit enchâssé est en train d’être raconté aux trois djinns. Enfin, par une recette de cuisine très précise, à la fois extraordinaire et somme toute relativement traditionnelle et fort répandue à l’époque, à la base d’une récolte accélérée, qui montre au lecteur comment une méchante femme peut fabriquer de la nourriture magique capable de métamorphoser les êtres humains en toutes sortes d’animaux.
- 20 Comme pour les récits d’amour bédouins, des livres entiers ont été consacrés aux tromperies des fem (...)
18Le nombre et la complexité des personnages s’expliquent par la nature de l’événement : une tromperie amoureuse. Il nécessite au moins trois participants et, surtout, s’annonce comme le terrain d’exercice préféré des ruses des femmes dans la littérature médiévale. Autrement dit, nous sommes encore face à un standard20. Après les merveilles du monde (première histoire enchâssée), puis les récits d’amour bédouins (deuxième histoire enchâssée), voici les ruses des femmes et leur magie. Des indices, comme pour les deux histoires précédentes, viennent nous aider à comprendre et confirmer qu’il s’agit bien d’un récit au second degré, d’un discours parodique. D’abord, le statut des personnages : le trio époux/épouse/amant est remplacé par un autre, bien plus intrigant, fils/mère/amant, que signifie-t-il ? Pourquoi le fils remplace-t-il le mari ? Pourquoi la mère remplace-t-elle l’épouse ? Sans entrer dans des considérations psychanalytiques (le héros n’est-il pas en train de chevaucher sa mère métamorphosée en jument ?), l’amour d’une mère pour son enfant est en principe l’un des plus forts. À cela il faut ajouter que si la femme possède un fils qui est désormais un homme, c’est qu’elle doit être d’un certain âge. De surcroît, l’absence du mari n’est pas motivée et aurait pu suffire pour sortir du cadre de l’adultère. Pourtant, ici, dans le cadre de cet adultère, la femme, même libre, est prête à sacrifier son propre fils pour assouvir sa coupable passion. C’est dire son degré de dévoiement. Le vice est poussé vers ses extrêmes. En guise de confirmation, créant cet aspect humoristique que les trois histoires enchâssées se partagent dans Khurâfa, nous avons de drôles de dialogues entre le narrateur et… les montures. Le narrateur du troisième récit enchâssé s’adresse à la jument qu’il monte et à l’étalon qui est monté par son serviteur pour leur demander de confirmer ses dires. Les bêtes, dociles, hochent la tête. Les premiers échanges ont lieu dès les premières phrases et sont particulièrement savoureux : « J’avais une méchante mère, n’est-ce pas ? demanda-t-il en s’adressant à la jument qu’il montait, et celle-ci (sa mère métamorphosée donc) d’opiner de la tête, et on la soupçonnait, poursuivit-il, d’avoir une liaison avec cet esclave, n’est-ce pas ? dit-il en désignant l’étalon monté par son serviteur, et l’étalon (l’esclave métamorphosé) d’opiner de la tête. » Comme dans un vaudeville, tous les protagonistes participent de cette manière, en bonne harmonie, aussi bien les coupables que la victime, à la narration d’une histoire d’adultère fort étonnante.
- 21 Le site http://www.altafsir.com/ permet de consulter une cinquantaine d’exégèses différentes, tous (...)
- 22 Al-Tha’labî, Qisas al-anbiyâ’al-musammâ ‘ Arâ’is al-majâlis, Beyrouth, al-Maktaba aththaqâfiyya, s. (...)
19Comment la femme adultère comptait-elle se débarrasser de ceux qui la gênent ? La magie fait partie de la panoplie des ruses des femmes. Il s’agit en l’occurrence de fabriquer une farine, au moyen d’une récolte accélérée capable de métamorphoser ceux qui en prennent en animaux divers. La recette traditionnelle est fortement enracinée dans la culture arabe médiévale. Elle est rattachée à un passage coranique (Coran, II, 102) qui fournit à la fois les origines de la magie et son principal usage, et c’est cet usage qui nous intéresse ici, comme on peut le trouver dans l’exégèse de Tabarî (m. 923) : « Ayant des soucis avec son mari, une femme se rend à Babylone pour y apprendre la sorcellerie auprès des anges déchus Hârût et Mârût. Elle devient capable de produire une récolte accélérée : les grains de blés sont semés, ils poussent instantanément, ils sont immédiatement récoltés, séchés, moulus et transformés en nourriture21 ». C’est ce que nous pouvons lire dans la très sérieuse exégèse de Tabarî et dans de nombreux autres textes qui lui succèdent22. La récolte accélérée correspond donc, pratiquement à l’identique, à ce qui figure encore dans la troisième histoire enchâssée dans Khurâfa. Seul le ton diffère. Dans Tabarî et ses successeurs, le ton est tragique, la femme regrettant de s’être adonnée à la magie (elle a dû renoncer à sa foi). Dans Khurâfa, le ton est humoristique, la femme est désormais un quadrupède en train d’écouter sa propre histoire racontée par son fils et de la confirmer. C’est compréhensible, celle-ci étant une parodie de celle-là.
20En fin de compte, comme pour les deux premières histoires enchâssées, comme pour l’ensemble de Khurâfa, l’élaboration volontaire d’un récit pour le plaisir, sous son nom commun, fournit de meilleurs résultats que le récit dissimulé sous les termes de merveille de la création, d’anecdote bédouine ou d’exégèse coranique. Autrement dit, lorsqu’un texte narratif, grâce à l’enchâssement qui en explicite la fonction, n’a aucune utilité déclarée, et n’a d’autre prétention que d’étonner, de la manière la plus plaisante, il devient alors, dans son identité même, khurâfa, en somme littérature. Quel genre de littérature ?
- 23 Les Mille et une nuits, trad. A. Galland, vol. 1, p. 45-51 ; Les Mille et une nuits, trad. J. E. Be (...)
21La réponse se trouve sans doute dans la variante que nous allons voir maintenant, qui possède un statut remarquable comme conte d’ouverture des Mille et une nuits, et qui fournit le modèle sur lequel l’ensemble du noyau stable des Nuits est construit. Nous allons l’examiner très brièvement. C’est Le Marchand et le démon, première histoire narrée par Shahrazâd, une amorce donc du contenu du recueil : « un marchand tue par mégarde un jeune démon et le père de celui-ci veut le mettre à mort. Surviennent trois vieillards, chacun accompagné d’un ou plusieurs animaux, et chacun va raconter au démon une histoire, de plus en plus étonnante, contre un tiers de la vie du marchand, de sorte que les trois histoires des trois vieillards sont échangées auprès du démon contre la vie du marchand23 ». Le marchand et Khurâfa sont des jumeaux, mais ils n’ont pas le même statut ni la même fonction. Si l’Histoire de Khurâfa peut être interprétée comme un modèle et un manifeste pour la mise en place théorique de textes narratifs d’agréments, inutiles mais étonnants, alors l’Histoire du marchand peut être interprétée comme l’une de ses réalisations pratiques.
- 24 Kitâb al-hikâyât al-’ajîba wa-l-akhbâr al-gharîba, éd. H. Wehr, Wiesbaden, 1956 ; deux contes de ce (...)
22Au-delà de l’Histoire du marchand, le livre qui en est le représentant, c’est-à-dire les Mille et une nuits et, au-delà de ce livre, le genre littéraire qui englobe l’ensemble (les textes de la littérature arabe médiévale contenant des histoires étonnantes et des récits étranges), c’est-à-dire une bonne partie de la littérature arabe médiane (qu’il convient d’ailleurs de percevoir comme un courant spécifique), cet ensemble donc peut être considéré comme une réalisation pratique de khurâfa . L’un des jalons majeurs est par exemple l’ouvrage édité par Hans Wehr (1956), partiellement traduit en français, dont le titre est éloquent, Le Livre des histoires étonnantes et des anecdotes étranges. Il offre un large panorama de ce que l’on peut lire ou inclure dans ce genre : récits d’amoureux très proches de la littérature classique ; récits bédouins ; voyages en mer ; romans épiques ; merveilles de la création ; ruses des femmes ; histoires de fils de marchand24. Le fait est que les Mille et une nuits, de réalisation pratique d’un modèle (Khurâfa), sont devenues à leur tour un modèle (Shahrazâd), suscitant adaptations et imitations, créant autour d’elles par un effet de boule de neige un véritable courant littéraire comme le montre par exemple la somme réunie par Victor Chauvin dans sa Bibliographie et les investigations menées à l’Inalco dans le cadre du projet MSFIMA (Mille et une nuits : Sources et Fonctions dans l’Islam Médiéval Arabe).
23En conclusion, à ce stade de la recherche, trois éléments principaux, en mettant à part l’autorité du prophète, semblent avoir contribué à amorcer puis à propager un tel courant littéraire : premièrement, le procédé de personnification pour transformer une abstraction (khurâfa/un conte) en un archétype vivant dont l’existence relève du constat historique et de l’expertise philologique (Khurâfa/un brave homme de la tribu de ‘Udhra) ; deuxièmement, le procédé de l’enchâssement pour expliciter et assumer une fonction non utilitariste, provoquer l’étonnement, et valoriser le texte comme agrément ; troisièmement, la prise en charge d’un tel modèle par un ouvrage (les Nuits) qui va à son tour faire école, ouvrant une voie médiane, hors des sentiers tracés des littératures savantes et populaires.
Notes
1 Romans et contes égyptiens de l’époque pharaonique, trad. G. Lefebvre, Paris, Adrien-Maisonneuve, 1949, p. 70 ; voir également Proverbes, VII, où un père raconte à son fils comment une femme adultère séduit un jeune homme, un type d’enchâssement que l’on retrouvera dans la Disciplina Clericalis de Pierre Alphonse, dès le premier exemple, voir J. -L. Genot-Bismuth, La Discipline de Clergie, Versailles, Éditions de Paris, 2001, p. 156-157 ; par ailleurs, on peut lire dans le Coran, XII, 3-4 : « Nous allons te raconter les meilleurs récits, dans ce que Nous t’avons inspiré par ce Coran, même si tu as été auparavant bien négligeant. Lorsque Joseph dit à son père […] », suit alors le récit de Joseph qui rapporte son rêve à son père.
2 Ibn al-Muqaffa’, Le Livre de Kalîla et Dimna, trad. A. Miquel, Paris, Klincksiek, 1980 (1957) ; Le Livre des sept vizirs d’après Zahiri de Samarkand, trad. D. Bogdanovic, Paris, Sindbad, 1975 ; Kitâb Bilawhar wa-Bûdhâsf, trad. D. Gimaret, Beyrouth, Dar El-Machreq Éditeurs, 1986 ; Les Mille et une nuits, trad. J. E. Benchekh et A. Miquel, 3 vol., Paris, Gallimard, 2005-2006 ; Touti-nameh ou les contes du Perroquet, trad. H. Muller, Paris, Les Belles Lettres, 1934.
3 La notion de littérature arabe « médiane » est nouvelle : l’auteur de ces lignes, depuis ses premiers travaux sur Les Mille et une nuits et jusqu’au présent article, essaie de montrer que les Nuits ne relèvent pas d’une littérature « populaire » mais d’un genre spécifique qui englobe un vaste pan de la littérature arabe médiévale, que l’on pourrait appeler littérature « médiane » ou « moyenne », en ce sens qu’elle occupe une place intermédiaire entre le savant et le populaire. Voir à ce propos A. Chraïbi, « Classification des traditions narratives arabes par conte-type : application à l’étude de quelques rôles de poète », Bulletin d’Études Orientales, 50, 1998, p. 29-59 et particulièrement p. 37-42 ; Les Mille et une nuits, histoire du texte et classification des contes, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 15-20.
4 M. Gerhardt, « La technique du récit à cadre dans les 1001 nuits », Arabica, 8, 1961, p. 137-157 ; T. Todorov, « Les hommes-récits », Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1971, p. 78-91 ; F. Ghazoul, « Poetic Logic in the Panchatantra and The Arabian Nights », Arab Studies Quarterly, 5, 1983, p. 13-21 ; A. Chraïbi, « Les à-côtés du récit ou l’enchâssement à l’orientale », Poétique, 117, 1999, p. 1-15 ; D. Beaumont, « Literary Style and Narrative Technique in the Arabian Nights », Arabian Nights Encyclopedia, éd. U. Marzolph et R. van Leeuwen, 2 vol., Santa Barbara, Clio, 2004, vol. 1, p. 1-5 ; C. Bremond, « Essor et déclin du conte enchâssé », Les Mille et une nuits, Catalogue d’exposition de l’IMA, Paris, Éditions Hazan, 2012, p. 17-21 ; D’Orient en Occident : les recueils de fables enchâssées avant les Mille et une nuits de Galland (Barlaam et Josaphat, Kalila et Dimna, Disciplina clericalis, Roman des Sept Sages), éd. M. Uhlig et Y. Foehr-Janssens, Turnhout, Brepols, 2014.
5 Le Livre de Kalîla et Dimna, p. 28-29.
6 Abû ‘Abd Allâh al-Yamanî, Kitâb mudâhât amthâl kitâb Kalîla wa Dimna bimâ ashbahahâ min ash’âr al-’Arab, éd. M. Yûsuf Najm, Beyrouth, Dâr al-Thaqâfa, 1961, p. 3 et p. 8.
7 Le Livre de Kalîla et Dimna, p. 9 : « […] quant au livre [lui-même], il joignait l’agrément à la sagesse, celle-ci le faisant choisir par les philosophes, celui-là par les esprits légers ».
8 La source de cette tradition semble être le Musnad d’Ahmad Ibn Hanbal (m. 855), n° 5937, où on la rencontre pour la première fois, mais on la trouve également dans les autres corpus standards de la même époque comme le Sahîh d’al-Bukhârî (m. 870), à trois reprises, aux n° 2152, 2208 et 5629, et le Sahîh de Muslim (m. 875), n° 2743, ainsi que dans certains ouvrages profanes comme le livre d’al-Tanûkhî (m. 994), Faraj ba’d al-shidda, éd. ‘ Abbûd ash-Shâlûjî, 5 vol., Beyrouth, 1978, vol. 1, p. 125, d’après lequel le résumé ci-dessus a été fait. Remarquons qu’il existe de nombreuses autres versions, et que celle d’Ibn Hanbal, par exemple, est plus complexe et offre un niveau d’enchâssement supplémentaire très proche des modèles en usage dans l’Inde et dans Kalîla et Dimna : le statut de cette tradition et ses différentes variantes, qui représentent en elles-mêmes une masse de données assez conséquente, feront l’objet d’une publication séparée. Ajoutons simplement ici que l’aspect syncrétique de la religion ne résulte pas seulement de l’usage d’autres textes religieux mais aussi, manifestement, sur le plan formel, de textes littéraires.
9 R. P. Mottahedeh, « ’Ajâ’ib in The Thousand and One Night », The Thousand and One Nights in Arabic Literature and Society, éd. R. C. Hovannisian et G. Sabagh, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 29-39, et particulièrement p. 35.
10 Dans Todorov, « Les hommes-récits », on peut lire, p. 37 : « Mais alors qu’est-ce que le personnage ? Les Mille et une nuits nous donnent une réponse très nette que reprend et confirme le Manuscrit trouvé à Saragosse : le personnage, c’est une histoire virtuelle qui est l’histoire de sa vie. » Pour les contes cités, voir Les Mille et une nuits, trad. A. Galland, 3 vol., Paris, GF-Flammarion, 2004, vol. 1, p. 113-224 pour l’Histoire des trois calenders, et p. 228-291 pour Sindbâd le marin ; voir également pour les résumés et la bibliographie The Arabian Nights Encyclopedia, vol. 1, p. 324-326 et p. 383-389.
11 Les Mille et une nuits, trad. A. Galland, vol. 1, p. 45-63 ; Les Mille et une nuits, trad. J. E. Bencheikh et A. Miquel, vol. 1, p. 17-28 ; Arabian Nights Encyclopedia, vol. 1, p. 419-420.
12 Le vieux taureau n’est pas en train de « voler » dans les airs, comme le traduisent par erreur R. Basset et ses successeurs (voir note p. 32) ; c’est un usage métaphorique du verbe târa/yatîru pour signifier qu’il va vite, ainsi que le montre d’ailleurs la suite du récit où il est question du taureau lorsqu’il était jeune veau.
13 Al-Mufaddal Ibn Salama al-Kûfî (m. après 903), al-Fâkhir fî al-amthâl, éd. Qusayy al-Husayn, Beyrouth, Dâr wa-Maktabat al-Hilâl, 2003, p. 124-126.
14 Ibn Manzûr, Lisân al-’Arab, entrée ‘-j-b, texte en ligne, consulté sur le site www. alwaraq. net le 20 octobre 2014.
15 R. Basset, « Notes sur les Mille et une nuits VIII. Le Marchand et le génie », Revue des Traditions Populaires, 16, 1901, p. 28-36 ; D. B. MacDonald, « The Earlier History of the Arabian Nights », Journal of the Royal Asiatic Society, 56, 1924, p. 353-397, et particulièrement, pour le lien avec Le Marchand et le démon, p. 372-376 ; R. Drory, « Three Attempts to Legitimize Fiction in Classical Arabic Literature », Jerusalem Studies in Arabic and Islam, 18, 1994, p. 146-164 et particulièrement p. 147-156.
16 Les traducteurs n’ont pas toujours tenu compte des qualificatifs arabes (‘ajîb et gharîb) qui accompagnent, dans les sources manuscrites, l’introduction des contes enchâssés ainsi que le début et la fin de chaque nuit et assurent ainsi la transition entre les différentes composantes du livre, Shahrazâd étant supposée raconter toujours quelque chose de plus étonnant et de plus étrange que ce qui précède. L’édition arabe partielle, l’unique édition critique existant à ce jour, de Muhsin Mahdi, le montre bien : Kitâb alf layla wa-layla, Leyde, Brill, 1984, par exemple, p. 76, lors du passage de la deuxième à la troisième nuit : « Sa sœur Dînârzâd dit : “comme ton histoire est étonnante et étrange” (a’jab/aghrab ). Shahrazâd répondit : “la nuit prochaine je vous raconterai plus étonnant et plus étrange encore” » (ma traduction). Voir aussi Chraïbi, Les Mille et une nuits, histoire du texte et classification des contes, p. 66-67.
17 Les Mille et une nuits, trad. A. Galland, vol. 1, p. 232-234, Premier voyage de Sindbâd le marin ; pour d’autres versions de cette célèbre « merveille », voir ‘Ajâ’ib al-Hind (Xe s.), éd. Y. al-Shârûnî, Beyrouth, Riad El-Rayyes Books, 1990, p. 66-67 ; al-Jâhiz (IXe s.), Kitâb al-hayawân, éd. F. ’Arawî, 2 vol., Beyrouth, Dâr al-Sha’b, 1982, vol. 2, p. 620-621 ; Relation de la Chine et de l’Inde (IXe s.), éd. et trad. J. Sauvaget, Paris, Les Belles Lettres, 1948, p. 2 ; Cinq cents contes et apologues du Tripitaka chinois, trad. E. Chavannes, 4 vol., Paris, Adrien-Maisonneuve, 1962 (réimpr. de l’éd. Paris, 1910-1935), vol. 3, p. 192, n° 434 et vol. 4, p. 227. Pour une étude de ce motif (île-poisson), voir A. Chraïbi, « Île flottante et œuf de rukhkh », Quaderni di Studi Arabi, éd. A. Ghersetti, n. s. 3, 2008, p. 83-95 et particulièrement p. 85-89 ; voir par exemple le site internet « The Medieval Bestiary » pour sa présence dans les bestiaires médiévaux chrétiens ; voir également le Voyage de Saint Brendan, éd. bilingue I. Short et B. Merrilees, disponible sous forme de fichier pdf sur le site saintbrendan. d-t-x. com, p. 30-32, chap. XIV.
18 Les Mille et une nuits, « Histoire de la source enchantée », trad. J. E. Bencheikh et A. Miquel, vol. 2, p. 595 ; Le Livre des sept vizirs d’après Zahiri de Samarkand, p. 195 ; Mi’at layla walayla, éd. M. Tarchouna, Tunis, al-Dâr al-’Arabiyya li-l-Kitâb, 1979, p. 265 ; importante bibliographie dans V. Chauvin, Bibliographie des ouvrages arabes ou relatifs aux Arabes publiés dans l’Europe chrétienne de 1810 à 1885, 12 vol., Liège/Leipzig, Vaillant-Carmanne/Harrassowitz, 1892-1922, vol. 8, p. 43 ; Arabian Nights Encyclopedia, « The Enchanted Spring », vol. 1, p. 175.
19 Il existe de nombreux livres composés en majorité d’histoires d’amoureux bédouins, comme celui d’al-Sarrâj, Abû Muhammad Ja’far Ibn Ahmad (m. 1106), Masâri’al-’ushshâq, 2 vol., Beyrouth, Dâr Sâdir, s. d., par exemple, vol. 1, p. 101, vol. 2, p. 26 et p. 206 ; autres exemples avec le motif de « la bête perdue » dans Mille et un contes, récits et légendes arabes, trad. R. Basset, Corti, 2 vol., Paris, 2005 (1924-1926), vol. 2, p. 411, n° 70 ; V. Chauvin, Bibliographie, vol. 5, p. 111, n° 45 et p. 116, n° 52 ; autre exemple encore, l’histoire d’Iram aux colonnes, extrêmement répandue dans la littérature arabe médiévale, est également amorcée avec le motif du bédouin qui part à la recherche d’une bête égarée : voir Les Mille et une nuits, trad. J. E. Bencheikh et A. Miquel, vol. 1, p. 1046.
20 Comme pour les récits d’amour bédouins, des livres entiers ont été consacrés aux tromperies des femmes, y compris lorsqu’elles sont magiciennes, comme celui d’Abd al-Rahîm al-Hawrânî, Les Ruses des femmes, trad. R. Khawam, Paris, Phébus, 1994 ; de même, de nombreux contes des Nuits sont construits sur ce thème et quelques-uns reproduisent exactement comme ici l’histoire de la femme adultère qui tente de métamorphoser son mari (et souvent y réussit) : Les Mille et une nuits, « Histoire de Sidi Nouman », trad. A. Galland, vol. 3, p. 137-150 ; Les Mille et une nuits, « Histoire du troisième vieillard », trad. J. E. Bencheikh et A. Miquel, vol. 1, p. 27-28.
21 Le site http://www.altafsir.com/ permet de consulter une cinquantaine d’exégèses différentes, tous les épisodes qui nous intéressent se trouvent dans Tabarī.
22 Al-Tha’labî, Qisas al-anbiyâ’al-musammâ ‘ Arâ’is al-majâlis, Beyrouth, al-Maktaba aththaqâfiyya, s. d., p. 45-46.
23 Les Mille et une nuits, trad. A. Galland, vol. 1, p. 45-51 ; Les Mille et une nuits, trad. J. E. Bencheikh et A. Miquel, vol. 1, p. 17-28 ; résumé et bibliographie dans Arabian Nights Encyclopedia, vol. 1, p. 419-420.
24 Kitâb al-hikâyât al-’ajîba wa-l-akhbâr al-gharîba, éd. H. Wehr, Wiesbaden, 1956 ; deux contes de cet ouvrage ont été traduits en français : Histoire des quarante jeunes filles et autres contes, trad. D. Rabeuf, Arles, Actes Sud, 2012 ; Histoire de ‘Arûs, la belle des belles, des ruses qu’elle ourdit, et des merveilles des mers et des îles, trad. D. Rabeuf, Arles, Actes Sud, 2011.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Aboubakr Chraïbi, « Personnification, enchâssement, étonnement et littérature arabe médiane », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 29 | 2015, 23-42.
Référence électronique
Aboubakr Chraïbi, « Personnification, enchâssement, étonnement et littérature arabe médiane », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 29 | 2015, mis en ligne le 30 avril 2018, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13771 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13771
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page