Les plateae calabraises d’époque normande. Une source pour l’histoire économique et sociale de la Calabre byzantine ?
Résumés
La documentation écrite d’époque byzantine susceptible de donner accès à la connaissance de l’organisation rurale et agricole de la Calabre méridionale étant limitée, il est tentant de s’en remettre aux sources normandes, en particulier à ces inventaires nominatifs d’hommes recenses et/ou donnes par l’autorité publique appelés plateae (jarâ’id arabes ou arabo-grecques, katonoma de la Calabre hellénophone). Il convient pour cela de s’assurer qu’une continuité minimale existe entre périodes byzantine et normande, dans les statuts des hommes recensés comme dans les caractères formels de la documentation. L’enquête ne peut que générer des hypothèses, en raison des lacunes documentaires. L’analyse du parallèle sicilien montre les limites d’une transposition de l’interprétation des jarâ’id sur le cas calabrais. Pourtant, il existe une unité entre jarâ’id et katonoma, issue à la fois de l’origine de ces inventaires, l’autorité publique, comme des buts, le contrôle du territoire, la fixation des hommes et le prélèvement des charges publiques. Ainsi, les sources de la Calabre normande permettent d’éclairer le statut des parèques byzantins grâce à la permanence des principes fiscaux qui concernent les paysans calabrais, entre la domination byzantine et les débuts de l’époque normande.
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- 1 A. Guillou, Le brébion de la métropole byzantine de Règion (vers 1050), Cité du Vatican (Corpus des (...)
- 2 A. Guillou, La Théotokos de Hagia-Agathè (Oppido) (1050-1064/1065), Cité du Vatican (Corpus des Act (...)
- 3 Mentionnons en particulier le partage des biens de la famille des Presbyteranoi, en 1054, issu des (...)
- 4 On en trouvera une liste récapitulative dans A. Peters-Custot, Les Grecs de l’Italie méridionale po (...)
- 5 Sur la nature du monachisme italo-grec à l’époque byzantine, vu à travers les hagiographies, on se (...)
- 6 Sur les parèques byzantins, on consultera notamment : M. Kaplan, Les hommes et la terre à Byzance d (...)
1Pour étudier l’organisation rurale et agricole de la Calabre byzantine, ainsi que les statuts paysans de ce même territoire, on dispose pour l’époque byzantine de quelques sources calabraises, et en particulier le brébion de la métropole de Reggio, sorte d’inventaire des biens et redevances de la métropole byzantine, au milieu du XIe siècle1, ainsi que des actes du cartulaire de la métropole d’Hagia Agathè (Oppido), de la même période2 et de quelques rares actes de la pratique privée émis dans la Calabre méridionale à l’époque byzantine3. Les Vies de saints italo-grecs d’époque byzantine ne permettent guère de compléter ce tableau4, dans la mesure où le type de sainteté qu’elles mettent en valeur, celui du moine errant, fondateur de monastères dont il ne devient que rarement l’higoumène, ne porte pas à décrire par le menu les structures de propriété et d’exploitation des terres agricoles5. Cette documentation byzantine peut paraître assez « légère » à première vue ; toutefois, elle constitue un ensemble plutôt consistant au regard des lacunes documentaires considérables qui pèsent sur l’historien des réalités agraires et rurales du monde méso-byzantin, alors que le poids de Constantinople écrase les ensembles provinciaux, pour la plupart mal documentés. L’Italie méridionale est, dans ce contexte, une des provinces les mieux renseignées de l’Empire byzantin aux Xe-XIe siècles. Les sources locales qu’on vient de présenter brièvement y attestent avec certitude l’existence, voire le développement conséquent de la grande propriété foncière, aux mains des cathédrales, de quelques monastères et, bien plus rarement, de familles laïques, au détriment de la petite et moyenne propriété qui toutefois perdure. Notons qu’aucune source byzantine ne mentionne, directement ou non, le corollaire normalement obligé de cette grande propriété byzantine, à savoir l’existence de parèques, paysans « locataires » ou du moins fiscalement dépendants, installés sur une grande propriété (proasteion ) dont ils cultivent une terre en échange d’un pakton6.
- 7 Il s’agit d’un sigillion du catépan Basile Mésardonitès, adressé à la cathédrale d’Oria : A. De Leo (...)
- 8 H. Enzensberger, Guillelmi I Regis Diplomata, Vienne (Codex Diplomaticus Regni Siciliae, I, III), 1 (...)
- 9 G. Robinson, History and Cartulary of the Greek Monastery of S. Anastasius and S. Elias of Carbone, (...)
2Le terme de parèque n’apparaît pas dans la Calabre byzantine. Seul un document apulien, daté de 1011, et connu seulement dans la traduction latine de l’original grec, peut suggérer l’existence de parèques, cachés sous le terme latin de vaxalli (même si ce mot de vaxalli peut traduire anthrôpoi)7. On a longtemps pensé que la première apparition du terme de paroikoi datait de l’époque royale normande8. Toutefois, des parèques font partie d’une donation que Trotta, dame de Myromanna en Basilicate, accorde au monastère de S. Elia di Carbone, en 11089. Le faible niveau de celui qui rédige ce document, un prêtre et protopape qui fait office de scribe, permet d’exclure l’interprétation de cette mention comme un usage précieux de notaire voulant faire montre de ses qualités littéraires. Bien au contraire, il s’agit très probablement de la transposition écrite d’un usage courant.
3À côté de ces sources byzantines, il existe une importante documentation sur les structures agraires et les statuts paysans de la Calabre : les plateae normandes et souabes, qui composent un type documentaire particulier à la Sicile et la Calabre méridionale sous les dominations normande et, en moindre mesure, souabe. Toutefois, on ne peut en faire un usage rétrospectif, c’est-à-dire les utiliser pour l’époque byzantine, que si on a établi des liens de continuité avec la documentation équivalente d’époque byzantine, issue tant du sol calabrais, que du reste de l’Empire byzantin. Il convient donc de répondre à la question suivante : les plateae normandes sont-elles des sources produites par un héritage byzantin ? La prudente sagesse méthodologique invite à circonscrire d’emblée le terme d’héritage : contrairement à son homonyme anglais, « heritage », l’héritage, dans la langue française, ne désigne pas un patrimoine conservé et transmis dans la fidélité stricte au dépôt reçu, mais un legs dont l’héritier peut modifier partiellement certains des éléments, tout en en conservant des aspects essentiels. Parler des plateae normandes comme d’un héritage byzantin ne signifie pas qu’on aura établi une filiation stricte, une identité de nature et de contenu, mais qu’on aura montré des liens grosso modo, une influence forte, ou une fidélité assumée à un état d’esprit ou à des principes fonctionnels. Autant de systèmes de relation qui, même faibles, permettraient d’établir une filiation entre plateae et documents byzantins, et donc de supposer des similitudes structurelles entre époque byzantine et époque normande, ce qui légitimerait la prise en compte des sources d’époque normande pour analyser les systèmes ruraux et fonciers byzantins.
- 10 A. Peters-Custot, « Plateae et anthrôpoi, peut-on trouver des origines byzantines à l’organisation (...)
4Je voudrais faire ici très brièvement le point sur la question, sans prétendre la résoudre entièrement. La question de la continuité documentaire comprend à mon sens deux volets : le volet de forme (c’est-à-dire celui de la filiation documentaire et de l’héritage formel permettant de rattacher – ou non – les plateae à un type documentaire byzantin) et un aspect de contenu (c’est-à-dire celui des filiations essentielles, liant – ou non – le type documentaire à son contenu, ici en particulier le statut des hommes, et les relations éventuelles entre les anthrôpoi ou villani des actes normands, et les parèques byzantins). L’étude ici présentée a l’ambition de répondre à la première question, en se concentrant sur les aspects formels de la filiation byzantine. Pour autant, je me permettrai de reprendre très brièvement les analyses que j’ai développées récemment sur le second volet10, afin de proposer une présentation synthétique sur la question.
Les plateae
Définition
- 11 Enzensberger, Guillelmi I Regis Diplomata, n o 23 p. 64-65, ici p. 65. Le roi donne des biens et vi (...)
5Le terme de platea désigne, de manière assez vague, un inventaire. C’est ainsi qu’il est défini dans la traduction latine tardive d’un acte grec du roi Guillaume Ier, daté de 115811. Le terme générique enserre dans les faits trois sous-groupes distincts tant dans la forme et le contenu, que dans la chronologie.
- 12 J. Becker, Documenti latini e greci del conte Ruggero I di Calabria e Sicilia, Rome, 2013, n. 50, p (...)
- 13 C. Rognoni, Les actes privés grecs de l’Archivo Ducal de Medinaceli (Tolède). I, Les monastères de (...)
- 14 Rognoni, Les actes privés grecs, VII, p. 248.
- 15 Sur le recensement par casale, voir infra note 2, p. 398.
6Il s’agit en premier lieu d’un inventaire nominatif d’hommes produit par l’autorité publique, comtale ou royale, sans autre précision que les noms des personnes recensées. Ces inventaires, conservés par l’administration centrale du comté puis du royaume, correspondent exactement aux jarâ’id arabes ou arabo-grecques, émises spécifiquement pour la Sicile. En grec, on connaît plusieurs termes pour désigner ces documents : platia (la première apparition du terme se faisant, en 1095, dans un contexte sicilien et non calabrais)12 et akrosticha13, mais un document du roi Roger II daté de 1144 évoque, de manière plus floue, les tetradia, registres conservés au palais, et qui permettent au souverain de confirmer à la fois les biens fonciers et les noms des vilains de Calabre qui appartiennent au Saint-Sauveur de Messine14. Ces inventaires semblent dressés par entité géographique (village), ou espace de domination (comté)15. On n’en conserve pas d’exemplaire pour la Calabre, qui ne les connaît que par des mentions dans des actes de donation d’hommes.
- 16 L’exemple le plus connu en Calabre concerne le jugement sur le contenu du fief d’Asklettin de Brix, (...)
- 17 Voir supra note 3, p. 393.
- 18 S. Cusa, I diplomi greci ed arabi di Sicilia, Palerme, 1868-1882 (réimpr. Cologne-Vienne, 1982) n o(...)
7Par ailleurs, et visiblement dans un second temps, on rencontre un autre type d’inventaires, que les historiens ont pris l’habitude de nommer plateae, même si cette désignation n’est pas toujours conforme à la documentation. Il s’agit d’un inventaire nominatif d’hommes, sans plus de précision non plus et dressé, là encore, par un représentant de l’autorité publique, à l’occasion d’une donation de ces hommes à un bénéficiaire, personne ou, plus souvent, institution religieuse (monastère, évêché), ou encore fief16. C’est pourquoi les vassaux du souverain semblent aussi posséder de tels documents, comme c’est notifié bien souvent par le comte ou le roi17. Ces inventaires, plus restreints, sont généralement dressés sur la base d’une platea des registres publics18, et très fréquemment, en particulier pour la Calabre, on ne connaît ces plateae des registres publics que par une mention faite dans l’inventaire particulier dressé pour la concession d’hommes, liste appelée donc aussi platea, même si ce terme n’apparaît dans sa forme grecque que pour les cas siciliens. Dans la Calabre méridionale, le terme grec employé est celui de katonoma, tiré des premiers mots du document, kat’onoma tôn anthrôpôn…, « noms des hommes… ».
- 19 Un exemple exceptionnel de ces plateae devenues outils de gestion seigneuriale est la platea de l’a (...)
- 20 On dispose en particulier de la platea des biens de S. Stefano del Bosco, ancienne et lointaine fon (...)
8Enfin, le troisième type de listes, parfois aussi nommé plateae, y compris dans les sources elles-mêmes, est un instrument de gestion seigneurial, qui ne comprend pas uniquement des listes d’hommes, mais aussi un inventaire des biens fonciers, parfois délimités, et des revenus. Ce type de document apparaît plus tard (c’est-à-dire pas avant la seconde moitié du XIIe siècle) ; il est le produit évident de la katonoma/ platea de donation, dont il dérive formellement, mais les intérêts sont largement différents, nettement plus économiques, mais aussi sociaux. Ces plateae comprennent en effet, dans la partie consacrée aux hommes, des précisions croissantes concernant les statuts personnels et les redevances19 ; elles sont encore en usage au XVIe siècle dans la Calabre méridionale20. Ce type de source est le corollaire de l’expansion de la seigneurie calabraise.
- 21 Le terme de linea d’hommes se rencontre fréquemment dans ces listes, au moment de résumer la totali (...)
9Ainsi, ce qu’on appelle platea est un inventaire, mais la pluralité des sous-genres invite à se méfier de ce terme par trop généraliste. On ne s’intéressera ici qu’aux documents du premier et du deuxième type, jarâ’id de Sicile et katonoma de Calabre, qui ont en commun d’être dressés par l’autorité publique, et de ne comporter que des noms d’hommes soigneusement inventoriés, et comptabilisés par « ligne21 », c’est-à-dire qu’on ne compte que le chef de famille, alors que ses parents, bien que régulièrement enregistrés, ne sont pas comptabilisés dans les totaux parfois annoncés en début de liste.
La question de l’héritage Byzantin : aspects formels
- 22 L.-R. Ménager, « Notes sur quelques monastères de Calabre à l’époque normande », Byzantinische Zeit (...)
10La question de l’origine de ce type de document propre au royaume normand a été posée depuis bien longtemps22 et reste l’objet de débat entre les partisans de l’origine byzantine, et ceux de la création normande. Il convient de faire le point sur les arguments des uns et des autres.
- 23 C’est du moins ce que j’ai tenté de montrer récemment : Peters-Custot, « Plateae et anthrôpoi ».
11Pour établir un héritage, ou du moins une exemplarité byzantine à propos des inventaires publics normands, les arguments ne peuvent que reposer sur des déductions issues de constatations objectives. Il en est ainsi du fait que les inventaires d’hommes émis par l’autorité publique normande proviennent de manière quasi-exclusive, sauf rares exceptions, des zones de domination anciennement byzantine ou musulmane : Sicile et Calabre méridionale essentiellement, c’est-à-dire les zones où précisément les Normands ont pu remployer la notion et les structures de l’autorité publique précédente, pour activer et maintenir cette autorité publique, qu’exprime l’émission de plateae et katonoma publics. La pratique de l’inventaire peut, en soi, procéder d’une imitation du modèle byzantin, même sous d’autres types documentaires. Par ailleurs, la marque byzantine peut se lire dans le remploi de termes issus du vocabulaire byzantin à l’époque normande, tels que angaria, paroikoi, ou dans le maintien de certaines pratiques d’imposition, qu’on a pu observer aussi dans la Sicile arabo-musulmane. Enfin, il me semble que les paysans, dont le recensement est l’objet des katonoma à l’époque normande, présentent d’objectives similitudes de statut avec les parèques byzantins, ou du moins ce qu’on connaît des parèques byzantins23.
- 24 On se permet de se référer, pour l’analyse du vocabulaire des notaires grecs de l’Italie normande, (...)
- 25 On renverra notamment à deux travaux essentiels, l’un sur la Pouille médiévale : J.-M. Martin, La P (...)
- 26 A. Nef, « Conquêtes et reconquêtes médiévales : une réduction en servitude généralisée ? (Al-Andalu (...)
- 27 Guillou, Le brébion.
12Il convient de reprendre un à un ces arguments, car nombre d’entre eux paraissent être des éléments de surface, notamment les ressemblances lexicologiques, qui donnent une importance excessive aux continuités de vocabulaire, dont on a pu montrer, dans le cas de l’Italie méridionale normande, l’inadéquation parfois voulue avec les réalités et leurs évolutions24. Le poids démonstratif est particulièrement faible face aux difficultés posées par les creux documentaires et chronologiques, en particulier le manque de documentation sur la Calabre byzantine. Autant le système fiscal de la Pouille byzantine est connu par les sources contemporaines25 ; et autant, d’un autre côté, Annliese Nef a pu repérer des continuités dans les systèmes fiscaux byzantins et arabo-musulmans de la Sicile26 ; autant il existe, au contraire, une véritable rupture documentaire pour la Calabre : on ne dispose pour l’époque byzantine d’aucun témoignage fiscal, d’aucune mention de statut paysan, que celui-ci soit fondé sur les catégories fiscales (boïdatos, zeugarios), ou sur la nature du lien entre ces paysans et le fisc (parèque, emphytéote, colon…). Par ailleurs, le seul inventaire calabrais d’époque byzantine qui nous ait été transmis, le brébion de Reggio27, ne comprend pas de liste d’hommes mais recense les redevances par bien fond : c’est un document de gestion de la métropole de Reggio, comme seigneur foncier. Ce document ne ressemble donc à aucun document fiscal byzantin, que ce soit un extrait de registre fiscal ou un praktikon, et il ne présente pas non plus de similitude franche avec une platea publique d’époque normande. L’obstacle auquel se heurte toute étude sur la continuité ou non du modèle byzantin dans les inventaires normands, en Calabre, tient dans la rupture documentaire, non seulement quantitative (la maigreur des sources) mais aussi qualitative, dans la mesure où ces mêmes sources byzantines ne parlent jamais de statut fiscal ou d’impôt en Calabre, tout comme les katonoma d’époque normande ne précisent jamais de redevance ni de statut.
- 28 Voir la synthèse brillante de Lefort, « The Rural Economy ».
- 29 V. Kravari, « L’enregistrement des paysans dans les praktika byzantins, XIe-XVe siècle », Documenti (...)
13On peut donc être tenté, pour cette question de la continuité, de sortir du cadre italien strict, et de se raccrocher aux modèles d’inventaires ruraux, tels qu’on les connaît dans l’Empire byzantin, en présupposant qu’ils devaient circuler sous des formes similaires ou proches dans la Calabre méridionale byzantine, mais qu’ils ont disparu dans la tourmente des aléas de la Calabre au haut Moyen Âge. La fiscalité foncière byzantine est principalement fondée jusqu’au XIe siècle sur un cadastre et un recensement (censé être revu régulièrement) des propriétaires, chôrion par chôrion, en raison du principe de solidarité fiscale : le chôrion est autant une cellule fiscale qu’une entité d’habitat28. Mais les plateae ne ressemblent en rien, ni dans la forme, ni dans le contenu, aux registres de la fiscalité foncière byzantine – sinon que les plateae semblent être dressées casale par casale. On associe plus volontiers les plateae aux praktika, des documents bien adaptés à l’évolution de la propriété foncière et de la fiscalité dans l’Empire à partir du XIe siècle, où semblent dominer nettement les grands domaines, appelés prosteia, dont les propriétaires bénéficient souvent d’exemptions fiscales partielles ou de dévolution de produits fiscaux (pronoia). Les praktika29 sont des extraits des registres de recensement qui contiennent « la rente fiscale d’un puissant », c’est-à-dire l’ensemble des impôts dus par les paysans au bénéficiaire, augmenté de l’exemption éventuelle d’impôt. Ces documents comprennent l’énumération et souvent la délimitation des terres concernées, une liste des parèques, c’est-à-dire des paysans fiscalement dépendants du bénéficiaire, avec leur statut fiscal (boïdatos, zeugarios…). L’impôt dû par chaque parèque est mentionné, ainsi que l’impôt dû par le propriétaire pour ses biens propres. En général, le fisc abandonne au moins une partie de ces impôts à l’intéressé.
- 30 M. Nystazopoulou-Pélédikou, Βυζαντινὰ ἔγγραφα τῆς Μονῆς Πάτμου. II, Δημοσίων λειτουργῶν, Athènes 19 (...)
14Or, la structure de la propriété foncière telle qu’elle est connue dans la Calabre byzantine, suit bien ce processus d’accroissement de la grande propriété, et devrait donc avoir connu, d’une manière ou d’une autre, la circulation de documents semblables aux praktika. Les pertes documentaires sont considérables à l’échelle même de l’Empire byzantin, et les praktika sont attestés essentiellement dans les archives de l’Athos, entre le XIe et le XVe siècle. Le plus ancien qui nous ait été transmis, dit Praktikon d’Adam, établi pour le megas domestikos Andronic Doukas, date de 107330, soit, soulignons-le, une quinzaine d’années après la conquête normande de la Calabre – ce qui n’est pas un argument définitif contre l’influence éventuelle des praktika byzantins sur les katonoma calabrais d’époque normande. Cette influence serait de toute façon partielle : les katonoma normands ne constituent qu’une partie des praktika byzantins, celle qui correspond aux listes d’hommes, et, même en ce qui concerne la liste des hommes, sont nettement plus succincts que les praktika, qui précisent un statut fiscal.
- 31 Comme on l’a dit, les hommes recensés dans les katonoma le sont par familles (untel avec ses enfant (...)
- 32 Lefort, « The Rural Economy », p. 239.
- 33 On trouvera un exemple dans la publication des fragments de la copie du praktikon d’un grand propri (...)
- 34 Patlagean, « Les hommes (anthrôpoi) dans les documents grecs du Mezzogiorno normand », p. 533-534.
15La disparition du statut fiscal des hommes recensés est une conséquence immédiate et logique de la disparition, avec les Normands, du système d’imposition de type byzantin. En revanche, les similitudes entre praktika byzantins et katonoma calabrais doivent être relevées : les praktika recensent les parèques par familles et par lieux, tout comme les plateae/katonoma31, et ne mentionnent pas de terre, ce qui est frappant mais explicable par le fait que les parèques étaient surtout des locataires (même si on trouve parfois, dans les praktika byzantins, des parèques propriétaires32 ), et que ce qui intéressait le recenseur, c’est l’impôt. Le loyer de la terre ne figure donc pas non plus. Ainsi, si on ôte la question de la catégorie fiscale, la partie des praktika consacrée à l’inventaire des parèques ressemble formellement aux katonoma calabrais33. Une limite toutefois : les parèques sont toujours recensés, dans l’Empire byzantin, avec leur terre ; les praktika ont pour but de formaliser le transfert de la responsabilité fiscale du bien donné, voire son revenu fiscal. Les donations d’hommes seuls sont inconnues à Byzance, contrairement à la Calabre normande34.
16Ce qui ressort de cette analyse, c’est que la filiation formelle entre les inventaires byzantins et les katonoma de la Calabre normande est possible, si du moins on s’astreint à en rechercher les sources originelles hors de l’Italie, dans l’Empire byzantin, en postulant des importations dans l’Italie byzantine, et/ou des pertes documentaires conséquentes. Les liens formels peuvent donc outrepasser la théorie de l’irréductible « gap » documentaire ; en revanche, les arguments de contenu qui contestent la filiation byzantine des plateae publiques normandes se fondent sur le modèle sicilien : il convient de vérifier que ce modèle sicilien est bien transposable dans la Calabre méridionale.
Katonoma et jarâ’id, calabre méridionale et Sicile : un modèle sicilien ?
Calabre méridionale et Sicile : une même situation ?
- 35 S. Carocci, « Angararii e franci. Il villanaggio méridionale », Studi in margine all’edizione della (...)
17Sandro Carocci, en particulier, a démonté l’idée d’un héritage byzantin pour les plateae en s’appuyant sur l’exemple sicilien, la Sicile constituant l’autre zone d’émission des plateae publiques35. La proximité entre Calabre et Sicile, unies par le même mode de conquête, sous l’autorité des mêmes chefs, la même prédominance des terres domaniales sur celles des seigneurs, et renforcée par le lien organique d’une même institution administrative, la dohana de secretis, permet selon Carocci de proposer une lecture « sicilienne » pour la Calabre normande.
- 36 Nef, « Conquêtes et reconquêtes médiévales », en particulier p. 589.
18Or, Annliese Nef, qui étudie avec le plus grand soin les jarâ’id siciliennes, estime que ces documents sont le fruit d’une création normande, influencée peut-être par la permanence du système byzantin d’impôt foncier pendant la domination arabe en Sicile ; la conquête normande aurait ajouté à ce vieux système byzantin (qui n’a pas connu les évolutions fiscales de la période médio-byzantine) une imposition collective qui est une djizya renversée, un impôt de capitation restreint aux musulmans (et juifs) de l’île, et qui a valeur d’humiliation36. Les hommes recensés dans ces inventaires normands seraient donc des hommes libres, voire de petits et moyens propriétaires fonciers, ceux-là même qui étaient présents et actifs dans les campagnes siciliennes au moment de la conquête normande. Si on transpose le raisonnement élaboré pour la Sicile à la Calabre méridionale, comme le fait Carocci, on en déduit forcément, d’une part, que les katonoma calabrais sont aussi des inventions normandes qui ont peu à voir avec un héritage documentaire byzantin ; et que, d’autre part, les paysans recensés dans les katonoma calabrais et concédés éventuellement aux églises, monastères et féodaux, sont, comme leurs homologues siciliens, plutôt des anciens contribuables libres du fisc étatique selon un modèle proche du système byzantin antérieur au Xe siècle, que des paysans assujettis à de grands propriétaires.
19Face à ces arguments, fondés sur les jarâ’id siciliennes et la proximité administrative et politique entre Calabre méridionale et Sicile, je me permettrai de faire deux remarques.
- 37 En effet, pour l’Italie normande continentale, seule une attestation de taxation collective sur des (...)
20Si Calabre et Sicile sont en effet proches, y compris dans leurs héritages fiscaux, elles sont très différentes par leur composition religieuse : ainsi, l’imposition collective des paysans musulmans sur le mode d’une djizya renversée ne peut s’appliquer à la Calabre méridionale, où l’immense majorité de la population est chrétienne, de rite oriental certes, mais cela n’a aucune importance. Imposer à cette population chrétienne italo-grecque un impôt humiliant qui, en Sicile, consacre l’altérité religieuse tolérée mais taxée, me paraît inconcevable. On n’a du reste aucune attestation d’imposition publique collective sur la paysannerie calabraise à l’époque normande37.
21La Calabre et la Sicile connaissent également de considérables différences dans les structures de propriété foncières, telles qu’on peut les déduire des rares sources à notre disposition. Les jarâ’id s’appuient sur les structures agraires que les Normands ont trouvées en Sicile : petite et moyenne propriété majoritaire (la grande propriété existe aussi, mais elle est probablement minoritaire), ce qui fait qu’on peut interpréter ces inventaires comme des recensements de libres contribuables ; la Sicile montre une organisation de la société rurale nettement différente de celle qu’on trouve dans la Calabre méridionale où, on l’a vu, la grande propriété est attestée et est en pleine croissance dès l’époque byzantine – une grande propriété probablement dominante, même si elle n’efface pas la moyenne propriété, attestée sur toute la période par des actes d’aliénation de biens fonciers visiblement détenus en pleine propriété par des particuliers. Cette grande propriété avait donc besoin dès l’époque byzantine, puisque l’esclavage et le salariat paraissent limités, de paysans « dépendants » du propriétaire, et qui travaillaient les terres en question. Ainsi, de même que la Calabre méridionale byzantine avait connu – contrairement à la Sicile, détachée trop tôt de l’Empire – l’expansion de la grande propriété aux Xe et XIe siècles, de même avait-elle expérimenté les évolutions fiscales induites dans le monde byzantin par cette mutation des structures de propriété, et dont témoignent l’apparition de la pronoia, celle des praktika – et, dans le cas calabrais, l’apparition des inventaires de redevances dont fait partie le brébion de la métropole de Reggio. Le mode d’interprétation des jarâ’id de Sicile comme outils de recensement de paysans propriétaires de statut libre ne tient pas pour la Calabre méridionale, à moins de préciser ce qu’on entend par « libre » et « propriétaire », ou de nuancer les oppositions binaires « propriétaire/locataire » et « libre/dépendant ».
22La comparaison entre Sicile et Calabre a le mérite de révéler un point essentiel dans l’analyse d’une filiation documentaire entre inventaires byzantins et plateae publiques normandes : elle démontre combien deux types documentaires formellement identiques, jarâ’id de Sicile et plateae de Calabre, « homonymes », pourrait-on dire, et instaurés tous les deux par une même autorité, doivent être toutefois compris comme l’expression de deux réalités très différentes, car ils correspondent à deux situations, deux contextes opposés et nécessitent deux modes interprétatifs divers ; en bref, que la filiation formelle des types documentaires ne constitue pas une approche suffisante dans la discussion, qui glisse rapidement sur deux thèmes connexes : la notion d’autorité publique, et la question des statuts des hommes recensés, cette dernière constituant un univers d’hypothèses puisque les plateae ne mentionnent aucun statut, mais seulement des noms.
23Si la divergence globale des statuts des hommes recensés paraît mettre un frein à la comparaison entre la situation sicilienne et la situation calabraise, en raison des structures préexistantes à la conquête normande, en revanche, la notion d’autorité publique semble unir les gestes du comte, en Sicile comme en Calabre, lorsqu’il fait rédiger les inventaires publics d’hommes. La rédaction de ces inventaires d’hommes répond en effet de manière claire, en Sicile comme en Calabre, à une logique de prise de possession et de contrôle du territoire, exigée tant par des impératifs politiques que par des nécessités administratives et économiques.
Inventaires publics et autorité publique
- 38 Nef, « Conquêtes et reconquêtes médiévales », p. 586.
- 39 La première liste nominative d’hommes donnés par l’autorité publique apparaît dans une donation san (...)
- 40 Le diplôme de Robert Guiscard en faveur du dernier évêque grec de Tropea, en 1066, concède les bien (...)
- 41 Si le nombre de katonoma calabrais dressés par l’autorité publique est bien plus faible que celui d (...)
24Annliese Nef a repéré, dans la documentation normande pour la Sicile, douze jarâ’id comtales et royales, rédigées en arabe ou en grec et arabe, et réparties en trois principales périodes, les années 1095, les années 1144-1145, et, enfin, en 1178 et 1183, dans un contexte de vérification des possessions de certains seigneurs et du domaine royal de Sicile38. Ces données chronologiques attestent que les jarâ’id constituent des outils de contrôle des hommes dans les mains de l’autorité publique. Les premiers inventaires d’hommes donnés dans la Calabre méridionale sont contenus dans des documents douteux : les attestations sûres datent seulement du milieu des années 108039, les attestations douteuses (peut-être sur la base de documents sincères), du milieu des années 106040. L’interprétation change du tout au tout : dans le premier cas, les premières plateae calabraises sont émises deux ou trois décennies après la prise de possession du territoire calabrais par les Normands, alors que les jarâ’id siciliennes sont de peu postérieures à l’implantation définitive de la domination comtale41. Dans le second cas, il s’agit, comme en Sicile, d’inventaires immédiatement successifs à la conquête.
- 42 Le terme de platea, qui est censé venir du grec, n’apparaît en grec pour la première fois qu’en 109 (...)
- 43 M. Bloch, Apologie pour l’histoire, ou Métier d’historien, Paris, 2002, p. 94.
- 44 Rognoni, Les actes privés grecs, n o 11 p. 115-118. On trouvera un autre exemple supra note 2, p. 3 (...)
25La chronologie des sources, quand on l’entoure des précautions d’usage concernant les pertes documentaires et les falsifications sur la base de documents sincères, sinon originaux, ne permet donc pas de savoir si les chefs normands munis de l’autorité publique ont rédigé des plateae d’abord en Calabre, puis en Sicile, ou l’inverse. On ne sait donc dire avec certitude qui a influencé qui, et si les jarâ’id siciliennes, inventées par les Normands, procèdent d’une imitation d’un modèle gréco-calabrais, peut-être influencé par Byzance, ou si au contraire les katonoma calabrais résultent d’une création siculonormande indépendante de tout héritage byzantin42. Pour ma part, tenant compte des documents faux qui, très souvent, disent le vrai, selon la formule de Marc Bloch43, et du moins s’appuient pour les données pratiques, physiques (confins de terrains, noms d’hommes) de documents sincères, sinon authentiques, je pencherai pour la première option, c’est-à-dire que je considère que les jarâ’id comtales siciliennes sont postérieures aux plateae calabraises, lesquelles procèdent des modalités de prise en main du territoire conquis, dès les années 1060. Un acte grec émis par un petit seigneur de Calabre, en 1062, confirme cette interprétation44.
- 45 Soulignons que l’implantation normande en Pouille ne donne pas lieu à ces inventaires nominatifs, m (...)
- 46 Von Falkenhausen, « Mileto tra Greci e Normanni ».
- 47 On pense aux deux plateae non datées (mais issues de la seconde moitié du XIIe siècle) de Saint-Léo (...)
26Ainsi, la première période de rédaction des jarâ’id est contemporaine de celle de la prise de possession du territoire sicilien fraichement conquis par Roger Ier, et l’installation de nouvelles infrastructures normandes, évêchés en particulier. La seconde période de rédaction coïncide avec la période de révision générale des actes publics promue par le roi Roger II, en 1144-1145. Dans les deux cas, les jarâ’id sont des instruments de manifestation du contrôle de l’autorité publique à la fois à l’égard du substrat démographique local, et des seigneurs susceptibles de concurrencer l’autorité publique. Il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement pour les katonoma calabrais45 : la logique politique de contrôle territorial est la même, ce qui explique en particulier que les deux premières plateae connues en Calabre aient été émises pour Mileto, capitale du comte de Sicile46. De fait, l’usage, dans les documents émis par le roi, des termes de platea et de katonoma disparaît en même temps que s’arrête l’émission, par la chancellerie royale, de ce type de documents, et que l’autorité publique organise leur transfert à un registre fonctionnel nettement plus privé ou, du moins, à un niveau inférieur d’autorité publique, dans la seconde moitié du XIIe siècle. Les rois normands puis souabes confirment des plateae, et n’en rédigent plus de nouvelles. Ce sont les comtes qui les dressent, puis, dans le cadre des seigneuries foncières calabraises, les grands propriétaires47.
27Ainsi, au-delà de la question de l’origine byzantine ou non des inventaires nominatifs normands de paysans, c’est la notion d’autorité publique qui est en jeu dans ces recensements d’hommes, et c’est même ce qui en justifie l’existence. En effet, plus que l’héritage byzantin dans les domaines de la fiscalité, ce qui à mon sens explique le mieux les plateae de Calabre méridionale et de Sicile, c’est l’autorité publique, une notion sans doute héritée des dominations antérieures mais qui s’exprime de manière renouvelée et variée sous les Normands, et permet l’émission de plateae qui sont d’ailleurs de contenu et de sens différents selon les régions, mais qui relèvent toujours de la prise de contrôle d’un territoire et de sa force humaine par l’autorité publique ou ses représentants locaux.
- 48 Voir supra note 1, p. 392.
- 49 Le comte de Sicile organisa en particulier, pour la Calabre méridionale – comme dans la Sicile, mai (...)
28J’ai tenté de montrer, récemment, que ce n’est pas tant, à une période assez tardive (dans la seconde moitié du XIIe siècle), le remploi de termes byzantinisants, un peu précieux, et notamment celui de paroikoi, qui manifestait le mieux la continuité entre les structures socio-économiques byzantines et normandes dans la Calabre, mais plutôt, le geste même de l’inventaire des hommes par l’autorité publique48. In fine, les inventaires normands, établis par casale, ont pu reprendre d’anciens inventaires byzantins de type praktika, ce qui devait faciliter de travail de recension, mais on ne peut en être absolument sûr. Toujours est-il qu’ils dressaient des listes indifférenciées d’hommes, propriétaires fonciers et anciens parèques. Par ce biais, le comte normand parvenait à la fois à imposer son autorité (notamment contre ses concurrents directs, les barons), à affirmer le maintien de l’autorité publique, éventuellement déléguée, mais fermement tenue49, à contrôler la population locale et à la fixer dans des territoires donnés, et enfin à assurer le prélèvement des charges publiques, en particulier corvées et service militaire, un prélèvement sans doute généralisé et indépendant du statut des hommes recensés, propriétaires ou non, le tout avec un minimum d’efforts.
29Propriétaires, locataires, les paysans byzantins rencontrés dans le paysage rural calabrais par les Normands furent soumis à un régime unique, celui du recensement, qui ne devait pas transformer leurs statuts en fonction de principes de liberté ou de servitude, mais conférer un statut unique mais non uniforme lié au statut de la terre et non à un statut personnel. Alors qu’on sait peu de choses finalement sur les parèques byzantins, les sources de la Calabre normande permettent d’en éclairer les fondements par la continuité de leurs principes fiscaux.
Notes
1 A. Guillou, Le brébion de la métropole byzantine de Règion (vers 1050), Cité du Vatican (Corpus des Actes Grecs d’Italie et de Sicile. Recherches d’histoire et de géographie, 4), 1974.
2 A. Guillou, La Théotokos de Hagia-Agathè (Oppido) (1050-1064/1065), Cité du Vatican (Corpus des Actes Grecs d’Italie et de Sicile. Recherches d’histoire et de géographie, 3), 1972.
3 Mentionnons en particulier le partage des biens de la famille des Presbyteranoi, en 1054, issu des archives du monastère grec de Saint-Jean-Théristès : S. G. Mercati, C. Giannelli, A. Guillou, Saint-Jean-Théristès (1054-1264), Cité du Vatican (Corpus des Actes Grecs d’Italie et de Sicile. Recherches d’histoire et de géographie, 5), 1980, n° 1.
4 On en trouvera une liste récapitulative dans A. Peters-Custot, Les Grecs de l’Italie méridionale post-byzantine. Une acculturation en douceur (IXe-XIVe siècles) (Collection de l’École française de Rome, 420), Rome, 2009, p. 606.
5 Sur la nature du monachisme italo-grec à l’époque byzantine, vu à travers les hagiographies, on se reportera aux travaux incontournables d’Agostino Pertusi, en particulier « Monaci e monasteri italiani all’Athos nell’Alto Medioevo », Le Millénaire du Mont Athos (963-1963), Venise, 3-6 septembre 1963, Rome, 1963-1964, I, p. 217-251, réimpr. dans A. Pertusi, Scritti sulla Calabria greca medievale, Soveria Mannelli, 1994, p. 191-221 ; et « Monaci e monasteri della Calabria bizantina », Calabria bizantina. Vita religiosa e strutture amministrative. Atti del primo e seconco incontro di Studi bizantini, Reggio di Calabria, 1974, p. 17-46. Une mise au point plus récente, mais dans le même esprit, a été proposée par Enrico Morini : « Il Fuoco dell’esichia. Il monachesimo greco in Calabria fra tensione eremitica e massimalismo cenobitico », San Bruno di Colonia : un eremita tra Oriente e Occidente. Atti del secondo convegno internazionale del IX centenario della morte di San Bruno di Colonia, Serra San Bruno, 2-5 ottobre 2002, éd. P. De Leo, Soveria Manelli, 2004, p. 13-30. Quelques éléments complémentaires se trouvent dans A. Peters-Custot, « Le monachisme italo-grec, entre Byzance et l’Occident (VIIIe-XIIIe siècles) : autorité de l’higoumène, autorité du charisme, autorité de la règle », Les personnes d’autorité en milieu régulier : des origines de la vie régulière au XVIIIe siècle, éd. J.-F. Cottier, D.-O. Hurel et B.-M. Tock, Saint-Étienne, 2012, p. 251-266.
6 Sur les parèques byzantins, on consultera notamment : M. Kaplan, Les hommes et la terre à Byzance du VIe au XIe siècle. Propriété et exploitation du sol, Paris (Byzantina Sorbonensia, 10), 1992, p. 264-271 ; É. Patlagean, « “Économie paysanne” et “féodalité byzantine” », Annales E.S.C., 6, 1975, p. 1371-1386, réimpr. dans Ead., Structure sociale, famille, chrétienté à Byzance, Londres (Variorum Reprints), 1981 ; Ead., « Les “hommes” (anthrôpoi) dans les documents grecs du Mezzogiorno normand », Puer Apuliae. Mélanges offerts à Jean-Marie Martin, éd. E. Cuozzo, V. Déroche, A. Peters-Custot, V. Prigent, Paris (Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance. Monographies, 30), 2009, II, p. 529-536 ; Y. Rotman, « Formes de la non-liberté dans la campagne byzantine aux VIIe-XIe siècles », Les formes de la servitude : esclavages et servages de la fin de l’Antiquité au monde moderne. Actes de la table ronde de Nanterre (12-13 décembre 1997), Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 112-2, 2000, p. 493-631, ici p. 499-510 ; enfin, J. Lefort, « The Rural Economy, Seventh-Twelfth Centuries », The Economic History of Byzantium : From the Seventh through the Fifteenth Century, éd. A. E. Laiou, Washington DC (Dumbarton Oaks Studies, 39), 2001, p. 231-310, en particulier p. 237 sq. (= « L’économie rurale à Byzance (VIIe-XIIe siècle) », dans J. Lefort, Société rurale et histoire du paysage à Byzance, Paris [Bilans de Recherche, 1], 2006, p. 395-478).
7 Il s’agit d’un sigillion du catépan Basile Mésardonitès, adressé à la cathédrale d’Oria : A. De Leo, Codice diplomatico brindisino, éd. G. M. Monti, Vol. I. (492-1299), Trani, 1940, n o 2, p. 5-6, ici p. 5, l. 17.
8 H. Enzensberger, Guillelmi I Regis Diplomata, Vienne (Codex Diplomaticus Regni Siciliae, I, III), 1996, n o 23, p. 64-65, ici p. 65.
9 G. Robinson, History and Cartulary of the Greek Monastery of S. Anastasius and S. Elias of Carbone, Rome (Orientalia Christiana, 19/62), 1930, t. II en 2 vol., p. 5-200), n° 17 : παρύκους οικιακοῦς.
10 A. Peters-Custot, « Plateae et anthrôpoi, peut-on trouver des origines byzantines à l’organisation normande de la paysannerie de la Calabre méridionale ? », L’héritage byzantin en Italie, VIIIe-XIIe siècle. IV, Les caractères originaux de l’espace rural, colloque du 17 et 18 décembre 2010, à l’École française de Rome, à paraître dans la collection de l’EFR.
11 Enzensberger, Guillelmi I Regis Diplomata, n o 23 p. 64-65, ici p. 65. Le roi donne des biens et vilains au monastère grec de S. Filippo de Gerace. Il s’agit d’un des quelques documents grecs de Guillaume Ier qu’on ne connaît que dans leur traduction latine. C’est bien entendu lors de la traduction que les termes de platea « < hoc est inventario > », et de parèque « < hoc est villanos > » ont été définis. Visiblement, le sens n’est plus évident dans la Calabre méridionale du bas Moyen Âge ou, du moins, dans la chancellerie royale en cours de « déshellénisation » sous le règne du fils de Roger II.
12 J. Becker, Documenti latini e greci del conte Ruggero I di Calabria e Sicilia, Rome, 2013, n. 50, p. 200-201, 1095.
13 C. Rognoni, Les actes privés grecs de l’Archivo Ducal de Medinaceli (Tolède). I, Les monastères de Saint-Pancrace de Briatico, de Saint-Philippe-de-Bojôannès et de Saint-Nicolas-des-Drosi (Calabre, XIIe -XIIe siècles), Paris, 2004, Les actes publics (présentés par V. von Falkenhausen), n o V, p. 245-246, 1114 : le comte de Calabre et de Sicile Roger Ier autorise un kathigoumène à installer sur les terres du monastère des personnes qui ne sont pas inscrites dans les akrosticha du duc de Pouille, ni dans les plateiai du comte Roger lui-même, ni dans celles de ses vassaux.
14 Rognoni, Les actes privés grecs, VII, p. 248.
15 Sur le recensement par casale, voir infra note 2, p. 398.
16 L’exemple le plus connu en Calabre concerne le jugement sur le contenu du fief d’Asklettin de Brix, en 1188 (F. Trinchera, Syllabus graecarum membranarum, Naples, 1865, n° 225).
17 Voir supra note 3, p. 393.
18 S. Cusa, I diplomi greci ed arabi di Sicilia, Palerme, 1868-1882 (réimpr. Cologne-Vienne, 1982) n o 132, p. 134-179, 1178 : katonoma des hommes de la plateia de Kourouliounè.
19 Un exemple exceptionnel de ces plateae devenues outils de gestion seigneuriale est la platea de l’archevêque de Cosenza, rédigée à la fin du XIIe siècle et révisée au début du XIIIe siècle : E. Cuozzo, La platea di Luca arcivescovo di Cosenza, Avellino, 2007. Voir aussi A. Peters-Custot, « Gli elenchi di uomini », Studi in margine all’edizione della Platea di Luca arcivescovo di Cosenza (1203-1227), éd. E. Cuozzo, J.-M. Martin, Avellino, 2009, p. 141-158.
20 On dispose en particulier de la platea des biens de S. Stefano del Bosco, ancienne et lointaine fondation de Bruno de Cologne près de Stilo, inventaire dressé par les agents de Charles Quint en 1530 : P. De Leo, La Platea di S. Stefano del Bosco, Rubbettino (Codice Diplomatico della Calabria. Serie Prima, 1), 1997.
21 Le terme de linea d’hommes se rencontre fréquemment dans ces listes, au moment de résumer la totalité, non des individus, mais des familles données.
22 L.-R. Ménager, « Notes sur quelques monastères de Calabre à l’époque normande », Byzantinische Zeitschrift, 50, 1957, p. 7-30, ici p. 27-28. Léon-Robert Ménager plaidait à cette époque, dans le débat sur les plateae, pour un usage byzantin importé en Sicile, tout en soulignant qu’il ne connaissait que des exemplaires siciliens de ces listes de ce qu’il appelle des « serfs » – il doute de fait de l’authenticité de tous les actes calabrais qui relèvent de cette catégorie, en particulier les katonoma grecques du comte Roger Ier. Il relève toutefois que les archives calabraises sont insuffisamment connues pour qu’on puisse tirer des conclusions certaines.
23 C’est du moins ce que j’ai tenté de montrer récemment : Peters-Custot, « Plateae et anthrôpoi ».
24 On se permet de se référer, pour l’analyse du vocabulaire des notaires grecs de l’Italie normande, et de leurs adaptations lexicales dans le contexte de l’importation des structures et institutions occidentales inconnues jusqu’alors en Calabre, à Peters-Custot, Les Grecs de l’Italie méridionale post-byzantine, p. 314-326.
25 On renverra notamment à deux travaux essentiels, l’un sur la Pouille médiévale : J.-M. Martin, La Pouille du VIe au XIIe siècle, Rome (Collection de l’École française de Rome, 179), 1993, p. 711-715 ; et l’autre sur la fiscalité de l’Empire à l’époque mésobyzantine : N. Oikonomidès, Fiscalité et exemption fiscale à Byzance (IXe-XIe s.), Athènes (Institut de recherches byzantines. Monographies, 2), 1996.
26 A. Nef, « Conquêtes et reconquêtes médiévales : une réduction en servitude généralisée ? (Al-Andalus, Sicile et Orient latin) », Les formes de la servitude : esclavages et servages de la fin de l’Antiquité au monde moderne. Actes de la table ronde de Nanterre (12-13 décembre 1997), Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 112-2, 2000, p. 579-607.
27 Guillou, Le brébion.
28 Voir la synthèse brillante de Lefort, « The Rural Economy ».
29 V. Kravari, « L’enregistrement des paysans dans les praktika byzantins, XIe-XVe siècle », Documenti medievali greci e latini. Studi comparativi, éd. G. De Gregorio et O. Kresten, Spolète, 1998, p. 187-201.
30 M. Nystazopoulou-Pélédikou, Βυζαντινὰ ἔγγραφα τῆς Μονῆς Πάτμου. II, Δημοσίων λειτουργῶν, Athènes 1980, n° 50. On trouvera des analyses essentielles sur les praktika byzantins et en particulier sur le praktikon d’Adam, par Lefort, « The Rural Economy ».
31 Comme on l’a dit, les hommes recensés dans les katonoma le sont par familles (untel avec ses enfants, avec ses frères), et on ne mentionne que les hommes en général : lorsqu’on additionne l’ensemble des individus relevés, anonymes ou non, on obtient systématiquement un nombre supérieur à celui annoncé dans le document, ce qui atteste qu’on ne compte pas les individus mais les foyers concédés. Pour ce qui est du recensement des plateae par lieu, un jugement daté de 1159 est très éclairant : il met en scène, en Sicile, deux protagonistes, Gisolf de Scicli, justicier royal, et Robert le Breton, le premier accusant le second de détenir indument deux hommes (villani) qui relevaient de la platea de Scicli. L’accusé rétorque qu’il avait trouvé ces deux hommes dans le casale de Bessana quand il avait pris possession de ce dernier, et qu’ils étaient donc logiquement enregistrés dans sa propre platea, établie pour le casale de Bessana. Finalement Robert concède que les deux villani sont bien de la platea de Scicli (cognovit tandem Robertus Brittus villanos illos de platea Siclis esse). On peut en déduire que les seigneuries, en Sicile, et sans doute en Calabre, se fondaient sur des établissements humains préexistants, sur la base topographique desquels étaient établies les plateae au moment de la concession de la seigneurie, probablement par le comte ou le roi (L.-R. Ménager, Les actes latins de S. Maria di Messina [1103-1250], Palerme [Istituto Siciliano di Studi bizantini e neoellenici. Testi e monumenti. Testi, 9], 1963, n° 7, p. 83-93).
32 Lefort, « The Rural Economy », p. 239.
33 On trouvera un exemple dans la publication des fragments de la copie du praktikon d’un grand propriétaire de la région d’Athènes, daté du XIe ou XIIe siècle et en tout cas d’avant 1204 : E. Granstrem, I. Medvedev et D. Papachryssanthou, « Fragment d’un praktikon de la région d’Athènes (avant 1204) », Revue des Études Byzantines, 34, 1976, p. 5-41.
34 Patlagean, « Les hommes (anthrôpoi) dans les documents grecs du Mezzogiorno normand », p. 533-534.
35 S. Carocci, « Angararii e franci. Il villanaggio méridionale », Studi in margine all’edizione della Platea di Luca, p. 205-241.
36 Nef, « Conquêtes et reconquêtes médiévales », en particulier p. 589.
37 En effet, pour l’Italie normande continentale, seule une attestation de taxation collective sur des vilains m’est connue. Il s’agit en l’occurrence de vilains du domaine royal donnés, en 1133, par Roger II au monastère de S. Maria de Brindisi, à l’occasion de la confirmation royale des privilèges concédés au monastère par Bohémond d’Antioche et d’autres seigneurs de Pouille (C. Brühl, Rogerii II. regis diplomata Latina [Codex Diplomaticus Regni Siciliae, I, II, 1], Cologne-Vienne, 1987, n° 29 p. 81-83). Le roi concède 80 vilains de son domaine royal, qui résident sur sa terre de Mesagne. Ces 80 hommes « rendent » chaque année in duabus datis 140 michalatos et 100 miliarenses, le quart du moût de leurs vignes, l’herbaticum, et diverses rentes à part de fruit. Le fait sort donc complètement du contexte calabrais, puisqu’il s’agit ici de la Pouille centro-méridionale, où l’action du prince de Tarente a pu être influencée par la marque byzantine laissée dans le Salento proche. L’usage nominal de la monnaie byzantine (les michaelati), à cette date tardive, peut refléter le fait que ces taxations ont été fixées dès l’époque byzantine, et conservées telles quelles. Une telle inertie lexicale n’est pas rare pour les redevances et impositions dans l’ex-Italie méridionale byzantine, jusqu’à l’époque souabe, puisque la platea de Cosenza, révisée au XIIIe siècle, mentionne aussi des services publics monétarisés qui sont comptés en solidi (E. Cuozzo, La platea di Luca, et A. Peters-Custot, « Gli elenchi di uomini », p. 146). Par ailleurs, le michaèlaton, qui désigne le nomisma de l’empereur Michel VII (1071-1078), circula plus longtemps dans l’Italie méridionale qu’ailleurs dans le monde byzantin, en raison de son équivalence de titre avec le tarin, comme l’a montré C. Morrisson, « Le michaèlaton et les noms de monnaies à la fin du XIe siècle », Travaux et Mémoires, 3, 1968, p. 369-374.
38 Nef, « Conquêtes et reconquêtes médiévales », p. 586.
39 La première liste nominative d’hommes donnés par l’autorité publique apparaît dans une donation sans date, mais forcément faite avant juillet 1085, car réalisée par Robert Guiscard, de 75 hommes à S. Angelo de Mileto : L.-R. Ménager, Recueil des actes des ducs normands d’Italie (1046-1127). I, Les premiers ducs (1046-1087), Bari (Documenti e monografie, 45), 1981, Deperdita Guiscardi, X, p. 158. Ce document nous est connu par sa mention dans un acte du duc Roger Borsa daté de 1097 : Item vidi quod dederat de villanis suis, quorum nomina sunt hec … Puis on rencontre un inventaire de 95 vilains donnés à l’évêché de Mileto dans l’acte de fondation de 1086 (J. Becker, Documenti latini, n° 10, p. 64-73). D’après Vera von Falkenhausen, l’acte est un faux, mais probablement sur la base d’un document authentique (voir V. von Falkenhausen, « Mileto tra Greci e Normanni », Chiesa e società nel Mezzogiorno. Studi in onore di Maria Mariotti, Soveria Mannelli, 1999, I, p. 109-133, ici p. 115). Ajoutons un katonoma émis par le comte Roger Ier en 1094, pour Bruno de Cologne et ses disciples (J. Becker, Documenti latini, n° 44, p. 182-183), un second, de 1096, pour la création de l’évêché de Squillace (J. Becker, Documenti latini, n° 54, p. 212-217).
40 Le diplôme de Robert Guiscard en faveur du dernier évêque grec de Tropea, en 1066, concède les biens, privilèges et vilains tels que détenus par le prédécesseur de l’actuel évêque (un certain Pierre), sans les nommer. Il n’est pas impossible qu’un katonoma adjoint au document de confirmation du duc, ait été perdu (Ménager, Recueil des actes, n o 17, p. 73-75, traduction latine d’un original grec, inséré dans un diplôme de confirmation de Guillaume Ier daté de 1155 : Enzensberger, Guillelmi I Regis Diplomata, n° 5, p. 14-16).
41 Si le nombre de katonoma calabrais dressés par l’autorité publique est bien plus faible que celui des jarâ’id siciliennes, si les confirmations dues à Roger II sont également beaucoup moins nombreuses en Calabre qu’en Sicile, c’est sans doute le fait de la diversité des situations ecclésiastiques rencontrées par les Normands, notamment en ce qui concerne le maillage diocésain : dans la Calabre méridionale, les diocèses d’origine byzantine sont solides et cohérents, et on n’observe que quelques remaniements, essentiellement autour de Mileto, capitale comtale, et de Squillace (à ce sujet, voir A. Peters-Custot, « Les remaniements de la carte diocésaine de l’Italie grecque lors de la conquête normande : une politique de latinisation forcée de l’espace ? [1059-1130] », Pouvoir et territoire, Colloque du CERHI, Saint-Etienne, 7-8 novembre 2005, éd. P. Rodriguez, Saint-Étienne, 2007 [Travaux du CERHI, 6], p. 57-77). Au contraire, la reconstitution des diocèses a dû être totale pour la Sicile conquise sur un émirat qui avait supprimé la quasi-totalité du maillage diocésain de l’île. Or, c’est précisément la gestion des remaniements et surtout des créations d’évêchés, qui occasionne l’essentiel des inventaires d’hommes réalisés par les services du comte qui nous ont été transmis (les évêchés conservant mieux leurs archives que les seigneurs). Les pertes documentaires peuvent en effet être déterminantes. À titre d’exemple, un diplôme faux de Robert Guiscard pour l’abbaye de la Matina, dans la Sila, et daté de 1065, reposerait pourtant, fort probablement, sur un authentique document, remodelé tardivement (A. Pratesi, Carte latine di abbazie calabresi provenienti dall’Archivio Aldobrandini, Cité du Vatican [Studi e testi, 197], 1968, n o 1). Ce document, qui concède des biens et des hommes à l’abbaye, dresse un inventaire nominatif des hommes donnés, dont on peut d’autant plus présumer qu’il s’inspire d’une source authentique, que le document précise que cette liste est tirée d’une carta, c’est-à-dire, probablement, d’un katonoma : dederunt etiam predicto monasterio rusticos qui habitant in vico qui vocatur Pratum, cum omnibus pertinentiis eorum sicuti ipse tenebat et hereditates eorum erant, quos carta nominat (p. 4).
42 Le terme de platea, qui est censé venir du grec, n’apparaît en grec pour la première fois qu’en 1095 dans un document bilingue sicilien de Roger Ier pour l’évêque de Catane (J. Becker, Documenti latini, n o 50, p. 200-201). Cette mention grecque, dans un contexte sicilien, ne se renouvelle pas avant longtemps (Trinchera, Syllabus, n o 167, 1165, qui mentionne la platea de Badolato, sous l’autorité du comte de Catanzaro), et la documentation royale latine le relaie peu et tardivement : on trouve le terme de platea dans un document latin fort douteux de Roger II, daté de 1144 (C. Brühl, Rogerii II. regis diplomata latina, n° 67 : ce diplôme de confirmation des privilèges de l’abbaye de S. Stefano del Bosco, un monastère issu de l’établissement de Bruno de Cologne en Calabre, près de Squillace, est fort suspect, dans la mesure où il confirme des actes qui sont très clairement des falsifications) ; et dans un document grec de Guillaume Ier (Enzensberger, Guillelmi I Regis Diplomata, n° 23, 1155, p. 64-65).
43 M. Bloch, Apologie pour l’histoire, ou Métier d’historien, Paris, 2002, p. 94.
44 Rognoni, Les actes privés grecs, n o 11 p. 115-118. On trouvera un autre exemple supra note 2, p. 398. On peut également se reporter à l’interprétation que j’ai proposée dans l’article mentionné supra n. 1, p. 392.
45 Soulignons que l’implantation normande en Pouille ne donne pas lieu à ces inventaires nominatifs, même dans les cas de concessions importantes de biens ou de privilèges à des monastères ou des églises, ce qui confirme le lien entre ces inventaires d’hommes et l’existence d’une autorité publique centralisée et occasionnellement déléguée, telle qu’on la trouve dans la Sicile et la Calabre méridionale normandes. On consultera notamment les diplômes de Robert Guiscard en faveur de l’archevêque de Troia en 1081, de S. Lorenzo d’Aversa en 1082, et de l’archevêque de Bari en 1082 également (Ménager, Recueil des actes des ducs normands, I, nos 38, 40 et 41). Il convient de distinguer des plateae rédigées par l’autorité publique, les inventaires d’hommes dressés par des abbayes dans le but de prouver leurs droits légitimes dans le cas de litiges et de contestations, comme ce qui advient en 1083 pour l’abbaye de Cava, près de Salerne (Ménager, Recueil des actes, n o 43). Le terme de platea y est absent alors qu’il désignera exactement, à partir de la seconde moitié du XIIe siècle, ce type de source.
46 Von Falkenhausen, « Mileto tra Greci e Normanni ».
47 On pense aux deux plateae non datées (mais issues de la seconde moitié du XIIe siècle) de Saint-Léontios de Stilo, dans la Calabre méridionale, petit monastère grec de fondation byzantine, concédé à l’abbaye de S. Stefano del Bosco, lointaine descendante de l’ermitage fondé par Bruno de Cologne, et où mourut le fondateur de la Grande Chartreuse : Trinchera, Syllabus, Appendice II, n o 16 et 17 (on se permet de renvoyer à A. Peters-Custot, « Brébion, kodex et plateae : petite enquête sur les instruments de la propriété monastique dans la Calabre méridionale aux époques byzantine et normande », Puer Apuliae, II, p. 537-552).
48 Voir supra note 1, p. 392.
49 Le comte de Sicile organisa en particulier, pour la Calabre méridionale – comme dans la Sicile, mais contrairement aux zones plus septentrionales – la distribution des fiefs, en conservant l’essentiel des terres sous son contrôle direct dans le domaine comtal, puis royal. Dans la Calabre méridionale, seuls des fiefs de petite taille sont attestés dans les sources, et finalement une bonne proportion d’entre eux est intégrée au domaine royal, notamment après la répression des révoltes sous Roger II. Au bout du compte, la féodalité de la Calabre méridionale est au service du souverain dont elle dépend jusqu’à une période tardive. Surtout, la seigneurie banale y est pratiquement absente : les seigneurs n’obtiennent qu’exceptionnellement des bribes d’autorité publique, les procédures judiciaires et les revenus afférents, à l’exception de la haute justice, relèvent strictement du souverain et de ses agents délégués. Sur ce sujet, il convient de consulter J.-M. Martin, « Les seigneuries monastiques », Nascita di un regno. Poteri signorili, istituzioni feudali e strutture sociali nel Mezzogiorno normanno (1130-1194). Atti delle diciasettesime giornate normannosveve (Bari, 10-13 ottobre 2006), éd. R. Licinio et F. Violante, Bari, 2008, p. 177-206, et J.-M. Martin, « Aristocraties et seigneuries en Italie méridionale aux XIe et XIIe siècles : essai de typologie », Journal des Savants, 1999, p. 227-259.
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Référence papier
Annick Peters-Custot, « Les plateae calabraises d’époque normande. Une source pour l’histoire économique et sociale de la Calabre byzantine ? », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 28 | 2014, 389-408.
Référence électronique
Annick Peters-Custot, « Les plateae calabraises d’époque normande. Une source pour l’histoire économique et sociale de la Calabre byzantine ? », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 28 | 2014, mis en ligne le 31 décembre 2017, consulté le 11 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13756 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13756
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