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L'Italia bizantina: una prospettiva economica

Un confesseur de mauvaise foi. Notes sur les exactions financières de l’empereur Léon III en Italie du Sud

Vivien Prigent
p. 279-304

Résumés

L’article s’attache à analyser le célèbre passage de la chronique de Théophane dédié à la politique fiscale de l’empereur Léon III en Italie du Sud, en se concentrant tout particulièrement sur la vexata quaestio de l’accroissement suppose de tout ou partie des taxes exigées de la population siculo-calabraise. Après un examen du cadre chronologique et des théories proposées jusqu’ici en révélant les limites ou l’incompatibilité avec ce que l’on sait par ailleurs du système byzantin du temps, l’article avance une hypothèse alternative mettant en avant les conséquences de la réforme monétaire orchestrée parallèlement par l’empereur. L’accroissement suppose des taxes ne serait que la reformulation des anciennes exigences dans le nouvel étalon monétaire de moindre valeur, d’où une hausse nominale des taxes.

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Texte intégral

1Il n’est guère fréquent que la numismatique, aride source auxiliaire s’il en est, puisse contribuer à éclairer la signification d’une source littéraire objet de polémiques. C’est pourtant à mon sens de l’étude de la monnaie que doit venir, contre toute attente, la lumière sur un passage aussi fameux que controversé de la chronique de Théophane le Confesseur.

  • 1 Théophane le Confesseur, Chronographie, éd. Ch. De Boor, I, Leipzig, 1883, p. 410.

2Le passage en question n’est autre que celui dans lequel cet ardent défenseur de l’Orthodoxie décrit les réformes fiscales édictées par l’empereur Léon III en Sicile et en Calabre. Le ton en est très clairement polémique, l’empereur étant comparé aux pharaons, tyrans bibliques par excellence. Pour plus de clarté, je reproduis ici le texte de l’extrait1 :

Τότε ὁ θεομάχος ἐπὶ πλεῖον ἐκμανεὶς, Ἀραβικῷ τε φρονήματι κρατυνόμενος, φόρους κεφαλικοὺς τῷ τρίτῳ μέρει Σικελίας καὶ Καλαβρίας τοῦ λαοῦ ἐπέθηκεν. Τὰ δὲ λεγόμενα πατριμόνια τῶν ἁγίων καὶ κορυφαίων ἀποστόλων τῶν ἐν τῇ πρεσβυτέρᾳ Ῥώμῃ τιμωμένων, ταῖς ἐκκλησίαις ἔκπαλαι τελούμενα χρυσίου τάλαντα τρία ἥμισυ τῷ δημοσίῳ λόγῳ τελεῖσθαι προσέταξεν, ἐποπτεύειν τε καὶ ἀναγράφεσθαι τὰ τικτόμενα κελεύσας ἅρρενα βρέφη, ώς Φαραώ ποτε τὰ τῶν Ἐβραίων : ὅπερ οὐδ’αὐτοί ποτε οἱ διδάσκαλοι αὐτοῦ Ἄραβες ἐποησαν εἰς τοὺς κατὰ τῆν ἐώαν Χριστιανούς.

3Cyril Mango en a donné la traduction suivante qui permet de bien en mettre en valeur les difficultés :

  • 2 The Chronicle of Theophanes Confessor. Byzantine and Near Eastern History AD 284-813, trad. C. Mang (...)

Then God’s enemy became even more furious: possessed by his Arab mentality, he imposed a capitation tax on one third of the people of Sicily and Calabria. As for the so-called Patrimonies of the holy chief apostles who are honoured in the Elder Rome (these, amounting to three and a half talents of gold, had been from olden times paid to the churches), he ordered them to be paid to the Public Treasury. He also decreed that watch should be kept to have new-born male infants entered in a register as the Pharaoh had aforetime done in the case of the Jews-something that not even his mentors the Arabs have ever done to the Christians in the East2.

  • 3 J’utilise « thème » par commodité de langage ; je ne souhaite pas prendre ici parti sur la question (...)

4On distingue en fait dans le passage trois mesures distinctes, lesquelles n’affectent en revanche qu’une seule et même circonscription administrative, Calabre et Sicile relevant d’un thème unifié3 :

  1. Un accroissement de la fiscalité individuelle4.
  2. L’ordre de verser dorénavant les taxes des patrimoines de l’Église de Rome au Trésor impérial.
  3. La réalisation de recensements, touchant au moins les personnes, notamment les nouveaux-nés, et peut-être également les biens.

La date des mesures

  • 5 Les dates du tableau sont issues de V. Grumel, La chronologie, Paris (Bibliothèque byzantine. Trait (...)

5Le premier problème est chronologique. Cette section du texte est placée sous l’année du monde 6224, selon l’ère alexandrine, soit 731-732. Cette information est accompagnée de cinq datations « régnales5 ».

Personnage

Date de « mandat »

Année de règne

An du monde

Léon III

25 III 717-18 VI 741

16e année

25 III 732-24 III 733

Hisham, calife

724-6 II 743

9e année

732-733

Grégoire, pape

X

8e année

X

Anastase, patriarche de Constantinople

22 I 730-I 754

3e année

22 I 732-21 I 733

Jean, patriarche de Jérusalem

705-735

27e année

731-732

  • 6 Respectivement, 15 ans, 8 mois et 24 jours et 10 ans, 8 mois et 24 jours.

6La référence au pontificat de Grégoire est la seule à ne pas offrir le moindre point de recoupement avec les autres données chronologiques. De fait, la connaissance de Théophane de la succession des pontifes est plus que lacunaire. Le pape Grégoire est le premier à lui servir de référence chronologique depuis Benoît Ier (575-579). Malheureusement, la succession sur le trône de saint Pierre de deux homonymes, Grégoire II (19 V 715-11 II 731) et Grégoire III (18 III 731-XI 741) a totalement perturbé le système de références, Théophane fusionnant les deux homonymes. L’erreur était sans doute d’autant plus facile que les deux pontificats durèrent au-delà des années, un même nombre de mois et de jours, une coïncidence assez étonnante pour avoir été source d’errements6. Ce détail est à mon sens d’autant plus important que Théophane attribue au pontificat de ce pape Grégoire un nombre d’années, neuf, qui ne correspond à aucun des deux papes qu’il confond. L’origine de l’erreur est malheureusement impossible à établir. Pour le reste, les cadres chronologiques offerts, même s’ils ne se recoupent naturellement pas parfaitement, sont cohérents avec l’an du monde.

  • 7 W. Brandes, Finanzverwaltung in Krisenzeiten. Untersuchungen zur byzantinischen Administration im 6 (...)
  • 8 Liber Pontificalis, L. Duchesne (éd.), I-II, Paris, 1886-1892, 91.
  • 9 On peut en placer le début officiel à l’occasion du silention du 7 janvier 730. Sur cette question, (...)

7Toutefois, on a voulu remettre en cause cette datation7. Théophane placerait de façon arbitraire les décisions impériales qui nous intéressent ici sous cette année, car les réformes décrites seraient la cause de la révolte orchestrée par les pontifes en Italie. Or, cette révolte intervint à l’évidence à la fin des années 720, sous le pontificat de Grégoire II, comme l’atteste clairement le Liber pontificalis8. Ainsi, c’est parce qu’il faut trouver à cette révolte une explication que la crise iconoclaste, qui n’a pas encore éclaté, ne peut fournir9, que l’on propose de déplacer les réformes fiscales de l’empereur dans les années 720.

  • 10 Et ce sans préjuger d’une éventuelle volonté délibérée de l’empereur de mettre alors un frein à l’a (...)
  • 11 Voir l’article classique qui donne les éléments de base du problème : V. Grumel, « L’annexion de l’ (...)
  • 12 Ibidem.
  • 13 M. V. Anastos, « The Transfer of Illirycum, Calabria and Sicily to the Juridiction of the Patriarch (...)
  • 14 Ainsi, M. V. Anastos insiste sur l’opposition des papes à l’empereur jusqu’à la réconciliation deva (...)
  • 15 Epistulae Hadriani I. papae, éd. K. Hamp, dans Epistulae Karoli Aevi, III, Berlin (Monumenta German (...)
  • 16 Nicolai I. papae epistulae, éd. E. Perels, dans Epistolae Karolini Aevi, IV, Berlin (Monumenta Germ (...)
  • 17 Voir sur ces points, V. Prigent, « Les empereurs isauriens et la confiscation des patrimoines ponti (...)
  • 18 G. Dagron, « L’Église et l’État (milieu IXe -fin Xe siècle) », Évêques , moines et empereurs (610-1 (...)

8Toutefois, ces décisions ne constituèrent pas l’unique volet de la politique réformatrice qu’orchestra Léon III au détriment de la papauté10. L’empereur frappa également la puissance pontificale en opérant la fameuse modification des juridictions ecclésiastiques en faveur du patriarcat de Constantinople11. Or, un tel coup de force était parfaitement de nature à provoquer une levée de boucliers à Rome. Les sources contemporaines sont, on le sait, étrangement muettes et deux positions s’opposent traditionnellement sur la question de la chronologie de la mesure. Venance Grumel place en effet le transfert sous le pontificat d’Étienne II (752-757), y voyant une mesure de rétorsion suite à l’alliance franque12. Inversement, Milton V. Anastos rattache précisément la décision aux réformes financières de Léon III qui nous intéressent13. Dans l’un et l’autre cas, les deux auteurs font reposer leur argumentation sur l’évolution de la loyauté des papes envers l’empire, sans résultats définitifs14. Seules les réclamations pontificales d’Hadrien I15 puis de Nicolas I16 évoquent la mesure, mais le lien qu’elles stipulent avec le déclenchement de l’Iconoclasme est évidemment trop commode pour être pris pour argent comptant17. En outre, dans le second cas, le lien est patent avec la lutte opposant alors Rome et Constantinople pour le contrôle des nouvelles chrétientés slaves, puisque la modification des juridictions concerna également l’Illyricum18.

  • 19 V. von Falkenhausen, Chiesa greca e chiesa latina in Sicilia prima della conquista arabe, Archivio (...)
  • 20 Gesta episcoporum Neapolitanorum, éd. G. Waitz, dans Scriptores Rerum Longobardorum Saec. VI-IX., H (...)
  • 21 Je n’entre pas dans le débat de savoir s’il faut comprendre ici un titre métropolitain ou la dignit (...)
  • 22 Le rédacteur de la notice relative à Sergius indique un pontificat de 38 ans mais une telle durée e (...)
  • 23 Itinera et descriptiones Terrae Sanctae, éd. T. Tobler et A. Molinier, Genève, 1877, I, p. 273. Wil (...)

9Véra von Falkenhausen a été la première à mettre en valeur un passage essentiel des Gesta Episcoporum Neapolitanorum19. L’auteur de la chronique indique en effet que l’évêque Sergius se serait vu proposer par le Graecorum pontifex le titre d’archevêque20. Que la manœuvre n’ait ici pas abouti n’enlève rien au fait que l’on assiste à un empiètement inouï sur les prérogatives pontificales, inexplicable en dehors du contexte de la réforme des juridictions ecclésiastiques21. L’extraordinaire durée de l’épiscopat de Sergius (720 à 74822) compromettrait l’utilité du passage, si l’on ne pouvait le rapprocher d’un extrait du récit du pèlerinage de saint Willibald sur lequel F. Burgarella a attiré l’attention. Le titulaire du siège de Naples y est en effet expressément identifié à un archevêque ( Ibi est sedes archiepiscopi, et magna dignitas eius illic habetur) lorsque le pèlerin anglais débarque dans la ville en 72823. Or, le pape étant traditionnellement métropolite d’Italie péninsulaire, ce titre archiépiscopal ne peut que refléter une rupture du statu quo ante vers le milieu des années 720.

  • 24 Liber pontificalis, 91, 18, p. 405.

10Lorsqu’on rapproche ces deux passages, il semble possible d’admettre que Sergius se soit un temps laissé séduire par les propositions du « pontife grec » au début de son épiscopat. C’est d’ailleurs à la même époque, vers 726-727, que les Campanie partes, sous la direction du duc Exhilaratus, s’opposèrent à Grégoire II en défense de l’autorité de Léon III. Le pape fit arrêter et aveugler ce personnage par les « Romains24 ».

  • 25 Ce sceau a été édité sans photographie par V. Laurent, Le corpus des sceaux de l’empire byzantin. V (...)

11Bien que toutes ces données ne soient pas parfaitement claires, il en ressort que les Gesta Episcoporum Neapolitanorum et le récit du pèlerinage de Willibald, deux sources parfaitement indépendantes, s’accordent pour placer une rupture, à l’évidence éphémère en ce qui concerne Naples, dans l’organisation ecclésiastique de l’Italie du Sud dans les années 720. J’ajouterai que le plus ancien sceau connu d’un archevêque de Syracuse, qui est également le premier des sceaux grecs de titulaire de ce siège, doit également être placé le plus tôt possible dans le VIIIe siècle : n’était l’utilisation du grec dans sa légende, je l’aurais même daté de la fin du siècle précédent25.

  • 26 Voir Théophane le Confesseur, p. 404.
  • 27 Je n’entre pas ici dans le débat sur la nature des commerciaires. Je me suis exprimé sur ce point à (...)
  • 28 Date du premier sceau de βασιλικὰ κομμέρκια (Brandes, Finanzverwaltung in Krisenzeiten, nos 211 et (...)

12Cette modification des juridictions ecclésiastiques intervenant très certainement au tout début du règne, elle peut parfaitement rendre compte de la révolte des papes, à mon sens davantage même qu’une éventuelle réforme fiscale. Dans cette optique, il convient en effet de se souvenir que les protestations provoquées par les exigences financières extrêmes de Constant II ne débouchèrent jamais sur rien de semblable à la révolte de Grégoire II. Les mesures draconiennes décrites par Théophane redeviennent ainsi naturellement la conséquence et non la cause de cette opposition frontale : les empereurs réagissent précisément dans le domaine fiscal utilisé comme arme par les pontifes qui avaient refusé de verser les taxes dues26. Ainsi, je ne vois aucune raison pour remettre en cause la chronologie de Théophane. Bien au contraire, l’année 731-732 correspond très exactement à la fin d’un cycle indictionnel, particulièrement propice à la mise en œuvre d’une réforme fiscale. Je rappellerai enfin que cette dernière intervint en parallèle à une autre réforme d’inspiration similaire qui toucha les fonctions des commerciaires. Là aussi, l’État semble avoir rétabli un contrôle plus étroit sur certaines ressources fiscales27. Les sources sigillographiques permettent ici de dater très précisément la réforme de l’année 730/731 (indiction 14)28. Même s’il n’est pas absolu, le chevauchement me semble significatif.

La nature des réformes

Les hypothèses en présence

  • 29 Prigent, « Les empereurs isauriens et la confiscation des patrimoines pontificaux », p. 571-573. Po (...)
  • 30 Zuckerman, « Learning from the Enemy », p. 97.
  • 31 Pour une présentation du système de pouvoir des papes en Sicile et de la place qui tient l’interven (...)
  • 32 Dans ce cadre, je reconnais avec empressement le bien-fondé de la remarque de Constantin Zuckerman (...)

13J’en viens au contenu des réformes. Je me suis déjà exprimé ailleurs sur la seconde décision, dans laquelle je vois le rétablissement de la perception directe sur les biens de Rome après une expérience d’autopragie dont témoigne le Liber pontificalis à la fin du VIIe siècle et dont on perçoit les prémices et la logique dans le registrum de Grégoire le Grand29. Il a été objecté à cette position qu’il n’y avait pour l’État aucun intérêt à modifier uniquement le système de perception et à établir un onéreux système de prélèvement direct30. Je maintiens toutefois qu’au lendemain de la révolte fiscale des papes en Italie, il était au contraire de la plus haute importance que ceux-ci ne puissent pas menacer de la sorte le contrôle des richesses siciliennes31. À mon sens, la clef de lecture de la décision de Léon III n’est pas tant économique que politique32.

  • 33 Voir N. Oikonomidès, Fiscalité et exemption fiscale à Byzance (IXe -XIe s.), Athènes (Fondation Nat (...)
  • 34 Ainsi, on cherchera en vain une référence à cette fonction dans le portrait d’ensemble du système f (...)
  • 35 Brandes, Finanzverwaltung in Krisenzeiten, p. 198-205 ; Oikonomidès, Les listes de préséance, p. 31 (...)
  • 36 Théophane le Confesseur, p. 486 : l’empereur ordonne d’ἐποπτεύεσθαι πάντας (les propriétaires).
  • 37 Le Confesseur met volontairement l’accent sur cet aspect des choses pour sa valeur polémique. On re (...)
  • 38 Rappelons qu’au IXe siècle encore l’une des justifications données à l’invasion de la Sicile par le (...)

14La troisième mesure est clairement liée à la précédente : à l’occasion du transfert des responsabilités fiscales, la « matière imposable » que représentent les patrimoines est l’objet d’une vérification systématique. Dans ce cadre, il me semblerait nécessaire de mieux distinguer deux actions distinctes que la traduction de Mango et Scott fusionne. La formule ἐποπτεύειν τε καὶ ἀναγράφεσθαι τὰ τικτόμενα κελεύσας, malgré le lien fort établi par τε καί entre les deux verbes, me semble indiquer d’une part le recensement des personnes (ἀναγράφεσθαι), présenté de façon polémique à travers le cas des enfants, et de l’autre une évaluation de la base foncière des patrimoines (ἐποπτεύειν). Il est vrai que l’ anagrapheus devient à terme un recenseur de terres33, mais ce sens technique n’est pas encore en vigueur quand Théophane rédige sa chronique34, et l’on comprend que le verbe puisse être utilisé pour un recensement de personnes. En revanche, le premier verbe me semble pouvoir être interprété dans son sens technique, car il renvoie clairement au titre porté par les responsables de la révision du cadastre ( époptai) attestés dès le VIIIe siècle par au moins une bulle et explicitement placés au sein du génikon par le Klètorologion de Philothée35. C’est bien en ce sens qu’il apparaît ailleurs sous la plume de Théophane pour décrire une opération de ce type ordonnée par Nicéphore Ier. Je note d’ailleurs qu’il est alors bien utilisé sans complément, comme il le serait dans le passage qui nous intéresse si l’on retenait mon hypothèse36. Ainsi, il ne me semble pas assuré que la mesure n’ait concerné que les personnes37, même si, bien entendu, c’est la donnée démographique qui était la plus susceptible de variations d’importance, surtout après les bouleversements démographiques régionaux liés à la conquête de Carthage par les forces de l’Islam38. Cette conclusion peut sembler étonnante mais nous verrons que tout le passage joue sur des ambiguïtés du genre de celle soulignée ici.

15Ceci étant, je m’intéresserai ici au premier volet des réformes décidées par Léon III pour en proposer une interprétation nouvelle, sans réel rapport avec les lectures qui en ont été données jusqu’ici. La difficulté réside dans la référence au tiers (τῷ τρίτῳ μέρει) et dans son rapport éventuel à la zone géographique (Σικελίας καὶ Καλαβρίας) ou à la population (τοῦ λαοῦ) ou encore aux impôts (φόρους κεφαλικούς) eux-mêmes. Le lien que l’on établit entre les divers éléments permet la construction de diverses hypothèses.

  • 39 A. Guillou, « Transformations des structures socio-économiques dans le monde byzantin du VIe au VII (...)
  • 40 The Chronicle of Theophanes, p. 568, n. 3.
  • 41 Voir Prigent, « La Sicile byzantine, entre papes et empereurs ».
  • 42 Vie de Jean V (23 juillet 685-2 août 686) : alias divales iussiones relevans annonocapita patrimoni (...)

16Selon André Guillou, le tiers se rapporte à la zone géographique. Pour cet auteur, Léon III déciderait de reprendre en mains la perception des domaines pontificaux et le tiers du thème correspondrait au reste du territoire39. Si tel est le cas, la logique du texte échappe un peu car la conséquence de la réforme serait ici énoncée avant la réforme elle-même. Mais surtout, comme le souligne Cyril Mango, cette lecture n’a pas grand sens puisque si le dernier tiers représente les terres n’appartenant pas à Rome, pour quelle raison n’étaient-elles pas taxées jusqu’alors40 ? Même en inversant la proposition et en admettant que le tiers que Léon III soumet à perception était les terres pontificales, l’hypothèse semble intenable car rien ne permet d’affirmer que les biens du pape aient été un temps exempts d’impôts. Ce n’est certainement pas le cas au tournant des VIe et VIIe siècles41 et ça ne l’est pas davantage à la fin du VIIe siècle, lorsque le Liber pontificalis enregistre avec reconnaissance les dégrèvements concédés par les empereurs42.

  • 43 Son explication des événements est assez complexe, voir F. Burgarella, « Le terre bizantine (Calabr (...)
  • 44 Zuckerman, « Learning from the Enemy », p. 85-86.
  • 45 Brubaker et Haldon, Byzantium in the Iconoclast Era, p. 81 et n. 44.

17En 1989, F. Burgarella déplaça l’axe de la réforme sur la population, Léon III imposant selon lui une « tassa di capitazione alla terza parte della popolazione43 ». Plus récemment, cette ligne a été adoptée par Constantin Zuckerman qui s’en sert pour contourner plus efficacement les principaux écueils de la lecture « géographique ». Selon cet auteur, les biens pontificaux représenteraient le tiers du thème et la réforme consisterait dans l’introduction de la capitation sur les dépendants de ces domaines à l’occasion de la saisie des patrimoines. Un tiers de la population se verrait ainsi nouvellement soumis à cette taxe44. Dernièrement, cette lecture a été retenue par Leslie Brubaker et John Haldon dans leur synthèse sur l’iconoclasme45. Elle semble donc destinée à s’imposer par la double vertu du primat de la langue anglaise et de leur prestige académique.

  • 46 Cosentino, « Politica e fiscalità nell’Italia bizantina », p. 87, préfère prudemment ne pas prendre (...)
  • 47 M. V. Anastos, « Leo III’s Edict against the Images in the Year 726-727 and Italo-Byzantine Relatio (...)
  • 48 The Chronicle of Theophanes, p. 568, n. 3.
  • 49 J.-M. Martin, E. Cuozzo, S. Gasparri et M. Villani, Regesti dei documenti dell’Italia meridionale 5 (...)
  • 50 Marazzi, Il conflitto fra Leone III Isaurico e il papato, p. 232.
  • 51 Prigent, « Les empereurs isauriens et la confiscation des patrimoines pontificaux », p. 569.
  • 52 Brandes, Finanzverwaltung in Krisenzeiten, p. 377 : « Er belegte ein Drittel der Bevölkerung von Si (...)

18Enfin, ce τρίτον μέρος peut être directement rattaché à l’impôt luimême et le passage compris comme indiquant un simple accroissement de taxes, quelle qu’en soit la nature exacte46. Telle était la position d’Anastos47, à laquelle se rattache avec prudence Cyril Mango dans son commentaire à sa traduction de Théophane48. On retrouve la même opinion dans le récent régeste des actes intéressants l’Italie du Sud49. Federico Marazzi y voit également un accroissement du poids de la fiscalité, frappant spécifiquement la capitation50, une ligne qui était également la mienne en 200451. En effet, j’avais proposé à titre hypothétique que l’empereur ait doublé le taux du fouage, le dikératon, celui-ci passant ainsi de 1/6 de nomisma à, précisément, 1/3. La traduction que Wolfram Brandes donne du passage va a priori dans le sens de l’imposition d’une capitation sur un tiers de la population52. Toutefois, l’auteur considère que la source de Théophane est corrompue et, soulignant que cet auteur ne fait certainement pas référence à une taxe nouvelle, il se rattache in fine à l’idée d’un accroissement d’un tiers des taxes du thème de Sicile, rejoignant ainsi la ligne d’Anastos et de Mango.

19Si l’on écarte la première, toutes ces positions ont bien évidemment leurs mérites. Je crois toutefois nécessaire de les rejeter.

Objections aux interprétations précédentes

  • 53 Zuckerman, « Learning from the Enemy », p. 80-84.
  • 54 Oikonomidès, Fiscalité et exemption fiscale, p. 158.
  • 55 Ibidem, p. 157.
  • 56 J. Gascou, « Les privilèges du clergé d’après la Lettre 104 de S. Basile », Revue des sciences reli (...)
  • 57 Zuckerman, « Learning from the Enemy », p. 84. Je note toutefois que le sens de census au IVe siècl (...)
  • 58 Agnellus von Ravenna. Liber Pontificalis, éd. et trad. C. Nauerth, Fribourg-en-Brisgau (Fontes chri (...)
  • 59 En ce sens, je ne serais pas prêt à suivre Cosentino, « Politica e fiscalità nell’Italia bizantina  (...)
  • 60 Théophane le Confesseur, p. 486, l. 29-487, l. 2.
  • 61 On reviendra plus avant sur cette distinction.
  • 62 Voir l’analyse de ce passage dans N. Oikonomidès, « De l’impôt de distribution à l’impôt de quotité (...)
  • 63 M. Kaplan, Les hommes et la terre à Byzance du VIe au XIe siècle. Propriété et exploitation du sol, (...)

20La théorie la plus ingénieuse est certainement celle de Constantin Zuckerman car elle est la plus proche du texte et c’est donc à cette hypothèse que je m’intéresserai spécialement. L’auteur identifie sous Constant II l’apparition d’une nouvelle taxe de capitation inspirée de la pratique musulmane53. L’exemption dont aurait joui le clergé vis-à-vis de cette taxe aurait été étendue à l’ensemble des dépendants laïcs de l’Église, une immunité évidemment perdue lors de l’intégration des terres pontificales à la fortune impériale. Plusieurs points me semblent toutefois ici difficiles à retenir. Tout d’abord, comme je l’ai dit, je ne crois absolument pas que Léon III ait saisi les biens des papes, mais il n’y a évidemment pas grande gloire à être d’accord avec soi-même. Plus cruciale me semble l’idée d’une exemption fiscale étendue aux dépendants du clergé. Cette idée va à l’encontre de la règle byzantine qui veut que l’exemption fiscale de groupe soit accordée contemplatione dignitatis atque militiae ou laborum contemplatione54. Comme l’explique Nicolas Oikonomidès, « le privilège était valable pour l’ayant-droit et sa famille immédiate, pas pour leurs terres et les paysans y travaillant55 ». Mieux encore, une lettre de Basile de Césarée semble indiquer que l’exemption pouvait ne pas bénéficier à l’ensemble des clercs d’un diocèse, mais aux seuls clercs actifs, à l’exclusion des surnuméraires, et que son renouvellement de levée fiscale en levée fiscale n’allait d’ailleurs pas de soi56. Constantin Zuckerman cite à l’appui de ses positions sur une exemption fiscale générale du clergé face à la capitation le passage du Liber pontificalis Ecclesiae Ravennatis relatif aux concessions fiscales de l’empereur Constantin IV au siège de Ravenne. Selon lui, « the emperor granted all Reparatus’requests and confirmed ut census nullus sacerdos vel quicumque clericus qualibet censum in publico dedisset. This census could only be the freshly introduced poll-tax, from which the clerics were exempted57 ». Tout d’abord, d’un simple point de vue général, le Liber pontificalis Ecclesiae Ravennatis nous transmettant le contenu d’un privilège, je ne crois pas que l’on puisse en tirer une règle valable à l’échelle de l’empire. Mais surtout, le passage se poursuit par une énumération d’impôts qui précise cette formulation générale et, selon moi, en identifie la portée : non ripaticum neque portaticum vel siliquacio aut teloneum, nullus ab eis exigere debuisset58. L’exemption porterait donc sur les taxes liées à la circulation des marchandises et l’articulation de la phrase me semble impliquer que la dispense d’impôt n’est pas générale, mais limitée à ces facettes particulières de la fiscalité indirecte59. Rien n’indique donc ici que les clercs aient disposé d’une exemption systématique de la capitation, a fortiori leurs dépendants. L’hypothèse de cette extension considérable du privilège ecclésiastique est basée sur un passage de Théophane relatif au règne réformateur de Nicéphore Ier. Cet empereur aurait ordonné que les parèques des maisons pieuses et de l’ Orphanotropheion et des xénônes et gérokômeia et des églises et monastères impériaux payent désormais le kapnikon60. On peut d’emblée objecter que le kapnikon n’est pas une capitation mais un fouage61, mais, au-delà, l’empereur revenait ici sur une mesure d’exemption de l’impératrice Irène62 et l’une et l’autre décision ne concernaient a priori que les fondations pieuses relevant du domaine public63. Rien n’indique donc que le clergé et ses dépendants aient bénéficié d’une exemption générale du temps de Léon III, exemption sur laquelle on pourrait fonder un raisonnement pour expliciter le mystérieux passage de Théophane.

  • 64 Puisque bien évidemment, il y a une corrélation stricte entre la valeur d’une terre et la densité d (...)
  • 65 On revient plus bas sur cette question, voir pour l’estimation, D. M. Metcalf, « Monetary Recession (...)
  • 66 On considérant l’ensemble des kômètika, astika et de l’ ousia de l’ex éparque Julianos, C. Zuckerma (...)
  • 67 En considérant que l’État prélève une somme globalement égale à la rente du propriétaire ce qui est (...)

21Enfin, cette position soulève une troisième objection. Si l’on considère, à la suite de l’auteur, que les patrimoines romains représentaient 1/3 de la population de l’île et donc une proportion équivalente du « territoire utile64 », alors les 25.000 nomismata de revenus fiscaux qu’ils génèreraient représenteraient une part identique du revenu fiscal de l’île, qu’il faudrait estimer à 75.000 solidi, ce qui est fort peu. On rappellera à ce sujet que vers 700 l’atelier monétaire insulaire eut une production qui se rapprocha de celle de l’atelier de Constantinople, ce qui semble incompatible avec une telle faiblesse des revenus fiscaux65. Que l’on pense enfin au village égyptien d’Aphroditô, dont le produit fiscal atteignait environ 1700 solidi66 : doit-on admettre que la Sicile toute entière n’ait pas rapporté plus qu’une petite cinquantaine de villages, fussent-ils très riches ? Cette objection est encore plus forte si l’on accepte, à la suite de Constantin Zuckerman, que Léon III, loin de se contenter de modifier le système de perception, ait saisi les patrimoines puisque les 25.000 pièces d’or représenteraient alors la somme des impôts et des loyers. Il faudrait en effet dans ce cas réduire les revenus fiscaux siciliens à moins de deux douzaines de villages67. Oliganthropie altomédiévale, certes, mais la levée de l’impôt serait dès lors au propre comme au figuré une traversée du désert pour les malheureux agents de l’État.

  • 68 Voir sur ce point, J. Lefort, « The Rural Economy, Seventh-Twelfth Centuries », The Economic Histor (...)
  • 69 Sur une superficie de 25.000 km², on compte en Sicile 15 % de plaines et 60 % de collines pour 25 % (...)
  • 70 Voir le classique G. Fasoli, « Sul Patrimonio della Chiesa di Ravenna in Sicilia », Felix Ravenna, (...)
  • 71 J’ai abordé de façon plus approfondie ces problèmes dans Prigent, La Sicile byzantine (VIe -Xe sièc (...)

22Si l’on s’intéresse aux modèles théoriques de fonctionnement des exploitations byzantines68, on se rend par ailleurs compte qu’environ 80.000 hectares suffisent à produire un revenu fiscal de 25.000 nomismata. Or, même pour le haut Moyen Âge, il me semble difficile d’admettre que la superficie exploitée de la Sicile ait été limitée à 240.000 hectares sur les quelque 2.000.000 aisés à mettre en culture (hors montagne)69. Au-delà, la position exprimée par Zuckerman me semble irrecevable car Ravenne possédait des biens équivalents à plus des deux tiers de ceux de Rome70. Nous aurions donc plus de 50-60 % du sol de l’île contrôlé par deux propriétaires, alors même que l’île était réputée pour l’importance des biens impériaux et qu’il faut bien laisser une place à la propriété privée et aux patrimoines des évêchés locaux71. Dans le cas contraire, c’est sans doute Prêtre et Empereur qu’il eût fallu écrire.

23Cette dernière remarque a une portée plus générale : elle incite à renoncer à relier le triton méros avec la superficie ou le poids démographique du patrimoine pontifical. Il ne me semble d’ailleurs pas de bonne méthode de postuler que la première mesure décrite dans le texte (l’accroissement de la fiscalité) soit une conséquence de la seconde (la réforme dans le statut fiscal des patrimoines). Il faut, je crois, chercher ailleurs la solution.

  • 72 C. Morrisson, J.-N. Barrandon et J. Poirier, « Nouvelles recherches sur l’histoire monétaire byzant (...)

24La lecture proposée par Anastos, Mango et Brandes n’est pas davantage exempte de problèmes. En effet, il est difficile d’admettre a priori que les impôts aient pu être accrus d’un tiers sans provoquer des dommages sérieux à l’économie. Il faut en effet tenir présent à l’esprit que les finances siciliennes sont alors fragiles, comme en témoigne le processus de dévaluation qui affecte la monnaie depuis la fin du premier règne de Justinien II72. On y reviendra en conclusion. Il est toutefois possible d’envisager que seul un impôt particulier ait été accru, piste que j’avais initialement suivie avec le kapnikon, mais que je crois à présent nécessaire d’abandonner. Ce constat nous amène donc à nous interroger sur le sens à donner à l’expression φόρος κεφαλικός.

  • 73 Voir la description du système d’évaluation de la « valeur fiscale » de chaque contribuable dans Oi (...)
  • 74 Pour une présentation du système, Carrié, « Dioclétien et la fiscalité », p. 37-47.
  • 75 Et ce quand bien même, il peut être perçu à part, avec donc une plus grande autonomie. Le rapport e (...)
  • 76 Carrié, « Dioclétien et la fiscalité », p. 41 ; voir également p. 44 les réflexions sur CTh XI. 16. (...)
  • 77 Oikonomidès, Fiscalité et exemption fiscale, p. 72.

25La première impulsion est naturellement d’y voir une capitation. Toutefois, à ma connaissance, le système fiscal byzantin de l’époque ne prévoit tout simplement pas de capitation, c’est-à-dire de taxe forfaitaire par tête. La force de travail du contribuable entre en jeu comme critère d’estimation de l’impôt de base, ce qui n’est pas la même chose73. On notera d’ailleurs qu’en ce sens le système mésobyzantin n’est pas fondamentalement différent de « l’impôt à double cédule » du Bas-empire, qui, par le biais de la iugatio sive capitatio établit la responsabilité fiscale du contribuable en tenant en compte tant de la terre qu’il contrôle que de la force de travail qu’il représente74. Le terme de capitatio désigne alors non pas un impôt en tant que tel, mais le second paramètre de l’impôt de base75. Comme l’écrit Jean-Michel Carrié, « la capitatio apparaît donc bien comme un impôt de répartition et non pas comme une imposition par tête de taux uniforme76 ». Au-delà, le système mésobyzantin prévoit le versement du kapnikon, mais, comme l’indique son nom même, celui-ci pèse sur la maisonnée, le foyer : on a affaire à un fouage, pas à une capitation77.

  • 78 Zuckerman, « Learning from the Enemy », p. 83-84. L’auteur me semble également glisser un peu rapid (...)
  • 79 Voir les importantes remarques sur les origines de la capitation musulmane formulées par A. Papacon (...)
  • 80 Ibidem, p. 63.
  • 81 Ibidem, p. 64.
  • 82 L’expression renvoie à l’obligation de porter autour du cou un cordon scellé, Ch. F. Robinson, « Ne (...)
  • 83 Un point très important qui justifie pleinement le rapprochement essentiel établi par Zuckeman entr (...)
  • 84 Voir les listes d’attestations établies par I. Poll, « Die διάγραφον-Steuer im spätbyzantinischen u (...)
  • 85 Carrié, « Dioclétien et la fiscalité », p. 51-52.
  • 86 Voir les remarques de N. Gonis, « Two Poll-Tax Receipts from Early Islamic Egypt », Zeitschrift für (...)

26Resterait donc en lice l’impôt de capitation dont le Liber pontificalis attribuerait la création à Constant II selon Constantin Zuckerman. La formule employée, diagrafa seu capita, a permis de tracer un parallèle avec la fiscalité égyptienne, le diagraphon (seu caput) étant identifié avec l’ancêtre de la djizya78. Toutefois, même si l’on laisse de côté le fait qu’il ne semble pas avoir été imposé de façon mécanique sur les nonmusulmans et qu’il existait peut-être déjà à l’époque byzantine79, les caractéristiques de ce diagraphon ne sont pas celles d’une capitation et l’équivalence avec la djizya s’impose d’autant moins que cette dernière taxe n’a pas encore davantage acquis les traits qui seront ultérieurement les siens. Comme le remarque Arietta Papaconstantinou, « in the earliest bilingual documents, jizya corresponds to dēmosion, which simply meant ‘public tax’, while diagraphon initially meant ‘supplementary tax’80 ». La véritable capitation musulmane, impôt forfaitaire par tête dont le paiement repose sur un discriminant religieux, ne se met sans doute en place que dans les dernières décennies du VIIe siècle, après la mort de Constant II donc, et ne présente peut-être pas sa forme « classique » avant les Abbassides81. Une étape importante dans cette évolution pourrait être recherchée dans les politiques de « neck-sealing » à grande échelle qui témoignent de l’affirmation du caractère vexatoire de cette forme de taxation82. Quant au diagraphon, il est vrai qu’il ne semble pas directement lié à la propriété foncière, et c’est certainement un point fondamental83, mais il est également clair que les sommes dont il implique le versement varient considérablement ce qui irait dans le sens de la prise en compte de la richesse des individus à la façon de l’ épiképhalaion de l’Égypte protobyzantine84. Ce dernier rapprochement fragilise en outre bien évidemment l’identification du diagraphon avec une capitation sur la foi de la substitution apparente d’ épiképhalaion à diagraphon dans les papyri de Nessana, à la fin du VIIe siècle85. Quelle que soit l’assiette fiscale de cette taxe, il ne s’agit donc pas d’une capitation. Quant à l’équivalence diagraphon/ andrismos, elle n’est pas davantage systématique puisque l’ andrismos peut cumuler diagraphon et dapanè, ce dernier terme renvoyant à une procédure de coemptio, ou désigner tout simplement le corps des contribuables. Enfin, le terme lui-même n’apparaît qu’à la fin du VIIe siècle86, donc bien après une éventuelle imitation par Constant II des principes supposés de la capitation musulmane.

  • 87 Voir p. 296, n. 4.

27Ainsi, en définitive, je crois devoir me rattacher à l’hypothèse défendue par Constantin Zuckerman selon laquelle Constant II établit des diagrapha, mais en rejetant l’idée que ceux-ci constituent une capitation. Dans ce passage, seu implique clairement une équivalence87 et les diagrapha ne sont donc a priori que l’équivalent des capita, lesquels sont des unités d’assiette ne reposant effectivement pas sur la propriété foncière et dont la multiplication accroît mécaniquement le fardeau fiscal sur la population dans son ensemble. On comprendrait ainsi le lien entre caput, diagraphon et épiképhalaion, ce dernier terme n’étant jamais que l’impôt résultant de l’attribution des capita fiscaux. Nul besoin d’emprunt aux Arabes et nulle capitation ici. Sans doute d’ailleurs serait-on davantage fondé à s’appuyer sur cette équivalence claire entre diagraphon et caput pour comprendre l’origine et la nature du premier terme dans la documentation papyrologique. Mais ce n’est pas ici mon propos.

28Il ressort de ce qui précède que la « taxe de capitation » dont on prête l’introduction à Léon III ne semble correspondre à aucune réalité au sein du système fiscal byzantin du temps.

  • 88 On s’expliquerait d’ailleurs ainsi au mieux le pluriel utilisé pour évoquer la capitation.
  • 89 Il demeure tel même si l’on ignore dans quel mesure il fut levé de façon régulière à la période més (...)
  • 90 Théophane le Confesseur, p. 482.
  • 91 J. Maspéro, Catalogue général des antiquités égyptiennes du musée du Caire. Papyrus grecs d’époque (...)

29Mais, s’il en va ainsi, comment lire le passage qui nous intéresse ? On pourrait évidemment envisager tout simplement que Théophane ait eu recours à une source latine mentionnant des capita, au sens de fraction due par chaque contribuable de l’impôt exigé de la Sicile-Calabre, auquel cas le problème serait réglé, une traduction malheureuse expliquant le passage de l’évocation d’un accroissement des quote-parts fiscales à celle de la capitation88. Mais malheureusement, nous n’avons aucun indice permettant de défendre cette hypothèse et, en outre, la question de la nature du « tiers » demeurerait ouverte. Je pense donc plus efficace de s’intéresser à la stratégie polémique de l’auteur pour expliquer les termes qu’il emploie. Celle-ci s’articule en deux volets. On remarquera tout d’abord les similitudes de stratégie rhétorique dans ce passage et la description de la politique fiscale de Constant II dans le Liber pontificalis. Dans les deux cas, en effet, l’auteur attaque sur les taxes personnelles, qui, au-delà des propriétaires, frappent toute la population. Le thème polémique est ici celui de l’oppression des plus démunis, cher à l’Église, alors même que, dans le second cas au moins, le pape se plaint évidemment en tant que grand propriétaire. Or il pourrait ne pas être incident que le point central du passage concerne de nouveau une atteinte aux droits anciens des pontifes. Vient ensuite le second volet, plus essentiel pour nous : il convient en effet de rappeler que si le système fiscal général ne prévoit pas de capitation, cette forme d’imposition n’en est pas pour autant ignorée des Byzantins. Tout simplement, il s’agit d’un impôt spécifique aux Juifs89. Ceux-ci sont en effet redevables du képhalétion. Or, il est difficile de voir un simple hasard dans le fait que le même passage tout à la fois compare Léon III à Pharaon écrasant les Hébreux et l’accuse d’exiger un impôt par tête typique de la condition des Juifs. L’aspect polémique de la formulation peut également être souligné en rappelant que l’empereur est accusé d’agir sous l’influence de « pensées arabes » (Ἀραβικῷ τε φρονήματι κρατυνόμενος) et Paul Speck a déjà proposé un parallèle entre la réforme prêté à Léon III et l’imposition de la djizya. Dans ce cadre, on doit souligner que Théophane connaît bien le terme képhalétion et que sa seule occurence dans la Chronographie apparaît précisément pour désigner le tribut infamant de trois nomismata qu’Haroun al-Rashid imposa en 805/806 à l’empereur Nicéphore Ier et à son fils afin de mettre un comble à leur humiliation90. Théophane, ou sa source, redouble ainsi le parallèle établi entre Léon III d’une part et les ennemis de Dieu (Pharaon et les Arabes) de l’autre. Mais le plus important ici me semble que le Confesseur, qui connaît le terme technique, n’en fasse pas usage et choisisse une formulation indirecte, évoquant des φόρους κεφαλικούς, plutôt que des képhalétia. Or, comme l’atteste le testament du médecin Fl. Phoibammon, en date du 15 novembre 570, κεφαλικός peut parfaitement signifier de façon générale « belonging to an individual91 ». En définitive, la clef de lecture me semble donc celle-ci : Théophane, ou sa source, désigne simplement les impôts individuels, qui n’ont rien à voir avec une capitation, mais en faisant usage d’une formulation évoquant immédiatement cet impôt infamant. En conséquence, la mesure (quelle qu’ait été sa nature réelle, on va y revenir) apparaît comme une mesure discrimante, vexatoire et injuste, et par là-même disqualifiante pour un pouvoir censé déternir de Dieu sa légitimité. Et ce d’autant plus qu’elle est censée frapper prioritairement les faibles. Cette stratégie peut sembler d’une subtilité suspecte, mais l’analyse de la nature concrète de la réforme témoignera d’une méthode d’inspiration similaire.

30Ainsi, si établir un lien entre les φόροι κεφαλικοί et une partie de la population ou du ressort fiscal siculo-calabrais ne mène clairement nulle part, rattacher la hausse d’impôt spécifiquement à une capitation n’arrange pas nos affaires, faute de réelle capitation dans le système fiscal byzantin. À ce stade de l’analyse et au vu de l’intention polémique évidente de l’auteur et de la possibilité de traduire φόρος κεφαλικός de façon très vague par « taxe individuelle », la position d’Anastos, de Mango et Brandes, à savoir une augmentation d’un tiers de la fiscalité globale, me semble la meilleure. Reste donc à comprendre en quoi aurait consisté cette augmentation dont on a dit qu’elle semble étrange dans le contexte des graves difficultés financières que semble alors connaître l’île.

Tributa volant, scripta manent

  • 92 Pour tout ce qui va suivre, on trouvera les données de base dans Morrisson, Barrandon et Poirier, « (...)
  • 93 Pour l’histoire de la conquête musulmane de l’Afrique byzantine, on consultera désormais, avec prud (...)
  • 94 L’analyse de la monnaie de Léon III a été effectuée par W. Oddy qui malheureusement n’identifie pas (...)
  • 95 Prigent, « Monnaie et circulation monétaire en Sicile », p. 404-407.
  • 96 Ceci bien entendu sans préjuger de la façon dont la reformulation de la documentation fiscale s’art (...)
  • 97 Théophane le Confesseur, p. 413, sous l’année 6232 (739/740). La dureté de l’empereur envers la Crè (...)

31J’en viens donc pour finir à la nouvelle interprétation qu’il me semble possible de proposer de ce passage. Celle-ci a pour particularité qu’elle nie tout accroissement réel des impôts, aussi paradoxal que cela puisse paraître. La réforme fiscale de Léon III doit être replacée dans le contexte de la réforme monétaire orchestrée par ce même empereur en Sicile. Dès le règne de Justinien II, le poids légal du solidus sicilien est descendu à 22 carats, sans altération de la qualité de l’alliage92. S’enclenche ensuite un processus de dévaluation, à mettre en relation avec les progrès des armes musulmanes en Afrique, concrétisés par les deux prises de Carthage, en 695 et 69893. La qualité de l’alliage frappé périclite rapidement et, au début du règne de Léon III, certains solidi ne présentent plus que 60 % d’or environ94. On constate toutefois une amélioration sensible de la qualité de la monnaie sous Léon III et cet empereur établit un nouveau standard de valeur pour la monnaie sicilienne95. Il s’agit d’une mesure radicale car elle suspend la possibilité d’échanges monétaires directs entre Constantinople et l’île, à la différence de la solution retenue trente ans auparavant par Justinien II. En effet, dès lors, les capitaux envoyés de Sicile vers la capitale et inversement ne sont plus utilisables directement ou après une simple refrappe. Il faut aux monnayeurs retravailler l’alliage avant de pouvoir produire des espèces à même de circuler dans l’espace desservi par l’atelier. Toutefois, l’empereur isaurien établit un système assurant une conversion aisée entre espèces orientales et siciliennes, pour des raisons autres que commerciales puisqu’on vient de le voir les échanges directs sont compromis par sa réforme et qu’il faut évidemment rechercher dans le domaine fiscal. Ce système joue sur la métrologie du solidus sicilien (3,84 g et 83/84 % de fin) pour établir une équivalence de valeur-or entre un solidus constantinopolitain et un solidus plus un trémisse de Sicile, système permettant l’application sans heurts des barêmes fiscaux décidés dans la capitale. Or, dès lors qu’elle devenait officielle, cette modification des valeurs monétaires entraînait nécessairement de la part de l’administration sicilienne une reformulation des taxes exigibles de la population dans les nouveaux termes monétaires en vigueur. Or, mécaniquement, la nouvelle formulation résultait en un accroissement des taxes d’un tiers en valeur monétaire nominale. En effet, qui devait normalement payer un solidus de 24 carats de taxe payait désormais un solidus et un trémisse, soit 32 carats. Nous avons donc ici très exactement « l’accroissement des impôts » décrits par Théophane : plus un tiers. Toutefois, il s’agit bien évidemment d’une illusion comptable : en valeur-or, le montant de l’impôt reste exactement le même et l’État ne faisait que rétablir la valeur réelle des taxes exigées avant l’épisode de dévaluation incontrôlée. Une parenthèse heureuse se fermait malgré tout pour le contribuable qui avait pu durant des années régler ses impôts en monnaie dévaluée et donc faire un profit sur le dos de l’État. Tout l’artifice de la source de Théophane est de présenter cette opération comptable comme une hausse réelle d’impôt. Cette réforme n’a donc aucun lien direct avec celle affectant les patrimoines pontificaux et apparaît logiquement au début du passage avant que la question des patrimoines ne soit abordée. On retrouve bien ici le type de stratégie décrite à propos de la référence indirecte à la capitation vexatoire, voire même dans la formulation ambiguë des procédures d’évaluation des composantes humaines et foncières de l’assiette fiscale. Ce qui se cache derrière ce passage est tout simplement un accroissement général de la valeur nominale des taxes exigibles de chaque contribuable en raison de la reformulation des documents fiscaux dans une nouvelle unité monétaire, sans accroissement de leur valeur réelle96. Cette conclusion, aussi déroutante qu’elle puisse sembler de prime abord, permet en outre de rendre compte d’une dernière difficulté, sur laquelle glissent les commentateurs. Plus avant dans sa chronique, Théophane dénonce les exigences financières de l’empereur à l’encontre non seulement de la Sicile et de la Calabre, mais encore de la Crète97. Ce dernier passage est fréquemment mis en rapport avec celui que nous venons d’analyser. Pourtant, l’île égéenne n’est pas mentionnée dans ce passage, et pour cause : le nomisma léger de Syracuse n’y avait pas cours.

32Ainsi, au terme de cette étude, le Confesseur apparaît de bien mauvaise foi. Derrière une description des décisions de Léon III qui donne à croire à l’imposition d’une hausse d’un impôt infamant pesant sur les plus faibles, à une atteinte aux biens de Rome, patrimonium pauperum, et à l’enregistrement fiscal des enfants, on ne distingue en réalité que la restauration des prérogatives fiscales de l’État par le calcul des charges fiscales dans un nouvel étalon monétaire et la perception directe sur les domaines pontificaux, le tout s’accompagnant d’un travail de vérification des données de l’assiette fiscale : les terres et les personnes.

  • 98 Le raisonnement n’est nullement circulaire puisque nous n’avons pas jusqu’ici tiré argument de la r (...)

33Pour en revenir là où nous avions débuté, il m’apparaît important de souligner que puisqu’il n’y eu pas de réelles hausses d’impôts, il n’y a aucune raison de rechercher dans une décision de ce genre l’origine de la rebellion des papes, ce qui, en retour, conforte l’hypothèse que celleci tire son origine de la réforme des juridictions ecclésiastiques98. Mais au-delà, un dernier point me semble devoir être souligné qui présente un intérêt certain. Il est en effet légitime de s’interroger sur le sens à donner à la dévaluation que connaît la monnaie sicilienne entre la fin du premier règne de Justinien II et la réforme de Léon III. Reflète-t-elle des difficultés économiques structurelles de l’île ou plus directement un excès de dépenses publiques ? La question est évidemment d’importance pour évaluer l’impact immédiat de la conquête musulmane de l’Afrique sur la prospérité de l’île et, au-delà, du bassin central de la Méditerranée. Or, dans ce cadre, il convient de souligner que le monnayage sicilien de Léon III fut, quantitativement, extrêmement conséquent. En l’état actuel de mon étude des coins de l’atelier de Syracuse, et même s’il s’agit encore de résultats préliminaires, il apparaît clairement que le rétablissement de la qualité des frappes ne s’opéra nullement au détriment des quantités émises, bien au contraire. L’ampleur des frappes doit d’ailleurs refléter le souci de retirer de la circulation les espèces postérieures à la réfome de Justinien II. En effet, le système d’étalonnage direct des émissions syracusaines sur le nomisma de 24 carats d’or pur de Constantinople permettait également de maintenir en circulation les frappes siciliennes antérieures au passage au standard pondéral de 22 carats, d’où la fréquence bien supérieure des monnaies de Constant II et Constantin IV, alors même que leurs émissions ne furent pas nécessairement supérieures à celles des années 695-730. Mais, au-delà, la possibilité d’accroître simultanément la qualité et la quantité des émissions plaide très fortement en faveur d’une dévaluation antérieure provoquée davantage par une dépense publique excessive que par une crise économique structurelle. En revanche, bien évidemment, la réforme, en mettant fin à la possibilité pour le contribuable de s’acquitter de ses taxes en monnaies dévaluées, ne pouvait qu’entraîner une dégradation de sa situation économique préjudiciable à terme à l’ensemble de l’île. Mais ce renversement de conjoncture n’intervint que dans la seconde moitité du VIIIe siècle, lorsque la Sicile perdit en outre ses marchés traditionnels.

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Notes

1 Théophane le Confesseur, Chronographie, éd. Ch. De Boor, I, Leipzig, 1883, p. 410.

2 The Chronicle of Theophanes Confessor. Byzantine and Near Eastern History AD 284-813, trad. C. Mango et R. Scott, Oxford, 1997, p. 568 et n. 3-5.

3 J’utilise « thème » par commodité de langage ; je ne souhaite pas prendre ici parti sur la question de la pertinence relative des termes thema/stratègia (sur ce débat, voir l’essentiel C. Zuckerman, « Learning from the Enemy and More : Studies in “Dark Centuries” Byzantium », Millenium, 1, 2006, p. 125-134). On trouve une affirmation claire de la dépendance originelle de la Calabre vis-à-vis de la Sicile sous la plume de Constantin VI : Constantine Porphyrogenitus, De Administrando Imperio, éd. G. Moravcsik (éd.), trad. R. J. H. Jenkins, Washington DC (Dumbarton Oaks Texts, 1), 1967, 50, p. 236, l. 88-89. Le rattachement intervint à mon sens dès la création du thème, V. Prigent, La Sicile byzantine (VIe -Xe siècle), Thèse de l’Université Paris IV-La Sorbonne, Paris, 2006, p. 1131-1135. Pour la période antérieure, le statut subalterne du duc de Calabre est attesté par le Taktikon Uspenskij qui mentionne ce fonctionnaire après les tourmarques des kaballarika et avant ceux des ploïmata (N. Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des IXe et Xe siècles [Le monde Byzantin, 4], Paris, 1972, p. 57, l. 14 et p. 55, l. 16-p. 57, l. 3). Je continue à préférer la date de 842-843 pour cet ouvrage contra T. Živkovič, « Uspenskij’s Taktikon and the Theme of Dalmatia », Σύμμεικτα, 17, 2008, p. 50-87, bien que ses positions soient à la base de bien des points de la récente synthèse L. Brubaker et J. Haldon, Byzantium in the Iconoclast Era c. 680-850 : A History, Cambridge, 2011. Pour l’évolution complexe des rapports administratifs entre Calabre et Sicile au Xe siècle, voir V. Prigent, « La politique sicilienne de Romain Ier Lécapène », Guerre et société en Méditerranée (VIIIe -XIIIe siècle), éd. D. Barthélémy et J.-C. Cheynet, Paris (Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance. Monographies, 31), 2008, p. 63-84.

4 J’interprète ainsi pour l’instant, au sens le plus large, l’épithète κεφαλικός ; voir infra.

5 Les dates du tableau sont issues de V. Grumel, La chronologie, Paris (Bibliothèque byzantine. Traité d’études byzantines, 1), 1959.

6 Respectivement, 15 ans, 8 mois et 24 jours et 10 ans, 8 mois et 24 jours.

7 W. Brandes, Finanzverwaltung in Krisenzeiten. Untersuchungen zur byzantinischen Administration im 6.-9. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main (Forschungen zur byzantinischen Rechtsgeschichte, 25), 2002, p. 368 ; S. Cosentino, « Politica e fiscalità nell’Italia bizantina (secc. VI-VIII) », Le città italiane tra la tarda Antichità e l’alto Medioevo, Atti del convegno, Ravenna, 26-28 febbraio 2004, éd. A. Augenti, Florence (Biblioteca di archeologia medievale), 2006, p. 49 ; Brubaker et Haldon, Byzantium in the Iconoclast Era, p. 81 et n. 44, où l’on lit « it is generally agreed that the events are certainly mis-dated and refer to the mid-720s ».

8 Liber Pontificalis, L. Duchesne (éd.), I-II, Paris, 1886-1892, 91.

9 On peut en placer le début officiel à l’occasion du silention du 7 janvier 730. Sur cette question, voir Brubaker et Haldon, Byzantium in the Iconoclast Era, p. 119-127.

10 Et ce sans préjuger d’une éventuelle volonté délibérée de l’empereur de mettre alors un frein à l’autorité pontificale. Je ne suis pas du tout certain que tel ait été le cas.

11 Voir l’article classique qui donne les éléments de base du problème : V. Grumel, « L’annexion de l’Illyricum oriental, de la Sicile et de la Calabre au patriarcat de Constantinople », Recherches de sciences religieuses, 40, 1951-1952, p. 191-200.

12 Ibidem.

13 M. V. Anastos, « The Transfer of Illirycum, Calabria and Sicily to the Juridiction of the Patriarchate of Constantinople in 732-733 », Rivista di studi bizantini e neoellenici, 9, 1957, p. 14-31.

14 Ainsi, M. V. Anastos insiste sur l’opposition des papes à l’empereur jusqu’à la réconciliation devant Rome en 728, alors que V. Grumel préfère mettre en valeur les preuves de loyauté postérieures. Sur cet événement, J. T. Hallenbeck, « The Roman-Byzantine Reconciliation of 728 : Genesis and Significance », Byzantinische Zeitschrift, 74, 1981, p. 29-41. Le problème de l’attitude des papes est presque insoluble en raison du fait que ni Constantinople, ni Rome ne voulaient poser la question de façon claire se complaisant dans une ambiguïté qui évitait d’avoir à assumer des choix trop tranchés. L’existence de deux rédactions de la Vita de Grégoire II dans le Liber pontificalis présentant sous des jours nettement distincts l’attitude du pontife envers Léon III est symptomatique de cet état de fait.

15 Epistulae Hadriani I. papae, éd. K. Hamp, dans Epistulae Karoli Aevi, III, Berlin (Monumenta Germaniae Historiae, Epistulae, 5), 1899, p. 57 : Dudum quippe, quando eos pro sacris imaginibus erectione adortavimus, simili modo et de diocesi tam archiepiscoporum, quam et episcoporum sanctae Romanae ecclesiae, quae tunc cum patrimoniis nostris abstulerunt, commonentes, restituere eidem sanctae et apostolicae ecclesiae.

16 Nicolai I. papae epistulae, éd. E. Perels, dans Epistolae Karolini Aevi, IV, Berlin (Monumenta Germaniae Historiae, Epistulae, 6), 1925, p. 439.

17 Voir sur ces points, V. Prigent, « Les empereurs isauriens et la confiscation des patrimoines pontificaux d’Italie du Sud », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 116-2, 2004, p. 557-594.

18 G. Dagron, « L’Église et l’État (milieu IXe -fin Xe siècle) », Évêques , moines et empereurs (610-1054), éd. J.-M. Mayeur, Ch. et L. Pietri, A. Vauchez, M. Vénard, Paris (Histoire du Christianisme des origines à nos jours, 4), 1993, p. 174-176. Il me semble possible que l’auteur de la notice épiscopale 4 se fasse l’écho indirectement des arguments pontificaux quand il place le transfert de l’Illyricum sous juridiction constantinopolitaine lorsque Rome était sous la domination des Barbares. Évidemment, la fiabilité de cette notice pour l’Occident est plus que douteuse et l’on ne peut en tirer argument plus que de raison (J. Darrouzès, Notitiae Episcopatuum Ecclesiae Constantinopolitanae, texte critique, introduction et notes, Paris [Géographie ecclésiastique de l’empire byzantin, 1], 1981, p. 43-44).

19 V. von Falkenhausen, Chiesa greca e chiesa latina in Sicilia prima della conquista arabe, Archivio Storico Siracusano, n. s., 5, 1978-1979, p. 154.

20 Gesta episcoporum Neapolitanorum, éd. G. Waitz, dans Scriptores Rerum Longobardorum Saec. VI-IX., Hanovre (Monumenta Germaniae Historica), 1878, p. 422, l. 8-9 : Hic dum a Graecorum pontifice archiepiscopatum nancisceretur, ab antistite romano correptus, venium impetravit. Voir V. Grumel, Les régestes des actes du patriarcat de Constantinople. I. Les actes des patriarches. II-III. Les régestes de 715 à 1206, (2e éd. J. Darrouzès), Paris, 1989, n o 325b, qui souligne que l’on doit envisager que cette faveur ait été reçue au début de l’épiscopat de Sergius.

21 Je n’entre pas dans le débat de savoir s’il faut comprendre ici un titre métropolitain ou la dignité d’archevêque autocéphale. Pour cette dernière solution se sont prononcés F. Burgarella, « Bisanzio in Sicilia e nell’Italia meridionale : I riflessi politici », Storia d’Italia. III. Il Mezzogiorno dai Bizantini a Federico II, Turin, 1983, p. 201, et J.-M. Martin, « Hellénisme politique, hellénisme religieux et pseudo-hellénisme à Naples (VIIe - XIIe siècles) », Ἀμπελοκήπιον, Studi di amici e colleghi in onore di Vera von Falkenhausen, Νέα Ῥώμη, 2, 2005, p. 62. Toutefois, la solution me semble peu pratique et en Calabre et Sicile au moins les autorités impériales constituèrent une structure métropolitaine. Mais il est évident qu’en Campanie la manœuvre fit long feu.

22 Le rédacteur de la notice relative à Sergius indique un pontificat de 38 ans mais une telle durée est impossible, amenant Falkenhausen, Chiesa greca e Chiesa latina, p. 154, n. 101, à proposer la correction de 28 ans. L’auteur livre également deux informations difficilement conciliables puisqu’il place l’événement sous les papes Grégoire et Zacharie et sous Léon et Constantin. On ne peut être davantage certain qu’il distingue parfaitement les deux papes homonymes qui se succédèrent.

23 Itinera et descriptiones Terrae Sanctae, éd. T. Tobler et A. Molinier, Genève, 1877, I, p. 273. Willibald arrive à Constantinople une semaine avant Pâques 726 et repart deux ans après. On trouvera une analyse claire des voyages dans R. Aist, The Christian Topography of Early Islamic Jerusalem. The Evidence of Willibald of Eichstätt (700-787 CE), Turnhout (Studia Traditionis Theologiae), 2009, notamment p. 34-35. Voir également, Burgarella, « Bisanzio in Sicilia », p. 200, n. 3, l’auteur, qui adopte la théorie d’un lien chronologique entre saisie des patrimoines, déclenchement de l’iconoclasme et modification des juridictions, ne tire pas du passage les conclusions qui me semblent s’imposer dès lors que le contexte chronologique a été éclairé.

24 Liber pontificalis, 91, 18, p. 405.

25 Ce sceau a été édité sans photographie par V. Laurent, Le corpus des sceaux de l’empire byzantin. V, 1-3, L’Église, Paris, 1963-1972, n o 885 ; j’ai pu l’étudier directement et en assurer la datation en travaillant au musée Paolo Orsi de Syracuse où il est conservé sous le numéro d’inventaire 6886.

26 Voir Théophane le Confesseur, p. 404.

27 Je n’entre pas ici dans le débat sur la nature des commerciaires. Je me suis exprimé sur ce point à plusieurs reprises, la dernière fois dans V. Prigent, « La circulation monétaire en Sicile (VIe -VIIe siècle) », The Insular System of the Early Byzantine Mediterranean, éd. E. Zanini, Oxford (BAR Int. Ser., 2523), 2013, p. 139-160, et plus récemment, avec davantage de précision, dans V. Prigent, « The Mobilisation of Tax Resources in the Byzantine Empire (Eighth to Eleventh Centuries) », éd. J. Hudson et A. Rodriguez, Diverging Paths ? The Shapes of Power and Institutions in the Medieval Christian and Islamic Worlds, Leyde, 2014, p. 182-229. Outre la fondamentale mise au point de Brandes, Finanzverwaltung in Krisenzeiten, p. 239-418, on consultera avec profit les mises à jour offertes dans F. Montinaro, « Les premiers commerciaires byzantins », dans Constructing the Seventh Century, éd. C. Zuckerman, Travaux et Mémoires, 17, 2013, p. 351-538, dont l’auteur offre également bien des pistes de réflexion nouvelles. J’avoue avoir du mal à le suivre dans son analyse du glossaire gréco-latin (p. 392-393), même si au final, je serais d’accord pour dire que les commerciaires seraient des « marchands en gros » (p. 417) ; toutefois, je replace l’activité des commerciaires dans un cadre monétaire totalement différent, ce qui m’amène à préciser que j’entends par « marchand en gros » des individus effectuant des achats pour le compte de l’État. En revanche, selon moi, la redatation proposée des bulles de Justinien II (p. 424-426) doit être abandonnée car elle ne tient pas compte du témoignage du monnayage lombard qui imite le monnayage au Christ de Justinien II avant la date à laquelle l’auteur souhaite le voir introduit à Constantinople. Voir sur ce point, C. Morrisson et V. Prigent, « L’empereur et le calife (690-695). Réflexions à propos des monnayages de Justinien II et d’Abd al-Malik », dans Hommages à Georges Tate, Lyon (Supplément à Topoi), 2013, p. 571-592. Par ailleurs, pour une période antérieure, C. Zuckerman, « Silk “Made in Byzantium” : A Study of Economics Policies of Emperor Justinian », dans Constructing the Seventh Century, p. 323-350, notamment p. 344-346, l’analyse tout à fait révolutionnaire et pleinement convaincante que donne l’auteur d’une pièce pourtant très connue sur laquelle il faudra maintenant lire la mention d’une femme commerciaire. Je ne suis pas certain toutefois que le modèle mis en lumière pour la fin du VIe siècle puisse être projeté sur la fin du VIIe siècle.

28 Date du premier sceau de βασιλικὰ κομμέρκια (Brandes, Finanzverwaltung in Krisenzeiten, nos 211 et 212), le dernier sceau mentionnant une apothèque datant de l’indiction précédente ( ibidem, no 203a).

29 Prigent, « Les empereurs isauriens et la confiscation des patrimoines pontificaux », p. 571-573. Pour le système fiscal, A. Nef et V. Prigent, « Contrôle et exploitation des campagnes en Sicile : le rôle du grand domaine et son évolution du VIe siècle au XIe siècle », Late Antiquity and Early Islam : Continuity and Change in the Mediterranean and Arabia. I, Authority and Control in the Countryside, éd. P. Sijpejstein, Leyde (à paraître chez Brill).

30 Zuckerman, « Learning from the Enemy », p. 97.

31 Pour une présentation du système de pouvoir des papes en Sicile et de la place qui tient l’intervention dans le système de la perception des taxes, voir V. Prigent, « La Sicile byzantine, entre papes et empereurs (6e -8e siècle) », Zwischen Ideal und Wirklichkeit : Herrschaft auf Sizilien von der Antike bis zur Frühen Neuzeit, éd. D. Engels, L. Geis et M. Kleu, Stuttgart, 2009, p. 201-230.

32 Dans ce cadre, je reconnais avec empressement le bien-fondé de la remarque de Constantin Zuckerman selon laquelle il aurait été absurde pour l’État de laisser les revenus des patrimoines siciliens alimenter les caisses des papes lorsque ceux-ci étaient en rébellion ouverte (Zuckerman, « Learning from the Enemy », p. 97). Toutefois, bloquer ponctuellement des revenus n’est pas saisir des biens et l’on peut parfaitement admettre que tel fut le cas. Mais, plus largement, conforter la chronologie de Théophane nous ramène à une période de rapprochement entre l’empire et la papauté car Grégoire II tenta à la fin de son pontificat de restaurer de bonnes relations avec l’empire comme en témoigne son attitude face au soulèvement de Tibère Pétasios. Que les actes du synode romain de 732 ne mentionnent pas le nom des empereurs ne pose pas problème puisque nous sommes au lendemain des mesures qui réactivèrent certainement l’hostilité des pontifes romains à l’égard de Constantinople.

33 Voir N. Oikonomidès, Fiscalité et exemption fiscale à Byzance (IXe -XIe s.), Athènes (Fondation Nationale de la Recherche Scientifique. Institut de Recherches Byzantines. Monographies, 2), 1996.

34 Ainsi, on cherchera en vain une référence à cette fonction dans le portrait d’ensemble du système financier byzantin des « siècles obscurs » que dresse Brandes, Finanzverwaltung in Krisenzeiten. Parmi les sceaux les plus anciens, toutefois, G. Zacos et A. Veglery, Byzantine Lead Seals, Bâle, 1972, 2341, pourrait être contemporain de la rédaction de Théophane. En revanche, la pièce 3220 (= Catalogue of Byzantine Seals at Dumbarton Oaks and in the Fogg Museum of Art. II, South of the Balkans, the Islands, South of Asia Minor, éd. J. Nesbitt et N. Oikonomidès, Washington DC, 1993, 22.1), dont la lecture me semble d’ailleurs mal assurée, date sans doute de l’époque amorienne. Je ne m’étends pas sur G. Schlumberger, Sigillographie de l’empire byzantin, Paris, 1884, p. 181, n o 6, en l’absence de photographie pour assurer la datation proposée (IXe siècle).

35 Brandes, Finanzverwaltung in Krisenzeiten, p. 198-205 ; Oikonomidès, Les listes de préséance, p. 313 ; G. Zacos et A. Veglery, Byzantine Lead Seals, 2241. Mieux vaut toutefois ne pas tirer argument, comme F. Marazzi, « Il conflitto fra Leone III Isaurico e il papato fra il 725 e il 723, e il “definitivo” inizio del medioevo a Roma : un’ipotesi in discussione », Papers of the British School at Rome, 59, 1991, p. 233, n. 3, de l’usage de ces verbes pour affirmer une simple opération de récupération des prérogatives fiscales de l’État, car J. Gascou, « Les grands domaines, la cité et l’état en Égypte byzantine (recherches d’histoire agraire, fiscale et administrative) », Travaux et Mémoires, 9, 1985, p. 14-19, a bien illustré la récupération du vocabulaire fiscal par les gestionnaires des domaines privés.

36 Théophane le Confesseur, p. 486 : l’empereur ordonne d’ἐποπτεύεσθαι πάντας (les propriétaires).

37 Le Confesseur met volontairement l’accent sur cet aspect des choses pour sa valeur polémique. On reviendra plus tard sur ce point.

38 Rappelons qu’au IXe siècle encore l’une des justifications données à l’invasion de la Sicile par les forces aghlabides fut de poursuivre les Africains qui s’étaient réfugiés dans l’île ; voir al-Mâlikî, trad. M. Amari, Biblioteca arabo-sicula, testi, Leipzig, 1857, réed. 1982, XXVIII, p. 307.

39 A. Guillou, « Transformations des structures socio-économiques dans le monde byzantin du VIe au VIIIe siècle », Zbornik radova vizantološkog instituta, 19, 1980, p. 75 ; voir également A. Guillou, Economia e società. La civiltà bizantina dal IV al IX secolo. Aspetti e problemi, Bari (Corsi di studi del Centro di studi bizantini del Università di Bari, 1), 1977, p. 403.

40 The Chronicle of Theophanes, p. 568, n. 3.

41 Voir Prigent, « La Sicile byzantine, entre papes et empereurs ».

42 Vie de Jean V (23 juillet 685-2 août 686) : alias divales iussiones relevans annonocapita patrimoniorum Siciliae et Calabriae non parva, sed et coemptum frumenti similiter vel alia diversa quae ecclesia Romana annue minime exurgebat persolvere ( Liber pontificalis, 84, 2, p. 366) ; Vie de Conon (21 octobre 686-21 septembre 687) : Justinien II relevavit per sacram iussionem suam ducenta annonocapita a quas patrimonius Brittius et Lucaniae annue persolvebat ( ibidem, 85, 3, p. 369).

43 Son explication des événements est assez complexe, voir F. Burgarella, « Le terre bizantine (Calabria, Basilicata e Puglia) », Storia del Mezzogiomo, 2-2, Naples, 1989, p. 438-446.

44 Zuckerman, « Learning from the Enemy », p. 85-86.

45 Brubaker et Haldon, Byzantium in the Iconoclast Era, p. 81 et n. 44.

46 Cosentino, « Politica e fiscalità nell’Italia bizantina », p. 87, préfère prudemment ne pas prendre parti, envisageant « che Leone impose o innalzò la tassa di capitazione in Calabria e Sicilia ». J’avoue en revanche ne pas bien comprendre la phrase « oppure, che la [la capitation] innalzasse da un rapporto da 1 a 4 a un rapporto da 1 a 3 ».

47 M. V. Anastos, « Leo III’s Edict against the Images in the Year 726-727 and Italo-Byzantine Relations between 726 and 730 », Byzantinische Forschungen, 3, 1968, p. 38.

48 The Chronicle of Theophanes, p. 568, n. 3.

49 J.-M. Martin, E. Cuozzo, S. Gasparri et M. Villani, Regesti dei documenti dell’Italia meridionale 570-899, Rome (Sources et documents d’histoire du moyen âge, 5), 2002, n o 250, p. 151.

50 Marazzi, Il conflitto fra Leone III Isaurico e il papato, p. 232.

51 Prigent, « Les empereurs isauriens et la confiscation des patrimoines pontificaux », p. 569.

52 Brandes, Finanzverwaltung in Krisenzeiten, p. 377 : « Er belegte ein Drittel der Bevölkerung von Sizilien und Kalabrien mit einer Kopfsteuer ».

53 Zuckerman, « Learning from the Enemy », p. 80-84.

54 Oikonomidès, Fiscalité et exemption fiscale, p. 158.

55 Ibidem, p. 157.

56 J. Gascou, « Les privilèges du clergé d’après la Lettre 104 de S. Basile », Revue des sciences religieuses, 71, 1997, p. 189-204.

57 Zuckerman, « Learning from the Enemy », p. 84. Je note toutefois que le sens de census au IVe siècle peut soutenir cette position (J.-M. Carrié, « Dioclétien et la fiscalité », Antiquité tardive, 2, 1994, p. 38-39), mais la distance chronologique est considérable et ce constat ne change rien aux objections qui vont suivre.

58 Agnellus von Ravenna. Liber Pontificalis, éd. et trad. C. Nauerth, Fribourg-en-Brisgau (Fontes christiani, 21, 1), 1996, 115, p. 426, l. 13-16.

59 En ce sens, je ne serais pas prêt à suivre Cosentino, « Politica e fiscalità nell’Italia bizantina », p. 49, qui préfère voir dans le censum les impôts personnels et, donc, se rapproche de l’opinion formulée par Constantin Zuckerman, même s’il ne défend pas l’idée d’une exemption générale du clergé. On pourrait à la limite envisager une solution acrobatique : que l’exemption porte bien sur la capitation et que le privilège tienne à son extension à l’ensemble du clergé, actif ou non. Mais comme on va le voir, une réflexion plus générale nous dispense de cet exercice périlleux.

60 Théophane le Confesseur, p. 486, l. 29-487, l. 2.

61 On reviendra plus avant sur cette distinction.

62 Voir l’analyse de ce passage dans N. Oikonomidès, « De l’impôt de distribution à l’impôt de quotité à propos du premier cadastre byzantin », Zbornik radova vizantološkog instituta, 26, 1987, p. 14-16.

63 M. Kaplan, Les hommes et la terre à Byzance du VIe au XIe siècle. Propriété et exploitation du sol, Paris (Byzantina Sorbonensia, 10), 1992, p. 291-292 et p. 547, « […] les mesures imaginées par Nicéphore doivent être prises pour ce qu’elles sont : une opération interne aux finances et aux terres publiques » (citation p. 292).

64 Puisque bien évidemment, il y a une corrélation stricte entre la valeur d’une terre et la densité de peuplement, selon le principe qui veut qu’il n’y ait de richesse que d’hommes.

65 On revient plus bas sur cette question, voir pour l’estimation, D. M. Metcalf, « Monetary Recession in the Middle Byzantine Period : The Numismatic Evidence », Numismatic Chronicle, 161, 2001, p. 119.

66 On considérant l’ensemble des kômètika, astika et de l’ ousia de l’ex éparque Julianos, C. Zuckerman, Du village à l’empire. Autour du registre fiscal d’Aphroditô (525/526), Paris (Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance. Monographies, 16), 2004, p. 222.

67 En considérant que l’État prélève une somme globalement égale à la rente du propriétaire ce qui est bien attesté pour Ravenne dans la seconde moitié du VIIe siècle et devient la norme à l’échelle de l’empire à l’époque mésobyzantine.

68 Voir sur ce point, J. Lefort, « The Rural Economy, Seventh-Twelfth Centuries », The Economic History of Byzantium : From the Seventh through the Fifteenth Century, éd. A. E. Laiou, Washington DC (Dumbarton Oaks Studies, 39), 2001, p. 300-305.

69 Sur une superficie de 25.000 km², on compte en Sicile 15 % de plaines et 60 % de collines pour 25 % de montagne, soit une superficie utilisable de 1,8 millions d’hectares. Au début du XXe siècle, les superficies effectivement en culture étaient de 1,5 millions d’hectares.

70 Voir le classique G. Fasoli, « Sul Patrimonio della Chiesa di Ravenna in Sicilia », Felix Ravenna, 4e série, 117, 1, 1979, p. 69-75.

71 J’ai abordé de façon plus approfondie ces problèmes dans Prigent, La Sicile byzantine (VIe -Xe siècle), p. 346-512.

72 C. Morrisson, J.-N. Barrandon et J. Poirier, « Nouvelles recherches sur l’histoire monétaire byzantine : évolution comparée de la monnaie d’or à Constantinople et dans les provinces d’Afrique et de Sicile », Jahrbuch der Österreichischen Byzantinistik, 33, 1983, p. 267-286 et mes remarques dans V. Prigent, « Monnaie et circulation monétaire en Sicile du VIIIe siècle à l’avènement de la domination musulmane », L’héritage byzantin en Italie. II, Les cadres juridiques et sociaux et les institutions publiques, éd. J.-M. Martin, A. Peters-Custot et V. Prigent, Rome, 2012 (Collection de l’École française de Rome, 461), p. 404-407.

73 Voir la description du système d’évaluation de la « valeur fiscale » de chaque contribuable dans Oikonomidès, Fiscalité et exemption fiscale, p. 67-72.

74 Pour une présentation du système, Carrié, « Dioclétien et la fiscalité », p. 37-47.

75 Et ce quand bien même, il peut être perçu à part, avec donc une plus grande autonomie. Le rapport entre les deux éléments du système varie selon les provinces, voir Carrié, « Dioclétien et la fiscalité ».

76 Carrié, « Dioclétien et la fiscalité », p. 41 ; voir également p. 44 les réflexions sur CTh XI. 16.4.

77 Oikonomidès, Fiscalité et exemption fiscale, p. 72.

78 Zuckerman, « Learning from the Enemy », p. 83-84. L’auteur me semble également glisser un peu rapidement sur une difficulté. En effet, seu est ici entendu comme indiquant une équivalence, alors même que plus bas dans le même article il insiste que le fait que ce terme implique une juxtaposition d’éléments distincts (p. 118 n. 123 : à propos de l’interprétation à donner de la liste des commandements de la iussio de Justinien II, « Antoniadis-Bibicou believes, moreover, that the conjunction seu introduces an alternative description of the previously named formations : “ ex Cabarisianis et Septensianis, seu de Sardinia atque de Africano exercitu, deux expressions qui définissent parallèlement la même chose, d’une part d’après le siège, bien déterminé, et, d’autrepart, d’après la circonscription géographique plus large, p. 67”. Yet this figure of style would be out of place in the context, and it seems to me obvious that the conjunction seu is here part of a straightforward enumeration ( cf. the laconic entry in the new Niermeyer, Leiden/Boston 2002, p. 1263 : “ seu : et – and – und”). ». Pourtant, l’auteur semble bien voir dans le terme l’indication d’une équivalence dans le passage du Liber pontificalis et ce choix me semble en effet s’imposer puisque que l’on trouve dans le membre de phrase précédent l’expression tales afflictiones posuit populo seu habitatoribus vel possessoribus provinciarum qui ne peut se comprendre que dans ce sens. Le point n’est pas que de détail comme on va le voir.

79 Voir les importantes remarques sur les origines de la capitation musulmane formulées par A. Papaconstantinou, « Administering the Early Arab Empire : Insights from the Papyri », Money, Exchange and the Economy in the First Century of Islam, éd. J. Haldon, Aldershot, 2008, p. 58-64.

80 Ibidem, p. 63.

81 Ibidem, p. 64.

82 L’expression renvoie à l’obligation de porter autour du cou un cordon scellé, Ch. F. Robinson, « Neck-Sealing in Early Islam », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 48, 3, 2005, p. 401-441.

83 Un point très important qui justifie pleinement le rapprochement essentiel établi par Zuckeman entre le Liber pontificalis et la documentation papyrologique.

84 Voir les listes d’attestations établies par I. Poll, « Die διάγραφον-Steuer im spätbyzantinischen und früharabischen Ägypteni », Tyche, 14, 1999, p. 237-274, qui ne lui permettent en fin de compte de repérer aucune tendance nette, signe probable d’une réalité fiscale en phase de transition. Pour l’ épiképhalaion protobyzantine, voir Carrié, « Dioclétien et la fiscalité », p. 51-55, « l’ épikephalaion, plus qu’un impôt, est un type d’assiette » (citation p. 51). Les unités de répartition sont redevables de sommes identiques, mais les contributions de chaque individu à la somme due par l’unité dont il relève varient. Seule la version urbaine – du moins à Oxyrhinchos – résulte en des paiements identiques pour des raisons qui ne tiennent pas directement à la logique fiscale.

85 Carrié, « Dioclétien et la fiscalité », p. 51-52.

86 Voir les remarques de N. Gonis, « Two Poll-Tax Receipts from Early Islamic Egypt », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 131, 2000, p. 150-151 pour la date : « Although none of them carries an exact date [they are dated by the indiction and they may all be assigned to the late seventh or, more likely, early eighth century on paleographical grounds] » ; et p. 152 : « Its earliest occurrence in a papyrus so far is possibly P. Apoll. 24.6, which may well date from 680 or 695 », et pour le sens p. 152, commentaire à la ligne 4 ; l’équivalence entre dapanè et coemptio dans les documents arabes a été présentée par Ruey-Lin Chang (voir Papaconstantinou, « Administering the Early Arab Empire », n. 35). Or, la procédure de coemption, pour peu qu’on la connaisse, suppose une répartition des exigences au prorata de l’impôt foncier, c’est-à-dire de la richesse des contribuables.

87 Voir p. 296, n. 4.

88 On s’expliquerait d’ailleurs ainsi au mieux le pluriel utilisé pour évoquer la capitation.

89 Il demeure tel même si l’on ignore dans quel mesure il fut levé de façon régulière à la période mésobyzantine : voir la présentation du débat dans J. Starr, The Jews in the Byzantine Empire (641-1204), New York, 1970, p. 11-18. Je dois dire que je ne peux me rallier à son interprétation du passage de Grégoire Abestas vantant la situation du Juif converti et par là-même libéré des taxes. Il est inimaginable que la conversion ait permis d’échapper à la taxation commune, faisant des néo-convertis des citoyens extraordinairement privilégiés, sans même évoquer l’idée déraisonnable que Basile Ier ait fait de tous les convertis des membres « of the priviledged class which drew an income from the state and paid no taxes » (p. 13). De même, le passage d’Ibn Khordadhbey mentionné ne fait pas référence au kapnikon mais à la strateia (H. Ahrweiler, « Recherches sur l’administration de l’empire byzantin aux IXe -XIe siècle. Index », Bulletin de correspondance hellénique, 84, 1960 [repris dans Eadem, Recherches sur les structures administratives et sociales de Byzance, Londres, 1971, VIII], p. 18 et n. 3) et dès lors l’opposition se comprend avec la taxe payée par les Juifs qui n’ayant pas accès au service public ne pouvait être astreint à la strateia.

90 Théophane le Confesseur, p. 482.

91 J. Maspéro, Catalogue général des antiquités égyptiennes du musée du Caire. Papyrus grecs d’époque byzantine, Le Caire, 1913, no 151.89.

92 Pour tout ce qui va suivre, on trouvera les données de base dans Morrisson, Barrandon et Poirier, « Nouvelles recherches ». J’ai expliqué cette modification métrologique par le double souhait d’assurer l’étalonnage du solidus sicilien sur les monnaies d’or de même valeur nominale émises en Italie sans pour autant altérer l’alliage qui assure la commode refrappe en Orient du produit des impôts siciliens : Prigent, « Monnaie et circulation monétaire en Sicile », p. 394.

93 Pour l’histoire de la conquête musulmane de l’Afrique byzantine, on consultera désormais, avec prudence, W. E. Kaegi, Muslim Expansion and Byzantine Collapse in North Africa, Cambridge-New York, 2010.

94 L’analyse de la monnaie de Léon III a été effectuée par W. Oddy qui malheureusement n’identifie pas la pièce : W.A. Oddy, « The Debasement of the Provincial Byzantine Gold Coinage from the Seventh to the Ninth Century », Studies in Early Byzantine Gold Coinage, éd. W. Hahn et W.E. Metcalf, New York (Numismatic Studies, 17), 1988, p. 140. Étant donné que la gravité spécifique postule un alliage bimétallique, ce qui n’était certainement pas le cas, l’aloi devait être encore un peu inférieur.

95 Prigent, « Monnaie et circulation monétaire en Sicile », p. 404-407.

96 Ceci bien entendu sans préjuger de la façon dont la reformulation de la documentation fiscale s’articula avec le mouvement général des prix. Il s’agit là d’un problème parallèle qui n’entre pas en ligne de compte pour juger des objectifs et des moyens de la réforme décidée par Léon III.

97 Théophane le Confesseur, p. 413, sous l’année 6232 (739/740). La dureté de l’empereur envers la Crète me semble répondre à la révolte des Helladikoi que je pense liée au démembrement du commandement du stratège des Carabisiens dont le nouveau ressort m’apparaît se recentrer sur cette île. Voir V. Prigent, « Notes sur l’évolution de l’administration byzantine en Adriatique (VIIIe-IXe siècle) », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 120, 2, 2008, p. 394-398.

98 Le raisonnement n’est nullement circulaire puisque nous n’avons pas jusqu’ici tiré argument de la réforme monétaire pour dater la modification des juridictions et que celle-ci n’a aucune incidence sur la démonstration de la réalité de la modification de l’étalon monétaire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vivien Prigent, « Un confesseur de mauvaise foi. Notes sur les exactions financières de l’empereur Léon III en Italie du Sud »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 28 | 2014, 279-304.

Référence électronique

Vivien Prigent, « Un confesseur de mauvaise foi. Notes sur les exactions financières de l’empereur Léon III en Italie du Sud »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 28 | 2014, mis en ligne le 31 décembre 2017, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13750 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13750

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Auteur

Vivien Prigent

CNRS – UMR 8167 Orient et Méditerranée, Paris Newton International fellowship Alumnus (British Academy)

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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