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Difficile liberté

Franc Vouloir, de la notion éthique à la figure poétique (XIIIe-XVe siècles)
Florence Bouchet
p. 287-312

Résumés

Dans les derniers siècles du Moyen Âge, l’écriture allégorique contribue à l’exploration psychique et éthique de l’individu. Cet article étudie la figure de Franc Vouloir, personnification du libre arbitre individuel, dans un ensemble de textes littéraires des XIIIe-XVe siècles. Ses linéaments philosophiques sont d’abord retracés à travers le débat scolastique qui se noue au XIIIe siècle sur la question de la liberté et de la responsabilité morale, débat dont la littérature française vul­garise les grandes lignes du XIIIe au XVe siècle, d’abord sous un angle conceptuel (Jean de Meung) puis sous la forme poétique de la personnification de Franc Vouloir, récurrente chez Eustache Deschamps ou parfois relayée dans le théâtre des moralités par Franche Volonté ou Franc Arbitre. Le choix de vie incarné par Franc Vouloir concerne également la vie sentimentale, dans le cadre du mariage ou de l’amour courtois, où il devient d’autant plus problématique qu’il s’agit de conjoindre deux libertés individuelles en un couple. Enfin, Franc Vouloir devient une figure émergente de l’intentio auctoris dans plusieurs textes du XVe siècle.

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Texte intégral

  • 1 J. Cerquiglini, « Le nouveau lyrisme (XIVe-XVe siècles) », Précis de littérature française du Moyen (...)
  • 2 Voir J. Cerquiglini, « Un engin si soutil ». Guillaume de Machaut et l’écriture au XIVe siècle, Par (...)
  • 3 Je me permets de signaler mes travaux : sur Pensée, « Charles d’Orléans, le penseur dans le labyrin (...)
  • 4 Pour une synthèse sur ce point longuement débattu par les historiens, voir P. Bonnassié, « Liberté (...)

1Dans une étude fondamentale sur le « nouveau lyrisme » des XIVe et XVe siècles, Jacqueline Cerquiglini a mis en évidence que « le je se dédouble ou se fend1 », faisant surgir une véritable polyphonie au sein du poème. Cet avis fécond engage plus largement (hors lyrisme) l’exploration et l’expression de la subjectivité individuelle à la fin du Moyen Âge, dans son rapport à un monde en mutation. Il n’est plus seulement question de réinvestir le schéma classique de la psychomachie à l’aide de personnifications destinées à décrire la vie sentimentale (Amour, Raison, Espérance, Tristesse, etc.). La littérature, chambre d’écho de l’enseignement scolastique, convoque des figures plus « subtiles2 » qui analysent la vie de l’esprit : ainsi de Pensée chez Charles d’Orléans ou d’Entendement dans la production allégorique des XIVe et XVe siècles3. Une autre notion cruciale dans l’examen de l’existence humaine (et en quelque sorte cousine de la précédente) a fini par s’incarner, c’est Franc Vouloir, personnification du libre arbitre individuel, que je me propose d’étudier ici. À partir du XIIIe siècle, la question de la liberté est au cœur d’un profond débat d’idées qui ne s’est pas cantonné à l’Université. Ce n’est pas la dimension sociale et juridique4 de la question qui intéresse les clercs, mais son fondement ontologique et ses conséquences éthiques, à une époque où le moyen français s’enrichit (sous l’impulsion, notamment, des traducteurs du latin) de mots relatifs à la vie psychique et intellectuelle. La notion de « franc vouloir » doit donc d’abord être resituée dans la pensée philosophique et la vulgarisation qu’en propose la littérature à partir des années 1270. On verra ensuite que Franc Vouloir devient un acteur du débat à travers lequel la courtoisie en crise s’interroge sur sa propre validité. Enfin, il commence à incarner la volonté de l’auteur en quête d’auctoritas.

Un concept nécessaire à l’évaluation de la responsabilité éthique de l’homme

  • 5 Voir J.-Y. Tilliette introduction à Boèce, La Consolation de Philosophie, éd. C. Moreschini et trad (...)
  • 6 Tout ce paragraphe ne peut donner qu’une idée extrêmement sommaire du débat philosophique qui se dé (...)
  • 7 C’est la thèse de la gratia cooperans, reprise, entre autres, par saint Bernard de Clairvaux et sai (...)
  • 8 Thomas d’Aquin, Somme théologique, 1re partie, question 83, trad. A.-M. Roguet, Paris, Éd. du Cerf, (...)
  • 9 Voir Brunetto Latini, Li Livres dou Tresor, éd. F. J. Carmody, Genève, Slatkine, 1975, p. 178 (chap (...)

2Quoique probablement incomplète, mon enquête repère les premières attestations littéraires du « franc vouloir » sous la plume de Jean de Meung, c’est-à-dire à une époque où philosophes et théologiens sont engagés dans un débat de fond pour savoir si l’action humaine est libre ou déterminée, débat doctrinal vif et complexe dont un moment s’est cristallisé autour des condamnations formulées par l’évêque de Paris, Étienne Tempier, en 1270. Boèce, commentateur chrétien d’Aristote, était depuis longtemps lu et proposait dans la Consolation de Philosophie (livre V, prose 6) de concilier prescience divine et libre arbitre humain par la théorie de la double nécessité5. C’était une autre affaire d’introduire dans l’enseignement universitaire un païen tel qu’Aristote, susceptible de menacer les arts libéraux supposément inféodés à la théologie. Interdits en 1210 par l’archevêque de Sens et l’évêque de Paris, puis en 1215 par le Pape, les livres de philosophie naturelle d’Aristote entrent néanmoins au programme de la Faculté des arts le 19 mars 1255. L’étude d’Aristote, complétée par le commentaire d’Avicenne et d’Averroès, entraîne les maîtres dans une controverse avec les théologiens. Le conflit de l’aristotélisme et de l’augustinisme est un raccourci6, certes, mais commode pour rappeler l’enjeu crucial du débat : pour Aristote, le bien suprême (et avec lui la liberté) réside dans l’exercice de l’intellect, tandis que la doctrine augustinienne du péché repose sur la volonté de l’homme, capable de choisir le mal au lieu du bien s’il n’est pas secouru par la grâce divine7. Saint Thomas d’Aquin opère la synthèse dans la question de la Somme théologique consacrée au libre arbitre : l’homme jouit du libre arbitre du fait qu’il est doué de raison et avec l’aide de Dieu8. Dans quelle mesure le jugement, fondement du choix, est-il déterminé par le monde sensible ou l’influence des astres ? L’âme, immatérielle, et l’exercice de sa « puissance raisonnable9 », propre à l’homme, ne libèrent-ils pas celui-ci de l’emprise de la matière ? D’un point de vue théologique, il faut bien préserver le libre arbitre de l’homme pour que soient justifiés son salut ou sa damnation. Mais saint Paul est toujours là pour rappeler la faiblesse de l’homme sous l’emprise du péché, tiraillé entre la chair et l’esprit :

  • 10 Rm 7, 18-20 ; trad. TOB.

vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, ce n’est pas moi qui agis, mais le péché qui est en moi10.

  • 11 Voir A. de Libera, La philosophie médiévale, Paris, PUF, 1989, p. 101.

3On le voit, psychologie, éthique et théologie sont inextricablement liées dans l’examen du problème soulevé par le libre arbitre11.

  • 12 Ce long développement occupe les v. 17063-17878 du Roman de la Rose, éd. A. Strubel, Paris, LGF, 19 (...)

4C’est dans ce contexte que Jean de Meung, par la bouche de Nature et en s’inspirant de Boèce, démontre que la prédestination et le libre arbitre sont conciliables, la prescience divine ne dépossédant pas l’homme de sa liberté12. « Tuit homme oevrent par franc voloir / Soit pour joïr ou pour doloir » (v. 17495-17496), et aucune cause universelle ne peut faire peser sur eux un déterminisme absolu, pour peu qu’ils usent de « bon entendement » (v. 17716) :

Car frans vouloirs est si poissanz,
S’il est de soi bien connoissanz,
Qu’il se peut touz jors garentir,
S’il puet dedenz son cuer sentir
Que pechiez vueille estre ses mestres
Comment qu’il aut des cors celestres. (v. 17577-17582)

5La notion de « franc vouloir » n’est jamais personnifiée dans le Roman de la Rose ; cependant les vers cités ci-dessus lui confèrent la puissance d’un abstractum agens. Elle reste aussi un concept dans le Livre du Chevalier errant de Thomas de Saluces (fin du XIVe siècle), qui retrace une quête allégorique du sens de la vie menant à un long exposé de Connaissance, laquelle explique au Chevalier :

  • 13 Tommaso III di Saluzzo, Il Libro del Cavaliere Errante (BnF ms. fr. 12559), M. Piccat (dir.), éd. L (...)

Dieux t’a donné franche voulanté pour ce que tu aymez salvacion et que tu haÿes dampnacion, car ainsi comme Dieux a donné a ton corps tous les membrez qui appartiennent a corps d’omme, et a donné a l’arme toutes les puissancez qui a l’arme sont couvenablez, aussy Dieux donne a ton franc vouloir tout ce que appartient a desirer a salvacion et haïr dampnacion, pour ce que desirez salvacion par le don et largece de Dieu glorieux13.

  • 14 « Filz, en ta arme puez sentir franche voulenté, laquelle Dieu a donné a ton courage pour ce que tu (...)

6Conformément à la doctrine augustinienne, la grâce divine favorise le progrès de l’homme vers son salut, mais celui-ci reste libre de son choix de vie14. La faculté d’élire le bien ou le mal correspond au premier degré de « franchise », que frère Laurent, dans la Somme le Roi (1279), nomme « de nature » :

  • 15 La Somme le Roi par frère Laurent, éd. É. Brayer et A.-F. Leurquin-Labie, Paris, SATF, 2008, p. 190 (...)

La premiere est franche volonté par quoi il [l’homme] puet eslire et fere franchement et le bien et le mal. Ceste franchise il tient de Dieu franchement, que nus ne li en puet tort fere, ne tuit li deable d’enfer ne pourroient volenté d’omme forçoier a fere un pechiez senz son accort, car se homme fesoit le mal dou tout maugré suen, il n’avroit point de pechié, car nus ne peche en ce que eschiver ne puet, si com dit saint Augustins15.

  • 16 Nature fait référence aux laïcs et aux clercs à plusieurs reprises : Roman de la Rose, éd. Strubel, (...)
  • 17 C’est l’un des sept dons du Saint-Esprit dans les listes canoniques de l’enseignement doctrinal.
  • 18 Badel, Le Roman de la Rose au XIVe siècle, p. 132.
  • 19 Id., p. 249.
  • 20 Id., p. 377.
  • 21 Martin Le Franc, Le Champion des Dames, éd. R. Deschaux, Paris, Champion, 1999, t. II, citations au (...)

7Ces quelques relais textuels manifestent la puissance de médiation culturelle entre clercs et laïcs que revêt alors la littérature : le Roman de la Rose16 et le traité du frère dominicain ont diffusé les grandes lignes du débat scolastique jusqu’à un écrivain amateur, Thomas de Saluces, qui n’a pas reçu de formation cléricale mais a beaucoup lu. Dans le sillage du Roman de la Rose, plus d’un texte réaffirme l’inaliénabilité de la « franche volonté » de l’homme qui, associée au don d’entendement17, rend l’homme responsable de ses péchés. Dans la littérature du XIVe siècle, P.-Y. Badel retrouve des développements consacrés à cette idée dans un songe anonyme (« Le temps qui est passé »)18, dans Renard le Contrefait19, dans le Roman des Deduis20. En 1442, Le Champion des Dames de Martin Le Franc se fait encore l’écho du même raisonnement. Nature admoneste les hommes pécheurs en leur rappelant leur responsabilité : « Vos ames sont en vostre main, / Vous les pouez perdre ou sauver » ; il n’est que d’« User de france volonté », confortée par le puissant « franc arbitre » et l’« engin » dont Dieu a doué tout homme21. À la même époque, la ballade prononcée par Sens (à la suite de Franchise) dans le Psautier des vilains de Michault Taillevent détaille les vertus qui aident l’individu à choisir le bien :

  • 22 Un poète bourguignon du XVe siècle, Michault Taillevent. Œuvres, éd. R. Deschaux, Genève, Droz, 197 (...)

Car ou Honneur a dominacion,
Villonie n’Abominacion
Ne puet manoir ne nulle chose infame
Qui tiengne ung cuer en sa subgection
Mais Franc Volloir, Noble Condition,
Gentillesse, plus souefve que basme ;
Il n’y remaint d’aultres, homme ne fame22.

8Le dernier vers cité invite à maintenir le choix éditorial des majuscules personnifiantes pour Franc Vouloir et ses pairs, mais ils restent, dans le poème, à l’état de concepts.

  • 23 J.-P. Boudet parle même d’une « vedette » dans Eustache Deschamps en son temps, éd. J.-P. Boudet et (...)

9Franc Vouloir devient une personnification récurrente23 dans les poésies d’Eustache Deschamps. Plusieurs ballades affirment que Franc Vouloir est capable de résister à l’influence des astres :

  • 24 Œuvres complètes [OC] d’Eustache Deschamps, éd. M. de Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, Paris, (...)

Aucunes gens sont des cieuls ordonnez,
Les aucuns mal, autres selon droiture
Par les signes qui leur sont destinez
Ausquelz ilz sont plus enclins de nature ;
Mais Franc Vouloir leur toult la couverture
Des cours du ciel, tant est de grant valour,
En resistant ; selon vraie escripture,
Je tien que Dieux fait tout pour le meillour24.

  • 25 Id., Chant royal 372, v. 3, t. III, p. 123.
  • 26 Id., Chant royal 383, v. 36, t. III, p. 148.
  • 27 Id., Ball. 289, v. 19, t. II, 1880, p. 144 ; dans cette ballade, « franc vouloir » est une capacité (...)
  • 28 Id., Chant royal 367, v. 19-20, t. III, p. 111. La strophe 2 expose le motif bien connu du bivium.
  • 29 Id., Ball. 286, v. 12, t. II, p. 140 (majuscules discutables : « franc vouloir » peut être un simpl (...)
  • 30 Id., Ball. 286, v. 10 et 15, t. II, p. 140-141.
  • 31 Id., Ball. 1140, v. 6-8, t. VI, 1889, p. 67. Voir aussi Ball. 289, v. 1-10, t. II, p. 144.

10L’hommage rendu à Dieu dans le refrain tient à ce que le libre arbitre (« Franc Vouloir que Dieux a nul ne vée25 ») est un don divin accordé à l’homme, qui se doit d’en bien user. Franc Vouloir, « arbitre de pensée26 », apparaît comme une puissance de discernement « qui fait Distinction27 » et permet de choisir le bien et d’éviter le mal : « Bien et mal est a chascun balancé, / Dont Franc Vouloir tient la queue et l’estrainte28 ». Ainsi Fortune peut être contrecarrée, « Par Franc Vouloir qui est en [l’homme] enté29 », mais à condition de se montrer sage et de ne pas abdiquer face à Fortune30. L’homme est donc responsable de son sort, de ses qualités comme de ses défauts, « car Frans Vouloirs ne puet / Soy excuser des vices ou d’onnours : / Nulz n’est vilains se du cuer ne li muet31 ». La conséquence théologique est clairement signifiée dans La fiction du lyon :

  • 32 Id., La fiction du lyon, v. 1148-1151 et 1285-1288, t. VIII, 1893. Autres occurrences de « franc vo (...)

Car aultrement ne vauldroit rien
Franc vouloir, qui sauve ou qui dampne,
Tout homme absoult ou le condempne
Selon ce qu’il en veult ouvrer :
[…]
Et se franc vouloir n’avoit lieu,
La cause de tout, c’est un dieu,
Ne seroit pas guerredonnant,
Ne mal ne merite donnant32.

11En effet, Franc Vouloir n’agit pas toujours sagement, car il représente aussi les passions spontanées de l’homme susceptibles de l’entraîner sur une mauvaise pente. Aussi Deschamps constate-t-il, dans une ballade dont le refrain révèle significativement que « L’en ne fait pas tout ce qu’om presche », que

  • 33 Id., Ball. 1193, v. 21-24, t. VI, p. 174.

Verité ne puet nullement
Avoir de fait cohercion
Sur Franc Vouloir, fors seulement
De blasmer sa folle action33.

12La réalité désenchantée du XIVe siècle donne à mesurer le hiatus entre théorie et pratique, qui rejoint le constat désolé de saint Paul : l’homme est doué de la liberté de choisir le bien, mais c’est le mal qui règne.

  • 34 Id., Ball. 1101, v. 17-24, t. VI, p. 4.

Car le mal n’a point de loien.
Puet il loier Franc Vouloir ? Non.
Si fait. Pour quoy ? C’est le moyen
Qui sauve ou dampne sanz pardon ;
Pour ce fist Dieux a homme don
Que chascun du droit benefice
De bien usast, mais regardon :
Au jour d’uy ne regne que vice34 !

  • 35 Badel, Le Roman de la Rose au XIVe siècle, p. 98.
  • 36 OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 1110, v. 31-32, t. VI, p. 19.
  • 37 Id., Ball. 1111, v. 5-6, t. VI, p. 20 ; témoignage d’un conservatisme social fréquent à l’époque.

13Le refrain est sans appel. Le moralisme amer de Deschamps est lié au contexte d’écriture ; « si le monde en cette fin du XIVe siècle est troublé par des crises politiques, religieuses et morales graves, la responsabilité des hommes est entière35 ». Franc Vouloir est en danger (« Entendement est failli / Quant Franc Vouloir est assailli36 »), dans un monde bestourné où le poète voit – dans une posture de témoin qui lui est chère – « Le serf franchir, lever le nice, / Et le noble franc asservir37 ». Sans repère fiable, l’exercice du libre arbitre n’a plus de sens :

  • 38 Id., Ball. 1111, v. 11-14, t. VI, p. 20.

Les loys sont en destruction ;
Il fault que Franc Vouloir perice,
Les.vii. ars, leur instruction,
Excepté celle ou est tout vice38.

  • 39 Voir id., Ball. 275, t. II, p. 123-124.
  • 40 Id., Lay de franchise, v. 285 et 298, t. II, p. 213.
  • 41 Id., Refrain du Chant royal 315, t. II, p. 1-3. On saisit là l’ambivalence de « Franc Vouloir » qui (...)
  • 42 Ballade des « Contredits de Franc Gontier », Testament, v. 1473-1506, dans F. Villon, Poésies, éd. (...)
  • 43 Voir OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 82, t. I, p. 185-186, et (...)

14L’homme perd aussi son « franc vouloir » en s’aliénant par cupidité à la recherche effrénée de biens39, en sorte que la véritable liberté – et avec elle le bonheur – réside dans une vie modeste aux champs, autarcique mais éloignée des tentations, dont Robin résume le bénéfice en affirmant « J’ay franc vouloir sanz os et sanz arreste », « J’ay franc vouloir et bonne souffisance40 », « J’ay Franc Vouloir, le seigneur de ce Monde41 ». On reconnaît là l’idéal de vie proposé par Philippe de Vitry dans le « Dit de Franc Gontier » dans la seconde moitié du XIVe siècle et que confirmera (malgré le titre) Pierre d’Ailly à la fin du siècle dans les « Contredits de Franc Gontier », avant que Villon ne le tourne en dérision dans son Testament42. On rejoint aussi l’idéal social de moyen estat souvent vanté par Deschamps car il permet d’échapper aux vicissitudes de Fortune43, idéal aristotélicien vulgarisé par la traduction de la Politique par Nicole Oresme en 1372.

  • 44 OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 185, t. II, p. 1-2.

15Mais ailleurs Deschamps adopte un point de vue plus aristocratique et dépeint un petit peuple soumis au déterminisme astral, incapable de résister à ses mauvaises inclinations44. Comme le remarque J.-P. Boudet,

  • 45 « Franc Vouloir, l’astrologie et la divination chez Eustache Deschamps », Autour d’Eustache Descham (...)

Franc Vouloir représente donc un modèle de sagesse théoriquement proposé à tous, mais accessible en fait seulement à une petite élite socioculturelle, dont l’astronome-astrologue constitue, d’une façon paradoxale, le modèle le plus achevé45.

Le « franc vouloir » n’est pas une garantie en soi, il faut en user sagement pour espérer contrecarrer l’influence des planètes :

  • 46 OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Chant royal 372, v. 31-40, t. III, (...)

No nature est de legier encline
A ensuir les signes de lassus ;
Mais li saige, ce nous dit Tholomée,
es estoilles seigneurit de ça jus.
Resister puet, et est noble vertus,
A leur effect, et n’en faictes doubtance ;
Car puisqu’il a d’elles la congnoissance,
Il puet fuir leur male entencion,
Et convertir en bien leur mauveuillance
Par Franc Vouloir, selon m’oppinion46.

Deschamps allègue ici une sentence indûment attribuée à l’astronome et astrologue alexandrin Claude Ptolémée, qu’il a pu lire dans le Livre de divinacions (1356 ?) de Nicole Oresme :

  • 47 Cité par Boudet, « Franc Vouloir, l’astrologie et la divination », p. 31. Evrard de Trémaugon, dans (...)

Et a ce propos dit Ptholomee que un homme sage a seignourie sur les estoilles, c’est a dire que par sa prudence et par sa franche voulenté, il puet resister au mal qui est signifié par les estoilles47.

  • 48 Cité par Boudet, « Franc Vouloir, l’astrologie et la divination », p. 34.
  • 49 « Le débat du cœur et du corps de Villon », v. 35-37, dans F. Villon, Poésies, éd. Dufournet, p. 34 (...)
  • 50 OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 1155, v. 23, t. VI, p. 89.

16Cet avis est proche des vues de saint Thomas d’Aquin qui conclut, dans une question de la Somme théologique, que « l’homme sage domine les astres, en tant qu’il domine ses passions48 ». Villon, qui garde peut-être un souvenir imprécis de ses études, attribue l’idée à Salomon ; il la fait prononcer par son cœur pour réfuter le déterminisme dû à Saturne et prêcher une morale de la responsabilité49. La sagesse même ne peut protéger de tout : Deschamps, dressant la liste des héros fameux qui ne purent échapper à leur mort, note que Jules César « qui saige fut ne se sceut pas deffendre50 », ce qui amène le poète à limiter l’action de Franc Vouloir dans l’envoi. Sans doute faut-il distinguer le bien, que l’homme peut théoriquement toujours choisir, du malheur, qu’il ne peut toujours éviter. Une part de déterminisme naturel continue donc de s’exercer, malgré les efforts humains.

17Franc Vouloir, personnifié sous la plume de Deschamps, n’atteint cependant jamais le statut de personnage. C’est dans le théâtre des moralités que la personnification peut essentialiser la notion jusqu’à lui conférer une présence scénique. Deux pièces qui proposent un scénario instructif concernant la vie morale de l’homme et ses conséquences théologiques mettent en scène non pas Franc Vouloir (qu’on retrouvera dans une autre pièce) mais deux personnifications équivalentes quant au sens, Franche Volonté et Franc Arbitre. La moralité de Bien Advisé, Mal Advisé (1439 ?) est basée sur le double voyage de vie humaine. Franche Voulenté se présente à Bien Advisé en ces termes :

  • 51 Moralités françaises. Réimpression fac-similé de vingt-deux pièces allégoriques imprimées aux XVe e (...)

Je vous respons que l’on m’appelle
Par mon nom Franche Voulenté.
Dieu me forma et me fit dame
Des ames des que Adam fut né.
Par moy tout homme et toute femme
Certes est sauvé ou dampné ;
Tous biens et maulx sont fais par moy
Car je conseille et desconseille51.

À Bien Advisé qui lui demande ensuite si le diable peut contraindre à pécher un homme qui ne le voudrait pas, Franche Volonté répond catégoriquement que

  • 52 Id., p. 5.

Quant ung homme crestien est,
L’ennemy n’a sur luy puissance.
Pour certain, se il ne luy plaist
Et de sa bonne voulenté
Homme ne s’absente a mal faire52.

18Voici de nouveau posée la thèse de l’entière responsabilité de l’homme ; la volonté ne doit pas seulement être libre, mais bonne, pour aboutir au bien. Franche Volonté, en elle-même, reste foncièrement ambivalente :

  • 53 Id., p. 6.

Je ne vueil nul homme contraindre ;
Je suis une voulenté franche
Qui par force nul ne consomme.
Aussi n’ay je corne ne branche
De quoy heurter femme ne homme.
Qui veult faire son sauvement
M’a tantost tourné a sa corde
Et quant il veult son dampnement
Aussi voulentiers m’y accorde53.

  • 54 Id., p. 7.
  • 55 Id., p. 121.

19Franche Volonté montre ensuite aux deux protagonistes deux voies possibles : « le droit chemin », qu’empruntera Bien Advisé et qui le mènera, par la pratique des vertus et de la pénitence, jusqu’à Bonne Fin ; « le chemin senestre », voie de perdition qui mènera Mal Advisé à Malle Fin. Elle expose aussi bien les difficultés du premier chemin que le péril ultime de l’autre, mais laisse à chacun le choix : « Or en fay a ta voulenté54 ». C’est quand Bien Advisé s’est décidé qu’elle lui conseille de se rendre d’abord chez Raison, qui l’aidera. L’Omme pecheur (vers 1494), ample de près de 22 000 vers, affiche une ambition similaire à celle des grands mystères contemporains. La pièce évite le manichéisme simplificateur de la précédente en incarnant l’humanité au travers d’un seul personnage qui résiste d’abord aux tentations mondaines, puis cède au péché, avant de faire pénitence et d’assurer son salut. Au début, Charité, inquiète de ce que tout homme est « de legier courage / et mal pourveu de resistance55 », intercède auprès de Dieu, qui décide d’envoyer à sa créature un ange gardien et d’autres renforts :

  • 56 Id., p. 122.

L’adolescent luy et sa vie
Ordonneray en grant arroy
A celle fin qu’il ne devie
Mes commandements ne ma loy.
[…]
Car je veult qu’il tiengne la voye
D’Entendement et de Raison
[…]
Car de vous je foys donnoison
A l’adolescent seurement
Pour le regir entierement.
Vous yrés aussi, Conscience,
Franc Arbitre semblablement ;
Donnez luy confort et fiance56.

  • 57 Id., p. 124. « Je suis Roger Bon Temps, / Qui de tous suis contens ; / Ce qui t’est bon me plaist » (...)

20Les noms d’Entendement, Raison et Conscience signifient clairement leur statut d’adjuvant moral. Franc Arbitre, symptomatiquement « habillé en Rogier Bon Temps57 » comme l’indique une didascalie, est beaucoup moins fiable puisqu’il se contente d’acquiescer au désir de l’homme :

  • 58 Moralités françaises, éd. Helmich, t. I, p. 128.

Je suis ton franc arbitre,
Que de toy sois arbitre
A ton vouloir, et vis
Pour faire a ton devys
Tout selon ton advys,
Bien ou mal a ton choix58.

Il répète cette position laxiste jusqu’à sa dernière réplique :

  • 59 Id., p. 213. Voir aussi p. 129, 180, 192, 206.

Tout tel nom, tel fait et tel tyltre
Et tout au long a ton plaisir
Ainsi qu’il te vient a desir
Execute. J’en suis content :
Ton franc arbitre ne pretent
Si non accomplir ton souhayt59.

  • 60 Id., p. 128.

Il n’est en mesure de préserver le jeune homme d’« aucun exces60 », et sa seule remontrance à valeur catéchétique survient alors que l’homme est déjà devenu pécheur :

  • 61 Id., p. 156.

Pecheur, c’est par ta grant folye,
Je t’affie,
Qu’a labeur as subgection,
Car ton peché ad ce te lye
Et delye
Ta grande dominacion61.

  • 62 Id., p. 181. Voir aussi les dialogues p. 206-207, 211.

21Le grand problème, pour le chrétien, reste de discipliner sa volonté pour résister au péché. Les tentateurs de la pièce s’ingénient constamment à extorquer le consentement du pécheur, comme l’indique la didascalie « adonc il a pechié par consentement62 ».

  • 63 Franc Arbitre fait allusion aux paroles de « maint prescheur » qu’il a entendues (id., p. 180).

22On le voit, le théâtre des moralités est un relais certainement efficace de la prédication63, capable de proposer à un public populaire un catéchisme « par personnages ». Le ou les personnages incarnant l’humanité sur scène agissent comme des figures spéculaires du spectateur, qui sera amené à s’interroger à son tour sur son libre arbitre et ses choix de vie.

L’amour à l’épreuve de franc vouloir

  • 64 Badel, Le Roman de la Rose au XIVe siècle, p. 103. Je ne rappelle pas l’évolution de la doctrine du (...)

23La difficulté à choisir la bonne voie rejaillit sur la vie sentimentale. Franc Vouloir est ainsi le héros du Miroir de mariage de Deschamps. Il incarne le célibataire qui se demande s’il a intérêt à se marier. N’est-ce pas « la manière la plus sûre de perdre sa liberté64 » ?

  • 65 OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Miroir de mariage, v. 528-533, t. I (...)

Suis plus frans que l’oisel du rain,
Qui peut ou il lui plaist voler :
Aussi puis je par tout aller
Franchement et sansz nul lien.
Or veulent mon eage moien
Lier en puissance d’autrui65 !

  • 66 L. Kendrick, « Le Miroir de mariage : mode d’emploi », Eustache Deschamps, témoin et modèle. Littér (...)
  • 67 Kendrick, « Le Miroir de mariage : mode d’emploi », p. 103.
  • 68 On peut situer le Miroir de mariage entre les Lamentation de Matheolus traduites du latin par Jean (...)
  • 69 Voir Kendrick, « Le Miroir de mariage : mode d’emploi », p. 111-114 et L. Evdokimova, « Éthique, éc (...)
  • 70 Farce éditée dans le Recueil de farces françaises inédites du XVe siècle, éd. G. Cohen, Cambridge ( (...)

24Indécis, Franc Vouloir écoute conseils et admonestations, débat avec ceux (Folie, Désir, Servitude, Faintise) qui l’incitent à prendre épouse et Répertoire de Science qui lui conseille une autre voie. Laura Kendrick a mis en évidence que le Miroir de mariage expose « la bonne manière de prendre conseil et de prendre une décision », Franc Vouloir représentant « la capacité d’un individu à prendre une décision libre et raisonnée malgré ses pulsions ou les contraintes de la société66 ». Ce processus délibératif mène au rejet des noces charnelles et au choix des noces spirituelles prôné par la sagesse érudite qu’incarne Répertoire de Science. « La liberté d’esprit idéalisée par les pré-humanistes se paie du refus du monde, symbolisé par la femme ou, plus précisément, par le lien permanent du mariage et son résultat : le ménage67 ». Le moraliste plutôt aigri qu’est Deschamps – on l’a vu plus haut – est assez enclin au contemptus mundi ; son texte contribue à la tradition antiféministe qui alimente la satire du mariage68. Il a certainement tiré parti aussi de la traduction de l’Éthique et de la Politique d’Aristote réalisée entre 1370 et 1374 par Nicole Oresme pour Charles V, en particulier du développement sur la « continence » (maîtrise de soi)69. Par l’intermédiaire du traducteur, le poète devient un autre relais de la vulgarisation de la réflexion philosophique. Dans un registre plus léger, celui de la Farce de Regnault qui se marie à Lavollée, Franc Arbitre met en garde Regnault contre un mariage qui va le réduire en une pénible servitude ; en vain : Regnault se marie à Lavollée, c’est-à-dire « à la volée », sans réfléchir70.

  • 71 Le Champion des Dames, éd. Deschaux, t. I, v. 569-760. Ce cheval est probablement un souvenir de l’(...)
  • 72 Le Champion des Dames, éd. Deschaux, t. I, v. 761-920.

25La satire du mariage est liée à un vieux fonds de misogynie cléricale qui fournit une abondante matière à débat au sujet des femmes. Christine de Pizan, à partir de 1399 (Epistre au dieu d’Amours), s’est attachée à répondre avec force arguments et exemples aux diatribes célèbres de Jean de Meun dans la continuation du Roman de la Rose. Reprenant le procédé du songe-cadre, Martin Le Franc retrace dans Le Champion des Dames la guerre de Malebouche contre Amour et les dames. Le « champion » qui remportera la victoire en faveur de la cause féminine n’est autre que Franc Vouloir. Il apparaît monté sur un destrier impétueux, Ardent Désir, que Raison s’emploie à brider pour le maîtriser71 ; armé par les vertus cardinales, Franc Vouloir peut ensuite partir à l’assaut de ses adversaires et remporter ses premiers succès72. Ce nouveau scénario confirme que pour agir convenablement, le libre arbitre doit contrôler ses désirs par l’exercice de la raison – la passion n’est pas bonne conseillère – et des vertus. Contrairement au Miroir de mariage, Franc Vouloir fait l’apologie du mariage, à condition que les deux conjoints soient assortis :

  • 73 Id., t. II, v. 7577-7582.

Heureux sont qui en ung voloir
Et en condicions semblables,
Lesquelles font amours valoir,
Sont en mariage accordables.
Ainsy sont leurs joyes durables
En fortune doulce et perverse73.

  • 74 Voir Gn 2, 24, Malachie 2, 14-15, Marc 10, 7-8, Mt 19, 5-6.
  • 75 Le Champion des Dames, éd. Deschaux, t. II, v. 7592.
  • 76 Voir Bouchet, Le discours sur la lecture en France aux XIVe et XVe siècles, p. 196-197.
  • 77 Moralités françaises, éd. Helmich, t. II, p. 87-101.
  • 78 Voir id., p. 96 (didascalie) : « Comment, quant Dangier, Envie et Mallebouche ne peullent actenter (...)

26L’union matrimoniale scelle non seulement l’union des corps, mais celle des volontés et des âmes (unitas mentium)74, garante d’une fidélité à toute épreuve. Le défi est bien d’aboutir à « ung voloir » à partir de deux êtres dotés de libre arbitre. Sans quoi – et là c’est le point de vue féminin qui est adopté –, « La femme est bien de l’omme esclave75 », ce que rappellent maintes histoires de « mal mariée ». La joute oratoire de Franc Vouloir s’achèvera par l’éloge de la plus sainte des femmes, la Vierge Marie. La victoire du Champion des dames est aussi celle de la culture : toute l’argumentation de Franc Vouloir est sous-tendue par d’abondantes lectures76. André de La Vigne, lui, a certainement lu le Roman de la Rose et Le Champion des Dames avant d’écrire sa moralité de L’Honneur des dames77 (fin du XVe siècle). Voilà Franc Vouloir promu personnage de théâtre ; lui et Cœur Loyal, en « vrays champions », font vœu de garder « l’onneur des dames » (p. 91). Envie, Mallebouche et Dangier, les opposants bien connus de l’Amant dans le Roman de la Rose, attaquent Franc Vouloir et son compagnon. Agression d’abord repoussée en paroles : « L’onneur des dames garderay / Maulgré voz visages breneux », s’exclame Franc Vouloir (p. 95). La logomachie78 vire au combat pur et simple ; Dangier et ses acolytes sont bientôt terrassés et s’enfuient. Franc Vouloir, emporté par son élan, continue de vociférer : « La mort bieu, j’en tueray quatre ! » et conclut fièrement

  • 79 Id., p. 99.

Vive tousjours l’onneur des dames
Maulgré Envie et Mallebouche ;
Et si Dangier dessus luy touche,
Voy nous cy pour combattre en armes79.

27En écho au Champion des Dames, la pièce s’achève sur une série de poèmes à la louange de la Vierge Marie.

28René d’Anjou, lui, a privilégié le scénario de la quête amoureuse dans son Livre du Cœur d’amour épris (1457). Dans le rêve de l’auteur, le Cœur (son alter ego), à l’instigation de Désir, part à l’aventure… monté sur son destrier Franc Vouloir ! Voilà redistribuées les forces psychiques que Martin Le Franc avait associées à son Champion des dames. Dans ce roman d’initiation allégorique doux-amer, le Cœur, précédé par Désir (signe d’impulsivité), reste bien longtemps naïf et devrait apprendre à tenir par le frein sa volonté par trop débridée, incarnée par sa monture,

  • 80 René d’Anjou, Le Livre du Cœur d’amour épris, éd. F. Bouchet, Paris, LGF, 2003, p. 96.

ung moult grant, fort et hault destrier a merveilles qui avoit nom Franc Vouloir, lequel estoit a fin souhait parfait a tous bouhours, faiz d’armes et rencontres de lances. […] Alors le Cuer broche le destrier des esperons d’amoureux souvenir, et Franc Vouloir par force le transporte comme mal enfrené80.

  • 81 Raison dans le Champion des dames ; Prudence et Tempérance dans les paraboles bernardines.
  • 82 Car celui-ci « n’estoit pas duit du pont comme celui de Soussy estoit », Le Livre du Cœur d’amour é (...)

29Dans la configuration allégorique choisie par René d’Anjou, Franc Vouloir, subordonné au Cœur et guidé par Désir, reste problématiquement privé d’une instance de contrôle raisonnable81 ; la force de la volonté qui préside à l’exercice du libre arbitre risque d’être mal employée. Le premier duel du Cœur, contre Souci, est un cuisant échec qui le précipite avec son cheval82 dans le fleuve de Larmes. Heureusement, Espérance vient à sa rescousse :

  • 83 René d’Anjou, Le Livre du Cœur d’amour épris, éd. Bouchet, p. 150.

Elle descendit prestement et tant lui aida qu’elle le mist hors de l’eaue ; et desja s’estoit son destrier tiré hors et s’estoit mis a paistre l’erbe83.

30Le cheval se débrouille mieux que son maître – ici pointe l’humour teinté d’autodérision de René d’Anjou. Le Cœur amoureux a encore du mal à faire fructifier conjointement les forces de l’espérance et de la volonté. Après plusieurs aventures, au moment d’embarquer pour l’île d’Amour, le Cœur, Désir et Largesse abandonnent leurs montures ;

  • 84 Id., p. 248. À vrai dire, René d’Anjou semble avoir eu du mal à faire jouer pleinement Franc Vouloi (...)

quant lesditz chevaulx furent laissez aller et qu’ilz eurent les frains hors de la bouche et la bride hors du coul, et d’autre part que nulli aussi ne les tenoit pour lors, ilz commencerent fort a eulx entrebattre, tant des piez que des dens, et a hannir et mener grant tempeste84.

  • 85 Id., p. 496.

31Si les chevaux représentent la part animale, impulsive, des trois compagnons, celle-ci a tôt fait de s’agiter dès qu’elle n’est plus canalisée. La « tempeste » préfigure celle qui va rendre malades les compagnons embarqués sur la nef de Fiance et Attente. Et qu’est-ce qu’un chevalier sans cheval ? On peut craindre que l’abandon définitif de Franc Vouloir sur le rivage ne soit un mauvais présage : le Cœur, privé de son libre arbitre, entre dans le régime aliénant de l’amour, et sa quête amoureuse tourne au désastre. À l’issue de quoi, force lui est de réorienter ses vœux : renonçant à sa dame, il ira à l’hôpital d’Amour, « car la vouloit finer le remenant de ses jours en prieres et oraisons85 ».

32Ce dénouement désabusé est symptomatique d’une interrogation assez généralisée sur la viabilité de l’amour courtois à la fin du Moyen Âge. Amants heureux et malheureux confrontent leurs vues dans des débats qui alimentent les discussions curiales. Du « service » d’amour au « servage », il peut n’y avoir qu’un pas… Ainsi, dans Le debat de deux amans de Christine de Pizan (composé entre 1400 et 1402), l’amoureux amer estime que le cœur épris s’engage délibérément dans une voie qui risque fort d’être frustrante :

  • 86 Debat de deux amans, v. 442-452 et 465-466, dans Œuvres poétiques de Christine de Pisan, éd. M. Roy (...)

[…] de ce naist un desir
De franc vouloir, qui le cuer vient saisir
De tel nature
Qu’il rent amant le cuer et plein d’ardure
Et desireux d’estre amé tant qu’il dure.
Mais tant est grant celle cuisant pointure
Qu’elle bestourne
Toute raison et tellement atourne
Cil qui est pris que du joyeux fait mourne
Et le morne en joyeuseté tourne,
Souvent avient.
[…] C’est vouloir qui s’efforce
De nuire a soy86.

En dépit de la topique du mal d’amour, l’écuyer heureux en amour récuse les conséquences néfastes du désir :

  • 87 Id., éd. Roy, v. 1053-1055, p. 81. Christine se garde de trancher le débat, qu’elle laisse à l’appr (...)

Je consens bien que de frang voloir viegne
Ycelle amour, mais que l’amoureux tiegne
Morne et dolent n’est drois qu’il apartiegne87.

33Alain Chartier s’est certainement souvenu du scénario introductif de ce dit au moment d’écrire La Belle Dame sans merci (1424), qui confronte âprement l’amant rebuté à la dame elle-même. L’amant tente de lier « devoir » et « vouloir » pour convaincre la dame d’agréer son désir et de lui accorder son cœur :

  • 88 La Belle Dame sans Mercy, v. 529-536, dans Le Cycle de La Belle Dame sans Mercy, éd. D. F. Hult, Pa (...)

– Une foys le fault essayer
A tous les bons en son endroit
Et le debvoir d’Amours payer,
Qui sus frans cueurs a prise et droit,
Car Franc Vouloir maintient et croit
Que c’est durté et mesprison
Tenir ung hault cueur si estroit
Qu’il n’ait que ung seul corps pour prison88.

  • 89 Cette dissociation des significations semble confirmée par Le Debat des deux fortunés d’Amours (aut (...)
  • 90 « Je suis france et france veul estre », La Belle Dame sans Mercy, éd. Hult, v. 286, p. 38.
  • 91 « La Belle Dame sans Mercy, ou la dame qui ne voulait pas jouer », La “Fin’Amor” dans la culture fé (...)
  • 92 Voir D. Poirion, « Lectures de La Belle Dame sans mercy », Écriture poétique et composition romanes (...)
  • 93 L’Accusation contre la Belle dame sans Mercy, ou Parlement Amour, v. 90, 569, 579, dans Le Cycle de (...)
  • 94 La Dame loyale en amour, v. 262, dans Le Cycle de La Belle Dame sans Mercy, éd. Hult, p. 190.

34L’amant, qui a tendance à user du langage allégorique comme d’un discours d’autorité, postule le personnage de Franc Vouloir en appui à sa demande. Mais le dialogue ne peut aboutir car il semble bien que la dame donne à l’adjectif « franc » le sens de « libre », quand l’amant lui donne celui de « noble89 ». La dame revendique donc sa liberté90 et récuse l’amour comme une forme d’aliénation. De son point de vue, explique Anne Berthelot, « l’amour courtois est un fantasme masculin, qui cherche à prendre en otage une figure féminine privée de son libre-arbitre91 ». La dame dénonce le caractère spécieux du code courtois qui, tout en idéalisant la Dame, prétend l’obliger à consentir à celui qui la demande dans les règles ; elle aurait donc tous les droits sauf celui de se refuser. Mais c’est une liberté défensive que celle de la dame, qui peut-être la coupe définitivement de l’amour92… Cette conception de la liberté reste au cœur de la controverse littéraire qui fit suite au poème de Chartier. Il n’est alors pas anodin de remarquer que Franc Vouloir siège parmi les juges de la Belle Dame tant dans L’Accusation contre la Belle dame sans Mercy de Baudet Herenc93 que dans l’anonyme Dame loyale en amour94 qui en prend le contrepied.

  • 95 Le Livre de l’amoureuse aliance, éd. J.-C.Faucon, Aix-en-Provence, CUERMA, » Senefiance », 3, 1977, (...)
  • 96 Le Livre de l’amoureuse aliance, éd. Faucon, v. 1375, p. 47.
  • 97 Id., v. 1395 et 1397, p. 48.

35À la même époque (1er tiers du XVe), l’anonyme Livre de l’amoureuse aliance cherche une solution à la conciliation problématique des deux volontés de l’amant et de la dame. Ce songe allégorique suit les efforts d’un amoureux nommé Franc Vouloir qui courtise Franchise. Il n’ose se déclarer, elle élude ses promesses et ses cadeaux. Amour envoie « Pour aller aveuc Franc Volloir / Et pour sa vollenté volloir95 » une série d’adjuvants : « Advis », « Sens », « Hardement », « Biau Parler », « Bien Celer », « Bon Espoir », et surtout « Loyaulté », « Droiture » et « Feauté ». Ainsi conforté, l’amoureux fait quelques progrès, mais comment ajuster deux libertés individuelles pour aboutir à la formation d’un couple ? Comme l’amant de la Belle Dame sans merci, l’amoureux est prêt à abdiquer sa liberté pour entrer – au prix d’un oxymore – « En amoureuse servitude96 » au service de Franchise. Mais celle-ci redoute toujours de s’engager dans un « mauves pas » dont elle ne pourra « Bien ysir a sa vollenté97 ». Amour justifie le souci qu’a la dame de son honneur et enjoint à l’amoureux de la respecter tout en restant confiant :

  • 98 Id., v. 1578-1584, p. 54.

Que nul honme ne doit oser
Penser en son cueur de joïr
De tel dame, se conjoïr
Il ne scet sa belle biauté,
Sa douce et france liberté,
Son esbatement, son deport,
Son maintien et son noble port98.

  • 99 Id., v. 2259-2312, p. 81-83.
  • 100 Id., v. 2263-2264 et 2269-2270, p. 81.
  • 101 Voir id., v. 2121, 2206, 2224, 2243, 2315, 2379, respectivement p. 76, 79, 80, 83, 86 ; « intention (...)

36Le face-à-face risquerait de rester sans issue sans le recours à un couple décisif, formé par Liberté et Bon Renom. Liberté assure Franchise de la sincérité de Franc Vouloir et se dit comblée par Bon Renom. Une « amoureuse aliance » jurée sur le missel en présence d’Amour consacre finalement l’union des deux couples, qui en outre se prêtent mutuellement serment : Franchise s’engage envers Liberté, Franc Vouloir envers Bon Renom99. Ainsi est scellée une « parfaite amour » fondée sur le respect de « foy », « verité » et « loyauté100 ». La démultiplication des personnifications permet la résolution dialectique du blocage. On aboutit à une sorte de ménage à quatre sur le plan conceptuel, qui met l’accent sur une morale de la bonne intention101, gage de sincérité et de fidélité.

Émergence de l’intention d’auteur

  • 102 Olivier de La Marche, Le Chevalier deliberé (The Resolute Knight), éd. C.W. Carroll, Tempe, Arizona (...)

37L’intention est bien l’un des noms possibles de la volonté, en sorte que l’on peut finalement voir en Franc Vouloir une figure émergente de l’intentio auctoris dans plusieurs textes du XVe siècle, à une époque où les écrivains adoptent de plus en plus une posture réflexive pour définir et affirmer leur rôle. Un rapprochement métonymique de Franc Vouloir avec l’auteur est perceptible dans le Livre du Cœur d’amour épris, à travers le couple formé par le Cœur, double onirique de René d’Anjou, et son destrier. Plus explicitement, Olivier de La Marche, qui s’inspire notamment du roman du roi René dans Le Chevalier déliberé (1483), dote l’acteur du cheval Vouloir102.

38Marc-René Jung, commentant Le Champion des Dames, a fort bien remarqué que

  • 103 « Situation de Martin Le Franc », Pratiques de la culture écrite en France au XVe siècle, éd. M. Or (...)

comme Le Franc déclare dans le prologue que c’est le bon vouloir de servir les dames qui le pousse à prendre la plume, il est clair que le personnage Franc Vouloir représente le Vouloir de Le Franc103.

39L’association onomastique entre l’auteur et son héros/héraut était assez évidente. Mais il y a plus, comme l’indique Pascale Charron :

  • 104 « Les réceptions du Champion des dames de Martin Le Franc à la cour de Bourgogne », Bulletin du bib (...)

Franc-Vouloir est le vouloir de Le Franc ; symbole incarné de l’homme libre, il représente la parole affranchie de l’auteur104.

40Or vouloir écrire de son propre chef sans passer par la commande du prince ne va pas sans risque : on sait que Le Champion des Dames ne fut pas bien accueilli à la cour de Philippe le Bon. Martin Le Franc révisa son texte afin de le présenter de nouveau au duc de Bourgogne en 1451. L’iconographie du manuscrit BnF, fr. 12476, témoin de cette seconde réception – cette fois favorable – du texte à la cour est très révélatrice, selon P. Charron :

  • 105 P. Charron, « Les réceptions du Champion des dames de Martin Le Franc à la cour de Bourgogne », p. (...)

Si Franc-Vouloir est l’image romanesque de Le Franc, il devient également, dans l’une des images fondamentales du cycle, le duc Philippe le Bon lui-même. […] En transformant le duc en champion des dames, l’image fait du prince le champion de la cause que défend Martin. Les propos de Franc-Vouloir sont alors placés dans la bouche de Philippe le Bon et atteignent ainsi une portée particulière. La protection du duc de Bourgogne s’étend sur le poème105.

41La stratégie iconographique a l’efficacité d’un hommage de l’écrivain au prince tout en préservant son indépendance dans le texte. Le songe de Martin se conclut, dans le livre V du Champion des Dames, sur le triomphe du poète alias Franc Vouloir, couronné de laurier par Vérité.

42Les seuils d’ouverture et de fermeture de l’œuvre, en tant que lieux traditionnels d’expression du projet auctorial, laissent apparaître le « vouloir », personnifié ou pas, de l’auteur. Jean du Prier se met ainsi en scène au début du Songe du Pastourel, au moment de son endormissement, prélude au rêve qui fournira la matière du poème :

  • 106 Le Songe du Pastourel, v. 65-72, éd. M.-C. Deprez-Masson, Le Moyen français, 23, 1988, p. 97.

Dessus le lit a demy descouvert,
Demy veillant et demy assommé,
Les yeulx serrés, l’entendement ouvert,
Franc Vouloir vint a moy, et m’a sommé
Que des propos le nombre consommé
En mon cerveau si fut par vers espars
De vostre bruyt qui des bons est amé
Et augmenté souvent en plusieurs pars106.

  • 107 L’Honneur des dames, dans Moralités françaises, éd. Helmich, t. II, p. 101. Le e de « contenue » es (...)

43Franc Vouloir incarne la prise de décision de l’auteur, qui dédie ce songe politique à René II de Lorraine, après sa victoire sur Charles le Téméraire à Nancy en 1377. Quant à André de La Vigne, il conclut L’Honneur des dames sur des vers dédiés à Notre Dame, « Combien que fust par ung fraxille acteur / Trop contenue son vouloir directeur107 », affichant son intention tout en respectant les convenances de la posture d’humilité.

  • 108 Charles d’Orléans, Ballades et rondeaux, éd. J.-C. Mühlethaler, Paris, LGF, 1992 : Ball. 82, v. 17 (...)
  • 109 Id., Ball. 54, v. 11, p. 176 et Songe en complainte, v. 372, p. 248. J.-C. Mühlethaler laisse « fra (...)

44Interrogeons-nous, pour finir, sur une absence. Franc Vouloir est absent du petit théâtre psychomachique de Charles d’Orléans. Vouloir, certes, apparaît quelques fois dans ses ballades et rondeaux, complété par divers qualificatifs108 ; mais il était probablement difficile à un homme qui resta si longtemps captif de se dire « franc » – bien qu’il eût pu jouer sur le sens « français ». Quand Franc Désir se glisse furtivement à la rime de deux vers, il s’agit de l’état d’esprit de la dame aimée (et bientôt morte) ou d’Amour acceptant le retrait de Charles dans le Songe en complainte109. La poésie aurélienne, malgré ses accents personnels, n’est pas pensée pour affirmer une volonté individuelle, quelle qu’elle soit. L’emprise de Mélancolie, syndrome dépressif qui étouffe la capacité à vouloir, puis de Nonchaloir, qui mène à une morale du détachement quasi ataraxique, a été la plus forte.’

Conclusion

  • 110 Franc Vouloir est absent de l’index d’A. Strubel, « Grant senefiance a » : Allégorie et littérature (...)
  • 111 On relève par exemple sous la plume d’Eustache Deschamps (OC, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud (...)

45Au terme de cette enquête provisoire, l’importance conceptuelle et poétique de Franc Vouloir est manifeste. Cette figure mal repérée dans la littérature allégorique110 est pourtant récurrente et entre en résonnance avec la doctrine catholique du péché, la critique du modèle courtois, l’affirmation du moi de l’écrivain à la fin du Moyen Âge. À cette époque, les écrivains relaient auprès d’un plus large public des problèmes d’abord disputés en latin par les maîtres scolastiques111 ; les débats sur des questions d’éthique sont aussi un divertissement curial apprécié. Plusieurs apparitions de Franc Vouloir, on l’a vu, sont d’ailleurs liées aux controverses soulevées par le Roman de la Rose ou La Belle Dame sans merci.

  • 112 Les locutions liberal arbitre (à partir de 1425) et libere arbitre (à partir des années 1470) sont (...)
  • 113 Le remplacement possible de Franc Vouloir par Franc Désir ou Franche Volonté confirme cette oscilla (...)
  • 114 C’est la conception paulinienne de la liberté, Ga 5, 13-18.

46C’est que la liberté qui préside à l’exercice du « franc vouloir » reste essentiellement problématique. Le mot composé en moyen français, qui n’est pas le calque direct du liberum arbitrium112, est générateur d’ambiguïté : tantôt c’est l’idée de liberté de choix (« franchise ») qui est privilégiée, tantôt celle de volonté (mais le « vouloir » se borne alors souvent à un désir amoureux ou peccamineux dénué de fondement réfléchi)113 ; ou bien l’adjectif « franc » peut renvoyer à la noblesse du sujet plutôt qu’à sa liberté. Une leçon exigeante se dégage des textes, qui enseignent qu’on ne doit pas se contenter d’une liberté laxiste qui consentirait à n’importe quelle impulsion de la chair, alors qu’il faut chercher à contribuer par son libre arbitre aux réalisations de l’esprit114. Une vie bonne vaut mieux qu’une bonne vie. C’est pourquoi Franc Vouloir a souvent besoin des renforts de Raison et d’Entendement.

  • 115 Outre Rabelais, une recherche sur la base des Classiques Garnier numérique fait apparaître les noms (...)
  • 116 Le Dictionnaire historique de la langue française (éd. A. Rey) date l’emploi de 1541, sans autre pr (...)

47La locution « franc vouloir » se présente donc plus ou moins sporadiquement dans bien des textes de la fin du Moyen Âge, mais au XVe siècle plusieurs auteurs se plaisent à faire de Franc Vouloir un protagoniste de premier plan. Cette cristallisation allégorique de la notion semble propre à ce siècle, car dès le XVIe, sous la plume de Rabelais par exemple, « franc vouloir » est redevenu infinitif substantivé, avant de disparaître de l’usage115, relayé par « libre arbitre116 ». Quelle que soit l’expression, reste cette interrogation profonde, philosophique, de l’homme sur sa capacité de choisir librement ce que doit être sa vie. Et si le sage est le mieux placé pour échapper aux déterminismes de toutes sortes, alors la littérature, résolument pourvoyeuse de « clergie » à la fin du Moyen Âge, voit son utilitas renforcée.

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Notes

1 J. Cerquiglini, « Le nouveau lyrisme (XIVe-XVe siècles) », Précis de littérature française du Moyen âge, éd. D. Poirion, Paris, PUF, 1983, p. 280. Cet article, initialement écrit pour les Mélanges offerts à Jacqueline Cerquiglini-Toulet, n’a pu y figurer en raison de sa longueur ; il lui reste naturellement dédié.

2 Voir J. Cerquiglini, « Un engin si soutil ». Guillaume de Machaut et l’écriture au XIVe siècle, Paris, Champion, 1985.

3 Je me permets de signaler mes travaux : sur Pensée, « Charles d’Orléans, le penseur dans le labyrinthe », Être poète au temps de Charles d’Orléans (XVe siècle), éd. H. Basso et M. Gally, Avignon, Éditions universitaires d’Avignon, 2012, p. 132-150 ; sur Entendement, Le discours sur la lecture en France aux XIVe et XVe siècles : pratiques, poétique, imaginaire, Paris, Champion, 2008, p. 52-53.

4 Pour une synthèse sur ce point longuement débattu par les historiens, voir P. Bonnassié, « Liberté et servitude », Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, éd. J. Le Goff et J.-C. Schmitt, Paris, Fayard, 1999, p. 595-609.

5 Voir J.-Y. Tilliette introduction à Boèce, La Consolation de Philosophie, éd. C. Moreschini et trad. É. Vanpeteghem, Paris, LGF, 2005, p. 20 ; K. Trego, « La liberté dans la Consolatio Philosophiae de Boèce. Inspiration chrétienne et sources antiques », Archives de Philosophie, 69, 2006/2, p. 187-202.

6 Tout ce paragraphe ne peut donner qu’une idée extrêmement sommaire du débat philosophique qui se déploie entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle. Pour une réflexion de fond, voir F.-X. Putallaz, Insolente liberté. Controverses et condamnations au XIIIe siècle, Fribourg, Éditions universitaires de Fribourg – – Paris, Éd. du Cerf, 1995 ; M. Pickavé, « Que signifie “être libre” ? Le cas Henri de Gand », Médiévales, 63, 2012, p. 91-104. Voir aussi W. Thönissen, « Liberté », Dictionnaire critique de théologie, éd. J.-Y. Lacoste, Paris, PUF, 2007 (3e éd.), p. 782-785.

7 C’est la thèse de la gratia cooperans, reprise, entre autres, par saint Bernard de Clairvaux et saint Thomas d’Aquin.

8 Thomas d’Aquin, Somme théologique, 1re partie, question 83, trad. A.-M. Roguet, Paris, Éd. du Cerf, 1984, t. 1, p. 720-721.

9 Voir Brunetto Latini, Li Livres dou Tresor, éd. F. J. Carmody, Genève, Slatkine, 1975, p. 178 (chap. vi du livre II, qui résume l’Éthique d’Aristote).

10 Rm 7, 18-20 ; trad. TOB.

11 Voir A. de Libera, La philosophie médiévale, Paris, PUF, 1989, p. 101.

12 Ce long développement occupe les v. 17063-17878 du Roman de la Rose, éd. A. Strubel, Paris, LGF, 1992. Aux huit occurrences de « franc/frans voloir(s) » (v. 17203, 17340, 17401, 17474, 17495, 17717, 17873), il convient d’associer celles de « franche volonté » (v. 17207, 17242, 17494). P.-Y. Badel souligne la « naturel franchise » de l’homme chez Jean de Meung (Le Roman de la Rose au XIVe siècle. Étude de la réception de l’œuvre, Genève, Droz, 1980, p. 48).

13 Tommaso III di Saluzzo, Il Libro del Cavaliere Errante (BnF ms. fr. 12559), M. Piccat (dir.), éd. L. Ramello, Boves, Araba Fenice, 2008, p. 535.

14 « Filz, en ta arme puez sentir franche voulenté, laquelle Dieu a donné a ton courage pour ce que tu en puisses faire bien et mal, et que se tu fais le bien, Dieux ait raison de toy donner salvacion, et que par le mal en soyes achoisonné a dampnacion » (id., p. 519). Connaissance, démarquant la formule de s. Paul citée supra, rappelle au Chevalier combien la volonté humaine, limitée à ses propres forces, reste sujette à l’échec : « Esme, filz, combien pert voulanté qui touzjours veult et desire et nul temps ne puet avoir ce qu’elle desire, et touzjours a ce qu’elle het » (id., p. 528).

15 La Somme le Roi par frère Laurent, éd. É. Brayer et A.-F. Leurquin-Labie, Paris, SATF, 2008, p. 190. Thomas de Saluces emprunte textuellement ce développement dans le Livre du Chevalier errant, éd. Ramello, p. 548. Chez l’un et l’autre auteur, l’exposé se poursuit avec la « franchise de grace », qui détache les « preudomme » des tentations mondaines et tourne leur cœur vers l’amour de Dieu ; enfin, la « franchise de gloire » délivre les hommes de leur corps et les unit à Dieu après la mort.

16 Nature fait référence aux laïcs et aux clercs à plusieurs reprises : Roman de la Rose, éd. Strubel, v. 17110, 17199, 17398, 17739.

17 C’est l’un des sept dons du Saint-Esprit dans les listes canoniques de l’enseignement doctrinal.

18 Badel, Le Roman de la Rose au XIVe siècle, p. 132.

19 Id., p. 249.

20 Id., p. 377.

21 Martin Le Franc, Le Champion des Dames, éd. R. Deschaux, Paris, Champion, 1999, t. II, citations aux v. 9313-9314, 9368, 9402, 9404.

22 Un poète bourguignon du XVe siècle, Michault Taillevent. Œuvres, éd. R. Deschaux, Genève, Droz, 1975, p. 120, v. 174-180.

23 J.-P. Boudet parle même d’une « vedette » dans Eustache Deschamps en son temps, éd. J.-P. Boudet et H. Millet, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 59 (panorama prolongé aux p. 60-61).

24 Œuvres complètes [OC] d’Eustache Deschamps, éd. M. de Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, Paris, Firmin Didot et Cie, SATF, Ball. 78, t. I, 1878, p. 180. Même idée dans le chant royal 372, t. III, 1883, p. 123-125 (sur ce poème, voir commentaire et notes dans Eustache Deschamps en son temps, p. 48-51).

25 Id., Chant royal 372, v. 3, t. III, p. 123.

26 Id., Chant royal 383, v. 36, t. III, p. 148.

27 Id., Ball. 289, v. 19, t. II, 1880, p. 144 ; dans cette ballade, « franc vouloir » est une capacité non personnifiée.

28 Id., Chant royal 367, v. 19-20, t. III, p. 111. La strophe 2 expose le motif bien connu du bivium.

29 Id., Ball. 286, v. 12, t. II, p. 140 (majuscules discutables : « franc vouloir » peut être un simple complément d’agent abstrait).

30 Id., Ball. 286, v. 10 et 15, t. II, p. 140-141.

31 Id., Ball. 1140, v. 6-8, t. VI, 1889, p. 67. Voir aussi Ball. 289, v. 1-10, t. II, p. 144.

32 Id., La fiction du lyon, v. 1148-1151 et 1285-1288, t. VIII, 1893. Autres occurrences de « franc vouloir » dans ce texte : v. 1162, 1261,1332, 1540, 1784.

33 Id., Ball. 1193, v. 21-24, t. VI, p. 174.

34 Id., Ball. 1101, v. 17-24, t. VI, p. 4.

35 Badel, Le Roman de la Rose au XIVe siècle, p. 98.

36 OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 1110, v. 31-32, t. VI, p. 19.

37 Id., Ball. 1111, v. 5-6, t. VI, p. 20 ; témoignage d’un conservatisme social fréquent à l’époque.

38 Id., Ball. 1111, v. 11-14, t. VI, p. 20.

39 Voir id., Ball. 275, t. II, p. 123-124.

40 Id., Lay de franchise, v. 285 et 298, t. II, p. 213.

41 Id., Refrain du Chant royal 315, t. II, p. 1-3. On saisit là l’ambivalence de « Franc Vouloir » qui, même personnifié, reste essentiellement un concept : l’emploi du mot « seigneur » justifie la majuscule mais la structure syntaxique est identique aux vers du Lay de franchise cités précédemment.

42 Ballade des « Contredits de Franc Gontier », Testament, v. 1473-1506, dans F. Villon, Poésies, éd. J. Dufournet, Paris, GF Flammarion, 1992, p. 228-230.

43 Voir OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 82, t. I, p. 185-186, et 240, t. II, p. 71-72, ainsi que le rondeau 1082, t. V, 1887, p. 386-387. Voir aussi M. Lacassagne, « Rhétorique et politique de la “médiocrité” chez Eustache Deschamps », Autour d’Eustache Deschamps, éd. D. Buschinger, Amiens, Presses du centre d’études médiévales–université de Picardie –Jules-Verne, 1999, p. 115-126 ; J. Blanchard et J.-C. Mühlethaler, Écriture et pouvoir à l’aube des temps modernes, Paris, PUF, 2002, p. 76-77.

44 OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 185, t. II, p. 1-2.

45 « Franc Vouloir, l’astrologie et la divination chez Eustache Deschamps », Autour d’Eustache Deschamps, éd. Buschinger, p. 27-35, ici p. 34.

46 OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Chant royal 372, v. 31-40, t. III, p. 124.

47 Cité par Boudet, « Franc Vouloir, l’astrologie et la divination », p. 31. Evrard de Trémaugon, dans le Songe du Vergier, attribue également à Ptolémée la sentence sapiens homo dominabitur astris.

48 Cité par Boudet, « Franc Vouloir, l’astrologie et la divination », p. 34.

49 « Le débat du cœur et du corps de Villon », v. 35-37, dans F. Villon, Poésies, éd. Dufournet, p. 344. Le débat ne convoque pas explicitement la notion de « franc vouloir », mais la dissociation du propos entre deux instances du moi manifeste la difficulté de la vie morale, qui requiert un engagement de la volonté. C’est à cette condition que la liberté individuelle peut être assumée.

50 OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 1155, v. 23, t. VI, p. 89.

51 Moralités françaises. Réimpression fac-similé de vingt-deux pièces allégoriques imprimées aux XVe et XVIe siècles, éd. W. Helmich, Genève, Slatkine, 1980, t. I, p. 4. J’introduis ponctuation et apostrophes et discrimine i et j, u et v. J’ai égalementcorrigé « Des ameres que Adam… » en « Des ames des que Adam … ».

52 Id., p. 5.

53 Id., p. 6.

54 Id., p. 7.

55 Id., p. 121.

56 Id., p. 122.

57 Id., p. 124. « Je suis Roger Bon Temps, / Qui de tous suis contens ; / Ce qui t’est bon me plaist » (p. 129). L’adjectif « bon » renvoie au principe de plaisir et non au bien moral. Roger Bon Temps est la personnification, dans le théâtre comique de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, de la vie festive et insouciante. Voir C. Beaune, « Roger Bon Temps, type populaire ou reflet d’une propagande », Bulletin d’études sur l’humanisme, la réforme et la renaissance, 11, 1980, p. 25-29 ; J.-L. Roch, « Le roi et l’âge d’or : la figure de Bon Temps entre le théâtre, la fête et la politique (1450-1550) », Médiévales, 22-23, 1992, p. 187-206. « Son nom évoque les plaisirs et passe-temps tandis que son prénom (Rogier ou Rougié) insiste sur son habileté et sa malice », indique C. Beaune (p. 25). J.-L. Roch préfère distinguer Roger Bon Temps et Bon Temps, incarnation de la prospérité de l’âge d’or. Roger Bon Temps est figuré dans une miniature du Livre du Cœur d’amour épris de René d’Anjou (ms. BnF fr. 24399, fol. 124). Traditionnellement, ce personnage est pourvoyeur d’oublies (petits gâteaux symbolisant l’oubli des temps difficiles) ; dans notre pièce Franc Arbitre vêtu en Roger Bon Temps laisse oublier au pécheur ses devoirs moraux.

58 Moralités françaises, éd. Helmich, t. I, p. 128.

59 Id., p. 213. Voir aussi p. 129, 180, 192, 206.

60 Id., p. 128.

61 Id., p. 156.

62 Id., p. 181. Voir aussi les dialogues p. 206-207, 211.

63 Franc Arbitre fait allusion aux paroles de « maint prescheur » qu’il a entendues (id., p. 180).

64 Badel, Le Roman de la Rose au XIVe siècle, p. 103. Je ne rappelle pas l’évolution de la doctrine du mariage au sein de l’Église catholique qui, au cours du XIIe siècle, s’est efforcée de consacrer l’union librement consentie des deux époux.

65 OC d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Miroir de mariage, v. 528-533, t. IX, 1894.

66 L. Kendrick, « Le Miroir de mariage : mode d’emploi », Eustache Deschamps, témoin et modèle. Littérature et société politique (XIVe-XVIe siècles), éd. T. Lassabatère et M. Lacassagne, Paris, PUPS, 2008, p. 103-116, ici p. 104 et 110.

67 Kendrick, « Le Miroir de mariage : mode d’emploi », p. 103.

68 On peut situer le Miroir de mariage entre les Lamentation de Matheolus traduites du latin par Jean Le Fèvre et les Quinze joies de mariage.

69 Voir Kendrick, « Le Miroir de mariage : mode d’emploi », p. 111-114 et L. Evdokimova, « Éthique, économie, politique, rhétorique. La classification aristotélicienne des sciences et la poésie didactique de Deschamps », Les “Dictez vertueulx” d’Eustache Deschamps. Forme poétique et discours engagé à la fin du Moyen Âge, éd. M. Lacassagne et T. Lassabatère, Paris, PUPS, 2005, p. 56-72. Deschamps mentionne l’Éthique et la Politique aux v. 214-215 du Miroir de mariage.

70 Farce éditée dans le Recueil de farces françaises inédites du XVe siècle, éd. G. Cohen, Cambridge (Mass.), The Mediaeval Academy of America, 1949, p. 51-56. Analyse dans B. Faivre, Répertoire des farces françaises, des origines à Tabarin, Paris, Imprimerie nationale, 1993, notice n° 146, p. 375-376.

71 Le Champion des Dames, éd. Deschaux, t. I, v. 569-760. Ce cheval est probablement un souvenir de l’equus Desiderii présent dans deux paraboles de saint Bernard de Clairvaux : De Fuga et reductione Filii Prodigii et De conflictu vitiorum et virtutum, qui décrivent en termes allégoriques les aventures de la conscience humaine ; voir P. Maupeu, « Les aventures de Prudence, personnage allégorique, Ve-XVe siècle », La Vertu de prudence entre Moyen Âge et âge classique, éd. É. Berriot-Salvadore, C. Pascal, F. Roudaut et T. Tran, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 33-53, en partic. p. 35-38 et 41-43.

72 Le Champion des Dames, éd. Deschaux, t. I, v. 761-920.

73 Id., t. II, v. 7577-7582.

74 Voir Gn 2, 24, Malachie 2, 14-15, Marc 10, 7-8, Mt 19, 5-6.

75 Le Champion des Dames, éd. Deschaux, t. II, v. 7592.

76 Voir Bouchet, Le discours sur la lecture en France aux XIVe et XVe siècles, p. 196-197.

77 Moralités françaises, éd. Helmich, t. II, p. 87-101.

78 Voir id., p. 96 (didascalie) : « Comment, quant Dangier, Envie et Mallebouche ne peullent actenter l’onneur des dames, ilz le detractent et injurient. Et comment a l’opposite Cueur Loyal et Franc Voloir le soubstiennent et en disent du bien ».

79 Id., p. 99.

80 René d’Anjou, Le Livre du Cœur d’amour épris, éd. F. Bouchet, Paris, LGF, 2003, p. 96.

81 Raison dans le Champion des dames ; Prudence et Tempérance dans les paraboles bernardines.

82 Car celui-ci « n’estoit pas duit du pont comme celui de Soussy estoit », Le Livre du Cœur d’amour épris, éd. Bouchet, p. 144.

83 René d’Anjou, Le Livre du Cœur d’amour épris, éd. Bouchet, p. 150.

84 Id., p. 248. À vrai dire, René d’Anjou semble avoir eu du mal à faire jouer pleinement Franc Vouloir dans le système allégorique de son roman : il n’est nommé qu’une fois, lors de son introduction dans la diégèse, et ici l’auteur se débarrasse du cheval en le faisant confier à des « varlets » artificiellement surgis pour l’occasion.

85 Id., p. 496.

86 Debat de deux amans, v. 442-452 et 465-466, dans Œuvres poétiques de Christine de Pisan, éd. M. Roy, Paris, Firmin Didot et Cie, SATF, t. II, 1891, p. 62-63.

87 Id., éd. Roy, v. 1053-1055, p. 81. Christine se garde de trancher le débat, qu’elle laisse à l’appréciation de Louis d’Orléans.

88 La Belle Dame sans Mercy, v. 529-536, dans Le Cycle de La Belle Dame sans Mercy, éd. D. F. Hult, Paris, Champion, 2003, p. 60.

89 Cette dissociation des significations semble confirmée par Le Debat des deux fortunés d’Amours (autre imitation du Debat de deux amans de Christine par Chartier) : l’apologiste de l’amour évoque l’entreprise masculine de séduction en parlant de « Hault Vouloir qui tout vaint et seurmonte » tandis que le détracteur de l’amour remarque la résistance du « Franc Vouloir » féminin (The Poetical Works of Alain Chartier, éd. J. C. Laidlaw, Londres, Cambridge University Press, 1974, p. 165 et 186, respectivement v. 260 et 932).

90 « Je suis france et france veul estre », La Belle Dame sans Mercy, éd. Hult, v. 286, p. 38.

91 « La Belle Dame sans Mercy, ou la dame qui ne voulait pas jouer », La “Fin’Amor” dans la culture féodale, éd. D. Buschinger et W. Spiewok, Greifswald, Reineke Verlag, 1994, p. 13-21, ici p. 15.

92 Voir D. Poirion, « Lectures de La Belle Dame sans mercy », Écriture poétique et composition romanesque, Orléans, Paradigme, 1994, p. 287-305, en partic. p. 303.

93 L’Accusation contre la Belle dame sans Mercy, ou Parlement Amour, v. 90, 569, 579, dans Le Cycle de La Belle Dame sans Mercy, éd. Hult, p. 122, 162, 164.

94 La Dame loyale en amour, v. 262, dans Le Cycle de La Belle Dame sans Mercy, éd. Hult, p. 190.

95 Le Livre de l’amoureuse aliance, éd. J.-C.Faucon, Aix-en-Provence, CUERMA, » Senefiance », 3, 1977, v. 1251-1252, p. 43. L’emploi insistant, tout au long du texte, du verbe « volloir » et de ses dérivés désigne l’affinement de la volonté comme l’enjeu crucial de l’œuvre.

96 Le Livre de l’amoureuse aliance, éd. Faucon, v. 1375, p. 47.

97 Id., v. 1395 et 1397, p. 48.

98 Id., v. 1578-1584, p. 54.

99 Id., v. 2259-2312, p. 81-83.

100 Id., v. 2263-2264 et 2269-2270, p. 81.

101 Voir id., v. 2121, 2206, 2224, 2243, 2315, 2379, respectivement p. 76, 79, 80, 83, 86 ; « intention » est généralement à la rime, ou souligné par un enjambement (v. 2315).

102 Olivier de La Marche, Le Chevalier deliberé (The Resolute Knight), éd. C.W. Carroll, Tempe, Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies, 1999, huitain 12.

103 « Situation de Martin Le Franc », Pratiques de la culture écrite en France au XVe siècle, éd. M. Ornato et N. Pons, Louvain-la-Neuve, FIDEM, 1995, p. 21.

104 « Les réceptions du Champion des dames de Martin Le Franc à la cour de Bourgogne », Bulletin du bibliophile, 1, 2000, p. 19.

105 P. Charron, « Les réceptions du Champion des dames de Martin Le Franc à la cour de Bourgogne », p. 21 et 23. La miniature en question est celle du fol. 7v du ms. BnF fr. 12476 (reproduite id., p. 22).

106 Le Songe du Pastourel, v. 65-72, éd. M.-C. Deprez-Masson, Le Moyen français, 23, 1988, p. 97.

107 L’Honneur des dames, dans Moralités françaises, éd. Helmich, t. II, p. 101. Le e de « contenue » est fautif.

108 Charles d’Orléans, Ballades et rondeaux, éd. J.-C. Mühlethaler, Paris, LGF, 1992 : Ball. 82, v. 17 (« bon ») p. 284, 92, refrain (« loyal ») p. 304-306 ; rondeaux 22, v. 3 (« leal ») p. 398, 273, v. 4 (« desireux ») p. 664, 306, v. 3 (« bon ») p. 700. Voir A. Planche, Charles d’Orléans ou la recherche d’un langage, Paris, Champion, 1975, p. 518-522 (« Vouloir, veuil et volonté »).

109 Id., Ball. 54, v. 11, p. 176 et Songe en complainte, v. 372, p. 248. J.-C. Mühlethaler laisse « franc » sans majuscule mais elle me semble pertinente dans son rapport implicite à Franc Vouloir.

110 Franc Vouloir est absent de l’index d’A. Strubel, « Grant senefiance a » : Allégorie et littérature au Moyen Âge, Paris, Champion, 2002.

111 On relève par exemple sous la plume d’Eustache Deschamps (OC, éd. Queux de Saint-Hilaire et Raynaud, Ball. 289, v. 12 et Ball. 1155, v. 33, t. II, p. 144 et t. VI, p. 89) le syntagme « cause causée » qui traduit la causa causata des théologiens (subordonnée à la causa causans divine).

112 Les locutions liberal arbitre (à partir de 1425) et libere arbitre (à partir des années 1470) sont également attestées ; voir le Dictionnaire du Moyen Français en ligne, sous arbitre 2.

113 Le remplacement possible de Franc Vouloir par Franc Désir ou Franche Volonté confirme cette oscillation entre les deux pôles de la locution. Un autre équivalent du « franc vouloir » rencontré au cours de l’enquête est, dès l’ancien français, le « franc arbitre » (exemple de Philippe de Novare, Les quatre âges de l’homme, 1265, dans l’Altfranzösisches Wörterbuch de Tobler-Lommatzsch).

114 C’est la conception paulinienne de la liberté, Ga 5, 13-18.

115 Outre Rabelais, une recherche sur la base des Classiques Garnier numérique fait apparaître les noms de Jean Bastier de La Péruse, Jean Calvin, Jacques de Lavardin, Pierre de Ronsard, Jean-Antoine de Baïf, Bénigne Poissenot, Robert Garnier, Nicolas de Montreux. L’occurrence la plus tardive est datée de 1601.

116 Le Dictionnaire historique de la langue française (éd. A. Rey) date l’emploi de 1541, sans autre précision ; le Trésor de la langue française cite Les Passions de l’âme de Descartes (1649). Il peut s’agir de la modernisation des locutions signalées supra, n. 111, ou d’une nouvelle traduction de liberum arbitrium, à la suite de la querelle dite « du libre arbitre » qui opposa Érasme (De libero arbitrio) et Luther (De servo arbitrio) en 1524-1525, dans les premières années de la Réforme.

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Pour citer cet article

Référence papier

Florence Bouchet, « Difficile liberté »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 27 | 2014, 287-312.

Référence électronique

Florence Bouchet, « Difficile liberté »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 27 | 2014, mis en ligne le 30 décembre 2017, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13452 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13452

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Auteur

Florence Bouchet

Université de Toulouse (UTM)
Patrimoine, Littérature, Histoire (EA 4601)

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