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Jean de Vignay : Actualités et perspectives

Histoire des sciences et science dans l’histoire

Notes sur le lexique scientifique dans les quatre premiers livres du Miroir historial (vers 1330)
Mattia Cavagna
p. 199-233

Résumés

La traduction, réalisée par Jean de Vignay autour de 1330, du Speculum historiale, célèbre encyclopédie latine, n’a presque jamais retenu l’attention des spécialistes du lexique scientifique. Cela tient à la fois à son titre, renvoyant à la matière historique, et au fait qu’il s’agit d’un texte en large partie inédit. La présente contribution, réalisée en marge à l’édition du Miroir historial, comprend un premier relevé du vocabulaire scientifique employé par Jean de Vignay ainsi que par le réviseur qui a repris sa traduction autour de 1350, et un travail d’identification des sources scientifiques, arabes et occidentales.

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Notes de la rédaction

Les recherches qui ont abouti à la réalisation de cet article ont été financées grâce à la subvention « Actions de recherche concertées (ARC) », communauté française de Belgique et s’inscrivent dans le projet « Speculum arabicum ». Objectiver l’apport de l’Islam dans l’histoire des sciences et des idées : sources et ressources de l’encyclopédisme d’Orient et d’Occident au Moyen Âge, dirigé par G. de Callataÿ, B. Van den Abeele, F. Van Haeperen et moi-même. Je remercie chaleureusement Michèle Goyens et Stephen Dörr pour leurs relectures et leurs conseils qui m’ont permis d’améliorer sensiblement cette étude

Texte intégral

Introduction

  • 1 Voir B. Ribémont, « De natura rerum » : études sur les encyclopédies médiévales, Orléans, Paradigm (...)

1Le Speculum naturale, premier volet de la grande encyclopédie compilée par Vincent de Beauvais au milieu du XIIIe siècle, est l’une des principales sources pour l’histoire des sciences et a attiré, à juste titre, l’attention des spécialistes des sciences naturelles, de la médecine, de l’astronomie, de la météorologie et de bien d’autres disciplines scientifiques au sens large du terme. Malheureusement pour les romanistes, à la différence d’autres encyclopédies consacrées à la natura rerum, comme celles de Barthélémy l’Anglais (achevée entre 1230 et 1240) et de Thomas de Cantimpré (première rédaction achevée vers 1237-1240) le Speculum naturale (SN) n’a jamais été traduit en français1.

  • 2 Voir J.-M. Mandosio, « Encyclopédies en latin et en langue vulgaire », « Tous vos gens a latin ». (...)
  • 3 Il existe pourtant des exceptions notables, notamment F. Möhren, « La datation du vocabulaire des (...)

2Lorsque, autour de l’année 1330, Jean de Vignay porte son attention sur l’encyclopédie de Vincent de Beauvais, il traduit seulement le second de ses trois volets, à savoir le Speculum historiale (SH). Pour rappel, le troisième volet est le Speculum doctrinale (SD), consacré aux sciences et aux arts. Le choix du traducteur se comprend facilement : le volet historiale est de loin le plus repandu, la matière est moins technique et plus accessible au public laïc auquel la traduction se destine, et finalement les aspects scientifiques passent au second plan par rapport à la visée politique et morale de son entreprise2. Le SN et le SD restent donc sans traduction et il n’est pas surprenant de constater que le Miroir historial (MH) n’a (presque) jamais attiré l’attention des spécialistes du lexique scientifique3.

  • 4 Voir M. Paulmier-Foucart, « Ordre encyclopédique et organisation de la matière dans le Speculum ma (...)

3Pourtant, les quatre premiers livres du MH – dont je viens tout juste d’achéver l’édition – offrent un terrain d’enquête tout à fait intéressant à cet égard. La première moitié du livre II, en particulier, constitue un compendium très abrégé du SN (dans sa première rédaction, la version bifaria, notée SNb). Selon le schéma hiérarchisé adopté par plusieurs encyclopédies médiévales, Vincent de Beauvais y passe en revue les différents moments de la Création, ce qui constitue l’occasion pour des développements sur la théologie et la nature4. Cela dit, dans les chapitres plus proprement historiques, le compilateur témoigne également de son intérêt pour la science et pour les aspects techniques liés aux différentes circonstances culturelles évoquées. Ainsi, aux livres III et IV, Jean de Vignay est confronté à une série de termes qui n’ont pas d’équivalent en français et qu’il s’efforce de traduire à travers des emprunts, voire des néologismes que les dictionnaires ont relévé dans des textes bien plus tardifs.

4La présente étude lexicologique affiche moins un caractère exhaustif qu’un but exploratoire puisque la masse de données que le MH met à la disposition du chercheur, même dans une portion limitée à quatre livres, devrait faire l’objet d’une monographie. Mon relévé procède par champs lexicaux thématiques en fonction des domaines traités, en lien direct avec l’organisation de la matière. Avant d’aborder l’analyse lexicologique, je souhaite attirer l’attention sur deux aspects préliminaires qui permettent de mieux contextualiser mon corpus de recherche, à savoir en amont, par rapport à la question des sources, et en aval, par rapport à la tradition textuelle et manuscrite du MH, notamment à sa version révisée.

Jeu de miroirs : d’un speculum à l’autre

  • 5 Voir M. Paulmier-Foucart avec la collaboration de M.-C. Duchenne, Vincent de Beauvais et le Grand (...)

5Comme je viens de le dire, la première moitié du livre II du SH – comprenant les chapitres 1 à 55 – a été compilée à partir d’extraits tirés du SN dans sa première rédaction, la version bifaria (SNb), contenant à la fois la matière naturelle et doctrinale5. Il s’agit moins d’un résumé que d’un compendium, à savoir une compilation d’extraits sélectionnés. Vincent de Beauvais utilise le volet naturale de son encyclopédie comme une sorte de florilège dans lequel il puise librement et surtout consciemment en sélectionnant les auctoritates qu’il juge incontournables.

  • 6 Voir I. Draelants, « La science naturelle et ses sources chez Barthélémy l’Anglais et les encyclop (...)

6Les sources du SN et du SD ont été répertoriées par Isabelle Draelants qui a dépouillé tous les livres sur la nature contenus dans les deux volets de l’encyclopédie6. Le travail d’identification des sources du SH, en revanche, est loin d’avoir abouti même si je l’ai réalisé, en partie, en marge de mon édition. Pour la première moitié du livre II, en particulier, cette opération se heurte à une difficulté pratique puisque dans le processus de « transfert » du SN au SH les mentions des sources disparaissent. De plus, SNb n’a été conservé qu’en partie et seulement à l’état manuscrit, ce qui complique la tâche. Et pourtant, l’identification de ces sources « occultes » du SH revêt une importance capitale car, comme j’essaierai de le montrer dans cet article, elles doivent être considérées comme des auctoritates selectae : au moment de rédiger sa dernière version de l’historiale, Vincent de Beauvais ne retient que les textes et les auteurs qu’il juge incontournables.

  • 7 Pour le SH, j’utilise la transcription du ms. 797 de la Bibliothèque municipale de Douai, réalisée (...)
  • 8 Les deux manuscrits bruxellois, KBR 18465 et 9152, respectivement du XIVe et XVe siècle, ne conser (...)

7Voici un schéma résumant le transfert des données d’un miroir à l’autre. Dans les deux colonnes de gauche j’indique le contenu des différents chapitres, ou groupes de chapitres, du SH (version trifaria)7. La troisième colonne renvoie à la matière du SNb, que j’ai consulté d’après les deux seuls manuscrits conservés (Bruxelles, KBR 18465 et 9152)8. La colonne de droite renvoie au contenu des SN et SD (version trifaria), d’après l’édition Douai de 1624.

Contenu

SH, l. II

SNb

SN/SD

Dieu et la Trinité

1-7

SNb II

SN I

La création du monde : fondements théologiques

8

SNb III, 1

SN I, 19

La création et la nature des anges, la chute des anges rebelles

9-15

SNb III, 58-88

SN, I et II

La matière sans forme, explication des six jours de la création selon la Genèse

16-18

SNb III, 24-31

SN II

Premier jour de la Création : la lumière

19

SNb III

SN II, 32-38

Deuxième jour : le firmament

20

SNb IV

SN III

Troisième jour : l’eau

21

SNb V

SN V

Troisième jour : la terre, les herbes

22

SNb VI

SN IX

Troisième jour : les arbres et les fruits

23-24

SNb VII

SN XII

Quatrième jour : le soleil, la lune, les étoiles

25

SNb VIII

SN XV

Cinquième jour : les oiseaux

26

SNb IX

SN XVI

Cinquième jour : les poissons

27

SNb IX

SN XVII

Sixième jour : les mammifères

28

SNb X

SN XVIII

Sixième jour : les serpents

29

SNb X

SN XX

Sixième jour : l’homme, description du corps (anatomie)

30-32

SNb XIII

SN XXVIII, XXIII

L’homme, description de l’âme

33-41

SNb XII

SN, XXIV

Les péchés

42-48

SNb XIV-XV

SN XXX, SD I

Les vertus théologales et cardinales

49-52

-

-

Les sciences données à l’homme comme remède à ses malheurs

53-55

SNb XVIII

SD I, XV, XVI

8Quoique succinct, ce schéma permet de situer les extraits qui seront analysés dans les chapitres qui suivent. On notera, tout d’abord que le SH suit assez fidèlement l’organisation de la matière du SNb ; il y a pourtant quelques écarts notables. Tout d’abord, le deuxième et le troisième groupe de chapitres, concernant les anges et le premier jour de la création, sont intervertis par rapport à l’ordre du SNb. Cela permet de mieux distinguer, dans le SH, la matière plus proprement spéculative de la dimension créationniste. Ensuite, concernant la création de l’homme, la dimension matérielle, et donc anatomique précède la dimension spirituelle. Dans le SNb, au contraire, le livre XII, sur les vertus de l’âme, précède le livre XIII, consacré à la description du corps (cf. ci-dessous par. 4). Finalement, on notera que les trois chapitres, concernant les sciences, ont disparu de la version trifaria du SN pour être accueillis dans le SD (cf. ci-dessous par. 5). Pour les trois chapitres sur les vertu (49-52), en revanche, je n’ai pas trouvé d’équivalent dans les autres specula. Ils proposent un développement sur les articles de la foi et sur les autres vertus théologales et cardinales et semblent inspirés, en partie, des Sentences de Pierre Lombard (III, 23, 31 et 33).

9Au chapitre 56 du livre II, la voix du compilateur met finalement en marche le dispositif chronologique : nunc ad hystoriam per volumina temporum explicandam transeamus. S’ensuit le récit de l’exile d’Adam et Eve qui sont chassés du paradis et le restant du livre de la Genèse (les sources citées sont Jérôme, Augustin, Flavius Josèphe). Mais bientôt, la perspective chronologique s’arrête à nouveau car l’épisode du déluge universel offre l’occasion pour de longs développements géographiques sur les trois parties de la terre (chap. 62) avec une attention tout particulière pour l’Asie et les merveilles de l’Orient (chap. 63-70) et pour les îles de l’Océan qui entoure le monde (7883). S’ensuit une série de chapitres à caractère ethnographique sur les mœurs étranges des peuples lointains (86-95). Là aussi, on note un jeu de reprises avec le SN, mais cette fois-ci seulement dans la version trifaria (fin du livre XXXI et XXXII, chap. 1-21). Au chapitre 96, la voix du compilateur nous ramène à la narration historique : nunc ad hystoriam redeamus. S’ensuit l’histoire des antiques civilisations chiite, égyptienne, assyrienne etc. Les sources principales sont Justin et Eusèbe, Orose, Pierre le Mangeur.

La traduction du MH et sa version révisée

  • 9 Tous les détails de cette révision sont présentées dans M. Cavagna, « Variantes d’auteur in absent (...)

10Un dernier point d’intérêt propre à cette enquête concerne la tradition textuelle et manuscrite du MH. Vers le milieu du XIVe siècle, la traduction Jean de Vignay a subi un processus de révision qui porte souvent – mais non exclusivement – sur des termes techniques, rares ou dialectaux. La version révisée contribue ainsi de manière déterminante à enrichir notre perception du lexique vernaculaire dans son développement. D’après l’hypothèse que j’ai formulée récemment, le réviseur anonyme a travaillé directement sur le manuscrit original issu de la plume de Jean de Vignay, en ajoutant ses corrections et ses gloses sous forme de notes marginales9. Cette révision a laissé des traces, de teneur très différente, dans les manuscrits A1-A1’ (Leyde, BR, Voss. Gall. Fol.3.A), daté de 1332, et Or1 (Paris, BnF, fr. 312), copié à Paris en 1396.

11Le premier manuscrit est identifié par deux sigles puisqu’il conserve deux couches d’écriture. La première copie a été effectuée par une série de scribes en 1332 sur base du texte original (le sigle A1 renvoie aux parties du manuscrit conservant cette copie). À la deuxième moitié du XIVe siècle, un copiste qui reste à identifier a pris la peine de transférer sur ce manuscrit la plupart – mais non la totalité – des révisions effectuées sur le manuscrit original de l’auteur. Il a raturé de très nombreuses portions de texte de longueur inégale – parfois un seul caractère parfois une colonne tout entière – et a réécrit le texte dans une graphie très soignée quoique, parfois, très riche en abréviations (le sigle A1’ renvoie aux parties du manuscrit conservant le texte corrigé).

  • 10 Ce témoin a un intérêt extraordinaire surtout parce qu’il nous évite de tomber dans le piège de co (...)

12Le deuxième manuscrit, Or1, en revanche, a été entièrement copié en 1396 par un seul copiste, Raoulet d’Orléans, qui a noté son nom dans le colophon. La collation que j’ai opérée montre que ce copiste hésite souvent entre la traduction originale de Jean de Vignay et la version révisée : souvent, au lieu de remplacer un mot ou un segment de texte par le segment révisé, il cumule erronément les deux leçons en produisant une sorte de texte hybride10.

  • 11 Pour une liste des témoins, voir L. Brun et M. Cavagna, « Pour une édition du Miroir historial de (...)

13Le restant de la tradition manuscrite qui conserve les quatre premiers livres du MH ne présente pas de traces de cette révision. En fait, sept autres témoins du texte forment une même famille, beta, issue du manuscrit J1 (BNF, fr. 316), daté de 1333, qui par ailleurs est le manuscrit de base de notre édition11.

Vocabulaire théologique et philosophique

14Mon relevé lexicologique s’ouvre sur une série de mots employés dans le domaine de la théologie spéculative.

Essenciaument, presentement / presenciaument

  • 12 À ce propos, voir E.M. Jonsson, « Le sens du titre Speculum au XIIe et XIIIe siècle et son utilisa (...)

15Le chapitre 7 du livre II, intitulé Qualiter Deus sit in rebus, insiste sur le fait que toutes les créatures reflètent leur Créateur, selon le principe même qui se situe au fondement du mot speculum12. Il est tiré du SNb livre II, 93 (> SN livre XXIX, 19) qui, à son tour, reprend certains passages de Pierre Lombard (Sentences, I, 37.1-4). Voici un passage particulièrement riche à l’égard de la formation lexicale :

Sciendum est igitur quod Deus incommutabiliter in se existens, presentialiter, essentialiter, potentialiter est in omni natura sine sui diffinitione, et in omni loco sine circumscriptione, et in omni tempore sine sui mutabilitate. Et preterea in sanctis spiritibus et animalibus est excellentius scilicet per gratiam in sanctis spiritibus inhabitans, et in homine Christo excellentissime scilicet non per gratiam adoptionis sed per gratiam unionis. (SH)

« Il est assavoir que Dieu est en lui sanz remuer, essenciaument, presentement et poissanment et en toute nature il est sanz nule diffinicion de lui, en tout temps sanz nulle muableté, en tout lieu sanz nule circonscription. Et avec ce il est es esperiz et es ames tres excellentement, habitant par grace en homme tres excellentement non pas par grace de adopcion, mes par grace de unicion. » (MH)

16Cet extrait offre un bon exemple de la technique de traduction propre à Jean de Vignay. Le texte latin s’ouvre sur une série d’adverbes que le traducteur ne traite pas de la même manière. Le premier, incommutabiliter « d’une façon immuable » est traduit analytiquement par le groupe sanz remuer, alors que les trois autres sont traduits selon le principe de la formation adverbiale sur base des adjectifs. Jean de Vignay traduit les formes adjectivales qui constituent les radicaux et remplace les suffixes adverbiaux latins en –aliter par les suffixes français en –(e)ment.

  • 13 Les outils lexicographiques sont cités à travers les abréviations suivantes : ANDi = L. W. Stone, (...)

17L’adverbe essenciaument, forgé sur essencial traduit essentialiter, « par essence ». Il est déjà attesté dans un contexte théologique (Dial. S. Grégoire), mais connaît très peu d’autres attestations avant la deuxième moitié du XIVe siècle (TL IIIb, 1301 s.v. essencïal/essencïalment ; DMF, s.v. essentiellement ; FEW III, 247a s.v. essentia)13.

18L’adverbe presentialiter est traduit ici par presentement et plus loin dans le même chapitre par presenciaument. Le premier est formé sur base de l’adj. féminin presente, le deuxième sur une forme hypothétique épicène *presencial ou *presenciel. Les deux termes reflètent bien la signification de la source, à savoir « en présence », « en étant présent ». Les dictionnaires attestent la forme presencialment, en ce sens, chez Brunet Latin (Gdf VI, 389a, s.v. presencialment, TL VII-2, 1790, s.v. presencïalment). Parmi les rares attestations du mot au XIVe siècle, DMF, s.v. présencialement, renvoie à la Légende Dorée traduite par le même Jean de Vignay (révision de Jean Batallier, ms. BNF fr. 241, a.1348). On notera qu’il faut bien le distinguer de l’adverbe qui signifie tout simplement « maintenant », cf. ANDi s.v. presentement2.

Circonscription, adopcion, unicion

  • 14 À propos de cet auteur, voir M. Tabanelli, Un chirurgo italiano del 1200 : Bruno da Longoburgo, Fi (...)
  • 15 DuCangei = Glossarium mediae et infimae latinitatis, version électronique : http://ducange.enc.sor (...)

19Trois substantifs méritent également d’être soulignés, à savoir les emprunts circonscription (< circumscriptione), adopcion (< adoptionis) et surtout unicion (< unionis). Le premier connaît une attestation isolée au XIIIe siècle, plus précisément dans la traduction des Homélies de Grégoire le Grand sur Ézéchiel au sens de « ce qui limite l’étendue d’un corps » (Gdf IV, 97a, s.v. circonscription ; TL II, 439, s.v. circonscripcïon). Par la suite, après notre texte, il se retrouve dans la traduction de l’Ethique d’Aristote par Nicole Oresme (le sens spécifique de délimitation territoriale est beaucoup plus tardif, cf. TLFi, s.v. circonscription). Le terme adopcion est également attesté dès l’ancien français dans un contexte religieux pour désigner le rapport entre Dieu et les hommes (TLFi, s.v.). Le terme unicion, en revanche, ne connaît qu’une autre attestation en dehors de notre texte, sous la graphie unition, dans la traduction de la Chirurgia de Bruno da Longoburgo14 (XVe siècle) où il prend le sens de « action de réduire une fracture ». FEW (XIV, 48a, s.v. unire) le considère comme un hapax. Le MH fournit la plus ancienne des deux seules attestations de ce mot. Le latin unio, unionis du SH aurait pu être traduit par union, mot attesté à partir de 1220 (Gdf X, 822c) et employé plus loin dans le texte. Cela dit, le terme unitio est également attesté en latin médiéval. DuCangei le définit par le subst. conjunctio et Niermeyer (1051a, s.v.) par « l’action de rendre un15 ». L’exemplaire du SH utilisé par Jean de Vignay proposait-il unitio à la place de unio ? Quoi qu’il en soit, la solution proposée par le traducteur ne semble pas le fruit du hasard. Bien au contraire, le mot unicion est parfaitement approprié dans ce contexte : il s’agit en effet d’insister sur la dimension physique de l’union entre Dieu et l’homme, union qui renvoie à l’Incarnation du Christ. On notera, finalement, que le terme union se retrouve plus loin, au chap. 16 du livre II, dans un contexte météorologique où il est question de la formation des quatre éléments (cf. ci-dessous, par. 2). Il intervient dans la traduction du couplet concordia et communione rendu par une concorde et une union.

Desestable

  • 16 Voir N. Bragantini-Maillard et M. Cavagna, « La langue de Jean de Vignay dans le Miroir historial (...)

20Au premier chapitre du livre II, consacré aux différentes définitions de Dieu, on trouve le syntagme nominal motus instabilis (source : Augustin, Soliloquia, I, 2-4, par le biais de SNb II, 6) qui a été traduite par mouvement desestable (leçon de J1). La traduction de l’adj. instabilis par desestable mérite qu’on s’y attarde pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les (rares) attestations de ce terme font pencher pour un régionalisme normand ou anglo-normand (ANDi, s.v.)16. Ensuite, le mot a été supprimé par le réviseur qui l’a remplacé par la forme analytique non estable (révision accueillie par A1’ et Or1). Le réviseur semble ainsi anticiper la destinée de ce néologisme qui n’a pas été lexicalisé et qui, au XVe siècle, semble déjà avoir été remplacé par son concurrant instable (DEAF, I 314 s.v.).

Intellectuel, incorporel

21Au chapitre 9, relatant la création des anges, on relève les adjectifs intellectuel et incorporel. Voici un passage reprenant Jean Damascène (De Fide orthodoxa, XVII, 2), par le biais de SNb III, 15 (> SN livre I, 29).

Prima ymago Dei angelus est scilicet substantia intellectualis semper mobilis, arbitrio libera, incorporea. (SH)

« Le premier ymage de Dieu est angre, c’est assavoir sustance intellectuel touzjors mouble, de franche volenté, incorporel. » (MH)

22L’adj. intellectuel n’est attesté, avant notre texte, que chez Brunet Latin (DEAF I, 336 s.v.) et par la suite chez Nicole Oresme et Evrart de Conty (DMF, s.v. ; FEW IV, 737a s.v. intellectualis ; TLFi, s.v.). L’adj. incorporel est un peu plus répandu, mais reste tout de même assez rare avant la deuxième moitié du XIVe siècle (DEAF I, 184 s.v.).

Resourdement

  • 17 Malgré maintes recherches je n’ai pas identifié le passage auquel se réfère Vincent de Beauvais. D (...)

23Le chapitre 12, consacré aux hiérachies angéliques, est une reprise de SNb III, 68 (> SN I, 50) où Vincent de Beauvais cite comme source Jean Scot, traducteur de la Hiérarchie céleste de Denys le Pseudo-Aéropagite17. On note tout d’abord que Jean de Vignay conserve tels quels trois mots latins calqués sur le grec, à savoir epyfania, yperfania et ypofania. Le premier des trois termes est ensuite expliqué comme suit :

  • 18 SH (le ms. et l’édition de Douai) propose la leçon libera qui se retrouve par ailleurs dans d’autr (...)

Epifania igitur est superior manifestatio ministeriis incalescentis affectionis, altioris intuitus, iudiciique lib(e)ra18, resultatio distributa. (SH)

« Epyphania est la souveraine manifestacion des misteres et est regart eschauffant de la plus haute affection et balence de jugement, resourdement distribué. » (MH)

24Le substantif resourdement est attesté à partir du XIIIe siècle au sens de « résurrection », notamment dans un texte normand, le Bestiaire divin de Guillaume le clerc (Best.Guill, 2155). Les dictionnaires consultés relèvent deux attestations dans l’Ovide moralisé où le mot prend le même sens (Gdf VII, 106c, s.v. resordement ; TL VIII, 1029, s.v. resordre ; FEW X, 327b, s.v. resurgere). Dans notre texte, le mot traduit le latin resultatio. Il s’agit donc d’un hapax sémantique qui doit être rapproché de la forme sourdement, attestée pour la première fois dans le MH (livre XIV, chap. 40) au sens de « action de sourdre » (Gdf VII, 526, s.v. sourdement ; TL IX, 882, s.v. sordemant ; FEWXII, 460a s.v. surgere). DMF en atteste une autre occurrence à la toute fin du XVe siècle. Le mot se trouve dans un lexique trilingue breton-latin-français, le Catholicon de Jean Lagadeuc (imprimé en 1499), où il participe à la définition du latin scaturigo : sourdement d’eaue.

Atome

  • 19 S. Dörr, Der älteste Astronomietraktat in französischer Sprache : L’Introductoire d’astronomie. Ed (...)
  • 20 Ovide Moralisé, poème du commencement du quatorzième siècle, éd. C. De Boer, tome V, Amsterdam, J. (...)

25Pour conclure ce premier excursus, je noterai que le livre IV propose une série de chapitres sur les philosophes anciens et sur leurs doctrines. La richesse et la densité lexicale dans la traduction de Jean de Vignay mériterait une étude très approfondie. Je me contenterai ici de relever, au chapitre 32, l’une des premières attestation en français du terme atome, traduisant le latin athomus qui, à son tour, est un emprunt au grec a-tomos (avec a- initial privatif, littéralement « qu’on ne peut couper, indivisible »). SH mentionne la physique d’Épicure, fondée sur l’atomisme de Démocrite, selon laquelle la réalité sensible est composée ex athomis. La première attestation du mot atome remonte à 1270 environ et se trouve dans l’Introductoire d’Astronomie (IntrAstrD III 22-24)19. La deuxième occurrence, relevée par FEW (XXV, 672b s.v. atomus) sous la forme athomes, se trouve dans l’Ovide Moralisé (livre XIV, v. 953)20. Mis à part ces deux occurrences, et celle du MH, le terme n’est attesté qu’après le milieu du XIVe siècle, notamment chez les traducteurs Raoul de Presles, Nicole Oresme, Jean Corbechon (Gdf VIII, 230a s.v. ; DMF, s.v. ; TLFi, s.v.).

Météorologie

26Le chapitre 16 du livre II, intitulé De materia informi huius mundi sensibilis (De la matiere sanz fourme de ce monde) évoque la création des quatre éléments à partir de la matière primordiale qui, dans la traduction, conserve la forme grecque ylen (hûlen). La source de ce premier passage, reprise par le biais de SNb III, 24 (> SN II, 4), est Isidore de Séville, (Etymologiae, XIII, 3.1).

Sengle, descordable

27Par la suite, il est question des propriétés individuelles de chacun des éléments. Ici la source retenue est Honorius Augustodunensis (Imago Mundi, I, 3). Avant de passer en revue leurs proprietés individuelles, le texte explique que le quatre éléments ne peuvent pas se mêler :

Quapropter omnia elementa omnibus insunt, sed unumquodque eorum ex eo quod amplius habet accepit vocabulum, hec singula propriis qualitatibus quasi quibusdam brachiis se invicem tenent et discordem sui naturam concordi federe vicissim commiscent. (SH)

« Pour quoi touz les elemenz sont ensemble, mes chascun des elemenz selonc ce que il a plus prent un mot en ses sengles propres qualitez, aussi comme s’il s’entretenissent as propres braz et leur nature descordable vousissent acorder ensemble par aliance prochaine soi entremellanz. » (MH)

28On note que le groupe singula propriis qualitatibus est traduit par en ses sengles propres qualitez. Le subst. latin au neutre pluriel singula devient en français un adjectif féminin accordé à qualitez. L’adj. est attesté au XIIIe siècle au sens de « seul, isolé », semantisme qui semble convenir pour notre texte, où il fonctionne en couplet synonymique avec l’adj. propre (Gdf VII, 305 s.v. sangle2 ; TL IX, 146, s.v. sangle ; DMF, s.v. sangle2 ; FEW XI, 647b, s.v. singulus). La deuxième partie du passage insiste sur la concordia discors : tout en conservant intactes leurs qualités respectives, les quatre éléments peuvent s’allier à l’instar de deux hommes qui se tiennent bras dessus, bras dessous. On notera surtout l’adj. descordable qui se rapporte à la nature des éléments et qui exprime notamment leur impossibilité de fusionner. On pourrait le traduire par « incompatible » ou tout simplement par « discordant », définition qui pourrait correspondre à « nicht im Einklang stehend, im Widersprich stehend » de TL II,1529 qui donne une première attestation de la fin du XIIe. Mis à part cette attestation, en ancien français, le terme se rapporte toujours à des êtres animés et prend alors le sens de « querelleur » (Gdf II, 565c, s.v. ; FEW III, 92a, s.v. discordare). Le sens abstrait qu’il prend dans notre texte est surtout attesté à partir du milieu du XIVe siècle, notamment chez Nicole Oresme (DMF, s.v.).

Fumosité

29Au chapitre 20, évoquant le deuxième jour de la Création, le texte explique le phénomène de la pluie, notamment à travers la théorie des exhalaisons telluriques. La source retenue, par le biais de SNb IV, 8, est Augustin, De Genesi ad Litteram, II, 4.8, (probablement d’après Pierre Lombard, II, 14.4) :

Augustinus super Genesim dicit eas posse vaporaliter trahi et levissimis guttis suspendi sicut aer iste nubilosus exhalatione terre aquas vaporabiliter trahit et per subtiles minutias suspendit et postea corpulentius conglobatas pluvialiter refundit. (SH)

« Et Augustin dit sus le Genesy que le ciel les atrait aprés li en vapeurs par tres legieres goutes aussi comme l’air anuble par la fumosité de la terre trait a soi les yaues en vapeurs et les amenuise soutilment par pieces pendantes et, aprés que il sont assemblees par aucunes porretures, il les respant en pluies. » (MH)

  • 21 Voir J. Ducos, La météorologie en français au Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles), Paris, Champion, 1998 (...)

30On notera tout d’abord la traduction du groupe aer nubilosus par l’air anuble où l’adjectif anuble « couvert de nuages », sonne ici comme un archaïsme. En effet, il semble assez bien attesté en ancien français alors qu’il se fait rare dès le XIVe siècle (Gdf I, 302c, s.v. anuble, et anublé ; III, 208c, ennuble ; TL III-1, 694, s.v. enuble ; DMF, s.v. ennuble ; FEW VII, 221b, s.v. nubilus). Le substantif exhalatio (exhalatione terre) est traduit par fumosité, un terme emprunté au domaine médical où il désigne les vapeurs nocives qui s’engendrent dans les organes vitaux ou bien tout simplement les flatulences. Il est notamment attesté, au XIIIe siècle, dans le Livre des simples Medecines (LSimpleMedD 22, 413, 453) et ensuite dans la traduction anonyme de la Chirurgia d’Henri de Mondeville (84, 125). Au XIIIe siècle, il est également attesté dans l’Introductoire d’astronomie (IntrAstrD II, 19) et c’est à partir de la deuxième moitié du XIVe siècle qu’il est surtout employé dans les textes traitant de météorologie, surtout chez Evrart de Conty21 (Gdf IV ; 182a s.v. ; TL III-2, 2355, s.v. ; DMF, s.v. ; FEW III, 854a, s.v. fumus).

Impression (de l’air)

31Au chapitre 53, Vincent de Beauvais mentionne une série d’ouvrages d’Aristote (cf. ci-dessous, par. 5). Lorsqu’il mentionne la Météorologie, il se préoccupe d’en définir le contenu :

in libro Metheororum ubi Aristotiles determinat de impressionibus aeris et de generatione grandinis et nivis. (SH)
« … el livre de Metheores, el quel Aristote determine des impressions de l’air et de l’engendrement de la pluie et de la noif. » (MH)

  • 22 Voir D. Jacquart, « De l’arabe au latin : l’influence de quelques choix lexicaux (impression, inge (...)

32Comme l’a expliqué Danielle Jacquart, l’expression latine impressio aeris, voire même le mot impressio (aeris étant parfois sous-entendu) désigne un phénomène atmosphérique22. Cette expression, explique-telle, porte la trace de la tradition arabe qui a joué le rôle d’intermédiaire dans le transfert des œuvres d’Arisote. Pour indiquer les phénomènes atmosphériques, les traducteurs arabes utilisent le mot al-atar, signifiant précisément « trace », « marque » : cela explique l’origine du mot latin impressio, utilisé par le premier traducteur des Météorologiques Gérard de Crémone à la fin du XIIe siècle. Le terme se trouve aussi dans le Roman de la Rose (RosemLangl 18935), précisément dans un développement météorologique concernant l’alternance des saisons.

  • 23 Voir l’article de D. Jacquart cité n. 23 et aussi J. Ducos, « Passions de l’air, impressions ou mé (...)

33Dans le domaine latin, ce terme a fait l’objet d’une discussion de la part d’Albert le Grand qui insiste sur ses implications symboliques : le terme impressio, dit-il dans ses Libri meteororum, suppose une influence céleste et suggère donc une interférence entre les phénomènes naturels et l’intervention divine23. Le mot occupe en somme une place tout à fait notable et surtout tout à fait cohérente dans la synthèse de Vincent de Beauvais qui se situe, on le rappelle, dans le contexte de la Création.

  • 24 Voir Ducos, La météorologie en français, p. 216-217.

34Dans sa traduction française, Jean de Vignay utilise le terme Metheores pour le titre de l’ouvrage d’Aristote et calque, tout naturellement, le latin impressio par impressions. Comme le note Joëlle Ducos, le terme impression, à côté de emprainture, se généralise dans le vocabulaire météorologique français du XIVe siècle et se retrouve notamment chez Evrart de Conty et Nicole Oresme24. De toute évidence, Jean de Vignay mérite d’être accueilli parmi les traducteurs qui ont contribué au développement de ce lexique.

Zoologie

  • 25 Les sources des livres d’animaux du SN ont été étudiées par B. Van den Abeele, « Vincent de Beauva (...)

35Les chapitres 26 à 29 du livre II sont consacrés aux animaux. Conformément à l’ordre de la création, sont d’abord présentés ceux qui habitent le ciel et l’eau, les oiseaux et les poissons et ensuite les mammifères et les serpents, destinés à peupler la terre avant l’arrivée de l’homme. Le choix est très sélectif et les passages du SNb retenus (livres IX et X) sont essentiellement tirés de l’Historia naturalis de Pline l’Ancien25.

36Quant au MH, on est assez surpris de constater que Jean de Vignay ne connaît guère cet auteur et son œuvre. Sa traduction en témoigne à partir d’un passage du Libellus apologeticus, le premier livre du SH qui est aussi le prologue général de l’encyclopédie. Au chapitre 4, Vincent de Beauvais mentionne plusieurs sources qu’il a exploitées. La mention Plinium, De historia naturali est traduite en français par Perlin, Des hystoires materiaus. La faute est certainement liée à une mauvaise lecture du texte latin : il est facile d’imaginer que Jean de Vignay a cru reconnaître un signe d’abréviation dans le P-initial de Plinius, d’où la traduction Perlin (traduction qui, hélas, revient aussi au livre II chap. 27). Quant au titre de l’œuvre, l’erreur tient à la proximité graphique entre naturali et materiali.

37Le réviseur a bien repéré cette erreur et a modifié le titre en Plinien, Des hystoires natureles. Le copiste-correcteur du ms. A1’ transcrit la correction telle quelle alors que le copiste du ms. Or1 introduit la leçon, également erronée, Plinien, Des hystoires machabees. Au chapitre ii, 27, le nom Perlin a été également corrigé par le réviseur mais la correction n’est accueillie que par A1’, proposant la leçon Plinin, alors que le copiste de Or1 choisit de conserver Perlin. Ces constats, assez étonnants, semblent suggérer que la connaissance de Pline dans le milieu francophone du XIVe siècle mérite d’être reconsidérée avec attention. Ce n’est qu’à partir du chap. ii, 131 que Jean de Vignay corrige sa lecture et décide de conserver le nom de l’auteur sous la forme latine Plinius.

38Quant au lexique animalier, la première remarque porte sur la table des matières du livre II. Le titre du chapitre 29, De reptilibus attire d’emblée notre attention car Jean de Vignay propose une traduction tout à fait surprenante, à savoir Des choses prenables a la roiz. De toute évidence, il propose une interprétation pseudo-étymologique du mot reptilis qu’il rattache au paradigme de rete > roiz à savoir « filet » (Gdf X, 583a s.v. roi2 ; TL VIII, 1395, s.v. roi ; DMF, s.v. retz ; FEW X, 329a, s.v. rete). On peut facilement imaginer une lecture du type *reptibilis où le suffixe –ibilis exprime la possibilité : d’où la traduction « les choses qu’il est possible d’attraper au filet ». Une telle bévue n’a pas échappé au réviseur qui a modifié le titre en De toutes manieres de serpens (leçon de A1’ et Or1). Par ailleurs, l’erreur ne se reproduit plus dans la suite de la traduction : toutes les occurrences du mot reptilis, à partir de la rubrique qui précède le chapitre 29, sont ensuite systématiquement traduites par serpens.

  • 26 D. Gerner, La traduction des « Otia Imperialia » de Gervais de Tilbury par Jean de Vignay dans le (...)

39Dans la deuxième moitié du livre, au chapitre 83, on trouve un autre exemple de traduction (pseudo-)étymologique. Consacré à la description de la Sardaigne, ce chapitre est tiré d’Isidore de Séville (Etym., XIV, 6.40). Vincent de Beauvais y mentionne une araignée venimeuse appelée solifuga (Du Cange, s.v. solifigum animal), terme bien attesté à partir de Pline l’Ancien, NH VIII, 43 ; Jules Solin, IV, 3 jusqu’à Gervais de Tilbury (Otia Imperialia II, 12). Ce dernier reprend le même passage d’Isidore sur la Sardaigne. Jean de Vignay décompose le terme en ses deux parties et le traduit par le terme fuisoleil. Il va de soi qu’il s’agit d’un hapax. Il est intéressant de noter que dans sa traduction des Otia imperialia, généralement considérée comme plus ancienne de celle du Speculum historiale, Jean de Vignay néglige le nom de l’animal et se contente de le désigner par le substantif beste : le passage solifigum animal morsu homines perimens est rendu en français par une beste que si tost conme ele mort I honme il muert26. Dans cette traduction, il semble adopter une attitude plus « prudente » et moins incline à la formation de néologismes.

  • 27 Au chapitre 71 du livre II, par exemple, le groupe Mediterraneum mare est traduit par la Mer d’enm (...)

40D’après Ludmilla Evdokimova (cf. son article dans ce recueil), les traductions (pseudo)étymologiques sont caractéristiques de la technique adoptée par Jean de Vignay ; elle propose même d’y reconnaître une sorte de « marque de fabrique » propre à notre traducteur. Ces deux exemples, parmi bien d’autres27, semblent confirmer son observation.

  • 28 Il n’est pas répertorié dans le long article de P. Barbier, « Noms des poissons. Notes étymologiqu (...)

41Dans d’autres cas, la traduction semble suivre une logique purement phonétique. Au chap. 27, consacré aux poissons, le texte latin propose le couple umbre et aurate désignant les ombres et les daurades, ainsi nommées en raison de leur couleur. Jean de Vignay traduit par ombre, avarte. Le nom avarte reste inconnu ailleurs28, mais il peut s’interpréter comme un emprunt déformé au latin aurata, le traducteur ne (re)connaissant pas l’espèce ainsi désignée. Signalons par ailleurs que le terme daurade n’était pas encore connu à l’époque, puisqu’il semble faire son apparition dans le premier tiers du XVe siècle (Gdf IX, 275a, s.v. daurade ; TL II, 2029, s.v. doree ; DMF, s.v. daurade ; FEW XXV, 1034a, s.v. aurum ; TLFi, s.v. daurade). Le réviseur est intervenu sur le mot mais ne semble pas non plus connaître les noms des deux poissons. Le manuscrit A1’ propose la leçon d’ombre ou doree qui a toutes ses chances de refléter fidèlement la révision, alors que, comme c’est souvent le cas, le copiste de Or1 cumule erronément la version originale et la version révisée en proposant la leçon d’ambre ou doree avarte.

42Dans le même chapitre 27, on trouve un passage qui mérite d’être analysé plus en détail en raison de sa complexité. Il est tiré de Pline l’Ancien (Hist. Nat. IX, 16), par le biais de SNb IX, 83, et propose une répartition des animaux aquatiques sur base de leur type de peau. Dans le texte du ms. A1, je souligne les mots qui ont été notés par le correcteur (A1’) :

Alia namque corio et pilis teguntur ut vituli et ypotami, alia corio tantum ut delphini, alia cortice ut testudines, alia salicum duricia ut conche et ostree. (SH)

« Quar les uns sont couvers de cuir et de poil comme loirre, autres de cuir seulement comme delfin, autres d’escorche comme tortue, autre de dure eschaille comme oistres. » (J1)
« Car les uns sont couvers de cuir et de poil comme loirre et cheval d’iaue, autres de cuir seulement, comme le daufin, autres d’escorce comme limace, autres de dure escaille comme oitres. » (A1-A1’)
« Car les uns sont couvers de cuir et de poil, comme loirre, autres de cuir seulement, comme dalphin, autres d’escorce comme chevaus d’yaue, autres de dure escaille, comme lymace et comme oistres. » (Or1)

43Voici un tableau résumant les différentes répartitions proposées par le texte latin et par les trois témoins de la traduction :

type de peau

SH

J1

A1

Or1

cuir et poil

Vitulus ypotamus

loirreX

loirre cheval d’iaue

loirre

cuir

delphinum

delfin

daufin

dalphin

écorce

testudinis

tortue

limace

chevaus d’yaue

écailles

concheostree

Xoistres

X oitres

limace oistres

  • 29 Le mot conche n’est attesté en français qu’à la toute fin du XVe siècle au sens de « coquille », « (...)
  • 30 Dans un article récent, Philippe Ménard note que le terme testudo est parfois employé en latin méd (...)

44On note tout d’abord que le latin vitulus, désignant ici un « veau de mer », donc une sorte de phoque, est traduit par loirre, graphie qui indique la « loutre » (TL V, 611, s.v. loire (lotre) ; DMF, s.v. loire1 ; FEW V, 476b, s.v. lutra). Quant aux autres éléments de la liste, il est intéressant de noter que le réviseur a opéré deux interventions dont l’une seulement à raison. D’après la leçon du ms. J1 on note que Jean de Vignay avait négligé de traduire les mots ypotamus « hippopotame » et conche. Le réviseur a traduit le premier, dans une logique étymologique, par cheval d’iaue (leçon de A1’ et Or1) alors que le deuxième reste sans traduction29. Le terme latin ypotamus, version condensé de hippopotamus est emprunté au gr. ιπποποταμος qui signifie justement « cheval du fleuve ». Le mot français est attesté chez Brunet Latin qui propose à la fois l’emprunt ypotame (var. ipotame, apotaine) et la traduction étymologique cheval fluviel (Trésor, I, 135). On note ensuite que le terme testudinis est traduit par tortue (leçon du ms. J1). Bien qu’il soit attesté à partir de la fin du XIIe siècle, ce mot reste relativement rare en français médiéval. Il se retrouve notamment chez Brunet Latin (III, 13). Cf. Gdf X, 781b s.v. ; TL X, 463, s.v. tortüe ; DMF, s.v. ; FEW XIII-1, 125a s.v. tartarucus ; TLFi, s.v. Ici l’intervention du réviseur est carrément fautive car il remplace le mot tortue par limace, c’est-à-dire « escargot ». En effet, le terme testudo est parfois employé en latin médiéval pour indiquer l’escargot30, mais visiblement ce n’est pas le cas ici, car nous sommes dans un contexte maritime.

45Le terme tortue revient au livre IV, chap. 33 à l’intérieur du récit, tout à fait amusant et assez célèbre, de la mort du poète Eschyle. Voici le passage en question, dont la source est Valère Maxime (Factorum et Dictorum Memorabilium, IX, 12.2) :

  • 31 La même anecdote tirée de Valère Maxime est racontée par Simon de Phares dans son Recueil des plus (...)

Un aigle volant sus lui, portant une tortue (corrigé en limace, A1’) pour mengier la, si resgarda la teste de celui escrivain resplendissante, car ele estoit toute wide de cheveulz (= « chauve »). Et pour ce l’aigle cuida que ce fust une pierre et lessa la tortue cheoir a fin que la coquille froissast por mengier en la char. Et de cele plaie il morut31. (MH)

  • 32 Il va de soi que cette « prise de conscience » concerne peut-être seulement le copiste-correcteur (...)

46Il est intéressant de constater que le réviseur intervient sur la première occurrence du terme qu’il remplace par limace (leçon du ms. A1’). Par la suite, il semble s’apercevoir de l’erreur d’après le contexte – un escargot qui précipite sur le crâne ne suffit probablement pas pour tuer un homme, même s’il est dégarni – si bien que la deuxième occurrence est conservée telle quelle32.

  • 33 Cavagna, « Variantes d’auteur in absentia ? ».

47Revenons-en à notre passage du livre II pour analyser la solution proposée par le manuscrit Or1. Ici les deux ajouts, le chevaus d’yaue et la limace ont changé de place et sont situés dans des catégories qui ne sont pas les leurs. Comment expliquer une telle perturbation textuelle ? Il est évident qu’elle a été provoquée par la révision opérée sur le modèle de Or1, à savoir, d’après mon hypothèse, dans les marges du manuscrit original issu de la plume de Jean de Vignay33. Loin de gratter ou de barrer les mots à corriger, le réviseur s’est contenté de faire des ajouts dans les marges si bien que le copiste de Or1 hésite souvent sur la façon de les accueillir. Ce passage, parmi bien d’autres que j’ai analysés en détail, se situe au fondement de mon hypothèse.

Vocabulaire anatomique et médical

  • 34 Voir Draelants, « La science naturelle et ses sources chez Barthélemy l’Anglais », p. 85-88 ; voir (...)

48Les chapitres 31-32 du livre II sont consacrées à la création de l’homme et proposent une description fort condensée du corps humain. En comparant les deux versions du SN on se rend compte que la matière anatomique subit une amplification considérable. Dans le SNb, l’anatomie humaine occupe le livre XIII tout entier, intitulé De humano corpore et eius generatione et habitatione, alors que le SN (la version trifaria) lui consacre les livres XXVIII, intitulé De formatione humani corporis et eius natura et XXXI, De humana generatione. Même si le livre XIII du SNb n’a pas été conservé, l’analyse du SN nous donne une idée assez précise sur les sources utilisées, tout en sachant que quelques-unes d’entre elles ont pu avoir été ajoutées par la suite. Grâce aux travaux d’Isabelle Draelants, nous disposons d’un relevé exhaustif des sources concernant la matière anatomique, parmi lesquelles il faut citer notamment Aristote, Vitruve, Augustin, Galien, Hippocrate, Isidore, Avicenne, Isaac Israeli, Rhazes, Constantin l’Africain, Raymond de Peñafort34.

  • 35 À propos de ce texte, voir G. Marasco, « Constantin l’Africain,l’abbaye du Mont-Cassin et le dével (...)

49Or, il est très intéressant de noter que, face à une telle multitude de sources classiques et médiévales, Vincent de Beauvais choisit de ne retenir, dans son compendium historiale, qu’un seul texte, à savoir le traité médical Pantegni de Ibn al-Abbas al-Magusi traduit par Constantin l’Africain, notamment dans sa partie Theorica35. Ce traité d’origine arabe semble désormais constituer pour lui la principale référence en matière médicale.

  • 36 Voir M. Paulmier-Foucart, « L’évolution du traitement des cinq sens dans le Speculum maius de Vinc (...)
  • 37 Voir Ventura, « Bartolomeo Anglico ». À ce propos, voir D. Jacquart, La médecine médiévale dans le (...)

50Le choix de Vincent de Beauvais est d’autant plus significatif si on le situe dans le contexte culturel du milieu du XIIIe siècle, un milieu qui voit l’essor parallèle, et donc en partie concurrentiel, du renouvellement de la philosophie naturaliste, grâce à la redécouverte d’Aristote, et de la science médicale proprement dite, en particulier le savoir d’origine arabe. En reprenant les travaux de Monique Paulmier Foucart36, Iolanda Ventura a bien mis en exergue la concurrence entre deux systèmes de pensée en prenant comme exemple la division des vertus de l’âme dans la tradition philosophique d’origine aristotélicienne et dans la nouvelle tradition médicale. À la division traditionelle en vis vegetabilis, sensibilis, animalis semble succéder une division secundum medicos en vis naturalis, vitalis et animalis37. Dans le domaine médical, en somme, le savoir hérité du De animalibus d’Aristote – texte largement cité dans les parties conservées du SNb – passe désormais au deuxième plan par rapport aux sources plus proprement médicales, notamment par l’essor de la médicine arabe. Comme on le verra par la suite, Aristote reste pourtant une référence incontournable dans d’autres domaines scientifiques, comme la métérologie.

51Les chapitres anatomiques du SH ne font que confirmer cette tendance. Le chapitre 32 du livre II, notamment, intitulé De divisionibus membrorum (tiré de SNb XIII, 4) s’ouvre précisément sur la théorie des trois vertus ou fonctions du corps humain selon al-Magusi et Constantin l’Africain. Le traité Pantegni résume les trois vertus ou actions principales du corps humain en animalis, spiritualis (ou bien vitalis), naturalis. Chacune de ces vertus est « régie » par un organe principal : la vertu animalis par le cerveau, la vertu spiritualis par le cœur, la vertu naturalis par le foie et les membres génitaux.

  • 38 La Chirurgie de maître Henri de Mondeville, éd. A. Bos, Paris, Didot (SATF), 1897-1898, deux tomes (...)
  • 39 Voir J. Ducos, « Le lexique de Jean Corbechon : quelques remarques à propos des livres IV et XI », (...)

52Quant au MH, ce chapitre est d’un intérêt capital pour l’histoire du lexique anatomique et médical en langue française. Dans cette première partie on relève tout d’abord les trois adjectifs animel (< animalis), espirituel, naturel traduisant les trois fonctions du corps humains. Ensuite on relève les adjectifs generative, engendrable, nutritive. Ce dernier terme en particulier est attesté pour la première fois dans la traduction de la Chirurgia d’Henri de Mondeville (29, 335 etc.)38, à savoir quinze ans à peine avant notre texte (cf. TLFi, s.v. nutritif). Plus loin, au chapitre 46, on trouve le groupe vertu du cors conservative (traduisant vis conservativa qui correspond de fait à la vis nutritiva). D’après les dictionnaires, l’adj. conservatif n’est jamais attesté avant la deuxième moitié du XIVe siècle, quand il apparaît chez Nicole Oresme et Evrart de Conty (Gdf IX, 165b s.v. ; DMF, s.v. FEW II-2, 1066a, s.v. conservare, TLFi, s.v.). Tous ces emprunts sont forgés selon une pratique, celle de la suffixation, dont nous avons déjà vu plusieurs exemples et que les chercheurs associent généralement aux traducteurs de la deuxième moitié du XIVe siècle39.

53Dans l’explication de la virtus spiritualis et des membres qui lui sont propres, on trouve un passage très riche du point de vue lexical :

Membra spiritualia facta sunt propter spiracula flatus et caloris naturalis conservantia, ut sunt pectus et ejus panniculi, cor, pulmo, cum canalibus suis, fauces, dyafragma et arterie. (SH)

« Les membres esperituex sont faites pour les souspirs, les soufflemens, et pour garder la chaleur de nature, si comme le piz et son estente, comme le cuer, le pommon et leur charnieres, les denz, les joes. » (J)
« … le piz et ses taies comme le cuer, le pomon et leur chaniaus, les cercles et les artieres, les joies » (A’)
« … le pis ses taies comme le cuer, le poumon et leur chaniaux, les joes et les autres membres, le cercle et les arteres » (Or)

54D’après cet extrait, les membres préposés à virtus spiritualis ont la double fonction d’assurer la circulation du souffle (spiracula flatus) et de conserver la chaleur naturelle (caloris naturalis conservantia). Dans la traduction française, Jean de Vignay considère spiracula et flatus sur le même plan syntaxique (en effet la forme flatus pourrait être aussi bien un accusatif pluriel alors que c’est un génitif), d’où la traduction souspirs et soufflements. Le décalage par rapport au texte latin n’est pas trop important tant et si bien que le réviseur conserve cette traduction.

  • 40 Le terme est attesté dans un contexte médical souvent à propos des maladies des yeux, voir I. Vedr (...)

55En revanche, dans la liste des membres mentionnés on note bien une intervention du réviseur. Le groupe latin pectus et ejus panniculi est traduit par le piz et son estente (leçon de J1) et révisé en le piz et ses taies (A1’Or1). Le terme panniculus désigne une « membrane ». Le traducteur d’Henri de Mondeville propose le calque pannicles (Chirurgie, 105, 106 etc.) alors que Jean de Vignay s’efforce ici de propose une traduction ad sensum à travers le substantif estente, mettant l’accent sur « l’étendue » ou l’« extension » de l’organe en question (TL III, 1380, s.v. estente ; DMF, s.v. étente ; FEW III, 326a, s.v. extendere). Le réviseur insère à sa place le substantif taie, désignant toute membrane, dont celle d’un organe. Ce terme est donc tout à fait approprié et bien attesté dans le domaine médical (TL X, 355, s.v. toie ; DMF, s.v. taie ; FEW XIII-1, 301b, 302b, s.v. theca)40. Par ailleurs, Jean de Vignay lui-même utilise le terme taie un peu plus loin dans le même chapitre (cf. ci-dessous). La fin de l’énumération est plus problématique. Les trois parties que cite le latin, fauces, dyafragma et arterie, correspondent à la gorge, au diaphragme et aux artères. Ici, la leçon de J, les denz, les joës, ne trouve pas d’explication satisfaisante. Si les joues peuvent bien correspondre aux fauces il est difficile de comprendre la mention des dents.

56Le réviseur insère ici la séquence les cercles et les artieres et nous offre ainsi l’une des premières attestation du terme artiere en français médiéval. Il s’agit d’un emprunt au latin d’un terme d’origine grecque gr. artêria (> lat. arteria). Avant cette attestation, on retrouve ce mot dans quelques textes du XIIIe siècle, notamment dans les Faits des Romains (1213), dans le Régime du corps d’Aldobrandin de Sienne, (avant 1268) et dans un glossaire roman conservé à Bruxelles (cf. Gdf VIII, 193a, s.v. artere ; TL I, 554, s.v. artere ; DMF, s.v. artère ; FEW XXV, 367a, s.v. arteria ; TLFi, s.v. artère).

57Le terme cercle, à partir de son acception répandue de ligne, a pu désigner le diaphragme. Cela dit, plus loin dans ce même chapitre, le mot dyafraigme connaît l’une des premières attestations (cf. ci-dessous) et les dictionnaires ignorent le sens pris ici par cercle : il s’agirait alors d’un hapax sémantique. On notera, finalement, que la révision produit une perturbation dans le ms. Or1 qui insère le groupe les cercles et les artieres après avoir copié le début de la phrase suivante, et les autres membres, si bien qu’il est ensuite obligé de le répéter.

  • 41 Iolanda Ventura a étudié les nombreux chapitres consacrés au cœur dans le SN (version trifaria, li (...)

58Un peu plus loin, dans le même chapitre, l’auteur présente le principal des membra spiritualia, à savoir le cœur41. Le passage choisi insiste sur son rôle de réceptacle de la chaleur naturelle qui vivifie les autres membres. Il présente les organes qui lui sont proches, à savoir les poumons qui ont pour fonction de refroidir le cœur et d’expulser le calor fumosus ainsi que les membranes qui ont pour fonction de le protéger :

Cordis autem defensiva sunt eius panniculi et diaphragma et panniculi pectoris. (SH)

« Et les membres desfensives du cuer sont la dyafraigme et les taies d’entour et celes du piz. » (MH)

  • 42 Voir Grand Larousse de la langue française, éd. L. Guilbert, R. Lagane, G. Niobey, Paris, Larousse (...)

59Voici le terme taies qui revient, cette fois-ci, dans tous les manuscrits, pour traduire panniculi. Ici Jean de Vignay utilise le groupe les taies d’entour où le mot taie désigne, comme on l’a vu, la membrane. On note surtout le terme diaphragme emprunté au grec par l’intermédiaire du latin, qui connaît ici l’une de ses premières attestations en langue française. Avant notre texte, il se trouve dans le Commencement de la sapience des signes, traité didactique du juif andalou Abraham ibn Ezra, traduit en 1273 ou 1274 par Hagin le Juif, et dans la traduction de la Chirurgia d’Henri de Mondeville (Gdf IX, 377c, s.v. diaphragme ; TL II, 1908, s.v. dïafragme ; DMF, s.v. diaphragme ; TLFi, s.v. diaphragme. FEW (III, 67a, s.v. diaphragma) date le mot du XIIIe siècle en renvoyant au Grand Larousse (II, 1313c, s.v. diaphragme) et au Dictionnaire général de la langue française (I, 47 s.v. diaphragme) qui mentionnent bien Henri de Mondeville, et donc l’année 131442. Notre texte semble donc offrir la troisième attestation de ce mot.

60Pour les membres nutritifs, régis par le foie, le passage choisi insiste tout particulièrement sur le système d’auto-dépuration et sur l’importance d’évacuer les superfluitates :

Alia quoque tantum superfluitatem sanguinis expellunt et mundificant ut splen, fel, renes. Alia partem cibi superfluam recipiunt et expellunt ut intestina grossa et vesica. Quod enim a stomacho reicitur, ab hiis recipitur et expellitur, vesica recipit superfluitates aquosas a renibus de sanguine depuratas. (SH)

« Et autres membres sont qui purefient le sanc et deboutent les superfluitez hors, si comme les rains, le splein, le fiel. Et autres membres sont qui prennent la superfluité de la viande et metent hors, si comme les grosses entrailles et la vessie, car ce que l’estomac boute hors, il le retiennent et mainent outre. La vessie reçoit les superfluitez yaueuses qui depurent du sanc des rains. » (MH)

  • 43 Voir Hunt, Old French Medical Texts, glossaire aux Gloses médicales, p. 225, s.v. esplien.
  • 44 Voir M. Goyens, « Le développement du lexique scientifique français et la traduction des Problèmes (...)
  • 45 Voir H. Vaganay, « Pour l’Histoire du Français Moderne », Romanische Forschungen, 32/1, 1912, p. 1 (...)

61Plusieurs termes sont à relever, notamment le mot splein qui désigne la « rate », terme attesté dans la traduction du texte d’Henri de Mondeville et aussi dans Sydrac (Gdf III, 535c, s.v. esplen ; TL IV, 1218, s.v. esplein ; DMF, s.v. esplein ; FEW XII, 200a-b s.v. splen)43. Ensuite le terme fiel < fel désigne par métonymie le contenant du fiel, la bile, donc la vésicule biliaire44. On note enfin le groupe superfluitez yaueuses. Le substantif superfluité est bien attesté dans le vocabulaire médical du XIVe siècle au sens de « ce qui est en excès » (DFM2012, s.v. superfluité). Ici il est d’abord implicitement associé au sang, ensuite à la nourriture (superfluité de la viande) et finalement aux liquides (superfluitez yaueuses). L’adjectif yaueux confirme, une fois encore, que notre texte occupe un rôle crucial, juste après Henri de Mondeville, dans le développement du langage médical et anatomique français. L’ancêtre de l’adj. « aqueux » est en effet attesté, en ordre chronologique, chez le traducteur d’Henri de Mondeville, Jean de Vignay, Evrart de Conty, Brunus de Longoborgo. (Gdf I, 184a, s.v. aigos, cf. aussi VIII, 161, s.v. aqueux ; DMF, s.v. aigueux ; FEW XXV, 75b : aquosus). La même expression superfluitez yaueuses a été relevée dans un traité de chirurgie du XVIe siècle, intitulé Guidon en Français, une traduction de la Chirurgia de Guy de Chauliac45.

  • 46 À propos du savoir médical concernant les genitalia, voir D. Jacquart et Cl. Thomasset, Sexualité (...)
  • 47 Voir Védrenne-Fajolles, « Tradition hippocratique et pseudo-hippocratique », p. 86.

62Le passage sur les parties génitales subit, dans la traduction française, une coupure assez drastique. Comme le souligne N. Bragantini (cf. son article dans ce recueil), Jean de Vignay adopte souvent une attitude prude et tend a supprimer d’une façon systématique les arguments qu’il juge scabreux. Ainsi, les termes vulva, virga, testiculi et vasa spermatis restent sans équivalent dans la traduction. Pourtant, au livre III cette terminologie revient, en partie, dans les chapitres consacrés aux tabous sexuels propres à l’ancienne culture hébraïque. Nous trouvons notamment l’emprunt spermatique qui revient à deux reprises (III, 33 et 35), ainsi que le terme morroïdes (pour hémorroïdes, III, 36). D’après les dictionnaires, le premier terme n’est attesté, avant notre texte, que dans la traduction de la Chirurgie d’Henri de Mondeville (110 etc.)46. Le deuxième terme est est attesté, sous la forme emorrides, dans le Secret d’Hippocrate, texte du début du XIVe siècle47, ainsi que chez le traducteur de Mondeville, sous les formes emorroïdes (571, 1440) et morroïdes (1975). Cf. Gdf IX, 752c, s.v. hemorroides ; TL III-1, 83, s.v. emorroïdes ; DMF, s.v. hémorroïdes ; FEW IV, 373b, s.v. haemorrhois2 ; TLFi, s.v. hémorroïde.

Les sciences et les arts mécaniques

63Les trois derniers chapitres (livre II chap. 53-55) qui précèdent la matière historique proprement dite proposent une réflexion sur les sciences et les arts. Le premier des trois porte un titre emblématique, à savoir Des sciences, qui sont donnees a homme en remede (traduisant De divisione scientiarum que et ipse date sunt homini in remedium). Les trois chapitres sont presque entièrement tirés d’une seule source, à savoir du Liber exceptionum de Richard de Saint-Victor, un texte qui, comme je l’ai dit, a également été largement exploité dans le Speculum doctrinale.

  • 48 Voir Paulmier-Foucart, Vincent de Beauvais, p. 25

64Comme à propos de la matière anatomique, Vincent de Beauvais focalise son attention sur une seule source qu’il considère, de toute évidence, comme la référence fondamentale en la matière. Monique Paulmer Foucart a bien montré la centralité de la pensée victorine, élaborée par Hugues et Richard de Saint-Victor, par rapport à l’accès à la connaissance et surtout à l’idée que les sciences ont été données à l’homme en tant que remède à ses malheurs48. D’après les maîtres victorins, la connaissance du monde et donc les arts et les sciences sont considérés comme un moyen de retour à la condition originelle de l’homme, avant le péché. Une telle philosophie se situe au fondement même de l’entreprise encyclopédique de Vincent de Beauvais. C’est donc tout naturellement que, pour ces chapitres consacrées aux sciences, il se tourne vers l’œuvre de Richard de Saint-Victor.

65L’évocation des sciences s’insère dans un discours articulé lié à la Création et au péché originel. Au moment de la Création, Dieu donna à l’homme trois grands biens : il le fit à son image, à sa semblance et immortel. Ces trois biens ont été corrompus au moment du péché originel : il a perdu l’image de Dieu par ignorance, il a perdu la semblance par convoitise, il a perdu l’immortalité par la maladie. L’homme se sépare ainsi de Dieu et est plongé dans les tenèbres par son ignorance, dans l’instabilité par sa convoitise et dans la mort par la maladie corporelle. Pour ôter ces trois malheurs, Dieu lui a donné trois remèdes : la sagesse contre l’ignorance, la vertu contre la convoitise, la nécessité contre l’enfermeté. Chacune de ces trois vertus de l’homme correspond donc à un type de science :

Propter que tria inventa est omnis philosophia vel artis disciplina, scilicet propter sapientiam theorica, propter virtutem practica, propter necessitatem vero mechanica. (SH)

« Et par ces III est trouvee toute philosophie et toute discipline d’art, c’est assavoir pour la sagesce fu trouvee la theorique, pour la vertu practique et pour neccessité la mathematique (var : l’art des mains A1’, Or1) » (J1)

  • 49 À propos des arts mécaniques, voir P. Sternagel, Die artes mechanicae im Mittelalter : Begriffs-un (...)

66Le terme mechanica, désignant ici les « métiers manuels » a été traduit erronément par mathematique. La proximité graphique, toute relative, des deux mots pourrait faire penser à une simple erreur de copiste dans la transmission du texte français. Pourtant, l’intervention du réviseur, qui a remplacé le mot par l’art des mains (leçon accueillie par A1’ et Or1), joue contre cette hypothèse. Ce qui est surprenant de constater, c’est que le terme mechanica revient deux fois au chapitre suivant, dans la rubrique et dans le corps du texte, et que dans ces deux cas Jean de Vignay traduit par le calque methanique. À la première occurrence, il s’agit d’un adjectif : Des ars practiques et methaniques (< De precticis et mechanicis artibus). À la deuxième, il fonctionne comme un substantif : Methanique si a VII especes : ouvrer de laine… (mechanica VII habet species, scilicet lanificium…). Brunet Latin est le premier à utiliser ce terme en tant qu’adjectif. Il en donne par ailleurs une définition qui correspond au contexte qui nous intéresse : ces autres mestiers ki sont besoignable a la vie de homes, et sont apielés mecaniques (Trésor, I, 4.6). Cf. Gdf V, 209b ; X, 134c, s.v. ; TL V-2, 1328, s.v. ; DMF2012 s.v. mécanique ; FEW VI-1, 567a, s.v. mechanicus ; TLFi, s.v. mécanique). En revanche, notre texte fournit la première occurrence du mot en tant que substantif49.

67Ce constat nous permet de formuler une autre observation concernant la traduction de Jean de Vignay. Comme on l’a vu à propos du terme panniculum, devant la première occurrence d’un mot technique qui lui est inconnu, il a tendance à improviser voire à se méprendre – ce qui oblige le réviseur à intervenir pour corriger la traduction. Si le terme revient par la suite, le contexte sémantique l’aide parfois à mieux le comprendre et à le traduire correctement. On est quand même surpris de constater qu’il n’a pas pris la peine de revenir à l’occurrence qui précède.

68Les arts pratiques, elles, sont divisées en trois catégories :

Practica dividitur in ethicam et echonomicam et polithicam. (SH)

« La science pratique est devisee en science ethique, ethonomique et polithique » (MH)

  • 50 Voir M. Lejbowicz, « Langage et économie : les figures du progrès chez Nicole Oresme », Le Moyen  (...)

69Par la suite, le texte propose des définitions ponctuelles des trois arts. L’ethique (< ethica) est définie comme la cure de soi (< sui curam gerens), l’ethonomique (< echonomica), comme la cure de servise familiaire et la polithique (< polithica) comme la cure de la chose conmune (reipublice curam). On notera surtout le terme ethonomique qui présente également, comme methanique une ambiguïté au niveau grammatical. Dans la première occurrence, présente dans la citation, il pourrait être pris pour un adjectif puisqu’il se rapporte à science, alors que dans la deuxième, à l’intérieur des définitions ponctuelles, il fonctionne tout seul, sur le même plan syntaxique et sémantique que ethique et polithique. Cet emploi substantivé est attesté chez Nicole Oresme (DMF2012, s.v. économique)50. Au XIIIe siècle, le mot est attesté sous les formes yconomique chez Brunet Latin (I, 4.4.) et michonomique, chez Henri de Gauchi (traduction du Gouvernement des Princes, de Gilles de Rome ou Egidius Colonna, vers 1287). Gdf IX, 423b, s.v. ; TL III, 14, s.v. economique. À l’instar de notre texte, ce dernier reprend également le passage de Richard de Saint-Victor.

70Venons-en au chapitre 53 et plus en particulier à la science théorique. Celle-ci est divisée, à son tour en trois disciplines, à savoir la théologie, la science naturelle (désignée ici par le mot physica) et la mathematique : theologicam, physicam, mathematicam. Le deuxième terme a été traduit par Jean de Vignay en philosophie ce qui doit être sans doute considéré comme une erreur, même si, comme je viens de le dire, le terme physica désigne la science – ou philosophie – naturelle. En tout cas, cette traduction douteuse a été réitérée deux autres fois, plus loin dans le chapitre. Le réviseur n’a corrigé que la troisième occurrence, concernant le titre de l’œuvre d’Aristote (cf. ci-dessous).

  • 51 Le chapitre a été traduit et commenté par Paulmier Foucart, Vincent de Beauvais, p. 274-276.
  • 52 Voir Ventura, « Bartolomeo Anglico », p. 64 avec une riche orientation bibliographique.
  • 53 Voir I. Draelants, « Le De generatione et corruptione au “siècle d’or” des encyclopédies médiévale (...)
  • 54 Voir Ventura, « Bartolomeo Anglico », p. 68.
  • 55 Voir B. Van den Abeele, « Le De animalibus d’Aristote dans le monde latin : modalités de sa récept (...)
  • 56 Voir G. Galle, « The Dating and Earliest Reception of the Translatio Vetus of Aristotle’s De sensu (...)

71La partie consacrée à la science naturelle est particulièrement intéressante par rapport à la question des sources car elle témoigne de ce climat de renouvellement du savoir auquel j’ai déjà fait référence au chapitre précédent. L’énumération des différentes parties de la science naturelle comporte en effet une série de références bibliographiques aux ouvrages d’Aristote et est tirée de l’œuvre d’un autre grand savant arabe, à savoir Al-Farabi, De scientiis, chapitre 4. Le même extrait, avec quelques variations, se retrouve également dans le Speculum doctrinale, XV, 251. Les indications des sources proposées sont d’autant plus précieuses qu’elles nous offrent un aperçu assez précis sur l’état du corpus aristotelicien au milieu du XIIIe siècle52. L’auteur mentionne, dans l’ordre le Liber physicorum, traduit par Livre de Philosophie (J1), leçon corrigée en livre de Fisique (A1’) / Phisique (Or1) ; le Liber de celo et mundo > Livre du ciel et du monde, texte pseudo-aristotelicien d’origine proche à Avicenne ; le Liber de generatione et corruptione > De generacion et corrupcion53 ; le Liber metheororum > Livre des metheores (cf. ci-dessus) ; le Liber de vegetabilibus > Des choses vegetatives, une compilation pseudo-aristotélicienne de philosophie naturelle largement utilisée dans le milieu universitaire à la première moitié du XIIIe siècle54 ; le Liber de animalibus > Des bestes, texte que Vincent de Beauvais utilise ailleurs dans son Speculum historiale (livre II, 30)55 ; le Liber de anima > De l’ame, texte utilisé ailleurs dans le SH (II 36), probablement à travers le commentaire de Averroès ; le Liber de sompno et vigilia > De dormir et de veillier ; De sensu et sensato > De sens et de chose sensitive56 ; De morte et vita > De mort et de vie ; De differentia spiritus anime > De la disference de l’esperit et de l’âme.

  • 57 Le chapitre a été traduit par Paulmier-Foucart, Vincent de Beauvais, p. 277.

72Le chapitre se clôt sur un paragraphe concernant les quatre arts du quadrivium. On revient à Richard de Saint-Victor (Liber exceptionum, première partie, I, 8) et on retrouve le même extrait dans le SD XVI, 357. La mathématique est tout d’abord définie en fonction de son objet d’étude, à savoir les quantités abstraites et les formes invisibles des objets visibles.

Mathematica quantitatem abstractam considerat et sic tractat de invisibilibus visibilium formis. (SH)

  • 58 Le copiste du ms. J1 note atraite (il s’agit sans doute d’une faute de plume par attraction sur le (...)

« La science mathematique considere la quantité astraite58 et traite des invisibles formes des choses visibles. » (MH)

73Notre texte offre ici la première attestation d’un mot, l’adj. abstrait, destiné à rentrer en plein droit dans le vocabulaire scientifique de la langue française. Au XIIIe siècle, le mot est attesté, en tant que participe passé, au sens de « issu de » (Philippe de Novare, Des IIII tens d’aage d’home, milieu du XIIIe siècle). Placides et Timéo propose la forme abstractis, abstractives, « qui a la propriété d’attirer ». Notre texte fournit donc la première attestation du mot astrait au sens moderne, à savoir en tant qu’antonyme de « concret » : cette acception n’est attestée par les dictionnaires, qu’après le milieu du XIVe siècle, (Gdf VIII, 19a, s.v. abstrait ; DMF2012, s.v. abstrait ; FEW XXIV, 57b s.v. abstrahere). Pour le verbe abstraire, en emploi pronominal, TLFi, s.v. abstrait, relève également une première attestation dans le MH : 1. a) 1327 (1531) pronom. « s’arracher à, s’isoler de qqc. » (JdV, Mir. hist., 32, 81 (éd. 1531). Ensuite, toujours en emploi pronominal, on le retrouve chez Nicole Oresme, Traité contre les divinations en général (1361-1364) au sens philosophique de « faire abstraction de soi ».

  • 59 Voir P. Kibre, « The quadrivium in the thirteenth century universities, with special reference to (...)

74S’en suit la distinction et la définition des quatre arts du quadrivium : l’arithmétique, la musique, la géométrie, l’astronomie. Les deux premières traitent des quantités discrètes ou discontinues, qu’on appelle « multitude », les deux dernières des quantités continues, qu’on appelle « grandeur59 ».

Quantitas autem alia discreta, que multitudo dicitur, alia continua que magnitudo (SH)

« Et quantité si est l’une discrecte, qui est dite multitude, et l’autre continuee, qui est dite grandesce » (MH)

75Cette terminologie mathématique est loin d’être courante. L’adjectif discret dans son acception mathématique et abstraite, n’est jamais attesté par les dictionnaires avant Nicole Oresme (cf. Gdf II, 719a s.v. discré et 719c s.v. discret ; IX 288c s.v. discret ; TL II-2, 1943, s.v. discré ; DMF2012, s.v. discret ; FEW III, 92b : discretus ; TLFi, s.v. discret2). L’adj. continu, en revanche, apparaît, avec ce sens, dans la traduction de la Chirurgia de Mondeville (cf. Gdf IX, 176b s.v. ; TL II-1, 773, s.v. ; DMF2012, s.v. ; FEW II-2 1108b, s.v. continuus ; TLFi, s.v. continu).

Conclusion

76Loin d’être exhaustif, ce relevé analytique focalisé sur les termes philosophiques et scientifiques a permis de formuler plusieurs observations que je souhaiterais résumer autour de trois axes principaux.

771. Tout d’abord, la question des sources et des auctoritates selectae. Le processus d’abrègement de la matière naturelle que Vincent de Beauvais opère au début de son SH présente un double intérêt, à la fois historico-culturel et linguistique. D’un côté, cette opération permet de se faire une idée précise sur les auteurs et les œuvres qu’il considère comme incontournable et, de l’autre, elle garantit une concentration lexicale extraordinaire, ce qui donne du fil à retordre à notre traducteur. Dans le compendium historiale, certaines disciplines, comme l’anatomie et la zoologie, sont presque exclusivement représentées par une auctoritas choisie, à savoir respectivement Al-Magusi, traduit par Constantin l’Africain, et Pline l’Ancien. De même, l’excursus bibliographique des œuvres d’Aristote nous offre un témoignage précieux de la réception et de la circulation du corpus aristotélicien dans le milieu proche du compilateur et Richard de Saint-Victor se reconfirme comme le point de repère principal pour la question de l’accès au savoir et de l’utilité des sciences.

782. En deuxième lieu, l’analyse lexicale m’a permis d’approfondir quelques aspects de la traduction de Jean de Vignay ainsi que de la version révisée. À côté des traductions (pseudo-) étymologiques, comme choses prenables a la rois et fuisoleil, tout à fait caractéristiques de notre auteur, j’ai noté plusieurs écarts dans la traduction de certains mots. Le terme panniculum, par exemple, est d’abord traduit, d’une façon approximative, par estente et ensuite, à sa deuxième occurrence, par taie, terme beaucoup plus précis et approprié (cf. par. 4). De même, le subst. mechanica a été d’abord mal compris et traduit par mathematique et ensuite par le calque methanique (cf. par. 5). La même considération peut être appliquée au nom de Pline l’Ancien que Jean de Vignay traduit deux fois par Perlin avant de se rendre compte de l’erreur. Ce qui est surprenant, c’est que l’opération de traduction n’est jamais rétroactive et conserve les caractéristiques d’un work in progress. Le premier exemple, celui du mot panniculum est particulièrement frappant, car le mot revient à deux reprises dans le même chapitre. Jean de Vignay traduit bien la deuxième occurrence par taie mais, loin de revenir sur la première, il avance comme s’il était pressé d’achever son travail de traduction. Il revient donc au réviseur de rétablir une traduction correcte en alignant, dans ce cas-ci, la première occurrence sur la deuxième.

79L’opération de révision, pourtant, n’est pas non plus dépourvue de défauts et il arrive aussi au réviseur de se tromper, comme je l’ai montré à propos du mot tortue (< testudinis), transformé, à tort, en limace (par. 3).

803. Enfin, ce relevé m’a permis de souligner le rôle joué par Jean de Vignay dans la création et la diffusion du lexique spécialisé. La plupart des emprunts sont forgés selon la pratique de la suffixation, que les chercheurs ont souvent considérée comme étant plus tardive. Un certain nombre de termes relevés ne sont attestés, avant le MH, que dans un ou deux textes spécialisés de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe, parmi lesquels je rappellerai surtout l’Introductoire d’Astronomie, le Trésor de Brunet Latin, la traduction de la Chirurgia d’Henri de Mondeville : c’est le cas des mots atome, continu, diaphragme, intellectuel, methanique, nutritif, presenciaument, spermatique. D’autres termes doivent être considérés, sauf erreur de ma part, comme des premières attestations, au moins dans le sens qui nous intéresse : abstrait, conservatif, discret, unicion.

81En conclusion, j’espère avoir démontré que Jean de Vignay joue un véritable rôle de précurseur dans le processus d’enrichissement de la langue française et en particulier dans le développement du lexique scientifique français qui connaîtra son grand essor chez les traducteurs de l’entourage de Charles V, notamment Jean Corbechon, Nicole Oresme et Evrart de Conty.

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Notes

1 Voir B. Ribémont, « De natura rerum » : études sur les encyclopédies médiévales, Orléans, Paradigme, 1995. À propos de Barthélemy l’Anglais, voir surtout le recueil Bartholomaeus Anglicus, De Proprietatibus rerum. Texte latin et réception vernaculaire, éd. B. Van den Abeele et H. Meyer, Turnhout, Brepols, 2005. Pour Thomas de Cantimpré, voir B. Van den Abeele, « Diffusion et avatars d’une encyclopédie : le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré », Une lumière venue d’ailleurs. Héritages et ouvertures dans les encyclopédies d’Orient et d’Occident au Moyen Âge, éd. G. de Callataÿ et B. Van den Abeele, Turnhout, Brepols, 2008, p. 141-176.

2 Voir J.-M. Mandosio, « Encyclopédies en latin et en langue vulgaire », « Tous vos gens a latin ». Le latin, langue savante, langue mondaine (XIVe-XVIIe siècles), éd. E. Bury, Genève, Droz, 2005, p. 113-136, ici p. 123.

3 Il existe pourtant des exceptions notables, notamment F. Möhren, « La datation du vocabulaire des imprimés de textes anciens », Revue de Linguistique romane, 46, 1982, p. 3-28. Pour la notion de lexique scientifique, voir surtout R. Martin, « Le traitement lexicographique des mots scientifiques et techniques », Lexiques scientifiques et techniques. Constitution et approche historique, éd. O. Bertrand, H. Gerner, B. Strumpf, Paris, Éditions de l’École Polytechnique, 2007, p. 27-33 (p. 32).

4 Voir M. Paulmier-Foucart, « Ordre encyclopédique et organisation de la matière dans le Speculum maius de Vincent de Beauvais », L’encyclopédisme, éd. A. Beck, Paris, Klincksieck, 1991, p. 201-226.

5 Voir M. Paulmier-Foucart avec la collaboration de M.-C. Duchenne, Vincent de Beauvais et le Grand Miroir du monde, Turnhout, Brepols, 2004, p. 93. Pour le rapport entre les deux versions de l’encyclopédie, voir M. Paulmier-Foucart, « Le plan et l’évolution du Speculum maius de Vincent de Beauvais : de la version bifaria à la version trifaria », Die Enzyklopädie im Wandel vom Hochmittelalter bis zur frühen Neuzeit, éd. Ch. Meier, Munich, Fink, 2002, p. 245-268.

6 Voir I. Draelants, « La science naturelle et ses sources chez Barthélémy l’Anglais et les encyclopédistes contemporains », Bartholomaeus Anglicus, éd. Van den Abeele et Meyer, p. 43-99 (p. 85-88). Il faut aussi signaler la base de données Sourcencyme (Sources des encyclopédies médiévales latines), dirigée par I. Draelants à l’Atelier Vincent de Beauvais qui devrait être bientôt disponible en ligne.

7 Pour le SH, j’utilise la transcription du ms. 797 de la Bibliothèque municipale de Douai, réalisée par l’Atelier Vincent de Beauvais (université de Nancy 2) disponible à l’adresse Internet : http://atilf.atilf.fr/bichard/. Toutes les citations du texte latin sont tirées de cette transcription.

8 Les deux manuscrits bruxellois, KBR 18465 et 9152, respectivement du XIVe et XVe siècle, ne conservent que les livres I à VIII. Pour les livres IX à XIII, je me suis donc contenté de confronter les intitulés des chapitres présents dans la table des matières du ms. 9152, aux fol. 5va-12rb ; pour les livres restants, je me suis basé sur la liste des intitulés conservés dans la table du ms. 18465 au fol. 6ra. Ces intitulés sont également disponibles dans les transcriptions de l’Atelier Vincent de Beauvais : http://medievistique.univ-nancy2.fr/contentId%3D7961 (page consultée le 5 juin 2013).

9 Tous les détails de cette révision sont présentées dans M. Cavagna, « Variantes d’auteur in absentia ? La version révisée du Miroir historial, encyclopédie du XIVe siècle », Medioevo romanzo, 28/1, 2014, sous presse.

10 Ce témoin a un intérêt extraordinaire surtout parce qu’il nous évite de tomber dans le piège de considérer les corrections effectuées sur le ms. A1’ comme des corrections auctoriales, voire autographes.

11 Pour une liste des témoins, voir L. Brun et M. Cavagna, « Pour une édition du Miroir historial de Jean de Vignay », Romania, 124, 2006, p. 378-428, ici p. 424-428.

12 À ce propos, voir E.M. Jonsson, « Le sens du titre Speculum au XIIe et XIIIe siècle et son utilisation par Vincent de Beauvais », Vincent de Beauvais : intentions et réceptions d’une œuvre encyclopédique au Moyen Âge, éd. M Paulmier-Foucart, S. Lusignan et A. Nadeau, Saint-Laurent (Québec) – Paris, Bellarmin-Vrin, 1990, p. 11-32.

13 Les outils lexicographiques sont cités à travers les abréviations suivantes : ANDi = L. W. Stone, W. Rothwell et al., Anglo-norman Dictionary, 2e éd., 2005 sq., 2008-2012, version électronique : http://www.anglo-norman.net ; DEAF = K. Baldinger et al., Dictionnaire étymologique de l’ancien français, 1972 ; DMF = Dictionnaire du Moyen Français, version 2012 : http://www.atilf.fr/blmf ; FEW = W. von Wartburg, Französisches etymologisches Wörterbuch ; Gdf = Fr. Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle ; Littré : E. Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, Hachette, 1882 ; TL = A. Tobler et E. Lommatzsch, Altfranzösisches Wörterbuch ; TLFi = Trésor de la langue française, version électronique : http://www.cnrtl.fr/definition.

14 À propos de cet auteur, voir M. Tabanelli, Un chirurgo italiano del 1200 : Bruno da Longoburgo, Firenze, Olschki, 1970.

15 DuCangei = Glossarium mediae et infimae latinitatis, version électronique : http://ducange.enc.sorbonne.fr/. Niemeyer = Mediae Latinitatis Lexicon Minus, éd. J.F. Niermeyer, Leiden, Brill, 1976.

16 Voir N. Bragantini-Maillard et M. Cavagna, « La langue de Jean de Vignay dans le Miroir historial : perspectives philologiques », Revue de linguistique Romane, 77, 2013, p. 203-235.

17 Malgré maintes recherches je n’ai pas identifié le passage auquel se réfère Vincent de Beauvais. D’après E. Frunzeanu (cf. la base Sourcencyme), Vincent de Beauvais cite ici Jean Scot à travers la Chronique d’Hélinand de Froidmont (livre II, chap. 23). Il n’est pas exclu qu’il le cite

18 SH (le ms. et l’édition de Douai) propose la leçon libera qui se retrouve par ailleurs dans d’autres textes conservant et commentant cet extrait, par ex. Albert le Grand, Super Dionysium de Celesti hierarchia, dans Albertus Magnus, Opera omnia, 36/1, éd. P. Simon et W. Kübel, Aschendorf, 1993, sent. II, 9.2, p. 192. Visiblement, le texte utilisé par Jean de Vignay portait le substantif libra qui a été traduit par balence.

19 S. Dörr, Der älteste Astronomietraktat in französischer Sprache : L’Introductoire d’astronomie. Edition und lexikalische Analyse, Tübingen, Niemeyer, 1998, p. 37 et 102.

20 Ovide Moralisé, poème du commencement du quatorzième siècle, éd. C. De Boer, tome V, Amsterdam, J. Müller, 1938, p. 35.

21 Voir J. Ducos, La météorologie en français au Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles), Paris, Champion, 1998, p. 221-222 ; J. Ducos, « Traduction et lexique scientifique : le cas des Problèmes d’Aristote traduits par Evrart de Conty », Traduction et adaptation en France à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, éd. Ch. Brucker, Paris, Champion, 1997, p. 237-247 (p. 240).

22 Voir D. Jacquart, « De l’arabe au latin : l’influence de quelques choix lexicaux (impression, ingenium, intuitio) », Aux origines du lexique philosophique européen. L’influence de la Latinitas, éd. J. Hamesse, Louvain-la-Neuve, Publications de l’Institut d’Études Médiévales, 1997, p. 165-180 (surtout p. 166-171).

23 Voir l’article de D. Jacquart cité n. 23 et aussi J. Ducos, « Passions de l’air, impressions ou météores : l’élaboration médiévale d’un lexique scientifique de la météorologie », « Tous vos gens a latin », éd. Bury, p. 245-256 (p. 248).

24 Voir Ducos, La météorologie en français, p. 216-217.

25 Les sources des livres d’animaux du SN ont été étudiées par B. Van den Abeele, « Vincent de Beauvais naturaliste : sources et aménagement dans les livres d’animaux du Speculum naturale », Lector et compilator. Vincent de Beauvais, frère prêcheur : un intellectuel et son milieu au XIIIe siècle, éd. S. Lusignan et M. Palmier-Foucart, Grâne, Créaphis, 1997, p. 127-151 ; pour la place des animaux dans les encyclopédies, voir B. Van den Abeele, « Bestiaires encyclopédiques moralisés. Quelques succédanés de Thomas de Cantimpré et de Barthélemy l’Anglais », Reinardus, 7, 1994, p. 209-228. Voir aussi I. Ventura « Medicina, magia e Dreckapotheke : sull’uso delle sostanze animali nella letteratura medica dal XII al XV secolo », Terapie e guarigioni nel Medioevo, éd. A. Paravicini Bagliani, Florence, SISMEL, 2011, p. 303-362.

26 D. Gerner, La traduction des « Otia Imperialia » de Gervais de Tilbury par Jean de Vignay dans le ms. Rotschild no 3085 de la Bibliothèque Nationale de Paris. Édition et étude, université de Strasbourg, 1995, thèse dactyl., tome II, p. 188-189.

27 Au chapitre 71 du livre II, par exemple, le groupe Mediterraneum mare est traduit par la Mer d’enmi les terres. On notera que Jean de Vignay adopte la même solution dans les Oisivetez des emperieres (Gerner, La traduction des « Otia Imperialia » de Gervais de Tilbury par Jean de Vignay¸tome II, p. 177).

28 Il n’est pas répertorié dans le long article de P. Barbier, « Noms des poissons. Notes étymologiques et lexicographiques » publié dans la Revue des langues romanes entre 1908 et 1915.

29 Le mot conche n’est attesté en français qu’à la toute fin du XVe siècle au sens de « coquille », « carapace » (TL II, 652, s.v. ; DMF, s.v. ; FEW II-2, 1000b, s.v. concha).

30 Dans un article récent, Philippe Ménard note que le terme testudo est parfois employé en latin médiéval pour indiquer l’escargot. Mais visiblement ce n’est pas le cas ici, dans ce contexte maritime. Il est intéressant de noter que le mot testudo a également posé problème à Jean de Vignay dans la traduction du récit d’Odoric de Pordenone : Jean de Vignay, Les merveilles de la terre d’Outremer. Traduction du XIVe siècle du récit de voyage d’Odoric de Pordenone, éd. D.A. Trotter, Exeter, University of Exeter, 1990, p. 41. En réalité, dans ce texte, le mot testudo renvoie à la voûte d’un temple en rotonde alors que Jean de Vignay traduit par limaçon. Voir Ph. Ménard, « Jean le Long translateur et interprète d’Odoric », Culture, livelli di cultura e ambienti nel Medioevo occidentale, éd. F. Benozzo et al., Bologne, Aracne, 2012, p. 25-48 (p. 33-34).

31 La même anecdote tirée de Valère Maxime est racontée par Simon de Phares dans son Recueil des plus célèbres astrologues (1494-98). DMF, s.v. tortue le mentionne comme la seule occurrence du mot tortue.

32 Il va de soi que cette « prise de conscience » concerne peut-être seulement le copiste-correcteur de A1’.

33 Cavagna, « Variantes d’auteur in absentia ? ».

34 Voir Draelants, « La science naturelle et ses sources chez Barthélemy l’Anglais », p. 85-88 ; voir aussi I. Ventura, « Bartolomeo Anglico e la cultura filosofica e scientifica dei frati nel XIII secolo : aristotelismo e medicina nel De proprietatibus rerum », I Francescani e le scienze, Spoleto, Fondazione Centro Italiano di Studi sull’Alto Medioevo, 2012, p. 51-140, ici p. 123-130.

35 À propos de ce texte, voir G. Marasco, « Constantin l’Africain,l’abbaye du Mont-Cassin et le développement de la médecine en Orient », Culture arabe et culture européenne. L’inconnu au turban dans l’album de famille, Paris, 2006 p. 59-80 et surtout Ch. Burnett et D. Jacquart, Constantine the African and ’Alī ibn al-’Abbās al-Mağūsī : The Pantegni and Related Texts, Leiden-New York, Brill, 1994. Seule la fin du chapitre reprend une deuxième source, à savoir la Glossa super Summam de Casibus de Raymond de Peñafort (noté dans le SN comme libello de anatomia, récemment identifié par E. Frunzeanu, dans la base Sourcencyme).

36 Voir M. Paulmier-Foucart, « L’évolution du traitement des cinq sens dans le Speculum maius de Vincent de Beauvais », Science antique, science médiévale. Autour d’Avranches 235, éd. L. Callebat et O. Desbordes, Hildesheim-Munich-Zürich, Olms-Weidmann, 2000, p. 273-295.

37 Voir Ventura, « Bartolomeo Anglico ». À ce propos, voir D. Jacquart, La médecine médiévale dans le cadre parisien, Paris, Fayard, 1998 (surtout p. 354-364 du chapitre Discordances doctrinales).

38 La Chirurgie de maître Henri de Mondeville, éd. A. Bos, Paris, Didot (SATF), 1897-1898, deux tomes. Tous les renvois au texte se réfèrent à cette édition.

39 Voir J. Ducos, « Le lexique de Jean Corbechon : quelques remarques à propos des livres IV et XI », Bartholomaeus Anglicus, éd. Van den Abeele et Meyer, p. 101-115 (p. 106).

40 Le terme est attesté dans un contexte médical souvent à propos des maladies des yeux, voir I. Vedrenne-Fajolles, « Tradition hippocratique et pseudo-hippocratique aux XIIIe et XIVe siècles », Lexiques scientifiques et techniques, éd. Bertrand et al., p. 81-103 (p. 91) ; voir aussi T. Hunt, Old French Medical Texts, Paris, Classiques Garnier, 2011, notamment le glossaire au Compendium médical, p. 105, s.v. taie.

41 Iolanda Ventura a étudié les nombreux chapitres consacrés au cœur dans le SN (version trifaria, livre XXVIII chap. 59-63).

42 Voir Grand Larousse de la langue française, éd. L. Guilbert, R. Lagane, G. Niobey, Paris, Larousse, 1972 ; Dictionnaire général de la langue française du commencement du XVIIe siècle jusqu’à nos jours, éd. A. Hatzfeld, A. Darmesteter, A. Thomas, Paris, Delagrave, 18901900, 2 vol. [réimpr. 1964].

43 Voir Hunt, Old French Medical Texts, glossaire aux Gloses médicales, p. 225, s.v. esplien.

44 Voir M. Goyens, « Le développement du lexique scientifique français et la traduction des Problèmes d’Aristote par E. de Conty », Theleme. Revista Complutense de Estudios Franceses, h.s., 2003, p. 189-207 (p. 199).

45 Voir H. Vaganay, « Pour l’Histoire du Français Moderne », Romanische Forschungen, 32/1, 1912, p. 1-184 (p. 12) : superfluité aqueuse.

46 À propos du savoir médical concernant les genitalia, voir D. Jacquart et Cl. Thomasset, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, PUF, 1985.

47 Voir Védrenne-Fajolles, « Tradition hippocratique et pseudo-hippocratique », p. 86.

48 Voir Paulmier-Foucart, Vincent de Beauvais, p. 25

49 À propos des arts mécaniques, voir P. Sternagel, Die artes mechanicae im Mittelalter : Begriffs-und Bedeutungsgeschichte bis zum Ende des 13. Jahrhunderts, Kallmüntz, Lassleben, 1966.

50 Voir M. Lejbowicz, « Langage et économie : les figures du progrès chez Nicole Oresme », Le Moyen Âge et la science. Approche de quelques disciplines et personnalités scientifiques médiévales, éd. B. Ribémont, Paris, Klincksieck, 1992, p. 47-132.

51 Le chapitre a été traduit et commenté par Paulmier Foucart, Vincent de Beauvais, p. 274-276.

52 Voir Ventura, « Bartolomeo Anglico », p. 64 avec une riche orientation bibliographique.

53 Voir I. Draelants, « Le De generatione et corruptione au “siècle d’or” des encyclopédies médiévales », Lire Aristote au Moyen Âge et à la Renaissance. Réception du traité Sur la génération et la corruption, éd. J. Ducos et V. Giacomoto-Chiarra, Paris, Champion, 2011, p. 135-173.

54 Voir Ventura, « Bartolomeo Anglico », p. 68.

55 Voir B. Van den Abeele, « Le De animalibus d’Aristote dans le monde latin : modalités de sa réception médiévale », Frühmittelalterliche Studien, 34, 2000, p. 287-318.

56 Voir G. Galle, « The Dating and Earliest Reception of the Translatio Vetus of Aristotle’s De sensu », Medioevo, 33, 2008, p. 1-90.

57 Le chapitre a été traduit par Paulmier-Foucart, Vincent de Beauvais, p. 277.

58 Le copiste du ms. J1 note atraite (il s’agit sans doute d’une faute de plume par attraction sur le verbe subséquent que nous corrigeons sur base des mss. A1 et Or1).

59 Voir P. Kibre, « The quadrivium in the thirteenth century universities, with special reference to Paris », Arts libéraux et Philosophie au Moyen Âge, Montréal-Paris, 1969, p. 175-192.

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Pour citer cet article

Référence papier

Mattia Cavagna, « Histoire des sciences et science dans l’histoire »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 27 | 2014, 199-233.

Référence électronique

Mattia Cavagna, « Histoire des sciences et science dans l’histoire »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 27 | 2014, mis en ligne le 30 décembre 2017, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13446 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13446

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Auteur

Mattia Cavagna

Université catholique de Louvain

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