Le directoire de Jean de Vignay, une traduction littérale au début du XIVe siècle
Résumés
Jean de Vignay fut-il le défenseur convaincu de la traduction littérale ? Il n’est pas facile de répondre à cette question, dès qu’on refuse de lui attribuer le Livre Flave Vegece de la chose de chevalerie dont le prologue peut être considéré comme un manifeste de la traduction littérale. L’analyse du Directoire, traduction qui reste jusqu’à présent inédite, permet de répondre à cette question. Trois traductions de Jean de Vignay, liées aux projets de la croisade que Philippe VI forme au début des années 1330 (le Directoire, les Merveilles de la Terre d’Outremer, les Enseignemens) tiennent une place à part dans l’œuvre du traducteur à cause de la fréquence des calques syntaxiques et sémantiques. Ces calques indiquent que Jean de Vignay doit identifier la traduction fidèle et la traduction littérale sous l’influence des versions scolaires de l’Ars minor de Donat. Cependant le traducteur ne vise la stricte fidélité à l’original que lorsque sa traduction est destinée au roi et doit jouer un rôle important dans les projets de l’État.
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- 1 L’identité de l’auteur du Directorium reste contestable ; à des époques diverses, on attribue ce tr (...)
1Le Directoire, c’est a dire l’esdroicement ou voie droituriere a faire le passage de la terre sainte, traduction réalisée par Jean de Vignay vers le milieu de sa carrière, reste jusqu’à présent inédite. Elle n’a presque pas attiré l’attention des chercheurs ; pourtant elle est intéressante à plusieurs égards. Elle permet de remarquer certains traits du style de Jean de Vignay qui caractérisent ses œuvres tout au long de sa carrière. De plus, elle permet de comprendre dans quelles circonstances et pour quelles raisons Jean de Vignay choisit la pratique d’une traduction littérale. Enfin, dans le Directoire Jean de Vignay évoque (à la suite de l’auteur de l’original) certains sujets politiques qui l’intéresseront aussi par la suite de ses activités et qu’il développe en manière partiellement autonome par rapport au texte-source1 ; par conséquent, on peut bien affirmer que le travail sur le Directoire contribue à la formation de ses vues politiques.
- 2 Pour ce projet de croisade voir notamment J. Viard, « Les projets de croisade de Philippe de Valois (...)
- 3 Déjà Paul Meyer met en doute l’attribution de cette traduction à Jean de Vignay (P. Meyer, « Les ma (...)
2Le Directoire – ensemble avec Les merveilles de la Terre d’Outremer et les Enseignemens ou ordonances pour un seigneur qui a guerres et grans gouvernemens a faire – fait partie des traductions que Jean de Vignay dédie à Philippe VI en lien avec les projets de croisade que ce monarque commence à concevoir en 1329 sous l’influence du pape Jean XXII2. Ce groupe des traductions tient une place à part parmi les ouvrages de Jean de Vignay. Si on les considère dans le contexte général de son œuvre, il sera difficile, d’une part, de ne pas remarquer leurs traits communs et, d’autre part, leur différence par rapport au reste de sa production littéraire. Il existe, de plus, des parallèles évidents entre le Directoire, les Merveilles, les Enseignemens et le Livre Flave Vegece de la chose de chevalerie, une autre traduction littérale du début du XIVe siècle, longtemps attribuée au même traducteur, mais aujourd’hui considérée souvent comme anonyme3. La ressemblance entre le style de ces quatre textes et le positionnement de leurs auteurs par rapport au monarque permettent d’affirmer, à notre avis, que la traduction littérale se charge d’une fonction sociale spécifique dans la première moitié du XIVe siècle.
- 4 Voir D. Trotter, « Introduction », Jean de Vignay. Les merveilles de la terre d’Outremer. Traductio (...)
- 5 Voir Cl. Buridant, « Jean de Meun et Jean de Vignay, traducteurs de l’Epitoma rei militaris de Végè (...)
- 6 M. Cavagna, « Le miroir du texte latin : Jean de Vignay et la traduction-calque comme principe styl (...)
- 7 Voir C. Knowles, « Jean de Vignay, un traducteur du XIVe siècle », Romania, 75, 1954, p. 353-383, i (...)
3Les chercheurs expliquent différemment la présence des calques sémantiques et syntaxiques dans les traductions de Jean de Vignay. Ainsi, selon D. Trotter, qui analyse Les Merveilles, Jean de Vignay choi sit délibérément cette manière de traduire ; le traducteur, affirme-t-il, partage l’avis de saint Jérôme selon qui dans la Bible même l’ordre des mots a un sens ; à son avis, Jean de Vignay imite des traductions littérales de la Bible. Cette thèse de D. Trotter est fondée partiellement sur le prologue du Livre Flave Vegece – traduction qu’il attribue, avec d’autres chercheurs, à Jean de Vignay4. D’une façon analogue, C. Buridant qui n’a pas de doute quant à cette attribution, distingue chez Jean de Vignay un choix délibéré des procédés de traduction littérale et étudie ses ouvrages sur le fond de la relatinisation de la syntaxe du français, caractéristique de la littérature du début de l’époque de l’humanisme5. Assez récemment M. Cavagna propose de voir dans les calques du Miroir histoirial plutôt « un choix d’ordre esthétique et formel6 ». Au contraire, C. Knowles croit que le mot à mot des premières traductions de Jean de Vignay s’explique par sa mauvaise connaissance du latin ; selon elle, avec l’âge le traducteur acquiert une certaine expérience et une maîtrise littéraire. Les traductions qu’il crée à la fin de sa carrière sont loin d’être littérales : ainsi, Jean omet de traduire plusieurs passages des originaux et il complète ses traductions par de longues interpolations7.
4Jean de Vignay, était-il défenseur convaincu de la traduction littérale ? Il n’est pas facile de répondre à cette question. En effet, si on refuse de lui attribuer le Livre Flave Vegece dont le prologue semble être un manifeste de la traduction littérale, nous n’aurons plus à notre disposition des jugements directs de Jean de Vignay ayant un caractère métadiscursif. Toutefois, à notre avis, le contexte général de son œuvre, ainsi que certains de ses écrits, témoignent que, dans des circonstances spécifiques, il choisit volontairement cette manière de traduire.
La thématique du directorium et les idées politiques de Jean de Vignay
- 8 Londres, British Museum, Royal 19 D I, fol. 167v-192v. Nous avons utilisé le microfilm de l’IRHT.
- 9 Selon l’avis de Kohler, cet anonymat était voulu : étant un des proches du pape Jean XXII, l’auteur (...)
5Le Directorium ad passagium faciendum (1332) fut composé sur la commande du pape Jean XXII spécialement pour le roi Philippe VI ; le roi ne connaissant pas le latin, on demanda à Jean de Vignay de traduire ce livret. Le travail fut achevé en une année : la traduction est datée de 1333 dans le seul manuscrit conservé8. En s’adressant à Philippe VI, l’auteur du traité latin, resté anonyme, explique pour quelles raisons ce monarque français doit nécessairement entreprendre la croisade, comment s’y préparer et comment la réaliser9. Il s’agit en particulier des terres et des peuples qui représentent un danger pour les croisés, ainsi que du choix du meilleur chemin vers la Terre Sainte.
6Afin de déterminer le meilleur itinéraire pour l’armée des croisées, L’Anonyme examine trois aspects : matériel (l’abondance ou l’absence des vivres et de tout ce dont l’armée peut avoir besoin) ; géographique (la longueur du chemin ; le nombre des ports maritimes) ; politique (les mœurs et la religion des peuples qui seront en contact avec les croisés ; les rapports établis entre ces peuples et les Français, etc.). Il évoque ensuite l’expérience des croisades précédentes, mentionne plusieurs chefs militaires, notamment saint Louis, tout en discutant les décisions qui ont été prises de son temps (celles de passer par l’Afrique ou d’emprunter la voie maritime).
7Après avoir comparé plusieurs données, l’Anonyme propose au roi un itinéraire qui comporte plusieurs étapes. Au début, l’armée des croisés devra être divisée en détachements dont chacun suivra sa propre voie. Celui du roi de France passera par l’Allemagne, d’autres militaires traverseront l’Italie et, enfin, ceux qui maîtrisent l’art de navigation devront emprunter la voie maritime. L’armée des croisés se réunira à Byzance où son objectif sera de s’emparer des trois villes principales du pays – Constantinople, Thessalonique, Andrinople. L’Anonyme s’arrête avec beaucoup de détails sur le plan du siège et de la prise de Constantinople (en évoquant les événements de la Quatrième croisade) : il en décrit les fortifications, indique le nombre de navires, de galères et de personnes nécessaires à l’entreprise, énumère les machines de guerre et, en particulier, en présente un au roi, inconnu auparavant. Après avoir soumis les Grecs, les croisés devront conquérir la Rascie (une partie de la Serbie) et, ensuite, engager la guerre avec la Turquie. À la fin de cette dernière guerre les croisés devront obtenir la victoire sur le sultan de l’Égypte et, par conséquent, s’installer en Terre Sainte.
- 10 L’itinéraire proposé par l’Anonyme ne fut pas retenu par le Conseil. La décision du Conseil est cit (...)
8Ainsi, l’Anonyme dresse un véritable plan militaire, en discutant en détail chaque nouvelle étape et en appuyant son point de vue sur de nombreux arguments. Son livret reçoit, pour ainsi dire, la valeur d’un document administratif important pour l’État ; c’est ainsi que s’explique, probablement, la rapidité avec laquelle la traduction du Directorium a été faite. Les propositions contenues dans ce texte sont débattues lors de la séance du Conseil royal10.
- 11 Nous suivons l’édition du Directorium parue dans le Recueil des historiens des croisades. Documents (...)
9Dans l’introduction au Directorium, l’Anonyme souligne la valeur pratique de son ouvrage et sa signification ; il précise que son livre rend au monarque un énorme service, puisqu’il lui annonce la pure vérité11 :
Directorium |
Jean de Vignay |
Si enim alii quicumque majora forte descripserint, vel promiserint grandiora, puto tamen et certus sum quod utiliora non poterunt exhibere, nec ostendere veriora. Si quis vero in hiis que inferius dissero et describo punctum se reputat sive lesum, non veritati nec ipsam dicenti, sed sibimet, irascatur pocius quia talis ; non enim quisquam palpari debuit aut vereri ubi direccio tanti exercitus aperitur, et de tutela ac salute agitur tanti regis (p. 369). |
Se certes par aventure quiconques autres aient descript greigneurs choses ou pramises plus grandes, je cuide toute foys et suis certain que il ne pourront ensaigner plus profitables ne demonstrer plus vraies. Se aucun certes en ces choses que je seure et descri ci avant, se repute point et blecié, ne se courouce pas a la verité ou au disant ycele, mes a soy mesme miex, car certes tel ne doit pas touchier ou cuidier aucune chose la ou esdrecement de si grant effors est a ouvrer, ne la ou il est traitié de la garde et du salu de si noble roy entre ces choses (fol. 166r). |
10À côté des recommandations qui concernent directement la préparation de la croisade et sa réalisation, le Directorium comprend des renseignements généraux sur les pays lointains et sur les peuples qui y habitent dans une perspective quasiment géographique. L’auteur du traité assure qu’il puise ces renseignements non pas dans les récits des autres personnes, mais dans sa propre expérience, car il a vécu plus de vingt ans sur les terres occupées par des peuples non chrétiens. D’ailleurs, malgré son désir évident de décrire ces pays, il se coupe parfois la parole, en remarquant qu’un tel récit stimulerait la curiosité des lecteurs, mais serait déplacé dans son ouvrage. Jean de Vignay accentue cette perspective et insiste sur l’inutilité des excursus ethnographiques dans l’ouvrage sur lequel il travaille ; de cette façon il insiste sur l’importance de son texte et suggère qu’il a un statut de document « administratif » :
Directorium |
Jean de Vignay |
De predictarum autem gencium, quas lacius memoravi, condicionibus, moribus, ritibus et erroribus variis et diversis dicere singullatim proprium volumen requireret et tractatum (p. 388). |
Certes des devant dites gens que je ai remembré, je deisse plus longuement des condicions, des meurs, des coustumes et des erreurs variables et diverses singulierement, se le propre volume et le traitié le requerist (fol. 170v) |
11Il découle clairement du livre de l’Anonyme que les intérêts dynastiques de Philippe VI jouent un rôle dans le choix de l’itinéraire qu’il présente à ce monarque. Lorsqu’il prouve à Philippe que la guerre avec les Grecs est légitime, il évoque la figure de son grand ancêtre – Charles I d’Anjou, le roi de Sicile – et ensuite, celle de son père, Charles de Valois. Les deux personnages avaient des liens de parenté avec les dirigeants français de Constantinople et projetaient, à des époques diverses, de rétablir le pouvoir sur cette ville. L’Anonyme rappelle au roi que Michel Paléologue, dont les descendants dirigent ce pays jusqu’au moment où il écrit son livre (années 1330), met fin à la domination française en Byzance. Il n’oublie pas de mentionner le second Concile de Lyon (1274) auquel Michel Paléologue envoie ses représentants tout en affectant qu’il veut reconnaître le Symbole de foi catholique et le pouvoir du pape ; depuis, comme l’Anonyme le souligne, les Grecs n’ont pas tenu leurs promesses.
- 12 Voir L. Evdokimova, « Jean de Vignay traducteur et chroniqueur : la Chronique de Primat », Texte et (...)
12Ainsi, l’auteur du Directorium traite des sujets qui reviennent également dans les ouvrages que Jean de Vignay a traduits plus tard dans sa carrière. Dans l’introduction aux Enseignemens, Théodore Paléologue mentionne les troubles dans la famille de son père ; la Chronique de Primat contient un chapitre consacré au Concile de Lyon où il s’agit, en particulier, de la l’hypocrisie des ambassadeurs grecs. Charles I d’Anjou, un des personnages principaux de la Chronique, y est présenté comme un chevalier idéal et un monarque exemplaire. Comme nous l’avons déjà constaté, en développant ces thèmes, Jean de Vignay doit compléter la traduction par des ajouts qu’il puise dans des sources diverses ou bien qu’écrit de sa propre initiative12. Ainsi, le travail sur la traduction du Directorium renseigne Jean de Vignay sur certains thèmes de la propagande politique du règne de Philippe VI ; Jean de Vignay se les approprie et les développe ailleurs d’une façon autonome, en devenant au fur et à mesure l’expert de politique en vue à son époque.
La traduction-calque et ses fonctions sociales au début du XIVe siècle
- 13 Voir Evdokimova, « Le prologue du Livres Flave Vegece de la chose de chevalerie », p. 176.
13Il se peut que le contenu du Directorium et, surtout, l’ambiance sociale dans laquelle la traduction a été réalisée suggèrent au traducteur une pru dence extrême : Jean de Vignay n’ose pas, semble-t-il, s’éloigner, même un peu, des « paroles » du texte latin. À cet égard, il est impossible de ne pas remarquer une ressemblance entre cette traduction de Jean de Vignay et le Livre Flave Vegece que nous avons déjà mentionné : dans les deux cas des contextes sociaux analogues incitent les traducteurs à adopter des stratégies de traduction semblables. En effet, dans son prologue à l’œuvre de Végèce, le traducteur anonyme s’adresse à un roi (probablement à Philippe IV) lui suggérant qu’il voudrait appartenir au cercle des conseillers qui doivent entourer un monarque parfait. Cet auteur met en valeur l’importance de son ouvrage pour l’État et annonce son intention de rendre en français le contenu de l’original latin avec une fidélité minutieuse. Dans ce cas aussi, le statut très haut du destinataire et l’importance sociale de la commande ont un impact sur la méthode du traducteur qui fait une large utilisation des calques syntaxiques et sémantiques13.
14De la même manière, Jean de Vignay, dans son travail sur la traduction du Directorium, calque systématiquement la syntaxe de l’original, en reproduisant en français des constructions spécifiques du latin. Dans le Directoire, de nombreuses propositions infinitives suivent des verbes de parole, de volonté ou des syntagmes à signification « il est connu », « il est clair » et forment ainsi des calques de l’accusativus cum infinitivo et du nominativus cum infinitivo. L’ablatif absolu est rendu par un participe absolu (avec les participes présents et passés). D’une façon générale, les participes de la traduction correspondent à ceux de l’original ; ces premiers sont employés dans les cas où l’ancien français préfère les formes verbales personnelles. Au passif du verbe latin répond le passif français ; certains verbes déponents sont remplacés par des calques morphosyntaxiques. Le calque est veü rend videtur impersonnel – ce dernier est typique du style de Jean de Vignay.
Directorium ACCUSATIVUS CUM INFINITIVO Quare autem tota Asie continencia non fuerit designata ? Hanc puto fuissem [rationem seu] causam […] quia non erat sic in illis tempo ribus habitata […] multa loca et provincias ultimi climatis esse constat (p. 383). ad quem mercatores supra diximus pervenisse (p. 384). NOMINATIVUS CUM INFINITIVO Turchi plus esse Sarracenorum quam soldanus, per respectum armorum potenciam ostenduntur (p. 376). Christianorum nacio […] major esse asseritur et probatur (p. 385-86). |
Jean de Vignay PROPOSITION INFINITIVE Et pourquoy toute la contenante partie d’Ase ne fu senefié, cuide je ceste cause avoir esté, c’est assavoir ou que en ceulz temps ele n’estoit pas si habitiee […] nous trouvions mout de liex et mout de provinces habitiees […], les quiex, certaine chose est, estre outre la greigneur leür de la desreniere contree (fol. 169v). ou, nous avons dit dessus, les marcheans estre alés (fol. 169v). PROPOSITION INFINITIVE Les Turs sont demoustrés estre plus chief des Sarrasins et du soudan par resgart a la poissance d’armes (fol. 168r). les nassions des crestiens […] est affermee estre la greigneur et est esprové (fol. 170r). |
L’ABLATIF ABSOLU primo dat modum ad Thessaloniam et Constantinopolim capiendas ; quibus habitis, totum imperium obtinetur (p. 373). existente sole in primo gradu Arietis et Libre, erat ibi in meridie umbra recta (p. 383-84). Ultra, versus meridiem procedendo, est quedam insula in mari Indico satis magna (p. 387). |
PROPOSITION PARTICIPALE la premiere donne maniere a Thesaloingne et Costentinoble estre prises ; lesquiex cités eueus, l’empire tout est obtinué (fol. 167r). le soleil estant en son premier degré des signes du Mouton et de la Livre, a midi estoit illec droit umbre (fol. 169v). et est en alant outre devers Midi une ycelle en la mer d’Ynde assez grande (fol. 170v). |
LE PASSIF DES VERBES Prima via est per Africam, que monstratur et monetur penitus evitanda (p. 371). Tertia est per Ytaliam, via tuta et bona, cujus progressus tangitur esse triplex (p. 371). in bello autem quo oracionem facere pretermisit, legitur corruisse (p. 394). LE VERBE FIERI quod oraciones fieri pro prosperitate passagii per omnes mundi ecclesias ordinentur (p. 371). LES FORMES DE « VIDERI » ita ut, non minus, ymo magis, videantur ardorem fidei atque zelum Ecclesie, reverenciam et honorem (p. 380). quatinus per hoc videamur motivum sufficiens ad faciendum passagium demonstrasse (p. 388). ut non videretur nec esset aliud nisi domus Dei (p. 389). |
LE PASSIF DES VERBES La premiere voie est par Aufrique laquelle est demonstree [et] amonnestee estre eschiviee du tout en tout (fol. 166v). La tierce est par Ytalie, voie seure et bone de laquele le voiage est touchié a estre treible (fol. 166v). et est leü avoir esté trebuchié en la bataille ou il oublia faire oroison avant (fol. 171v). que les oroisons soient ordennees estre faites pour la prosperité du passage par toutes les eglises du monde (fol. 166r). Si que il ne soient veüs mains, mes plus avoir porsuis ardeur de foy et amour d’Eglise, reverence, honneur (fol. 168v). si que par ce nous soion veües avoir demonstré chose motive, souffisante au passage faire (fol. 170v). si que ele ne fust veüe estre autre chose ne ele ne le fust fors meson de Dieu (fol. 170v). |
15Parfois la traduction de Jean de Vignay devient un véritable mot à mot : les paroles de la traduction et de l’original se suivent dans l’ordre presque identique. On constate même une parfaite identité au niveau quantitatif, si on fait abstraction des articles :
Directorium Primo quod in loco illo in quantitate diei ac noctis, nullo anni tempore, alicujus hore seu eciam momenti sensibilis differencia notabatur (p. 383). |
Jean de Vignay Premierement que en celi lieu en la quantité du jour et de la nuit en nul temps [de l’an] sensible difference n’estoit devisee ne d’aucune heure, certes, ne d’aucun moment (fol. 169v). |
- 14 Voir S. Lusignan, Parler vulgairement : les intellectuels et la langue française aux XIIIe et XIVe (...)
- 15 Pour les théories des modistes, voir en particulier I. Rosier-Catach, La grammaire spéculative des (...)
- 16 Voir Lusignan, Parler vulgairement, p. 40-43, 51-53.
16Àu-delà des facteurs sociaux (le statut du destinataire et le caractère de la commande), les théories linguistiques médiévales exercent aussi leur influence sur Jean de Vignay et sur le traducteur anonyme du Livre Flave Vegece. C. Buridant et S. Lusignan opposent deux points de vue sur les rapports entre le latin et le français tels qu’ils se manifestent dans le travail des traducteurs médiévaux : certains insistent sur la disparité des langues, sur les différences profondes entre elles, d’autres ont tendance à les superposer, croyant qu’il est possible de suivre le texte source mot à mot14. Ce dernier point de vue semble être en corrélation avec les théories des modistes, créateurs de la grammaire spéculative, commune pour toutes les langues15. L’idée de la ressemblance des langues se reflète aussi dans les ouvrages des théologiens qui, commentant le mythe de la tour de Babel, discutent la langue originaire de Dieu et de l’homme ; S. Lusignan précise que parfois ces commentaires théologiques ne sont pas éloignés des théories des modistes16.
- 17 Voir l’édition des quelques manuels de ce type et une étude qui leur est consacrée : M. Colombo Tim (...)
- 18 M. Colombo Timelli cite des exemples de ce mélange des deux langues provenant des plusieurs grammai (...)
- 19 D’ailleurs certains théoriciens médiévaux de la grammaire soulignent, eux aussi, l’équivalence des (...)
17Pourtant, le niveau des connaissances des deux traducteurs ne permet pas de supposer qu’ils maîtrisaient ces théories ; tout au plus pouvaient-ils en entendre un écho confus. Ainsi nous croyons qu’ils subissaient plutôt l’influence des versions simplifiées de l’Ars minor de Donat utilisées dans l’enseignement scolaire du latin17. L’idée latente de l’identité parfaite des grammaires du latin et du français perce aussi dans ces manuels – ou, plus précisément le système de la grammaire du latin s’adapte au français qui, de ce fait, commence à être réfléchi en termes grammaticaux. La non-distinction des grammaires des deux langues est manifeste dans les chapitres des manuels consacrés aux pronoms où des formes latines et vernaculaires sont citées ensemble, sans qu’aucune différence entre elles ne soit notée18. La même vision du français et du latin est évidente aussi dans les chapitres consacrés à la déclinaison : le français y acquiert le paradigme de la déclinaison du latin, du nominatif à l’ablatif ; des articles, parfois accompagnés des prépositions, et certains syntagmes plus complexes, comprenant des conjonctions et des particules sont considérés comme des « cas », analogues à ceux du latin19.
18Notons enfin que ces grammaires semblent suggérer aux traducteurs d’utiliser les verbes au passif d’une façon très large et disproportionnée par rapport à l’usage habituel. Dans les versions de l’Ars minor en ancien français la définition des voix verbales est fondée principalement sur des critères formels : elle tient, à en croire les auteurs des grammaires, en premier lieu à la présence ou à l’absence des lettres « o » et « r » à la première personne des verbes. Quoique ces auteurs limitent ensuite la possibilité du passage de la voix active à la passive, en mentionnant les catégories des verbes – neutres, réciproques, déponents – qui n’ont pas soit de signes formels, soit de significations de l’actif ou du passif, ces renseignements viennent en second lieu, et la valeur sémantique des verbes employés dans l’une ou dans l’autre voix n’est pas discutée. Par cela même ces grammaires peuvent faire croire aux élèves qu’il est possible de passer d’une voix à l’autre presque sans aucun obstacle et que les formes des verbes au passif peuvent être employées très largement – dans les cas où la voix active est plus naturelle en français :
- 20 Colombo Timelli, Traductions françaises de l’Ars minor de Donat au Moyen Âge, p. 155-156, 174.
Quanz genres de verbes sont ? V. Quieus ? Li autif, li passif, li neutre, li commun, li deponent. L’un connoist l’autif a ce que il se definist en o et peut prendre r et faire de soi passif, ut lego, legor. L’un connoist le passif a ce que il se definist en r et peut r delaissier et revenir en son auctif, ut legor, lego. L’un connoist le neutre a ce que il se defenist en o ne ne peut prendre r ne faire de soi passif, ut sto, curro, quar l’en ne dit pas stor nec curror. L’un connoist le commun a ce que il se defenist en r, laitre du passif, et si a le sen de l’auctif et du passif ensemble, si comme criminor, je blasme et je suis blasmé. L’un connoist le deponent a ce que il se defenist en r, laitre du passif, et si a le sen de l’auctif tant seulement, si comme loquor, je parle20.
- 21 L. Löfstedt cite les tournures syntaxiques latinisées dans les notes à son édition : Li Livres Flav (...)
19Les échos de ces idées sont perceptibles, à notre avis, dans le Directoire, aussi bien que dans le Livre Flave Vegece. L’auteur de cette dernière tra duction calque, lui aussi, les constructions syntaxiques spécifiques du latin. À la suite de Végèce, notamment, il emploie souvent le passif du verbe là où l’ancien français ne le requiert pas21.
20Dans la tentative de conférer à la phrase française la structure synthétique de la phrase latine, Jean de Vignay est obligé d’introduire dans le Directoire des calques sémantiques et des néologismes ; dans le cas contraire, il ne pourrait pas conserver une analogie syntaxique entre l’original et la traduction. Mentionnons, parmi les calques sémantiques, le substantif moyen signifiant « argument », « raison » (traduction du latin medium), ainsi que le calque étymologique chose devant alante qui correspond au latin preambulum (« mesure préalable ») ; ce dernier calque est très fréquent dans le Directoire.
21La traduction du latin medium par le mot français moyen dans le Directoire n’est pas systématique : ainsi, dans les deux premières phrases qui se suivent, Jean de Vignay rend le mot medium différemment :
- 22 Le plus ancien exemple de cet emploi du mot moyen, cité par le TLF, se rencontre chez Nicole Oresme (...)
- 23 Voir, de plus, l’Annexe.
Directorium Quinta racio ostendit per tria media quod facilius, melius et utilius est Turchos prius invadere quam soldanum. Primum medium est quia Turchi possunt soldanum defendere ac [ei] subsidium exhibere, et non e converso (p. 376). |
Jean de Vignay La quinte reson demonstre par III choses moiennes que il appartient miex plus profitablement et plus legierement envahir premierement les Turs que le soudan. Le premier moien est quer les Turs peuvent deffendre le soudan et donner li aide et non pas le soudan a eulz (fol. 168r)22. |
Secunda pars est de quinque preambulis ante incepcionem passagii ordinandis (p. 370). Primum preambulum est quod oraciones fieri pro prosperitate passagii per omnes mundi ecclesias ordinentur (p. 371). |
La seconde partie est de cinq choses devant alantes a estre ordenees avant le commencement du passage (fol. 166r). La premiere chose devant alante est que les oroisons soient ordennees estre faites pour la prosperité du passage par toutes les eglises du monde (fol. 171r)23. |
22Jean de Vignay donne une traduction étymologisante analogue et, à la fois fautive, du mot calogerus, « bon vieillard », « moine ». Ne comprenant évidemment pas les racines grecques de ce mot (« καλός », bon et « γέρων », vieillard), Jean croit y reconnaître la racine latine gero (« porter ») ; sa traduction du terme calogerus est en effet porteur de leur male foy (fol. 167r). Ces genre de calque étymologique est caractéristique du style de Jean de Vignay : il s’agit d’un marqueur, pour ainsi dire, qui distingue ses œuvres de celles des autres traducteurs.
23Quelques néologismes, employés dans le Directoire, ont été ensuite lemmatisés en français : le substantif antipode, les adjectifs antarctique et deffensif ; Jean emploie aussi le substantif dérivé du latin motivum – motive (« raison d’agir », « cause ») qui reste en français sous une forme légèrement différente (motif).
24Comme nous l’avons déjà remarqué, Jean suit l’original de très près au niveau du contenu, ainsi qu’au niveau la phrase. Les ajouts du traducteur pour lesquels il n’y a pas d’équivalents dans l’original se réduisent aux gloses assez courtes, aux syntagmes qui précisent le sens des certains termes le rendant plus concret, ainsi qu’à de rares doublets synonymiques. Quelquefois les ajouts rendent le texte plus émotionnel : ainsi, à la différence de l’Anonyme, Jean écrit que les saints s’ennuyaient en Enfer en attendant la descente de Jésus ou bien répète deux fois le nom du Sauveur, alors que dans la phrase latine le sujet n’est pas explicité.
Directorium antipodes (p. 384) in gazophilacium (p. 368) duo tantum era minuta (p. 368) et sanctos quos diu captivos tenuerat, liberabat (p. 390) quociens populus legem Domini deserebat, tociens ipsum affligi […] dimittebat (p. 395) |
Jean de Vignay les antipodes, c’est a dire les peuples qui ont leur piez contre les nos (fol. 169v) en l’arche ou l’en gardoit la pecune offerte (fol. 166r) II petis deniers d’arain du pois de la moitié d’un quadrant tant seulement (fol. 166r) Et delivra les sains que il avoit longuement tenus enchainné qui anoient (fol. 171r) quantes foys le peuple delessoient la loy, Nostre Seigneur tant de foys, Nostre Sire les lessoit estre tormentés (fol. 171v). |
25La plupart des syntagmes omis par le traducteur est constituée par des épithètes, ainsi que des parties des énumérations, des antithèses et des métaphores. L’Anonyme écrit avec une emphase particulière : plusieurs passages de son livre témoignent d’une certaine recherche de style et comportent des synonymes formant soit des chaînes assez longues, soit des parallélismes et des antithèses. Il est attentif à la structure rythmique de la phrase (aux différentes espèces de cursus), il lui arrive d’employer la rime. Jean de Vignay ne reproduit pas en français toutes ces particularités du texte latin ; probablement il en est incapable : il ne dispose pas d’un vocabulaire suffisant et n’a pas assez de maîtrise littéraire pour recréer en français toutes ces fioritures de style. Parfois Jean ne reproduit pas ou simplifie des métaphores de l’original :
Directorium in tantum quod terra illa sancta in ventre sue equitatis talia tenere non potuit abortiva (p. 397). corpora fetida et corrupta in viciis, mortua in peccatis (p. 397). |
Jean de Vignay Etant que cele terre sainte ne peut tenir tiex choses (fol. 172r). les cors pourries en vices et en pechié (fol.172r) |
26Ainsi, croyons-nous, que dans le Directoire Jean de Vignay essaie de ne pas « s’écarter » de l’original, tout en identifiant la traduction par calque à la traduction exacte sous l’influence des grammaires scolaires de Donat ; pourtant son désir d’être précis est stimulé par l’ambiance sociale créée autour du Directorium, ainsi que par la conscience de l’importance de la commande dont il est chargé.
Les traductions de Jean de Vignay liées au projet de la croisade dans le contexte de son œuvre
- 24 Pour l’histoire de la composition de ce traité de Théodore Paléologue et la traduction de Jean de V (...)
27Comme nous l’avons déjà noté, deux autres traductions de Jean de Vignay mentionnées plus haut, sont aussi liées aux projets de croisade. Le récit du voyage du moine Odoric de Pordenone dans les pays de l’Orient représente, pour ainsi dire, un complément naturel au Directoire, où un tel récit, répétons-le, est à peine esquissé. Dans les Merveilles de la terre d’Outremer, il remplit tout le livre consacré aux mœurs sauvages et cruelles des peuples d’Orient et aux tortures qu’ont subies dans ces terres des missionnaires chrétiens. Il s’ensuit du dernier chapitre des Merveilles que le récit d’Odoric malade a été écrit d’après ses paroles par un autre moine de son ordre en 1330 et que Odoric meurt l’année suivante. Il n’est pas exclu que Jean de Vignay ait lui-même choisi de traduire cette œuvre en désirant, d’une part, compléter des renseignements sur les peuples sauvages contenus dans le Directoire, et, d’autre part, inciter le monarque à réaliser son grand projet. Les Enseignemens, traduction du De reginime principis de Théodore Paléologue, sont un traité d’art militaire comprenant le récit des vertus nécessaires au monarque parfait, ainsi qu’une comparaison du monarque et du tyran24. Dans le prologue des Enseignemens, les croisades, ainsi que d’autres raisons pour lesquelles ce livre sera utile au roi de France sont mentionnées explicitement :
- 25 Les Enseignements de Théodore Paléologue, éd. Knowles, p. 21.
si m’est il aviz qu’il fait bon oïr l’opinion de tous pour prendre le meilleur, et especialment a vous qui, rempli de la grace de Dieu, avez en vostre sains propos entente de aler par fait d’armes sur lez ennemis de foy, si comme la renommee est par toute saincte chrestienté, et que aucune fois avient il que vous avez mestier de deffendre vostre terre et voz hommes, princes, barons et aultres, et leur terre, contre aucuns envieux et mauvais qui s’efforcent de vous et voz dis hommes grever25.
- 26 Suivant A. Coville, au début de 1336, le pape Benoit XII prononce encore un sermon à Avignon consac (...)
- 27 Voir Coville, Les premiers Valois et la Guerre de Cent ans, p. 36-38.
28Cette citation permet de supposer que les Enseignemens ont été tra duits dans la seconde moitié des années 1330 et, probablement, terminés vers la fin de 1336 : d’une part, il est connu qu’à la fin de cette année Philippe VI abandonne les projets de croisade26 ; d’autre part, les paroles du traducteur selon lesquelles le monarque français a mestier de deffendre sa terre et qu’il est menacé d’aucuns envieux et mauvais hommes peuvent indiquer sur la croissance de l’adversité entre la France et l’Angleterre qui marque la même année27.
- 28 Trotter note, en particulier, que le passif français est veü (qui correspond au latin videtur) est (...)
- 29 Voir Knowles, « Introduction », éd. des Enseignements de Théodore Paléologue, p. 12-17.
29Jean de Vignay traduit à la lettre les Merveilles et les Enseignemens ; et pourtant ces livres sont écrits dans un latin simplifié, plus proche des langues vernaculaires que celui du Directorium. Ainsi, dans les Merveilles Jean rend systématiquement les participes latins par les participes français, conserve les formes passives du verbe là où le passif latin est employé, ainsi que l’ordre des mots de la phrase latine28. Comme le constate C. Knowles, la syntaxe des Enseignemens calque servilement celle de l’original latin29.
- 30 D. Trotter cite ces écarts par rapport à l’original dans les notes à son édition des Merveilles, p. (...)
30À en juger d’après les rédactions conservées de l’original latin, dans les Merveilles Jean de Vignay ne s’en écarte pas considérablement : comme dans le Directoire, le traducteur omet parfois des mots ou des syntagmes et complète sa traduction par de courts ajouts30. Ce n’est pas le cas des Enseignemens : dans le prologue Jean de Vignay prévient son destinataire qu’il ne traduit pas certains fragments de l’original et qu’il intègre dans la traduction des passages qui remontent à d’autres sources :
- 31 Les Enseignements de Théodore Paléologue, éd. Knowles, p. 22.
Et si sache vostre royal majesté que ou premier livre que le dit marquis fist et ordena, j’ay delaissié plusieurs choses, tant pour cause de briefté comme pour ce que y ne touchoient point au fait dez armes ne de guerre. Et encore en ray je plusieurs translatees, lesquelles, se elles ne touchent point au faiz dez armes, se font elles a l’information des bonnes meurs31.
- 32 Voir Knowles, « Jean de Vignay. Un traducteur du XIVe siècle », p. 369-370.
- 33 Voir C. Chavannes-Mazel, « Problems in Translation, Transcription and Iconography : the Mirror hist (...)
31Cet aveu de Jean de Vignay n’est pas fortuit. C. Knowles découvre que le Miroir de l’Eglise, traduction de Jean de Vignay destinée à Philippe VI, contient des déclarations analogues32. Dans les traductions offertes à la reine Jeanne de Bourgogne, quelquefois très libres, de tels aveux sont absents. Cl. Chavannes-Mazel et, plus tard, L. Brun et M. Cavagna démontrent clairement que le sexe du destinataire est important pour le traducteur : Jean de Vignay complète sa traduction du Speculum historiale et la corrige en suivant l’original de plus près, lorsqu’il se prépare pour offrir son ouvrage au dauphin Jean (futur Jean II le Bon) ; le texte offert auparavant à la reine contenait plusieurs paraphrases simplifiées33.
- 34 Voir Evdokimova, « Le prologue du Livre Flave Vegece de la chose de chevalerie », p. 182-185.
- 35 De toutes les datations des traductions de Jean de Vignay, mentionnées dans notre article, celle de (...)
32La comparaison des traductions de Jean de Vignay liées aux projets de la croisade de Philippe VI avec ses autres ouvrages permet de conclure qu’elles occupent une place à part dans son œuvre, à cause de la fréquence des calques syntaxiques et sémantiques ; de plus, le Directoire et les Merveilles sont distinctes du reste de sa production littéraire, car elles ne contiennent pas des écarts considérables, au niveau du contenu, par rapport aux originaux – ni ajouts, ni omissions. Il est impossible de ne pas remarquer, d’autre part, que la tendance vers la traduction littérale est caractéristique du style de Jean de Vignay durant toute sa vie : des calques sont manifestes dans toutes ses traductions – y compris celui des syntagmes est veü et sont veüs qui rendent les verbes videtur et videntur. Même dans les traductions tardives – la Chronique, Le jeu des eschés moralisé on note le penchant de Jean à utiliser largement les formes passives verbales qui traduisent le passif latin34. Et pourtant la fréquence de toutes ces formes dans les traductions n’ayant pas de rapport avec les projets de la croisade est beaucoup plus réduite – à la fois celles dédiées au dauphin Jean (Le jeu des eschés) ou Philippe VI (les Oisivetez des empereurs, destinées probablement, au même monarque), et celles offertes à la reine Jeanne de Bourgogne (le Miroir historial, la Legende doree, la Chronique35).
33Il y a lieu de croire que par ses goûts et ses préférences de traducteur (influencés, en particulier, par sa formation juridique) Jean de Vignay est porté vers l’utilisation des calques ; cependant il suit ce penchant dans des circonstances bien déterminées. Ce ne sont pas des doctrines linguistiques qui ont une signification primordiale pour lui, mais le statut du destinataire et la fonction sociale de la traduction, selon lesquels il varie son style, l’enrichissant plus ou moins de vocables et de tournures savants.
- 36 Jean de Vignay identifie les poètes antiques aux philosophes qui découvrent aux lecteurs des vérité (...)
- 37 Voir L. Evdokimova, « Le Miroir historial de Jean de Vignay et sa place parmi les traductions litté (...)
- 38 Voir Jacques de Voragine, La Légende dorée. Édition critique dans la révision de 1476 par Jean Bata (...)
34Ainsi, une manière plus libre de traduire que Jean suit dans les Oisivetez des empereurs et Le jeu des eschés, ainsi que dans les traductions dédiées à la reine, est en corrélation avec leurs fonctions moins importantes et un statut divers du destinataire. À la différence du Directoire, des Merveilles et des Enseignemens, les Oisivetez ont, semble-t-il, une fonction récréative. Parmi les traductions dédiées à la reine, seul le Miroir historial contient un nombre considérable de calques dont la quantité augmente surtout dans les chapitres comprenant des extraits des auteurs de l’Antiquité36. Pourtant, d’une manière générale, dans sa version du Speculum historiale, Jean de Vignay vise à créer une traduction simplifiée qui soit accessible à son destinataire37. Dans le prologue à la Legende dorée cette dernière tâche est formulée tout à fait clairement : Jean de Vignay déclare que le livre qu’il vient de traduire doit être utile « aux gens qui ne sont pas lectrés38 ».
Conclusion
35Nous avons le droit de conclure : Jean de Vignay traduit à la lettre et, à la fois, veut être précis lorsqu’il destine son ouvrage au monarque et travaille sur un texte qui doit jouer un rôle important dans la vie de l’État. Le contexte social analogue incite l’auteur anonyme du Livre Flave Vegece à créer une traduction littérale.
- 39 Voir Evdokimova, « Le Miroir historial de Jean de Vignay et sa place parmi les traductions littéral (...)
36La mise en parallèle du Miroir historial et de la Chronique – deux traductions faites à des moments divers de la vie du traducteur, mais semblables par leur contenu et ayant le même destinataire (la reine Jeanne de Bourgogne), permet de remarquer l’évolution de la manière de traduire de Jean de Vignay : dans la traduction plus tardive le nombre des calques est plus réduit. Cette évolution est préparée dans une certaine mesure par l’influence de la littérature en langue vulgaire, qu’on remarque déjà dans quelques chapitres du Miroir historial39. Pourtant, il est impossible d’affirmer qu’elle était linéaire : durant toute sa carrière Jean variait sa manière en dépendance des destinataires, du contenu des originaux et des fonctions que ses traductions avaient dans des situations historiques précises.
Annexe
Glossaire
Dans ce Glossaire au Directoire nous relevons les termes rares, les calques sémantiques ou les néologismes qui ne sont pas attestés par les dictionnaires ou bien qui sont employés par d’autres écrivains de la même époque. Après un mot ou un syntagme français, nous mettons entre parenthèses le mot ou l’expression correspondant du texte source. Si le même emploi est attesté par des ouvrages des auteurs français plus tardifs, nous ajoutons des références aux dictionnaires. L’absence des références signifie que l’emploi en question n’est pas encore attesté. Le glossaire n’est pas exhaustif.
Abréviations
DMF Dictionnaire du Moyen Français : http://www.atilf.fr/dmf/
FEW W. von Wartburg, Französisches etymologisches Wörterbuch, Tübingen, Basel, 1948-1997, t. 1-25
GdF F. Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du XIe au XVe siècle, Paris, 1881-1902, t. 1-10
TLF Le Trésor de la langue française informatisé : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm
ALLER AVEC QQN (AMBULARE CUM), « partager » au fig. : mout de peuples crestiens […] ne vont point avec nous en foy (fol. 169r).
ANTARCTIQUE (ANTARCTICUS) : ou je ne veoie point le notre ciel artique et veoie le ciel antarctique (fol. 169v) ; le mot est utilisé plusieurs fois. GdF : 1493 ; TLF : 1338 ; DMF : Renaud de Louhans, 1336.
ANTIPODE, subst. (ANTIPODES) : Pour la tierce que ce n’est pas frivole ne faus deviser les antipodes (fol. 169v). GdF, TLF : adj., Oresme, 1370-1377 ; subst., Corbichon, 1372.
AVOIR (HABERE : « SAVOIR ») : Ceste chose avon nous expressement du peuple (fol. 171v) ; DMF : Oresme, vers 1370.
DEFFENSIF (DEFENSIVUS) : sanz armes defensives (fol. 168v) ; DMF : Mézières, 1396 ; TLF : 1444.
DESTOURBER (DETURBARE : « DÉTOURNER, CHASSER ») : Qui peut adonc croire et esperer que dieu otroieroit as pecheurs cele terre de la quele si comme il appert des devant dites choses, il destourba tous jours les pecheurs, mist hors et debouta (fol. 172r) ?
EXPRIMER (EXPRIMERE : « MENTIONNER, NOMMER ») : La tierce et l’onziesme partie demonstre les liex et les resgnes dont les vivre seront eüs de toutes parties pour l’ost ; […] devers midi, c’est a destre ; les liex et les pors de la province certes sont exprimes en general et descrips as quiex il puissent decliner et mener les vessaus portans les vivres (fol. 168r). – Tertia et undecima pars ostendit loca et regiones unde ab omni parte pro exercitu victualia habebuntur ; […] a miridie, id est a dextris, loca et provincie exprimuntur : portus eciam in generali describuntur, ad quos valeant declinare omnia vasa [et naves] que victualia deportabunt (p. 377).
GESIR (JACERE, au fig.) : Nous jeson donques avec Ihucrist (fol. 169r) ; DMF : au fig., 1345.
MOTIVE (MOTIVUM : « CAUSE, RAISON D’AGIR ») : La seconde motive est le montepliement de la foy et du non crestien (fol. 166r) ; le mot est utilisé plusieurs fois. TLF : motif, 1370-1372, Oresme, Ethiques ; FEW : 1373.
NON PARLABLE (INNEFFABILIS) : sans la disposicion non parlable de la devine providence (fol. 168v)40.
NON RACONTABLEMENT (INEFFABILITER) : en nessant merveilleusement et non racontablement Dieu issist homme hors de la vierge (fol. 170v).
NON SOUSPECONNABLE (INSUSPICABILIS) : vous avez receü la couronne non souspeçonnable de tel et de si grant regne (fol. 168v).
PRENDRE LA BATAILLE (SUMERE BELLUM) : vous prenés la bataille de Dieu (fol. 165v) ; DMF : 1377, Guillaume de Machaut.
REFORMER (REFORMARE : « FORMER À NOUVEAU, RECRÉER ») : soit reformé pais et concorde (fol. 166v) ; DMF : vers 1339 ; FEW : XVe siècle.
SORTIR LE NOM (NOMEN SORTIRI : « RECEVOIR LE NOM, ÊTRE NOMMÉ ») : autres peuples crestiens […] sortissent les nons de celes sectes (fol. 170r) ; DMF : 1362-1365.
TAINDRE (TINGERE : « MOUILLER ») : le filz […] fust taint es eaue de Jourdain (fol. 170v-171r) ; DMF : « tremper, mouiller » : 1426.
TORNIEMENT (GIRUS MARIS) : La tierce [cause – L.E.] est quer el tout cel torniement de la mer les autres pors sont porsis par les anemis de la croys esquiex l’ost peust estre seurement reposé (fol. 168r).
VRAIEMENT (VERO) : Les nostres vraiement tindrent icele [Jérusalem – L.E.] (fol. 172r)41.
Notes
1 L’identité de l’auteur du Directorium reste contestable ; à des époques diverses, on attribue ce traité au moine saxe Brochard (Brocard, Burcardus), ainsi qu’aux prêcheurs domini cains Guillaume Adam et Raymond Étienne. La première attribution est fondée sur l’autorité de Jean Miélot qui traduit le Directorium en 1455 en appelant son auteur « frere Brochard l’Allemant, de l’ordre des Prescheurs » (voir C. Kohler, « Introduction », Recueil des historiens des croisades. Documents arméniens, Paris, Imprimerie Nationale, 1906, t. 2, p. cxliii-cxlvii, qui démontre que le témoignage de Miélot est dépourvu de fondements solides ; voir de plus A. S. Atiya, The Crusade in the Later Middle Ages, Londres, Methuen, 1938, p. 97-98, qui défend une thèse opposée). La seconde et la troisième attribution se fondent sur l’étude des ressemblances et des divergences – celles de contenu, des idées et de style – entre le Directorium et le traité de Guillaume Adam De modo saracenos extirpandi, ainsi que sur l’analyse des renseignements sur l’auteur qu’on peut extraire du Directorium et des documents qui concernent les missionnaires dominicains du début du XIVe siècle ayant effectué des voyages en Orient, en Afrique et dans les Balkans. Kohler signale plusieurs coïncidences et similitudes entre les deux traités, ainsi qu’entre la biographie de Guillaume et ce qui est connu de l’auteur du Directorium ; il conclut que ce traité est à attribuer soit à Guillaume Adam, soit à Raymond Étienne, un autre prêcheur domini cain ayant passé plusieurs années dans les mêmes terres que Guillaume, lui aussi, visita, – pourtant Kohler croit que la première attribution est plus plausible (« Introduction », Recueil des historiens des croisades, p. cxlviii-clxi). D’autres auteurs estiment que c’est Raymond Étienne qui fut l’auteur du Directorium, sans présenter cependant une argu mentation aussi détaillée que celle de Kohler (J. Quétif et J. Échard, Scriptores ordinis Praedicatorum, Paris, J.B. Christophe Ballard et Nicolas Simart, 1719, t. 1, p. 573-574 ; Golubovich, « Armenia minore. Frati Minori et Dominicani in Cilicia », Biblioteca bio-bibliografica della Terra santa e dell’Oriente francescano, Florence, Quaracchi, t. 3, 1919, 405 ; R.J. Loenertz, La Société des Frères Pérégrinants. Étude sur l’Orient dominicain, t. 1, Rome, Ad. S. Sabinae : Institutum historicum FF. praedicatorum, 1937, p. 63, note 26 ; Richard, La papauté et les missions en Orient au Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles), Rome, ÉFR, 1977, p. 202). Assez récemment E. Paltagean, en revenant à la question de l’attribution du Directorium, refuse de s’y prononcer (E. Patlagean, « La conquête de l’empire grec dans un projet de croisade adressé à Philippe VI de Valois en 1332 », Studi sulle società e le culture del Medioevo per Girolamo Arnaldi, éd. L. Gatto et P. Supino Martino, Firenze, All’insegna del giglio, 2002, t. 2, p. 455-469, surtout p. 456). Au début du XIVe siècle, Guillaume Adam et Raymond Étienne étaient probablement dans la même mission qui, après un séjour sur l’île de Socotra, atteint les frontières de l’Éthiopie (Richard, La papauté et les missions en Orient, p. 114).
2 Pour ce projet de croisade voir notamment J. Viard, « Les projets de croisade de Philippe de Valois », Bibliothèque de l’École des chartes, 97, 1936, p. 305-316.
3 Déjà Paul Meyer met en doute l’attribution de cette traduction à Jean de Vignay (P. Meyer, « Les manuscrits français de Cambridge », Romania, 36, 1907, p. 522-528). Plus tard L. Brun et M. Cavagna attirent de nouveau l’attention sur cette question et contestent cette attribution : voir L. Brun et M. Cavagna, « Pour une édition du Miroir historial de Jean de Vignay », Romania, 124, 2006, p. 384. Voir aussi la thèse récente de L. Brun, Le Miroir historial de Jean de Vignay. Édition critique du livre I (Prologue) et du livre V (Histoire d’Alexandre le Grand), University of Stockholm, 2010, p. 29-34. Voir également A. Bengtsson, « Quelques observations sur la traduction del’ablatif absolu en moyen français », The Medieval Translator / Traduire au Moyen Age 11, éd. Cl. Galderisi et C. Pignatelli, Turnhout, Brepols, 2007, p. 221 ; C. Boucher, La mise en scène de la vulgarisation. Les traductions d’autorités en langue vulgaire aux XIIIe et XIVe siècles, thèse de doctorat, École Pratique des Hautes Études, Paris, 2005, p. 103, note 17 ; L. Evdokimova, « Le prologue du Livres Flave Vegece de la chose de chevalerie et la question de son attribution », Medieval Translator / Traduire au Moyen Age 12, éd. D. Renevey et C. Whitehead, Turnhout, Brepols, 2009, p. 173-185.
4 Voir D. Trotter, « Introduction », Jean de Vignay. Les merveilles de la terre d’Outremer. Traduction du XIVe siècle du récit de voyage d’Odoric de Pordenone, éd. D. Trotter, Exeter, University of Exeter, 1990, p. xxii-xxvii. L. Brun et M. Cavagna distinguent dans le caractère littéral des traductions de Jean de Vignay une volonté de précision typique de l’époque moderne : voir L. Brun et M. Cavagna, « Das “Speculum historiale” und seine französische Übersetzung durch Jean de Vignay », Übertragungen : Formen und Konzepte von Reproduktion in Mittelalter und Früher Neuzeit, éd. B. Bussmann, A. Hausmann, A. Kreft et C. Logemann, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 2005, p. 279-302.
5 Voir Cl. Buridant, « Jean de Meun et Jean de Vignay, traducteurs de l’Epitoma rei militaris de Végèce. Contribution à l’histoire de la traduction au Moyen Âge », Études de langue et de littérature françaises offertes à André Lanly, Nancy, Publications université Nancy II, 1980, p. 51-69 ; Cl. Buridant, « Vers un lexique de Jean de Vignay traducteur : contribution à l’essor de la traduction au XIVe siècle », The Dawn of the written vernacular in Western Europe, éd. M. Goyens et W. Verbeke, Leuven, Leuven University Press, 2003, p. 303-321.
6 M. Cavagna, « Le miroir du texte latin : Jean de Vignay et la traduction-calque comme principe stylistique », La moisson des lettres. L’invention littéraire autour de 1300, éd. H. Bellon-Méguelle et al., Turnhout, Brepols, 2011, p. 181-194, ici p. 193.
7 Voir C. Knowles, « Jean de Vignay, un traducteur du XIVe siècle », Romania, 75, 1954, p. 353-383, ici p. 356-357 et 368.
8 Londres, British Museum, Royal 19 D I, fol. 167v-192v. Nous avons utilisé le microfilm de l’IRHT.
9 Selon l’avis de Kohler, cet anonymat était voulu : étant un des proches du pape Jean XXII, l’auteur du traité essaye de convaincre le roi Philippe qu’il est nécessaire, en premier lieu, de conquérir l’Empire byzantin, mettant ainsi fin au schisme des églises (alors que la conquête de la Terre sainte reste pour lui secondaire), pourtant il ne veut pas s’exprimer ouvertement ; voir Kohler, « Introduction », Recueil des historiens des croisades, p. cxliii-cxlv, cliv, surtout p. clxi.
10 L’itinéraire proposé par l’Anonyme ne fut pas retenu par le Conseil. La décision du Conseil est citée, en particulier, par Quétif et Échard, Scriptores ordinis Praedicatorum, p. 574 ; de plus, elle est discutée en détail par Atiya, The Crusade in the Later Middle Ages, p. 111. Pour les circonstances dans lesquelles la traduction du Directorium a été faite, voir en outre S. Lusignan, La langue des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre, Paris, PUF, 2004, p. 113-114.
11 Nous suivons l’édition du Directorium parue dans le Recueil des historiens des croisades. Documents arméniens, p. 367-517.
12 Voir L. Evdokimova, « Jean de Vignay traducteur et chroniqueur : la Chronique de Primat », Texte et Contexte. Littérature et Histoire de l’Europe médiévale, éd. M.-F. Alamichel et R. Braid, Paris, Oudiard, 2011, p. 373-396.
13 Voir Evdokimova, « Le prologue du Livres Flave Vegece de la chose de chevalerie », p. 176.
14 Voir S. Lusignan, Parler vulgairement : les intellectuels et la langue française aux XIIIe et XIVe siècle, Paris-Montréal, Vrin-Presses del’université de Montréal, 19872, p. 141, et Buridant, « Jean de Meun et Jean de Vignay, traducteurs de l’Epitoma rei militaris de Végèce », p. 56.
15 Pour les théories des modistes, voir en particulier I. Rosier-Catach, La grammaire spéculative des Modistes, Villeneuves-d’Ascq, Presses universitaires de Lille, 1983 et Lusignan, Parler vulgairement, p. 17-35.
16 Voir Lusignan, Parler vulgairement, p. 40-43, 51-53.
17 Voir l’édition des quelques manuels de ce type et une étude qui leur est consacrée : M. Colombo Timelli, Traductions françaises de l’Ars minor de Donat au Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles), Florence, La Nuova Italia Editrice, 1996. Pour les versions scolaires de Donat et l’enseignement du latin voir, de plus, Lusignan, Parler vulgairement, p. 35-40.
18 M. Colombo Timelli cite des exemples de ce mélange des deux langues provenant des plusieurs grammaires : voir Traductions françaises de l’Ars minor de Donat au Moyen Âge, p. 34-35.
19 D’ailleurs certains théoriciens médiévaux de la grammaire soulignent, eux aussi, l’équivalence des cas et des articles : voir Lusignan, Parler vulgairement, p. 27.
20 Colombo Timelli, Traductions françaises de l’Ars minor de Donat au Moyen Âge, p. 155-156, 174.
21 L. Löfstedt cite les tournures syntaxiques latinisées dans les notes à son édition : Li Livres Flave Vegece de la chose de chevalerie par Jean de Vignay, éd. L. Löfstedt, Helsinki, Suomalainen Tiedeakatemia, 1982, p. 132-146. A. Bengtsson constate que le traducteur du Livre Flave Vegece rend presque toujours l’ablatif latin par le participe absolu : « Quelques observations sur la traduction de l’ablatif absolu en moyen français », p. 207-213.
22 Le plus ancien exemple de cet emploi du mot moyen, cité par le TLF, se rencontre chez Nicole Oresme, vers 1370.
23 Voir, de plus, l’Annexe.
24 Pour l’histoire de la composition de ce traité de Théodore Paléologue et la traduction de Jean de Vignay voir C. Knowles, « Introduction », Les Enseignements de Théodore Paléologue, éd. C. Knowles, Londres, Modern Humanities Research Association, 1983, p. 1-5. L’original grec du traité n’est pas conservé ; son fragment, dans la traduction latine, est réédité dans l’édition citée de Knowles.
25 Les Enseignements de Théodore Paléologue, éd. Knowles, p. 21.
26 Suivant A. Coville, au début de 1336, le pape Benoit XII prononce encore un sermon à Avignon consacré à la future croisade ; Philippe VI y est présent, avec d’autres monarques qui ont pris la croix ; à la fin de la même année les projets de la croisade sont déjà abandonnés : voir A. Coville, Les premiers Valois et la Guerre de Cent ans (Histoire de France depuis ses origines jusqu’à la Révolution, dir. E. Lavisse, t. 4), Paris, Hachette, 1902, p. 10-12. D. Gerner constate aussi que Philippe VI abandonne les projets de la croisade en 1336 : D. Gerner, « Introduction », Les traductions françaises des « Otia imperialia » de Gervais de Tilbury par Jean d’Antioche et Jean de Vignay. Édition de la troisième partie, éd. C. Pignatelli et D. Gerner, Genève, Droz, 2006, p. 101. Selon D. Trotter, ce changement dans la politique française se produit en 1334 : D. Trotter, « Introduction », éd. de Jean de Vignay, Les merveilles de la terre d’outremer, p. xvi. L. Brun suppose que Théodore Paléologue offre à Phillippe VI la copie latine de son traité en 1335, lors de sa visite, et c’est à ce moment que le roi commande la traduction à Jean de Vignay ; voir Brun, Le Miroir historial de Jean de Vignay, p. 24.
27 Voir Coville, Les premiers Valois et la Guerre de Cent ans, p. 36-38.
28 Trotter note, en particulier, que le passif français est veü (qui correspond au latin videtur) est très fréquent dans les Merveilles : « Introduction », éd. de Jean de Vignay, Les merveilles de la terre d’outremer, p. xxxi. Voir de plus Bengtsson, « Quelques observations sur la traduction de l’ablatif absolu en moyen français », p. 219-220.
29 Voir Knowles, « Introduction », éd. des Enseignements de Théodore Paléologue, p. 12-17.
30 D. Trotter cite ces écarts par rapport à l’original dans les notes à son édition des Merveilles, p. 90, 94, 100, 103.
31 Les Enseignements de Théodore Paléologue, éd. Knowles, p. 22.
32 Voir Knowles, « Jean de Vignay. Un traducteur du XIVe siècle », p. 369-370.
33 Voir C. Chavannes-Mazel, « Problems in Translation, Transcription and Iconography : the Mirror historial, Book 1-8 », Vincent de Beauvais. Intentions et réceptions d’une œuvre encyclopédique au Moyen Age, éd. M. Paulmier-Foucart, S. Lusignan et A. Nadeau, Saint-Laurent-Paris, Bellarmin-Vrin, 1990, p. 347-353 ; Brun et Cavagna, « Das “Speculum historiale” und seine französische Übersetzung durch Jean de Vignay », p. 288-290. Dans un article très récent, M. Cavagna est plus prudent quant à l’identification du réviseur : s’appuyant sur une nouvelle collation des manuscrits et en précisant le stemma, il sug gère que la révision a été peut-être effectuée par un anonyme : voir « Variantes d’auteur in absentia ? La version révisée du Miroir historial, encyclopédie du XIVe siècle », Medioevo romanzo, 28/1, 2014, sous presse. Je remercie Mattia Cavagna de m’avoir permis de lire cet article avant la publication.
34 Voir Evdokimova, « Le prologue du Livre Flave Vegece de la chose de chevalerie », p. 182-185.
35 De toutes les datations des traductions de Jean de Vignay, mentionnées dans notre article, celle des Oisivetez semble la moins sûre. Selon D. Gerner, cette traduction a été faite entre 1320 et 1326 : voir Gerner, « Introduction », Les traductions françaises des « Otia imperialia » de Gervais de Tilbury par Jean d’Antioche et Jean de Vignay, éd. Gerner et Pignatelli, p. 104-105 ; voir aussi notre compte rendu de cette édition dans Le Moyen Âge, 113, 2007, p. 755-759.
36 Jean de Vignay identifie les poètes antiques aux philosophes qui découvrent aux lecteurs des vérités morales et théologiques sous forme allégorique ; voir L. Evdokimova, « Commentaires pour le Prologue du Miroir historial de Jean de Vignay. Le dessein et la stratégie du traducteur », Medieval Translator / Traduire au Moyen Age 11, éd. Galderisi et Pignatelli, p. 83-87.
37 Voir L. Evdokimova, « Le Miroir historial de Jean de Vignay et sa place parmi les traductions littérales du XIVe siècle », Eustache Deschamps, témoin et modèle. Littérature et société politique, éd. T. Lassabatère et M. Lacassage, Paris, PUPS, 2008, p. 177-189.
38 Voir Jacques de Voragine, La Légende dorée. Édition critique dans la révision de 1476 par Jean Batallier, d’après la traduction de Jean de Vignay (1333-1348) de la Legenda aurea (c. 1261-1266), éd. B. Dunn-Lardeau, Paris, Champion, 1999, p. 87-88. C. Knowles et B. Dunn-Lardeau, à sa suite, écrivent que cette traduction est littérale, mais nos observations ne le confirment pas (Knowles, « Jean de Vignay. Un traducteur du XIVe siècle », p. 365 et Dunn-Lardeau, éd. de la Legenda aurea, p. 10). Bien que le texte de la traduction ne soit pas tout à fait libre de calques, pour la plupart des cas Jean s’écarte de la syntaxe de l’original. Le latin de Jacques de Voragine n’est pas très complexe ; toutefois les constructions syntaxiques qu’il utilise sont plus hiérarchiques par rapport à celles qui sont caractéristiques du français du XIVe siècle : l’action principale exprimée par un verbe sous forme personnelle, est accompagnée par d’autres actions, désignées par des participes et de formes verbales diverses. Dans sa traduction, Jean de Vignay ne conserve pas cette hiérarchie de la phrase, en remplaçant des participes latins par des formes personnelles du verbe ; la parataxe domine dans sa traduction. Pour plus de détails voir notre livre : L. Evdokimova, Du sens à la forme. La traduction en France au XIVe siècle : vers une typologie, Moscou, Éditions de l’Institut de littérature mondiale, 2011, p. 100-102, 363-65 (en russe).
39 Voir Evdokimova, « Le Miroir historial de Jean de Vignay et sa place parmi les traductions littérales du XIVe siècle », p. 181. H. Brosien note plusieurs coïncidences entre la Chronique de Primat, traduite par Jean de Vignay, et la traduction française des Gesta Philippi III de Guillaume de Nangis, datée de la fin du XIIIe siècle : H. Brosien, « Wilhelm de Nangis und Primat », Neues Archiv der Gesellschaft für ältere Deutsche Geschistskunde, 4, 1879, p. 459. Il n’y a pas de doute que cette traduction est l’une des sources de la Chronique de Jean de Vignay. Dans notre article consacré à la Chronique nous citons d’autres coïncidences entre elles et les traductions françaises des ouvrages de Guillaume de Nangis, L’istoire du roy Phielippe fils de saint Loys ainsi que la Vie de saint Louis (fin du XIIIe siècle) : voir Evdokimova, « Jean de Vignay traducteur et chroniqueur : la Chronique de Primat », p. 376-77, 387-88, 395-96 (note 39).
40 Dans le Directoire il y a d’autres néologismes formés sur le même modèle ; pour les dérivés de ce type, voir Buridant, « Vers un lexique de Jean de Vignay traducteur : contribution à l’essor de la traduction au XIVe siècle », p. 303-321.
41 Ce calque est utilisé plusieurs fois dans le Directoire et dans les Enseignemens : voir Knowles, « Introduction », éd. des Enseignements de Théodore Paléologue, p. 15.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Ludmilla Evdokimova, « Le directoire de Jean de Vignay, une traduction littérale au début du XIVe siècle », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 27 | 2014, 177-198.
Référence électronique
Ludmilla Evdokimova, « Le directoire de Jean de Vignay, une traduction littérale au début du XIVe siècle », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 27 | 2014, mis en ligne le 30 décembre 2017, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13444 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13444
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