Du modèle à la mode
Résumés
Dans un passage célèbre de son Champion des Dames, Martin Le Franc émet un jugement original sur la musique de son temps, en ce qu’il tourne le dos à la traditionnelle laudatio temporis acti. Le monde va peut-être mal, nous dit en substance Martin, mais la musique contemporaine est extraordinaire de créativité, de nouveautés et de surprises. Ainsi, les musiciens de la génération de Jean sans Peur ne sont plus à la mode sous Philippe le Bon, où triomphent Dufay et Binchois ; la musique n’est donc pas un art immobile ; les modèles ne sont posés que pour être dépassés. Et ces autorités du moment sont elles-mêmes fragiles, comme le montre le succès des jongleurs aveugles de la cour de Philippe le Bon. Seul compte l’effet produit sur l’auditoire : vérité d’une performance et d’une expérience en lieu et place de l’autorité d’un modèle. Cette valorisation du nouveau s’inscrit dans une conception de l’histoire qui est en partie déjà humaniste ou, du moins, qui n’est plus tout à fait médiévale.
Texte intégral
- 1 Eustache Deschamps, Œuvres complètes, éd. marquis Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, Paris, SAT (...)
- 2 Il est déjà cité par A. Piaget dans sa monographie consacrée à l’auteur (Martin Le Franc, prévôt d (...)
1Il est difficile, on le sait, de trouver dans les textes français du Moyen Âge des jugements d’ordre esthétique sur les écrivains ou artistes contemporains. Les auteurs se contentent de faire appel à la rhétorique de l’éloge ou du blâme sans se livrer à de véritables confidences. L’éloge est souvent un tombeau ; on pense à Eustache Deschamps qui rend hommage à Guillaume de Machaut dans des ballades jumelles célèbres ou aux tombeaux du cimetière d’Amour dans le Livre du Cœur d’Amour épris de René d’Anjou1. Quant au blâme, il s’inscrit dans un registre idéologique plus qu’esthétique si l’on prend en considération les débats autour du Roman de la Rose ou de la Belle Dame sans Merci. Le texte que nous nous proposons d’analyser, un extrait du Champion des Dames de Martin Le Franc, qui porte un jugement sur la musique et les musiciens du milieu du XVe siècle et fait part d’une véritable expérience esthétique, n’en est que plus exceptionnel. Le passage a depuis longtemps intéressé les musicologues, mais pour lui-même, isolé de son contexte immédiat2 ; il mérite d’être resitué dans cette vaste somme allégorique qu’est le Champion des Dames et dans le cadre plus général de la remise en question de la notion de modèle, de tradition et d’autorité à la fin du Moyen Âge. C’est finalement une nouvelle conception de l’histoire des arts que l’auteur nous propose dans ce texte.
- 3 L’ouvrage pionnier d’A. Piaget est évidemment dépassé. Pour une bonne approche de l’arrière-plan h (...)
- 4 Il fait allusion à la doulce conté d’Aumalle dans le Champion des Dames (v. 19883).
- 5 Ce sera le dernier antipape de l’histoire de l’Église ; il fait en 1449 sa soumission à Nicolas V, (...)
- 6 Sur cette relation avec l’Italie, voir O. Roth, « Martin Le Franc et le De remediis de Pétrarque » (...)
- 7 […] virum gnarum ac doctrina non minus mirabili quam amabili praeditum, cité par M.-R. Jung, « Sit (...)
- 8 Voir Jung, « Situation de Martin Le Franc », p. 13-14. Nous avons en revanche conservé sa traducti (...)
2Martin Le Franc est une figure importante de la littérature du milieu du XVe siècle, sans doute injustement méconnue3. Il est né en Normandie, près d’Aumale, autour de 14104 ; c’est avant tout un homme d’Église, qui fait sa carrière dans la chancellerie des ducs de Savoie et plus particulièrement d’Amédée VIII, qui, une fois veuf, sera nommé pape par le concile de Bâle en 1439 sous le nom de Félix V5. Il en sera le protonotaire et participera à ce titre en 1440 au concile, où il a eu comme collègue Æneas Sylvius Piccolomini, le futur pape Pie II, qui n’hésitera pas à le mettre en scène dans un certain nombre de ses Dialogi sous le nom de Martinus Gallus. Il devient prévôt de Lausanne en 1443, poste qu’il conserve jusqu’à sa mort à Genève en 1461. De par sa formation, Martin Le Franc connaît sans doute bien le latin ; il fait tout autant appel aux autorités théologiques, depuis les premiers Pères jusqu’à saint Bernard ou saint Thomas, qu’aux auteurs de l’antiquité païenne, Ovide, Valère-Maxime, Sénèque, Cicéron, mais également Juvénal et Perse qu’il cite dans le prologue du Champion des Dames. Trait plus original, Martin Le Franc est en contact avec la littérature italienne : il a vraisemblablement abordé la Divina Commedia ; il cite en tout cas le De casibus virorum illustrium de Boccace (traduit, il est vrai, en français par Laurent de Premierfait) et surtout le De remediis de Pétrarque à une époque, où, on le sait, la France était particulièrement imperméable à tout ce qui venait d’au-delà des Alpes, si l’on excepte le cas singulier de Christine de Pizan6. On a donc pu parler à juste titre d’humanisme ou de préhumanisme à son propos dans une France encore très médiévale. Æneas Sylvius Piccolomini le qualifie lui-même d’« homme savant et doué d’une culture non moins admirable que séduisante7 ». Cet éloge d’un français par un grand humaniste italien en plein quattrocento est suffisamment rare pour qu’on le mentionne. À côté d’une œuvre latine (une consolatio et des épîtres) et des traductions du latin en français perdues8, Martin Le Franc laisse deux grands textes vernaculaires, le Champion des Dames et l’Estrif de Fortune et de Vertu, qui doit beaucoup au De remediis de Pétrarque dont il ne cite pourtant jamais le nom. C’est au Champion des Dames que je m’intéresserai.
- 9 Le Champion défend longuement au début du livre V la doctrine de l’Immaculée Conception qu’a adopt (...)
- 10 Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, t. I (Les faits et les mythes), Paris, Gallimard, 2004 [1949 (...)
- 11 Voir H.J. Swift, Gender, Writing, and Performance : Men Defending Women in Late Medieval France, 1 (...)
- 12 Sur ce passage, qui figure dans le livre IV (v. 18233 sq.), voir S. M. Taylor, « Down to Earth and (...)
- 13 Ce poème strophique de 472 vers a été édité par G. Paris, « Un poème inédit de Martin Le Franc », (...)
- 14 « Or vueil que de toy naissent nouveaulx volumes […], lesquelz en joie et delit tu enfanteras de t (...)
- 15 Elle figure en fin de codex dans ce seul manuscrit 12476 à la suite de la copie du Champion. De pl (...)
- 16 Voir l’analyse comparée des frontispices des mss Bruxelles, B.R., 9466 (première édition) et Paris (...)
- 17 L’Estrif de Fortune et de Vertu sera mieux diffusé (une trentaine de manuscrits) : voir l’édition (...)
3Bien que Martin Le Franc ne soit pas au service des ducs de Bourgogne, l’œuvre est dédicacée à Philippe le Bon en 1442 et ne connaîtra dans un premier temps qu’un accueil mitigé à sa cour. Comment expliquer cet échec ? D’abord, en raison de ses attaques répétées contre les nobles et le clergé (notamment romain) et du parti-pris basiléen de l’auteur que ne partageaient pas les milieux ducaux, restés fidèles à Rome9. De plus, ses prises de position féministes radicales, si l’on peut dire, ont pu choquer. Elles ont même valu à l’auteur l’honneur d’une mention dans le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, mais sous le titre écorché de Chaperon des Dames10 ! Martin Le Franc prend en effet fait et cause pour les femmes attaquées dans le sillage du Roman de la Rose ; le texte se révèle ainsi atypique dans son siècle, puisque la défense des dames est ici le fait non d’une femme (on pense à Christine de Pizan), mais d’un homme, qui plus est, homme d’Église important et influent11. Cette posture surprenante est souvent violente ; non seulement il défend les femmes, mais il attaque les hommes sur le modèle de la satire antiféministe : ils sont à l’origine de tous les maux, ce sont eux, et non les femmes, qui sont les fauteurs de toutes les guerres, à commencer par la guerre de Cent Ans ; et inversement, les femmes sont à l’origine de tous les biens de l’humanité et, en particulier, de tous les arts, comme le soulignent les figures des Muses, longuement décrites avec leurs instruments de musique12. Cette radicalité est sans doute l’une des raisons d’un premier accueil mitigé à la cour de Philippe le Bon, dont témoigne la Complainte du livre du Champion des Dames à maistre Martin Le Franc son acteur, texte là aussi intéressant et novateur, puisqu’il réfléchit à la réception houleuse du texte en donnant pour la première fois sans doute la parole au livre13. Dans le Livre de l’Advision Cristine, lors de sa longue complainte à Philosophie, Christine de Pizan évoquait, il est vrai, déjà la voix de ses volumes et les comparait au cri du nouveau-né à partir d’une comparaison entre l’engendrement de son œuvre et l’enfantement, mais cette voix n’était pas explicitée14. Martin, lui, imagine une prosopopée : il cède longuement la parole à son livre qui s’adresse à l’auteur lui-même pour se plaindre de ses maladresses et du mauvais accueil qu’on lui a réservé. Une seconde édition paraît en 1451, représentée par le manuscrit de Paris, BnF, fr. 12476, et sera mieux accueillie ; le texte n’est pas modifié, mais il est accompagné de la Complainte15 et, comme l’a bien montré Pascale Charron, la mise en page est repensée : Franc Vouloir, le Champion des Dames, est figuré sous les traits de Philippe le Bon, manière de s’assurer les bonnes grâces du commanditaire, et les courtisans, à l’origine de la cabale contre le livre une décennie plus tôt, sont désormais de taille réduite16. L’œuvre connaîtra dès lors une diffusion moins confidentielle, mais géographiquement limitée, comme l’attestent les neuf manuscrits, tous réalisés dans les milieux bourguignons, et les deux imprimés humanistes, celui de Guillaume le Roy ( ? ; Lyon, v. 1485) et de P. Vidoue pour Galliot du Pré (Paris, 1530)17.
- 18 Pour la tradition littéraire du songe allégorique, voir A. Strubel, « Grant senefiance a ». Allégo (...)
4Le Champion des Dames, bien qu’il suive le modèle très canonique du songe allégorique (deux camps s’affrontent, celui de Malebouche, héritage du Roman de la Rose, et celui de Franc Vouloir, le Champion des Dames, pendant plus de 24000 vers !)18, est intéressant et novateur sur bien d’autres plans que celui des gender studies, et notamment sur celui de la musique. Il nous offre d’abord un répertoire très riche des mythes antiques qui mettent en jeu l’art musical et les instruments :
- mythes d’invention : invention ratée de la flûte par Athéna (v. 13801) ; invention du flajol, la flûte de Pan, par Siringue, (v. 17323) ; invention de la musique par Jubal en passant devant la forge de son frère Tubalcaïn, avatar biblique de la légende de Pythagore (v. 16250) ;
- mythes de pouvoir : Argus endormi au son du flajol (v. 14767) ; Amphion qui par son chant permet l’édification des murs de Thèbes (v. 23625) ; Arion et les dauphins (v. 13895), sans oublier évidemment Orphée aux Enfers (v. 12929) ;
- mythes de compétition ou de jugement : jugement de Midas et châtiment des oreilles d’âne (v. 13793 sq.) ; concours entre Apollon et Marsyas, où l’auteur prend des libertés par rapport à ses modèles, puisque Apollon joue de la flûte, non de la lyre (v. 13825 sq.).
5Cet intérêt pour la chose musicale ne se réduit pas à cette perspective scolaire et humaniste. Dans le livre IV, Martin Le Franc sort de sa réserve ; il se met en avant et porte un jugement tout à fait intéressant sur la musique et les musiciens de son temps. Il s’y montre mélomane, fin connaisseur de musique, critique musical, pour la première fois sans doute dans la littérature française. Rappelons le contexte : le camp de Malebouche se lamente sur le temps présent et développe l’idée que le monde est près de sa fin ; Franc Vouloir ne récuse pas la thèse d’une fin du monde imminente, mais défend en même temps l’idée d’un progrès : le monde est faible, fragile, mais nous avons plus de savoir, plus d’engin que les anciens. Les enfants ont plus de maturité qu’autrefois ; Nature, vicaire de Dieu, leur donne un « engin plus soubtil, / Agu, soudain et ravissant », comme si elle voulait compenser notre briefve vie et la fragilité du siècle par une intelligence plus précoce et plus vive (str. 2028-2030). On pourrait presque résumer la pensée du Champion de la manière suivante : bien que tout aille de mal en pis (ou peut-être parce que tout va de mal en pis ?), nous vivons une époque géniale ; les malheurs du siècle vont de pair avec une sorte d’excitation et de bouillonnement culturel. La strophe 2031 nous rappelle de loin la célèbre formule de Bernard de Chartres sur les médiévaux, nains juchés sur des épaules de géants :
[…] des ancïens nous avons
L’art, l’experïence et l’espreuve,
Et les choses prestes trouvons.
Si n’est merveille se sçavons
Plus tost ou plus qu’ilz ne sçavoient,
Car encores nous adjoustons
Beaucop aux choses qu’ilz trouvoient (str. 2031).
6De loin seulement, car pour notre auteur, nous ne sommes plus des nains, mais nous profitons de la science des anciens pour ajouter beaucoup à ce qu’ils trouvaient. On est loin de l’humilité du Chartrain et du XIIe siècle. L’esprit de la Renaissance est proche.
- 19 Sur Jubal et Pythagore, voir J.-M. Fritz, Paysages sonores du Moyen Âge. Le versant épistémologiqu (...)
7Le texte se prolonge immédiatement par l’exemple de la musique, qui va donc permettre à Martin Le Franc d’appuyer ou d’illustrer l’idée d’un progrès ou du moins d’un processus d’accélération de l’histoire des formes artistiques et corrélativement d’une fragilité de la notion de modèle ou d’autorité. Il procède pour cela à trois confrontations. La première compare non sans une pointe d’humour les deux extrêmes, la musique des origines, celle des patriarches, de Jubal, qui aurait découvert avant Pythagore les lois de la musique dans la forge de son frère Tubal19, et la musique du temps de maintenant :
Pour le temps du mauvais Caÿn,
Quant Jubal trouva la pratique
En escoutant Tubalcaÿn
D’accorder les sons de musique,
L’art ne fut pas si auctentique
Qu’elle est ou temps de maintenant,
Aussy ne fut la rethorique
Ne le parler si avenant (str. 2032).
- 20 Le terme authentique apparaît dès le XIIIe siècle surtout dans un sens juridique : actes ou écrits (...)
8Martin Le Franc valorise la musique (et, notons-le, aussi la rhétorique) du présent en la qualifiant d’auctentique, soit digne d’autorité et irréprochable au regard de l’ars musica ; le terme d’authentique est ici en quelque sorte subverti : l’authentique n’est pas l’originel, le primitif, mais le nouveau, le récent20.
- 21 On peut noter qu’un seul des manuscrits du Champion des Dames présente ici une enluminure représen (...)
9Dans une seconde étape, il resserre l’écart temporel ; il compare le naguère et le présent et met face à face deux générations de musiciens : Tapissier, Carmen, Cesaris, compositeurs en vogue à Paris, à la cour de Bourgogne sous Jean sans Peur ou à celle de Berry dans les années 1400-1420 et la génération suivante qui va les supplanter, celle des Dufay et Binchois, à la mode dans les années 1440, au moment où écrit Martin Le Franc21. Deux huitains leur sont consacrés :
Tapissier, Carmen, Cesaris |
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N’a pas long temps si bien chanterent |
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Qu’ilz esbahirent tout Paris |
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Qu’ilz esbahirent tout Paris |
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Et tous ceulx qui les frequenterent. |
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Mais onques jour ne deschanterent |
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En melodie de tel chois, |
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Ce m’ont dit ceulx qui les hanterent*, |
* côtoyèrent |
Que Guillaume du Fay et Binchois. |
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Car ilz ont nouvelle pratique |
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De faire frisque* concordance |
* vive |
En haulte et en basse musique, |
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En fainte, en pause et en muance. |
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Et ont prins de la contenance |
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Angloise et ensuÿ Dunstable, |
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Pour quoy merveilleuse plaisance |
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Rend leur chant joyeux et notable (str. 2033-2034). |
- 22 Purgatoire, XI, 91-99.
- 23 On trouvera une analyse précise de ces termes dans Fallows, « The contenance angloise », p. 201-20 (...)
10L’auteur insiste d’abord sur la rapidité des évolutions et donc la fragilité du succès ; la mode est de courte durée (« Il n’y a pas longtemps que… ») et est relative à un espace précis, ici Paris ; l’éphémère va de pair avec la limitation spatiale. Puis, alors que la première comparaison entre le temps de Caÿn et son temps relevait de la boutade, l’on s’appuie ici sur une expérience, certes non encore autoptique, mais de première main : « Voilà ce que m’ont dit ceux qui les ont côtoyés… ». Pour Martin Le Franc, la mode n’est pas pour autant le domaine de l’arbitraire ou de l’aléatoire ; l’auteur n’en reste pas au lieu commun de la fragilité ou vanité de la gloire (vana gloria) qu’avait en son temps illustré Dante dans le Purgatoire : Cimabue qui croyait tenir la première place a dû s’effacer devant la renommée (il grido) de Giotto, tout comme Guido Cavalcanti a ravi la gloire à Guido Guinizelli22. Martin, lui, cherche une explication à ce succès et lui consacre toute la strophe 2034, qui s’ouvre par un car. Trois faisceaux d’arguments sont apportés. D’abord, l’attrait du nouveau et plus précisément d’une nouvelle pratique : Dufay ou Binchois renouvellent moins une ars musica qu’une pratique musicale ; notons que musique rimait déjà avec pratique dans la strophe consacrée à Jubal. Il avance ensuite un ensemble de considérations esthétiques : ils font preuve de fraîcheur et de vivacité (ce qu’exprime l’adjectif frisque), leur chant est joyeux ; il est question de concordance, non plus simplement de melodie comme dans le huitain précédent, le niveau vertical ou harmonique enrichit le plan horizontal de la mélopée ; on peut noter la technicité du lexique qui vise à montrer que l’auteur juge en connaissance de cause : fainte, pause, muance, haulte et basse musique23. Enfin, il interroge ce nouvel art en terme d’influences, influence anglaise en l’occurrence, celle d’un Dunstable. Martin Le Franc se fait ici musicologue, réfléchit aux échanges et aux courants esthétiques qui traversent l’Europe. Le modèle anglais s’est en quelque sorte exporté sur le continent. Les formes et les styles circulent comme les hommes et les marchandises, comme Martin lui-même qui a sillonné l’Europe au gré de ses missions diplomatiques… Ce qu’il n’oublie pas de nous rappeler en préambule à son éloge de Christine de Pizan :
- 24 Nous soulignons.
Se j’ay erré parmy le monde
Pour demonstrer a ma puissance
La vertu, le sens, la faconde
De nos dames… (v. 18889-18892)24.
- 25 Sur ce personnage, Jehan Boisard, dit Verdelet, mort vers 1430, voir J. Marix, Histoire de la musi (...)
11Les deux strophes suivantes permettent d’introduire la fameuse anecdote des musiciens aveugles de la cour de Philippe le Bon. L’on reste dans le même horizon bourguignon et dans le registre de la pratique, mais l’on quitte les figures d’autorité que sont Binchois ou Dufay pour s’intéresser à un simple ménétrier du duc, Verdelet, virtuose inégalé du flageolet25. Ce praticien, mort il y a peu (naguère trépassé : on se maintient donc dans le quasi-présent), n’est pas mis en concurrence avec un Binchois, mais permet de lancer une diatribe contre Orphée, musicien bien minable au regard d’un Verdelet, et surtout contre les poètes qui usent et abusent de cette figure. Après la boutade sur la musique des patriarches et les mythes d’origine, voilà Martin Le Franc qui met à mal les poncifs des poètes et la figure mythologique par excellence du musicien :
Ne face on mencïon d’Orphee
Dont les poetes tant escrivent,
Ce n’est qu’une droicte faffee
Au regard des harpeurs qui vivent (v. 16281-16284).
- 26 Le mot a souvent une connotation érotique : voir G. Di Stefano, Dictionnaire des locutions en Moye (...)
12Le paradigme mythologique est ici tourné en dérision et Orphée rime désormais avec faffee, mot familier, voire grivois, que l’on peut traduire par « bagatelle26 ». La valeur n’est plus dans le passé, encore moins dans le passé mythologique, mais dans le présent immédiat, dans le contemporain, celui des « harpeurs qui vivent ».
13La dernière confrontation se situe précisément à l’intérieur de ce présent. À Orphée Martin Le Franc substitue les deux mêmes sommités du moment – Dufay et Binchois – et Verdelet laisse la place aux vielleurs aveugles de la cour de Philippe le Bon ; les termes du rapport ont changé, mais l’écart reste le même :
Tu as les avugles ouÿ |
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Jouer a la court de Bourgongne ? |
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N’as pas ? Certainement ouÿ |
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Fust il jamais telle besongne ? |
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J’ay veu Binchois avoir vergongne |
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Et soy taire emprez leur rebelle*, |
* rebec |
Et Dufay despité et frongne* |
* grimaçant |
Qu’il n’a melodie si belle (str. 2037). |
- 27 Guillaume Dufay quitte Rome et la cour papale en août 1433 et est mentionné comme maistre de chape (...)
- 28 Sur ces vielleurs aveugles, voir Marix, Histoire de la musique, p. 30 et 117-118 ; A. Van der Lind (...)
14Le ton et le registre sont différents. Martin Le Franc ne parle plus en clerc qui connaît Jubal, Tubal ou Orphée ou qui a entendu parler de Carmen ou Cesaris ; il évoque désormais sa propre expérience d’auditeur ; il insiste sur l’autopsie, le voir ou l’entendre par soi-même : il a lui-même assisté à la performance musicale et à la réaction des autorités en la matière (« j’ai vu… »). L’on peut par chance retrouver les circonstances précises de cette rencontre insolite. Il s’agit du mariage de Louis, fils du duc Amédée VIII de Savoie avec Anne de Lusignan, princesse de Chypre, en février 1434 à Chambéry. Philippe le Bon est invité, il se déplace comme de coutume avec sa cour, ses musiciens, avec Binchois ; quant à Guillaume Dufay, il vient de rentrer d’Italie pour se mettre au service du duc de Savoie, qui voulait pour ces réjouissances être sur le plan musical à la hauteur de son hôte27. Martin Le Franc a donc assisté à cette rencontre au sommet pour ainsi dire entre Binchois et Dufay et pu voir leur réaction à l’audition des joueurs de vielle aveugles du duc. Isabelle du Portugal, la duchesse, les a fait venir de Castille (et non du Portugal comme on l’a longtemps pensé) et l’on connaît leur nom par les archives ducales – Jehan de Cordoval et Jehan Ferrandez (ou Fernandez) –, mais notre auteur maintient sans doute à dessein leur anonymat pour donner encore plus de relief à la scène : des sans-grade laissent pantois des grands noms de la musique28.
- 29 Ils figurent chaque année de 1433 à 1456 dans les comptes ducaux en tant que « joeurs de luz ou de (...)
15Il convient de resituer le passage dans son horizon de réception : le livre est précisément adressé et lu à la cour de Bourgogne et l’auteur joue ici sur la spécularité. Le ton cesse d’être celui de la sentence ou du sermon pour prendre un tour très oral : Franc Vouloir interpelle très familièrement son interlocuteur – tu as les avugles ouÿ… ? Ce tu s’adresse dans la fiction à Malebouche, mais dans la réalité de la réception l’on vise l’entourage de Philippe le Bon et le duc lui-même et l’on évoque un souvenir récent : les fêtes de Savoie et ces musiciens virtuoses aveugles qui vivaient encore en 1442 et même en 1451 lors de la seconde édition29. Comment interpréter cette scène surprenante qui voit les compositeurs Binchois et Dufay jaloux du succès de simples interprètes ? Scène qui a tellement surpris les premiers lecteurs que les deux imprimés humanistes ont remplacé – intentionnellement ? – les avugles par les Anglois, manière d’établir la continuité avec la contenance angloise de Dunstable de la strophe 2034 !
- 30 Lyon, Guillaume le Roy ( ?), v. 1485 et Paris, P. Vidoue pour Galliot du Pré, 1530, fol.° 272v.
Tu as bien les Anglois ouÿ
Jouer a la court de Bourgongne30 ?
16Plusieurs explications peuvent être avancées. Martin Le Franc prolonge peut-être l’idée des strophes précédentes : de même que Tapissier ou Carmen ont été supplantés par Binchois et Dufay, ces derniers passeront de mode et le succès reviendra aux vielleurs aveugles du duc, vielleurs rebelles (rebelle est qui aussi le nom de leur instrument, le rebec) en ce sens qu’ils mettent à mal les hiérarchies établies. Mais les deux Espagnols ne sont pas des compositeurs et ne feront pas d’ombre à Dufay ; ils ne sont pour nous que des noms conservés dans les archives ducales. Une autre hypothèse nous conduirait à analyser ce passage comme un éloge de la pratique et d’un art de l’improvisation qui égale ou dépasse la musique écrite ou tout au moins composée d’un Dufay, qui produit plus ou autant d’effet qu’elle. L’aveugle est celui qui n’a pas eu accès à l’écrit, aux traités de musique, à l’ars musica, à Boèce ; il joue d’instinct, comme un musicien de jazz peut improviser avec génie sans connaître les règles de l’harmonie et du contrepoint classique. Enfin, sur un registre moins polémique, on peut y voir un éloge sans fard de la cour de Bourgogne : les talents y sont multiples, le simple ménestrel anonyme force l’admiration du grand compositeur.
17Concluons. Martin Le Franc procède dans ce passage célèbre à trois confrontations qui sont autant de remises en question. L’ambitus temporel est progressivement resserré. Le premier parallèle réunit les deux extrémités du temps historique, les temps antédiluviens et l’extrême contemporain, ce qui permet de valoriser le présent : la valeur, l’authenticité n’est pas dans l’ancien ou l’originel, mais dans le nouveau. Martin Le Franc rejette le modèle d’une figure archétypale idéale, qu’elle soit biblique avec Jubal ou mythologique avec Orphée ; seuls comptent le présent et l’expérience immédiate. La seconde confrontation met aux prises deux générations de compositeurs – celle des Carmen et Tapissier d’un côté, celle de Dufay et Binchois de l’autre – et permet de mettre en lumière les effets de mode, et l’idée d’un mouvement, d’un progrès au sens de processus : la musique du temps de Jean sans Peur n’est plus à la mode sous Philippe le Bon ; la musique n’est pas un art immobile, figé, elle vit, se transforme ; les modèles ne sont posés que pour être dépassés. Le troisième face-à-face annule tout écart temporel – Dufay ou Binchois sont les contemporains des vielleurs aveugles – et vise à relativiser la notion d’autorité : le petit, le sans-grade, l’anonyme peut susciter l’admiration et plutôt la jalousie d’une auctoritas comme Binchois. Seul compte l’effet produit sur l’auditoire : vérité d’une performance et d’une pratique en lieu et place de l’autorité d’un modèle. Cette valorisation du neuf, du nouveau, du petit également s’inscrit dans une conception de l’histoire et du temps qui est en partie déjà humaniste ou, du moins, qui n’est plus tout à fait médiévale : les sciences et les arts sont en progrès, en expansion ; ils évoluent vers plus de subtilité. Car ce progrès n’est pas le privilège de la seule musica ; il se vérifie aussi dans les arts figurés ; en témoignent les tapisseries d’Arras qui sont évoqués, mais bien plus rapidement, dans la strophe qui suit celle des vielleurs :
Se tu parles d’art de paintrie, |
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D’istorïens*, d’enlumineurs, |
* enlumineurs |
D’entailleurs par grande maistrie, |
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En fust il onques de meilleurs ? |
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Va veoir Arras ou ailleurs |
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L’ouvrage de tapisserie, |
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Puis laisse parler les railleurs |
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De l’ancïenne pleterie (str. 2038). |
18Franc Vouloir réaffirme lourdement un peu plus bas l’idée de progrès ; les jeunes esprits (ou engins) font progresser la science des Anciens assimilés à des vieillards et l’image retenue est celle du puits :
Scïence est comme ung puis parfont
Que les Ancïens descouvrirent,
Ou les nouviaux engins parfont
Ce que les viellars ne parfirent.
Toudis avant piquent et tirent
Les jones engins moult appers
A trouver ce qu’onques ne virent,
Et tousjours se font plus expers (str. 2044).
19Martin Le Franc inverse le rapport au temps et subvertit le modèle d’un monde vieux, près de sa fin : pour lui, le siècle est jeune, subtil et c’est le monde des Anciens qui est celui de la vieillesse. Rappelons la célèbre ballade d’Eustache Deschamp sur le monde-vieillard :
- 31 Eustache Deschamps, Œuvres complètes, t. I, p. 203 (Ballade 95, str. 2).
Le monde a la proprieté
De ce vieillart : trop innocent
Fut aprés sa nativité,
Et puis fut saiges longuement,
Justicier, vertueus, vaillant ;
Or est lasches, chetis et molz,
Vieulx, convoiteus et mal parlant :
Je ne voy que foles et folz31.
20En cette aube de la Renaissance, le monde de Martin Le Franc a comme subi une cure de jouvence : il est jeune, subtil, expert et sa science n’est plus le simple ressassement des autorités antiques ou médiévales, mais s’appuie sur une expérience. Il ne faut certes pas être naïf et faire de l’auteur du Champion des Dames un précurseur de la méthode expérimentale, mais Franc Vouloir n’hésite pas à mettre les deux termes de science et expérience à la rime à la fin de son discours avant de redonner la parole à son adversaire, Malebouche :
- 32 Nous soulignons.
Mais pour fin en ce propos mettre,
Je dis et diray plainement
Qu’on treuve maintenant maint mestre
Ouvrant plus excellentement
Qu’on ne fist anciennement,
Car on scet bien qu’Experïence
Euë, continuellement
Nourrist et accroist la scïence (str. 2048)32.
21La science se nourrit de l’expérience selon un processus continu. Si Martin Le Franc accorde tant de place à la musique au détriment des arts figurés dans cette partie de son œuvre, c’est que la musique relève plus nettement de la performance et donc d’une expérience. Car c’est bien une expérience musicale qui est au cœur de ce passage, celle que Martin Le Franc a faite à Chambéry en 1434 en écoutant les vielleurs aveugles du duc subjuguer leur auditoire et en voyant la mine défaite d’un Binchois. Et cette expérience où le praticien et l’improvisateur l’emportent sur le musicus, sur celui qui suit les lois de l’ars musica, montre la fragilité de la notion d’autorité et de modèle en ce milieu du XVe siècle. L’objet de cette expérience est bien l’expérience : l’auteur expérimente le pouvoir de la pratique, de la nouvelle pratique, celle d’un Binchois au regard d’un Tapissier et, dans un jeu de surenchère, celle d’un vielleur aveugle au regard du même Binchois.
Notes
1 Eustache Deschamps, Œuvres complètes, éd. marquis Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, Paris, SATF, 1878-1904, 11 vol., t. I, p. 243-246 (Ballades 123-124) ; René d’Anjou, Le Livre du Cuer d’Amours espris, éd. F. Bouchet, Paris, Le Livre de Poche (« Lettres Gothiques »), 2003, p. 354-368 (les six tombeaux sont ceux d’Ovide, Machaut, Boccace, Jean de Meun, Pétrarque et Alain Chartier). Sur cette constitution progressive d’une conscience littéraire en France à travers entre autres cette rhétorique de l’éloge, voir S. Bagoly, « De mainctz aucteurs une progression. Un siècle à la recherche du Parnasse français », Le Moyen Français, 17, 1985, p. 83-123.
2 Il est déjà cité par A. Piaget dans sa monographie consacrée à l’auteur (Martin Le Franc, prévôt de Lausanne, Lausanne, Payot, 1888, reprint Caen, Paradigme, 1993, p. 121-123). Nous citerons la seule édition complète, celle de R. Deschaux : Martin Le Franc, Le Champion des Dames, Paris, Honoré Champion, 1999, 5 vol. On trouvera une édition critique des six strophes consacrées à la musique (str. 2032-2037 de l’édition Deschaux) avec variante de sept manuscrits et des deux éditions humanistes en appendice à l’article de D. Fallows, « The contenance angloise : English Influence on Continental Composers of the Fifteenth Century », Renaissance Studies, 1, 1987, p. 189-208 (repris comme chap. v dans Fallows, Songs and Musicians in the Fifteenth Century, Aldershot, Ashgate, 1996). L’analyse musicologique de D. Fallows doit être complétée par celle, profondément renouvelée, de M. Bent, « The Musical Stanzas in Martin Le Franc’s Le Champion des Dames », Music and Medieval Manuscripts. Paleography and Performance (= Mélanges A. Hughes), éd. J. Haines et R. Rosenfeld, Aldershot, Ashgate, 2004, p. 91-127.
3 L’ouvrage pionnier d’A. Piaget est évidemment dépassé. Pour une bonne approche de l’arrière-plan humaniste avec bibliographie, voir M.-R. Jung, « Situation de Martin Le Franc », Pratiques de la culture écrite en France au XVe siècle, éd. M. Ornato et N. Pons, Louvain-la-Neuve, 1995, p. 13-30. L’Estrif de Fortune et de Vertu a donné lieu à une monographie : O. Roth, Studien zum Estrif de Fortune et Vertu des Martin Le Franc, Bern, Peter Lang, 1970.
4 Il fait allusion à la doulce conté d’Aumalle dans le Champion des Dames (v. 19883).
5 Ce sera le dernier antipape de l’histoire de l’Église ; il fait en 1449 sa soumission à Nicolas V, qui le nomme cardinal.
6 Sur cette relation avec l’Italie, voir O. Roth, « Martin Le Franc et le De remediis de Pétrarque », Studi Francesi, 15, 1971, p. 401-419, et du même, « Martin Le Franc et les débuts de l’humanisme italien. Analyse des emprunts faits à Pétrarque », Il Petrarca ad Arquà, éd. G. Billanovich et G. Frasso, Padoue, Antenore, 1975, p. 241-255. O. Roth pense qu’il a connu l’œuvre de Dante, même si ses propres écrits ne manifestent pas d’emprunts directs ou explicites.
7 […] virum gnarum ac doctrina non minus mirabili quam amabili praeditum, cité par M.-R. Jung, « Situation de Martin Le Franc », p. 15.
8 Voir Jung, « Situation de Martin Le Franc », p. 13-14. Nous avons en revanche conservé sa traduction du prologue de Jérôme à Jérémie pour la Bible de Jean Servion.
9 Le Champion défend longuement au début du livre V la doctrine de l’Immaculée Conception qu’a adoptée le concile de Bâle en septembre 1439 et que récuse Rome.
10 Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, t. I (Les faits et les mythes), Paris, Gallimard, 2004 [1949], p. 139. Elle parle plus précisément de l’indigeste Chaperon des Dames, qui, à sa décharge, n’était pas encore édité en 1949.
11 Voir H.J. Swift, Gender, Writing, and Performance : Men Defending Women in Late Medieval France, 1440-1538, Oxford, Clarendon Press, 2008, qui consacre une large place au Champion (notamment p. 22 sq.). Notons que l’on y trouve aussi un éloge appuyé de Jeanne d’Arc qui, on s’en doute, ne pouvait guère plaire à l’entourage du duc (v. 16809 sq.).
12 Sur ce passage, qui figure dans le livre IV (v. 18233 sq.), voir S. M. Taylor, « Down to Earth and Up to Heaven : the Nine Muses in Martin Le Franc’s Le Champion des Dames », Fifteenth Century Studies, 32, 2007, p. 164-175. Cette scène donne lieu à des enluminures intéressantes sur un plan organologique dans les manuscrits Paris, BnF, fr. 12476, fol. 109v, et Grenoble, B.M., 352, fol. 365.
13 Ce poème strophique de 472 vers a été édité par G. Paris, « Un poème inédit de Martin Le Franc », Romania, 16, 1887, p. 383-437 (p. 423-437). Pour Helen Swift, cette Complainte rentre plutôt dans une stratégie habile d’auto-promotion du livre (Gender, Writing, and Performance, p. 2).
14 « Or vueil que de toy naissent nouveaulx volumes […], lesquelz en joie et delit tu enfanteras de ta memoire, non obstant le labour et traveil, lequel tout ainsi comme la femme qui a enfanté, si tost que elle ot le cry de son enfant, oublie son mal, oublieras le traveil du labour oyant la voix de tes volumes » (Christine de Pizan, Le Livre de l’Advision Cristine, éd. C. Reno et L. Dulac, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 110). Nous soulignons. On retrouve le même rapport filial chez Martin Le Franc : il interpelle son livre « Ha ! Mon filz tendre… » (éd. G. Paris, p. 425, v. 62).
15 Elle figure en fin de codex dans ce seul manuscrit 12476 à la suite de la copie du Champion. De plus, plusieurs manuscrits postérieurs à 1451 ont supprimé le passage sur l’Immaculée Conception au début du livre V, sans doute dans le but de ne pas heurter les milieux bourguignons : cette autocensure apparaît dans le manuscrit de Grenoble, dans le ms. Bruxelles, B.R., 9281 ou encore Paris, BnF, fr. 841. Le passage sur Jeanne d’Arc a aussi donné lieu à des censures dans la tradition manuscrite. Voir P. Charron, « Les réceptions du Champion des Dames de Martin Le Franc à la cour de Bourgogne », Bulletin du bibliophile, 1, 2000, p. 9-31, ici p. 17.
16 Voir l’analyse comparée des frontispices des mss Bruxelles, B.R., 9466 (première édition) et Paris, BnF, fr. 12476 par P. Charron, Le Maître du Champion des Dames, Paris, CTHS/ INHA, 2004, p. 60-61 et 196-201, et surtout « Les réceptions du Champion des Dames ». L’entourage du duc aurait demandé à ce que le livre soit brûlé, si l’on en croit la Complainte du livre à son acteur, éd. G. Paris, p. 428, strophe 18.
17 L’Estrif de Fortune et de Vertu sera mieux diffusé (une trentaine de manuscrits) : voir l’édition de P. F. Dembowski, Genève, Droz, 1999. Sur les imprimés du Champion et leur programme iconographique, voir Swift, Gender, Writing, and Performance, p. 73 et 79-99.
18 Pour la tradition littéraire du songe allégorique, voir A. Strubel, « Grant senefiance a ». Allégorie et littérature au Moyen Âge, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 208 sq.
19 Sur Jubal et Pythagore, voir J.-M. Fritz, Paysages sonores du Moyen Âge. Le versant épistémologique, Paris, Honoré Champion, 2000, p. 131-135.
20 Le terme authentique apparaît dès le XIIIe siècle surtout dans un sens juridique : actes ou écrits qui font foi, sceaux, reliques… (voir Tobler/Lommatzsch, Altfranzösische Wörterbuch, t. I, s.v. Autentique).
21 On peut noter qu’un seul des manuscrits du Champion des Dames présente ici une enluminure représentant Dufay et Binchois, le ms. Paris, BnF, fr. 12476, fol. 98r. Dufay figure à gauche à côté d’un orgue portatif, symbole de la musique religieuse, Binchois à droite avec une harpe, emblème de la musique profane. C’est ainsi la seule représentation connue de Dufay en dehors de la pierre tombale ; elle est d’autant plus intéressante que l’enlumineur a travaillé à Cambrai et a ainsi pu croiser Dufay : voir A. E. Planchart, « Du Fay, Guillaume », The New Grove Dictionary of Music and Musicians, 2e éd., Londres, 2001, t. VII, p. 651 ; Charron, « Les réceptions du Champion des Dames », p. 16, et Bent, « The Musical Stanzas », p. 93.
22 Purgatoire, XI, 91-99.
23 On trouvera une analyse précise de ces termes dans Fallows, « The contenance angloise », p. 201-204 ; analyse reprise dans une perspective différente par Bent, « The Musical Stanzas », p. 98-100 et 104-111 (y voit des termes renvoyant à la pratique plus qu’à la composition ou la musique notée).
24 Nous soulignons.
25 Sur ce personnage, Jehan Boisard, dit Verdelet, mort vers 1430, voir J. Marix, Histoire de la musique et des musiciens de la cour de Bourgogne sous le règne de Philippe le Bon (1420-1467), Strasbourg, Heitz, 1939, rééd. Genève, Minkoff, 1972, p. 106 et 115-116, et F. Crane, Materials for the Study of the Fifteenth Century Basse Dance, New York, 1968, p. 89.
26 Le mot a souvent une connotation érotique : voir G. Di Stefano, Dictionnaire des locutions en Moyen Français, Montréal, CERES, 1991, p. 322, et R. M. Bidler, Dictionnaire érotique. Ancien français, Moyen français, Renaissance, Montréal, CERES, 2002, p. 250-251 (notamment l’expression faire la faffee que l’on retrouve dans le Testament de Villon, éd. J. Rychner et A. Henry, Genève, Droz, 1974, v. 1802). On retrouve la rime faffee/Orphée dans la Complainte du livre à son acteur, éd. G. Paris, p. 423-424, strophe 2.
27 Guillaume Dufay quitte Rome et la cour papale en août 1433 et est mentionné comme maistre de chapelle du duc Amédée VIII le premier février 1434 ; il y restera peu de temps, car on le retrouve au service du pape à Florence en juillet 1435 : voir A.E. Planchart, « Du Fay, Guillaume », The New Grove, p. 648b. Sur cette fête somptueuse, voir Marix, Histoire de la musique, p. 29-30, et C. Wright, « Dufay at Cambrai : Discoveries and Revisions », Journal of the American Musicological Society, 28, 1975, p. 175-229, ici p. 179-181. Elle est évoquée avec force détails dans la Chronique de Jean Lefèvre de Saint-Rémy, éd. F. Morand, Paris, 1876-1881, 2 vol., t. II, p. 287-297, mais sans allusion précise à cette performance musicale ; le chroniqueur se contente de noter l’intervention répétée de musiciens lors des repas et fait une fois allusion à leur origine étrangère : « A icelluy soupper avoit pluiseurs trompettes et menestreux de divers pays jouans devant la grant table » (p. 292). Mathieu d’Escouchy les mentionne en revanche lors des Vœux du faisan en 1454 : « Ou pasté juerrent les aveugles de vielles, et aveuc eulx ung leu (luth) bien acordé » (Chronique, éd. G. du Fresne de Beaucourt, Paris, 1863-1864, 3 vol., t. II, p. 149).
28 Sur ces vielleurs aveugles, voir Marix, Histoire de la musique, p. 30 et 117-118 ; A. Van der Linden, « Les aveugles de la cour de Bourgogne », Revue belge de musicologie, 4, 1950, p. 74-76 (montre qu’ils sont castillans à partir du témoignage du voyageur espagnol Pero Tafur de passage dans les Pays-Bas en 1438) ; D. Fiala, « Les musiciens étrangers de la cour de Bourgogne à la fin du XVe siècle », Revue du Nord, 84, 2002, p. 367-387, ici p. 383-385 ; ajoute, signe d’une hérédité étrange, que les fils de Jean Fernandez, également aveugles ( !), seront des virtuoses de la viole qui forceront l’admiration de Tinctoris ; Bent, « The Musical Stanzas », p. 100-101.
29 Ils figurent chaque année de 1433 à 1456 dans les comptes ducaux en tant que « joeurs de luz ou de vielles » ou « menestrels de bas instrumens » ; voir Marix, Histoire de la musique, p. 117. Jean Fernandez meurt en 1460, Jean de Cordoba en 1476 (voir Fiala, « Les musiciens étrangers », p. 385-386).
30 Lyon, Guillaume le Roy ( ?), v. 1485 et Paris, P. Vidoue pour Galliot du Pré, 1530, fol.° 272v.
31 Eustache Deschamps, Œuvres complètes, t. I, p. 203 (Ballade 95, str. 2).
32 Nous soulignons.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Jean-Marie Fritz, « Du modèle à la mode », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 27 | 2014, 123-137.
Référence électronique
Jean-Marie Fritz, « Du modèle à la mode », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 27 | 2014, mis en ligne le 30 décembre 2017, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13439 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13439
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