Le cœur équivoque dans l’Avis aus roys : un « miroir des princes » du XIVe siècle
Résumés
À partir du XIIIe siècle, le cœur est l’objet des plus vives attentions dans les sphères médicale, littéraire, religieuse et politique. Des théories sur l’organe royal vont notamment se propager à travers la littérature spécialement destinée aux gouvernants. L’auteur de l’Avis aus roys – un « miroir des princes » anonyme et méconnu du milieu du XIVe siècle fortement inspiré du De regimine principum de Gilles de Rome -accorde au cœur princier une place de choix dans son discours, lui conférant une image pour le moins équivoque. L’organe y fait successivement figure de siège de la vie, de la spiritualité, de l’âme, des vertus, des passions et de la raison. Des cinq témoins recensés à ce jour, seul le manuscrit M. 456 conservé à la Pierpont Morgan Library dispose d’un programme iconographique mettant en scène le cœur du prince, habituellement peu représenté aux XIIIe et XIVe siècles dans l’art religieux et profane. En plus d’entretenir l’ambiguïté, les artistes ont su donner à cet organe princier pourtant putrescible une dimension mystique et perpétuelle inédite.
Texte intégral
Je remercie Jean-Patrice Boudet, Julien Veronese et Rosalind Brown-Grant pour leurs nombreuses observations sur mon travail.
1Parce qu’elle constitue une expérience commune à l’humanité, la fascination pour le cœur occupe une place de choix dans l’imaginaire. L’intérêt, entretenu en permanence par son battement, entendu ou ressenti, naît et meurt en même temps que l’être qui se résume au premier jour à ce seul organe. Le cœur est à la fois le principe de la vie et le centre vital de l’être. Tout se génère autour et à partir de lui, même l’intime angoisse de sa défaillance. Le cœur renvoie autant au début qu’à la fin, autant à l’étincelle qu’au néant.
- 1 A. Guerreau-Jalabert, « “Aimer de fin cuer”. Le cœur dans la thématique courtoise », Micrologus, I (...)
- 2 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres : la mort et les funérailles des princes dans le royaume de F (...)
- 3 J. Krynen, L’empire du roi : idées et croyances politiques en France aux XIIIe-XVe siècles, Paris, (...)
- 4 Gilles de Rome, de l’ordre des Ermites de saint Augustin, compose le De regimine principum pour le (...)
- 5 A. Bande, Le cœur du roi : les Capétiens et les sépultures multiples, XIIIe-XV siècles, Paris, Tal (...)
2Cette sensibilité que l’on croirait intemporelle se rencontre bien à la fin du Moyen Âge, particulièrement dans le discours des clercs et des théologiens, confortés par l’omniprésence de cet organe dans les textes chrétiens. Anita Guerreau-Jalabert ne recense pas moins de 1110 occurrences du vocable dans les versions latines de la Bible, tandis que l’œuvre de saint Augustin en compte 7157 contre 1630 chez saint Bernard ou 6562 chez saint Thomas1. Plus généralement, le cœur, à partir du XIIIe siècle, va faire l’objet des plus vives attentions dans les sphères médicale, politique, littéraire et religieuse2. La littérature politique contribua à la diffusion d’un discours sur le cœur, notamment par le biais des « miroirs des princes » censés « renvoyer à leur(s) destinataire(s) l’image idéale, exemplaire, du gouvernant »3. Sur l’impulsion du plus célèbre d’entre eux, le De regimine principum composé par Gilles de Rome entre 1277 et 127 94, les miroirs ont progressivement contribué à construire et propager des théories sur l’organe royal auprès des souverains capétiens puis valois, élaborées à partir du cœur des Écritures et du cœur aristotélicien5.
- 6 Les manuscrits New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456 et Londres, British Library, ms Cotton (...)
- 7 L’Avis aus roys fut longtemps délaissé et considéré à tort comme une simple traduction française d (...)
- 8 Sur le Liber de informatione principum, lire notamment L. Scordia, « L’or et le sang des pauvres d (...)
- 9 Voir R. Cazelles, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, B (...)
- 10 Au sujet de Pierre de Treigny, voir X. de La Selle, Le service des âmes à la cour. Confesseurs et (...)
3Autre constituant de cette littérature politique, l’Avis aus roys, miroir anonyme contenu dans cinq manuscrits recensés à ce jour6, s’inspire librement de l’œuvre du Doctor Fundatissimus7 et – dans une moindre mesure – du Liber de informatione principum8. Au regard des thématiques valorisées par l’auteur, la date de composition du traité se situerait vers l’année 1347, moment choisi par Jean, duc de Normandie, pour revenir sur le devant de la scène politique après en avoir été écarté durant quelques mois. Jugeant l’entourage de son père responsable de la défaite à Crécy, Jean se joint aux revendications des États de 1347. Son retour en grâce l’assurant de succéder à son père Philippe VI, il pouvait s’inquiéter de l’instruction à donner aux futurs héritiers, aussi jeunes soient-ils : les princes Charles, Louis, Jean et Philippe étaient respectivement âgés de neuf, huit, sept et cinq ans9. La place remarquable accordée à l’éducation morale et religieuse dans l’avis aus roys fait de Pierre de Treigny, confesseur royal depuis 1339, l’auteur probable du traité. Du reste, ce dernier a très vraisemblablement joué un rôle important dans l’éducation des fils de Jean avant que Sylvestre de la Servelle ne devienne leur précepteur en 1352, autrement dit au moment précis où Pierre de Treigny quitte ses fonctions de confesseur afin d’être élevé au rang épiscopal10.
- 11 En tant qu’évêque de Senlis, Pierre de Treigny rédigea également un règlement pour les écoles de g (...)
- 12 À ma connaissance, aucun autre manuscrit contenant un « miroir des princes » comparable à l’Avis a (...)
- 13 Aucun autre volume contenant une traduction française du De regimine principum n’est doté d’un aus (...)
- 14 D’après Jacques Krynen, les miroirs rédigés pour les Valois font s’accorder les exempla mettant en (...)
4Cette disposition favorable de Pierre de Treigny à la réflexion pédagogique11 a pu se matérialiser à travers la réalisation du plus ancien des témoins connus de l’avis aus roys, le manuscrit M. 456 de la Pierpont Morgan Library. Le volume présente des caractéristiques inhabituelles pour un « miroir des princes », telles ses dimensions exceptionnellement réduites12 et son programme iconographique foisonnant constitué de 140 miniatures rythmant la structure de l’œuvre13. Tout concourt à optimiser la dimension didactique du texte. Bien que l’absence de marques explicites nous éclairant sur les origines du manuscrit soit à déplorer, des particularités du texte et du programme iconographique confirment que l’ensemble était destiné à un jeune prince valois14.
- 15 Micrologus, Il Cuore, The Heart, vol. XI, Firenze, SISMEL, 2003 ; M. Gaude-Ferragu, D’or et de cen (...)
- 16 C. Raynaud, « La mise en scène du cœur dans les livres religieux de la fin du Moyen Âge », Le cuer (...)
- 17 J. Wirth, « L’iconographie médiévale du cœur amoureux », p. 194-200 et P. Vinken, The Shape, p. 34 (...)
- 18 Paris, BnF, fr. 2186, fol. 41v et 77v.
5S’inscrivant dans la tradition des « miroirs des princes » de la fin du XIIIe siècle et du XIVe siècle, l’auteur de l’Avis aus roys accorde au cœur une place de choix dans son discours, le citant à 35 reprises sous des acceptions variées. Une quantité substantielle d’ouvrages de qualité traitant spécifiquement du cœur au Moyen Âge a paru ces vingt dernières années. De ces publications, se distinguent incontestablement le numéro de Micrologus, Il Cuore, The Heart, ainsi que les travaux de Murielle Gaude-Ferragu et d’Alexandre Bande15. L’intérêt plus ou moins appuyé de ces deux derniers auteurs pour le cœur du roi – et notamment ses funérailles – suffit, en négatif, à remarquer l’absence de l’organe princier dans l’iconographie médiévale. Du reste, quel que soit son propriétaire, le cœur est assez rarement représenté aux XIIIe et XIVe siècles, à la fois dans l’art religieux et profane, comme le démontrent les études de Christiane Raynaud, Jean Wirth et Pierre Vinken16. La multiplicité des significations du motif du cœur encourageait pourtant à l’élaboration de représentations mentales et figurées. La première apparition connue de l’organe dans l’iconographie religieuse se rencontre dans la chapelle Scrovegni de Padoue décorée par Giotto di Bondone en 1304-1306 et représente Charité offrant son cœur à Dieu17. Un peu plus tôt (vers 1260) mais dans l’art profane cette fois, deux enluminures d’un manuscrit contenant le Roman de la Poire de Tibaut mettent en scène l’offrande réciproque des cœurs de Doux Regard et de sa dame18.
6Même si l’inconsistante tradition iconographique du genre littéraire des « miroirs des princes » ne semble pas en mesure d’infirmer la quasi-absence de représentations du cœur royal, l’extraordinaire manuscrit M. 456 de la Pierpont Morgan Library pourrait bien apporter un témoignage nouveau sur cette question. En plus de s’appliquer à comprendre et évaluer le rôle du cœur dans le texte, la présente étude va s’attacher à référencer, commenter et resituer les figurations éventuelles de l’organe livrées dans le programme iconographique du plus bel exemplaire de l’Avis aus roys. Afin de reproduire le plus fidèlement possible l’image de ce cœur aux multiples significations, l’étude s’appliquera à détailler le rapport du cœur au corps (I) avant de se concentrer sur son intériorité : ses liens avec Dieu et la spiritualité (II), avec les vertus et les vices, avec les passions et la raison (III), son caractère à la fois putrescible et éternel (IV).
Le cœur et le corps
7La première mention du cœur dans l’Avis aus roys est aussi l’allégorie la plus puissante et la plus longuement développée par notre moraliste dans son œuvre :
- 19 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 5r.
le roys si est li chief ; baillif et prevost et autre juge ont l’office des eyls et des oreilles ; li sage et li conseiller ont l’office dou cuer ; li chevalier qui ont a deffendre le bien commun ont l’office des mains ; li marchent qui courent par le monde ont l’office des gembes ; li laboreur des terres ont l’office des piés, quar ils sont tous jours a la terre et soustiennent le corps. Et ainsi li princes est le chief de tout le corps de la communité (I, 1, 2)19.
- 20 Ægidius Colonna, De regimine principum : libri III, Rome, 1556, réimpr. Frankfurt, Minerva, 1968.
- 21 Henri de Gauchi, Li livres du Gouvernement des Rois : A XIIIth Century French Version of Egidio Co (...)
- 22 Dn 2 : 31-35.
- 23 Cf. Denis Foulechat, Le Policratique de Jean de Salisbury (1372) : livre V, C. Brucker (éd.), Genè (...)
- 24 Cf. Paris, BnF, fr. 1950, fol. 4r : « [...] la royal magesté est en la chose publique aussi comme (...)
8Témoin représentatif de la capacité de notre auteur à adapter son propos pour répondre aux angoisses du temps, l’allégorie du « corps social » n’apparaît nulle part dans le De regimine principum de Gilles de Rome20 ni dans la traduction française qu’en a fait Henri de Gauchi21. Elle n’est pas non plus inspirée des Écritures et de la statue rêvée par Nabuchodonosor22. Le passage pourrait très simplement être emprunté au Policraticus de Jean de Salisbury23, achevé en 1159, et dans lequel se trouve cette célèbre comparaison du corps humain et de la société. L’absence, dans l’Avis aus roys, de l’association des officiers des finances au ventre et aux intestins suggère pourtant un emprunt direct à une autre source, le Liber de informatione principum, qui accorde dans son allégorie une place toute particulière et inédite aux marchands dans la société, faisant d’eux les jambes du corps social et témoignant au passage de l’évolution de la considération dont ils sont l’objet en ce début de XIVe siècle (I, 1)24.
- 25 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 5r. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : (...)
- 26 M. Camille, « The King’s New Bodies », p. 395.
9En cherchant à figurer fidèlement ce corps politique, les artistes ont réalisé la première représentation connue de la société en tant que corps25. Réalisée par l’artiste le plus doué du programme iconographique, l’illustration dépeint à la perfection le passage du texte précédemment cité : des différentes parties du corps nu partent des phylactères identifiant leur rôle dans la société. Le cœur est ainsi associé aux sages et aux conseillers. Michael Camille fait remarquer au sujet de ce nu particulièrement gracieux qu’il ne se contente pas de représenter un concept abstrait mais s’impose aussi, dans la pensée d’un jeune prince, comme une vision puissante de la société26.
- 27 M.-Ch. Pouchelle, Corps et chirurgie à l’apogée du Moyen Âge, Paris, Flammarion, 1983, p. 168, 180 (...)
- 28 A. Neschke-Hentschke, « Le rôle du cœur dans la stabilisation de l’espèce humaine chez Aristote »,(...)
- 29 Th. Ricklin, « Le cœur, soleil du corps : une redécouverte symbolique du XIIe siècle », Micrologus (...)
- 30 A. Bande, Le cœur du roi, p. 113 : « Plus tard, chez Platon, le cœur n’eut qu’un rôle secondaire a (...)
- 31 M. Camille fait également remarquer que la mise en scène du corps royal rappelle celle de l’homme- (...)
- 32 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, p. 315.
10L’idée – reprise par notre auteur – est d’utiliser le corps et son organisation pour décrire la communauté. Cette image du corps offre un modèle d’unité, de solidarité et de cohésion qui sert l’ordre social27. Elle peut aussi être révélatrice de tensions, telles que l’affrontement ouvert entre spirituel et temporel (exprimé à travers l’incertitude sur la localisation de l’âme) ou l’importance économique croissante des marchands dans la société. Cette allégorie du corps social nous éloigne des conceptions platoniciennes présentant le corps « comme une unité spatiale dont chaque région est riche de signification spéciale »28 et se destine même à le faire oublier29. Le point commun à ces deux visions organicistes est le rôle secondaire joué par le cœur au regard de la tête, prince du corps pour l’une, siège de l’âme immortelle pour l’autre30. Dans une perspective linéaire, la tête, en tant que partie la plus haute et par conséquent la plus noble, renvoie alors à la souveraineté31. Le basculement a lieu au début du XIVe siècle. Dans l’optique de défendre les prétentions du roi face à la papauté, les théoriciens du pouvoir royal adoptent une perspective concentrique et font du prince le cœur de la communauté, transformant l’organe en outil de propagande monarchique32.
11La place secondaire qu’occupe le cœur dans l’éclatante allégorie du corps social fait en réalité figure d’exception dans l’Avis aus roys. Partout ailleurs, il est l’organe essentiel à la vie :
- 33 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 31v-32r.
Item le cuer est la partie principal qui envoye a un chascun membre vie et esmeuvement selon ce qu’il ha plus grant necessité a tout le corps [...] quar le cuer distribue a un chascun membre ce qui li appartient (I, 21)33.
12Le cœur produit le sang – la nourriture du corps -, le reçoit et le distribue aux membres. Il est la source de vie et sa défaillance entraîne la mort. Il est devenu l’organe principal par excellence.
- 34 Comme cela peut notamment être le cas dans le plus tardif Songe du Vergier d’Evrard de Trémauguon, (...)
13À l’allégorie du corps social près, l’auteur de l’Avis aus roys a une vision très aristotélicienne du cœur, présente dans les « miroirs » depuis le traité de Gilles de Rome – principal vecteur de diffusion du Stagirite – et surtout depuis la lutte entre Philippe le Bel et Boniface VIII. S’il n’est jamais directement question de son antériorité sur la tête34, le cœur aristotélicien de l’Avis aus roys apparaît comme le siège de l’âme responsable des mouvements, des capacités intellectuelles de l’homme et de ses sensations. Grâce aux proches du roi, notamment les dominicains comme Pierre de Treigny, ce discours entérinant la supériorité du cœur sur la tête – justifiant par là même l’indépendance du pouvoir temporel – se diffuse tout au long du XIVe siècle. Mieux, notre moraliste associe explicitement le prince au cœur de son royaume :
- 35 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 82r.
Et ainsi voions nous ou gouvernement naturel du corps quar il y a un membre, c’est asavoir le cuer, qui muet touz les autres membres, et se deus cuers y avoit jamés adcort l’an ne trouveroit esmeuvemens des membres, mais uns cuers gouverne touz le corps a point et ainsi uns princes un royaume (III, 6)35.
- 36 M.-Ch. Pouchelle, Corps et chirurgie, p. 198-202, et A. Bande, Le cœur du roi, p. 119.
- 37 Ibid., p. 127 et 223 n. 146, renvoyant à la traduction de M. Pacaut, La théocratie, Paris, Desclée (...)
- 38 Lire à ce sujet A. Bande, Le cœur du roi, p. 127 et 277-278.
- 39 J. Quillet, Charles V le roi lettré, Paris, Librairie Académique Perrin, 1984, p. 335.
14La métaphore se trouve déjà au début du siècle dans la Chirurgia très aristotélicienne du médecin de Philippe le Bel36, Henri de Mondeville, et dans le Rex Pacificus, libelle anonyme écrit vers 1302-1303 pour ce même souverain et faisant du cœur le souverain du corps37. Le discours ne cherche plus à valoriser le sommet mais le centre du corps pour servir les intérêts d’un prince attaché à lutter contre la papauté, tête de la chrétienté38. À ce titre, le cœur constitue une pièce essentielle de la propagande monarchique confortant l’ordre social à travers un discours autoritaire39.
- 40 Voir X. de La Selle, Le service des âmes, p. 268 : Pierre de Treigny occupe la première fonction d (...)
- 41 Ægidius Colonna, De regimine principum, éd. cit., I, 2, 13, fol. 317r. La traduction de ce passage (...)
- 42 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 60v : dans le chapitre 13 du livre II, la minia (...)
15Bien que notre moraliste semble s’inscrire dans cette tendance, il n’est pas impossible que l’ambiguïté entretenue par le recours – remarqué – à l’allégorie du corps social inspirée par Jean de Salisbury soit entendue comme une marque de résistance de la part d’un auteur tiraillé entre ses fonctions de confesseur royal et de chapelain pontifical40. Du reste, le prince idéal n’est plus comparé dans l’Avis aus roys à un semi Deus41 mais apparaît comme l’élève d’un pape dispensant un enseignement des fondements de la foi chrétienne42. Plus simplement, cette confusion peut aussi être vue comme un témoignage supplémentaire du caractère composite de l’œuvre constituée principalement à partir de deux sources qui, sur ce point, divergent.
Le don du cœur
- 43 J. Wirth, « L’iconographie médiévale du cœur amoureux », p. 207.
- 44 A. Bande, Le cœur du roi, p. 120-130.
- 45 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 67v.
16Au-delà du discours présentant le cœur en tant que centre du corps, Jean Wirth rappelle que pour les théologiens – saint Augustin en tête – « le cœur s’oppose au corps comme l’intérieur à l’extérieur : le cœur est au corps ce que l’esprit est à la chair »43. À l’instar de nombreux autres miroirs44, l’Avis aus roys cultive cette association du cœur à l’intériorité, encourageant expressément les lecteurs princiers à « rendre graces a Dieu en leur cuers »45 (II, 16). L’organe est associé à la vie religieuse et spirituelle en ce qu’il sert effectivement de point de départ aux prières adressées à Dieu. Il est le réceptacle de l’âme que seul le Seigneur peut sonder car rien ne peut Lui être caché. À ce titre, la confession joue un rôle décisif que notre moraliste n’omet pas de valoriser :
Et se doit confesser li humbles princes purement, nuement, entierement, humblement, devotement et souvent. Et se recognoisce de veray cuer povre et chatif pecheur (III, 18).
17Il s’agit de montrer son cœur tel qu’il est, autrement dit de révéler sciemment son intériorité à Dieu et d’en faire le lieu du repentir.
- 46 Voir C. Raynaud, « La mise en scène du cœur », p. 320 : « Matthieu, Marc et Luc, les trois évangél (...)
- 47 A. Guerreau-Jalabert, « Aimer de fin cuer », p. 360.
- 48 L. Scordia, « Concepts et registres de l’amour du roi dans le De regimine principum de Gilles de R (...)
- 49 Ægidius Colonna, De regimine principum, éd. cit., lib. I, 3, 1, fol. 91r-93r.
18Le lien avec Dieu se noue dans et par le cœur, engendrant l’amour spirituel. Si l’association entre cœur et amour s’appuie sur des textes du Nouveau Testament46, saint Augustin contribua largement à son installation durable47. Lydwine Scordia a démontré combien l’amour prenait une place centrale dans la conception même du miroir de Gilles de Rome, le De regimine principum48, qui fait de Dieu le premier objet d’amour, la première des douze passions49. Par la même occasion, le rôle du cœur dans l’Avis aus roys ne pouvait qu’en sortir renforcé. L’auteur évoque ce lien lorsqu’il s’essaie à définir la charité :
- 50 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 21r-21v.
bons princes doit avoir en li verai charité, c’est a dire amer Dieu de tout sonc cuer et de toute sa vertus surs et devant toutes autres choses et son prochain comme li mesmes (I, 16)50.
- 51 Sur la charité et le lien unissant Dieu, le roi et ses sujets, voir l’ouvrage essentiel de P. Alad (...)
19L’amour, terme préféré à la charité dans les miroirs du XIVe siècle parce qu’il possède une dimension politique plus affirmée, renvoie d’abord à Dieu puis au bien commun51.
- 52 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 21r. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : (...)
- 53 H. Millet, C. Rabel, La Vierge au manteau du Puy-en-Velay : un chef d’œuvre du gothique internatio (...)
- 54 Ibid., p. 63 : la croyance dans le rôle protecteur des habits de la Vierge vient d’Orient (Byzance (...)
- 55 Ibid., p. 69.
- 56 La miniature du fol. 21r n’est pas la plus représentative de cette recherche d’universalité. On ne (...)
- 57 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 21r-21v.
20L’artiste en charge d’illustrer ce chapitre de l’Avis aus roys consacré à la charité du prince se repose précisément sur ce passage52. Âgenouillé au centre de la composition, un prince tient ouvert le pan droit de son manteau. Plusieurs de ses sujets s’y blottissent, prosternés en prière. La mise en scène est inspirée du motif de la « Vierge au manteau » ou « Vierge de miséricorde » qui apparaît en Italie dans le troisième quart du XIIIe siècle et se diffuse à travers toute l’Europe aux XIVe et XVe siècles sous l’impulsion des ordres mendiants et des confréries laïques53. En France, l’image mariale se répand via le Spéculum humanœ salvationis composé au tournant des XIIIe et XIVe siècles par un anonyme. Véhiculant une symbolique d’une richesse foisonnante, ces représentations, encore inhabituelles dans la première moitié du XIVe siècle, évoquent successivement l’autorité, la puissance, la protection divines : la Vierge Marie y fait figure de médiatrice suprême préservant les fidèles des périls terrestres54. La Vierge rassemble ainsi toute la Chrétienté sous son manteau55. Le prince du programme iconographique de l’Avis aus roys regroupe indifféremment ses sujets dans un même espace sans faire de distinctions sociales56. Le manteau du prince emprunte à l’habit marial son caractère universellement protecteur afin d’illustrer la pensée du moraliste pour qui le souverain charitable doit « amer [...] son prochain comme li mesmes »57.
- 58 L’expression pour le moins imagée trouve son origine chez P. Vinken, The Shape, p. 15 et suiv.
- 59 C. Raynaud, « La mise en scène du cœur », p. 320-321.
- 60 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 21r.
21Mais la miniature du chapitre I, 16 ne représenterait pas fidèlement la position de l’auteur si un second motif n’était pas adjoint au premier. De sa main gauche, le prince tient un cœur en forme de pomme de pin58 qu’il tend au Christ, debout à droite. Ce dernier, pourvu d’un nimbe crucifère, tient une Bible dans sa main gauche et laisse clairement entrevoir une main droite bandée renvoyant aux stigmates de la Crucifixion. Christiane Raynaud a déjà montré combien l’offrande du cœur était liée à la Passion dans l’iconographie : en donnant son cœur, le prince fait le don de soi répondant à celui du Christ59. Dans un élan de piété, il s’offre à la protection divine en Lui remettant son cœur. Le choix de ce second motif iconographique finit d’éclairer le propos du moraliste assurant que le prince charitable doit « amer Dieu de tout son cuer »60 (I, 16).
- 61 R.-M. Ferré, La commande artistique à la cour de René d’Anjou : un concert de mots et d’images, Li (...)
- 62 P. Vinken, The Shape, p. 33.
- 63 Ibid., p. 34-37. Parmi les exemples cités par l’auteur, contentons-nous de mentionner la Charité d (...)
22Avant de devenir une métaphore littéraire prisée des auteurs de textes profanes – lorsqu’il s’agissait pour eux d’évoquer l’amour des amants – le thème du don du cœur était initialement religieux, renvoyant à la charité chrétienne61. Pourtant, les premières occurrences du don du cœur dans l’art ne sont pas à chercher dans l’iconographie religieuse mais plutôt dans un manuscrit français du milieu du XIIIe siècle contenant le Roman de la Poire : l’une de ses miniatures met en scène un amant agenouillé devant la demoiselle dont il est épris et lui offrant son cœur en témoignage de son amour62. Dans l’art religieux, la première illustration connue du don du cœur date du début du XIVe siècle (vers 1305) et se rencontre à Padoue, dans la chapelle Scrovegni. Giotto y a peint la Charité offrant son cœur à Dieu. La mise en scène va rapidement être reprise par les artistes du nord de l’Italie et se répandre dans la première moitié du XIVe siècle63.
- 64 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 21r.
- 65 Cette position d’intercesseur se retrouve dans la disposition et la taille des figures, en suivant (...)
23Dans son chapitre I, 16, l’auteur de l’Avis aus roys indique que le prince charitable doit porter à Dieu « parfaicte reverence » et à son prochain « amour et alliance »64. À des fins illustratives, l’artiste en charge de la miniature correspondante dans le manuscrit M. 456 a décidé d’associer au motif du don du cœur au Christ de la Passion le motif du « prince au manteau » renvoyant aux rapports du prince à ses sujets. L’inspiration du premier motif est à chercher dans la mise en scène « traditionnelle » de Charité, se confondant ici avec la figure du prince. Le second motif trouve ses origines dans les représentations des Vierges au manteau suggérant principalement un sentiment d’amour et de protection. Cet entrelacement fait de la figure du souverain un prince charitable occupant la place d’intermédiaire, d’intercesseur entre ses sujets et Dieu, leur offrant respectivement protection, amour et révérence65.
- 66 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 49r. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : (...)
- 67 F. Garnier, Le langage de l’image au Moyen Âge : signification et symbolique, Paris, Le Léopard d’ (...)
24Une autre miniature du programme iconographique du manuscrit M. 456 reprend le motif du don du cœur66. Au centre de la composition, le prince, portant couronne et manteau gris, offre cet organe de sa main gauche à un groupe de sujets massés à droite de la scène. À l’autre extrémité de l’image se tient une horde de cavaliers dont le prince semble se détourner si l’on considère sa posture évoquant le renoncement. Ainsi, le regard attentif du souverain exclusivement tourné vers ses sujets tranche avec l’opposition qu’il manifeste à l’égard du second groupe, leur opposant sa main droite tendue, paume ouverte, en signe de désapprobation67.
- 68 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 49r.
- 69 Selon l’Apôtre (I Co 13 : 1), la charité commande toutes les vertus (voir L. Scordia, « Concepts e (...)
25Si l’artiste a bien recours au motif du don du cœur, le chapitre attenant (I, 37), chargé de convaincre le prince de la supériorité de la sagesse sur la force, ne parle pourtant jamais explicitement de l’organe. À l’évidence, le responsable du programme iconographique cherche à associer le cœur à la « sagesse », au « sens », à la « prudence »68. En remettant son cœur à ses sujets et en se donnant à son peuple pour le plus grand profit de la communauté, le prince sage accomplit un acte de prudence commandé par la charité69. Bien que le rapport ne soit cette fois qu’implicite, les concepteurs du programme unissent donc une seconde fois le cœur du roi – par le motif de son offrande – à la charité. Les deux représentations de l’abandon du cœur princier, respectivement au Christ de la Passion et à ses sujets, témoignent de l’amour qui doit être porté par le bon gouvernant à Dieu et au bien commun, à travers la thématique de la charité.
Le cœur vertueux
26Dans l’Avis aus roys, le cœur ne se contente pas de renvoyer au siège de la vie, de la spiritualité et de l’âme ; il est aussi le réceptacle des vices et des vertus, le lieu où cohabitent sentiments et raison. Or, la Bible fait du cœur le siège de l’intellect, non des sentiments. Dissimulé à l’intérieur du corps, il recèle des pensées secrètes que Dieu seul peut sonder. À quelques reprises, l’Avis aus roys associe volontiers le cœur à la conscience, à la raison, au jugement. Le droit naturel, outil de raisonnement par excellence, n’est-il pas indifféremment écrit dans le cœur de tous les hommes ? C’est ce que laisse entendre le chapitre III, 29 :
- 70 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 103r.
Et ne fut mie necessité de escrire le droit naturel quar chascuns la escript en son cuer naturelment ?70
- 71 Cf. J. Wirth, « L’iconographie médiévale du cœur amoureux », p. 206.
- 72 Cf. A. Bande, Le cœur du roi, p. 122.
- 73 Voir aussi J. Pigeaud, « Cœur organique. Cœur métaphorique », Micrologus : Il cuore, p. 23.
27Au contraire des théologiens, les auteurs profanes opposent le cœur et la raison, préférant par exemple associer dans la lyrique courtoise cet organe à la folie amoureuse71. À l’instar des Enseignements de Saint Louis qui font du cœur le siège des sentiments72, l’auteur de l’Avis aus roys lie l’organe aux émotions, aux passions73. À la fois siège de l’intellect et de l’affect, le cœur devient le lieu du déchirement :
- 74 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 17r (citation non identifiée chez saint Augusti (...)
Et pour tant raconte et recite saint Augustin l’opinion de deus philozophes qui metoient difference entre le cuer de celi qui est sage et de celi qui est fols, quar li cuers de celi qui est fols s’acorde senz nul jugement de raison a tout delict ou a toute tristesce ou a toute affection qui li est presentee soit bonne soit mauvese, mais li cuers dou sage se tient fermes et clos en toute matiere de prosperité et diversité jusques a tant que raison li monstre a quoy et comment il se doit ouvrir et consentir (I, 11)74.
28Parce qu’il est dénué de toute raison, le cœur du fou se retrouve débordé par toutes sortes d’affects, aussi bien opportuns que néfastes. À l’inverse, le cœur du sage, guidé par la raison, est hermétique à ceux-ci. L’auteur met naturellement en garde ses lecteurs princiers :
- 75 Ibid., fol. 21v.
Et pour ce bons princes doit ordener son cuer et s’afection, selon l’ordenance devant dicte, en amer et en hayr, en desirrer ou habominer et esdictes autres affections (I, 16)75.
29Le bon prince, aidé par sa sagesse, sait canaliser favorablement les passions qui habitent son cœur et échappe ainsi à leur emprise, profitant par conséquent au bien commun.
- 76 Voir par exemple le traité de Frère Laurent, La Somme le roi, E. Brayer, A.-F. Leurquin-Labie (éd. (...)
- 77 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 94r : « Et pour tant disoit David li nobles roy (...)
- 78 Ibid., fol. 48r : « [...] ne ne doit l’an mie feindre defaut en li ne en autrui qui n’i soit mie, (...)
- 79 Ibid., fol. 120r : « [...] cilz qui porte la beniere doit estre personne qui seet eslehue de grant (...)
- 80 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, p. 316 ; J.-P. Boudet, « Jean Gerson et la Dame à la licorne(...)
- 81 Pour des références bibliques du cœur en tant que siège des vertus et des vices, voir Bande, Le cœ (...)
30L’organe est à l’image de son propriétaire et les auteurs de textes à portée morale ou didactique ont bien compris la force évocatrice du cœur comme le lieu où s’affrontent les vertus et les vices76. Même le cœur royal est concerné par ce combat. Notre moraliste l’encourage ainsi à s’éloigner des individus « de malvés cuer »77, « de chetif cuer »78, autrement dit de ceux dont les cœurs sont gagnés par le vice, pour se rapprocher d’êtres réputés pour leur « cuer de grant loyauté et de grant amour au prince et au bien commun »79, à l’exemple du porteur de l’oriflamme. Le cœur du bon roi tel qu’il apparaît dans l’Avis aus roys est vertueux ; celui du mauvais prince est perclus de vices. Tout comme les qualités humaines essentielles, les vertus du bon gouvernement sont contenues dans le cœur du souverain qui doit exprimer à la fois la volonté de résister aux tentations et, en cas d’échec, la force d’entamer un véritable repentir. L’organe deviendra même, chez Gerson, la clef du salut de l’individu80. S’inspirant de l’Ancien Testament, le modèle de la royauté biblique qui influença largement les monarchies médiévales est ici tangible81.
- 82 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 42v.
- 83 Ibid., fol. 42v-43r : « [...] quar ceste vertus met attrempence de raison entre defaut de cuer et (...)
- 84 Ibid., fol. 71r° : « Item, il sont de grant courage pour les causes dessus dictes, quar il sont li (...)
- 85 Cf. A. Bande, Le cœur du roi, p. 120-121.
- 86 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 117v-118r : « [...] se uns homs est mors en gue (...)
31La magnanimité est une des vertus les plus couramment associées au cœur dans l’Avis aus roys. Un chapitre entier est même consacré à celle-ci : « Comment il doit avoir la vertu de magnanimité » (I, 30)82. Dans un premier temps, l’auteur y explique que la magnanimité se définit comme la « grandeur de courage ». À la suite d’Aristote, il la présente comme une vertu constituant le point d’équilibre entre le « defaut de cuer » et la « presumption »83. L’assimilation de l’organe au courage – et donc à la magnanimité – dans notre miroir est fréquente, particulièrement à travers des expressions et des images assez évocatrices84. Si le cœur est le creuset de toutes les vertus, il l’est plus spécialement de la vaillance et du courage85. Sans surprise, le livre IV du traité, dédié au bon gouvernement en temps de guerre, emploie avec le plus de constance cette association, valorisant notamment le « cuer » du belligérant, autrement dit sa hardiesse au combat86. Le prince au cœur magnanime dispose d’une grandeur d’âme qui le pousse aussi bien à accomplir d’éclatantes prouesses sur le champ de bataille qu’à entreprendre des actions prouvant toute l’étendue de sa générosité, de sa mansuétude, de sa charité.
- 87 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 42v. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : (...)
32Les artistes en charge de la réalisation du programme iconographique du manuscrit M. 456 ne pouvaient que chercher à restituer dans leurs compositions ce lien étroit unissant les deux termes87. Et quel autre chapitre que celui consacré à la magnanimité (I, 30) s’y prêtait le plus ? Au centre de la composition, un prince couronné trônant sur une chaise curule à têtes de lions tient un cœur de la main gauche tout en faisant un signe d’acceptation de l’autre. Le prince magnanime exhibe son cœur vertueux au regard de tous comme il s’expose courageusement au combat.
- 88 P. Vinken, The Shape, p. 62.
- 89 Ibid., p. 66.
- 90 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 42v. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : (...)
- 91 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 21r et 49r. Miniatures en ligne (consultées en jui (...)
- 92 Ibid., p. 44.
- 93 Ibid., p. 50-62.
- 94 J. Wirth, « L’iconographie médiévale du cœur amoureux », p. 197.
33L’organe affiche une indentation extrêmement prononcée et paraît presque fendu. Les différentes formes du cœur ont suscité suffisamment d’intérêt chez Pierre Vinken pour qu’il y consacre une étude à part entière, fort complète. Selon lui, les premières figures profondément dentelées connues à ce jour datent de la première moitié du XIVe siècle et sont à chercher dans les filigranes de papetiers italiens. Mais peut-être s’agit-il plutôt de feuilles que de cœurs88. Leur signification symbolique est ambiguë. Aux XVe et XVIe siècles, un rapprochement est fait entre ce cœur fendu et la compassion. Des représentations de la Piété tenant un cœur fendu peuvent aussi évoquer l’amour de Dieu pour les hommes89. Ce cœur vertueux et fendu du chapitre I, 3090 tranche avec les figurations de l’organe étudiées jusque là et provenant du même manuscrit91. Ces dernières se contentent de présenter une légère indentation à la base de l’organe. Pierre Vinken remarque que, dans la première partie du XIVe siècle, cette nouvelle forme de représentation du cœur se caractérisant par une indentation vient supplanter l’ancienne qui faisait penser à une pomme de pin92. Il explique cette progressive substitution par la mauvaise compréhension des anatomistes d’un texte d’Aristote dotant l’organe d’une troisième chambre93. Sans écarter cette hypothèse, Jean Wirth propose plus simplement que l’indentation traduise la dépression naturelle de la poire, à l’emplacement de la tige94. Il n’est pas tout à fait surprenant que les deux formes de représentations plus ou moins indentées cohabitent encore dans le programme iconographique du manuscrit M. 456, probablement réalisé à la fin des années 1340 : plutôt que d’y voir une volonté des artistes d’ajuster la forme du cœur en fonction de sa symbolique (don du cœur ou cœur vertueux), il convient plutôt d’envisager que son aspect puisse correspondre aux habitudes des artistes le réalisant.
- 95 C. Raynaud, « La mise en scène du cœur », p. 316.
- 96 P. Vinken, The Shape, p. 42-43. À partir du XIIIe siècle, le cœur est tenu par la base, l’apex éta (...)
- 97 J. Wirth, « L’iconographie médiévale du cœur amoureux », p. 194.
- 98 P. Vinken, The Shape, p. 40.
34Si l’emploi d’un rouge dense et foncé pour figurer les cœurs de notre programme iconographique s’inscrit bien dans la tradition95, la façon qu’ont les artistes de représenter systématiquement l’organe tenu par l’apex, la base en haut, est plus déroutante. Pierre Vinken souligne d’ailleurs le caractère plus tardif de ces figurations96 : avant la fin du XIVe siècle, les exemples connus de représentations du cœur le présentent sous la forme d’une poire, la pointe en haut97. En revanche, les représentations démesurément grandes de nos « palpitants » princiers surprennent moins et peuvent être expliquées autrement que par la volonté des artistes de les valoriser visuellement : Aristote considère en effet que le cœur humain est le plus large de toutes les créatures vivantes98, tandis que saint Augustin rappelle que l’organe est élargi par l’amour de Dieu.
Le cœur solaire
- 99 Le chapitre I, 20 de l’Avis aus roys consacré à la vertu de prudence est le plus long du traité (3 (...)
- 100 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 5r : « li sage et li conseiller on l’office dou (...)
- 101 Ibid., fol. 26
- 102 Id.
- 103 Id.
- 104 Id.
- 105 Id.
35Le cœur du prince contient toutes les vertus, y compris la vertu de prudence ou de sagesse occupant une place centrale dans l’Avis aus roys99. Celle-ci est directement associée à l’organe dans le passage décrivant le corps social où les sages jouent le rôle vital du cœur100. Bien que dépourvu d’une référence aussi explicite, le chapitre I, 20 consacré à cette vertu dispose d’un titre qui constitue un rappel évident à l’intériorité du prince : « comment prudence doit en prince reluire »101. Selon notre moraliste, la prudence renvoie à l’entendement et à la sagesse dont disposent ceux qui sont « naturelment seigneur »102, les distinguant au passage des « vilains et sers »103 qui en sont cruellement dépourvus. Au même titre que les hommes gouvernent les femmes ou dominent les bêtes, le prince – parce qu’il est sage -assoit son caractère noble et son autorité sur ses sujets104. La vertu de prudence rend son détenteur étincelant : il est « enluminé par vertus de prudence »105. Par conséquent, si le cœur est bien le siège des vertus et de l’intériorité, alors de lui émane cette lumière.
- 106 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 26. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : (...)
- 107 A. Neschke-Hentschke, « Le rôle du cœur », Micrologus, Il cuore, p. 51.
- 108 Aristote, Les Politiques, R. Bodéüs (éd.), Paris, Flammarion, 2004, lib. I, cap. 5, p. 99-103, dan (...)
- 109 Dante, Le Paradis, chant X, J. Risset (éd.), Paris, Flammarion, 2004, p. 98-107.
- 110 Sur le rapport du cœur au soleil chez Aristote, voir Th. Ricklin, « Le cœur, soleil du corps », Mi (...)
- 111 Ibid., p. 129-143. Turisanus, médecin à la vision très aristotélicienne ayant exercé à l’universit (...)
36Les artistes du manuscrit M. 456 vont contribuer à renforcer cette association. La miniature illustrant le chapitre I, 20 met en scène un prince juché sur un piédestal, exhibant un soleil éclatant à hauteur de son abdomen106. Les concepteurs du programme iconographique ne pouvaient ignorer le lien existant entre l’astre et le cœur. Comme le soleil situé au centre des sept sphères planétaires, le cœur est placé au centre du corps de l’homme107. La chaleur qu’ils produisent permet la vie : le cœur est le soleil du microcosme incarné par le corps humain. Thomas Ricklin s’est largement attaché à démontrer que les principales sources littéraires assimilant le cœur à l’astre solaire ne devaient pas être à chercher chez Aristote. Certes, les passages de l’Avis aus roys précédemment cités associant la prudence ou la sagesse à la lumière sont empruntés au De regimine principum de Gilles de Rome qui les tenait lui-même de la Politique d’Aristote108. Certes, quelques années avant que notre moraliste ne se mette à la tâche, Dante Alighieri, dans son Paradis, rencontrait déjà les sages au quatrième ciel, celui du soleil109. Cependant, le cœur n’est jamais directement identifié à l’astre solaire dans les œuvres du Stagirite ou dans nos « miroirs des princes »110. L’image du cœur, soleil du corps, telle qu’elle apparaît dans la miniature, est portée avec plus ou moins de conviction à partir du milieu du XIIe siècle par les auteurs de « filiation » chartraine, voire par les défenseurs de la nouvelle scientia astrorum accordant à l’astre un rôle croissant111.
- 112 Luisa Capodieci établit également des liens entre la vertu de Prudence et l’éternité (L. Capodieci (...)
37En défendant l’image d’un prince au cœur rayonnant de prudence, les concepteurs du programme iconographique du manuscrit M. 456 ont fini par faire de l’enveloppe princière un corps mystique et éternel112. Peut-être était-ce d’ailleurs leur dessein initial, tant la symbolique solaire est présente dans le manuscrit. Dans le premier chapitre du traité énumérant les six raisons pour lesquelles les princes -français de préférence – ont une dignité supérieure à leurs sujets (I, 1), le moraliste, citant un passage non identifié de saint Ambroise, assimile clairement le prince, centre de la sphère politique, au soleil, roi des planètes. Comme l’astre solaire, le prince est comparé à une fontaine de lumière irradiant ses sujets :
- 113 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 4v.
[...] quar pour tant que selon saint Ambroise le souleil est la gloire des estoiles, li sires et li roys des planetes, il est la fontainne de toute la clarté et la lumiere, en tel meniere que toutes les estelles dou ciel et toutes les planettes recoivent clarté et lumiere de li. Ainsi doivent li bon prince estre uns si clercs exemplaires et si vertueus que li subget en puissent recevoir clarté de toute perfection113.
- 114 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 4r. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : (...)
- 115 Id.
- 116 Id.
38La vertu fait du prince une source miroitante d’exemplarité à laquelle s’exposent inévitablement les sujets. L’artiste en charge de l’illustration du chapitre choisit précisément de mettre en image ce passage du texte114. Un roi couronné trônant sur une chaise curule à têtes de lions est entouré de deux groupes de sujets. Tandis que sa main gauche repose sur ses cuisses, sa main droite tient un sceptre à l’extrémité supérieure fleurdelisée. En haut de la miniature, les rayons épais et dorés d’un soleil rougeâtre viennent frapper la tête du prince, unifiant les deux figures que sont le « roys des planetes »115 et le « bon prince »116. Par l’intermédiaire du soleil et de la vertu, le cœur n’est que suggéré dans cette première mise en scène. Il ne peut être que deviné par le lecteur avant de se révéler à ce dernier un peu plus loin dans le programme iconographique. La composition du chapitre I, 20 ne laisse en effet guère de doute et finit assurément d’associer le cœur du prince – et le prince lui-même – à l’astre solaire.
- 117 G. Buhrer-Thierry, « Lumière et pouvoir dans le haut Moyen Âge occidental. Célébration du pouvoir (...)
- 118 J.-P. Boudet, « Le roi-soleil dans la France médiévale », Micrologus, Il sole e la luna, vol. XII, (...)
39La théologie solaire en Occident trouve ses origines chez les empereurs romains, disparaît puis ressurgit sous une forme christianisée à l’époque carolingienne, notamment dans un poème composé en 799, le De Karolo rege et Leone papa, qui assimile Charlemagne à un « phare de l’Europe » répandant « une claire lumière » plus intense que le soleil lui-même117. Vers 880, le moine Notker Balbulus, dans ses Gesta Karoli Magni, le dépeint comme « le plus illustre des rois, radieux comme le soleil à son lever ». Il faut ensuite attendre le XIIIe siècle pour que cette comparaison rejaillisse. Dans son étude consacrée au roi-soleil dans la France médiévale, Jean-Patrice Boudet explique cette éclipse par l’incapacité des Capétiens à revendiquer un pouvoir universel face aux prétentions universalistes du pape et de l’empereur byzantin118. Il faut attendre Saint Louis et la littérature hagiographique visant à sa canonisation pour retrouver pareille association. C’est dans ce contexte que Guillaume de Nangis écrit :
- 119 Ibid., p. 462.
Et comme le soleil diffuse partout ses rayons, ainsi se diffusaient les bienfaits et les exemples de sa lumineuse charité et de sa chaleur119.
- 120 Ibid., p. 464, n. 27.
40Mais c’est à partir de l’avènement des Valois que la symbolique solaire est véritablement reconsidérée par un roi de France et son entourage. Ainsi, Philippe VI arbore sur son cimier un soleil à visage humain tandis qu’en 1351 le symbole de l’ordre de l’Étoile créé par Jean le Bon comporte en son centre un soleil d’or. Enfin, le Dit du soleil et de la lune, composé entre 1356 et 1360, associe Jean II au soleil120.
- 121 Chirurgie de maître Henri de Mondeville chirurgien de Philippe le Bel, roi de France, composée de (...)
- 122 Selon Thomas Ricklin, Guillaume de Conches semble notamment avoir buté sur cette contradiction (cf (...)
- 123 E. Kantorowicz, Les deux corps du roi, Paris, Gallimard, 1989.
41Après Gossuin de Metz mais avant Evrart de Trémaugon, l’auteur de l’avis aus roys, assisté des artistes du volume new-yorkais, confirme bien l’existence d’une réflexion et d’un intérêt de l’entourage des premiers Valois concernant le sens et l’utilisation de la symbolique solaire et par là même leur volonté de façonner l’image d’un roi-soleil dans la France médiévale. Le recours de l’auteur à l’antique métaphore faisant du prince le soleil de l’univers politique fait inévitablement écho à la plus récente comparaison organique du chirurgien de Philippe le Bel, Henri de Mondeville, identifiant le souverain en tant que cœur du corps social : le cœur est « au milieu de toute la poitrine, comme le veut son rôle, comme un roi au milieu de son royaume »121. À l’exception notable de la métaphore faisant du souverain la tête du corps social, l’auteur de l’avis aus roys et les artistes chargés de l’illustrer superposent les symboliques solaire et cardiaque pour placer le prince au centre du macrocosme et du microcosme. Dans ces circonstances, la contradiction entre la nature corruptible du cœur et le caractère éternel de l’astre aurait pu poser problème122 si les artistes du programme iconographique n’avaient pas su surmonter brillamment cette ambiguïté en conciliant les deux éléments apparemment antagonistes dans un même corps double et mystique123, celui du prince.
- 124 A. Bande, Le cœur du roi, p. 110.
- 125 Cette évolution ne se limite pas à l’entourage princier mais concerne probablement plus largement (...)
42À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, le cœur du prince fait indéniablement l’objet de vives réflexions dans l’entourage du souverain. Mis à part l’association entre le cœur du prince et le prince des astres, il ne fait guère de doute que les souverains capétiens étaient déjà accoutumés aux différents sens du cœur124 véhiculés notamment par le truchement des influences cisterciennes ou des références bibliques nombreuses renvoyant à la métaphore du cœur. À ce contexte spirituel favorable et à cet héritage biblique foisonnant s’ajoute, à la fin du XIIIe siècle, le séduisant discours d’Aristote et de ses commentateurs suffisant à modifier la perception que l’entourage royal avait du cœur et autorisant son utilisation politique125.
- 126 Voir M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, p. 317.
- 127 En disposant de plusieurs lieux de sépulture, les princes espèrent multiplier les intercessions po (...)
- 128 Selon Murielle Gaude-Ferragu, la volonté de Philippe le Bel est de faire de sa tombe de cœur au co (...)
- 129 En faisant édifier son tombeau de cœur dans la cathédrale Notre-Dame de Rouen, Charles affirme sa (...)
- 130 M. Gaude-Ferragu, « Le cœur “couronné” », Micrologus, Il cuore, p. 247 et 254 : Louis Iet Louis II (...)
- 131 M. Gaude-Ferragu, « Le cœur “couronné” », Micrologus, Il cuore, p. 244.
- 132 Par la bulle Detestande feritatis promulguée en 1299, Boniface VIII interdit la pratique qu’il jug (...)
- 133 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, p. 329.
- 134 R.-M. Ferré, La commande artistique, p. 170.
43L’engouement pour le fractionnement corporel du corps princier observé à partir de la fin du XIIIe siècle et pour la multiplication des tombes de cœur qui en découle témoigne de ce nouveau rapport du souverain à son organe. Initialement prévue pour parer aux problèmes de conservation de la dépouille126, la pratique de l’inhumation séparée exigée dans les testaments princiers va progressivement être motivée par des préoccupations religieuses, affectives ou dynastiques127. À la suite de Philippe le Bel, premier souverain de France à utiliser délibérément son propre cœur à des fins politiques128, les premiers Valois vont adhérer à cette pratique, Philippe VI et Charles V en tête129. Parmi les princes des fleurs de lys, seuls Louis, jeune frère de Charles, premier duc d’Anjou de la branche Valois, et plusieurs de ses descendants demandent dans leurs testaments une sépulture de cœur afin de rappeler leur rang et leur prestige130. Ce traitement du cœur des princes valois, autant politique que spirituel, n’a pourtant rien de systématique comme le montrent les refus de Jean II, Charles VI et Louis XI d’opter pour l’inhumation séparée dans leurs testaments131. À la fin du XIVe siècle et au début du XVe siècle, les réticences à la partition s’expliquent conjointement par l’interdiction papale de 1299132 et par la dénonciation d’un certain orgueil funèbre et l’horreur que suscite le dépeçage corporel133. Pour autant, à la fin du XVe siècle, la mode de la partition reprend durablement comme l’atteste le choix du fractionnement fait par René d’Anjou, par ailleurs promoteur et diffuseur essentiel de la puissance allégorique de l’organe dans son œuvre littéraire, l’utilisant tour à tour dans un registre religieux (Mortifiement de Vaine Plaisance) et courtois (Livre du Cuer d’Amours espris)134. D’une manière générale, la multiplication des références au cœur dans les productions profanes et la pénétration du discours courtois dans les cours occidentales ont vraisemblablement conforté cette évolution du rapport entre les souverains et cet organe.
- 135 Le cycle continu évoqué ici pourrait se résumer ainsi : le cœur est le siège des vertus et donc de (...)
44Plus singulièrement, les confesseurs royaux furent probablement des relais permanents et efficaces de ces nouvelles conceptions du cœur princier auprès des souverains eux-mêmes. Ils lui accordèrent une importance croissante, le présentant d’une part – en tant que ministres de l’absolution et de l’extrême-onction – comme la source des péchés et le lieu de la rédemption, et d’autre part comme le symbole de l’intériorité et le siège de l’âme dont ils étaient eux-mêmes les garants. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Pierre de Treigny, confesseur royal de Philippe puis de Jean, probable précepteur des fils de ce dernier jusqu’en 1352, offre au milieu du XIVe siècle, à travers l’Avis aus roys une image particulièrement équivoque du cœur princier : l’organe y fait successivement figure de siège de la spiritualité, de l’âme, des vertus, des passions et de la raison. Les artistes ayant œuvré dans l’exceptionnel projet pédagogique matérialisé par le manuscrit M. 456 – très probablement initié par Pierre de Treigny lui-même – ont contribué à entretenir cette équivocité en dépeignant l’organe au travers de mises en scène aussi variées qu’expressives. L’abondance de ces représentations du cœur princier dans le manuscrit new-yorkais se révèle d’autant plus frappante qu’elle contraste avec leur rareté dans l’iconographie profane et religieuse du bas Moyen Âge, au moins au XIVe siècle. Mieux, les artistes ont sublimé cette ambiguïté en conférant au cœur pourtant putrescible une dimension mystique et perpétuelle, aboutissant à la constitution d’un cycle continu débutant et s’achevant par l’organe du prince, siège de la spiritualité et des vertus d’où irradie la lumineuse prudence135. Le programme iconographique du manuscrit M. 456 parvient à lier l’astre solaire au cœur du prince par l’intermédiaire de la vertu, spécialement dans le Livre I. Les symboles se nourrissent pour générer l’image puissamment évocatrice d’un prince éternel, renvoyant -à l’instar du cœur – autant au début qu’à la fin, autant à l’étincelle qu’au néant.
Notes
1 A. Guerreau-Jalabert, « “Aimer de fin cuer”. Le cœur dans la thématique courtoise », Micrologus, Il cuore, The Heart, vol. XI, Firenze, SISMEL, 2003, p. 359 (p. 343-372).
2 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres : la mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au Bas Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2005, p. 315.
3 J. Krynen, L’empire du roi : idées et croyances politiques en France aux XIIIe-XVe siècles, Paris, Gallimard, 1993, p. 167. Lire par ailleurs la définition proposée par Noëlle-Laeticia Perret : « Rédigés par des clercs, ces textes renvoient au prince l’image d’un gouvernant idéal défini selon un modèle de sagesse » (N.-L. Perret, Les traductions françaises du « De regimine principum » de Gilles de Rome : parcours matériel, culturel et intellectuel d’un discours sur l’éducation, Leyde, Brill, 2011, p. 11).
4 Gilles de Rome, de l’ordre des Ermites de saint Augustin, compose le De regimine principum pour le futur Philippe le Bel. Ne se limitant pas à son simple destinataire princier, ce traité est devenu l’œuvre politique médiévale la plus largement diffusée et s’impose comme le vecteur de transmission le plus important des conceptions politiques d’Aristote au Moyen Âge (N.-L. Perret, Les traductions françaises, p. 14-17 et J. Krynen, L’empire du roi, p. 179-187).
5 A. Bande, Le cœur du roi : les Capétiens et les sépultures multiples, XIIIe-XV siècles, Paris, Tallandier, 2009, p. 120-130.
6 Les manuscrits New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456 et Londres, British Library, ms Cotton Cleopatra B.X sont datés du XIVe siècle. Les trois autres exemplaires conservés, celui de Chantilly, Musée Condé, ms 314 (688), de Rouen, B. m., ms 939 (I.36) et de Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin – Preussischer Kulturbesitz, Hamilton 672 sont du XVe siècle. En attendant l’issue prochaine des travaux sur ces volumes, voir le mémoire de Master disponible à l’IRHT-Paris ou à l’université d’Orléans de J. Lepot, Avis aulx roys et aus princes en leur gouvernement : un miroir du prince enluminé du XIVe siècle, Orléans-la-Source, 2008.
7 L’Avis aus roys fut longtemps délaissé et considéré à tort comme une simple traduction française du miroir de Gilles de Rome. Lire à ce sujet les études de N.-L. Perret, Les traductions françaises, et de D. M. Bell, L’idéal éthique de la royauté en France au Moyen Âge d’après quelques moralistes de ce temps, Genève, E. Droz, 1962, p. 61 : « L’ouvrage anonyme et inédit intitulé l’Avis aus Roys, sommeille dans un oubli presque total ».
8 Sur le Liber de informatione principum, lire notamment L. Scordia, « L’or et le sang des pauvres dans Le Livre de l’information des princes, miroir anonyme dédié à Louis X », Revue historique, 631, 2004/3, p. 507-532, et J. Krynen, L’empire du roi, p. 188-190.
9 Voir R. Cazelles, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, Bibliothèque Elzévirienne, 1958, et id., Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève, Droz, 1982.
10 Au sujet de Pierre de Treigny, voir X. de La Selle, Le service des âmes à la cour. Confesseurs et aumôniers des rois de France du XIIIe au XVe siècle, Paris, École des chartes, 1995, p. 268.
11 En tant qu’évêque de Senlis, Pierre de Treigny rédigea également un règlement pour les écoles de garçon de cette ville, daté du 21 février 1353 (Gallia Christiana, t. X., Instr. eccles. Silvan. Appendix, n° CLII, col. 494-495).
12 À ma connaissance, aucun autre manuscrit contenant un « miroir des princes » comparable à l’Avis aus roys (essentiellement des manuscrits contenant le Livre du gouvernement des rois d’Henri de Gauchi) n’affiche des dimensions aussi réduites (180x125mm) que le volume new-yorkais.
13 Aucun autre volume contenant une traduction française du De regimine principum n’est doté d’un aussi riche programme iconographique (plus d’une miniature par feuillet). Ces observations font même du manuscrit M. 456 le « miroir des princes » le plus décoré. L’étude stylistique nous oriente sur les traces d’artistes parisiens ayant travaillé vers 1350, plus précisément des continuateurs du style « pucellien » et des compositions de Mahiet.
14 D’après Jacques Krynen, les miroirs rédigés pour les Valois font s’accorder les exempla mettant en scène de grands personnages de l’antiquité biblique ou païenne avec des figures dynastiques françaises (J. Krynen, L’Empire du roi, n. 3, p. 190). Dans son article, Michael Camille proposait d’ailleurs la figure de Louis d’Anjou, fils cadet de Jean II le Bon et frère du dauphin Charles, comme destinataire probable du manuscrit M. 456 (M. Camille, « The King’s New Bodies : an illustrated mirror for Princes in the Morgan Library », Künstlerischer Austausch/Artistic Exchange : Akten des 28. Internationalen Kongresses für Kunstgeschichte, Berlin, 15-20 Juli, 1992, T. W. Gaehtgens (ed.), Berlin, Akademie Verlag, 1993, p. 394). L’iconographie joue un rôle déterminant dans son identification mais aucune preuve tangible ne permet de valider cette hypothèse d’une manière certaine.
15 Micrologus, Il Cuore, The Heart, vol. XI, Firenze, SISMEL, 2003 ; M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres ; A. Bande, Le cœur du roi.
16 C. Raynaud, « La mise en scène du cœur dans les livres religieux de la fin du Moyen Âge », Le cuer au Moyen Âge : réalité et sénéfiance, Aix en Provence, CUERMA, 30, 1991, p. 313-323 (p. 313-343) ; J. Wirth, « L’iconographie médiévale du cœur amoureux et ses sources », Micrologus, Il Cuore, p. 193-212 ; P. Vinken, The Shape of the Heart, Amsterdam, Elsevier, 2000. Selon ce dernier, l’iconographie de l’organe est quasiment inexistante au haut Moyen Âge, hors d’un contexte médical (P. Vinken, The Shape, p. 16).
17 J. Wirth, « L’iconographie médiévale du cœur amoureux », p. 194-200 et P. Vinken, The Shape, p. 34-35.
18 Paris, BnF, fr. 2186, fol. 41v et 77v.
19 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 5r.
20 Ægidius Colonna, De regimine principum : libri III, Rome, 1556, réimpr. Frankfurt, Minerva, 1968.
21 Henri de Gauchi, Li livres du Gouvernement des Rois : A XIIIth Century French Version of Egidio Colonna’s Treatise De regimine principum, S. P. Molenaer (ed.), New York, AMS Press, 1966.
22 Dn 2 : 31-35.
23 Cf. Denis Foulechat, Le Policratique de Jean de Salisbury (1372) : livre V, C. Brucker (éd.), Genève, Droz, 2006, livre V, 2, p. 463-465.
24 Cf. Paris, BnF, fr. 1950, fol. 4r : « [...] la royal magesté est en la chose publique aussi comme un corps composé de divers membres, ouquel le roy ou le prince tient le lieu du chief, et les senescaulz, les prevoz, les juges ont l’office des oreilles, des iex, et les sages conseilliers l’office du cuer, et les chevaliers deffendeurs le lieu des mains, et les marcheans courans par le monde sont a maniere de jambes, les laboureurs cultiveurs des champs et les autres popules povres sont adjoins a maniere des piez. Et ainsi il appiert que les princes sont ou corps de la chose publique comme le chief. » Pour des précisions sur la traduction française du Liber de informatione principum par Jean Golein, voir L. Scordia, « L’or et le sang des pauvres », p. 510.
25 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 5r. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : http://utu.morganlibrary.org/medren/singleimage2.cfm?imagename=m456.005r.jpg&page=ICA000097692. Voir aussi à son sujet W. Brückle, Civitas terrena : Staatsrepräsentation und politischer Aristotelismus in der französischen Kunst (1270-1380), München, Deutscher Kunstverlag, 2005, p. 229. Dans la préface d’un ouvrage de Christiane Raynaud dédié à l’iconographie du pouvoir, Michel Pastoureau évoquait déjà en 1993 les « barrières infranchissables » de natures diverses qu’un historien devait pourtant tenter d’enjamber pour pouvoir offrir à ses lecteurs les reproductions des enluminures qui faisaient l’objet de son étude (C. Raynaud, Images et pouvoirs au Moyen Âge, Paris, Le Léopard d’or, 1993). Ces obstacles, nous n’avons ni pu ni voulu les surmonter. Si la Pierpont Morgan Library pratique des tarifs que nous avons jugé inaccessibles, elle met en revanche une large partie de sa collection en ligne sur sa base Corsair que nous avons décidé d’exploiter à contrecoeur, peut-être au détriment du confort de lecture.
26 M. Camille, « The King’s New Bodies », p. 395.
27 M.-Ch. Pouchelle, Corps et chirurgie à l’apogée du Moyen Âge, Paris, Flammarion, 1983, p. 168, 180 et passim.
28 A. Neschke-Hentschke, « Le rôle du cœur dans la stabilisation de l’espèce humaine chez Aristote », Micrologus, Il cuore, p. 40-44.
29 Th. Ricklin, « Le cœur, soleil du corps : une redécouverte symbolique du XIIe siècle », Micrologus, Il cuore, p. 137 (p. 123-144).
30 A. Bande, Le cœur du roi, p. 113 : « Plus tard, chez Platon, le cœur n’eut qu’un rôle secondaire au regard de la tête, qui abritait l’âme immortelle. Néanmoins, en lui résidait l’âme émotionnelle, siège de la colère et du courage ». Voir aussi J. Le Goff, N. Truong, Une histoire du corps au Moyen Âge, Paris, Levi, 2003, p. 171-191.
31 M. Camille fait également remarquer que la mise en scène du corps royal rappelle celle de l’homme-zodiaque (homo signorum), où la lecture se fait aussi de haut en bas (M. Camille, « The King’s New Bodies », p. 395). Voir aussi C. R. Sherman, Imaging Aristotle : Verbal and Visual Representation in Fourteenth-Century France, Berkeley/Los Angeles/London, University of California Press, 1995, p. 216.
32 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, p. 315.
33 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 31v-32r.
34 Comme cela peut notamment être le cas dans le plus tardif Songe du Vergier d’Evrard de Trémauguon, rédigé entre 1374 et 1378 (A. Bande, Le cœur du roi, p. 126-127).
35 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 82r.
36 M.-Ch. Pouchelle, Corps et chirurgie, p. 198-202, et A. Bande, Le cœur du roi, p. 119.
37 Ibid., p. 127 et 223 n. 146, renvoyant à la traduction de M. Pacaut, La théocratie, Paris, Desclée, 1989, p. 164.
38 Lire à ce sujet A. Bande, Le cœur du roi, p. 127 et 277-278.
39 J. Quillet, Charles V le roi lettré, Paris, Librairie Académique Perrin, 1984, p. 335.
40 Voir X. de La Selle, Le service des âmes, p. 268 : Pierre de Treigny occupe la première fonction depuis 1339 et il est également chapelain pontifical de Clément VI depuis février 1346.
41 Ægidius Colonna, De regimine principum, éd. cit., I, 2, 13, fol. 317r. La traduction de ce passage par Henri de Gauchi est encore plus explicite : « Et porc en li roi et li prince qui doivent estre si comme demi dieu et mult semblanz a dieu et doivent estre essamplere de vivre a lor pueple et droite reule des euvres humaines » (Henri de Gauchi, Li livres, éd. cit., III, 2, 28, p. 357).
42 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 60v : dans le chapitre 13 du livre II, la miniature met en scène un pape et un prince trônant sur des chaises curules. Le premier tient un livre de sa main gauche sur lequel semble être inscrit Credo in Deum. Dans un signe d’instruction, il pointe son index droit en direction du codex tout en regardant le prince. L’artiste désire probablement mettre en scène cette portion du chapitre 13 du livre II : « Si est bon que enfant de sage prince soient enformez devant toutes choses des conclusions de la foy crestienne » (New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 61v).
43 J. Wirth, « L’iconographie médiévale du cœur amoureux », p. 207.
44 A. Bande, Le cœur du roi, p. 120-130.
45 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 67v.
46 Voir C. Raynaud, « La mise en scène du cœur », p. 320 : « Matthieu, Marc et Luc, les trois évangélistes, rappellent d’ailleurs ‘Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur’ et Jean ajoute ‘et votre cœur sera dans la joie’ ». (cf. Mt 22 : 37 ; Mc 12 : 30 ; Lc 10 : 27 ; Jn 16 : 22).
47 A. Guerreau-Jalabert, « Aimer de fin cuer », p. 360.
48 L. Scordia, « Concepts et registres de l’amour du roi dans le De regimine principum de Gilles de Rome », Amour et désamour du prince, du Haut Moyen Âge à la révolution française, Paris, Kimé, 2011, p. 45-57.
49 Ægidius Colonna, De regimine principum, éd. cit., lib. I, 3, 1, fol. 91r-93r.
50 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 21r-21v.
51 Sur la charité et le lien unissant Dieu, le roi et ses sujets, voir l’ouvrage essentiel de P. Aladjidi, Le roi père des pauvres : France XIIIe-XVe siècle, Rennes, PUR, 2008. L’auteur de l’Avis aus roys utilise le mot « charité » à 8 reprises tandis qu’il emploie le terme « amour » 41 fois.
52 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 21r. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : http://utu.morganlibrary.org/medren/single_image2.cfm?imagename=m456.021ra.jpg&page=ICA000097713#A2.
53 H. Millet, C. Rabel, La Vierge au manteau du Puy-en-Velay : un chef d’œuvre du gothique international, vers 1400-1410, Lyon, Fage, 2011, p. 63-79.
54 Ibid., p. 63 : la croyance dans le rôle protecteur des habits de la Vierge vient d’Orient (Byzance).
55 Ibid., p. 69.
56 La miniature du fol. 21r n’est pas la plus représentative de cette recherche d’universalité. On ne distingue parmi les sujets agenouillés aucun attribut suffisamment caractéristique d’un âge ou d’une dignité quelconque. Deux autres illustrations du programme iconographique reprennent également la mise en scène de la Vierge au manteau (fol. 6r et 9r) et mêlent explicitement hommes et femmes, laïcs et clercs. Certains historiens de l’art croient même reconnaitre dans le manteau fleurdelisé de ces miniatures une enveloppe correspondant au royaume de France (M. Camille, « The King’s New Bodies », p. 397).
57 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 21r-21v.
58 L’expression pour le moins imagée trouve son origine chez P. Vinken, The Shape, p. 15 et suiv.
59 C. Raynaud, « La mise en scène du cœur », p. 320-321.
60 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 21r.
61 R.-M. Ferré, La commande artistique à la cour de René d’Anjou : un concert de mots et d’images, Lille, Atelier national de Reproduction des Thèses, 2009, p. 171.
62 P. Vinken, The Shape, p. 33.
63 Ibid., p. 34-37. Parmi les exemples cités par l’auteur, contentons-nous de mentionner la Charité de la fresque de Lorenzetti peinte à Sienne vers 1340 et qui tient un cœur dans sa main gauche.
64 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 21r.
65 Cette position d’intercesseur se retrouve dans la disposition et la taille des figures, en suivant le sens de la lecture.
66 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 49r. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : http://utu.morganlibrary.org/medren/single_image2.cfm?imagename=m456.049ra.jpg&page=ICA000097734.
67 F. Garnier, Le langage de l’image au Moyen Âge : signification et symbolique, Paris, Le Léopard d’Or, 1982, p. 171-175.
68 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 49r.
69 Selon l’Apôtre (I Co 13 : 1), la charité commande toutes les vertus (voir L. Scordia, « Concepts et registres de l’amour du roi », p. 55).
70 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 103r.
71 Cf. J. Wirth, « L’iconographie médiévale du cœur amoureux », p. 206.
72 Cf. A. Bande, Le cœur du roi, p. 122.
73 Voir aussi J. Pigeaud, « Cœur organique. Cœur métaphorique », Micrologus : Il cuore, p. 23.
74 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 17r (citation non identifiée chez saint Augustin).
75 Ibid., fol. 21v.
76 Voir par exemple le traité de Frère Laurent, La Somme le roi, E. Brayer, A.-F. Leurquin-Labie (éd.), Paris, Société des anciens textes français, 2008, et l’étude de l’organe dans ce même texte par A. Bande, Le cœur du roi, p. 123-124.
77 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 94r : « Et pour tant disoit David li nobles roys : Non adhesit michi cor pravum etc., c’est a dire que personne de malvés cuer il ne souffroit mie prés de li » (III, 21).
78 Ibid., fol. 48r : « [...] ne ne doit l’an mie feindre defaut en li ne en autrui qui n’i soit mie, si comme font li ypocrite ou li moqueur ou cil qui sont de chetif cuer. Et ainsi veritez met attrempence entre ventence et fiction qui vient de defaut de cuer. » (I, 35).
79 Ibid., fol. 120r : « [...] cilz qui porte la beniere doit estre personne qui seet eslehue de grant force et constance, cuer de grant loyauté et de grant amour au prince et au bien commun » (IV, 12).
80 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, p. 316 ; J.-P. Boudet, « Jean Gerson et la Dame à la licorne », Religion et société urbaine au Moyen Âge. Études offertes à Jean-Louis Biget, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 551-563 ; I. Fabre, La doctrine du chant du cœur de Jean Gerson : édition critique, traduction et commentaire du « Tractatus de canticis » et du « Canticordum au pèlerin », Genève, Droz, 2005.
81 Pour des références bibliques du cœur en tant que siège des vertus et des vices, voir Bande, Le cœur du roi, p. 107-110.
82 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 42v.
83 Ibid., fol. 42v-43r : « [...] quar ceste vertus met attrempence de raison entre defaut de cuer et presumption en tel meniere que personne qui ha ceste vertus de magnaminité ne peut trop cheoir en desconfort pour nulle adversité ne estre vainement esleuee par grant prosperité. » (I, 30).
84 Ibid., fol. 71r° : « Item, il sont de grant courage pour les causes dessus dictes, quar il sont liberal, de grant chaleur et de grant esperance, et ce sont choses qui moult aydent a estre de grant cuer et de haut courage (...) ainsi la chaleur des jeunes genz les fait estre de plus grant et de plus haut cuer » (II, 20) ; Ibid., fol. 115v : « Item, aucuns ont cuers si femenins et si pouereus qu’il ne pevent veoir effusion de sang et n’est mie chose convenable a personne qui ha a guerroier quar trop li greveroit a veoir plaies en lui et en autrui. » (IV, 4) ; Ibid., fol. 125r-125v : « se il avoient perduee toute esperance d’eschaper ou de fuir il reprandroient leur cuer, et feroient comme desesperés dont il pourroit advenir grant peril. » (IV, 19) ; Ibid., fol. 136r-136v : « Aprés il ne doivent mie tenir trop de paroles en tel estat a gent de foible cuer, quar telles gens parlent voluntiers du meschief des siens et de la prosperité aux anemis et s’esbaïssent » (IV, 32).
85 Cf. A. Bande, Le cœur du roi, p. 120-121.
86 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 117v-118r : « [...] se uns homs est mors en guerre, il ne peut estre resuscité. Et se il est veincuns, il devient si esbaïs et si povereus que envix aura jamais bon cuer ne hardiesce de envayr son adversaire. » (IV, 8) ; fol. 119r : « [...] se il sont de grant cuer et hardi et qu’il ne s’esbaïssent pas de leger » (IV, 9) ; New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 135r : « Et des lors en avent ne se doit esbaïr de novelles qu’il oye, et si ne doit mie tenir pres de li gent de chaitif cuer mais preus et hardis qui tous jours le norrissent et confortent en son bon propos, quar qui verroit le prince desconforté l’an perdroit toute hardiesce et cuer de bien faire » (IV, 31).
87 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 42v. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : http://utu.morganlibrary.org/medren/single_image2.cfm?imagename=m456.042v.ipg&page=ICA000097727.
88 P. Vinken, The Shape, p. 62.
89 Ibid., p. 66.
90 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 42v. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : http://utu.morganlibrary.org/medren/single_image2.cfm?imagename=m456.042v.jpg&page=ICA000097727.
91 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 21r et 49r. Miniatures en ligne (consultées en juin 2013) : http://utu.morganlibrary.org/medren/singleimage2.cfm?imagename=m456.021ra.jpg&page=ICA000097713#A2 et http://utu.morganlibrary.org/medren/singleimage2.cfm?imagename=m456.049ra.jpg&page=ICA000097734.
92 Ibid., p. 44.
93 Ibid., p. 50-62.
94 J. Wirth, « L’iconographie médiévale du cœur amoureux », p. 197.
95 C. Raynaud, « La mise en scène du cœur », p. 316.
96 P. Vinken, The Shape, p. 42-43. À partir du XIIIe siècle, le cœur est tenu par la base, l’apex étant pointé vers le haut. À la fin du XIVe siècle, le cœur est de plus en plus figuré la pointe en bas et la base en haut. L’exemple le plus ancien recensé par Vinken est le cœur enflammé dans les mains de Charité sur un panneau peint par Giovanni del Biondo vers 1360. Selon toute vraisemblance, nos deux représentations de l’organe sont bien antérieures à cette date.
97 J. Wirth, « L’iconographie médiévale du cœur amoureux », p. 194.
98 P. Vinken, The Shape, p. 40.
99 Le chapitre I, 20 de l’Avis aus roys consacré à la vertu de prudence est le plus long du traité (3,48 %), devant celui dédié à l’enseignement de la foi (II, 13 ; 3,35 %). Pour arriver à ce résultat, le moraliste a « pioché » dans trois chapitres du De regimine principum de Gilles de Rome (I, 2, 7-9) et ajouté plusieurs passages originaux. Voir J. Lepot, Avis aulx roys et aus princes en leur gouvernement, p. 250-251 et 289-290.
100 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 5r : « li sage et li conseiller on l’office dou cuer ».
101 Ibid., fol. 26
102 Id.
103 Id.
104 Id.
105 Id.
106 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 26. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : http://utu.morganlibrary.org/medren/single_image2.cfm?imagename=m456.026r.jpg&page=ICA000097717.
107 A. Neschke-Hentschke, « Le rôle du cœur », Micrologus, Il cuore, p. 51.
108 Aristote, Les Politiques, R. Bodéüs (éd.), Paris, Flammarion, 2004, lib. I, cap. 5, p. 99-103, dans Ægidius Colonna, De regimine principum, éd.. cit., lib. I, 2, 8, fol. 40r.
109 Dante, Le Paradis, chant X, J. Risset (éd.), Paris, Flammarion, 2004, p. 98-107.
110 Sur le rapport du cœur au soleil chez Aristote, voir Th. Ricklin, « Le cœur, soleil du corps », Micrologus, Il cuore, p. 126 et 141.
111 Ibid., p. 129-143. Turisanus, médecin à la vision très aristotélicienne ayant exercé à l’université de Paris au début du XIVe siècle, déclare dans son Art médical que « l’esprit sort du cœur, comme la lumière du soleil. En effet, de même que le soleil est la source de la lumière, le cœur l’est de l’esprit, et de même que le soleil est le principe de la génération et de la corruption, universellement à l’origine de la vie dans le monde par son mouvement et sa lumière, ainsi le cœur est dans l’animal le principe de vie par son mouvement. » (Pietro Torrigiano, Plusquam commentum, Venise, Apud Juntas, 1557, fol. 35r cité dans D. Jacquart, La médecine médiévale dans le cadre parisien, Paris, Fayard, 1998, p. 362).
112 Luisa Capodieci établit également des liens entre la vertu de Prudence et l’éternité (L. Capodieci, Medicœa Medœa : art, astres et pouvoir à la cour de Catherine de Médicis, Genève, Droz, 2011, p. 198-204).
113 New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, fol. 4v.
114 New York, Pierpont Morgan Library, ms 456, fol. 4r. Miniature en ligne (consultée en juin 2013) : http://utu.morganlibrary.org/medren/singleimage2.cfm?imagename=m456.004r.jpg&page=ICA000097691.
115 Id.
116 Id.
117 G. Buhrer-Thierry, « Lumière et pouvoir dans le haut Moyen Âge occidental. Célébration du pouvoir et métaphores lumineuses », Mélanges de l’École française de Rome, 116-2, 2004, p. 521-556.
118 J.-P. Boudet, « Le roi-soleil dans la France médiévale », Micrologus, Il sole e la luna, vol. XII, Firenze, SISMEL, 2004, p. 455-478.
119 Ibid., p. 462.
120 Ibid., p. 464, n. 27.
121 Chirurgie de maître Henri de Mondeville chirurgien de Philippe le Bel, roi de France, composée de 1306 à 1320, E. Nicaise (éd.), Paris, F. Alcan, 1893, p. 60, citée par M. Gaude-Ferragu, « Le cœur “couronné” : tombeaux et funérailles de cœur en France à la fin du Moyen Âge », Micrologus, Il cuore, p. 243. Voir aussi A. Bande, Le cœur du roi, p. 118-119 : « [...] il (Mondeville) développait une métaphore nouvelle et importante. Situé au milieu de la poitrine [...], le cœur était, pour Mondeville, “comme un roi au milieu de son royaume”. Le corps humain s’organisait donc comme un royaume dont le souverain était le cœur, ce qui, à une période où l’analogie entre le corps humain et le corps social était fréquente, était toutefois une position originale ».
122 Selon Thomas Ricklin, Guillaume de Conches semble notamment avoir buté sur cette contradiction (cf. Th. Ricklin, « Le cœur, soleil du corps », Micrologus, Il cuore, p. 129).
123 E. Kantorowicz, Les deux corps du roi, Paris, Gallimard, 1989.
124 A. Bande, Le cœur du roi, p. 110.
125 Cette évolution ne se limite pas à l’entourage princier mais concerne probablement plus largement l’ensemble de la société politique.
126 Voir M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, p. 317.
127 En disposant de plusieurs lieux de sépulture, les princes espèrent multiplier les intercessions pour le salut de leur âme, ceci en dépit de l’avis même des théologiens qui soulignent l’inutilité de la pratique (Ibid., p. 323).
128 Selon Murielle Gaude-Ferragu, la volonté de Philippe le Bel est de faire de sa tombe de cœur au couvent des dominicains de la rue Saint-Jacques à Paris un lieu de mémoire (Ibid., p. 324). Avant de décider du sort de son propre organe, Philippe le Bel fait inhumer le cœur de son père dans ce même couvent dominicain. Comme l’écrit Alexandre Bande, « Philippe III est certainement le premier roi de France dont le cœur bénéficia d’une sépulture particulière » (A. Bande, « Philippe le Bel, le cœur et le sentiment dynastique », Micrologus, Il cuore, p. 269).
129 En faisant édifier son tombeau de cœur dans la cathédrale Notre-Dame de Rouen, Charles affirme sa présence en Normandie, convoitée par les Anglais. Son grand-père Philippe choisit pour son cœur l’église des Chartreux de Bourgfontaine.
130 M. Gaude-Ferragu, « Le cœur “couronné” », Micrologus, Il cuore, p. 247 et 254 : Louis Iet Louis III choisissent la cathédrale Saint-Maurice d’Angers pour ancrer leur présence au centre même de leur principauté. Dans son dernier testament daté de décembre 1383, le premier écrit : « Premierement nous elisons nostre sepulture pour nostre corps en la basse chapelle dessouz la sainte chapelle du palais a Paris derriere l’autel, et nostre cuer en l’eglise d’Angiers, et noz entrailles en l’eglise de monseigneur Saint Martin de Tours » (Paris, Arch. Nat., P 1334/17, n° 34 dans R.-M. Ferré, La commande artistique, p. 286).
131 M. Gaude-Ferragu, « Le cœur “couronné” », Micrologus, Il cuore, p. 244.
132 Par la bulle Detestande feritatis promulguée en 1299, Boniface VIII interdit la pratique qu’il juge abominable (voir E. A. R. Brown, « Death and the Human Body in the Later Middle Ages : the Legislation of Boniface VIII on the Division of the Corpse », The Monarchy of Capetian France and Royal Ceremonial, E. A. R. Brown (éd.), Aldershot, Variorum, 1991, p. 254-257).
133 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres, p. 329.
134 R.-M. Ferré, La commande artistique, p. 170.
135 Le cycle continu évoqué ici pourrait se résumer ainsi : le cœur est le siège des vertus et donc de la prudence associée à la lumière et au soleil qui renvoie lui-même au cœur.
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Référence papier
Julien Lepot, « Le cœur équivoque dans l’Avis aus roys : un « miroir des princes » du XIVe siècle », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 26 | 2013, 273-294.
Référence électronique
Julien Lepot, « Le cœur équivoque dans l’Avis aus roys : un « miroir des princes » du XIVe siècle », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 26 | 2013, mis en ligne le 30 décembre 2016, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13418 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13418
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