Justice humaine et justice divine dans la Visio Tnugdali et le Tractatus de Purgatorio Sancti Patricii
Résumés
L’étude de ces deux récits du XIIe siècle montrera comment l’image irlandaise de l’univers contribuera à définir la Justice divine dans l’ordre cosmique ; comment la Justice divine, sous l’influence de Rome, et les événements politiques de l’époque modifieront la conception irlandaise de la justice humaine ; et comment la conception de la Justice divine dans sa miséricorde contribuera à définir cet espace intermédiaire situé entre terre et ciel, enfer et paradis.
Texte intégral
- 1 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge. « Les Visions du chevalier Tondal » de David Aubert et sa (...)
- 2 D. A. Binchy, « Irish Benedictine communities in medieval Germany », Studies, Dublin, 18, 1929, p. (...)
- 3 Das Buch vom « Espurgatoire S. Patrice » der Marie de France und seine Quelle, éd. K. Warnke, Hall (...)
- 4 Voir Y. de Pontfarcy, « A note on the two dates given for the foundation of Baltinglass », Journal (...)
1Deux récits issus d’Irlande au XIIe siècle, héritiers d’une longue tradition eschatologique continentale et insulaire, offrent chacun à leur manière une conceptualisation de la Justice divine qui ne prend totalement son sens que dans le contexte politique et culturel de leurs auteurs. L’un, la Visio Tnugdali1 écrit par le moine irlandais, Marcus, à Ratisbonne2 en 1149 est la vision du guerrier Tnugdal qui, au cours d’un coma de trois jours, visita en esprit l’au-delà, en souffrit les tourments et en goûta les délices. L’autre est le [Tractatus] de Purgatorio sancti Patricii (appelé par la suite Tractatus) écrit par le moine cistercien anglo-normand H(enry) de l’abbaye de Saltrey (Angleterre) qui en donna deux versions, une courte en 1184, et une longue avant 11893. Il rapporte ce qu’il entendit du moine Gilbert de Louth qui, avant de devenir abbé de Basingwerk (1154-1179), au Pays de Galles, avait fondé en 11484 le monastère de Baltinglass (sud-ouest de Dublin) sur des terres données par Dermot Mac Murrough, roi de Leinster. Ce roi lui donna pour interprète le chevalier Owein qui confia à Gilbert l’expérience de son pèlerinage pénitentiel dans la fosse portant le nom de « Purgatoire de Saint Patrick ».
- 5 A. et B. Rees, Celtic Heritage. Ancient Tradition in Ireland and Wales, Londres, 1961 rééd. 1978, (...)
- 6 Le gaélique côiced, aujourd’hui cûige « cinquième » signifie aussi « province ».
- 7 Voir F. Le Roux, « Le calendrier gaulois de Coligny (Ain) et la fête irlandaise de Samain (*Samoni (...)
2L’ancienne Irlande se concevait comme microcosme et accordait une importance capitale aux zones frontières spatiales et temporelles qui, images du centre cosmique, avaient une fonction essentiellement médiatrice5. Ainsi était-elle divisée en quatre provinces (Ulster, Connacht, Leinster, Munster) auxquelles s’ajoutait une cinquième6 celle de Meath (Mide) « Le Milieu », située à l’est, aux frontières des quatre autres et là où dans les mythes résidait à Tara, le haut roi d’Irlande. Donc les zones frontières des divers royaumes étaient aussi images du centre, lieu de résidence des rois et là où seront bâtis les monastères. L’autre côté de la frontière était potentiellement l’autre monde. Pour cette raison il était proche de l’homme situé horizontalement, au cœur de notre monde, de l’autre côté de la rivière ou du lac, sur les îles, sur le sommet d’une hauteur, sous les flots ou sous terre. Il en était de même pour le temps : Samain (le moderne Halloween) était le point où l’ancienne et la nouvelle année se rencontraient, où les frontières entre ce monde et l’autre disparaissaient. Pendant les trois jours de célébrations, les dettes à payer aux puissances infernales étaient de mise ainsi que celles dues pour les animaux7.
- 8 Voir Y. de Pontfarcy, The Vision of Tnugdal, p. 85-87.
- 9 Dans le texte, Samain n’est pas précisé, mais au nombre des quatre événements mentionnés par Marcu (...)
- 10 Pour le lien entre consommation de nourriture et mort voir C. Walker Bynum, The Resurrection of th (...)
3Dans la Visio Tnugdali et le Purgatoire de Saint Patrick (la fosse), la Justice divine reflétée dans l’ordre du cosmos, repose sur cette image celtique du centre. Marcus ouvre son introduction par une description de l’Irlande8, une île, in ultimo occidentali oceano posita. La vision a lieu à Cork (sud du Munster, près de l’océan) et à Samain, lorsque Tnugdal s’en alla réclamer le paiement de ses chevaux à son ami9, qui ne pouvait le payer mais l’invita à sa table. Alors que Tnugdal tendait la main pour se servir, il tomba dans le coma. Tous ces lieux, temps et moments « de passage » (colère restreinte par l’amitié, absorption de nourriture10) se conjuguent pour ancrer dans la réalité l’expérience de Tnugdal, tout en créant cet espace intermédiaire, propre à une ouverture sur l’au-delà.
- 11 Il s’agit de l’Île des Stations dans le Lough Derg (Donegal) qui, dès le VIIe siècle, devait servi (...)
- 12 Voir Y. de Pontfarcy, L’Espurgatoire, p. 46-50.
- 13 Voir A. T. Lucas, « Souterrains : The Literary Evidence », Beâloideas, 39-41, 1971-1973, p. 165-19 (...)
4Semblablement l’emplacement historique du Purgatoire de Saint Patrick n’est pas un hasard. Lorsque l’archevêque d’Armagh voulut créer son nouveau centre de pèlerinage, pour remplacer celui de l’ascension de Croagh Patrick, qui avait passé dans le nouvel archevêché du Connacht, il choisit cette île11 dans ce lac encerclé de montagnes, situé à la frontière de plusieurs royaumes et diocèses12. Les Chanoines de Saint Augustin récemment installés dans l’ancien monastère avaient ouvert au public la possibilité de pratiquer pour une durée limitée les pénitences des reclus, dont l’enfermement dans une fosse13 nommée « Purgatoire de Saint Patrick ». La fonction de cet espace intermédiaire qui était de rapprocher spirituellement le pénitent de Dieu, deviendra ‘littérairement’ un accès physique à l’au-delà.
- 14 Pour l’importance de la symbolique des nombres en Irlande, voir A. et B. Rees, Celtic Heritage..., (...)
- 15 C. Butler, Number Symbolism, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1970, p. 27-28.
5Cet ordre cosmique, image de la Justice divine, se retrouve dans la composition des œuvres. La Visio Tnugdali qui rassemble la totalité de la connaissance de l’au-delà, est organisée en une structure basée sur la symbolique du nombre pour créer cette image des espaces intermédiaires et du centre14. Le texte dans sa totalité est composé de vingt-sept parties (nombre lunaire) et le récit est divisé en vingt-quatre chapitres (nombre solaire). L’au-delà est couvert par vingt-deux chapitres (2x11) à l’image de la Cité de Dieu de Saint Augustin15. Il repose sur l’opposition d’un espace de ténèbres et puanteur à un espace de lumière et parfums, chacun divisé en deux parties, d’un côté ceux qui attendent le Jugement de Dieu (on en déduit que c’est à la fin des temps, mais ce n’est pas précisé) et ceux qui, dans les lieux inférieurs, sont déjà jugés ; de l’autre, ceux qui attendent l’appel de Dieu (au Jugement dernier) et ceux qui, dans les hautes sphères célestes, sont déjà auprès de Dieu.
- 16 Les non valde mali et les mali valde, les non valde boni et les boni valde : Enchiridion XXIX, 110 (...)
- 17 Marcus ne mentionne que les non valde mali et les non valde boni, les uns à l’extérieur et les aut (...)
- 18 St John D. Seymour, « The Seven Heavens in Irish Literature », Zeitschrift für Celtische Philologi (...)
- 19 J. Cassien, Institutions Cénobitiques V, 1, éd. et trad. J.-Cl. Guy, Sources Chrétiennes 109, Pari (...)
- 20 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 84, 8.
- 21 Selon Macrobe « c’est le premier nombre qui puisse être divisé en deux nombres égaux également div (...)
6Cette division en quatre catégories reflète celle par rapport au bien et au mal de saint Augustin et Bède dans la Vision de Drycthelm16 toutefois Marcus la modifie en retirant des ténèbres, les non valde mali17 et en les plaçant dans l’espace de lumière, et en faisant visiter à Tnugdal tous les emplacements alors que Drycthelm ne visita que les lieux où les âmes attendaient le Jugement dernier. En plus, chez Marcus, ces quatre catégories couvrent sept états d’âmes reflétant les sept cieux de la tradition irlandaise et rabbinique classique18. Dans l’espace des ténèbres, il y a dix tourments dont huit en enfer supérieur, miroir peut-être des huit péchés que les moines doivent éviter selon Cassien (IV-Ve siècles)19 ; il se trouve aussi que dans le huitième, les âmes sont tourmentées dans les forges du bourreau nommé Vulcain20 et que selon Macrobe, huit, le nombre de Vulcain, est celui qui symbolise la Justice21. L’enfer inférieur, séjour des damnés, est couvert par trois chapitres, miroir inversé des trois cieux de saint Paul (II Cor., XII, 2-4). De l’autre côté, dans l’espace de lumière, il y a cinq espaces (à l’image peut-être des cinq royaumes de l’Irlande) : aux deux espaces du campus laetitiae (dehors et dedans séparés par une porte) s’ajoutent les trois enclos du paradis (au mur d’argent, au mur d’or et au mur de pierres précieuses) et ces trois enclos sont couverts par sept chapitres.
7La progression verticale est soulignée par la mention de deux mouvements de descente dans l’espace des ténèbres et deux mouvements d’ascension dans l’espace de lumière qui introduisent une division ternaire tout en dramatisant ces espaces et recréant des zones frontières. Ainsi le huitième tourment est-il isolé, le pire de l’enfer supérieur, mais sans comparaison avec, en dessous, les tourments de l’enfer inférieur. Inversement, la première mention d’ascension valorise le premier enclos du paradis par rapport à l’espace des médiocres (en dehors et à l’intérieur du campus laetitiae), et la deuxième mention d’ascension élève au plus haut des cieux les deux autres enclos du paradis.
- 22 Nous rejoignons les opinions de A. B. van Os, Religious Visions. The development of the eschatolog (...)
8Entre l’enfer inférieur et le paradis céleste se trouve un vaste espace intermédiaire occupant les deux tiers de l’espace textuel, et au centre duquel dans l’espace de lumière, les pas tout à fait mauvais et pas tout à fait bons sont situés en dehors et en dedans du campus laetitiae. Celui-ci joue la fonction de centre cosmique, le siège de la royauté, image symbolique et idéale du Munster avec ses rois réconciliés Conchobhar (O’Brien) et les deux frères Cormac et Donnagh (Mac Carthy) ; c’est un espace qui n’est pas sans tourment mais il y coule la Fontaine de Vie, et froid, pluie et faim sont en dehors. Donc, dans son image de l’au-delà, Marcus reflète la Justice divine dans l’ordre cosmique créé par Dieu en ce monde et dans l’autre22.
- 23 Voir The Medieval Pilgrimage to St Patrick’s Purgatory. Lough Derg and the European Tradition, éd. (...)
- 24 De Sacramentis Christianae Fidei II, XVI, 4, éd. Migne P.L., 176, col. 586B: voir R. Easting, « Pu (...)
9Cet espace intermédiaire dans l’imaginaire cosmique irlandais permettait des allers et retours de l’au-delà comme il est raconté dans la littérature des immrama et ce que fit, en chair et en os, le chevalier Owein (et bien d’autres pèlerins jusqu’au XVIe siècle23) à partir de la fosse appelée « Purgatoire de Saint Patrick ». La structure de l’au-delà du moine de Saltrey est traditionnelle, elle reproduit celle de la Vision de Drycthelm : quatre espaces dont deux seulement sont visités ; un lieu de tourments et le paradis terrestre, qui, dans le Tractatus, sont reliés par un pont extrêmement élevé, étroit et glissant. Ce changement a peut-être été inspiré par un commentaire de Hugues de Saint Victor24, que le moine de Saltrey reprend dans son prologue :
Creduntur tamen tormenta maxima, ad que culpa deorsum premit, in immo esse, maxima uero gaudia, ad que per iusticiam sursum ascenditur, in summo ; in medio autem bona et mala media (Warnke, p. 10 : 90-97) [On pense que les plus grands tourments vers lesquels nos fautes nous conduisent, sont au plus bas et inversement les plus grandes joies vers lesquelles nous nous élevons par le respect de la justice sont au plus haut ; quant au milieu on trouve ce qui est à mi-chemin entre le bien et le mal.]
10La progression se fait horizontalement, depuis la porte d’entrée à travers la zone des tourments et en passant par le pont jusqu’au paradis terrestre où, du haut de la montagne, on peut voir la porte du paradis céleste. On retrouve la même idée du nombre dans la structure textuelle : la version courte du Tractatus est divisée en vingt-deux parties et la version longue en vingt-sept parties. L’ajout du tourment du pont élève à dix le nombre de tourments et permet au moine de Saltrey d’intégrer les deux images de l’enfer de l’Ancien Testament, l’une dans un puits (Is. 14, 15 ; Ezech. 31, 16), et l’autre dans les eaux enflammées d’un lac (Apoc. 20, 14), tout en illustrant la traîtrise des démons qui avaient prétendu initialement que l’entrée de l’enfer était le puits. Quant au paradis terrestre, il est couvert par trois chapitres, exprimant la totalité de l’expérience du chevalier Owein sur le plan physique (la visite du lieu), intellectuel (l’allocution des archevêques qui l’ont accueilli et lui ont expliqué la fonction de ces lieux) et spirituel (lorsqu’il reçoit la nourriture céleste), adaptant ainsi l’image des trois cieux de saint Paul.
- 25 Voir F. Kelly, A Guide to Early Irish Law, Dublin, Institute for Advanced Studies, 1988, p. 7-10 e (...)
- 26 Par exemple dans le Pénitentiel de Finnian par. 6 et 7, il est dit d’un coupable qui aurait eu l’i (...)
11Si la Justice divine dans l’ordre cosmique s’est laissée « influencer » par la conception des zones intermédiaires de l’espace celtique, inversement par l’intermédiaire de Rome elle va modifier la conception irlandaise des infractions à la loi morale. En effet, l’ancienne société irlandaise avait ses propres lois qui admettaient les mariages consanguins, le droit à plusieurs épouses, le divorce et le mariage du clergé ; la justice était adaptée au rang social ; l’homicide, une sérieuse offense, était néanmoins permis pour punir tout affront à la loi (un voleur prit en flagrant délit, un prisonnier dont la rançon n’a pas été payée)25. Donc, de même que la loi de Rome devint la base de la conception de la Justice divine dans l’espace romain, de même la loi de l’Irlande était dans son pays le modèle pour régler les rapports de Dieu et des pécheurs26.
- 27 A. Gwynn, The Twelfth Century Reform, Dublin, Gill and Son, 1962, p. 13-16. Toutefois, pour ne pas (...)
12Or, au XIIe siècle, deux grands changements apparurent en Irlande. Le premier fut la décision, adoptée au synode de Cashel (1101), d’aligner les lois de l’Église irlandaise sur les lois de l’Église de Rome. Ces réformateurs établirent huit décrets qui, entre autres, rejetaient l’abus de simonie, la direction des monastères par des laïcs, le mariage du clergé, fixaient les degrés de consanguinité permis pour le mariage et accordaient à l’Église le droit de sanctuaire à l’exclusion des meurtriers27.
- 28 Voir J.-M. Boivin, L’Irlande au Moyen Âge...
- 29 Ed. Warnke, p. 20, 62-64.
13L’autre événement fut en 1169 l’invitation de Dermot Mac Murrough, roi de Leinster, au Normand, Richard Fils Gilbert de Clare, comte de Pembroke, surnommé Strongbow, pour l’aider à regagner son trône dont il avait été évincé ; en remerciement il lui offrait sa fille en mariage et la succession de son trône. La conséquence imprévue fut l’installation des Normands en Irlande et leur découverte avec étonnement de ce pays et de ses mœurs. Le choc et l’incompréhension de leurs coutumes apparaissent clairement dans la Topographie de l’Irlande (1188) de Giraud de Barri28 qui, entre autres, mentionne leurs relations sexuelles immorales et leurs divorces (III, 98 et 101), leur traîtrise (III, 99 et 101), leur choquante habitude d’avoir toujours une hache de guerre avec eux (III, 100), comme le fait Tnugdal qui la confia à l’épouse de son ami avant de tomber dans le coma. Semblablement le Tractatus écrit quelque trente-cinq ans après que Gilbert de Louth a entendu le récit du chevalier Owein, est aussi le produit de cette fascination et d’un jugement de cette culture irlandaise. Le moine de Saltrey rapporte une anecdote de Gilbert, qui raconte l’oubli d’un vieil homme dans sa confession à saint Patrick, de mentionner qu’il avait tué car il ne considérait pas cela comme un péché, et le narrateur ajoute : Hec ideo dixi ut eorum ostenderem bestialitatem29.
- 30 « Il vit la gloire de ceux qui sont en-dessous, les tourments des pécheurs et la terre entière com (...)
- 31 Ceux qui ont donné leur vie pour leur foi, et sans doute aussi ceux qui ont consacré totalement le (...)
- 32 St Rúadán, le saint patron du monastère de Lorrha (VIe siècle), au nord du Tipperary était vénéré (...)
- 33 Marcus mentionne trois saints : Celestinus (Cellach, archevêque d’Armagh qui mourut en 1129) l’un (...)
14Dans la Visio Tnugdali, la Justice divine est démontrée dans son exactitude et sa minutie, elle a aussi la fonction subtile de soutenir les réformateurs. L’enclos le plus riche (au mur de pierres précieuses) bien que sur le même plan horizontal que le précédent (au mur d’or), est symboliquement plus élevé puisque c’est de là que Tnugdal contempla le Créateur et eut une vision cosmique de l’univers30. Dans cet enclos se trouvent les anges, les vierges, les apôtres, les patriarches, les saints et les martyrs31. Les saints personnages mentionnés révèlent les sympathies de Marcus : son attachement pour sa terre d’origine (Saint Patrick), l’œuvre missionnaire et la pérégrination de ses moines32, ainsi que son soutien des réformateurs33. Autrement dit pérégrination, sainte vie monacale, fondation de monastères en Irlande et hors d’Irlande ainsi que la réforme apparaissent totalement approuvées et glorifiées par la Justice divine.
- 34 Voir J.-M. Boivin, L’Irlande au Moyen Âge...
- 35 L’exacte définition est : meurtre de parent, homicides et meurtres secrets : voir D. A. Binchy, « (...)
- 36 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 32, 3-4.
- 37 Ibid., p. 80, 6-8.
- 38 The Death Tales of the Ulster Heroes, trad. Kuno Meyer, Dublin, Royal Irish Academy, 1906, rééd. 1 (...)
- 39 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 46, 1-2.
- 40 Et prevaricatus jusjurandum : Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 120, 10-11.
- 41 Saint John D. Seymour, « Studies in the Vision of Tundal », p. 90.
- 42 Marcus est en accord avec Honorius Augustodunensis (Elucidarium III, 3-6) qui voyait aussi une pla (...)
15Dans les espaces intermédiaires, la destination des âmes n’est évidemment pas définitive et pour certaines d’entre elles n’est pas statique. L’enfer supérieur est donc traversé par les âmes qui sont en route vers l’enfer inférieur, par les âmes qui vont vers le paradis, afin qu’elles se réjouissent de voir ce à quoi elles ont échappé, et il est un espace de purification pour les autres. Les tourments punissent soit la transgression des dix commandements (les homicides et les voleurs), soit la pratique des péchés capitaux (l’orgueil, l’avarice, la gloutonnerie et la luxure). La traîtrise et la perfidie punies dans le deuxième tourment semblent un écho à la réaction horrifiée de Giraud de Barri (Topographia Hibernica III, 99 et 101)34. Deux péchés sont souvent mentionnés et suggèrent cette contribution de Marcus à l’effort des réformateurs : l’un est relatif au meurtre et l’autre à la luxure. Les premiers pécheurs que Tnugdal rencontre, sont les homicides, parricides et fratricides, qui, au IXe siècle, dans une table de commutations pénitentielles sont considérés indignes de toute rémission de pénitence35 (c’est peut-être pour cette raison que Marcus ajoute qu’ils sont destinés à de pires tourments36). Les fornicateurs sont punis au sixième et au septième tourments, il s’agit des hypocrites qui prétendent être religieux, ceux qui ne pratiquent pas la chasteté et n’ont pas une honnête vie, et tous ceux qui se sont souillés dans une excessive luxure37. En plus, meurtre et adultère sont les fautes non mentionnées (mais à l’époque, en Irlande, tout le monde le savait) des deux héros mythiques du Cycle d’Ulster, Fergus (mac Rôich) et Conall (Cernach)38, qui, l’un debout sur ses pieds et l’autre sur sa tête, tiennent ouverte la gueule du monstre Achéron. Leur situation est plus inconfortable que douloureuse ; le fait qu’ils n’étaient pas chrétiens et ont respecté les lois de leur époque a été pris en compte : et suis temporibus in secta ipsorum tam fidèles39. Ces mêmes fautes en surface sont responsables des souffrances du roi Cormac, dans le campus laetitiae. Trois heures par jour il est revêtu d’une haire en punition du meurtre d’un de ses vassaux qu’il a ordonné dans une église : il aurait donc fait violer le droit de sanctuaire de l’église que les réformateurs essayaient de faire accepter et que lui même avait dû soutenir puisque Marcus ajoute que, ce faisant, le roi trahissait son serment40. Il est en même temps plongé jusqu’à la ceinture dans un bain de feu pour son adultère : il semble que ce soit une référence à une deuxième épouse, la nièce de son ennemi Conchobhar O’Brien, qu’il aurait prise pour signer leur alliance contre le roi du Connacht41. C’est une subtilité de Marcus pour faire adopter aux grands de ce monde les idées des réformateurs d’autant plus que les gens mariés et fidèles sont récompensés dans le premier enclos du paradis42, mais les vierges sont accueillis dans le troisième enclos, au plus haut du paradis.
- 43 Voir ci-dessus note 4 et Th. O’Loughlin, Celtic Theology. Humanity, World and God in Early Irish W (...)
- 44 L. Bieler, The Irish Penitentials, p. 4.
- 45 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 54, 10-14.
16Toutefois, l’exactitude de la Justice divine décrite par la mesure des tourments qui est proportionnée aux fautes et compensée par les bonnes actions reflète une analogie avec la rigueur du système humain de la justice tel qu’il est décrit dans les Pénitentiels43. Ainsi non seulement les actions sont-elles rétribuées mais aussi les intentions44. Le pont étroit et plein de clous acérés au-dessus d’un lac rempli de monstres prêts à dévorer les voleurs qui y tombent, est traversé sans chute mais non sans douleur par Tnugdal accompagné d’une vache qu’il avait eu l’intention de voler ; et à mi-chemin il rencontre un homme qui portait des gerbes, tous les deux pleuraient et priaient l’autre de reculer pour le laisser passer ; finalement, miraculeusement, ils se croisent. L’ange explique que les coupables de petites offenses souffriront moins que ceux coupables de grandes offenses, et dans le cas de sacrilège (vol d’un objet sacré), si le coupable est un membre du clergé sa faute sera jugée plus importante45.
- 46 Voir Y. de Pontfarcy, The Vision of Tnugdal, p. 12-17.
- 47 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 114, 4-5.
- 48 Bernard de Clairvaux célébra aussi la générosité de ce roi dans sa Vie de St Malachie IX, 18, voir(...)
17La situation dans le campus laetitiae (l’espace des non valde boni) des trois rois contemporains donne une autre occasion à Marcus d’exprimer son soutien pour les réformateurs que Conchobhar (O’Brien) et Cormac (Mac Carthy) ont encouragés, ainsi que ses affinités politiques (il accorde cinq fois plus de place au roi Cormac dont un parent était l’abbé du monastère de Saint Jacques de Ratisbonne (où, sans doute, Marcus résidait46). Toutefois, ces rois ont mérité et gagné leur destination : Donnagh (Mac Carthy) et Conchobar (O’Brien) se sont repentis de leur mutuelle hostilité avant de mourir47. Quant au roi Cormac, en dehors des trois heures où il souffre la punition de ses fautes, tous ses autres péchés lui ont été pardonnés à cause de sa grande charité, et les vingt-et-une heures restantes il vit dans un cadre luxueux, célébré par tous les pauvres envers qui il fut généreux48. Cette insistance sur le rachat des fautes de ces rois est moins une indulgence de la Justice divine que l’insistance du pouvoir que chaque être possède sur son avenir dans l’au-delà par la pratique ici-bas du pardon à autrui et de la charité.
- 49 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 10, 3-10.
- 50 Ibid., p. 24, 1 ; p. 88, 4 et p. 89 note 3.
18Dans cette perspective l’expérience de Tnugdal est aussi la marque d’un Jugement divin en ce monde. Tnugdal était un guerrier aux mœurs frivoles, qui s’occupait plus de son plaisir que de son âme49 et s’attendait à ce que chacun se conduise avec exactitude à son égard. Son coma et sa vision de l’autre monde dont il souffrit les tourments et vit la gloire sont un exemple « réel » de la miséricorde de Dieu qui ne veut pas « la mort du pécheur, mais qu’il s’écarte de sa voie et qu’il vive » (Ez. 33, 11, citation utilisée à deux reprises par Marcus50). Or, cette union intrinsèque de la justice et de la miséricorde comme image de l’expression de la totalité de la Justice divine est souvent exprimée tout au long du récit. Par exemple lorsque les diables arrivent pour s’emparer de l’âme terrifiée de Tnugdal, l’ange tente de le réconforter en lui disant :
Sed quia Deus misericordiam semper prefert judicio, tibi etiam non deerit indebita ejus misericordia. Tantum esto secura et leta, quia patieris pauca de multis, que patereris, nisi tibi subvenisset misericordia nostri Redemptoris. (Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 26, 3-6) [Parce que Dieu montre sa miséricorde dans Son jugement, Sa pitié que tu ne mérites pas, ne te fera point défaut. Au contraire tu auras de la chance et tu n’as rien à craindre parce que tu souffriras bien peu des nombreux tourments que tu aurais dû souffrir si la miséricorde de Celui qui racheta tous les homme ne t’eût secourue.]
- 51 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 26, 7-12.
- 52 Ibid., p. 68, 3-5.
19Ce pardon divin révolte les démons qui, au nom de la justice, réclament ce qui leur est dû51, mais la miséricorde ne signifie pas que le pécheur échappe à la justice, parce que la miséricorde fait partie de la justice : lorsque l’âme de Tnugdal est totalement déprimée après avoir subi le tourment punissant gloutonnerie et luxure, l’ange lui dit : « Maintenant que tu as souffert les tourments que tu méritais, tu remercieras Dieu quand tu verras ceux que par Sa miséricorde Il t’épargne52 ».
- 53 P. Brown, « The Decline of the Empire of God. Amnesty, Penance and the Afterlife from Late Antiqui (...)
20Bien que le pardon soit au centre de l’enseignement du Christ, ne serait-ce que dans sa Promesse du Paradis au bon larron (Luc 23, 39-43), selon Peter Brown, l’importance accordée à la miséricorde divine chez les auteurs du Haut Moyen Âge viendrait du modèle impérial pour lequel l’amnistie était une expression de la puissance de la souveraine justice, alors que la miséricorde divine est moins présente dans les anciens textes irlandais du fait de leur différent contexte politique et de l’influence du rigorisme pénitentiel53. La Visio Tnugdali montrerait donc une ouverture apportée à la conception irlandaise de la Justice divine peut-être par l’intermédiaire des réformateurs.
- 54 Voir aussi H. Spilling, Die Visio Tnugdali, p. 48-59.
- 55 The Works of St Patrick, Saint Secundinus, Hymn on St Patrick, trad. L. Bieler, New York, Newman P (...)
21Tnugdal a bien compris la leçon. Dès qu’il fut réveillé de son coma, il distribua ses biens aux pauvres et demanda que le signe de la croix soit apposé sur ses vêtements, signifiant ainsi son intention de poursuivre en ce monde ce voyage intérieur entreprit sur le chemin de l’au-delà54 ; car en Irlande, l’idée de pèlerinage était, outre un voyage vers un lieu saint, une retraite de ce monde, un exil, une vie de pénitence : saint Patrick appela peregrinatio sa vie d’exil en Irlande (Confession, chap. 37)55. C’est cette même idée de pèlerinage-pénitentiel qui est la raison de la visite du chevalier Owein au Purgatoire de Saint Patrick.
- 56 Ed. Warnke, p. 152, 4-5.
22Dans le Tractatus, le Jugement divin tout aussi sévère qu’il soit dans la description des tourments inspirés de la Vision de Saint Paul et de l’Elucidarium (III, 14), est moins précis que dans la Visio Tnugdali, parce qu’il n’y a aucune mention de la nature des péchés pas plus qu’il y a celle des vertus qui donnent accès au paradis. Toutefois, les anecdotes qui entourent le voyage dans l’au-delà du chevalier Owein prônent la charité et condamnent d’une manière ou d’une autre ces deux délits : meurtre et concupiscence, comme la faute, déjà mentionnée, du vieil Irlandais qui ne savait pas que tuer était un péché grave. Les autres illustrent la fonction punitive des démons en ce monde - lorsqu’ils enlèvent à un paysan la nourriture qu’il avait refusé de donner à deux clercs qui lui demandaient la charité -et leur fonction de tentateurs, lorsqu’ils s’efforcent de détourner de la chasteté les hommes qui se consacrent à Dieu. Dans une des anecdotes, ils prennent l’apparence de femmes pour séduire un ermite (qui en apparence y résiste mais en réalité y succombe) selon ce qu’aurait découvert un chapelain. Dans une autre, ils utilisent la ruse, en exploitant la charité d’un saint prêtre : ils abandonnent un bébé dans le cimetière, en espérant que le prêtre succombera aux charmes de la jeune fille que deviendra le bébé. Mais le prêtre défie toutes les tentations en s’émasculant. Ces récits insistent donc sur l’importance de la charité et de la chasteté, un thème central du monachisme depuis ses débuts mais, ajouté ici à la référence au meurtre non confessé, qui suggère un soutien aux réformateurs dont le plus célèbre, saint Malachie, qui introduisit les Cisterciens en Irlande, est mentionné56.
23Les deux archevêques qui accueillent Owein au paradis terrestre lui expliquent la fonction de ces lieux : toutes les âmes qui sont en leur compagnie, sont passées par ces lieux de tourments afin d’être purifiées, elles y restent plus ou moins longtemps selon ce qu’elles méritent, toutes seront finalement sauvées et viendront dans ce lieu de repos, mais aucune des âmes ne sait combien de temps elle sera torturée ; toutefois leurs peines sont soulagées et la durée de leurs tourments raccourcie par les prières offertes à leur intention. Au paradis terrestre les deux archevêques emmènent Owein au sommet de la montagne pour voir tout là-haut dans le ciel la porte du paradis céleste où tous les jours Dieu accueille des âmes et une fois par jour, envoie Sa nourriture, sous la forme de langue de feu, à celles du paradis terrestre, une « action » exprimée premièrement dans les origines fictives du Purgatoire de Saint Patrick. Lorsque les Irlandais refusaient de se laisser convertir à moins qu’ils ne vissent les tourments infligés aux mauvais et la joie des justes, saint Patrick se mit en prières, vigiles, jeûnes, pénitences et bonnes actions pour obtenir leur conversion. Touché, Dieu conduisit le saint à cette fosse dans un désert. Celui qui aurait une foi solide et le désir de se repentir et y resterait un jour et une nuit, verrait les tourments des pécheurs et la joie des bénis, et aurait tous les péchés de sa vie pardonnés.
- 57 Y. de Pontfarcy, L’Espurgatoire, p. 117 note.
- 58 Semblablement saint Patrick dans un rêve où le démon le tentait, fut sauvé par Jésus lorsqu’il app (...)
24Deuxièmement, on sort de la fiction dans la description du rituel d’accès au Purgatoire de Saint Patrick : quinze jours de jeûnes, veilles et prières qui précèdent l’enfermement de vingt-quatre heures dans la fosse, à l’image de la cérémonie d’entrée en réclusion57. C’est pour obtenir la rémission divine de ses fautes qu’Owein entreprit la pénitence la plus dure, et cela contre l’avis de son évêque, car beaucoup entrèrent au Purgatoire et jamais ne revinrent (allusion non comprise aux reclus qui se retiraient dans cette île). Mais la miséricorde divine ne lui fit pas défaut parce que lorsque les messagers accueillirent Owein dans l’au-delà, ils lui dirent que l’invocation du nom de Jésus le sauverait de tous les périls58. Non seulement ceci s’avéra juste, mais suggère aussi le libre accès de chaque individu à la miséricorde divine d’autant plus que le Purgatoire de Saint Patrick est un lieu réel et ouvert aux courageux pénitents.
- 59 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 4, 4-7. Voir H. de Lubac, Exégèse médiévale, Paris, Au (...)
- 60 N. F. Palmer, Visio Tnugdali. The German and Dutch Translations and their Circulation in the later (...)
25Justice divine et justice humaine selon la loi de Rome sont donc intimement liées au point que l’Irlande fut incitée à modifier ses propres lois. Mais l’imaginaire irlandais des zones frontières va contribuer à déterminer l’ordre cosmique de la Justice divine dans la définition de cet état intermédiaire entre l’enfer et le paradis, ce monde et l’autre. La Visio Tnugdali est le récit qui détaille le plus les diverses expressions et conséquences du Jugement divin. Lorsque dans son prologue, Marcus désigne par misterium la vision qu’expérimenta Tnugdal, suggérant un nécessaire dépassement vers la réalité spirituelle59, c’est à la grandeur de la Justice divine, à la fois dans Son exactitude et Sa miséricorde, qu’il réfère. Le Tractatus de Purgatorio Sancti Patricii va un pas plus loin, il prouve la réalité de l’ordre cosmique de la Justice divine, puisqu’elle est accessible au fond de cette fosse, et l’indissociable union du Dieu-Juge et du Dieu-Amour pour quiconque a le courage d’assumer des pénitences pour sa propre rédemption et celle des autres. La vaste circulation de ces récits en Europe60 va contribuer à définir les trois formes du Jugement divin qui punit, sauve et récompense, et nourrir l’espoir en la miséricorde divine.
Notes
1 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge. « Les Visions du chevalier Tondal » de David Aubert et sa source la « Visio Tnugdali » de Marcus, éd., trad. et comm., Berne, Peter Lang, 2010, cette édition de la Visio Tnugdali vient du ms. de Gand, Universiteitsbibliotheek, 316 ; Die ‘Vision des Tnugdalus’ Albers von Windberg. Mit einer Edition der lateinischen « Visio Tnugdali » aus Clm 22254, éd. B. Pfeil, Frankfort sur Main, Peter Lang, 1999, son édition offre une comparaison avec quinze autres ms. ; Visio Tnugdali. Lateinisch und Altdeutsch, éd. A. Wagner, Erlangen, 1882, rééd. Zurich/New York, Olms, 1989, recréation de la version supposée originale d’après 7 ms. (dont 6 sont repris par Pfeil) ; The Vision of Tnugdal, trad. J.-M. Picard, introd. Y. de Pontfarcy, Dublin, Four Courts Press, 1989; Cl. Carozzi, « Structure et Fonction de La Vision de Tnugdal », Faire Croire : Modalité de la diffusion et de la réception des messages religieux du XIIe siècle au XIVe siècle, éd. A. Vauchez, Rome, École Française de Rome, 1981, p. 223-234 (p. 225); H. Spilling, Die Visio Tnugdali, Munich, Arbeo-Gesellschaft, 1975; Saint John D. Seymour, « Studies in the Vision of Tundal », Proceeding of the Royal Irish Academy, 37, 1926, p. 87-106.
2 D. A. Binchy, « Irish Benedictine communities in medieval Germany », Studies, Dublin, 18, 1929, p. 194-210.
3 Das Buch vom « Espurgatoire S. Patrice » der Marie de France und seine Quelle, éd. K. Warnke, Halle, 1938, rééd. Genève, Slatkine 1976 donne les deux versions du Tractatus. Nous reprenons l’éd. de Warnke dans notre édition et traduction Marie de France. L’Espurgatoire SeintPatriz, Louvain, Peeters, 1995.
4 Voir Y. de Pontfarcy, « A note on the two dates given for the foundation of Baltinglass », Journal of the Royal Society of Antiquaries, Dublin, 118, 1988, p. 163-164.
5 A. et B. Rees, Celtic Heritage. Ancient Tradition in Ireland and Wales, Londres, 1961 rééd. 1978, Chap. V; Padraig O’Riain, « Boundary Association in Early Irish Society », Studia Celtica, 7, 1972, p. 12-29.
6 Le gaélique côiced, aujourd’hui cûige « cinquième » signifie aussi « province ».
7 Voir F. Le Roux, « Le calendrier gaulois de Coligny (Ain) et la fête irlandaise de Samain (*Samonios) », Ogam, 9, 1957, p. 337-342 ; Y. de Pontfarcy, The Vision of Tnugdal, p. 17-29.
8 Voir Y. de Pontfarcy, The Vision of Tnugdal, p. 85-87.
9 Dans le texte, Samain n’est pas précisé, mais au nombre des quatre événements mentionnés par Marcus pour dater la vision, la mort de St Malachie (le 2 novembre 1148) et le fait que Tnugdal soit allé chercher le paiement de ses chevaux, ne laissent aucun doute.
10 Pour le lien entre consommation de nourriture et mort voir C. Walker Bynum, The Resurrection of the Body in Western Christianity (200-1336), New York, Columbia University Press, 1995.
11 Il s’agit de l’Île des Stations dans le Lough Derg (Donegal) qui, dès le VIIe siècle, devait servir d’ermitage pour le premier monastère celtique qui, lui, était situé un peu plus au nord, sur l’Île des Saints. Elle n’est pas mentionnée par H. de Saltrey, mais l’est par Giraud de Barry, dans sa Topographie de l’Irlande (II, 38), voir J.-M. Boivin, L’Irlande au Moyen Âge. Giraud de Barri et La Topographia Hibernica 1188, Paris, Champion, 1993.
12 Voir Y. de Pontfarcy, L’Espurgatoire, p. 46-50.
13 Voir A. T. Lucas, « Souterrains : The Literary Evidence », Beâloideas, 39-41, 1971-1973, p. 165-191.
14 Pour l’importance de la symbolique des nombres en Irlande, voir A. et B. Rees, Celtic Heritage..., Chap. IX.
15 C. Butler, Number Symbolism, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1970, p. 27-28.
16 Les non valde mali et les mali valde, les non valde boni et les boni valde : Enchiridion XXIX, 110, Oeuvres de Saint Augustin, IX , éd. et trad. J. Rivière, Paris, Études Augustiniennes, 1947, p. 302-305, et Bede, Historia Ecclesiastica gentis Anglorum V, 12, éd. et trad. J. E. King, Cambridge, Harvard University Press, 1930.
17 Marcus ne mentionne que les non valde mali et les non valde boni, les uns à l’extérieur et les autres à l’intérieur du campus laetitiae et ne donne pas de noms aux ‘résidents’ des autres espaces.
18 St John D. Seymour, « The Seven Heavens in Irish Literature », Zeitschrift für Celtische Philologie, 14, 1923, p. 18-30; J. Carey, « The seven heavens and the twelve dragons in Insular apocalyptic », Apocalyptic and eschatological heritage, the Middle East and Celtic Realms, éd. M. McNamara, Dublin, Four Courts Press, 2001, p. 121-136. Voir aussi A. Y. Collins, Cosmology and Eschatology in Jewish and Christian Apocalypticism, Leiden, Brill, 2000, Chap. II.
19 J. Cassien, Institutions Cénobitiques V, 1, éd. et trad. J.-Cl. Guy, Sources Chrétiennes 109, Paris, Cerf, 1965, p. 190-191, qui consacre un « Livre » à chacun de ces huit vices et leurs « remèdes ».
20 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 84, 8.
21 Selon Macrobe « c’est le premier nombre qui puisse être divisé en deux nombres égaux également divisibles en deux nombres égaux » : Macrobe, Commentaire sur le Rêve de Scipion, V, 17, trad. W. Harris Stahl, New York, Columbia U. P., 1952.
22 Nous rejoignons les opinions de A. B. van Os, Religious Visions. The development of the eschatological elements in mediaeval English religious literature, Amsterdam, H. J. Paris, 1932, p. 55, et R. Verdeyen, « À propos de la Vision de Tondale », Nuovi Studi Medievali, 1, 1923-24, p. 228-254 (p. 238), qui louent la manière dont Marcus a su réunir des éléments disparates dans une parfaite unité ; ce faisant nous nous opposons aux opinions de Carozzi, « Structure et Fonction de La Vision de Tnugdal » (p. 223-234), qui n’y voit que la collection de toutes les divisions de l’Au-delà, et J. Le Goff, La naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981, p. 258-259, qui pense que le manque d’unité vient d’une confusion chez Marcus de la conception de l’espace et du temps.
23 Voir The Medieval Pilgrimage to St Patrick’s Purgatory. Lough Derg and the European Tradition, éd. M. Haren et Y. de Pontfarcy, Enniskillen, Clogher Historical Society, 1988.
24 De Sacramentis Christianae Fidei II, XVI, 4, éd. Migne P.L., 176, col. 586B: voir R. Easting, « Purgatory and the Earthly Paradise », Cîteaux, 37, 1986, p. 23-48 (p. 28-32).
25 Voir F. Kelly, A Guide to Early Irish Law, Dublin, Institute for Advanced Studies, 1988, p. 7-10 et 128-129.
26 Par exemple dans le Pénitentiel de Finnian par. 6 et 7, il est dit d’un coupable qui aurait eu l’intention de tuer son voisin, si c’est un clerc il doit faire pénitence pour la durée d’une demie année, si c’est un laïc pour une période de sept jours : L. Bieler, The Irish Penitentials, Dublin, Institute for Advanced Studies, 1963, p. 77.
27 A. Gwynn, The Twelfth Century Reform, Dublin, Gill and Son, 1962, p. 13-16. Toutefois, pour ne pas s’aliéner le soutien des rois, ces réformateurs n’ont pas fortement exprimé leurs opinions sur le droit d’avoir plusieurs épouses et le divorce.
28 Voir J.-M. Boivin, L’Irlande au Moyen Âge...
29 Ed. Warnke, p. 20, 62-64.
30 « Il vit la gloire de ceux qui sont en-dessous, les tourments des pécheurs et la terre entière comme dans un rayon de soleil, en plus il vit ce qui était à la fois devant et derrière lui et plus il acquit la pleine connaissance de toutes choses » : Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 144 par. 2 et p. 145 note 2 ; Id., The Vision of Tnugdal, p. 80-81.
31 Ceux qui ont donné leur vie pour leur foi, et sans doute aussi ceux qui ont consacré totalement leur vie à la pénitence et la mortification selon l’élargissement en Irlande du concept de martyre : voir H. Connolly, The Irish Penitentials, Dublin, Four Courts Press, 1995, p. 13.
32 St Rúadán, le saint patron du monastère de Lorrha (VIe siècle), au nord du Tipperary était vénéré dans les Schottenklöster (les monastères que les Irlandais ont fondé en Germanie), et Nemias, évêque de Cloyne, près de Cork, mort en 1148-1149 à quatre-vingt quinze ans, et peut-être anciennement moine à Wurzburg : voir D. O’Riain-Raedel, « Aspects of the Promotion of Irish Saints’ Cults in Medieval Germany », Zeitschrift fur Celtische Philologie, 39, 1982, p. 220-234.
33 Marcus mentionne trois saints : Celestinus (Cellach, archevêque d’Armagh qui mourut en 1129) l’un des chefs de la première génération, celui de la seconde génération St Malachie (+1148) et Christianus (évêque de Clogher et Louth, qui mourut en 1138), il était le frère de Malachie et le soutint.
34 Voir J.-M. Boivin, L’Irlande au Moyen Âge...
35 L’exacte définition est : meurtre de parent, homicides et meurtres secrets : voir D. A. Binchy, « The Old Irish Table of Penitential Commutations », Ériu, 19, 1962, p. 47-72 (p. 58-59, par. 5).
36 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 32, 3-4.
37 Ibid., p. 80, 6-8.
38 The Death Tales of the Ulster Heroes, trad. Kuno Meyer, Dublin, Royal Irish Academy, 1906, rééd. 1993, p. 32-35 et « The Cherishing of Conall Cernach and the Deaths of Ailill and Conall Cernach », Zeitschrift für Celtische Philologie, 1, 1904, p. 102-111 : Fergus était l’amant de la reine Medb, il fut tué sur l’ordre du roi jaloux lorsqu’il les surprit ensemble ; pour venger la mort de Fergus et à la demande la reine Conall tua le roi.
39 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 46, 1-2.
40 Et prevaricatus jusjurandum : Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 120, 10-11.
41 Saint John D. Seymour, « Studies in the Vision of Tundal », p. 90.
42 Marcus est en accord avec Honorius Augustodunensis (Elucidarium III, 3-6) qui voyait aussi une place attribuée à « une catégorie de justes qui n’ont pas de péchés à expier mais qui ne sont pas parfaits parce qu’ils ne sont ni moines ni vierges ni martyrs » : voir Y. Lefèvre, L’Elucidarium et les Lucidaires. Contribution par l’histoire d’un texte à l’histoire des croyances religieuses au Moyen Âge, Paris, E. de Boccard, 1954, p. 443 et p. 165 note 3.
43 Voir ci-dessus note 4 et Th. O’Loughlin, Celtic Theology. Humanity, World and God in Early Irish Writings, Londres, Continuum, 2000, en particulier Chap. III, p. 53-56.
44 L. Bieler, The Irish Penitentials, p. 4.
45 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 54, 10-14.
46 Voir Y. de Pontfarcy, The Vision of Tnugdal, p. 12-17.
47 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 114, 4-5.
48 Bernard de Clairvaux célébra aussi la générosité de ce roi dans sa Vie de St Malachie IX, 18, voir Bernard de Clairvaux. The Life and Death of Saint Malachy the Irishman, trad. R.T. Meyer, Kalamazoo, 1978, p. 35-36.
49 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 10, 3-10.
50 Ibid., p. 24, 1 ; p. 88, 4 et p. 89 note 3.
51 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 26, 7-12.
52 Ibid., p. 68, 3-5.
53 P. Brown, « The Decline of the Empire of God. Amnesty, Penance and the Afterlife from Late Antiquity to the Middle Ages », Last Things. Death and The Apocalypse in the Middle Ages, éd. C. Walker Bynum et P. Freedman, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1999, p. 41-59 (p. 47-53).
54 Voir aussi H. Spilling, Die Visio Tnugdali, p. 48-59.
55 The Works of St Patrick, Saint Secundinus, Hymn on St Patrick, trad. L. Bieler, New York, Newman Press, 1953, p. 32.
56 Ed. Warnke, p. 152, 4-5.
57 Y. de Pontfarcy, L’Espurgatoire, p. 117 note.
58 Semblablement saint Patrick dans un rêve où le démon le tentait, fut sauvé par Jésus lorsqu’il appela Elias à son secours : un épisode des Confessions de St Patrick, repris dans la Vie Tripartite: Bethu Phátraic. The Tripartite Life of St Patrick, éd. et trad. W. Stokes, Londres, Rolls, 1887, p. 363.
59 Y. de Pontfarcy, L’Au-delà au Moyen Âge, p. 4, 4-7. Voir H. de Lubac, Exégèse médiévale, Paris, Aubier, 1959, II, p. 399 : Le mystère « est l’élément intérieur, la réalité cachée sous la lettre et signifiée par le signe, la vérité qu’indique la figure... ».
60 N. F. Palmer, Visio Tnugdali. The German and Dutch Translations and their Circulation in the later Middle Ages, Munich, Artemis Verlag, 1982; B. Pfeil, Die ‘Vision des Tnugdalus.’ Albers von Windberg. éd. cit.; La Vision de Tondale. Les versions françaises de Jean de Vignay, David Aubert, Regnaud le Queux, éd. M. Cavagna, Paris, Champion, 2008 ; R. Easting, St Patrick’s Purgatory, Oxford, University Press, 1991; K. Walsh, « Bishop John O’Corcoran (1373-1389) at the University of Prague, the Purgatorium Sancti Patricii and the debate about Purgatory in the later middle ages », Clogher Record (Enniskillen), 16, 1997, p. 7-36 ; M. White-Le Goff, Changer le Monde. Réécritures d’une légende. Le Purgatoire de Saint Patrick, Paris, Champion, 2006.
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Référence papier
Yolande de Pontfarcy, « Justice humaine et justice divine dans la Visio Tnugdali et le Tractatus de Purgatorio Sancti Patricii », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 26 | 2013, 199-210.
Référence électronique
Yolande de Pontfarcy, « Justice humaine et justice divine dans la Visio Tnugdali et le Tractatus de Purgatorio Sancti Patricii », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 26 | 2013, mis en ligne le 30 décembre 2016, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13406 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13406
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