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Musique et littérature au Moyen Âge : héritage et témoignage des travaux de Pierre Aubry et Jean Beck

La musique médiévale vue par un moderne : la poétique musicale de Charles-Albert Cingria

Alain Corbellari
p. 177-191

Résumés

Charles-Albert Cingria (1883-1954) n’est pas seulement l’un des plus grands écrivains suisses romands du XXe siècle (ami et compagnon de route de Ramuz), il est aussi l’un des rénovateurs essentiels de notre vision du Moyen Âge ; sa réhabilitation de l’art des troubadours, dont la prétendue répétitivité lui semble précisément la raison d’être, s’inscrit dans une réflexion plus vaste qui part d’une méditation très savante sur le chant grégorien dont il récuse l’interprétation plane et éthérée qui en est habituellement donnée. Il aboutit ainsi, par delà les époques, à une exaltation du jazz et de la musique de Stravinski, considérés comme les héritiers à peu près uniques au XXe siècle d’une esthétique non-sentimentale foncièrement médiévale qui représente, pour Cingria, la seule façon « normale » d’envisager la musique.

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Texte intégral

1Plus encore que sa littérature, la musique du Moyen Âge est un objet complexe qui exige d’être manié à la fois par des spécialistes et par des praticiens pour que ses qualités et sa force nous soient restituées dans leur véritable plénitude. Or, il arrive que les spécialistes soient davantage requis par la science que par l’art, plus intéressés à replacer ce qu’ils exhument dans le tableau périodique des produits de l’esprit humain qu’à offrir un accès à des œuvres que le public pourrait aimer et chérir au même titre que celles des époques plus récentes. Et à ce jeu la musique sort plus souvent perdante que la littérature.

  • 1 J’exagère à dessein : les chansonniers français du Moyen Âge contiennent déjà bien des mélodies d’ (...)

2S’il s’en faut que la littérature médiévale ait pâti dans toutes les cultures occidentales d’un rejet aussi spectaculaire que celui qui se manifesta en France aux siècles classiques, la musique de cette époque a par contre, en effet, connu une éclipse générale due à ce qu’il faut bien appeler les différences de nature qui séparent ces deux arts. Alors que la littérature s’est constituée, dès l’Antiquité, à travers la monumentalisation de ses réalisations les plus prestigieuses (la question du dépassement d’Homère ne se pose pas, c’est-à-dire qu’elle se pose toujours), la musique a longtemps suivi un chemin infiniment plus humble : pour des raisons techniques autant qu’épistémologiques (sa notation n’a été jusqu’au XIVe siècle qu’une sténographie, et il a fallu bien des siècles encore avant que ses usagers cessent de la juger approximative), l’idée même de perpétuer un « répertoire » autre que strictement liturgique et très généralement anonyme n’a guère effleuré les esprits avant que quelques Anglais n’aient l’idée saugrenue de continuer de jouer les oratorios de Haendel après la mort de leur auteur1.

  • 2 Voir le compte rendu d’un de ces concerts par Alfred de Vigny, Journal d’un poète, Paris, Delagrav (...)

3Que la résurrection de la musique ancienne ait pris dès Fétis des allures à la fois de reconstitution archéologique et de démonstration d’étrangeté2 n’a donc rien de fortuit, et il est significatif que la réhabilitation véritable de la musique du Moyen Âge ait pris beaucoup plus de temps que celle de la littérature de cette époque ; est-elle seulement achevée aujourd’hui ? De fait, les enjeux sont autres : une littérature peut exister dans la pratique solitaire des lecteurs individuels ; une musique qui n’est pas jouée n’existe littéralement plus.

4Rejouer la musique médiévale, c’est donc la confronter de manière nécessaire et directe à ses exécutants, sinon à son public. En effet, même si ce dernier, par la grâce de l’enregistrement, est de plus en plus virtuel, il faut bien qu’il y ait eu à un moment des musiciens qui aient produit et reproduit ces sons : aucune musique ne se joue de manière convaincante sans un minimum d’amour, sans cette participation empathique dont l’éditeur érudit peut parfois si bien se passer.

5C’est dire qu’il se pourrait que la résurrection de la musique du Moyen Âge soulève des enjeux plus graves encore que celle de sa production littéraire, enjeux proportionnels à la place que, depuis le XIXe siècle, cet art musical, devenu l’art des masses par excellence, occupe dans notre culture, ou plus exactement dans notre civilisation, dont il a justement radicalement bouleversé les repères culturels.

6Charles-Albert Cingria n’est évidemment pas le seul artisan de ce bouleversement ; il y joue néanmoins sur le plan épistémologique un rôle essentiel, bien que resté en grande partie méconnu du grand public. Surtout, référence avouée de quelques-uns des plus importants créateurs littéraires de la France d’aujourd’hui, Cingria nous paraît un auteur plus actuel que jamais et nous semble mériter, à ce titre, de se voir commenté dans ce numéro des Cahiers de recherches médiévales et humanistes dédié aux rapports de la musique et de la littérature au Moyen Âge, tant il est vrai que le regard que nous portons aujourd’hui sur cette question ne saurait faire l’économie de sa propre archéologie.

  • 3 « Impressions d’un passant à Lausanne », Œuvres complètes (voir note 7), t. III, p. 32.
  • 4 Voir P.-O. Walzer, Les Vies de Charles-Albert Cingria, t. 3, L’Ame antique, Lausanne, L’Âge d’homm (...)
  • 5 Voir P.-O. Walzer, Les Vies de Charles-Albert Cingria, t. 1, Le Sabordage de « La Voile latine », (...)
  • 6 Voir l’impressionnant sommaire de la « Couronne de Charles-Albert Cingria », n° spécial de la Nouv (...)
  • 7 Œuvres complètes et Correspondance générale, éd. par P.-O. Walzer, Lausanne, L’Âge d’homme, 1967-1 (...)

7De mère polonaise et de père français de Constantinople originaire de Raguse, Charles-Albert Cingria (1883-1954) se disait « Italo-franc levantin »3 et il y a en effet dans son style et dans ses goûts musicaux comme une nostalgie de l’ancienne Byzance4. Catholique pourtant, au point d’avoir été un temps proche de l’Action française, il n’en est pas moins né à Genève, et a participé, auprès de Ramuz, à l’éclosion de la littérature romande moderne, dont il a été l’un des plus éminents représentants5. Proche aussi de Stravinsky, dont il s’est fait l’infatigable thuriféraire, pour des raisons qu’éclairera la suite de notre exposé, il a été de son temps admiré par Claudel, Cocteau, Jouhandeau, Max Jacob, Jean Follain, Mandiargues, Etiemble et surtout Paulhan, qui l’a accueilli à la NRF6, ce qui n’a pas empêché Cingria de vivre pauvre et de rester méconnu du grand public. Le plus remarquable est que cette admiration de ses pairs s’est renouvelée trente ans après sa mort : à la suite de Jacques Réda, un Pierre Michon, un Pierre Bergounioux, un Guy Gofette, un Valère Novarina, un Gérard Macé ont clamé leur admiration pour l’auteur du recueil emblématique Bois Sec Bois vert, paru en 1948, premier et dernier tome d’une tentative avortée (faute de succès) d’Œuvres complètes chez Gallimard. Ce n’est qu’à partir de 1969 que les véritables Œuvres complètes de Cingria ont commencé de voir le jour chez L’Âge d’homme à Lausanne, entreprise aujourd’hui relayée par un vaste projet d’édition enfin critique (pour des textes qui, à tout point de vue, en ont bien besoin !) en cours chez le même éditeur7.

  • 8 D’une bibliographie longtemps restée assez maigre, citons quelques repères généraux : Charles-Albe (...)
  • 9 Titre d’un petit texte de 1942, republié dans les Œuvres complètes (ancienne édition, que nous cit (...)

8La désaffection du grand public pour cette œuvre majeure s’explique pour les mêmes raisons qui font de Cingria l’un des auteurs phares de nombre d’auteurs contemporains : pas de roman, pas de recueil poétique, mais des textes brefs et inclassables, mêlant récit, vraie-fausse confidence, itinéraire, essai et billet d’humeur au gré d’un imaginaire à la fois capricant et solidement appuyé sur une cohérence intérieure qui n’échappe pas longtemps au lecteur attentif8. Dans cette forêt de textes émergent trois essais de plus longue haleine, tous trois (ce qui ne rassure guère le public !)... d’érudition médiévale : La Civilisation de Saint-Gall (1929), Pétrarque (1932) et La Reine Berthe (1947). Même si on peut aborder son œuvre par différents biais (un Jacques Réda a par exemple privilégié chez lui le promeneur qui faisait l’« éloge simplement de ce qui existe »9), il est difficile de faire totalement abstraction de son rapport au passé, car si Cingria aime si intensément le présent c’est précisément parce qu’il y retrouve constamment, plus que les traces, mais véritablement les signes tangibles d’un passé jamais totalement disparu. Comme Pascal Quignard, Cingria est en effet de ceux qui se sentent « contemporains de tout ce qu’ils aiment », attitude au fond antihistorique, ou du moins antihistoriciste qui met Cingria, défenseur enthousiaste du jazz naissant, de plain-pied avec les soucis de la culture la plus contemporaine. On commence sans doute à entrevoir ici en quoi son intervention dans le débat musical moderne est essentielle.

  • 10 Lettre du 8 mars 1905 à Adrien Bovy, Correspondance générale, Lausanne, L’Âge d’homme, 1972, t. II (...)

9Cingria a d’ailleurs mis longtemps à se décider à faire œuvre littéraire : sa première vocation était la musique ; il conserva jusqu’à sa mort une épinette dont il jouait avec prédilection. Pourtant, nous ne connaissons aucune composition musicale de sa plume, malgré d’alléchantes promesses : en 1905, il informe par exemple son meilleur ami, qu’il projette d’écrire une musique où il ne se servirait que « de trois notes »10, anticipant de quinze ans les « musiques d’ameublement » de Satie, compositeur qu’il ne connaît alors pas encore mais en qui il reconnaîtra plus tard un frère.

10Si ses premiers articles datent de ces années-là, et s’il envisage dès 1904 un ouvrage sur Pétrarque pour le sixième centenaire de la naissance de l’auteur du Canzoniere, sa production littéraire ne démarre véritablement qu’une vingtaine d’années plus tard, suite au double traumatisme de la ruine (il avait passé une enfance dorée, mais la Guerre et divers revers allaient faire fondre l’héritage constantinopolitain) et d’un emprisonnement de quelques mois dans une prison romaine (suite à une affaire embarrassante : il avait été surpris avec deux jeunes garçons sur une plage privée du Duce). Dès la parution de La Civilisation de Saint-Gall, il ne sera décidément plus qu’écrivain. Son œuvre va dès lors s’épanouir sur les bases de son triple amour du Moyen Âge, de la musique et de l’instant présent.

  • 11 Sans doute tout-à-fait indépendamment de Cingria, Jacques Chailley a également pris la défense de (...)
  • 12 Voir J.-C. Genoud, « ‘Le Traité de rythmologie plainchantique ou le grégorien revisité par Charles (...)

11Pour autant, Cingria n’est pas de ces auteurs qui se sont longtemps cherchés : dès ses premiers articles, son ton inimitable est trouvé, et ses idées musicales sont déjà tout entières dans un Essai de définition d’une musique libérée des moyens de la raison discursive paru en 1910, avant même, donc, que ne se soient manifestés à lui Stravinsky et le jazz, qui n’apporteront, de ce fait, que des confirmations au bien-fondé de sa poétique. Cingria est alors plongé dans la musique grégorienne et les théories musicales de l’Antiquité : dans des écrits à peine plus tardifs restés pour certains inédits, et dont il fera la synthèse dans La Civilisation de Saint-Gall, il prend parti pour Aristoxène de Tarente qui, seul contre Pythagore, Boèce et tout le Moyen Âge savant, défendait l’idée que la musique était d’abord faite pour être écoutée11. Surtout, il lui emprunte sa théorie d’un « temps premier indivisible » qui lui semble au principe du vrai chant grégorien et qui fait de celui-ci une musique joyeuse, bondissante, inattendue, pour tout dire « dionysiaque » (ou « dionysienne » comme dit volontiers Cingria) – bref, aux antipodes de la conception « plane » défendue par les moines de Solesmes. On sait que le débat, que l’on pouvait croire clos il y a cinquante ans, au profit du camp opposé à celui revendiqué par Cingria12, est aujourd’hui rouvert par des musiciens comme Marcel Pérès qui n’hésitent pas à faire appel à l’analogie des exubérants chants corses, sardes ou siciliens pour comprendre la pratique médiévale.

12Il n’est cependant que très peu question du plain-chant dans l’Essai de définition qui s’intéresse bien davantage à ce qu’il faut bien appeler une catastrophe : celle qui a présidé à la rupture de l’ancienne alliance entre la musique et le nombre, et qui a introduit la sensibilité et l’imitation dans l’art des sons. Cingria définit ainsi ce qu’il appelle la « musique anormale » :

  • 13 Œuvres complètes, t. 1, p. 194.

toute musique subordonnée au raisonnement dialectique c’est-à-dire toute combinaison de sons ayant pour objet de satisfaire l’esprit, en s’appliquant à figurer par un contour mélodique imitatif, la variété des sentiments que comporte l’énonciation d’une proposition raisonnable. Se rattachent à cette conception toutes les formes d’art qui sont nées du récitatif italien, depuis Caccini jusqu’à Wagner13.

  • 14 Il évoque par exemple dans Le M’sieur d’Arcueil (Œuvres complètes, t. IX, p. 294) « le majeur et l (...)

13Et Cingria de citer un air d’Eurydice dans l’Orphée de Gluck, puis de l’opposer à deux fragments de plain-chant, dont on soulignera qu’il les appelle également « airs », l’un tiré de l’antiphonaire de Saint-Gall, l’autre de la liturgie arménienne, référence particulièrement importante pour lui, dans la mesure où les traditions proche-orientales (il parle encore plus volontiers du chant « syrien »14) représentent à ses yeux un pont entre la musique de la Grèce antique et le chant grégorien.

  • 15 F. Nietzsche, La Naissance de la tragédie, trad. par Geneviève Bianquis, Paris, Gallimard, « Folio (...)
  • 16 Voir F. Nietzsche, Le Cas Wagner, trad. par Jean-Claude Hémery, Paris, Gallimard, « Folio », 1974, (...)

14La catastrophe, on l’aura compris, correspond précisément à ce moment clé également pointé par Nietzsche dans La Naissance de la tragédie, qu’est l’invention de l’opéra autour de 1600 au sein de la « Camerata florentine ». Si nos deux exégètes sont également sceptiques face à cette invention, ils n’invoquent pas les mêmes raisons. Nietzsche dénonce l’esprit « alexandrin » des inventeurs de l’opéra dont la trouvaille « satisfait un besoin qui n’a rien d’esthétique »15, manque que Wagner aurait génialement retourné en réinvestissant l’opéra d’un esprit dionysiaque dont il était primitivement la négation. Cingria, par contre, inclut Wagner dans le naufrage d’une forme musicale irrémédiablement fausse à ses yeux par son sentimentalisme proprement anti-musical et, ce faisant, donne la main au dernier Nietzsche qui avait renié Wagner précisément parce qu’il avait fini par comprendre que son esthétique n’était au fond pas plus musicale que les buts poursuivis par les inventeurs du genre !16

15Cingria avait-il lu La Naissance de la tragédie au moment d’écrire son Essai de définition ? Il y a lieu de croire que non, car ni le nom du philosophe allemand ni l’adjectif dionysiaque (ou dionysien) n’apparaissent dans son texte, alors que trente ans plus tard, dans Le Musical pur, qui reprendra à nouveaux frais, dans la NRF, la théorie exposée en 1910, la référence nietzschéenne sera explicitement présente dès les premières lignes (entre-temps elle aura d’ailleurs également été affichée dans le Saint-Gall). Ce ne serait, en somme, là, qu’une nouvelle preuve de l’extraordinaire prescience de Cingria qui, dès 1910, n’avait besoin de personne pour annoncer les nouveaux chemins qu’allait prendre la musique et son esthétique.

16À l’inverse de cet art intempestivement expressif dont il dénonce la stérilité, Cingria définit la musique normale comme

  • 17 Œuvres complètes, t. I, p. 195-196.

une agréable combinaison des sons ayant pour objet de satisfaire non la raison, mais une faculté contemplative toute spéciale, qui échappe à la compréhension des termes et que l’on pourrait imparfaitement appeler : sens de la délectation supérieure. Elle aboutit en nous, cette musique, comme un terme et non comme un moyen. Elle ne sollicite pas notre énergie, mais nous l’absorbons comme ferait un miroir qui, au lieu de refléter les images, les absorberait pour sa propre délectation ; devenus passifs de son charme, nous en savourons les effets seuls comparables à ceux d’une puissante incantation17.

17On se retient difficilement de penser que, s’il avait alors lu le premier livre de Nietzsche, Cingria n’aurait pas résisté à la tentation de décrire cette « puissante incantation » comme « dionysiaque » : il est remarquable qu’il ne le fasse pas.

  • 18 Voir P. Michon, « La Danseuse », Trois auteurs, Lagrasse, Verdier, 1997, p. 49-75.

18Mais surtout, il convient d’admirer l’apparent paradoxe dialectique : c’est la distance et la passivité mêmes, cette délectation qui nous fait penser à la « finalité sans fin » en quoi réside, pour Kant, la sublimité de l’art, qui nous emporte dans la transe. L’audition musicale devient le lieu d’une expérience mystique, d’un état à la fois de détachement et de ravissement, dont Cingria trouvera la plus parfaite expression dans une miniature fameuse du tropaire 1118 de Saint-Martial de Limoges (Xe siècle), représentant une moniale qui semble flotter au-dessus du vide, tel un danseur de corde nietzschéen. C’est la seule des nombreuses images accompagnant ses essais à être reproduite dans les trois monographies majeures qu’il écrira. De cette « jongleresse », dont Pierre Michon s’est amusé à relever les résurgences cachées dans l’œuvre cingrienne18, Cingria a laissé une description vibrante dans un petit texte isolé resté inédit jusqu’à aujourd’hui. Après avoir stigmatisé une fois de plus l’« hypothèse antimusicale des Bénédictins », il salue en effet dans cette image l’incarnation absolue d’un rythme primordial qui transcende les cultures et les époques :

  • 19 Document conservé au Centre de Recherches sur les Lettres Romandes, Université de Lausanne.

Le rythme est donc ce qu’il a été toujours. Ouvrez vos sens à ce qu’est le rythme actuellement, vous avez le rythme éternel. Ceux qui nous disent que le rythme des Grecs ou celui des Hébreux ou celui des premiers Chrétiens fut différent, ont mal consulté les documents et surtout mal écouté les traditions qui vivent encore.
L’on devrait partir de cette vie encore actuelle que représente la cantillation folklore romane dans tant de pays, car ce n’est qu’un doublet du plain-chant. Ces mélismes, qui se chantent encore, doivent avoir le même rythme que ces neumes qui se sont écrites au temps de Notker et des grands Celtes fondateurs de notre poésie lyrique. Mais il faudrait pour cela plus de documents, à savoir plus de disques (car je ne crois qu’à cela). À défaut, alors, l’on peut redescendre des certitudes indéniables que nous avons actuellement sur l’art des Troubadours : insister sur ce moment qu’image à perfection la jongleresse, où grégorien et chant de jongleurs furent de la même étoffe et pour ainsi dire confondus19.

  • 20 « Sur le Zéjel », Œuvres complètes, t. VI, p. 269.
  • 21 Pétrarque, Œuvres complètes, t. V. p. 33 (note).
  • 22 Voir citation suivante.

19Précisons au demeurant que le parallèle que propose ici Cingria entre le plain-chant et la lyrique troubadouresque n’a rien d’une revendication de filiation exclusive. À preuve son article « Sur le Zéjel », paru en 1938 dans la NRF, où il accueille à bras ouverts la thèse de Ramon Menendez Pidal démontrant l’influence de la lyrique arabe sur celle du sud de la France. Cingria prend même un malin plaisir à y remarquer que les preuves fournies par l’érudit espagnol sont de celles qui « dérangent les savants »20, notre écrivain n’ayant, comme on le sait, qu’un respect modéré pour ceux qu’il appelle ailleurs les « messieurs à faux-col »21 ou les « insectes romanistes »22, ce qui ne l’empêche au demeurant nullement de tirer son chapeau à ces savants lorsqu’ils en semblent dignes, tel ici Menendez Pidal ou, ailleurs, Arthur Piaget (à propos d’Othon de Grandson), ou encore le grand Gianfranco Contini, dont il fut même l’ami du temps que celui-ci enseignait la philologie à l’Université de Fribourg.

  • 23 Voir en particulier Ph. Mottet, « Les troubadours de Charles-Albert Cingria », Six essais de litté (...)

20La relation empathique de Cingria avec les troubadours ayant déjà été amplement étudiée23, on ne s’y attardera guère ici, sinon pour rappeler que ses travaux, aussi peu universitaires qu’ils soient, ont donné une inflexion essentielle à la recherche sur la lyrique occitane. Cingria est en effet tout simplement le premier à avoir battu en brèche le mépris des érudits officiels pour ces poésies « répétitives » et « insincères » en nous proposant un radical changement du regard que nous portons sur elles :

  • 24 « Leu oc tan », Œuvres complètes, t. IV, p. 224.

Il faut au contraire, puisqu’elles [les études languedociennes] sont antipathiques et qu’il est convenu qu’elles sont antipathiques – ce sont les insectes romanistes eux-mêmes qui en conviennent – désirer qu’elles le soient davantage. Tout dans ce sens doit nous être d’un précieux indice. « Monotonie » par exemple. Voilà un grief dont il faut s’emparer pour en faire sans retard l’éloge comme du plus vif des attraits, s’il s’agit d’opposer à la nôtre qui se dégrade par un impertinent et incessant prurit de variété (et cela depuis la Renaissance) une ou d’autres époques, où, avant de l’extérioriser sous forme de défaut, on se la reprochait tout d’abord à soi-même, la monotonie, sous forme d’impuissance24.

  • 25 Une solide estime unissait les deux hommes : dans une interview tardive Cingria appelle Rougemont (...)
  • 26 R. Guiette est réputé être le premier à avoir, dans son fameux article « D’une poésie formelle en (...)

21Ces lignes de 1937 sont révolutionnaires : Denis de Rougemont, dans L’Amour et l’Occident, deux ans plus tard, citera les troubadours à partir de Cingria25. D’autre part, l’influence de notre auteur sur Robert Guiette26 et, à travers lui, sur Dragonetti et Zumthor, nous est garantie par une. coquille : si les meilleurs auteurs aujourd’hui encore attribuent à Folquet de Marseille le fameux aphorisme voulant qu’« une strophe sans musique » soit comme « un moulin sans eau », alors qu’il est de Bertrand Carbonel, c’est en effet tout simplement parce que Cingria avait mélangé ses fiches ! Il faut aussi dire que Folquet intéressait particulièrement Cingria, car ses chansons, adaptées par le Minnesinger suisse Rodolphe de Fénis-Neuchâtel (filiation que Cingria souligne pour des raisons de fierté nationale), sont à l’origine du lyrisme allemand. Le brave Alfred Jeanroy, spécialiste universitaire incontesté des troubadours soixante ans durant, n’avait pas commis l’erreur d’attribution de la phrase sur le « moulin sans eau », et reproduit le nom de l’auteur correct dans plusieurs de ses ouvrages : il faut croire que la postérité l’a moins pratiqué que Cingria sur cette question, et ce n’est finalement que justice, car le problème, en l’occurrence, c’est celui de la musique, que l’auteur de La Civilisation de Saint-Gall était particulièrement bien placé pour prendre au sérieux dans l’évaluation de l’art des troubadours.

22Cette insistance sur le fait que la poésie médiévale est chantée va même pousser Cingria à relativiser, voire en certains cas à nier, la fameuse coupure du XIVe siècle qui voit, à partir des successeurs de Machaut, se spécialiser définitivement les rôles du poète et du compositeur. Dans son édition de La Complainte de Vénus d’Othon de Grandson, Cingria veut ainsi à toute force que le verbe « réciter » désigne la mise en musique de la poésie :

  • 27 « La Complainte de Vénus », Œuvres complètes, t. VII, p. 185.

Un poète, de ce temps, pensait et écrivait sa musique. Et ce n’était pas une musique au sens où à notre époque l’on dit « les musiques de l’esprit », ou bien « le poète chante ». C’était bel et bien une musique de cordes et de cors et de voix et de harpes ou de régales tenues sur les bras. On me dira que Pétrarque récitait (parce qu’on voit ce terme dans les rapports de Benvenuto da Imola). C’est une erreur. D’abord réciter voulait dire chanter. À preuve ce passage de Tinctoris où ce théoricien belge dit que la vielle à arc était utilisée pour la récitation des romans27.

  • 28 « A Tommaso de Bombasio je lègue le meilleur de mes luths – meum optimum luithum » (cité par Cingr (...)

23La preuve, on le voit, est bien mince, et le fait, comme il le rappelle plus loin, que Dufay ait mis en musique un vers parlant de « reciter ballade gracieuse » reste assez anecdotique. Aucun dictionnaire de l’ancien ou du moyen français n’enregistre d’ailleurs cette acception. Que des poètes du XIVe siècle aient pratiqué la musique comme passe-temps (Cingria insiste également sur le fait que Pétrarque mentionne « son meilleur luth » dans son testament28) ou que la lecture d’œuvres littéraires ait pu recevoir un accompagnement instrumental n’implique pas forcément la mise en musique desdits textes.

24Plus convaincant dans sa description d’un chant grégorien et d’un chant troubadouresque portés par une allégresse musicale d’essence dionysiaque, Cingria se voit ici contraint de forcer les témoignages pour souligner la continuité qui, selon lui, mène sans rupture majeure du plain-chant à l’épanouissement polyphonique de la Renaissance, jusqu’à Bach.

  • 29 Sur ce projet, voir P.-M. Joris, « L’Admiration de l’admiration : Les Grands lyriques provençaux d (...)

25Mais revenons un instant sur les circonstances qui ont poussé Cingria à élargir son enquête jusqu’à la fin du Moyen Âge. Dans la foulée de ses recherches sur les troubadours, dans les années trente, en vue de la constitution d’une vaste anthologie (qui restera inachevée) sur Les Grands lyriques provençaux29, Cingria en vient à s’intéresser aux rapports entre la lyrique provençale et l’histoire médiévale de ce qui deviendra la Suisse romande. En 1940, la guerre fermant les frontières, ce repli sur une thématique nationale s’avère à la fois une opportunité et une nécessité ; c’est ainsi que Cingria écrit ses Variétés sur la musique en relations avec l’histoire, qui resteront inédites mais qui seront la matrice de diverses publications (dont celles liées à Othon de Grandson) liées au mécénat de la maison de Savoie. Cela lui donne l’occasion d’évoquer Guillaume Dufay, qui fut chanoine de la cathédrale de Lausanne, et de s’attarder longuement sur le nouvel élan donné à la musique par ce créateur majeur, dans le respect toutefois de l’esprit artisanal et « objectif » qui est, nous l’avons vu, le propre de ce que Cingria appelle la « musique normale ». Le passage sur Dufay mérite d’être cité longuement :

  • 30 Ici une note de Cingria : « Date, je l’espère, qui paraîtra bien ridicule dans une trentaine d’ann (...)

Maintenant qui est Dufay ? Il est nécessaire de le dire pour ceux-là trop nombreux de nos jours qui sont très savants dans leur partie, mais ignorent tout de l’essentiel. Or Dufay est essentiel puisqu’en lui s’incarne dans la musique européenne une révolution d’une portée incommensurable. De fait, tout l’art moderne part de ce moment précis où il entre en scène. Lui tout seul ? Non. Il faut lui adjoindre en quelque mesure Egide Binchois et l’Anglais Dunstable. Et quelle est cette innovation ? L’abandon des suites des quintes et octaves successives, le retard de la tierce par la prolongation d’une partie inférieure, la disparition du clichage harmonique obligé du vieil organum au bénéfice d’un usage personnalisé et de plus en plus renforcé du mouvement contraire des parties. C’est donc le contrepoint néerlandais (car tout cela est belgo-bourguignon) qui par lui prend naissance, destiné à couvrir d’éclat l’Italie en donnant sa consistance fondamentale et la plus sûre à l’art palestrinéen puis à l’art vénitien-austro-allemand jusqu’à Bach. Mais n’allons pas nous exalter outre mesure. D’abord nous ne sommes plus au temps de Fétis. Nous sommes en 194030. Nous aimons de nouveau tant et plus les quintes et les croisement et inséquenciation de voix et les octaves aussi quand elles pètent vide et désencombrent à souhait (tout dépend d’un instrument et du registre et du timbre). Ce qui est vide, vraiment vide, nous semble bien davantage ce qui a été appelé harmonies pleines. Quant à la marche individualisée des parties, nous sommes tout ce qu’il y a de plus d’accord, mais avec ce retournement de richesse que font de belles quintes et de belles quartes et des tierces ou des sixtes judicieusement employées. Comme il y en a dans Dufay, en même temps qu’il y a encore des solutions médiévales et des quintes, parce qu’il y trouvait du plaisir – pulchritudinis causa – comme disent les théoriciens ; mais cela dans son art profane. S’est passé d’ailleurs dans ces trente dernières années un événement d’une portée sans égale : la naissance ou plutôt la mise en état d’achèvement d’un nouveau contrepoint anglo-noir : le syncopé américain. Nous ne pouvons plus saluer l’abandon des harmonies dites barbares avec la frénésie qui secouait Fétis. Vive cette barbarie qui fut romaine et même hellène aux temps les plus féconds de notre « occidentalisme ».

26On nous accordera que seule une coupe large dans la prose cingrienne permet de saisir le ton et le mouvement de la pensée de notre auteur, qui n’oublie jamais sa mission vulgarisatrice : l’ambition est vaste, rien de moins que de donner en quelques phrases, et à grand renfort d’expressions synthétiques (du « néerlandais-belgo-bourguignon » au « vénitien-austro-allemand », en passant par le « palestrinéen »), le tableau d’ensemble d’une évolution européenne. Deux idées forces, en fait liées, gouvernent ce tableau : celle d’une histoire longue de la polyphonie et celle – plus inattendue ! – d’un lien entre la pratique médiévale et le jazz. Examinons d’abord la première de ces affirmations.

27Une difficulté du même ordre que celle que nous avons relevée quant à la continuité de la poésie chantée, et qui se focalise de manière identique sur la génération de Dufay, retient Cingria à propos du contrepoint improvisé dont il est bien obligé d’admettre qu’il est devenu marginal dans la pratique compositionnelle du père de l’école franco-flamande :

  • 31 Variétés sur la musique en relation avec l’histoire, op. cit.

C’est donc le contrepoint intuitif – dionysien – issu du délire de toute une masse autour d’un air qu’on aime et qu’on ménage et qu’on répète (Se la face ay pale, par exemple, ou L’Homme armé ou Nuper rosarum flores ou n’importe quel air de plain-chant lu sur le livre) qui est le vrai contrepoint. L’autre est déjà du contrepoint capitalisé, et alors il faut bien dire que Dufay représente déjà dans l’embryon ce contrepoint académique qui est souvent le défaut de nos grands maîtres et le seul d’ailleurs que considèrent comme tel – je veux dire comme contrepoint – les didactiques si horripilants à notre époque31.

28C’est donc à une véritable opération de sauvetage de la « vraie » polyphonie que va se livrer Cingria. Dans ses articles sur la création du Rake’s Progress de Stravinsky, il s’émerveille que cette œuvre ait vu le jour à Venise, la ville même où Orazio Vecchi avait, à l’époque des premières expériences de la Camerata florentine, lancé une forme madrigalesque de théâtre musical, influencée par la Commedia dell’arte, qui allait cependant finir par céder le pas devant l’opéra naissant :

  • 32 « Igor Stravinsky. Paris via Venise », Œuvres complètes, t. IX, p. 280.

C’est que Monteverdi ne fait pas l’affaire dans une recherche des antécédents de Rake’s. Le récitatif est trop idéalement traducteur du concept et c’est fastidieux à la longue. Vite plutôt l’adversaire, Orazio Vecchi, lequel se refusant à un asservissement pareil de la musique au texte – texte poétique écrit – lance : La musique est aussi bien poésie que la poésie même (Tanto è poesia la musica quanto l’istessa poesia), et, à preuve, il se livre à un contrepoint frénétique et appelle cela drôle (del buffo) comme s’il eût voulu dire dionysien et comme si – c’est cela qui est drôle – dionysien devait s’assimiler à gothique32.

29L’équation du comique, du dionysiaque et du gothique nous ramène ainsi une fois de plus à ce Moyen Âge idéal de Cingria, où la plus haute spiritualité fait bon ménage avec la danse et une joie à la fois débridée et profonde, où l’on reconnaît le joy troubadouresque, revu par l’esprit des nombres : loin de valoir pour elle-même, la parole cesse de se faire discursive et devient part intégrante de l’expression musicale ; si la musique se fait poésie, c’est parce que la poésie est toujours déjà musique.

30Cette vision hautement joyeuse de la polyphonie irrigue l’amour que porte Cingria à celui en qui l’Occident unanime reconnaît l’aboutissement suprême du style contrapuntique ; ainsi ne doit-pas s’étonner de voir Bach décrit non comme le plus « savant » des compositeurs, selon une vulgate bien accréditée, mais au contraire comme le champion du plus haut idéal populaire :

  • 33 « Bach et les foules », Œuvres complètes, t. VII, p. 200. La dévotion de Cingria pour Bach s’obser (...)

Tout, dans la fugue, est mélodie – mélodie et rythme – ; mais ce n’est pas une mélodie accompagnée, c’est une mélodie émise simultanément avec soi-même dans un retentissement une et plusieurs fois à l’harmonique. C’est un délire de mélodie qui a engendré la fugue, laquelle à l’origine fut improvisée, bien avant que d’être écrite. Surtout c’est une musique de foules. Elle exclut l’idée d’audition au bénéfice de l’idée beaucoup plus humaine de participation33.

  • 34 Notons que Cingria se garde bien de citer dans son article la tristement fameuse définition de la (...)

31Cingria se rend si bien compte du paradoxe qu’il énonce ici qu’il a pris soin de placer dans la bouche d’un interlocuteur fictif une protestation évoquant la mauvaise opinion que Jean-Jacques Rousseau avait de la fugue. Rien de plus rousseauiste en effet que l’affirmation du primat de la mélodie dans la musique ; or, Cingria la retourne pour en faire la vérité de la forme qui était aux yeux de Rousseau la plus anti-mélodique qui soit34. C’est donc à la fois contre et avec Rousseau qu’il exalte la spontanéité horizontale de Bach, qu’il se fait fort de ne considérer que comme l’évolution purement linéaire de la primitive et absolue cantilène grégorienne.

  • 35 I. A. Alexandre, « La petite musique du grand Rousseau », Diapason, 603, juin 2012, p. 29.

32On se persuadera aisément que c’est la meilleure part du Citoyen de Genève qui est ici sollicitée par Cingria. Dans un article sur Rousseau musicien publié dans un numéro récent de la revue Diapason, Ivan A. Alexandre n’affirmait-il pas, au demeurant, que l’auteur de l’Essai sur l’origine de langues avait deux siècles d’avance, car il avait « prédit et préparé l’avènement de la chanson »35 ? Nul doute que Cingria eût été ravi de cette confirmation de son opinion, qui nous amène tout naturellement aux considérations de notre auteur sur les liens de la musique « populaire » du XXe siècle avec la pratique médiévale.

  • 36 Voir notre article « On a retrouvé le saxophone de Charles le Chauve », Les Petites Feuilles, 33, (...)
  • 37 « Le cantique même anglo-nègre protestant est une chanson » (« Le Musical pur », Œuvres complètes,(...)

33En 1934, Cingria faisait paraître dans la Revue musicale un article intitulé « Tuba Timpanizans », où il se livrait à l’apologie du jazz, le présentant non comme une nouveauté, mais, au contraire, comme le signe d’un retour à des valeurs musicales aussi archaïques qu’essentielles : il y retrouvait ainsi le contrepoint improvisé de la fin du Moyen Âge (dont nous avons vu le problèmes épistémologiques qu’il pose à Cingria), la réutilisation d’instruments tombés en désuétude (dans « Les troubadours et la radio », en 1947, il ira même jusqu’à identifier à un saxophone un instrument figuré dans la Bible de Charles le Chauve !36), l’usage du rythme iambique, du choral protestant, lui-même dérivé des séquences grégoriennes37 ; enfin, il affirme l’évidence et le primat de ce que l’on pourrait appeler la corporalité musicale sur toute tentative intellectuelle (nouvelle mise en échec de la « raison discursive » !) de restitution de la vérité de la musique médiévale :

  • 38 « Tuba timpanizans », Œuvres complètes, t. IV, p. 140.

Toute érudition est vaine et nous ne pouvons absolument pas savoir ce qu’était à l’audition le véritable art contrapuntique des XIIIe, XIVe, XVe siècles si nous ne pensons pas immédiatement à l’art improvisé et prodigieux des jongleurs noirs ou gris de l’actuelle Amérique. Le reste est stérile. Jamais la musique (ce qui est vraiment cet art) ne change38.

  • 39 Dans un hommage à son maître Romain Rolland, le musicologue Henri Prunières écrivait en 1926 : « L (...)
  • 40 P. Zumthor, Parler du Moyen Âge, Paris, Minuit, 1980, p. 58. Cette période correspond chez Zumthor (...)

34Loin d’être une fantaisie d’écrivain en mal d’originalité39, la passion cingriesque du jazz a donc des racines extrêmement profondes, qui induisent toute une axiologie de l’histoire de la musique, non sans ressemblance avec celle de Hermann Hesse, qui, dans Le Loup des steppes, voue aux gémonies toute la musique écrite entre Mozart et l’invention du jazz, assimilant même explicitement l’auteur de Don Giovanni à un saxophoniste moderne. On pense également à Paul Zumthor, qui a pu évoquer « ces XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles qui ne furent, à bien des égards, qu’un bref épisode régressif de l’histoire occidentale »40.

  • 41 Voir « Mozart aux Bouches-du-Rhône », Œuvres complètes, t. IX, p. 319-320.
  • 42 Voir « Balcons de fer », Œuvres complètes, t. III, p. 238, où Cingria s’enchante de ce qu’un criti (...)
  • 43 Pensons également au mot bien connu de Stravinsky qui voyait dans l’air « La donna e mobile » de R (...)
  • 44 « Le Musical pur », Œuvres complètes, t. VI, p. 131.
  • 45 Œuvres complètes, t. VII, p. 281-282.

35Il serait sans doute cependant exagéré de dire que Cingria n’aimait rien de ce qui s’était produit entre Bach et Stravinsky : il gardait de la tendresse pour Mozart41 et saluait de loin en loin, pour leur « fraîcheur », des compositeurs comme Rossini et Verdi42, en qui il voyait visiblement, comme Nietzsche chez Bizet, une mediterraneita résolument solaire43 ; mais ces cas restent des exceptions. L’admiration de l’auteur du Cas Wagner pour Carmen laissait d’ailleurs Cingria sceptique : dans « Le Musical pur », il affirme ainsi que plutôt qu’à Bizet « c’était à la chanson qu’il [Nietzsche] pensait dans le fait primordial et informateur du sens du couplet »44, ce qui nous laisse dans l’expectative de savoir si Cingria attribuait à Nietzsche une improbable connaissance de la canso médiévale ou s’il le créditait de la prescience de l’évolution d’un genre qui se dégageait encore mal, à la fin du XIXe siècle, de la rengaine sentimentale. Dans le petit texte précisément intitulé Chanson45, Cingria fait le pont entre la canso dantesque et la chanson jazz, mais ne voit nul intermédiaire entre les deux ; cela dit, on peut toujours rêver de ce qu’aurait inspiré à Cingria le développement de la chanson anglo-saxonne dans la seconde moitié du XXe siècle...

  • 46 Schonberg lui-même est considéré comme étant « encore dans le marais » par Cingria (« Le Musical p (...)

36Mais restons-en au « syncopé anglo-nègre » ; dans le domaine de la musique savante, Cingria ne trouve pour l’égaler que les démarches de Satie et de Stravinsky, seuls compositeurs de son siècle qu’il sauve du « marais » où se traînent selon lui les successeurs de Wagner et de Debussy (impressionnisme et expressionnisme étant renvoyés dos-à-dos46). Reprenant, dans Le Musical pur, le procès des inventeurs de l’opéra, il précise :

  • 47 « Le Musical pur », op. cit., p. 132.

Il faut alors dépasser son époque et penser, comme seul adaptable à sa définition, à ce qui de nos temps recommence l’état dionysien pur du madrigal : l’état contrapuntique et intuitif aussi – populaire – encore né du couplet, du syncopé anglo-nègre d’Amérique, et, pour l’art savant, écrit-composé, à l’art stravinskien de la période du plus grand épanouissement, qui est la période actuelle47.

  • 48 En particulier contre Boris de Schloezer, avec qui Cingria polémique à propos de Perséphone, qui r (...)
  • 49 Il redit dans « Perséphone et la critique » (op. cit. , p. 146) que « la période de la plus haute (...)

37La « période actuelle » c’est ici les années trente ; il est en effet remarquable que, contre la plupart des critiques de l’époque et d’aujourd’hui48, Cingria n’ait vu aucun fléchissement dans la trajectoire de Stravinsky, dont la principale qualité était pour lui la fidélité à soi-même49 : mort trop tôt pour avoir connu l’ultime métamorphose dodécaphonique de Stravinsky, on peut néanmoins gager que Cingria, ordinairement rebuté par le système schonbergien, aurait fait une exception pour l’auteur du Requiem Canticles, tant il est patent que l’usage stravinskien de la technique des douze sons se situe dans la continuité évidente des œuvres précédentes du compositeur. Au vu de l’influence revendiquée de Guillaume de Machaut sur son style tardif, on pourrait même dire que Stravinsky a fini par pratiquer une manière de « dodécaphonisme médiévalisant », dont les assises tonales, ou plutôt modales, restent parfaitement évidentes. Cingria avait d’ailleurs sans doute été l’un des premiers à comprendre tout ce que le style de Stravinsky devait au Moyen Âge. Dès 1934, il remarquait dans Perséphone

  • 50 « Perséphone et la critique », op. cit., p. 148.

le très bel effet de finesse du premier temps du ternaire souvent bref-intense (iambique pur) comme dans les troubadours ; les superpositions ou fusions de deux ou trois voix en une dans les chœurs – ceci très savant dans une pratique intuitive équivalente à une écriture dans les madrigaux français du XIIIe siècle50.

38La question sur laquelle s’ouvre la poétique musicale de Cingria n’est donc rien de moins que celle d’un avenir possible de l’esthétique des temps médiévaux, ou plutôt d’un retour à une pratique qui inclut le Moyen Âge tout en le dépassant : le mot « madrigal », dans notre dernière citation, se voit dépouillé de sa connotation renaissance pour devenir un équivalent de canso ; pour sauver sa définition spontanéiste de la polyphonie, Cingria allait d’ailleurs jusqu’à faire de Bach le compositeur le plus intuitif qui soit, en complet désaccord avec la vulgate moderniste qui, à la suite de Schonberg, insistait au contraire sur l’intellectualisme de l’auteur de L’Art de la fugue.

  • 51 « Igor Stravinsky. Paris via Venise », op. cit., p. 282

39La pensée de Cingria se comprend ainsi comme un système complexe d’équivalences et d’oppositions qui nous ramène toujours, en fin de compte, à sa distinction entre musiques « normale » et « anormale ». L’ampleur et la profondeur des liens qu’il tisse entre Aristoxène, le chant grégorien, l’art polyphonique, le jazz et quelques compositeurs modernes soigneusement choisis en vient presque à nous faire oublier la masse tout aussi considérable de la musique qu’il rejette. Et n’y a-t-il pas contradiction interne à revendiquer de manière si originale et idiosyncrasique les vertus d’une musique supra-personnelle ? Du moins l’aversion de Cingria pour le sentimentalisme romantique ne peut-elle être mise en doute. Et l’on en vient à rêver de ce que cet esprit médiéval si patiemment revendiqué pourrait produire dans la culture moderne. La réponse serait-elle tout simplement à lire dans le déferlement actuel des musiques issues du blues et du jazz ? Au-delà de l’énorme et inévitable quantité de vulgarité générée par l’industrialisation de la musique, le rock et ses dérivés représentent peut-être aujourd’hui le terreau où saura se ressourcer une pratique musicale mieux consciente de ses origines et soucieuse de ne jamais oublier que la musique est joie de l’instant et, pour reprendre une de ces formules dont Cingria avait le secret, « lait des astres »51. Comme disaient les trouvères, « faire chansonnette nouvelle » c’est d’abord se livrer à la plénitude d’un chant éternellement nouveau de résonner ici et maintenant.

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Notes

1 J’exagère à dessein : les chansonniers français du Moyen Âge contiennent déjà bien des mélodies d’auteurs décédés ; encore faudrait-il être sûr que cette proto-monumentalisation correspondait réellement à la perpétuation d’une pratique publique.

2 Voir le compte rendu d’un de ces concerts par Alfred de Vigny, Journal d’un poète, Paris, Delagrave, 1921, p. 78-79.

3 « Impressions d’un passant à Lausanne », Œuvres complètes (voir note 7), t. III, p. 32.

4 Voir P.-O. Walzer, Les Vies de Charles-Albert Cingria, t. 3, L’Ame antique, Lausanne, L’Âge d’homme, 1997.

5 Voir P.-O. Walzer, Les Vies de Charles-Albert Cingria, t. 1, Le Sabordage de « La Voile latine », Lausanne, L’Âge d’homme, 1993.

6 Voir l’impressionnant sommaire de la « Couronne de Charles-Albert Cingria », n° spécial de la Nouvelle Revue française, 3e année, n° 27, Paris, 1955.

7 Œuvres complètes et Correspondance générale, éd. par P.-O. Walzer, Lausanne, L’Âge d’homme, 1967-1981 (17 vol. : 1-11 : Œuvres ; 12-16 : Correspondance ; 17 : Bibliographie et index) ; et les nouvelles Œuvres complètes, sous la direction d’A. Corbellari, M. de Courten, P.-M. Joris, M.-Th. Lathion et D. Maggetti, Lausanne, L’Âge d’Homme, t. 1-2 : Récits, 2011 ; t. 5-6 : Propos, 2013 (à paraître : t. 3-4 : Essais ; t. 7-8 : Correspondance).

8 D’une bibliographie longtemps restée assez maigre, citons quelques repères généraux : Charles-Albert Cingria, coordonné par A. Corbellari, Lausanne, L’Âge d’Homme, « Les Dossiers H », 2004 (avec de nombreux inédits de Cingria) ; Charles-Albert Cingria. Érudition et liberté. L’Univers de Cingria, actes du colloque de Lausanne réunis par M. de Courten et D. Jakubec, Paris, Gallimard, « Les Cahiers de la NRF », 2000 ; N. Bouvier, Charles-Albert Cingria en roue libre, éd. par D. Jakubec, Genève, Zoé, 2005 ; J. Chessex, Charles-Albert Cingria, Paris, Seghers, « Poètes d’aujourd’hui », 1967, rééd. sous le titre Charles-Albert Cingria. L’instant et l’intemporel, Lausanne, L’Âge d’homme, « Poche suisse », 2008 ; A. Corbellari et P.-M. Joris, Florides helvètes de Charles-Albert Cingria, Gollion, Infolio, « Le Cippe », 2011 ; A.-M. Jaton, Charles-Albert Cingria. Verbe de cristal dans les étoiles, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, « Le savoir suisse », 2007 ; J. Réda, Le Bitume est exquis, Montpellier, Fata Morgana, 1984.

9 Titre d’un petit texte de 1942, republié dans les Œuvres complètes (ancienne édition, que nous citerons désormais), t. VI, p. 250-252.

10 Lettre du 8 mars 1905 à Adrien Bovy, Correspondance générale, Lausanne, L’Âge d’homme, 1972, t. III, p. 56.

11 Sans doute tout-à-fait indépendamment de Cingria, Jacques Chailley a également pris la défense de ce théoricien dont il déplore qu’il soit resté « isolé » (J. Chailley, Expliquer l’harmonie, Lausanne, Rencontre, 1967, p. 20).

12 Voir J.-C. Genoud, « ‘Le Traité de rythmologie plainchantique ou le grégorien revisité par Charles-Albert Cingria », Charles-Albert Cingria. Érudition et Liberté, op. cit., p. 234-258.

13 Œuvres complètes, t. 1, p. 194.

14 Il évoque par exemple dans Le M’sieur d’Arcueil (Œuvres complètes, t. IX, p. 294) « le majeur et le mineur, échelles syriennes devenues romaines au Bas-Empire ».

15 F. Nietzsche, La Naissance de la tragédie, trad. par Geneviève Bianquis, Paris, Gallimard, « Folio », 1949, p. 127.

16 Voir F. Nietzsche, Le Cas Wagner, trad. par Jean-Claude Hémery, Paris, Gallimard, « Folio », 1974, p. 62 : « J’ai déjà expliqué quelle était la place de Wagner : elle n’est pas dans l’histoire de la musique. »

17 Œuvres complètes, t. I, p. 195-196.

18 Voir P. Michon, « La Danseuse », Trois auteurs, Lagrasse, Verdier, 1997, p. 49-75.

19 Document conservé au Centre de Recherches sur les Lettres Romandes, Université de Lausanne.

20 « Sur le Zéjel », Œuvres complètes, t. VI, p. 269.

21 Pétrarque, Œuvres complètes, t. V. p. 33 (note).

22 Voir citation suivante.

23 Voir en particulier Ph. Mottet, « Les troubadours de Charles-Albert Cingria », Six essais de littérature romande de C. F. Ramuz à S. C. Bille, présentés par J. Roudaut, Seges, 6, Fribourg, Éditions universitaires, 1989, p. 157-192 ; P.-M. Joris, « Dante avec Joyce : Charles-Albert Cingria ou le Moyen Âge d’un poète », La Trace médiévale et les écrivains d’aujourd’hui, éd. par M. Gally, Paris, PUF, « Perspectives littéraires », 2000, p. 55-70 ; id., « Le Gai savoir de Charles-Albert Cingria une poétique de la joie », Charles Albert Cingria. Érudition et liberté, op. cit., p. 95-124.

24 « Leu oc tan », Œuvres complètes, t. IV, p. 224.

25 Une solide estime unissait les deux hommes : dans une interview tardive Cingria appelle Rougemont « la talentueux Albigeois de Neuchâtel » (voir le disque Charles-Albert Cingria, La Jongleresse, Textes inédits, entretiens et lectures de l’auteur, Timbres – Éditions Héros-Limites, 2006).

26 R. Guiette est réputé être le premier à avoir, dans son fameux article « D’une poésie formelle en France au Moyen Âge » (1949, repris dans Forme et senefiance, Genève, Droz, 1978, p. 1-24), souligné l’originalité de la pratique lyrique médiévale : son amitié avec Max Jacob, lui-même ami proche de Cingria, nous semble de nature (outre l’indice cité ci-après) à rétablir les vraies priorités.

27 « La Complainte de Vénus », Œuvres complètes, t. VII, p. 185.

28 « A Tommaso de Bombasio je lègue le meilleur de mes luths – meum optimum luithum » (cité par Cingria dans les Variétés sur la musique en relation avec l’histoire, manuscrit conservé à Lausanne, Centre de Recherche sur les Lettres romandes, à paraître dans les nouvelles Œuvres complètes, t. 4).

29 Sur ce projet, voir P.-M. Joris, « L’Admiration de l’admiration : Les Grands lyriques provençaux de Charles-Albert Cingria », « Ce est li fruis selonc la lettre ». Mélanges offerts à Charles Méla, éd. par O. Collet, Y. Foehr-Janssens et S. Messerli, Paris, Champion, 2002, p. 365-383.

30 Ici une note de Cingria : « Date, je l’espère, qui paraîtra bien ridicule dans une trentaine d’années ».

31 Variétés sur la musique en relation avec l’histoire, op. cit.

32 « Igor Stravinsky. Paris via Venise », Œuvres complètes, t. IX, p. 280.

33 « Bach et les foules », Œuvres complètes, t. VII, p. 200. La dévotion de Cingria pour Bach s’observe également dans l’article « Da Capo », Œuvres complètes, t. IV, p. 141-144.

34 Notons que Cingria se garde bien de citer dans son article la tristement fameuse définition de la fugue proposée par Rousseau, dans son Dictionnaire de musique (J.-J. Rousseau, Œuvres complètes, V, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 833) : « En un mot, dans toute Fugue, la confusion de Mélodie et de Modulation est en même temps ce qu’il y a de plus à craindre et de plus difficile à éviter ; et le plaisir que donne ce genre de Musique étant toujours médiocre, on peut dire qu’une belle Fugue est l’ingrat chef-d’œuvre d’un bon Harmoniste. »

35 I. A. Alexandre, « La petite musique du grand Rousseau », Diapason, 603, juin 2012, p. 29.

36 Voir notre article « On a retrouvé le saxophone de Charles le Chauve », Les Petites Feuilles, 33, été 2007, p. 7-8.

37 « Le cantique même anglo-nègre protestant est une chanson » (« Le Musical pur », Œuvres complètes, t. VI, p. 141).

38 « Tuba timpanizans », Œuvres complètes, t. IV, p. 140.

39 Dans un hommage à son maître Romain Rolland, le musicologue Henri Prunières écrivait en 1926 : « Les nouvelles générations semblent mépriser l’histoire comme l’art du passé. Quelques aphorismes sur Erik Satie, le Jazz-band, Bach et Strawinsky tiennent avantageusement lieu de science dans le monde. » (H. Prunières, « Romain Rolland et l’histoire musicale », Europe, numéro spécial consacré à Romain Rolland, février 1926, p. 176). L’énumération est troublante, car elle recense précisément tout ce qu’aimait Cingria dans la musique moderne, mais à la date où il écrivait, Prunières ne pouvait connaître Cingria, et il serait de toute façon absurde de ranger Cingria parmi ceux qui méprisent la musique du passé !

40 P. Zumthor, Parler du Moyen Âge, Paris, Minuit, 1980, p. 58. Cette période correspond chez Zumthor avec ce que Marshall McLuhan appelle « l’âge typographique ». La place nous manque ici pour développer ce point essentiel de l’anthropologie de la modernité.

41 Voir « Mozart aux Bouches-du-Rhône », Œuvres complètes, t. IX, p. 319-320.

42 Voir « Balcons de fer », Œuvres complètes, t. III, p. 238, où Cingria s’enchante de ce qu’un critique ait dit que Verdi avait « une saine odeur d’oignon ».

43 Pensons également au mot bien connu de Stravinsky qui voyait dans l’air « La donna e mobile » de Rigoletto plus de musique que dans la Tétralogie.

44 « Le Musical pur », Œuvres complètes, t. VI, p. 131.

45 Œuvres complètes, t. VII, p. 281-282.

46 Schonberg lui-même est considéré comme étant « encore dans le marais » par Cingria (« Le Musical pur », op. cit., p. 133).

47 « Le Musical pur », op. cit., p. 132.

48 En particulier contre Boris de Schloezer, avec qui Cingria polémique à propos de Perséphone, qui reste aujourd’hui encore l’une des œuvres les plus décriées de Stravinsky (cf. « Perséphone et la critique », article de la NRF de 1934, reprisdans les Œuvres complètes, t. IV, p. 145-149). Il est remarquable que ce soit exactement dans les mêmes années que René Daumal s’oppose au même critique à propos de la musique de l’Inde (voir R. Daumal, Bharata : l’origine du théâtre : la poésie et la musique en Inde, Paris, Gallimard, 1970). Une comparaison des arguments de Daumal et de Cingria à propos de musiques identiquement marginalisées par rapport à la grande tradition de la musique « classique » occidentale serait assurément riche d’enseignements.

49 Il redit dans « Perséphone et la critique » (op. cit. , p. 146) que « la période de la plus haute maîtrise est chez Stravinsky la période actuelle ».

50 « Perséphone et la critique », op. cit., p. 148.

51 « Igor Stravinsky. Paris via Venise », op. cit., p. 282

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Pour citer cet article

Référence papier

Alain Corbellari, « La musique médiévale vue par un moderne : la poétique musicale de Charles-Albert Cingria »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 26 | 2013, 177-191.

Référence électronique

Alain Corbellari, « La musique médiévale vue par un moderne : la poétique musicale de Charles-Albert Cingria »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 26 | 2013, mis en ligne le 30 décembre 2016, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13402 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13402

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