Les Voyages d’Alexandre au paradis : Orient et Occident, regards croisés, éd. Margaret Bridges et Catherine Gaullier-Bougassas
Les Voyages d’Alexandre au paradis : Orient et Occident, regards croisés, éd. Margaret Bridges et Catherine Gaullier-Bougassas, Turnhout, Brepols (« Alexander redivivus » 3), 2013, 547p.
ISBN 978-2-503-54623-0
Texte intégral
1L’avant-propos du volume, rédigé par les deux directrices, met en lumière son enjeu : percevoir les différents modes d’appropriation du Pseudo-Callisthène dans les séquences paradisiaques de textes consacrés à la légende du voyage d’Alexandre au Paradis, dans des aires linguistiques différentes. Cette introduction dessine également le lectorat qui sera composé d’initiés qui ne seront pas désarçonnés par des allusions à différentes œuvres dont toutes ne sont pas connues. Il s’agit très nettement d’un ouvrage destiné aux spécialistes. Il se compose de quatre sections qui regroupent des études orientales et des études occidentales. Un premier parcours des textes « tente de retracer l’apparition puis la transmission et les métamorphoses des trois séquences majeures autour de la fontaine d’immortalité, du pays des Bienheureux et du paradis terrestre. » (p. 10) « Deux lignes d’analyse sont privilégiées : les origines de la légende du voyage d’Alexandre au paradis terrestre et son intégration à l’univers littéraire du Pseudo-Callisthène, puis les liens établis ou non entre les deux aventures de la fontaine d’immortalité et du paradis terrestre, avec sa pierre prodigieuse. Puis, dans la troisième section, sont analysés des textes et aussi, avec les mappemondes, des représentations figurées qui, pour les épisodes paradisiaques, privilégient la possibilité d’une élection d’Alexandre par la transcendance. Ils initient le roi […] à une religion monothéiste ou du moins posent la question de son intégration, même à son insu, à l’histoire de l’humanité vers le salut. La quatrième section met l’accent sur les désenchantements qu’Alexandre, dans l’ivresse démesurée de son désir, connaît souvent aussi près des sites paradisiaques, avec les remises en cause, à des degrés divers de ses ambitions politiques et personnelles » (p. 11).
2La première section, « Les paradis d’Alexandre le Grand et l’horizon toujours renouvelé de la fiction : parcours des textes », comporte quatre articles, des deux directrices d’ouvrage.
3Catherine Gaullier-Bougassas, « Quêtes d’immortalité ou de salut : des origines grecques et hébraïques aux réinterprétations orientales » : on apprend que la légende du voyage d’Alexandre aux abords du paradis terrestre « semble trouver son origine dans le traité Tamid du Talmud de Babylone, qui date […] du Ve siècle après J.-C. » (p. 16). Il est question d’une pierre en forme d’œil dont la vue est insatiable, à l’image du désir humain. L’auteur aborde ensuite les réécritures byzantines et slaves du Pseudo-Callisthène. Dans les réécritures orientales, la présence des sites paradisiaques se renforce sur la route d’un héros en quête d’immortalité qui se convertit au christianisme ou à l’islam, jusqu’aux adaptations syriaque ou arabes, sur ce point plus audacieuses que les œuvres occidentales.
4Catherine Gaullier-Bougassas, « La pierre du paradis et son enseignement dans les œuvres latines et romanes » : on y comprend que « l’Alexandre de l’Iter ad Paradisum offre […] le modèle d’une réforme personnelle, éthique et politique ; […] la sagesse juive le conduit à percevoir la vanité des ambitions et des possessions terrestres et à rechercher la justice et la paix comme uniques finalités de l’exercice de sa charge royale » (p. 49). L’auteur évoque également ici l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, du XIIe siècle, et différentes réécritures jusqu’à celles de la fin du Moyen Âge, dont la plus étrange lui paraît être celle de Thomas de Saluces dans son Livre du Chevalier errant. Dans l’ensemble, l’interprétation du rôle de la pierre en forme d’œil s’affaiblit.
5Margaret Bridges, « Figurations d’une rencontre dans les littératures germanique, néerlandaise et anglaise » : « le plus ancien récit du voyage au paradis terrestre conservé en langue vernaculaire européenne nous parvient de l’aire linguistique allemande […] au cours du dernier tiers du XIIe siècle ou vers le début du XIIIe siècle » (p. 61). La cour des rois de Bohème adapte l’Alexandreis entre 1270 et 1285. Ces textes s’affranchissent de plus en plus de l’Iter ad Paradisum, et bien différemment des textes anglais.
6Enfin Catherine Gaullier-Bougassas et Margaret Bridges, dans « Avatars et imitations : la création de nouvelles fictions paradisiaques », donnent un aperçu des différents « avatars » des aventures paradisiaques. « Trois grands groupes peuvent être distingués : les espaces naturels qui rappellent un âge d’or païen, puis des sites ou des objets qui renvoient à Adam et Ève et à leur séjour au jardin d’Éden et se rapportent ainsi au surnaturel de la religion monothéiste à laquelle les auteurs initient Alexandre, et enfin des imitations du paradis des traditions païennes ou monothéistes, que l’homme réalise dans son espoir de rivaliser avec le divin » (p. 77). Les textes convoqués sont par exemple les textes arabes, le roman perse de Tarsusi, ou ceux de la littérature slave.
7La deuxième section, « Transmissions et croisements culturels », se construit autour de quatre contributions.
8Jean-Pierre Rothschild, avec « L’Iter ad Paradisum entre homélie rabbinique, roman, traité d’apologétique et exemplum », revient au Talmud de Babylone et au motif de l’œil de convoitise, qu’on retrouve au XIIe siècle dans l’Iter ad Paradisum. Ces deux textes apparaissent comme les deux pôles d’un système d’échanges complexe.
9Marco Di Branco, « Alessandro/Dū ‘l-Qarnayn, il paradiso e la fonte della vita nella letteratura araba medievale ».
10René Bloch, « Alexandre le Grand et le judaïsme : la double stratégie d’auteurs juifs de l’Antiquité et du Moyen Âge » : on observe la volonté de faire rencontrer le grand prêtre de Jérusalem à Alexandre, dans le traité Yoma du Talmud de Babylone ou dans le Josippon, écrit en hébreu en Italie du sud au Xe siècle. Alexandre partage sa soif de savoir et son amour de la science avec les juifs.
11Catherine Gaullier-Bougassas, « Les eaux troublées de la quête d’Alexandre et les sources orientales du Roman d’Alexandre français : fontaine de vie, fleuve de mort et paradis terrestre » : Alexandre de Paris semble s’être nourri de sources hébraïques, notamment pour la légende de l’eau de vie. L’idée d’un paradis des sens viendrait en outre de légendes d’origine orientale et arabe, plutôt que de l’imaginaire breton. Cet article est particulièrement intéressant et clair.
12La troisième section, « Élection et révélation : une initiation ? », propose cinq articles.
13Patrick Gautier Dalché, « Quatre notes sur Alexandre et la cartographie médiévale » : l’article, passionnant, interroge les liens entre la géographie d’Alexandre avec la cartographie, autour d’un personnage considéré comme un explorateur « tant du point de vue des régions ouvertes à la connaissance que du point de vue des conséquences morales de cette ouverture telles qu’elles furent perçues par les auteurs et leur public » (p. 214).
14Christophe Thierry, « L’épisode du voyage au paradis dans le Straβburger Alexander (fin du XIIe-début du XIIIe siècle) ».
15Hélène Bellon-Méguelle, « Les imprévus du voyage : le voyage d’Alexandre au paradis terrestre dans la littérature française de la fin du Moyen Âge ».
16Elena Koroleva, « Les Brahmanes et le paradis dans les romans d’Alexandre russes » : on apprécie particulièrement la présence des annexes qui présentent des textes très peu connus (Alexandrie des Chroniques, deuxième rédaction, et Alexandrie de Serbie).
17Émilie Picherot, « Le paradis interdit dans le Rrekontamiento del rrey Ališandere : étude du statut non prophétique d’Alexandre le musulman » : l’article traite d’un texte aljamiado de la fin du XVIe siècle qui pose la question de la nature prophétique d’Alexandre. S’il avait accès au paradis, il serait de « même nature que Muhammad, ce qui est impossible » (p. 354). Sur ce point, un autre emprunt au Pseudo-Callisthène renforce la comparaison, en faisant écho à la tradition de l’ascension prophétique. « C’est en explorateur qu’il visite la zone obscure et non en élu, il ne s’y rend que pour exclure cette zone de ténèbres du monde sur lequel il règne en souverain mortel. La clef incomplète qu’il possède ne lui donne que le pouvoir d’accomplir sa mission, celle d’un conquérant exceptionnel, mais qui reste un homme » (p. 375).
18La quatrième section, « La démesure du désir et le désenchantement : un jugement ? », est composée de cinq articles.
19Mario Casari, « Un lieu de traduction : Alexandre au paradis dans la tradition persane », fait référence au Livre d’Alexandre inséré dans le Livre des Rois de Ferdowsi, puis aux romans de Nezami et d’Amir Khosrow. « La représentation des lieux paradisiaques […] est liée plutôt à la tradition […] des utopies naturelles, favorisées davantage par des dons divins que par une organisation sociale rationnellement développée par les hommes » (p. 385).
20Marina Gaillard, « D’un bout du monde à l’autre : lieux paradisiaques et terres ultimes dans le roman d’Alexandre en prose de l’Iran classique : on apprécie de nouveau les annexes riches qui permettent de mieux comprendre la démonstration.
21Jean-Claude Mühlethaler, « Échec amoureux et échec politique : le remploi du Voyage au paradis dans le Chevalier errant de Thomas III de Saluces », évoque ce texte qui date d’entre 1394 et 1405, « vaste prosimètre où se mêlent pèlerinage allégorique, florilège romanesque et notations biographiques » (p. 447), qui remploie l’hypotexte des Faits des Romains, à la manière d’un copiste.
22Anna Caughey et Emily Wingfield, dans « Conquest and Imperialism : Medieval Scottish Contexts for Alexander’s Journey to Paradise », rapportent que les Écossais se donnent des ancêtres communs avec Alexandre, ce qui n’est pas sans intérêt politique.
23Margaret Bridges, « Five Late Middle English Versions of the Narreme of Alexander’s Wondrous Gift ».
24Des illustrations, en particulier des mappemondes, suivent l’ensemble et un index permet de circuler dans le volume. On comprend à la lecture de la table des matières la part importante des directrices du volume dans son équilibre et dans son plurilinguisme. Ce travail est ambitieux et précis, et les spécialistes du domaine y trouveront des informations précieuses.
Pour citer cet article
Référence électronique
Myriam White-Le Goff, « Les Voyages d’Alexandre au paradis : Orient et Occident, regards croisés, éd. Margaret Bridges et Catherine Gaullier-Bougassas », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 11 septembre 2014, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/13272 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.13272
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