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AccueilNuméros24Hommages à Robert Fossier et Henr...Robert Fossier

Texte intégral

1Avec Robert Fossier, décédé le 25 mai 2012, disparaît un des grands historiens de notre temps ; et si son extraordinaire modestie l’a tenu un peu trop éloigné des médias, ses œuvres et son action ont été là pour établir et affirmer sa primauté. Et ce n’est pas uniquement le prestigieux médiéviste que je désirerais voquer, mais aussi et surtout celui qui a apporté à l’histoire de nouvelles techniques de recherche et un questionnement fondamental sur l’homme, la société et la nature dans la durée, qu’il a diffusés à partir de sa thèse de doctorat, de son enseignement à l’université Paris-I (étendu à l’ensemble des étudiants d’histoire voire de géographie), et disponible en France ou au delà de ses frontières grâce au rayonnement de ses nombreux manuels, de ses synthèses lumineuses et aussi grâce à l’action qu’il a pu longtemps mener à la tête du très important département (U.F.R) d’Histoire de son Université.

2Dès le début de sa carrière, Robert Fossier (né le 4 septembre 1927), après une enfance studieuse, a indiqué la double direction qu’il entendait prendre  d’abord la recherche et particulièrement en histoire médiévale, comme le soulignait son entrée à l’École Nationale des Chartes (1949), sa thèse sur La vie économique de l’abbaye de Clairvaux de l’origine au XVIe siècle, puis son affectation comme archiviste paléographe à la conservation de la bibliothèque historique de la ville de Paris (1949 -1953) ; mais il envisageait tout autant la transmission de sa science et des acquis de sa recherche et donc l’enseignement : reçu à l’agrégation d’histoire, il fut professeur au lycée de Fontainebleau (1953-1955) puis à Paris, au lycée Carnot (1955-1957).

3Choisi comme assistant d’histoire du Moyen Âge à la Sorbonne (1957-1961) il poursuivit comme chargé d’enseignement à l’Université de Nancy, aux côtés du doyen Schneider (1961-1971) et revint définitivement à la Sorbonne en remplacement d’Édouard Perroy (1971).

4C’est sous l’influence des idées de Marc Bloch, de ses collègues ou de ses disciples, que Robert Fossier a lancé sa recherche en histoire économique et sociale du monde rural, sur La Terre et les Hommes en Picardie jusqu’à la fin du XIIIe siècle une de ces monumentales thèses d’état qui ont amplifié le renom de l’École historique française. À la suite des synthèses régionales de Deléage et de Georges Duby, mais poussée sur un territoire considérable (du Ponthieu et du Boulonnais à l’Île de France) et dans un ensemble documentaire sans exemple, cette recherche se distinguait également des précédentes par l’ampleur de la période considérée (à partir de la Préhistoire, et sans négliger aucunement les contextes gaulois, gallo-romains, barbares et surtout carolingiens) et par le recours à des méthodes classiques considérablement élargies vers la géographie et renouvelées principalement en direction de la statistique, la toponymie, l’archéologie, la photointerprétation, l’utilisation des vues aériennes comme de la palynologie ou de la fécondité des sols. Cette « histoire sans textes », confortant celle née de la richissime documentation à la disposition d’un excellent archiviste paléographe, ciblait entre autres un essor démographique général, une réorganisation et une restructuration des terroirs, portées par les défrichements et l’assolement triennal … et surtout l’apparition de l’économie d’échanges, la naissance des classes sociales (solidarités aristocratiques, seigneurie banale) et la naissance de nouveaux villages, cadres du regroupement paysan et de la conscience collective de cette communauté serrée autour de l’église, du cimetière, de l’aitre, dans l’ensemble moral de la paroisse voire de la seigneurie… C’est l’une des premières descriptions de ce que l’auteur désignera et généralisera sous le nom vite célèbre d’« encellulement » (1981), qu’il situera approximativement entre 950 et 1050 lors de la paix succédant aux invasions principalement des Normands...

5Très neuve par sa démarche, la profondeur de ses acquis et de leur résonance, cette thèse frappait par son style et le jaillissement perpétuel des idées et des démonstrations afférentes, le plus souvent convaincantes, par l’utilisation de 38 graphiques et croquis originaux, résumant des centaines d’heures de travail, 10 cartes originales hors texte et des dizaines de photographies. Elle était donc un exemple ou un modèle pour tous les thésards alors en piste. Je dois dire que ayant à peine entrevu Robert Fossier et ignare en histoire rurale, malgré quelques souvenirs d’un séminaire de Charles Edmond Perrin, j’ai été sur le champ séduit par cette somme si magistralement maîtrisée. Et l’admiration que j’en ai éprouvée a été redoublée l’année suivante par la parution de l’admirable Histoire sociale de l’Occident médiéval (1970) modèle de manuel aussi savant que lumineux, n’oubliant ni Angleterre ni Pays Bas ni Allemagne, Italie, Espagne ou Portugal ou Etats latins d’Orient ni le monde des seigneurs, des clercs, des « grands », de la ville et des marges du monde rural.

6Je ne vais pas reprendre la liste de ses nombreux et essentiels ouvrages ou de ses encore beaucoup plus nombreux articles d’érudition ou innombrables Comptes Rendus de lecture … Je ne peux pas oublier les deux volumes de l’Enfance de l’Europe Xe-XIIe siècles (1982) ; ni l’ouvrage collectif qu’il a dirigé ; Le Moyen Age (3 volumes 1982-83) ; ni Paysans d’Occident XIe-XIVe siècles (1984) non plus que le recueil d’articles : Hommes et villageois d’Occident au Moyen Âge (1992) ou L’Occident médiéval ; Ve-XIIIe siècle (1995)… Permettez moi simplement de revenir quelque peu sur les derniers ouvrages qu’il a publiés après avoir quitté son enseignement et reçu en hommage de ses nombreux élèves ou collègues : Campagnes médiévales : l’homme et son espace (1995). Dans Le travail au Moyen Âge (2000) l’auteur précise, en lever de rideau, que, au Moyen Âge « l’oisiveté » est sainte mais aussi que la paresse est mère de tous les vices ; il y a donc un apparent paradoxe à lever, ce qui est tout à fait caractéristique d’une attitude consistant à poser et à affronter ou confronter des problèmes pas toujours bien cernés par d’autres et je retrouve ce si sympathique trait de caractère et la sainte colère qui dresse contre ceux qui s’accrochent à une béate et pernicieuse (et parfois, pour eux, fructueuse) ignorance des réalités. Si l’on s’intéresse à Ces gens du Moyen Âge (2007) en suivant la problématique originale, voire pionnière de l’auteur et bien distincte des avis (fort justes à leur place) de M. Bloch, de F. Braudel ou de J. Le Goff, il faut « jeter bas tous les poncifs, les a priori, les rabâchages et les erreurs dont se charge le mot ‘moyenâgeux’ quand en use le populaire qui ne sait pas et surtout les puissants, ceux qui dominent le politique, l’économique et l’information et qui y lisent, dans une ignorance béate et obstinée… » Nous retrouvons là le maître combatif et passionné qui n’a jamais plié quand justice ou raison étaient bafouées.

7J’aimerais terminer ce bien trop court hommage par une évocation des qualités de caractère de ce grand historien probe, rigoureux, modeste malgré l’immensité de sa culture, l’intelligence et la hardiesse de sa quête et son renom international, toujours à la disposition de son interlocuteur, étudiant, collègue, et, bien entendu, toute personne ayant recours à son aide ou à ses conseils. Autant qu’excellent administrateur, chercheur ou enseignant Robert Fossier était à tous les niveaux ce que l’on peut appeler une très belle âme.

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Pour citer cet article

Référence papier

Robert Delort, « Robert Fossier »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 24 | 2012, 1-3.

Référence électronique

Robert Delort, « Robert Fossier »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 24 | 2012, mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 11 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12890 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12890

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