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Des rumeurs au scandale

Étude phénoménologique de la répudiation d’Ingeburge du Danemark
Jérôme Devard
p. 397-415

Résumés

L’étude des notions de rumeur et de scandale est en plein renouveau. Cette étude se propose de décrypter ces deux phénomènes socio-juridiques à la lumière d’un célèbre épisode historique, celui de la répudiation expresse de la jeune reine de France, Ingeburge du Danemark, par son époux, Philippe Auguste, le lendemain des noces royales le 14 août 1193. Face à cette décision aussi inattendue qu’abrupte, des rumeurs se propagèrent pour tenter de motiver la décision royale ; rumeurs souvent cryptiques, relayées par les chroniqueurs de l’époque et d’autant plus présentes que Philippe II restait muet. Le 5 novembre 1193, le concile de Compiègne brisa l’union pour consanguinité. Toutefois, en épousant, quelques années plus tard, sa propre cousine, Philippe Auguste allait être l’initiateur d’un des plus grands scandales que la royauté médiévale a dû affronter, justifiant l’intervention de la papauté.

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Texte intégral

  • 1 Cf. G. Duby, Le Dimanche de Bouvines, dans Féodalité,Paris, Gallimard, 1996, p. 827-1050.
  • 2 J. Favier, Dictionnaire de la France médiévale,Paris, Fayard, 1993, p. 176.
  • 3 Cf. J. Baldwin, Philippe Auguste,Paris, Fayard, 1991, passim ;G. Sivery, Philippe Auguste,Paris, Pe (...)
  • 4 Aucune documentation nouvelle n’a été publiée sur cette affaire depuis les publications d’H.Géraud, (...)

1On peut parfois comparer l’histoire de France à un épais manteau neigeux recouvrant sous une chape immaculée certains faits peu glorieux de la vie d’un personnage pour n’en retenir que ses hauts faits. Il en est ainsi de Philippe II Auguste, le vainqueur de la bataille de Bouvines1 qui fut « l’une des batailles décisives et symboliques de l’histoire de France »2. Si tous les historiens s’accordent pour reconnaître en ce roi un grand conquérant qui a su affirmer et préserver la puissance étatique de la France3, il n’en demeure pas moins que sa vie privée fut la cause de biens des tourments pour la royauté française. La principale affaire qui entacha durant vingt années son règne (de 1193 à 1213), allant jusqu’au prononcé de l’interdit sur le royaume, est l’épisode de son second mariage avec la princesse Ingeburge du Danemark4.

  • 5 À s’en tenir à certaines chroniques, la reine serait décédée en donnant naissance à des jumeaux mor (...)
  • 6 Le futur Louis VIII fut gravement malade durant l’année 1191 et cet événement, doublé au décès de l (...)
  • 7 Cf. William de Newburgh, Historia rerum Anglicarum, Chronicles of the Reign of Stephen, Henry II, a (...)
  • 8 Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, t. 1, éd. H.-F. Delaborde, Paris, 1882, p. 125. Pour un (...)
  • 9 Roger de Hoveden, Chronica, t.3, éd. W. Stubbs, London, 1870, p. 224: Et cum ipse vellet eam trader (...)

2À son retour de la 3e croisade, suite au décès de sa première épouse Isabelle de Hainaut, morte en couche en 11905, compte tenu de la santé fragile du prince Louis6 et des relations chaotiques avec la famille Plantagenêt, Philippe décida de demander la main d’une des sœurs du roi Knud VI. À en croire certains chroniqueurs anglais, le but de ce mariage était que Philippe II obtienne en guise de dot, par subrogation, les droits légitimes de la dynastie danoise sur l’Angleterre, ainsi qu’une flotte armée pour les faire valoir pendant une année7. Le roi du Danemark réfuta la proposition et les ambassadeurs français obtinrent à la place une dot de dix mille marcs d’argent. Lorsque les émissaires français eurent juré la ponctuelle exécution des conditions matrimoniales, Ingeburge partit avec eux pour la France, suivie d’une escorte de grands personnages danois. Celle-ci arriva à Amiens le 14 août 1193, où le roi de France l’attendait, et le couple fut marié sur le champ. Le lendemain, lors des cérémonies de couronnement, le roi se montra particulièrement agité et une fois le cérémonial terminé, il annonça à ses conseillers qu’il souhaitait répudier sa nouvelle épouse et comme l’indique Rigord : paucis revolutis diebus, linea consanguinitis per Carolum comitem Flandrensium ab episcopis et baronibus computata8. Cette dernière refusant obstinément de repartir dans son pays natal9, le roi de France l’enferma dans l’attente d’une assemblée qui prononcerait le divorce. Ce n’était que le prélude à une incarcération de vingt années.

3Cette répulsion immédiate fut incompréhensible pour tous les témoins de l’époque et l’est encore de nos jours. De toute évidence, un événement terrifiant avait eu lieu pendant la nuit de noces et les tentatives d’éclaircissements des historiens modernes sont restées au stade de la spéculation. Face à la volte-face royale aussi abrupte qu’inattendue, et sans aucune justification cohérente, les chroniqueurs proposèrent des explications plausibles. Ce faisant, ils ne semblent que relayer les rumeurs qui avaient cours à cette époque ; rumeurs d’autant plus préssantes que Philippe II restait silencieux sur les évènements. Le 5 novembre 1193, soit quatre-vingt-deux jours après les noces royales, la diète synodale de Compiègne, présidée par l’oncle de Philippe, Guillaume de Champagne, prononça la sentence du divorce pour inceste. En décidant d’épouser Agnès de Méranie, sa propre cousine, trois ans plus tard, Philippe II allait déclencher l’un des plus gros scandales de la royauté médiévale française.

La répudiation d’Ingeburge du Danemark face aux rumeurs : pour une recherche sociohistorique d’un phénomène cryptique

  • 10  C. Gauvard « Rumeur et stéréotypes à la fin du Moyen-Âge», La circulation des nouvelles au Moyen-Â (...)
  • 11  Cf. J. Gritti, Elle court, elle court, la rumeur,Ottawa, Éditions Alain Stanké, 1978, p. 13.
  • 12  A. Gryspeerdt et A. Klein, La galaxie des rumeurs, Bruxelles, EVO Éditions, 1995, p. 6.
  • 13 Cf. Willelmi ad Kanutum, Danorum Regem, RHF, t. 19, Paris, 1880, p. 322 : Ne igitur animum vestrum (...)

4« L’historien ne peut qu’appréhender le souvenir de la rumeur, la trace écrite qu’elle a pu laisser chez les contemporains ; or celle-ci est obligatoirement filtrée, rationalisée, et le plus souvent moralisée. »10 En effet, la rumeur apparaît comme un phénomène fuyant11. « Dès que la rumeur est “victime” d’une tentative d’objectivation, elle échappe à son chercheur ou l’emmène dans des sables mouvants. »12 La rumeur apparaît insaisissable du point de vue de son appréhension scientifique. Elle passe tour à tour du statut de rumeur à celui d’information, fantasme, bruit, commérage, ou est confondue avec un mode de transmission qui lui est proche : le bouche à oreille. Ainsi, ce qui caractérise le phénomène de la rumeur est essentiellement son caractère d’information informelle ou non officielle et c’est dans ce sens qu’il faut interpréter le terme de « rumor » dans l’affaire du divorce de la princesse danoise comme l’indiquent les lettres et les témoignages, jalonnant cette histoire13.

Sur les traces de la rumeur : les tentatives d’interprétations de la répudiation de la reine

  • 14  Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 124.
  • 15 Ex Annalibus Aquicinctensis Monasterii, RHF, t. 18, op. cit., p. 546 : Philippus Rex secundam duxit (...)
  • 16 Ex Gestis Innocentii III Papae, RHF, t. 19, op. cit., p. 343 : Sed, inter ipsa coronationis solemni (...)
  • 17 William de Newburgh, Historia rerum Anglicarum, éd. cit., p. 369 : Verum post initi foederis, ut di (...)
  • 18 Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 124 : Sed mirum ! eodem die, instgante dia (...)
  • 19 J.-N. Kapferer, Rumeurs, le plus vieux média du monde, Paris, Éditions du Seuil, 2009, p. 25.
  • 20 C. Beaune, « La rumeur dans le Journal du Bourgeois de Paris», La circulation des nouvelles au Moye (...)
  • 21 Cf. Ex Radulphi Goggeshalae Abbatis, RHF, t. 18, op. cit., p. 74 : Eodem anno, idem Rex sororem Reg (...)
  • 22 William de Newburgh, Historia rerum Anglicarum, éd. cit., p. 368.
  • 23  E. Rémy, « Comment saisir la rumeur ?», Ethnologie française, 23, 1993, p. 591-602.

5Nul ne sera jamais capable d’expliquer la subite aversion de Philippe IIpour sa seconde épouse. Comme l’indique Rigord, le chroniqueur officiel du roi de France, uxorem tam longo tempore cupitam, exosam habere cepit14. Ce dégoût soudain pour sa seconde épouse apparut lors de la cérémonie du couronnement du 15 août en présence d’une grande assemblée réunissant anonymes, prélats, seigneurs et chevaliers15. Tous constatèrent l’extrême agitation du roi qui, selon les chroniqueurs contemporains, tout en pâlissant, fut pris de frissons et de tremblements jusqu’à la fin de la cérémonie16. À son terme, Philippe annonça à ses plus proches conseillers qu’il souhaitait répudier son épouse et la renvoyer au Danemark. L’attitude du roi suivie de cette décision aussi précipitée qu’inattendue provoqua la consternation des observateurs contemporains, principalement des chroniqueurs étrangers, qui, tout en présentant les faits et en apportant des explications sur le comportement de Philippe II, se faisaient les relais des rumeurs qui circulaient à l’époque. Ce constat est bien présent chez William de Newburgh, qui utilise les locutions de ut dicitur ou dicunt pour introduire et expliquer les évènements de ces journées17. De la même manière, Rigord utilise les mêmes expressions pour relayer l’acte de sorcellerie dont aurait été victime le roi de France18. Ces locutions, spécifiques du vocabulaire de la rumeur19, sont des procédés stylistiques souvent utilisés par les auteurs pour rapporter une nouvelle non officielle20. En réalité, loin de jeter l’opprobre sur la reine, les chroniqueurs français mettent en avant les qualités substantielles de la nouvelle reine21. Cette volonté de défendre l’intégrité morale d’Ingeburge est symptomatique de l’existence de rumeurs contraires dont William de Newburgh se fait le héraut : Dicunt enim quidam, quod propter foetidum oris spiritum, alii, quod propter latentem quandam foeditadem, repudiaverit eam, vel quia non invenit eam virginem22. En effet, comme l’indique E. Rémy, la rumeur est « un phénomène qui commence à se faire jour sous l’effet d’un regard contrasté »23.

  • 24  Cf. G. Breton, Histoire d’amour de l’histoire de France, t. 1, Paris, Omnibus, 1995, p. 77 : « Cet (...)
  • 25  S. Boissellier, « La circulation réticulaire de l’information en milieu rural : historiographie et (...)
  • 26  Cf. C. Gauvard, « Introduction», La Rumeur au Moyen Âge, op. cit., p. 23-32.

6Toutefois, à l’exception de ces quelques exemples, les indices sur l’existence de rumeurs concernant Ingeburge sont plutôt maigres. En tout état de cause, on aimerait beaucoup connaître les sources sur lesquelles certains auteurs modernes se fondent pour exposer certaines hypothèses24. L’absence d’autres indications lexicales spécifiques suppose-t-elle leur inexistence ? Comme l’indique S. Boissellier, « on peut considérer la rumeur comme toute information dont l’origine s’est perdue, impliquant une dimension cryptique »25. Mais cette « dimension cryptique » peut s’appliquer à l’ensemble de la rumeur et non seulement à son origine. La rumeur est en substance le siège de l’oralité26 qui n’est pas forcément repris et cristallisé par l’écrit. Seules celles qui seront estimées importantes seront reproduites, écartant celles de moindre importance. Dans cette optique, comment peut-on connaître de l’existence de rumeurs ?

  • 27 M.-L. Rouquette, Les rumeurs, Paris, PUF, 1975, p. 15-18.

7Selon M.-L. Rouquette, regroupant et formalisant les travaux antérieurs sur le sujet27, la rumeur peut être décrite selon sept caractéristiques : elle apparaît dans une situation de crise(1), les canaux formels de communication ne véhiculent qu’une information réduite(2), elle se transmet oralement de personne à personne(3), cette communication a lieu entre des individus également impliqués dans la situation(4), le contenu de la rumeur connaît différentes distorsions au cours de son processus de transmission(5), ce contenu traduit la pensée de la population(6) en entretenant un rapport avec l’actualité(7). Confrontons cette grille de lecture à l’affaire de la répudiation de la princesse danoise.

  • 28 Cf. J. Flori, Aliénor d’Aquitaine. La reine insoumise, Paris, Payot, 2004, p. 51-102.
  • 29 Chronique de Gilsbert de Mons,éd. L. Vanderkindere, Bruxelles, Kiessling, 1904, p. 152-153.
  • 30 Même le mariage entre le futur LouisXII et Jeanne de France en 1476, imposé par leurs entourages et (...)
  • 31  Une précaution qui pourrait sembler superflue si la tentative de répudiation d’Isabelle de Hainaut (...)
  • 32  Cf. H. Géraud, Ingeburge de Danemark, op. cit., p. 6, note 2.
  • 33  Comme l’indique C. Gauvard dans son « Introduction», op. cit.,p. 30, la rumeur est au centre d’int (...)
  • 34  S. Boissellier dans son article « La circulation réticulaire…», op. cit.,p. 250, indique que la ru (...)

8En France, la répudiation des reines est chose courante au xiie siècle. Aliénor d’Aquitaine divorça de Louis VII en 115228, et Isabelle de Hainaut, la première épouse de Philippe II, sentit sur elle le souffle de la répudiation en 118429. Toutefois, dans ces deux cas, la répudiation ou sa tentative intervint respectivement après quinze et quatre années de mariage. Jamais dans l’histoire de France, une reine ne se verra répudiée aussi rapidement30. De surcroît, un problème allait se poser à court terme. En effet, une condition que les conseillers danois avaient réclamée dès le début des négociations était la promesse, signée de la main de Philippe Auguste et jurée par les ambassadeurs qu’Ingeburge serait traitée en reine31 dès qu’elle mettrait le pied sur la terre de France32. Or, en renvoyant son épouse, Philippe II revenait sur son engagement, risquant de subir les foudres de Knud VI. La situation apparaissait donc, par bien des aspects, préoccupante du fait de l’absence de précédents historiques(1) (7). À cause de ses possibles conséquences, la décision royale pouvait engendrer des troubles dans le pays(4). Une telle conjoncture était propice à l’apparition de rumeurs33 tentant de motiver la décision de Philippe Auguste, surtout que le roi se terrait dans un mutisme inquiétant. En effet, du 15 août au 5 novembre 1193, Philippe Auguste ne proposa aucune explication officielle sur son comportement. De son côté, Ingeburge, captive et ne parlant pas un mot de français, n’était pas en mesure d’apporter la moindre explication officielle(2). Devant l’absence d’information de part et d’autre, la population ne pouvait qu’avancer ses propres hypothèses allant des plus pragmatiques aux plus fantasmagoriques, se modifiant lors du processus de transmission, qui se faisait à cette époque, la plupart du temps de manière orale34 (3). En effet, que ce soit la mauvaise haleine, une difformité cachée ou l’absence de virginité, chacun de ces trois « défauts » sont des vices physiques. Dans une société chrétienne, qui mettait la virginité au rang des vertus cardinales auxquelles devait être soumise toute jeune aristocrate, l’absence de virginité pouvait être considérée comme une difformité cachée, cette idée révélant une probable altération lors de la transmission de la rumeur(5). Comme nous le constatons, les évènements historiques liés aux origines de la répudiation d’Ingeburge cadrent avec la grille de lecture de la rumeur fournie par J.-L. Rouquette. En effet, nous pouvons retrouver 6 des 7 caractéristiques. Quant à la dernière, elle est le sujet du développement suivant.

Le contenu des rumeurs(6) : les tentatives d’explications de l’empêchement du roi

  • 35  C. Gauvard, « Rumeur et stéréotypes à la fin du Moyen-Âge», op. cit.,p. 158.

9Ainsi que l’indique C. Gauvard, s’interrogeant sur le contenu de la rumeur, « la question revient à nous interroger sur les croyances et les obsessions que colportent les populations les plus ordinaires »35.

  • 36  Cf. Ex Gestis Innocenti III Papae Fragmentum, RHF, t. 19, op. cit., p. 342 : Rex ipsius praestolab (...)
  • 37  William de Newburgh, Historia rerum Anglicarum, éd. cit., p. 369.
  • 38 Roger de Hoveden, Chronica, t. 3, éd. cit., p. 224.
  • 39  En effet, l’explication d’évènements qui se seraient produits durant la nuit de noces n’est en ell (...)

10Le point de départ des rumeurs, nous l’avons déjà souligné, est la décision de renvoyer la princesse danoise, quelques heures après la cérémonie de couronnement durant laquelle Philippe Auguste se montra des plus agité, tranchant avec son empressement de la veille36. Ce changement de comportement trouve donc son origine dans le laps de temps se situant entre les deux rites. Or, les cérémonials veulent que le couple soit très entouré. Si quelque chose s’était passée à cette occasion, il y aurait eu sûrement des témoins pouvant apporter des explications. Or, le problème dans cette histoire, c’est justement qu’il n’existe aucun témoin. Le seul moment où le couple fut seul, c’est durant la nuit de noces et c’est donc logiquement qu’on a présumé que quelque chose s’était déroulé à ce moment précis. C’est ce que suggère déjà William de Newburgh : Verum post initi foederis, ut dicitur, noctem unam, incerum unde offensus, abjecit eam37 ; et selon toute vraisemblance le malaise était d’ordre sexuel comme l’indique Roger de Hoveden, sans que, toutefois, ce dernier n’émette d’hypothèses : Sed in crastino primae noctis, qua praedictus rex Franciae illam uxorem suam cognoverat voluit eam dimittere secreti sui conscius38. Cette information originelle39 va donner naissance à d’autres qui vont tenter d’expliciter le malaise sexuel du roi.

  • 40  Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 124.
  • 41  Les rumeurs ne remettent pas en cause les qualités intrinsèques du roi : il a déjà engendré un hér (...)
  • 42  Certains auteurs ajoutent à cette liste une déformation de la suette ou bien une peau de serpent s (...)
  • 43 C. Beaune, « La rumeur dans le Journal du Bourgeois de Paris», op. cit.,p. 191-203.
  • 44  Cf. C. Galderisi, « La Pareüre du texte. L’haleine d’envie, la pomme d’orgueil, le royaume d’humil (...)

11Selon Rigord, eodem die, instigante diabolo, ipse rex, quibusdam, ut dicitur, maleficiis per sorciaras impeditus, uxorem tam longo tempore cupitam, exosam habere cepit40. Avant de revenir sur le contenu de cette rumeur, nous devons observer que selon ce chroniqueur officiel, Philippe II a été empêché de connaître la reine. Même s’il est évident que le but d’un panégyriste est d’enjoliver les faits, tous les chroniqueurs qui se sont penchés sur l’affaire, à l’exception de Roger de Hoveden, s’accordent pour dire que l’empêchement est extérieur au roi41, mais inhérent à la jeune reine. Parmi les causes avancées, la rumeur suggère que la reine pouvait avoir des défauts physiques comme une mauvaise haleine ou une difformité cachée42. Ainsi que l’indique C. Beaune, « la rumeur est de l’ordre du vraisemblable plus que du vrai, encore qu’elle ne circule que si elle considérée comme vraie. »43 Or, même si ces causes avancées peuvent être considérées de nos jours comme étant anecdotiques, l’existence d’un grand nombre de récits contemporains sur l’halitose atteste que ce problème était bien ressenti comme tel44. Il n’est donc pas étonnant de retrouver ces explications au nombre des rumeurs relayées par les chroniqueurs.

  • 45  Cf. infra.
  • 46 J.-L. Gazzaniga, « La sexualité dans le droit canonique médiéval», Droit, Histoire & Sexualité, dir (...)
  • 47 S. Vecchio, « La bonne épouse», Histoire des femmes en Occident, t. 2, dir. C. Klapisch-Zuber, Pari (...)
  • 48  Cf. Baudouin de Ninove, Chronicon, MGH SS, t. 25, Leipzig, 1925, p. 536.
  • 49  La rumeur du défaut de virginité avait le mérite de constituer une cause recevable par les autorit (...)
  • 50 Cf. Tornencis Episcopi ad Guillelmum Remensem archiepiscopum, RHF, t. 19, op. cit., p. 295 : Quis e (...)

12William de Newburgh reprend comme cause de l’empêchement du roi, le défaut de virginité d’Ingeburge45. La réforme grégorienne avait fait de la chasteté et de la continence – et par corrélation de la virginité –, un élément essentiel de sa doctrine afin de moraliser la société cléricale et laïque46. En effet, selon beaucoup d’auteurs, à la suite d’Aristote, la bonne épouse devait être jeune ou du moins vierge : « Ingénuité et inexpérience de l’épouse, bien loin de constituer des défauts, étaient les garanties de sa malléabilité entre les mains de son futur mari »47. L’archétype de la vierge était particulièrement proposé aux jeunes filles de l’aristocratie, dont toute la vie était rythmée par la liturgie chrétienne. Néanmoins, cette cause n’était pas non plus suffisamment sérieuse pour bloquer sexuellement Philippe Auguste, qui jusqu’à la fin de ses jours, n’hésita jamais à convier dans son lit des concubines48, qu’elles soient chastes ou non. Cette rumeur49 portant atteinte, plus que les autres, à la réputation d’une princesse royale fut ardemment combattue par certains chroniqueurs français, qui firent un vibrant plaidoyer en faveur de la beauté physique et des qualités morales d’Ingeburge50.

  • 51  Œuvres de Rigod et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 124.
  • 52 Ibid., p. 195.
  • 53 Cf. H. Martin, Mentalités médiévales XIe-XVe siècle,Paris, PUF, 1998, p. 217-258.
  • 54  J. Paul, L’Église et la culture en Occident, Paris, PUF, 1986, p. 645-702.
  • 55  J.-Cl. Schmitt, « Les superstitions», Histoire de la France religieuse, t. 1, dir. J. Le Goff et R (...)
  • 56  Cf. C. Vogel, Le pécheur et la pénitence au Moyen Âge,Paris, Éditions du Cerf, 1969, p. 80-113.
  • 57  Cf. H. Institoris, J. Sprenger, Le Marteau des sorcières,Grenoble, Éditions Jérôme Millon, 2005, p (...)
  • 58  C. Gauvard, « Rumeur et stéréotypes à la fin du Moyen-Âge», op. cit.,p. 174.
  • 59  L’impuissance du roi par sorcellerie fit partie des actions en justice. Innocent III lui-même fut (...)

13L’autre type de rumeur fut rapporté par Rigord et Guillaume le Breton, les chroniqueurs royaux capétiens. Pour le premier, eodem die, instigante diabolo, ipse rex, quibusdam, ut dicitur, maleficiis per sorciaras impeditus, uxorem tam longo tempore cupitam, exosam habere cepit51 ; pour le deuxième, eodem die que benedicta et coronata fuerat, per sortiaras, ut dicunt, maleficiata, ab ipso coepit minus diligi, et jure thori et carnis debito privari52. Si les deux auteurs s’accordent pour reconnaître que l’empêchement de Philippe Auguste est dû à un acte de sorcellerie, pour Guillaume le Breton l’instigatrice du maléfice est Ingeburge, elle-même, alors que pour Rigord, l’origine de l’acte de sorcellerie est indéterminée. En tout état de cause, la finalité reste la même : le roi aurait été rendu impuissant à cause d’actes de sorcellerie. En cette fin du XIIe siècle où l’inquisition et ses manuels n’existaient pas encore, la sorcellerie était une composante des superstitions populaires53. Traitant des mentalités religieuses entre le Xe et le XIIe siècle, Jacques Paul insiste sur la présence, en deçà du christianisme officiel, d’un sacré plus diffus et de rites magiques54. De son côté, Jean-Claude Schmitt, faisant le point sur les superstitions dans le catholicisme médiéval, évoque la lutte indécise qui a opposé l’Église et le paganisme au haut Moyen Âge et indique que l’Église a rencontré une très vive résistance, se prolongeant au-delà de l’an mil, dans le domaine des rites de fertilité et de fécondité55, et par voie de conséquence de l’infertilité et infécondité. Au début du XIe siècle, Burchard de Worms fait état de ces croyances dans son Pénitentiel, attribuant ces méfaits essentiellement aux femmes56. Largement exploité aux XIIe et XIIIe siècles, ce thème occupa encore une place importante, à la fin du XVe siècle, dans le Marteau des sorcières57, preuve s’il en est de la persistance de ces croyances. À la fin du XIIe siècle, la société française croyait fortement à l’empêchement sexuel sorcellaire. Or, comme l’indique C. Gauvard, « pour se structurer la rumeur a besoin de stéréotypes qui jouent avec la peur comme avec les valeurs sociales »58. Le roi, ayant déjà engendré un héritier, apparaît aux yeux de tous comme étant fertile. Son impuissance et son dégout pour sa jeune épouse ne peuvent donc pas s’expliquer raisonnablement ; l’explication ne peut donc être que surnaturelle59.

  • 60  J.-N. Kapferer, Rumeurs, le plus vieux média du monde, op. cit., p. 25.

« Ce qui caractérise le contenu de la rumeur n’est pas son caractère vérifié ou non, mais sa source non officielle. La rumeur est donc l’émergence et la circulation dans le public d’informations soit non encore confirmées publiquement par les sources officielles soit démenties par celles-ci. »60

  • 61  Cf. C. Gauvard, « La fama,une parole fondatrice», La Renommée, Médiévales,24, 1993, p. 5-13.
  • 62  En effet, selon cette décision conciliaire, Ingeburge et la première épouse de PhilippeII, Isabell (...)
  • 63  Cf. Absalonis, Lundensis archiepicopi, ad Coelestinum, RHF, t. 19, op. cit., p. 311-312 ; cf. auss (...)
  • 64  Regestum X, PL 215, n° 180.
  • 65  Cf. H. Géraud, Ingeburge de Danemark, reine de France, 1193-1236, op. cit., p. 15.
  • 66  Coelestini ad Willelmum, Remensem archiepiscopum et suffragantes ejus, RHF, t. 19, op. cit., p. 33 (...)

14Cependant, aussi nombreuses qu’elles puissent être, ces rumeurs ne relayent en aucune manière des positions officielles. Bien au contraire, la rumeur flirte avec le secret et le privé61. Très souvent, la rumeur, suggérant des hypothèses et des explications, oblige les autorités à apporter une version officielle. Or, la réponse de Philippe Auguste vient de la diète synodale de Compiègne, se tenant le 5 novembre 1193, répudiant Ingeburge pour consanguinité62. Knud VI répondit sans délai que les généalogies compilées par la chancellerie étaient fondamentalement défectueuses63, rendant ainsi la cause du divorce inexistante. Toutefois, Philippe Auguste, ne souhaitant pas reprendre sa femme, chargea ses légistes de se servir de tous les moyens légaux afin : sive per affinitatem, sive per maleficium, sive intrando religionem, sive alio quocumque modo rationabili per quem solet separari matrimonium64, et confina son épouse dans l’abbaye de Cisoing, dans le diocèse de Tournai65. La sentence du divorce fut cassée par le pape Célestin III, le 13 mai 1195, au motif de l’absence de la consanguinité invoquée, et interdit aux prélats français en vertu de l’autorité apostolique, que le roi contractât un nouveau mariage66. En épousant sa cousine Agnès de Méranie, le 16 juin 1196, Philippe II faisait entrer le royaume dans l’un des plus grands scandales de son histoire.

La répudiation d’Ingeburge du Danemark à l’épreuve du scandale : pour un décryptage socio-juridique du phénomène

  • 67  Pour une étude de la notion biblique du scandale, cf. G. Stählin, Skandalon, Gütersloh, 1930, pass (...)
  • 68  Cf. Thomas d’Aquin, Somme Théologique IIa-IIae, La Charité Tome troisième, Q. 43, Paris, Éditions (...)
  • 69 Selon les auteurs se réclamant de l’école de Durkheim, le scandale serait conçu comme une sorte de (...)
  • 70 D. De Blic et C. Lemieux, À l’épreuve du scandale, Politix 71, 18, 2005, passim.
  • 71 Cf. J. Werckmeister, « Théologie et droit pénal : autour du scandale», RDC,1989, p. 103 ; cf.R. Naz (...)

15Le scandale est, en substance, un concept social. Notion à la fois biblique67, théologique68, anthropologique69, juridique et sociologique70, c’est un phénomène qui a pour point de départ un événement scandaleux, une gravis ordinis perturbatio71 visible de toute la communauté. Prenant la suite de la rumeur – avec laquelle il partage un certain nombre d’éléments constitutifs –, le scandale est au cœur même de la répudiation d’Ingeburge du Danemark qui, par l’intervention du pape Innocent III, va se judiciariser.

La constitution du scandale : le mariage de Philippe II et d’Agnès de Méranie

  • 72  Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 135.
  • 73 En 1200, ils eurent aussi un fils prénommé Philippe. Les deux enfants furent légitimés en 1201, tro (...)
  • 74 Cf. Ingeburgis, Reginae Francorum, ad Coelestinum et Kanuti, Danorum Regis, ad Coelestinum, RHF, t. (...)
  • 75 E. de Dampierre, « Thèmes pour l’étude du scandale», Annales ESC, vol. 9-3, 1954, p. 328-336.
  • 76 Ex Guillelmi Neubrigensis, De rebus Anglicis Libro V, RHF, t. 18, op. cit., p. 49 : Quippe, ut dici (...)
  • 77 Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 151.

16Malgré son divorce avec Ingeburge, doublé de l’interdiction qui lui était faite de se remarier, Philippe Auguste, désirant renforcer le lignage capétien, épousa sa cousine Agnès de Méranie72, qui guérit rapidement le roi de son incapacité puisque dès 1198, une petite Marie naquit de l’union73. Toutefois, ce mariage ne fut pas du goût de tout le monde. Du monastère de Cisoing où était enfermée Ingeburge depuis la diète synodale de Compiègne, et de la cour du Danemark, des lettres arrivèrent à Rome, dénonçant cet état de fait74. Ce furent certainement ces démarches qui déterminèrent Philippe Auguste à aggraver la situation d’Ingeburge, qui fut incarcérée dans une forteresse dans le dénuement le plus total. Toutefois, aussi consternantes qu’apparaissent les conditions de détention de la jeune reine, le scandale n’est pas la conséquence de ses mauvais traitements – d’ailleurs Célestin III ne semblait pas prêter beaucoup d’attention aux lamentations et aux plaintes des membres de la famille royale danoise –, mais l’union de Philippe II et d’Agnès de Méranie. Traditionnellement, on définit le scandale comme un acte choquant qui doit contrevenir à des valeurs préalablement reçues dans un groupe social et l’existence d’un public75. Si les documents historiques ne font guère de mention du public, plusieurs éléments nous indiquent que l’opinion populaire avait connaissance des turpitudes maritales de Philippe Auguste. En effet, avant que son choix ne se porte sur Agnès, le roi de France rechercha une nouvelle épouse dans toutes les cours d’Europe, mais plusieurs princesses, craignant un destin comparable à la princesse danoise, refusèrent leur main à Philippe II76. Par ailleurs, Rigord déclare au sujet de la légitimation des enfants issus du mariage de ce dernier avec Agnès de Méranie : quod factum eo tempore pluribus displicuit77. Comme on peut le constater, les tribulations de la vie de couple de Philippe Auguste avaient un rayonnement international, attestant la présence d’un large public propice à l’existence d’un scandale.

  • 78  J. Gaudemet, Église et Cité, Paris, Éditions le Cerf, 1994, p. 281-539.

17Le mariage d’un roi n’avait rien d’extraordinaire en lui-même sauf quand les circonstances dans lesquelles il se déroulait l’étaient. En l’espèce, les noces furent célébrées alors que l’union avec la princesse danoise, reléguée dans un monastère puis dans un donjon, avait été confirmée par la papauté et malgré l’interdiction formelle de Célestin III à Philippe II de contracter un nouveau mariage. L’entêtement du roi de France dans ses projets matrimoniaux, en s’opposant ouvertement à Rome, avait de quoi choquer une société en pleine mutation chrétienne, aussi bien du point de vue de la discipline que de la morale78 ; et c’est bien dans ce domaine que le troisième mariage de Philippe Auguste posait le plus de problèmes, en contrevenant aux valeurs que l’Église tentait d’inculquer dans la société depuis des décennies.

  • 79 Le décès d’Agnès de Méranie en juillet 1201 épargna à Philippe Auguste un éventuel procès pour biga (...)
  • 80 Cf. Ad Philippum, Francorum Regem, RHF, t. 19, op. cit., p. 356.
  • 81 Pour une synthèse sur l’évolution du mariage, cf. J. Gaudemet, Sociétés et mariage, Strasbourg, Cer (...)
  • 82  Bertrade n’était qu’une lointaine parente qui avait épousé un cousin très éloigné du roi : le bisa (...)
  • 83 La condamnation pour adultère ne se justifie que par la volonté de faire de la condamnation du roi, (...)
  • 84  Cf. G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, dans Féodalité, op. cit.,p. 1165.

18Tout d’abord en se mariant avec Agnès de Méranie, alors qu’il était toujours uni à la première, il devenait de facto bigame79 et adultère. C’est pour cela qu’Agnès était considérée comme une superintroducta, c’est-à-dire une personne introduite de l’extérieur, au mieux une concubine80. À une époque où les prélats mettaient l’accent sur la loi évangélique d’une seule épouse, réaffirmant le principe d’indissolubilité du mariage et l’interdiction de répudier sa femme – ce qui se heurtait toujours, au XIIe siècle, à des écueils –, le remariage du roi remettait en cause les tentatives de moralisation de la société dans ce domaine et risquait de mettre en danger l’instauration du mariage chrétien qui pénétrait lentement les mentalités en devenant la norme81. Toutefois, l’élément qui constituait à lui tout seul le scandale était l’inceste. L’inceste dans la maison royale n’était pas une nouveauté. On en trouve un très bon exemple en 1091. Cette année-là, le roi de France, Philippe Ier répudia sa première femme, Berthe de Frise, pour épouser une parente82, la femme du comte d’Anjou Foulque Réchin, Bertrade de Montfort. Le Concile d’Autun excommunia le roi de France en 1094 pour adultère83 et inceste. Dans l’histoire, « le scandale n’était pas de s’être approprié la femme légitime d’un autre ; ce n’était pas l’adultère. C’était de s’être uni à une parente »84.

  • 85  Cf. É. Claverie, « La naissance d’une forme politique : l’affaire du Chevalier de la Barre», Criti (...)
  • 86  D. De Blic et C. Lemieux, « Le scandale comme épreuve», À l’épreuve du scandale, op. cit.,p. 9-38.

19L’histoire de la répudiation d’Ingeburge du Danemark illustre, en fait, de ce que les sociologues et les anthropologues appellent « une affaire »85. Selon cette théorie, le scandale se transformerait en « affaire » lorsqu’il y aurait retournement de la situation scandaleuse contre la personne qui l’a provoquée86. Dans cette perspective, la mutation s’opèrerait dès que son initiateur est à son tour l’objet d’une accusation par la personne scandalisée ou ses alliés. Or, le motif de consanguinité qui avait été le motif initial de répudiation est opposé à Philippe Auguste lors de ses noces avec Agnès de Méranie : d’une répudiation fondée sur une parenté fallacieuse, on passe à un mariage consanguin célébré en connaissance de cause.

  • 87  Pour reprendre l’expression de l’essai d’H. Rayner, Dynamique du scandale de l’affaire Dreyfus à C (...)
  • 88 Cf. M. Gluckman, « Gossip and Scandal», Current Anthropolgy,IV(3), 1963, p. 307-316.
  • 89  Cf. Affaires, scandales et grandes causes, dir. L. Boltanski, É. Claverie, N. Offenstadt, S.Van Da (...)
  • 90  Cf. A. Fossier, « Où est passée la sociologie de la critique ? À l’épreuve d’Affaires, scandales e (...)

20Toutefois, cette « affaire » n’apparaît être qu’une phase d’un processus plus complexe qui trouve son origine dans la rumeur, traditionnellement appelée une « dynamique scandaleuse »87. La rumeur et le scandale ont en commun, en plus de faire appel tous les deux à un public, d’être des marqueurs d’indécence d’un acte ou d’une situation88. La rumeur va relayer une information perçue comme marquante ou choquante dont la nature déviante va faciliter sa transmission ; le scandale, quant à lui, se définit comme une « indignation qui rassemble »89 : « là où le scandale et l’affaire se différencient de la simple rumeur ou du pur commérage, se fait le délicat passage de l’indignation gardée secrète à la critique rendue publique. »90 L’indécence étant donc au cœur même des deux phénomènes, il arrive que les deux se rejoignent, le deuxième trouvant son origine totale ou partielle dans la première formant un archétype phénoménologique.

  • 91  L’histoire raconte qu’au prononcé du divorce Ingeburge se serait écriée : Mala Francia ! Mala Fran (...)
  • 92  Cf. C. Lemieux, « L’accusation tolérante. Remarques sur les rapports entre commérage, scandale et (...)
  • 93  Cf. L. Boltanski, L’Amour et la Justice comme compétences,Paris, Métailié, 1990, p. 255-356.
  • 94 Cf. J. B. Thompson, Political Scandal. Power and Visibility in the Media Age,Cambridge, Polity Pres (...)

21Dans ce schéma, la « dynamique scandaleuse » ne commence pas avec le scandale effectif, mais avec la circulation des rumeurs. Dès le début de l’histoire, on a vu que les rumeurs se partageaient entre deux camps : ceux qui prenaient la défense de la princesse danoise et ceux qui la dénigraient, en lui faisant porter la cause de l’empêchement sexuel de Philippe Auguste et par extension de sa propre répudiation. Ainsi, il apparaissait que pour une fraction de la population, la nouvelle reine de France n’était pas la seule responsable de son renvoi ; et le roi, muré dans son silence, devait sûrement avoir une part de responsabilité. Si la diète synodale de Compiègne, relayant de facto la réponse du roi de France, a vocation à faire taire les rumeurs, le vibrant appel d’Ingeburge à la papauté91 ne fait que cristalliser l’indignation collective, mise en exergue par une partie des rumeurs. Dans cette perspective, la rumeur, en plus d’être une information non officielle, serait un moment de mise en accusation archaïque contre l’attitude de Philippe II, à l’instant même où le scandale se présente déjà comme une réaction92. L’exhortation d’Ingeburge à la cour de Rome n’est en fait que la matérialisation officielle du contenu des opinions in favorem à la princesse danoise. En même temps que la réponse officielle apportée par le camp du roi le 5 novembre 1193, Ingeburge brise à son tour la loi du silence pour que le scandale se substitue aux rumeurs et que l’indignation survive. Sur ce point, le refus opposé par les princesses européennes d’épouser Philippe II et le mécontentement exprimé lors de la légitimation des “bâtards” de ce dernier attestent que l’indignation perdura dans le temps. Ainsi, l’appel de la jeune reine de France serait en fait un speech act, selon la formule de J. B. Thompson, une dénonciation publique93 existante sous sa forme latente dans une partie des rumeurs94. Dans cette optique, la « dynamique scandaleuse » commencerait avec les rumeurs, se formalisant avec le vibrant appel d’Ingeburge à la papauté pour définitivement éclater avec le mariage de Philippe II avec Agnès de Méranie. La cour de Rome va entendre l’appel de la princesse danoise, et tout en reconnaissant l’existence d’un scandale sociétale, va apporter une réponse judiciaire au conflit.

La judiciarisation du scandale : à la recherche de l’exemplarité

  • 95 Absalonis, Lundensis archiepicopi, ad Coelestinum, RHF, t. 19, op. cit., p. 311, et dans le même re (...)
  • 96 Willelmi ad fratrem Bernardum de Vincennis,RHF, t. 19, op. cit., p. 318.

22Célestin III n’a pas pu ou voulu s’opposer à l’entêtement de Philippe II. Il meurt le 8 janvier 1198. Dans les semaines qui suivirent son élection, Innocent III, le nouveau pape, enjoignit au roi de France de se débarrasser d’Agnès de Méranie, qui n’était selon le droit qu’une concubine, et de reprendre son épouse légitime, le temps du moins de pouvoir rejuger l’affaire, qualifiant son comportement de lapis offensionis et petra scandali95, car comme l’affirme l’abbé de Paraclet, si necesse, est, juxta Domini vocem, ut veniant scandala, non tamen est dulce neque, suave, sed in amaratudine tolerantur exorta96.

  • 97  Cf. C. Nemo-Pekelman, « Scandale et vérité dans la doctrine canonique médiévale (XIIe-XIIIe siècle (...)
  • 98 Hostiensis, Summa aurea, sur X, 1, 9, 10, n° 8 De renunciatione, § grave scandalum : Est autem scan (...)
  • 99  Cf. A. Fossier, « Propter vitandum scandalum. Histoire d’une catégorie juridique (XIIe-XVe siècle» (...)
  • 100 Cf. M. l’abbé Metz, « La responsabilité pénale dans le droit canonique médiéval», La responsabilité (...)
  • 101 J. Gaudemet, Église et Cité, op. cit.,p. 262. Autrement dit, ce n’est donc pas la considération de (...)
  • 102  Cf. par exemple Tertullien, Liber de virginibus velandis, PL2, p. 940 : Scandalum, nisi fallor non (...)

23À une époque où Thomas d’Aquin n’avait pas encore apporté sa définition du scandale, cette notion était déjà incorporée à l’édifice canonique97. Selon une définition couramment rappelée par les théologiens et les juristes, le scandale était en effet « la parole, l’action ou le signe qui offense le prochain et lui fournit l’occasion de consentir à pécher mortellement »98. Par ailleurs, le Décret de Gratien comporte une cinquantaine d’occurrences du mot « scandale » sans que ce terme ne soit jamais vraiment défini. Considéré comme un critère de distinction entre le péché criminel et les autres péchés, le scandale était devenu un ressort et une justification de l’activité juridique99. Certains péchés, parce qu’ils étaient source de scandale, devaient, en tant que tels, être qualifiés de péchés criminels et être passibles, en conséquence, d’une condamnation judiciaire100. Autrement dit, à côté de la considération de la « gravité » de la faute, intervenaient celles de sa publicité, du scandale qu’elle suscite, des « mauvais exemples » qu’elle donne. La faute restée secrète exigeait pénitence, comme la faute publique. Mais pour celle-ci la publicité de la faute exigeait celle de sa sanction101. Toutefois, les textes du Décret de Gratien ramènent tous à l’idée qu’une faute commise par une personne constituée en dignité emporte plus de gravité que celle qui a été commise par un simple fidèle, puisqu’elle a un effet d’exemplarité, conformément à la théologie patristique où un péché exposé dans la sphère publique peut inciter ceux qui en ont connaissance à pécher eux-mêmes102.

  • 103  Cf. C. Beaune, « Les monarchies médiévales», Les monarchies, dir. P.-Y. Bercé, Paris, 1997, p. 85- (...)
  • 104  Innocent III souhaitait que « la concubine» soit conduite à l’extérieur du royaume, mais comme ell (...)
  • 105 Ad Philippum, Francorum Regem, RHF, t. 19, op. cit., p. 356.
  • 106 Innocentii ad Philippum, Francorum Regem, RHF, t. 19, op. cit., p. 430.
  • 107 Innocentii ad Archiepiscopos, Episcopos, Abbates et Clerum regni Franciae, RHF, t. 19, op. cit., p. (...)

24Or, comme on l’a vu, l’inceste était en général et particulièrement dans la maison royale poursuivi, à cause du mauvais exemple que la conduite du monarque pouvait occasionner. En effet, dès le XIIe siècle, non content d’assurer la paix par la justice ou le recours aux armes, le roi devint responsable du bien commun. Un bon roi faisait le bonheur et le salut du peuple, un mauvais roi conduisait le royaume à sa perdition. Il importait donc que le roi ait une attitude irréprochable : plus il serait parfait, plus son gouvernement assurerait à tous la paix et la justice. Or, un bon roi était un roi pieux, c’est-à-dire un roi fils de l’Église soumis à ses règles, à sa morale, par amour et révérence à Dieu103. En épousant, en connaissance de cause, sa cousine, Philippe II remettait ouvertement en cause la morale chrétienne en offrant son immoralité aux yeux de tous. La faute était donc notoire ab initio et donc de facto source de scandale. Toutefois, ce n’est pas tant le scandale lié à son mariage qu’Innocent III reprochait à Philippe Auguste, que son entêtement à le préserver. Le pape souhaitait plus que tout que le roi de France répare de lui-même et en conscience le scandaleux exemple de son remariage avec Agnès de Méranie en repudianda superinducta104 conjuge, et recipienda legitima105. De plus, contrairement à Célestin III, le sort d’Ingeburge semblait être au centre des préoccupations d’Innocent III, dont l’emprisonnement aggraves famam [du pape], scandalizes ecclesiam generalem106. Le refus persistant de Philippe II de garder Agnès de Méranie à ses côtés et de ne pas reprendre Ingeburge contraint la papauté à sanctionner le roi de France. Et c’est parce que Philippe Auguste per adulterium quod committit et in genere suo scandalum ponat107, que, par la bouche de son légat, Pierre de Capoue, Innocent III jeta l’interdit sur le royaume de France lors du Concile de Dijon du 6 décembre 1199, promulgué le 15 janvier 1200 lors du concile de Vienne. La peine de l’interdit apparaît donc bien être la sanction du scandale initié par Philippe-Auguste.

  • 108 P.-Y. Condé, « Le scandale canonique entre concept théologique et signe linguistique», Revue de dro (...)
  • 109 La démonstration pouvant être aussi utilisée dans le cadre d’une étude de la notion de scandale dan (...)
  • 110 Le ius coercidi découle logiquement de l’officium iudicis. Cf. l’article de C. Lefebvre, « L’offici (...)
  • 111 En fait, le scandale indique en réalité la non-conformité de certains comportements à la représenta (...)
  • 112 Le Décret de Gratien IIa Pars, 11, 3, 21, citant saint Jérôme, affirme qu’il y a deux façons de con (...)
  • 113  Robert d’Auxerre, Praemonstratensis ad S. Marianum Canonici, RHF, t. 18, op. cit., p. 263.
  • 114 Ex Guillelmi Neubrigensis, De rebus Anglicis Libro V, RHF, t. 18, op. cit., p. 49.
  • 115  J. W. Baldwin, « La vie sexuelle de Philippe Auguste», op. cit.,p. 217.

25En fait, cet exemple historique est révélateur de l’usage du scandale dans l’édifice canonique. Comme l’a démontré P.-Y. Condé, l’argument du scandale des fidèles sert avant tout à justifier l’énoncé de règles canoniques108. L’auteur, qui s’interroge sur l’usage de la notion de scandale dans le code de droit canonique actuel109, estime que le scandale canonique n’a rien d’une affirmation portant sur une question de fait, mais elle est l’usage rhétorique servant de justification au ius coercidi110. L’énoncé a donc une fonction performative111. Pour qu’un acte soit scandaleux, il suffit que l’autorité le déclare tel112. Le scandale des fidèles n’apparaît être que la justification à l’édiction de la sanction, que le scandale soit avéré ou seulement supposé. En l’espèce, les sources historiques restent souvent muettes sur cette question. Néanmoins, on trouve mentionné dans la chronique de Robert d’Auxerre : In Gallis scandalum patiebatur ecclesia super Rege Philippo, quia uxorem suam, Regis Danorum sororem, celebrato illegitime divortio, dimisset113 ; et Guillaume de Neubrige écrit : Plures enim feminae nobiles, recens Dacae puellae, cui post unam noctem initi foederis turpiter abjectae cum multo scandalo libellum repudii dederat exemplum verentes ejus aspernabantur conjugium114. Le mariage de Philippe Auguste et Agnès de Méranie, aurait donc été perçu comme proprement scandaleux selon les termes mêmes de ces deux textes. De là peut-on affirmer que ces témoignages reflètent l’opinion commune des contemporains ? Il est difficile de répondre avec certitude. Toutefois, comme l’affirme J. W. Baldwin, les chroniqueurs, « souvent peu informés, étaient réduits à ressasser les opinions courantes »115.

  • 116 Cf. l’article de C. Leveleux-Teixeira, « Interdit», Dictionnaire du Moyen Âge,dir. C.Gauvard, A. de (...)
  • 117 L’excommunication fut prononcée le 16 octobre 1094 lors du Concile d’Autun. Elle fut confirmée par (...)

26On est en droit de s’interroger sur le bien-fondé de la sanction prononcée. L’interdit était une peine canonique privant un ou des chrétiens des bienfaits spirituels attachés à l’exercice du culte. Il pouvait avoir un caractère personnel ou territorial ; et dans cette hypothèse, l’interdit consistait à plonger une partie de la chrétienté dans un état de totale paralysie liturgique116. Or, un siècle plus tôt, pour des faits presque similaires, le royaume de France ne fut pas interdit. Philippe Ier et Bertrade de Montfort furent uniquement excommuniés117. La peine canonique appliquée fut donc une peine personnelle. Malgré la nature de la faute, sa publicité et la dignité du pécheur, la sanction fut limitée. Il est vrai que jusqu’au XIe siècle, la sanction de l’interdit ne touchait que des édifices cultuels affectés par une souillure et était utilisée avec parcimonie. Mais au XIIe siècle, l’Église en fit un usage intensif, voire abusif, et l’interdit qui frappa la France en 1199 fut l’illustration de cette nouvelle tendance. Dans les faits, l’interdit prononcé par Innocent III était-il nécessaire ? Certes, l’exemple de Philipe Auguste était consternant à bien des égards : il retenait enfermée son épouse légitime depuis de nombreuses années, la laissant dans une extrême pauvreté, bravant les interdictions et les injonctions pontificales ; mais est-ce que cela justifiait la sanction de l’interdit, atteignant par ricochet tout le peuple, pour une faute appartenant à la sphère privée ? Tout ce que l’on peut dire, c’est que ces deux sanctions, prises à un siècle d’écart, s’inséraient dans un plan général de parachèvement de la réforme grégorienne, singulièrement dans le domaine du mariage. L’attitude d’Innocent III est à ce titre révélatrice : dès son élection, il revendiqua la juridiction exclusive de cette dispute matrimoniale en cherchant à la faire résoudre par les tribunaux ecclésiastiques et fit de cette affaire un exemple : quiconque ne respectera pas la morale chrétienne en matière matrimoniale se verra puni avec sévérité, le scandale apparaissant dès lors comme le fondement privilégié du prononcé de la peine et l’interdit, sa peine la plus aboutie.

  • 118  Ex chronologia Roberti Altissiodorensis, RHF, t. 18, p. 284 : Per idem vero tempus quo disponebat (...)
  • 119 Les sources écrites en attestent. Dans son testament, Philippe appelle Ingeburge, karissimae uxori (...)
  • 120  Pour ses premières noces, Philippe épousa Isabelle de Hainaut en 1180 pour hériter de l’Artois. Le (...)
  • 121  Roger de Hoveden, Chronica, t. 3, éd. W. Stubb, London, 1869, p. 318 : Et post pacem illam Ricardu (...)
  • 122  Philippe Mousket, Chronique rimée, t. 2, éd. le Baron de Reiffenberg, Bruxelles, 1838, v.23 885-90 (...)
  • 123  D. De Blic et C. Lemieux, « Le scandale comme épreuve», op. cit.,p. 9-38.

27Après la levée de l’interdit le 6 septembre 1200 et la mort d’Agnès de Méranie en 1201, les années passèrent sans qu’Ingeburge retrouve sa place d’épouse et de reine. Philippe Auguste fit encore des tentatives auprès de la papauté pour annuler son mariage, sans obtenir gain de cause. C’est alors que les problèmes de politique étrangère prirent le pas sur les affaires privées. En 1212, Jean sans Terre, le roi d’Angleterre, fut déclaré indigne au trône et déposé. Dans une assemblée solennelle réunie à Soissons l’archevêque de Cantorbéry et les évêques de Londres et d’Evy promulguèrent la sentence de déposition et enjoignirent au roi de France et aux autres princes d’envahir l’Angleterre pour faire asseoir sur le trône un autre monarque plus digne de cet honneur. Philippe II ne se fit pas prier et ordonna à tous ses vassaux de se rassembler à Boulogne pour envahir l’Angleterre. Mais avant de dissoudre l’assemblée, le roi de France déclara, à la surprise générale, qu’il se réconciliait sincèrement avec Ingeburge à qui il rendait la plénitude de ses droits d’épouse et de reine118. Cette réconciliation ne fut pas une mascarade et à compter de ce jour, Philippe II Auguste vécut en bonne intelligence119 avec elle jusqu’à la fin de sa vie, mettant un terme définitif à une affaire qui piétinait depuis vingt longues années ; les rumeurs et le scandale n’ayant jamais fait plier la détermination du roi de France. Il est vrai que la vie privée de Philippe Auguste a été souvent soumise à ces deux phénomènes. C’est tout d’abord le mariage précoce avec Isabelle de Hainaut qui, pour éviter d’être répudiée en mars 1184, provoqua un véritable scandale dans les rues de Senlis120 ; puis ce fut la relation ambiguë entretenue avec Richard Cœur de Lion qui donna lieu à des rumeurs121 ; ensuite intervint la répudiation expresse de sa seconde épouse Ingeburge du Danemark et son remariage avec sa cousine Agnès de Méranie ; et enfin ce fut sa relation avec une dame d’Arras, avec qui il eut un fils illégitime. Toute une vie marquée par les scandales et les rumeurs que le tableau de famille dépeint par Philippe Mousket lors des obsèques du roi résume à la perfection. On y voit Ingeburge en grand deuil, entourée des enfants de Philippe II : Louis, le fils légitime et le successeur au trône engendré avec Isabelle de Hainaut, Philippe et Marie, les enfants d’Agnès de Méranie, et Pierre Charlot, le « bâtard » issu des amours avec la dame d’Arras122. À défaut d’avoir eu des effets instituants123, les scandales émaillant la vie privée de Philippe Auguste ont eu le mérite d’instaurer, lors de son décès, l’harmonie dans sa famille… à moins que ce ne soit qu’une rumeur de plus !

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Notes

1 Cf. G. Duby, Le Dimanche de Bouvines, dans Féodalité,Paris, Gallimard, 1996, p. 827-1050.

2 J. Favier, Dictionnaire de la France médiévale,Paris, Fayard, 1993, p. 176.

3 Cf. J. Baldwin, Philippe Auguste,Paris, Fayard, 1991, passim ;G. Sivery, Philippe Auguste,Paris, Perrin, 2003, passim.

4 Aucune documentation nouvelle n’a été publiée sur cette affaire depuis les publications d’H.Géraud, Ingeburge de Danemark, reine de France, 1193-1236,Bibliothèque de l’école des chartes, 1845, p. 3-27 et 93-118 ; R. Davidsohn, Philipp II. August von Frankreich und Ingeborg,Stuttgart, 1888; A. Cartellieri, Philip II. August, König von Frankreich, Leipzig, 1899-1922.

5 À s’en tenir à certaines chroniques, la reine serait décédée en donnant naissance à des jumeaux mort-nés. Cf. Ex Genealogia comitum Flandriae, RHF, t. 18, Paris, 1879, p. 562 : Quo anno mortua est Elisabeth Francorum Regina, neptis Philippi Comitis Flandriae. Mortua est autem de duobus geminis, et eum bimio Francorum planctu in ecclesia beatae Mariae Parisius sepelitur.

6 Le futur Louis VIII fut gravement malade durant l’année 1191 et cet événement, doublé au décès de la reine, rouvrit la question de la succession royale.

7 Cf. William de Newburgh, Historia rerum Anglicarum, Chronicles of the Reign of Stephen, Henry II, and Richard, éd. R. Howlett, t. 1, London, 1884, p. 368 : Et quid, inquit, dominus vester vult sibi dari dotis domine ? Illi vero, prout in mandatis acceperant, Antiquum, inquiunt, jus regis Dacorum in regno Anglorum, et ad hoc assequendum classem exereritumque Daciae anno uno.

8 Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, t. 1, éd. H.-F. Delaborde, Paris, 1882, p. 125. Pour une édition plus récente du texte de Rigord, cf. Rigord, Histoire de Philippe Auguste,éd. É. Carpentier, G. Pons, Y. Chauvin, Paris, CNRS Éditions, 2006.

9 Roger de Hoveden, Chronica, t.3, éd. W. Stubbs, London, 1870, p. 224: Et cum ipse vellet eam tradere in manus nunciorum fratris sui, ad reducendam in patriam suam, noluerunt eam recipere, sed abeuntes cum festinatione, reversi sunt in regiones suas, et illa remansit in custodia regis Franciae mariti sui.

10  C. Gauvard « Rumeur et stéréotypes à la fin du Moyen-Âge», La circulation des nouvelles au Moyen-Âge,Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, p. 158.

11  Cf. J. Gritti, Elle court, elle court, la rumeur,Ottawa, Éditions Alain Stanké, 1978, p. 13.

12  A. Gryspeerdt et A. Klein, La galaxie des rumeurs, Bruxelles, EVO Éditions, 1995, p. 6.

13 Cf. Willelmi ad Kanutum, Danorum Regem, RHF, t. 19, Paris, 1880, p. 322 : Ne igitur animum vestrum diu vobis inflictum diutius vulnus exulceret, dulcis rumor ad medium prodeat rumor jucundus et laetitiae bajulus, cujus jucundo relatu exsultetis.

14  Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 124.

15 Ex Annalibus Aquicinctensis Monasterii, RHF, t. 18, op. cit., p. 546 : Philippus Rex secundam duxit uxorem Ingelburgem Regis Daciae filiam, in vigilia Assumptionis Sanctae Mariae, Ambianis. In die autem Assumptionis ejusdem, die dominie praesente Willelmo archiepiscopo Remensi, Petro Atrebatensi, Joanne Cameravensi ; Theobaldo Ambianensi, Lamberto Morinensi, Stephano Tornacensis, et aliis suffraganeis archiepiscopi, et multis Franciae principibus astantibus, regio diademente coronata est, in totius civitatis gaudio et conspectu.

16 Ex Gestis Innocentii III Papae, RHF, t. 19, op. cit., p. 343 : Sed, inter ipsa coronationis solemnia, suggerente diabolo, ad aspectum ipsius coepit vehementer horrescere, tremere ac pallere, ut nimium perturbatus, vix sustinere posset finem solemnitatis incoeptae.

17 William de Newburgh, Historia rerum Anglicarum, éd. cit., p. 369 : Verum post initi foederis, ut dicitur, noctem unam […], dicunt enim quidam, quod propter foetidum oris spiritum […].

18 Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 124 : Sed mirum ! eodem die, instgante diabolo, ipse rex, quibusdam, ut dicitur […].

19 J.-N. Kapferer, Rumeurs, le plus vieux média du monde, Paris, Éditions du Seuil, 2009, p. 25.

20 C. Beaune, « La rumeur dans le Journal du Bourgeois de Paris», La circulation des nouvelles au Moyen-Âge, op. cit., p. 191.

21 Cf. Ex Radulphi Goggeshalae Abbatis, RHF, t. 18, op. cit., p. 74 : Eodem anno, idem Rex sororem Regis Daciae nomine Ingelburch, puellam mirabili decore praeditam, accepti in uxorem, quam post nuptias repudians, inter sanctimoniales apud Suessionem collocavit, omnesque Dacos qui cum illa advenerant, illico repatriare jussit. ; Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 124 : Et Ingeburgem sororem suam pulcherrimam, puellam sanctam et bonis moribus ornatam, nunciis regis Francorum tradidit et muneribus suis honoravit.

22 William de Newburgh, Historia rerum Anglicarum, éd. cit., p. 368.

23  E. Rémy, « Comment saisir la rumeur ?», Ethnologie française, 23, 1993, p. 591-602.

24  Cf. G. Breton, Histoire d’amour de l’histoire de France, t. 1, Paris, Omnibus, 1995, p. 77 : « Cette dernière supposition, que l’on répéta bientôt, fut un jourémise sur lamontagne Sainte-Geneviève où elle suscita la colère des étudiants danois. Des bagarres s’ensuivirent entre ceux qui croyaient à la virginité de la reine et ceux qui la disaient envolée depuis longtemps.» ; G.Gauthier, Philippe Auguste. Le printemps de la nation française,Paris, Éditions France-Empire, 2002, p. 196, relate les mêmes faits.

25  S. Boissellier, « La circulation réticulaire de l’information en milieu rural : historiographie et pistes de réflexion», La Rumeur au Moyen Âge. Du mépris à la manipulation Ve-XVe siècle, dir. M. Billoré et M. Soria, Rennes, PUR, 2011, p. 249.

26  Cf. C. Gauvard, « Introduction», La Rumeur au Moyen Âge, op. cit., p. 23-32.

27 M.-L. Rouquette, Les rumeurs, Paris, PUF, 1975, p. 15-18.

28 Cf. J. Flori, Aliénor d’Aquitaine. La reine insoumise, Paris, Payot, 2004, p. 51-102.

29 Chronique de Gilsbert de Mons,éd. L. Vanderkindere, Bruxelles, Kiessling, 1904, p. 152-153.

30 Même le mariage entre le futur LouisXII et Jeanne de France en 1476, imposé par leurs entourages et qui ne fut jamais consommé, dura vingt-deux années avant qu’intervienne la répudiation de cette dernière.

31  Une précaution qui pourrait sembler superflue si la tentative de répudiation d’Isabelle de Hainaut était restée inconnue.

32  Cf. H. Géraud, Ingeburge de Danemark, op. cit., p. 6, note 2.

33  Comme l’indique C. Gauvard dans son « Introduction», op. cit.,p. 30, la rumeur est au centre d’intérêt pour les gens du peuple, mais parce qu’ils sont justement sensibles aux évènements politiques.

34  S. Boissellier dans son article « La circulation réticulaire…», op. cit.,p. 250, indique que la rumeur se propage d’autant plus que l’érudition de ses relais est faible.

35  C. Gauvard, « Rumeur et stéréotypes à la fin du Moyen-Âge», op. cit.,p. 158.

36  Cf. Ex Gestis Innocenti III Papae Fragmentum, RHF, t. 19, op. cit., p. 342 : Rex ipsius praestolabatur adventum dilationis impatiens, ipso die desponsavit eamdem.

37  William de Newburgh, Historia rerum Anglicarum, éd. cit., p. 369.

38 Roger de Hoveden, Chronica, t. 3, éd. cit., p. 224.

39  En effet, l’explication d’évènements qui se seraient produits durant la nuit de noces n’est en elle-même qu’une rumeur qui sera exploitée par la suite par les légistes de Philippe Auguste pour obtenir le divorce d’avec Ingeburge. On ne parviendra jamais à expliquer le comportement du roi de France durant la cérémonie de couronnement. Il est vrai que PhilippeII a été tout au long de sa vie victime de troubles et ce depuis son enfance où il s’est perdu plusieurs jours dans la forêt lors d’une chasse. Cf. A. Brachet, Pathologie mentale des rois de France. Louis XI et ses ascendants,Paris, 1903, p. 245-335.

40  Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 124.

41  Les rumeurs ne remettent pas en cause les qualités intrinsèques du roi : il a déjà engendré un héritier et a la réputation d’homme à femmes.

42  Certains auteurs ajoutent à cette liste une déformation de la suette ou bien une peau de serpent sans jamais préciser leurs sources.

43 C. Beaune, « La rumeur dans le Journal du Bourgeois de Paris», op. cit.,p. 191-203.

44  Cf. C. Galderisi, « La Pareüre du texte. L’haleine d’envie, la pomme d’orgueil, le royaume d’humilité dans un conte de la Vie des Pères», La Chevalerie du Moyen Âge à nos jours. Mélanges offerts à Michel Stanesco,Publication du CIXII, n° 1, dir. Mihaela Voicu et Victor-Dinu Vladulescu, Bucarest, Editura Universitatii Bucuresti, 2003, p. 114-120.

45  Cf. infra.

46 J.-L. Gazzaniga, « La sexualité dans le droit canonique médiéval», Droit, Histoire & Sexualité, dir. J. Poumarède et J.-P. Royer, Lille, Publications de l’espace juridique, 1987, p. 41-54.

47 S. Vecchio, « La bonne épouse», Histoire des femmes en Occident, t. 2, dir. C. Klapisch-Zuber, Paris, Perrin, 2002, p. 158-159.

48  Cf. Baudouin de Ninove, Chronicon, MGH SS, t. 25, Leipzig, 1925, p. 536.

49  La rumeur du défaut de virginité avait le mérite de constituer une cause recevable par les autorités ecclésiastiques pour annuler le mariage. Même si le défaut de virginité d’une épouse n’a jamais été directement dans la liste des empêchements au mariage, le droit canonique reconnaît l’empêchement d’honnêteté publique, dont le défaut de virginité peut être une composante. Tout d’abord conçu pour interdire à une personne qui a rompu ses fiançailles d’épouser un(e) parent(e) de son ex-fiancé(e) jusqu’au degré où le mariage entre parents était prohibé, cet empêchement aux contours mal définis a été aussi un remède contre d’autres maux (cf. A. Lefevbre-Teillard, Introduction au droit des personnes et de la famille,Paris, PUF, 1996, p. 139). Or, une reine de France n’était pas une épouse comme les autres : elle se devait d’avoir des qualités morales supérieures de manière à être présentée comme un exemple. Ainsi, si on prodiguait les bienfaits de la chasteté aux jeunes filles de la noblesse, une reine de France se devait de rester vierge jusqu’au jour de ses noces, érigeant presque la chasteté en condition ad-validitatem du mariage. Toutefois, les légistes de PhilippeII ne pensèrent pas à utiliser ce moyen lorsqu’il s’est agi de demander la dissolution du mariage avec Ingeburge.

50 Cf. Tornencis Episcopi ad Guillelmum Remensem archiepiscopum, RHF, t. 19, op. cit., p. 295 : Quis enim sit tam ferrei cordis, lapidei pectoris, jecoris adamantine, quem non moveat in tanta adversitate puella illustris Regum natalibus, insignis moribus, sermonibus, verecunda, operibus vere munda ; cum Ambrosiana virgine, pulcra facie, sed pulchrior fide ; annis quidem juvencula, sed animo cana, pene dixerim Sara maturior, Rebecca sapientor, Rachele gratior, Anna devotior, Susanna castior ? Ab his qui de formis mulierum disputare solent, nec deformior Helena, nec abjectior Polyxena judicatur.

51  Œuvres de Rigod et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 124.

52 Ibid., p. 195.

53 Cf. H. Martin, Mentalités médiévales XIe-XVe siècle,Paris, PUF, 1998, p. 217-258.

54  J. Paul, L’Église et la culture en Occident, Paris, PUF, 1986, p. 645-702.

55  J.-Cl. Schmitt, « Les superstitions», Histoire de la France religieuse, t. 1, dir. J. Le Goff et R. Rémond, Paris, Éditions du Seuil, 1988, p. 417-551.

56  Cf. C. Vogel, Le pécheur et la pénitence au Moyen Âge,Paris, Éditions du Cerf, 1969, p. 80-113.

57  Cf. H. Institoris, J. Sprenger, Le Marteau des sorcières,Grenoble, Éditions Jérôme Millon, 2005, p. 178-189.

58  C. Gauvard, « Rumeur et stéréotypes à la fin du Moyen-Âge», op. cit.,p. 174.

59  L’impuissance du roi par sorcellerie fit partie des actions en justice. Innocent III lui-même fut le premier à envisager la possibilité de cette accusation contre Ingeburge dès 1200. Cf. J.W. Baldwin, « La vie sexuelle de Philippe Auguste», Mariage et sexualité au Moyen-Âge. Accord ou crise ?, dir. M.Rouche, Paris, PUPS, 2000, p. 221-223 ; J. Gaudemet, « Le dossier canonique du mariage de Philippe Auguste et d’Ingeburge du Danemark (1193-1213)», Revue historique du droit Français et étranger, 62, 1984, p. 15-29.

60  J.-N. Kapferer, Rumeurs, le plus vieux média du monde, op. cit., p. 25.

61  Cf. C. Gauvard, « La fama,une parole fondatrice», La Renommée, Médiévales,24, 1993, p. 5-13.

62  En effet, selon cette décision conciliaire, Ingeburge et la première épouse de PhilippeII, Isabelle de Hainaut, seraient apparentées au 4e et 5e degré de consanguinité. En effet, les arrière-grand-mères d’Isabelle et d’Ingeburge auraient été deux sœurs, filles de Knut le Saint ; le mariage aurait donc dû être prohibé selon le comput canonique interdisant les mariages en ligne collatérale jusqu’au 6e degré inclus.

63  Cf. Absalonis, Lundensis archiepicopi, ad Coelestinum, RHF, t. 19, op. cit., p. 311-312 ; cf. aussi dans le même recueil, Kanuti, Danorum Regis, ad Coeslestinum, p. 313.

64  Regestum X, PL 215, n° 180.

65  Cf. H. Géraud, Ingeburge de Danemark, reine de France, 1193-1236, op. cit., p. 15.

66  Coelestini ad Willelmum, Remensem archiepiscopum et suffragantes ejus, RHF, t. 19, op. cit., p. 339-340.

67  Pour une étude de la notion biblique du scandale, cf. G. Stählin, Skandalon, Gütersloh, 1930, passim.

68  Cf. Thomas d’Aquin, Somme Théologique IIa-IIae, La Charité Tome troisième, Q. 43, Paris, Éditions du Cerf, 1957, p. 156-198.

69 Selon les auteurs se réclamant de l’école de Durkheim, le scandale serait conçu comme une sorte de rite expiatoire capable de ressouder la communauté autour de ses valeurs : cf. R.Girard, Celui par qui le scandale arrive, Paris, Hachette Littératures, 2006, passim ; Id., Le Bouc émissaire, Paris, Le Livre de Poche, 1986, passim ; Id., Des choses cachées depuis la fondation du monde, Paris, 1983, passim ; Id., Je vois Satan tomber comme l’éclair,Paris, Le Livre de Poche, 2001, passim.

70 D. De Blic et C. Lemieux, À l’épreuve du scandale, Politix 71, 18, 2005, passim.

71 Cf. J. Werckmeister, « Théologie et droit pénal : autour du scandale», RDC,1989, p. 103 ; cf.R. Naz, « Scandale», Dictionnaire de droit canonique, t. 7, Paris, Letouzey et Ané, 1958, col. 877-878 : « Le scandale est un acte qui consiste à fournir au prochain une occasion de ruine spirituelle […] ; le scandale constitue un trouble à l’ordre social.»

72  Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 135.

73 En 1200, ils eurent aussi un fils prénommé Philippe. Les deux enfants furent légitimés en 1201, trois mois après le décès de leur mère. Cf.Ad universos Episcopos in regno Franciae constitutos, RHF, t. 19, op. cit.,p. 406-407.

74 Cf. Ingeburgis, Reginae Francorum, ad Coelestinum et Kanuti, Danorum Regis, ad Coelestinum, RHF, t. 19, op. cit., p. 320-321.

75 E. de Dampierre, « Thèmes pour l’étude du scandale», Annales ESC, vol. 9-3, 1954, p. 328-336.

76 Ex Guillelmi Neubrigensis, De rebus Anglicis Libro V, RHF, t. 18, op. cit., p. 49 : Quippe, ut dicitur, ad germanae ejus quae Siculi Regis compar exstiterat, nuptias aspirabat, quibus tamen potitus non est. Plures enim feminae nobiles, recens Dacae puellae, cui post unam noctem initi foederis turpiter abjectae cum multo scandalo libellum repudii dederat exemplum verentes ejus aspernabantur conjugium.

77 Œuvres de Rigord et de Guillaume le Breton, éd. cit., p. 151.

78  J. Gaudemet, Église et Cité, Paris, Éditions le Cerf, 1994, p. 281-539.

79 Le décès d’Agnès de Méranie en juillet 1201 épargna à Philippe Auguste un éventuel procès pour bigamie.

80 Cf. Ad Philippum, Francorum Regem, RHF, t. 19, op. cit., p. 356.

81 Pour une synthèse sur l’évolution du mariage, cf. J. Gaudemet, Sociétés et mariage, Strasbourg, Cerdic/Public. Pjr Ric, 1980, passim ; J.-C. Bologne, Histoire du mariage en Occident, Paris, Hachette, 2005, passim.

82  Bertrade n’était qu’une lointaine parente qui avait épousé un cousin très éloigné du roi : le bisaïeul du comte d’Anjou était le trisaïeul de Philippe.

83 La condamnation pour adultère ne se justifie que par la volonté de faire de la condamnation du roi, un exemple. En effet, Berthe de Frise décéda à Montreuil en 1193, un an avant le concile. L’adultère avait de facto disparu lors de la session du concile.

84  Cf. G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, dans Féodalité, op. cit.,p. 1165.

85  Cf. É. Claverie, « La naissance d’une forme politique : l’affaire du Chevalier de la Barre», Critique et affaire de blasphème à l’époque des Lumières,Paris, Champion, 1998, p. 185-219.

86  D. De Blic et C. Lemieux, « Le scandale comme épreuve», À l’épreuve du scandale, op. cit.,p. 9-38.

87  Pour reprendre l’expression de l’essai d’H. Rayner, Dynamique du scandale de l’affaire Dreyfus à Clearstream,Paris, Le Cavalier Bleu, 2007.

88 Cf. M. Gluckman, « Gossip and Scandal», Current Anthropolgy,IV(3), 1963, p. 307-316.

89  Cf. Affaires, scandales et grandes causes, dir. L. Boltanski, É. Claverie, N. Offenstadt, S.Van Damne, Paris, Éditions Stock, 2007, p. 19-148.

90  Cf. A. Fossier, « Où est passée la sociologie de la critique ? À l’épreuve d’Affaires, scandales et grandes causes», Tracés, 13, 2007, p. 201-218.

91  L’histoire raconte qu’au prononcé du divorce Ingeburge se serait écriée : Mala Francia ! Mala Francia ! Roma ! Roma ! Autrement dit qu’elle en appelait à l’intercession du Saint-Siège. Cf. Ex Gestis Innocentii III Papae, RHF, t. 19, op. cit, p. 343.

92  Cf. C. Lemieux, « L’accusation tolérante. Remarques sur les rapports entre commérage, scandale et affaire», Affaires, scandales et grandes causes, op. cit.,p. 367-394.

93  Cf. L. Boltanski, L’Amour et la Justice comme compétences,Paris, Métailié, 1990, p. 255-356.

94 Cf. J. B. Thompson, Political Scandal. Power and Visibility in the Media Age,Cambridge, Polity Press, 2000, p. 21.

95 Absalonis, Lundensis archiepicopi, ad Coelestinum, RHF, t. 19, op. cit., p. 311, et dans le même recueil Willelmi ad Philippum Francorum Regem, p. 316. La formulation est en elle-même intéressante. Jésus ne fut-il pas lui-même, selon les écrits bibliques, une « pierre d’achoppement» et un « rocher» sur lequel on trébuche ? Voir Rom. IX, 32-33et I Pierre, II, 6-8. L’histoire du christianisme enseigne de fait que le scandale peut aussi être prophétique. Et c’est pour cette raison que J. Werckmeister considère que « s’il est des institutions qui ne devraient pas sanctionner le scandale, ce sont bien les Églises chrétiennes, elles qui sont fondées par un prophète mort pour avoir scandalisé». Cf. J. Werckmeister, « Théologie et droit pénal : autour du scandale», op. cit., p. 106.

96 Willelmi ad fratrem Bernardum de Vincennis,RHF, t. 19, op. cit., p. 318.

97  Cf. C. Nemo-Pekelman, « Scandale et vérité dans la doctrine canonique médiévale (XIIe-XIIIe siècles), Revue historique de droit français et étranger,2007, 85, 4, p. 491-504 ; C. Leveleux-Teixeira, « Le droit canonique médiéval et l’horreur du scandale», Le scandale (XIIIe-XVe s.), Médiévales (à paraître).

98 Hostiensis, Summa aurea, sur X, 1, 9, 10, n° 8 De renunciatione, § grave scandalum : Est autem scandalum dictum vel factum vel signum quo offenditur proximus, vel cuius occasione trahitur quis in consensum mortalis peccati (éd.Lyon, 1587, fol. 27vb).

99  Cf. A. Fossier, « Propter vitandum scandalum. Histoire d’une catégorie juridique (XIIe-XVe siècle», Mélanges de l’École Française de Rome. Moyen Âge,121/2 (2010), Rome, p. 317-348.

100 Cf. M. l’abbé Metz, « La responsabilité pénale dans le droit canonique médiéval», La responsabilité pénale, Travaux du colloque de philosophie pénale (12 au 21 janvier 1959), Annales de la Faculté de droit et des sciences politiques et économiques de Strasbourg VIII, dir. J. Léauté, Paris, 1961, p. 83-116.

101 J. Gaudemet, Église et Cité, op. cit.,p. 262. Autrement dit, ce n’est donc pas la considération de la faute, mais bien du scandale qui justifie la sanction devant le tribunal des hommes. D’où il ressort a contrario que celui qui a commis une faute externe sans causer de scandale ne doit pas, en dépit de sa culpabilité, être sanctionné judiciairement.

102  Cf. par exemple Tertullien, Liber de virginibus velandis, PL2, p. 940 : Scandalum, nisi fallor non bonae rei, sed malae exemplum est, aedificans ad delictum Bonae res neminem scandalizant nisi malam mentem.

103  Cf. C. Beaune, « Les monarchies médiévales», Les monarchies, dir. P.-Y. Bercé, Paris, 1997, p. 85-225.

104  Innocent III souhaitait que « la concubine» soit conduite à l’extérieur du royaume, mais comme elle était enceinte, elle fut éloignée au château de Poissy.

105 Ad Philippum, Francorum Regem, RHF, t. 19, op. cit., p. 356.

106 Innocentii ad Philippum, Francorum Regem, RHF, t. 19, op. cit., p. 430.

107 Innocentii ad Archiepiscopos, Episcopos, Abbates et Clerum regni Franciae, RHF, t. 19, op. cit., p. 381-382.

108 P.-Y. Condé, « Le scandale canonique entre concept théologique et signe linguistique», Revue de droit canonique,50/2, 2000, p. 247-255.

109 La démonstration pouvant être aussi utilisée dans le cadre d’une étude de la notion de scandale dans le droit canonique pénal ancien, l’Église étant une société parfaite ab initio.

110 Le ius coercidi découle logiquement de l’officium iudicis. Cf. l’article de C. Lefebvre, « L’officium iudicis d’après les canonistes du Moyen Age», L’année canonique, 1953, p. 115-124.

111 En fait, le scandale indique en réalité la non-conformité de certains comportements à la représentation canonique d’un ordre juste de comportements et d’actions. L’auteur invite à considérer le signe linguistique employé dans le contexte structural du droit canonique, qui vise non à la connaissance mais à l’institution et à l’organisation d’un ordre de rapports humains.

112 Le Décret de Gratien IIa Pars, 11, 3, 21, citant saint Jérôme, affirme qu’il y a deux façons de condamner un délinquant : pour les fautes occultes, l’excommunication sera secrète ; pour les fautes notoires, l’excommunication sera publique. Autrement dit, ce texte distingue l’excommunication pénale du péché moral, et affirme donc implicitement l’existence du droit pénal ecclésial. Mais le fait que ce droit pénal existe ne suffit pas à le justifier. On a l’habitude de citer comme fondement à ce droit coercitif des arguments scripturaires à l’instar de Jean XX, 21, Matthieu XVI, 19 ou bien I Corinthiens V, 12 mais ces textes sont utilisés comme des auctoritates parmi d’autres, sans véritable lecture scripturaire. La véritable justification de l’existence d’un droit canonique pénal ne se trouve pas dans l’étude exégétique des Écrits testamentaires, ou dans les œuvres théologiques, mais bien dans le droit canonique pénal et singulièrement au travers de la notion de scandale. Sans en être la justification parfaite, il semble néanmoins que le scandale justifie à lui seul l’existence d’un droit pénal ecclésial. Le droit canonique pénal est applicable dans un rapport entre les membres de la communauté chrétienne. En scandalisant, l’homme s’attaque au salut de son prochain donc à sa sainteté. Par là, le scandale contrevient directement au salut, fin ultime, censée être protégée par l’existence du droit canonique et à ce titre, il mérite d’être sanctionné. En effet, l’Église représente, particulièrement dans le corpus paulinien, le corps mystique du Christ. Par là même, le scandale, en s’attaquant à la survie spirituelle du prochain, partie intégrante du corps du Christ, souille directement la divinité. Ainsi,en scandalisant directement son prochain, on scandalise Dieu indirectement, et ,toute atteinte à la sainteté de l’Église ou de ses membres mérite d’être sanctionnée à ce titre.

113  Robert d’Auxerre, Praemonstratensis ad S. Marianum Canonici, RHF, t. 18, op. cit., p. 263.

114 Ex Guillelmi Neubrigensis, De rebus Anglicis Libro V, RHF, t. 18, op. cit., p. 49.

115  J. W. Baldwin, « La vie sexuelle de Philippe Auguste», op. cit.,p. 217.

116 Cf. l’article de C. Leveleux-Teixeira, « Interdit», Dictionnaire du Moyen Âge,dir. C.Gauvard, A. de Libera, M. Zink, Paris, 2002, p. 724.

117 L’excommunication fut prononcée le 16 octobre 1094 lors du Concile d’Autun. Elle fut confirmée par le pape UrbainII lors du Concile de Clermont le 27 novembre 1095 et rappelée en 1099 lors du Concile de Poitiers.

118  Ex chronologia Roberti Altissiodorensis, RHF, t. 18, p. 284 : Per idem vero tempus quo disponebat Rex navigare in Angliam, recipit in gratiam et in conjugales affectus legitimam suam Insemburgem Reginam, quae, per annos XIX repulsa, multo tempore apud Stampas in tenui victu et areta custodia transegerat dies suos. Même si Philippe II accepta de rendre à Ingeburge sa dignité de Reine de France ainsi que son affection matrimoniale, il n’en fut pas de même quant à la dette conjugale, son aversion pour elle étant trop profonde.

119 Les sources écrites en attestent. Dans son testament, Philippe appelle Ingeburge, karissimae uxori (cf. « Testament du roi», Recueil général des anciennes lois françaises,Paris, 1820, n° 133, p. 220) et dans ses chartes, celle-ci le paya de retour par la référence à Philippus carissimus maritus noster. Cf. Charta Reginae Ingeburgis de compositione facta cum Rege Ludovico super ejusdem dotalitio, RHF, t. 19, op. cit.,p. 324.

120  Pour ses premières noces, Philippe épousa Isabelle de Hainaut en 1180 pour hériter de l’Artois. Les relations avec son beau-père, le comte Baudoin V, étant tendues et un héritier tardant à naître, il décida de se séparer de son épouse en mars 1184, Isabelle fut invitée à suivre la Cour à Senlis, où elle apprit qu’une assemblée de prélats et de seigneurs allait se prononcer sur la dissolution de son mariage. Quelques heures avant le prononcé de la sentence, elle passa une robe de bure blanche et sortit ainsi, tête nue, dans les rues de Senlis, réclamant la protection de Dieu. Allant d’église en église, elle fut rejointe par une foule de mendiants qu’elle avait secourus et qui la bénissaient sur son passage ; et sous les yeux des bourgeois se rendit en prière jusqu’au palais d’où sort Philippe Auguste. Quand la foule réunie l’aperçut, une immense clameur d’instante prière et d’objurgations lui demandait grâce pour la reine. Le roi consentit à reprendre son épouse de qui il eut plus tard, le futur LouisVIII. Cf. Chronique de Gilsbert de Mons, éd. cit., p. 152-153.

121  Roger de Hoveden, Chronica, t. 3, éd. W. Stubb, London, 1869, p. 318 : Et post pacem illam Ricardus comes Pictaviae remansit cum rege Franciae contra voluntem patris sui ; quem rex Franciae in tantum honorabat, quod singulis diebus in mensa ad unum catinum manducabant, et in noctibus non seperabat eos lectus. Et propter illum vehementem amorem qui inter illos esse videbatur, rex Angliae nimio stupor arreprus, mirabatur quid hoc esset, et praecavens sibi in futurum, frequenter misit nuncios suos in Franciam ad revocandum Ricardum filium suum. Ce texte reste encore de nos jours soumis à interprétation, bien que selon toute vraisemblance, le chroniqueur ne fait état que d’une amitié entre deux aristocrates et non d’un amour homosexuel.

122  Philippe Mousket, Chronique rimée, t. 2, éd. le Baron de Reiffenberg, Bruxelles, 1838, v.23 885-900.

123  D. De Blic et C. Lemieux, « Le scandale comme épreuve», op. cit.,p. 9-38.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jérôme Devard, « Des rumeurs au scandale »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 23 | 2012, 397-415.

Référence électronique

Jérôme Devard, « Des rumeurs au scandale »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 23 | 2012, mis en ligne le 30 juin 2015, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12857 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12857

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Auteur

Jérôme Devard

Université de Poitiers, CESCM

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