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Les Femmes, les Lettres et le savoir au Moyen Âge

Les femmes, les lettres et le savoir au Moyen Âge

Anne Paupert et Bernard Ribémont
p. 209-210

Notes de la rédaction

Les articles rassemblés ici sont issus de communications présentées dans le cadre d’un séminaire de recherche organisé à l’Université Paris Diderot-Paris 7 entre octobre 2008 et juin 2010 par Anne Paupert (TAM-CERILAC-université Paris 7) et Bernard Ribémont (CESFiMA–université d’Orléans).

Texte intégral

  • 1  Pour reprendre l’expression employée par Christine de Pizan dans sa Cité des Dames, lorsque dame R (...)
  • 2  Des quatre tenz d’aage d’ome, éd. M. de Fréville, Paris, SATF, 1888, p.  16.

1Le thème choisi invitait à s’interroger sur l’accès des femmes au savoir et leur place dans « le champ des lettres1 » au Moyen Âge, en un temps où, comme on le sait, les femmes ne pouvaient prétendre à une formation scolaire ou universitaire, ce qui restera encore le cas pendant les siècles suivants, sauf dans le cadre des couvents. Celles qui pouvaient avoir accès à la lecture et à l’écriture – dans les monastères, mais également dans certaines familles aristocratiques, ou plus tard, urbaines, et dans quelques milieux lettrés comme celui où grandit Christine de Pizan – restent exceptionnelles. « A fame ne doit on apranre letres ne escrire », écrit Philippe de Novarre vers 12652. Beaucoup d’hommes devaient partager cette opinion, que Christine de Pizan prend soin de réfuter dans sa Cité des Dames, dont un chapitre célèbre est intitulé « Contre ceulx qui dient qu’il n’est pas bon que femmes appreignent letres » (II, 36), tandis qu’elle rappelle ailleurs que les femmes sont tout aussi capables que les hommes de s’exercer aux différentes branches du savoir, et qu’elle le prouve par de nombreux exemples. Cependant, même chez Christine, il est possible de mesurer le poids des traditions ; en effet, lorsqu’elle parle d’éducation, ce qui est fréquent dans son œuvre, elle ne s’intéresse pas à l’éducation des filles et ne propose pas de programme en ce sens.

2Dans l’esprit qui a prévalu pour ce chantier de recherche, les analyses qui suivent explorent quelques aspects très différents du rapport des femmes médiévales au savoir et à l’écriture : depuis quelques femmes exceptionnelles et lettrées, jusqu’à d’autres qui le sont moins – voire pas du tout –, mais qui accèdent par d’autres voies à différentes formes de savoir. Dans son article sur Héloïse, Pascale Bourgain fait le point, en tenant compte des recherches les plus récentes, sur cette grande figure féminine du XIIe siècle, sur ce que l’on peut aujourd’hui connaître de sa personnalité, de sa culture, ainsi que des œuvres qu’il est possible de lui attribuer. On a beaucoup écrit sur cette grande figure d’intellectuelle (autodidacte) qu’est Christine de Pizan, et beaucoup de choses nous sont connues– à commencer par les descriptions qu’elle-même donne dans son œuvre, en particulier dans l’Advision Cristine – sur sa formation, ses lectures et son métier d’écrivain. Claire Le Ninan s’intéresse à l’utilisation que Christine fait du mot de « clergesse », sans toutefois se l’appliquer à elle-même, alors même qu’elle prend soin de se mettre en scène dans ses œuvres politiques avec toutes les caractéristiques qui font d’elle une « clergesse » à part entière. Elle marque bien par là la position très particulière qui est la sienne, une laïque en marge du monde des clercs, mais désireuse d’affirmer sa légitimité intellectuelle et son statut d’écrivain.

  • 3  Dans la brève mention de sa mort sur le bûcher le 1er juin 1310; éd. M. Paulin, Paris, Techener, 1 (...)

3Dans un registre tout différent, la mystique Marguerite Porete fait elle aussi figure de « clergesse », si l’on en croit les Grandes Chroniques de France qui la désignent comme « béguine clergesse »3. L’analyse subtile que fait Jean-René Valette du prologue complexe de son Mirouer des Simples Ames montre bien la richesse d’une écriture nourrie non seulement de culture théologique mais aussi d’une culture profane, celle de la courtoisie, dont le discours amoureux est mis au service d’une « poétique de Dieu ». Bien différentes sont les femmes mystiques illettrées auxquelles s’est intéressée Madeleine Jeay, qui montre comment elles ont elles aussi accès à un savoir théologique dispensé par les clercs, par d’autres voies que la lecture personnelle, qu’il s’agisse de la prédication, des lectures à voix haute, de l’iconographie. M. Jeay ouvre ainsi des perspectives plus larges sur tout un pan moins connu de la culture médiévale – celle des illiterati, des laïcs étrangers au monde savant des clercs.

4Le lecteur s’étonnera peut-être de voir figurer ici une étude sur un personnage de fiction, la reine Guenièvre, qui ne semble pas relever du champ d’investigation du présent travail. Elle s’y rattache néanmoins, de façon plus indirecte. Dietmar Rieger présente un personnage multiforme, dont les caractéristiques très variables et parfois contradictoires reflètent dans une certaine mesure la vision ambivalente de la femme dans la littérature et dans la pensée médiévale, et dont le portrait s’articule essentiellement autour de trois notions qui ne sont pas étrangères à la problématique du thème ici proposé : « entre sexualité, pouvoir et sagesse ».

5Ce thème des CRMH entend donc apporter une petite pierre de plus à l’édifice de l’étude de la femme médiévale, avec le désir de revenir sur certaines idées reçues, y compris dans la critique médiévistique, qui souvent se réfère au statut systématiquement inférieur de la femme, à la misogynie du Moyen Âge, etc. Si de tels éléments agissent effectivement dans la société, les mentalités et la culture du Moyen Âge, ils ne sont pas pour autant tout-puissants au point de rendre la femme médiévale transparente. C’est souvent en rapport au savoir que le statut déprécié de la femme, effectivement exclue de l’université par exemple, est particulièrement souligné et mis en avant. Comme on le voit, cette question mérite d’être abordée de façon plus nuancée.

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Notes

1  Pour reprendre l’expression employée par Christine de Pizan dans sa Cité des Dames, lorsque dame Raison l’invite à se rendre «ou champ des escriptures» pour y creuser la terre à l’aide de la pioche de son intelligence (Cité, I, 8).

2  Des quatre tenz d’aage d’ome, éd. M. de Fréville, Paris, SATF, 1888, p.  16.

3  Dans la brève mention de sa mort sur le bûcher le 1er juin 1310; éd. M. Paulin, Paris, Techener, 1837, p.  187-188.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne Paupert et Bernard Ribémont, « Les femmes, les lettres et le savoir au Moyen Âge »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 23 | 2012, 209-210.

Référence électronique

Anne Paupert et Bernard Ribémont, « Les femmes, les lettres et le savoir au Moyen Âge »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 23 | 2012, mis en ligne le 30 juin 2012, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12832 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12832

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Auteurs

Anne Paupert

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