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Brunetto Latini, un notaire savant

Les choix encyclopédiques de Brunetto Latini

L’exemple du calcul du temps dans le Livre du Trésor
Bernard Ribémont
p. 191-206

Résumés

L’objet de cet article est, dans un premier volet, de s’interroger sur les choix encyclopédiques de Brunetto Latini, en partant du fait que seul le livre I du Trésor est une encyclopédie sur la nature. On prendra l’exemple du calcul du temps, utile pour le prince, qui se décline selon la chronologie d’une part, dont les calculs concernent avant tout l’histoire biblique ; l’astronomie et le comput d’autre part, domaines dans lesquels on peut mesurer les difficultés que Brunetto peut avoir pour vulgariser une matière particulièrement complexe.

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Texte intégral

  • 1  Y compris moi-même, dans les différents travaux que j’ai pu consacrer aux encyclopédies médiévales
  • 2  Qui diffère donc quelque peu de celle que peut proposer Jean Maurice dans le présent dossier.

1La critique qui s’est intéressée aux encyclopédies du Moyen Âge a intégré le Livre du Trésor dans le corpus ‘canonique’ des encyclopédies du XIIIe siècle, aux côtés de textes comme le De natura rerum de Thomas de Cantimpré, le Speculum maius de Vincent de Beauvais ou le De proprietatibus rerum de Barthélemy l’Anglais1, avec une place particulière réservée à cet ouvrage, parce qu’écrit en langue vulgaire, aux côtés de l’Image du monde de Gossuin, du Livre de Sidrac ou du Placides et Timeo. Or, il me paraît nécessaire de nuancer quelque peu cette approche2, en distinguant la première partie du Trésor des deux autres.

  • 3  « La cagione per che questo libro è facto si è cotale, che questo Brunetto Latino per cagione dell (...)
  • 4  Sur ces questions de genre encyclopédique, je renvoie à mes travaux, en part. Le Livre des proprié (...)

2En premier lieu, je proposerai de considérer le Trésor dans la perspective de la Rettorica : ce dernier ouvrage, qui relève davantage du traité didactique en langue vulgaire – articulé sur une traduction du De inventione – que d’une simple compilation, a été également, comme le Trésor, écrit durant l’exil de Brunetto et, dans les deux ouvrages, le notaire fait référence à cet événement3 qui fut sans doute traumatisant pour lui, adepte du parti guelfe chassé violemment de Florence par les Gibelins pisans soutenus par l’Empereur. D’autre part, l’on retrouve bien des éléments de la Rettorica dans les livres II et III du Trésor, qui contiennent aussi des passages se révélant être des traductions de l’Éthique d’Aristote. De ce point de vue, il paraît difficile, si l’on compare le Trésor aux encyclopédies sur la nature de son temps, d’intégrer ces livres II et III dans la ‘famille encyclopédique »4. Il faut sans doute les considérer dans la perspective de la réception de Cicéron, de l’Éhique et de la Politique au XIIIe siècle. En outre, à la différence de bien des encyclopédistes de son temps, Brunetto ne propose pas un savoir multiforme destiné à la prédication (Thomas de Cantimpré) ou à la lecture de la Bible (Barthélemy l’Anglais), il ne présente pas son ouvrage selon un système du monde ou selon l’organisation de l’Œuvre des six jours, comme le fait un Vincent de Beauvais ; il prétend enseigner les éléments essentiels à ses yeux pour un bon gouvernement de la cité. Encyclopédie, miroir aux princes, traité d’éducation, traité de rhétorique, bien des genres se rencontrent dans cette œuvre en fait impossible à classer lorsqu’on la considère dans son ensemble, même si Brunetto prétend s’appuyer rigoureusement sur une classification des sciences : cette dernière n’est pas respectée à la lettre d’une part et, d’autre part, il paraît bien difficile de raccorder l’ensemble des contenus du livre I à la philosophie théorique.

  • 5  Cf. note précédente pour la définition de la « somme brève ».

3Le livre I peut être, en ce sens, détaché des deux autres, car celui-ci peut effectivement être considéré à part entière comme une encyclopédie, dans la mesure où il s’agit bien d’un texte rassemblant un ensemble large d’informations sur la nature et les propriétés des choses et, qui plus est, est bien défini par son auteur comme une summa brevis5. Ainsi, Brunetto, en proposant un parcours de savoir qui, d’un degré initial, s’élève vers l’art du bon gouvernement, considère que la connaissance des res naturales ou des proprietates rerum est indispensable au bon prince et que, de ce fait, l’encyclopédie sur la nature s’inscrit dans une phase propédeutique de ce parcours.

  • 6  Pour l’œuvre de Pietro, voir Petrus de Crescentiis, Erfolgreiche Landwirtschaft (Ruralia commoda)  (...)

4Cependant, ce livre I omet des matières qui paraissent obligées dans les grandes encyclopédies du temps : en particulier, le monde végétal et le monde minéral n’intéressent pas notre notaire. En revanche, la place de l’histoire est importante ; discipline qui, en général, n’est pas ou peu intégrée par les encyclopédistes naturalistes. Vincent de Beauvais, par exemple, distingue bien la matière historique de la naturaliste en deux ouvrages différents. En outre, à la façon d’Isidore de Séville, puis selon le point de vue d’Hugues de Saint-Victor, Brunetto réintroduit une (petite) partie réservée aux arts mécaniques, plus exactement, en s’appuyant sur Palladius, à l’économie domestique, qui acquiert quelque lettres de noblesse en Italie grâce au Liber ruralium commodorum de Pietro de’ Crescenzi6.

  • 7  Voir à ce propos mon article, « Brunetto Latini, encyclopédiste et traducteur d’Isidore de Séville (...)

5Latini a donc fait des choix pour le contenu de la partie encyclopédique de son ouvrage, choix qui sont à mon sens conditionnés par l’objectif d’éducation politique qu’il s’est donné : le contenu du livre I forme donc une ‘base’ nécessaire au prince, aux gouverneurs de la Commune, au podestat. Dans cette perspective, il est donc normal par exemple que l’histoire occupe une place importante dans l’ouvrage, avec une partie fournie traitant de l’histoire sainte7, réservoir d’exempla pour une bonne conduite, propédeutique en quelque sorte aux conseils et aux développements que pourront fournir les parties consacrées à l’éthique.

  • 8  J. Maurice, Le Bestiaire d’Amour de Richard de Fournival et le Livre des animaux de Brunetto Latin (...)
  • 9  J. Maurice, « Les Représentations politiques dans Le Livre des animaux », Histoire et littérature (...)
  • 10  Th. Lassabatère, La Cité des hommes. Eustache Deschamps, expression poétique et vision politique, (...)
  • 11  B. Ribémont, « Statut de l’astronomie et évolution des connaissances sur le cosmos au Moyen Âge », (...)
  • 12  Voir J.-P. Boudet, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l’Occident mé (...)

6Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que Brunetto ait négligé les minéraux et les plantes dont la connaissance lui a sans doute paru non prioritaire pour le gouvernant. Mais que penser alors du long ‘bestiaire’ de Brunetto ? Je ne m’étendrai pas sur cette partie, qui a été particulièrement analysée par les nombreux travaux de Jean Maurice à ce sujet8 ; les bestiaires jouissent d’un statut particulier dans la mesure où ils offrent un ensemble très riche et très ‘populaire’ d’exemples, répandus dans de nombreux ouvrages de diverses teneurs, aussi bien que dans la sculpture ou l’enluminure. Ce n’est pas exactement le cas des lapidaires, encore moins des plantaires. Une connaissance, qui plus est surtout ‘rationnelle’ du monde animal, qui permet d’apprécier au mieux la valeur de telle ou telle représentation, de tel ou tel exemple, de telle ou telle armoirie peut être effectivement jugée utile pour un puissant. En outre, le monde animal est un porteur privilégié d’une symbolique et d’une exemplarité à caractère politique que Brunetto ne manque pas d’exploiter9, pratique que l’on retrouvera plus tard chez un auteur comme Eustache Deschamps10. Les autres domaines abordés par Brunetto participent bien de ce fond de connaissances : géographie, économie domestique, mais limitée au strict minimum, sciences du ciel. Comme la plupart des encyclopédistes du temps, Brunetto, dans le quadrivium, a fait la part la plus belle aux sciences du ciel et à ce qui s’y rattache. Chez notre notaire, une telle attitude est parfaitement cohérente et ne participe pas seulement du succès de ces disciplines11, mais bien d’une réalité, à savoir le goût des puissants pour l’astrologie, les horoscopes, etc., ces connaissances étant jugées d’ailleurs fort utiles pour la conduite des affaires12.

7L’histoire, le mouvement des planètes, le calendrier liturgique, toutes matières inscrites avec ampleur dans le livre I du Trésor, sont liés à une connaissance du temps qui semble pour Latini de première importance, dans la mesure où cette partie encyclopédique de son ouvrage contient de nombreuses digressions ou allusions au calcul du temps ; ce dernier ressortit à la fois à la chronologie, essentiellement dans la partie historique, à l’astronomie et, enfin, au comput.

Chronique

  • 13  Voir à ce propos B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1980, (...)
  • 14  Bedæ opera de temporibus, éd. Ch. W. Jones, The Medieval Academy of America, Cambridge, MA, 1943, (...)
  • 15  PL 198, c. 1081 ou bien Base Brepols LLTA, CCCM 191, éd. A. Sylwan, 2005, 31, 59, 28.
  • 16  PL 27, c. 56, 71.
  • 17 Op. cit., p. 308-9.
  • 18  Brunetto restera affirmatif pour le quatrième âge (512 ans) et sera encore hésitant pour le calcul (...)

8En démarquant de très près les Sentences d’Isidore de Séville, Latini fait sa première mention au temps, dans le chapitre 9 (p. 20), à partir d’un absolu, qui est celui de Dieu, en rappelant qu’en Lui il n’y a pas de temps : Son éternité est hors du temps et, chez Lui, point de division du temps passé, présent ou à venir ; mais toutes les choses sont présentes en Lui, parce qu’il les embrasse toutes dans son éternité. La passé, le présent et l’avenir se confondent donc avec Son présent, et le temps fut créé au commencement du monde. Le temps, ressenti uniquement par les hommes qui le déclinent en trois mouvements, est immatériel et n’existe que dans la pensée : « Por ce di je que ces .iii. tens, c’est le preterit, li presenz et cil qui est a venir, ne sont pas se en la pensee non, qui se sovient des choses alees et esgarde les presenz et atent les futures » (p. 20). La partie historique commencée, Brunetto découpe le temps historique en six âges, suivant en cela une tradition bien établie qui remonte à Augustin et Orose et se retrouve notamment dans les Étymologies (5, 38, 5)13. La démarche de Brunetto consiste, selon le modèle biblique, à énumérer les différentes descendances, en donnant les âges des personnages, « fils de … ». En fin de chapitre, il indique la durée de chacun des âges de l’humanité. Ses six âges sont traditionnels, tels que figurant dans la Bible, chez Eusèbe, Isidore, Bède, Pétrus Comestor, etc. Le premier âge va de Adam à Noé, le second de Noé à Abraham, le troisième d’Abraham à David, le quatrième de David à l’exil à Babylone, le cinquième de l’exil à Jésus Christ et le sixième est le dernier, depuis le Christ jusqu’à la fin du monde. La chronologie de ces âges pose problème à Brunetto qui indique des chiffres peu en accord avec ses sources, ou bien qui note lui-même la difficulté de s’y retrouver, comme Bède l’avait fait, dans son Epistula ad Pleguinam, de ætatibus sæculi, en constatant le désaccord des écrits, confrontant les opinions des Hébreux, de Jérôme, de Flavius Josèphe, d’Augustin14 ; Petrus Comestor, une source de Brunetto pour ces chapitres, se montre également bien indécis. Par exemple, pour le premier âge, Brunetto compte 1262 années, « selon ce que rapporte l’Écriture » dit-il. Mais ce chiffre ne correspond pas au calcul de la Vulgate ; quant à Petrus Comestor, il est des plus vagues dans son Historia scolastica : Hujus ætatis annos Septuaginta ponunt duo millia ducenta quadraginta quatuor ; alii ducenta sexaginta quatuor. Hieronymus non plene duo millia. Methodius duo millia15. Eusèbe donne 2242 années et rappelle le chiffre de 1556, secundum hebrærum numerum16. Isidore de Séville (Étym. 5, 39, 4) propose 2252 ans ; Bède donne 1556 selon la Vulgate, puis indique que, selon les Septantes, il s’agit de 2242, alors que iuxta hebræos, il faut compter 165617. Pour le deuxième âge, de Noé à Abraham, Brunetto est nettement moins affirmatif ; s’il pense que le chiffre 1032 est le plus proche de la vérité, il rappelle que pour certains il faut compter 942 années et pour d’autres 1069 ou 1422, selon les manuscrits. Dans la mesure où Isidore compte 2252 pour le premier âge, son calcul donne 932 ; mais si l’on applique les âges que donne Isidore pour les personnages marqueurs du second âge et qu’on déduise de la somme le nombre de 2242 d’Eusèbe, on tombe bien sur 942, chiffre que l’on retrouve dans le Chronicon d’Isidore. Pour le troisième âge, on trouve encore la même incertitude de Brunetto, marquée par les expressions « les autres dient » : « Li tiers aages dou siecle comença a la nativité Abraam, selonc l’opinion de plusors ; mes les autres dient que il comença ou .lxxv. ans de sa vie, quant Dieu parla a li et que il fu digne de sa grace, et que Nostre Sires li promist a ses hoirs et a sa lignee la Terre de promission. Les autres dient qu’il comença ou .c. anz de Abraam… » (p. 46). Ces hésitations sur le début du troisième âge ne l’empêche pas d’affirmer sa durée : « Et sachiez que li tiers aages, qui fu des Abraam jusques a David, dura .ixc. et .lxxiiii. anz. » (p. 76)18.

  • 19  Voici par exemple ce que dit le Livre de Sydrac : « Du commencement du monde jusques au deluge ont (...)

9Il n’est pas nécessaire de poursuivre pour voir que Brunetto n’échappe pas à la règle de la chronique biblique médiévale, particulièrement incertaine et quelque peu perdue dans le méandre des sources19. Ce qui est plus curieux est que Brunetto ne manifeste pas une attitude cohérente, qui consiste, comme le fait Comestor, à émettre des doutes ; il le fait à certains moments et est affirmatif à d’autres, attitude qui est sans doute à mettre au rang du processus de compilation, fonction du ‘défilement’ des sources et des manuscrits consultés.

Astronomie – Comput

  • 20  L’auteur du Livre de Sydrac, en revanche, s’il ne traite pas de cette question, pose la question d (...)
  • 21  De Gen. ad litt. 2, 14, 28.

10Une première date, ‘originelle’ est importante pour Brunetto : le premier jour du monde. Il la mentionne par trois fois : la première, au chapitre 6 qui retrace l’Œuvre des six jours : le premier jour est ainsi « a .xiiii. jors a l’issue dou mois de mars » (p. 16) ; puis deux fois dans la partie réservée à l’astronomie et au comput. Au chapitre 111, consacré à la course du soleil dans les douze signes du zodiaque, il rappelle que ce premier jour correspond à celui où le soleil entre dans le premier signe, celui du Bélier : « Et sachiez que au premier jor dou siecle entra li soleil au premier signal, c’est Aries, et ce fu .xiiii. jors a l’issue dou mois de marz » (p. 160). L’information est répétée au chapitre 113 consacré au zodiaque. Il y a une forme de martellement de cette information, à laquelle, visiblement, Brunetto tient beaucoup. On remarquera que Brunetto répète cette donnée calendaire sans trop se soucier de ce qu’elle peut représenter par rapport à la Bible et par rapport au comput, alors que ce type d’affirmation pose un véritable problème20, qu’Augustin avait déjà soulevé au deuxième livre de son De Genesi ad litteram, en se gardant bien d’ailleurs de donner une précision de jour. Il note en effet la grande difficulté qui se rencontre à la lecture de la Genèse à propos du quatrième jour de la Création, selon la parole de Gen. 1, 14 : le temps ne peut exister qu’après la création et la course des astres, et donc les trois premiers jours se sont passés hors du temps, ce qui empêcherait de les compter : Illud autem quod dictum est : Et sint in signa et tempora, et in dies, et in annos quis non videat quam obscure positum sit, quarto die coepisse tempora, quasi superius triduum sine tempore præterire potuerit ? Quis ergo animo penetrat quomodo illi tres dies transierint, antequam inciperent tempora, quæ quarto die dicuntur incipere21. Augustin ne répond d’ailleurs pas à la question, passant à une discussion sur la nuit qu’il faut interpréter comme l’imperfection, qui serait donc hors du temps. Le paragraphe se termine par une interrogation, restée sans réponse : an aliqua alia ratio sit horum verborum diligentius vestiganda ? Il passe ensuite à la question Quomodo intellegendum sidera esse signa et à la définition des signes, pour en fait expliquer le calcul élémentaire du temps, de l’année surtout, en incluant la notion de bissexte.

  • 22  Éd. Jones cit., p. 190-3 pour le chapitre VI.

11Bède le Vénérable, dans son œuvre computiste, réserve une rubrique à ce premier jour, précisément au chapitre VI de son De temporum ratione, intitulé Ubi primus sæculi dies sit22. Bède commence par noter, comme l’avait fait Augustin, la difficulté d’interprétation de l’Écriture :

  • 23  Éd. cit., p. 190.

Quo sane in loco primus sæculi dies sit, nonnulli quærentes octauo kalendarum aprilium, alii duodecimo kalendarum supradictarum, die magis adnotandum putarunt, uno utrique, hoc est æquinoctii, argumento nitentes, quasi rationi congruat ut quia deus æquis in principio partibus lucem tenebras que diuiserit, ibi præcipue tunc caput mundi, ubi nunc æquinoctium fieri credatur, bene quidem inquirentes sed non plene quod dicerent prouidentes, multo utique peritius acturi, si tempus æquinoctii non primo diei quo lux sed quarto quo luminaria sunt facta potius adsignarent, ibi namque temporis initium statuit qui luminaribus conditis dixit, ut sint in signa, et tempora, et dies, et annos23.

  • 24  Neque enim illa die uel romanorum uel græcorum uel certe ægyptiorum mensis annus ue, cuius hoc cau (...)

12Bède se lance alors dans un long commentaire pour arriver à la date de .xv. kalendarum aprilium die, quando facta est lux, sol arietis signum ingerditur, en s’appuyant sur des résultats plus anciens24. Il s’agit clairement pour Bède du commencement du temps, qui correspond non au premier jour de la Création, mais au quatrième, quand les astres prirent leur cours. Il est alors normal en quelque sorte que le point de départ de la course du soleil, point initial du temps, soit le premier signe du zodiaque dans lequel le soleil entre. Cette date sera alors reprise par différents auteurs ; Raban Maur, dans un De computo sous la forme de questiones entre un maître et un disciple, démarque Bède :

  • 25  Raban Maur, De computo 1, 23, 13 Brepols LLTA CCCM 44, W.M. Stevens 1979, p. 199.

Discipulus. Quo sane in loco primus dies seculi extitit ?
Magister. Quintadecima kalendarum aprilium, quo uidelicet die lucem formatam primitus credimus, et sic tres illos dies primos absque ullis horarum dimensionibus utpote nondum factis sideribus cucurrisse
25.

  • 26  PL 137, c. 23.
  • 27  Speculum naturale 15, 34, c. 1114 ; 85, c. 1144.
  • 28  Voir sur ce système de comput, A. Cappelli, Cronologia, cronografia e calendrio perpetuo del princ (...)

13On retrouve les mêmes affirmations chez Helpéric : gitur zodiaco ipsi eo loco tribuentes initium, quo solem mox factum constat esse locatum, id est, ab eo signo, quod .xv. Kal. April. intrare dicitur, quem primum fuisse diem sæculi26 et, plus près de Brunetto, dans la tradition encyclopédique du XIIIe siècle, chez Vincent de Beauvais27. Cette date est donc le 18 mars dans notre calendrier. On peut être surpris de la façon dont compte Brunetto ; en effet, s’il utilisait, comme ses sources probables, le calendrier romain, il devrait annoncer non le quatorzième, mais le quinzième jour. En effet, chez les Romains, les calendes sont le premier jour de chaque mois, qui coïncident avec une nouvelle lune. Les Romains comptaient alors les quantièmes mensuels de façon rétrograde, jusqu’aux ides, puis, toujours à rebours, jusqu’aux nones Dans le cas des calendes, si njm est le nombre de jours du mois précédant le premier des calendes, si jc est le biais calendaire, le jour j dans le calendrier, on a la formule : jc =njm-j+2. On ajoute 2 parce que l’on commence à compter de façon rétrograde à partir du premier du mois suivant ; le dernier jour du mois courant est donc le secundo Calendas, et ainsi de suite. Or, Brunetto n’adopte pas ici ce calcul, mais un système de comptage des jours du mois qui est pratiqué au xiiie siècle, qui se rapproche du système des calendes romaines (consuetudo bononiensis mense intrante vel exeunte), mais en diffère un peu. Jusqu’au 15 (ou 16), les jours sont comptés en avant ; du 16 (ou 17) jusqu’au dernier jour du mois, ils sont comptés de façon rétrograde, la soustraction s’effectuant en comptant le dernier jour de l’intervalle, soit njm-d+1 si d désigne le décalage indiqué par Brunetto28. On a donc ici j =31-14+1, soit 18, ce qui correspond bien au j =31-15+2 du calcul romain.

14Le premier jour du monde est donc marqué par une donnée numérique liée à la course du soleil ; Brunetto va proposer, dans les chapitres où il traite des astres, bien des informations à caractère temporel, en se lançant dans des propos qui concernent ce qu’on appelle aujourd’hui les révolutions synodiques et sidérales, propos agrémentés de données computistes et même de quelques anecdotes à caractère mythologique, symbolique, médico-astrologique (Saturne est cruel, félon et de complexion froide). Ces chapitres sont très techniques et Brunetto n’est pas toujours clair. Il est en particulier parfois difficile de le suivre car, en fonction de ses sources, il adopte tantôt le comptage calendaire romain, tantôt le ‘presque romain’ qui procède d’un décalage d’une journée.

  • 29  Pour les citations qui suivront, qui ont un caractère très technique, je donnerai en sus la traduc (...)

15Prenons l’exemple du soleil29 :

A ce povez vos entendre que li soloil, qui est plus biaus et plus dignes des autres, siet en mileu des planètes, car il en a .iii. desoz lui et .iii. desoure ; et il va[i]t chascun jor poi moins un degré, car les degrez dou cercle sont .ccc. et [.lx.], selonc ce que li contes dit ça en erriers ; et il met a aler par tout .ccclxv. jors et .vi. hores, ce est un an. Et par les .vi. hores qui sont chascun [an] en son cours [ou]tre les entier [jors], avient il que en .iiii. anz en croissent un jor, ce sont .xxiiii. hores. Et lors a cel an .ccclxvi. jors, que nos apelons biseste, et cel jor est mis au mois de fevrier .v. jors a l’issue ; et lors a févriers .xxix. jors. Et por ce nos covient il au kalendrer demorer .ii. jors sor une letre, et est il f, qui est quinte letre a la fin de février. Et quant li soleil a fait .vii. bisestes en son cours, en tel maniere que chascuns des .vii. jors de la semaine a esté en biseste, lors a li soloil tout son cours acompli entérinement, et torne a son premier point et par ses premiers voies ; et por ce fu dit ça errieres que il perfait son cours en .xxviii. anz, [car] lors a il fait .vii. bisestes. Et sachiez que au premier jor dou siecle entra li soleil au premier signal, c’est Aries, et ce fu .xiiii. jors a l’issue dou mois de marz ; et autressi fait encores. Et quant il a celui passé, il s’en entre en l’autre [et puis en l’autre] tant que il acomplist un an ; car il li covient a demorer en chascun signal un mois, [ce est .xxx. jors] et un poi plus. Mes por ce que il estoit grief a savoir as comunes genz ce poi qui est outre les .xxx. jors, fu establi per les ancienes genz saiges que 1es uns des mois eussent .xxx. jors et les autres en eussent .xxxi., ja soit ce que février n’en a que .xxviii. quant il n’a bisexte ; et ce fu fait por le despecement des jors sauver. (p. 160)

  • 30  Il s’agit donc du 24 février, selon le calcul j =njm-d+1.
  • 31  Dans le système géocentrique le plus élémentaire (sans épicycle), il faut comprendre la course des (...)
  • 32  Ces précisions ont été données dans le chapitre qui précède, le 110.

(Vous pouvez vous représenter que le soleil, qui est plus beau et plus noble que les autres planètes, est situé au milieu de celles-ci, car il en est trois au-dessus de lui et trois en dessous. Chaque jour, il parcourt un peu moins d’un degré, car un cercle comprend 360 degrés, comme il a été dit plus haut, et il effectue sa course en 365 jours et 6 heures, à savoir un an. À cause des 6 heures qui, chaque année, s’ajoutent au nombre entier de jours, il faut compter un jour – soit 24 heures – de plus tous les 4 ans ; aussi cette année-là contient 366 jours et nous l’appelons « bissextile ». Ce jour supplémentaire est ajouté au mois de février, le cinquième jour avant la fin du mois30, qui compte alors 29 jours ; c’est pourquoi il nous faut, dans le calendrier, rester deux jours sur une même lettre, à savoir le F, qui est la cinquième lettre à la fin de février. Quand le soleil a suivi son cours pendant sept bissextes, de telle sorte que chaque jour de la semaine a été un jour bissexte, alors il a accompli sa révolution complète, étant revenu à son point de départ31. C’est pourquoi, comme il a été dit précédemment32, il termine son cours en 28 ans, car il a alors accompli ses 7 bissextes.

Sachez encore qu’au premier jour du monde, le soleil entra dans le premier signe, celui du Bélier, au quatorzième jour avant la fin du mois de mars ; et c’est ainsi qu’il fait encore. Quand il a parcouru ce signe, il passe au suivant, et ainsi de suite, ce qui dure un an. En effet, il lui faut rester dans chaque signe durant un mois, à savoir un peu plus de trente jours. Mais comme ce petit supplément au-delà des 30 jours était difficile à appréhender pour les gens du commun, les anciens savants décidèrent que certains mois auraient 30 jours et les autres 31, à ceci près que février n’a que 28 jours quand il n’a pas de bissexte – ce qui fut fait pour éviter le fractionnement des jours).

  • 33  César avait fait appel à l’astronome grec Sosigène d’Alexandrie afin que celui-ci tentât de suppri (...)
  • 34  Voir par ex. H. Géraud, « Calendrier perpétuel portatif dressé l’an 1381 », Bibliothèque de l’Écol (...)

16Le discours sur la course du soleil impose donc des digressions sur le calcul du temps. Brunetto va ainsi commencer par expliquer, de façon correcte, comment fonctionne le calendrier par rapport à l’année solaire, depuis la réforme de Jules César33. On remarquera également dans ce passage la référence à la lettre F, c’est-à-dire à une lettre dominicale, preuve que Brunetto possède quelques connaissances en matière de comput. La lettre dominicale sert à indiquer chaque année la position des dimanches dans le calendrier. Pour chaque jour de l’année, elle prend successivement et cycliquement, au nombre 7 près, une des valeurs de A à G. La série commence au 1er janvier avec la lettre A. Les mêmes quantièmes hebdomadaires sont donc désignés par la même lettre. Si le 1er janvier est un lundi, A désigne les lundis, B les mardis, etc., et G les dimanches : dans ce dernier cas, G est alors la lettre dominicale de l’année. Si le premier dimanche de l’année tombe le 1er janvier, la lettre dominicale est A pour l’année courante. Si le premier dimanche est le 2 janvier, la lettre dominicale est B et ainsi de suite jusqu’à G (premier dimanche de l’année le 7 janvier). Comme une année commune comporte 365 = (52 x 7)+1 jours, l’année suivante commence un jour plus tard. La lettre dominicale recule ainsi d’une unité à la fin de chaque année commune. Dans le cas particulier des années bissextiles, le bissexte introduit une rupture. À cause de ce jour supplémentaire, tout se passe comme si la lettre dominicale avait déjà reculé une deuxième fois avant la nouvelle année. On introduit donc une lettre dominicale double pour les années bissextiles : la première lettre alors se rapporte aux mois de janvier et février et la deuxième aux 10 autres mois de l’année : dans le calendrier julien, le sixième jour bis avant les calendes de mars, soit le 25 février, reçoit la même lettre que le sixième jour avant les Calendes de mars, le 24 février. C’est ce qu’exprime (maladroitement) Brunetto sur un exemple, en disant qu’il faudra rester sur la lettre F, qui est la sixième et non la cinquième lettre. Cela signifie que, pour janvier et février, il y aura la lettre F, puis E pour le reste de l’année, et l’année suivante aura D pour lettre, au lieu de E. Si l’on consulte une table perpétuelle des lettres dominicales, on voit que le cas FE/D correspond auXIIIe s. aux années 1208, 1236, 1264 et 129234. On peut donc raisonnablement penser qu’un notaire comme Latini avait une connaissance pratique de ces données computistes.

17Mais quelles sont en fait les véritables compétences de Brunetto en matière de comput ? Des éléments de réponse peuvent être apportés à cette question en examinant les parties les plus techniques en matière de calcul du temps, à savoir celles consacrées à la lune et à son comput, directement lié donc aux fêtes religieuses mobiles, Pâques en premier lieu. Brunetto, au chapitre 117, commence par rappeler la différence entre l’année lunaire et l’année solaire :

la lune vat par toz les .xii. signaus et perfait son cours des .ccc. et [.lx.] degrez qui sont en lor cercle en .xxvii. jors et .xviii. hores et tierce, en quoi li soloil met a aler un an, selonc ce que li contes a devisé ça arrieres. Mes nos devons savoir que l’an est en .ii. manières, car l’un est selonc le cors dou soloil, en .ccclxv. jors et quarte d’un jor, et l’autre est de la lune, c’est quant ele a corru par le cercle des .xii. signaus .xii. foiz, et ce fait ele en .ccc. et .liiii. jors. (p. 172).

(la lune traverse les douze signes et achève de parcourir les 360 degrés de son cercle en 27 jours et 8 heures un tiers, le soleil mettant un an pour le même parcours, comme l’ouvrage l’a expliqué plus haut. Nous devons donc savoir qu’il y a deux façons de définir l’année : l’une selon le cours du soleil, soit 365 jours un quart, et l’autre selon le cours de la lune, c’est-à-dire lorsqu’elle a parcouru douze fois le cercle du zodiaque, ce qu’elle fait en 354 jours.)

18Puis il développe son chapitre de comput, qui commence par noter quel est le commencement du temps, qu’il situe correctement au quatrième jour, calculé selon ce qu’il avait affirmé du premier jour de la Création, soit le « onzième jour avant la fin de mars ». Reprenant ensuite les données du chapitre précédent, il rappelle la différence entre l’année lunaire et l’année solaire, puis se lance dans l’explication de l’embolisme – le mois lunaire qui s’intercale dans le calendrier pour combler la différence entre le calendrier lunaire et le calendrier solaire – et des épactes – mesure de la différence entre l’année solaire et l’année lunaire et représentant l’âge de la lune au premier jour de l’année –, dans ce qui est le chapitre le plus technique de son ouvrage, dont je donne ici un très large extrait en traduction :

  • 35  L’année lunaire est composée de 12 lunaisons (mois lunaires) qui comptent 29 et 30 jours – soit un (...)

Vous avez bien vu que, d’une ascension de la lune à l’autre, il y a 29 jours, 7 heures et demi et un cinquième d’heure, c’est-à-dire un mois lunaire qui, selon les computistes de la sainte Église, compte 29 jours et demi. Pour expliquer ce nombre, ils disent qu’un mois compte 30 jours et l’autre 29 ; c’est pourquoi les 12 mois de la lune totalisent 354 jours. L’année solaire est donc plus longue que l’année lunaire de 11 jours entiers ; c’est à cause de ces 11 jours de différence qu’apparaît l’embolisme, c’est-à-dire une année qui compte 13 lunaisons. En voici la raison : en 3 ans, il y a un reste de 33 jours, soit une lunaison et un peu plus de 3 jours. Et cela continue d’année en année, jusqu’à ce qu’il y ait 7 embolismes, pour les 7 jours de la semaine. Selon les Arabes, le cycle se termine en 18 ans, 9 mois et 16 jours et demi. Mais, selon les computistes de la sainte Église, qui veulent corriger toutes les erreurs, c’est en 19 ans et un jour. Alors la lune revient à son point de départ et recommence son cycle35.

  • 36  Un tel cycle de 19 années juliennes moyennes contient presque exactement 235 lunaisons moyennes. L (...)
  • 37  Grâce à la valeur annuelle d’épacte, il est donc facile de remonter au premier jour de la lunaison (...)
  • 38  Brunetto dit « lune prime », qui est une traduction du latin luna prima, désignant la première app (...)
  • 39  Brunetto renvoie à une pratique computiste consistant à calculer les épactes à partir du début de (...)

Vous voyez donc que c’est en 19 ans que s’accomplit l’ensemble des mouvements de la lune36 ; et que chaque année lunaire comprend 11 jours de moins que l’année solaire. Pour cette raison, quand la lune est première une certaine année, elle aura l’année qui suit 11 jours de retard sur le calendrier de l’année. De ces mêmes 11 jours vient ce que l’on appelle l’épacte37, qui sert dans les calculs concernant la lune. Voici comment : au premier an du monde, quand les planètes commencèrent leur course le même jour, il n’y avait aucun décalage entre les années lunaire et solaire. C’est pourquoi l’on dit que, la première des 19 années évoquées ci-dessus, l’épacte est nulle. Cette année-là, la lune est nouvelle le neuvième jour avant la fin de mars, comme elle le fut au commencement, et toute cette année se déroule comme la première du monde. L’année suivante, comme quand le décalage commença pour la première fois, l’épacte est de 11 jours, car la lune a cru d’autant. Là où la lune était première la première année38, la deuxième année elle aura 11 jours, la troisième année les épactes seront de 22 jours et monteront à 33 la quatrième. Mais, comme il y a embolisme, qui vaut pour une lunaison, tu dois ôter 30 jours, parce que les lunaisons d’embolisme comptent 30 jours. Tu dois aussi retenir le reste, qui est de 3 jours et constitue l’épacte de la quatrième année. Tu dois continuer ton calcul ainsi : chaque année, tu compteras 11 jours jusqu’à dépasser 30 ; à ce nombre, tu soustrairas 30 et tu poseras le reste. Tu feras ainsi jusqu’à la dix-neuvième année, où l’épacte est de 18 jours. Quand ce cycle est terminé, il reste un jour, comme il a été dit plus haut, que l’on appelle le « saut de lune ». Il te faut alors prendre ce jour et l’ajouter aux 11 jours de décalage, additionner ensuite les 18 jours, d’où un total de 30, ce qui correspond à une lunaison d’embolisme, que tu rajoutes à la dix-neuvième année. Alors tu n’as plus aucun reste, l’épacte est nulle, comme au commencement. Sachez que l’épacte change toujours en septembre39, mais que son annulation est 10 jours avant la fin de mars, car en ce jour on ne peut voir la lune et la sainte Église ne le compte pas, comme vous l’avez entendu plus haut, ce qui signifie que l’épacte est nulle. Mais, l’année suivante, la lune a, en ce jour, 11 jours d’âge, ce qui signifie que l’épacte est de 11. C’est ainsi et sera toujours : les épactes annuelles sont égales à l’âge de la lune le premier jour de l’année.

  • 40  En considérant donc que la nouvelle lune était le 22 mars.
  • 41  Les « concurrents » sont des nombres utilisés par les computistes. Le grand problème des calculate (...)

Sachez que la première année du monde, la lune était âgée de 10 jours le premier jour d’avril40, de 11 en mai, de 12 en juin, de 13 en juillet, de 14 en août, de 5 en septembre, de 5 en octobre, de 7 en novembre et en décembre, de 9 en janvier, de 10 en février et de 9 en mars. Ces nombres sont appelés « concurrents »41 ; nous devons toujours les calculer à partir de la première année où l’épacte est nulle. Tu dois, au mois précédent, ajouter les épactes de celui qui est concurrent au mois dans lequel tu es ; mais, si le nombre obtenu est plus grand que 30, tu les soustrairas et garderas le reste.

  • 42  Pour la raison simple que 30 =29+1.

Mais, la dix-neuvième année, prends bien garde au saut de lune, c’est-à-dire au jour supplémentaire qui apparaît tous les 19 ans, comme l’ouvrage l’a expliqué plus haut. C’est pour cela qu’il y a une erreur au mois de juillet : car là où la lune doit être considérée comme ayant 30 jours, elle est première selon l’épacte42. De la même façon, il te faut faire attention à la huitième et à la onzième année, car le calcul des épactes a un défaut de deux lunaisons, à cause de l’embolisme.

  • 43  Le premier concile de Nicée, convoqué en 325 par l’empereur Constantin, a décrété que les Pâques c (...)

Et sachez que la Pâque de la résurrection de Jésus-Christ change en fonction du cours de la lune. En voici la raison : en vérité, jadis, le peuple d’Israël fut conduit en captivité à Babylone ; il en fut délivré un jour de pleine lune, c’est-à-dire qu’elle avait 14 jours, après que le soleil était entré dans le Bélier. Et vous avez bien vu plus haut que la nullité de l’épacte tombe chaque année le dixième jour avant la fin de mars. Aussi c’est ce qu’observent les Juifs, en célébrant leur Pâque ce jour ou le suivant, selon la lune quatorzième, en souvenir de leur délivrance. Mais la sainte Église célèbre ses Pâques le premier dimanche qui suit la pleine lune, parce que Jésus-Christ ressuscita ce jour-là43. Sachez que l’ancienne Loi réservait le septième jour, à savoir le samedi, où Dieu se reposa après avoir créé le monde et toutes les choses ; mais, en la nouvelle Loi, nous réservons le huitième jour, donc le dimanche, pour révérer la Résurrection.

  • 44  Il s’agit donc de faire une division euclidienne par 28 ou par 19.

Sachez que, quarante jours après la Résurrection, Notre-Seigneur s’en alla au ciel, ce pourquoi nous célébrons la fête de l’Ascension. Dix jours plus tard, le Saint-Esprit descendit sur les disciples, en mémoire de quoi nous fêtons la Pentecôte. Ces dates et beaucoup d’autres peuvent être connues par des calculs reposant sur les cours de la lune et du soleil, et c’est pourquoi il est bon de les connaître. Mais qui voudra savoir l’année courante selon le cycle de 28 ans du soleil, qu’il prenne les années depuis Notre-Seigneur, qu’il ajoute 9 ans, car ce temps s’était écoulé quand il naquit ; puis qu’il ôte de cette somme autant de fois 28 qu’il pourra, et le reste lui donnera le résultat. De la même façon, celui qui veut connaître l’année en cours selon le cycle lunaire de 19 ans, qu’il prenne les années de Notre-Seigneur, qu’il ajoute un an et en ôte autant de fois 19 qu’il le peut : le reste sera ce qu’il cherche44.

19Le propos de Brunetto est confus, car il ne semble pas avoir bien compris le procédé : d’une part, il confond régulier et concurrent et, d’autre part, il n’a pas vu l’alternance 30/29 des mois lunaires théoriques. Cette confusion pose problème quant à la place de cette matière computiste dans l’encyclopédie du livre I. Car Brunetto n’a visiblement pas compris ce qu’était un procédé computiste, purement formel et mathématique, qu’il confond avec une réalité des mouvements du soleil et de la lune. Il a de toute évidence compilé des textes de comput, peut-être des traités comme ceux de Bède, mais il n’a pas pénétré cette matière dans le fond. À vrai dire, en a-t-il vraiment besoin et le puissant qu’il entend éduquer aussi ? Certainement non. Les détails complexes du comput sont inutiles, mais utiles sont quelques connaissances permettant de lire des calendriers.

20Les développements proposés par Brunetto sont donc artificiels, car non opérationnels, et relèvent davantage d’un ‘système de représentation’ que d’une pédagogie scientifique. Il y va sans doute, au moins partiellement, de la prise d’autorité de l’auteur. Mais l’essentiel est sans doute ailleurs. L’encyclopédie si, certes, elle veut éduquer, est aussi un emblème du savoir et elle procède également de ce que l’on nommerait aujourd’hui un Digest. Ces deux aspects relèvent de l’oxymore et c’est ce type de paradoxe qui souvent se rencontre dans ce genre de texte et en rend l’interprétation plus difficile qu’il n’y paraît en premier lieu, lorsque l’emploi du terme anachronique d’« encyclopédie » semble résoudre la question. L’on revient donc ici à un autre oxymore, la summa brevis, conditionnée par un désir de réunir des extraits des auctores, mais en étant aussi un miroir du savoir dont les composantes vont dépendre de différents facteurs : les ouvrages et manuscrits dont dispose le compilateur, ses goûts et penchants personnels, ses propres connaissances, ses conceptions de la matière à enseigner, son rapport à l’affirmation de son autorité. Dans cet ensemble complexe, dont il est bien difficile de mesurer les différentes valences y entrant en jeu, se glisse une énigme : celle de ce qu’est véritablement le savoir en représentation et quelle en est la réception. Les chapitres techniques du livre I du Trésor, astronomie et comput, qui contiennent à la fois des informations exactes et des erreurs, mélangées en une narration le plus souvent confuse, me paraissent donc emblématique d’une des problématiques de l’encyclopédisme ‘naturaliste’ médiéval : s’il faut sans doute expliquer et enseigner, ne s’agit-il pas aussi – et peut-être surtout – de dire le savoir ?

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Notes

1  Y compris moi-même, dans les différents travaux que j’ai pu consacrer aux encyclopédies médiévales.

2  Qui diffère donc quelque peu de celle que peut proposer Jean Maurice dans le présent dossier.

3  « La cagione per che questo libro è facto si è cotale, che questo Brunetto Latino per cagione della guerra, la quale fue tralle parti di Firenze, fue isbandito della terra quando la sue parte guelfa, la quale tenea col Papa e colle chiesa di Roma, fue chacciata e sbandita delle terre. Poi si n’andò in Francia per procurare le sue vicende » (éd. F. Maggini, La Rettorica italiana di Brunetto Latini, Firenze, 1915, p. 6) ; voir le chapitre 37 du livre I du Trésor, éd. P. G. Beltrami, P. Squillacioti, P. Torri et S. Vatteroni, Turin, Einaudi, 2007, p. 68 : « De ce doit maistre Brunet Latin savoir la verité, car il en est nes, et si estoit en exil, lors que il compila cest livre ».

4  Sur ces questions de genre encyclopédique, je renvoie à mes travaux, en part. Le Livre des propriétés des choses, une encyclopédie au XIVe siècle, Paris, Stock, 1999 ; Les Origines des encyclopédies médiévales. D’Isidore de Séville aux Carolingiens, Paris, Champion, Bibliothèque du Moyen Âge, 2001 ; « Around the definition of an encyclopedic genre in the Middle Ages », Premodern encyclopædic texts, ed. P. Binkley, Brill, Leiden/New York/Köln, 1997, p. 47-61.

5  Cf. note précédente pour la définition de la « somme brève ».

6  Pour l’œuvre de Pietro, voir Petrus de Crescentiis, Erfolgreiche Landwirtschaft (Ruralia commoda) : ein Lehrbuch, éd. Benedikt Konrad Vollmann, Stuttgart, Hiersemann, 2007. Grâce à la traduction de Burgundio de Pise, le traité d’économie rurale les Géoponiques, que Pierre utilise (J.-L. Gaulin, « Sur le vin au Moyen Âge. Pietro de’ Crescenzi lecteur et utilisateur des Géoponiques traduites par Burgundio de Pise », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen-Âge, Temps modernes, 1984, 96-1, p. 95-127). Cette économie rurale avait déjà fort intéressé les Anglais, dès le XIIIe siècle, comme peuvent en témoigner les œuvres de Walter de Henley. On pourra noter également l’intérêt de Robert Grosseteste qui édite des règles à destination de la comtesse de Lincoln ; voir Walter of Henley’s Husbandry, together with an Anonymous Husbandry, Senechaucie and Robert Grosseteste’s Rules, éd. et trad. ang. Elizabeth Lamond, London, Royal Historical Society, 1890.

7  Voir à ce propos mon article, « Brunetto Latini, encyclopédiste et traducteur d’Isidore de Séville. L’ordo et l’’idéologie’ : introduction à la matière historique dans le Livre dou Tresor », Lo scaffale della biblioteca scientifica in volgare (secoli XIII-XVI), a cura di Rita Librandi e Rosa Piro, Micrologus lib. 16, Firenze, Sismel, 2006, p. 63-79.

8  J. Maurice, Le Bestiaire d’Amour de Richard de Fournival et le Livre des animaux de Brunetto Latini : les bestiaires dans la seconde moitié du xiiie siècle, thèse de doctorat d’État, Université de Poitiers, 1989. ; « La formule ‘et sachiés que’, indice de la spécificité du ‘Livre des animaux’ de Brunetto Latini », Romania, 106, 1985, p. 527-538 ; « ’Croyances populaires’ et ‘histoire’ dans le Livre des animaux : jeux de polyphonie dans un bestiaire de la seconde moitié du xiiie siècle », Romania, 111, 1990, p. 153-178 ; « Signes animaux au xiiie siècle dans les bestiaires moralisés et dans le bestiaire ‘encyclopédique’ de Brunetto Latini », L’Animalité. Hommes et animaux dans la littérature française, éd. A. Nidert, Tübingen, Narr, 1994, p. 39-54 ; « La place du Livre des animaux de Brunetto Latini dans la tradition des bestiaires médiévaux », Bestiarien im Spannungsfeld zwischen Mittelalter und Moderne, éd. G. Febel et G. Maag, Tübingen, 1997, p. 40-47 ; « Brunetto Latini compilateur : ‘Deviser la nature des animaus’ dans Le Trésor », dans le présent volume.

9  J. Maurice, « Les Représentations politiques dans Le Livre des animaux », Histoire et littérature au Moyen Âge, Göppingen, Kümmerle Verlag, 1991, p. 301-310.

10  Th. Lassabatère, La Cité des hommes. Eustache Deschamps, expression poétique et vision politique, Paris, Champion, 2011, chap. III.

11  B. Ribémont, « Statut de l’astronomie et évolution des connaissances sur le cosmos au Moyen Âge », Observer, lire, écrire le ciel au Moyen Âge, Paris, Klincksieck, 1991, p. 283-300.

12  Voir J.-P. Boudet, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval (XIIe-XVe siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, et biblio.

13  Voir à ce propos B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1980, p. 148-154.

14  Bedæ opera de temporibus, éd. Ch. W. Jones, The Medieval Academy of America, Cambridge, MA, 1943, p. 308-15.

15  PL 198, c. 1081 ou bien Base Brepols LLTA, CCCM 191, éd. A. Sylwan, 2005, 31, 59, 28.

16  PL 27, c. 56, 71.

17 Op. cit., p. 308-9.

18  Brunetto restera affirmatif pour le quatrième âge (512 ans) et sera encore hésitant pour le calcul complet des origines à la fin du cinquième âge (5500 ou 5250).

19  Voici par exemple ce que dit le Livre de Sydrac : « Du commencement du monde jusques au deluge ont deux mille ans et quarante trois, et du deluge jusques a la nacion d’Abraham .m. et .ij.c. ans… » (éd. E. Ruhe, Wiesbaden, Reichert, 2000, p. 416).

20  L’auteur du Livre de Sydrac, en revanche, s’il ne traite pas de cette question, pose la question de la définition des termes « monde » et « siècle ». Il indique en particulier une définition qui est en rapport avec les astres : « L’un monde est appellez le soloil et la lune et le jor et la nuit… » (éd. cit., p. 62).

21  De Gen. ad litt. 2, 14, 28.

22  Éd. Jones cit., p. 190-3 pour le chapitre VI.

23  Éd. cit., p. 190.

24  Neque enim illa die uel romanorum uel græcorum uel certe ægyptiorum mensis annus ue, cuius hoc causa fieret, oritur ; sed nec ab his gentibus, quamuis se græci iactitent, uerum ab antiquioribus chaldæorum astrologia coepit, a quibus Abraham patriarcha, ut Iosephus testatur, edoctus ut Deum cæli siderum que conuersione cognouit, ipsam mox disciplinam ueracius intellectam ægyptiorum genti aduexit cum apud eos exularet ; nam et in libro beati Iob, qui non longe post Abraham extitit, mazaroth, id est signa horoscopi, legimus. Igitur iuxta zodiaci quidem diuisionem .xv. kalendarum aprilium die, quando facta est lux, sol arietis signum ingreditur.

25  Raban Maur, De computo 1, 23, 13 Brepols LLTA CCCM 44, W.M. Stevens 1979, p. 199.

26  PL 137, c. 23.

27  Speculum naturale 15, 34, c. 1114 ; 85, c. 1144.

28  Voir sur ce système de comput, A. Cappelli, Cronologia, cronografia e calendrio perpetuo del principio dell’era christiana ai nostri giorni, Milano, 31969, p. 26, n. 1.

29  Pour les citations qui suivront, qui ont un caractère très technique, je donnerai en sus la traduction en français moderne, à partir de l’ouvrage à paraître (en collaboration avec S. Menegaldo) aux Éditions Champion, coll. Traduction des Classiques français du Moyen Âge.

30  Il s’agit donc du 24 février, selon le calcul j =njm-d+1.

31  Dans le système géocentrique le plus élémentaire (sans épicycle), il faut comprendre la course des planètes selon le modèle d’un point attaché à une sphère tournant sur un axe qui n’est pas perpendiculaire au plan de l’écliptique ; la planète tourne autour de la terre et son point d’arrivée est décalé par rapport à son point de départ (on peut s’imaginer une spirale). Lorsqu’elle a parcouru tous les signes du zodiaque, elle revient à son point de départ et repart pour une nouvelle révolution sidérale. La difficulté de représentation vient, dans les propos de Brunetto, qu’il utilise toujours le mot « cercle », qui renvoie à une dimension dans le plan, alors qu’il faut comprendre les mouvements selon des sphères, comme il est bien expliqué dans le De cælo d’Aristote.

32  Ces précisions ont été données dans le chapitre qui précède, le 110.

33  César avait fait appel à l’astronome grec Sosigène d’Alexandrie afin que celui-ci tentât de supprimer le décalage que l’on enregistrait entre l’année solaire, définie comme la durée qui sépare deux passages du soleil à la même longitude céleste, et l’année lunaire, qui comprend par définition douze lunaisons. En effet, on prit conscience de l’écart entre les deux types de calendriers, le solaire et le lunaire (année lunaire de 12 lunaisons et de 355 jours), qui imposait d’ajouter une lunaison entière tous les quatre ans pour rattraper le retard de l’année lunaire sur l’année solaire. Comme Sosigène a introduit des mois de 30 et 31 jours, il a dû raccourcir l’un d’eux pour assurer la coïncidence des mois avec l’année solaire. Le mois de février fut choisi pour des raisons ‘religieuses’ : c’est en effet, au sens propre, le mois des purifications (februarius, de februare, « purifier »). Mais pour qu’il ne gêne pas les purifications, il ne doit pas compter un nombre impair de jours, l’impair étant considéré comme le symbole de la perfection, le pair l’étant de l’imperfection (il fallait donc un nombre pair pour justifier une purification). Il n’a donc que vingt-huit jours, ce qui du coup est trop peu pour assurer la coïncidence des mois avec l’année solaire. Il a donc fallu introduire tous les quatre ans un jour supplémentaire au mois de février, en maintenant sa durée totale de vingt-huit jours : le résultat fut obtenu par une roublardise, en redoublant l’un de ses jours. Le jour du bissexte est celui du redoublement du 24 février ; en latin : l’ante diem sextum Kalendas Martias (« le sixième jour avant les calendes de mars »). Ce jour-làétait donc suivi tous les quatre ans par l’ante diem bis sextum Kalendas Martias (« le sixième jour bis avant les calendes de mars »). Ainsi le 24 février correspond au 6e jour. Le « 24 février bis » se disait donc ante diem bis sextum Kalendas Martias : « le sixième jour bis avant les calendes de mars ». Le De mundi celestis terrestrisque constitutione du Pseudo-Bède donne l’explication de cette dénomination : Sol infra .ccclxv. diebus et quadrante diei, qui in primo, secundo et tertio anno non computatur ; in quarto vero, dies intercalaris componitur, qui bissextus dicitur, eo quod bis in sexta Idus Martii computetur (éd. Ch. Burnett, London, 1985, p. 44).

34  Voir par ex. H. Géraud, « Calendrier perpétuel portatif dressé l’an 1381 », Bibliothèque de l’École des chartes, 2, 1841, p. 272-280.

35  L’année lunaire est composée de 12 lunaisons (mois lunaires) qui comptent 29 et 30 jours – soit un total de 354 jours. S’il existait une commune mesure aux cours de la lune et du soleil, les nouvelles et pleines lunes se reproduiraient à dates fixes. En réalité, l’année solaire compte 365j 5h 48mn 45s et l’année lunaire 354j 8h 48mn 34s pour 12 lunaisons, une lunaison étant de 29j 12h 44mn 3s. Une année solaire ne peut donc contenir un nombre entier de lunaisons. Entre l’année solaire et l’année lunaire existe une différence de 11 jours environ, précisément de 10j 21h 0mn 11s. Cette différence accumulée d’année en année correspond à l’épacte. Lorsqu’elle atteint une valeur égale ou supérieure à la durée d’une lunaison, c’est-à-dire au bout de 3 ans (3x11 =33, en évaluant le décalage à 11 jours), on intercale dans l’année lunaire une lunaison supplémentaire de 30 jours, afin de rattraper le retard sur l’année solaire, au moins partiellement. C’est l’embolisme. L’année lunaire en cause passe alors de 354 à 384 jours, en chiffres arrondis. Au bout de dix-neuf ans, les mêmes valeurs se retrouvent à un jour près. Or ce jour correspond (presque exactement) à l’erreur accumulée en évaluant par excès à 11 jours l’excédent de l’année solaire. Il suffit donc de sauter le jour excédentaire (« saut de lune ») pour entamer un nouveau cycle identique au précédent. En effet, la première année, il y a un décalage de 11 jours, la deuxième de 22 ; la troisième, il y a embolisme, on rajoute 30 jours à l’année lunaire ; il reste donc 3 jours de décalage. En recommençant ces opérations, les décalages sont successivement, depuis le premier jour, (11, 22, 3), (14, 25, 6), (17, 28, 9), (20, 1, 12), (23, 4, 15), (26, 7, 18) où, après 6 embolismes, l’on est arrivé à la dix-huitième année. À la fin de la dix-neuvième année, le décalage est donc de 29 (18+11) jours. Il suffit donc d’un nouvel embolisme de 30 jours pour avoir, à un jour près (« saut de lune ») correspondance entre années solaire et lunaire. L’initiative de cet arrêt revient au Sanhédrin, à Jérusalem, puis, après le désastre de 70, aux Académies de Palestine. Un cycle de 235 lunaisons, dit « de Méton » (433 av. J.-C.) est achevé ; dans le comput, chaque numéro de l’année d’un cycle (de 1 à 19) est nommé « nombre d’or ». C’est ce calcul que Brunetto va expliquer tant bien que mal.

36  Un tel cycle de 19 années juliennes moyennes contient presque exactement 235 lunaisons moyennes. La révolution synodique moyenne de la Lune vaut 29 jours 12h 44min et 2,8s. Donc 235 lunaisons durent 6 939,6882 jours, alors que 19 années juliennes durent 6 939,75 jours (soit un retard de 1h 29min 2s par cycle de 19 années juliennes, l’écart se traduisant en un retard de 1 jour au bout d’un peu plus de 16 cycles complets, soit 304 années juliennes)

37  Grâce à la valeur annuelle d’épacte, il est donc facile de remonter au premier jour de la lunaison en cours. En ajoutant 14 jours, on trouve alors la date de la pleine lune correspondante. L’épacte julienne prend d’année en année ces 19 valeurs successivement : 8, 19, 0, 11, 22, 3, 14, 25, 6, 17, 28, 9, 20, 1, 12, 23, 4, 15, 26. À un multiple de 30 près, ces valeurs forment une progression arithmétique de raison 11. Pour la calculer on peut procéder ainsi : prendre le numéro de l’année et faire la division euclidienne par 19 ; on obtient le nombre d’or de l’année moins un. Multiplier le reste de la division par 11 et ajouter 8. On effectue ensuite la division euclidienne de ce nombre par 30 : l’épacte est le reste de cette division.

38  Brunetto dit « lune prime », qui est une traduction du latin luna prima, désignant la première apparition du croissant lunaire. Il s’agit donc ici du 10e jour « à l’issue de mars », soit le 23 mars.

39  Brunetto renvoie à une pratique computiste consistant à calculer les épactes à partir du début de septembre, comme le signale Vincent de Beauvais : hos omnes in aliquo imitantur computistæ, quia a Septembre incipiunt regulates lunates & epactas & omnes annos lunates (Spec. nat. 15, 84, c. 1144). Dans son comput, Helpéric précise que c’est en révérence aux Égyptiens, qui faisaient commencer l’année en septembre, que l’on a choisi ce mois pour additionner épactes et réguliers (PL 137, c. 29-30).

40  En considérant donc que la nouvelle lune était le 22 mars.

41  Les « concurrents » sont des nombres utilisés par les computistes. Le grand problème des calculateurs médiévaux fut l’arbitraire de la semaine, que Bède le Vénérable avait bien saisi. L’année en effet comporte 365 ou 366 jours, et 52 semaines de 7 jours n’en font que 364, d’où un reste de 1 ou 2 jours. En outre, il y a le décalage entre année lunaire et année solaire (11 jours) et entre une prétendue circulation du soleil dans les 12 signes de 30° et l’année commune (365-360 =5). Les computistes veulent établir un calendrier perpétuel permettant d’avoir les dates de Pâques et des fêtes religieuses. Ils vont donc définir des nombres qui sont en fait des valeurs intercalaires, permettant de définir des translations pouvant permettre le calcul. Il y a les « réguliers », définis en ajoutant 5 au début de la première année, en général au mois de mars ; le régulier s’obtient par itération, comme reste de la division euclidienne de la somme du nombre de jours du mois précédent et de son régulier. Par ex. avril a un régulier de 1 puisque 31+5 =7x5+1 ; on peut, entre autres, trouver une table de ces réguliers dans le comput anglo-normand de Philippe de Thaün (cf. éd. I. Short, en ligne sur le site anglo-norman.net). À ces réguliers s’ajoutent des « concurrents », nombres qui servent à repérer le quantième hebdomadaire dans le cycle. Pour Bède le Vénérable, il s’agit de connaître le quantième hebdomadaire au 24 mars propre à l’une des 19 années de l’ennéadékaétéride (cycle de 19 ans). Helpéric indique pour sa part une autre façon de procéder, sur le cycle solaire de 28 ans. Il serait vain de vouloir ici donner des formules de calcul. Celui-ci se fait en effet à partir de tables utilisées par les computistes, sans la connaissance desquelles on ne peut avoir de résultats. Parfois même les termes sont identiques, pour recouvrer des notions différentes. Helpéric par exemple définit le mode de calcul des réguliers à partir de mars, ce qui donne 7 pour septembre et, dans son calcul sur les épactes, il donne une autre définition des réguliers, à parti de septembre cette fois-ci : il attribue ainsi 5 à septembre et à octobre (chiffres donnés par Brunetto). C’est cette série que Brunetto mentionne ici et il confond réguliers et concurrents. Le calcul est le suivant : on attribue 5 à septembre (mois de départ pour le calcul des épactes). Il s’agit ici de calculer avec les mois lunaires, alternativement 30 et 29. Ainsi, pour octobre, on ajoute le régulier de septembre et le nombre de jours, on soustraie 30, on obtient 30-5-30 =5 ; pour novembre 31 =5-29 =7 ; pour déc. 30+7-30 =7 et ainsi de suite. La série donnée par Brunetto est exacte avec ce calcul.

42  Pour la raison simple que 30 =29+1.

43  Le premier concile de Nicée, convoqué en 325 par l’empereur Constantin, a décrété que les Pâques chrétiennes devaient être célébrées le dimanche suivant le quatorzième jour de la lune qui atteint cet âge au 21 mars ou immédiatement après. Autrement dit, c’est le premier dimanche qui suit ou qui coïncide avec la première pleine lune postérieure au 21 mars. Constantin avait également émis le désir que le comput pascal se fît suivant un cycle de 19 ans (voir M. Lejbowicz, « Des tables pascales aux tables astronomiques et retour », http://methodos.revues.org/538).

44  Il s’agit donc de faire une division euclidienne par 28 ou par 19.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bernard Ribémont, « Les choix encyclopédiques de Brunetto Latini »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 23 | 2012, 191-206.

Référence électronique

Bernard Ribémont, « Les choix encyclopédiques de Brunetto Latini »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 23 | 2012, mis en ligne le 30 juin 2015, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12829 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12829

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Auteur

Bernard Ribémont

POLEN/CESFiMA-Université d’Orléans

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