Un notaire savant
Texte intégral
- 1 Nuova cronica, op. cit., 9, 10. Pour R. Witt, Brunetto is « the most important Florentine thinker o (...)
1Dès le Moyen Âge, Brunetto Latini a joui d’une réputation d’homme sage, que Giovanni Villani relaie dans sa chronique : « ser Brunetto Latini, il quale fu gran filosafo, e fue sommo maestro in rettorica, tanto in bene sapere dire come in bene dittare. E fu quegli che spuose la Rettorica di Tulio, e fece il buono e utile libro detto Tesoro, e il Tesoretto, e la Chiave del Tesoro, e più altri libri in filosofia, e de’ vizi e di virtù, e fu dittatore del nostro Comune. Fu mondano uomo, ma di lui avemo fatta menzione però ch’egli fue cominciatore e maestro in digrossare i Fiorentini, e farli scorti in bene parlare, e in sapere guidare e reggere la nostra repubblica secondo la Politica. »1. Dans la Divine comédie, Dante rappelle que Brunetto était entouré d’hommes de grande réputation, de fins lettrés, laissant ainsi entrevoir ce cercle d’hommes cultivés relevant d’un pré-humanisme florentin.
- 2 G.C.Alessio, « Brunetto Latini e Cicerone (e i dettatori)», Italia Medievale e Umanistica, 22, 197 (...)
- 3 C. C. Giulio, « A proposito di Brunetto Latini volgarizzatore : osservazioni sulle Pro Marcello», (...)
- 4 Cf. M. Rezzi (a cura di), Le tre orazioni di M.T. Cicerone dette dinanzi a Cesare per M.Marcello, (...)
- 5 Mis en valeur par G. C. Alessio, art. cit.
2La culture de Brunetto est effectivement vaste et elle peut se décliner selon quatre axes principaux. Le premier relève de sa formation de notaire qui lui impose la connaissance du latin et du vulgaire, ainsi qu’une pratique des artes dictaminis, dont il discute dans sa Rettorica, œuvre dans laquelle Cicéron occupe la place du maître2 : Brunetto utilise en outre largement le rhéteur romain dans les livres II et III du Trésor ; il a pu également traduire certains discours de Tullius, tels le Pro Marcello3, le Pro Ligario et le Pro rege Deiotaro4. Brunetto, dans son Trésor, se livre à une traduction/adaptation/commentaire du De Inventione. Pour ce faire, comme dans sa propre Rettorica, il utilise ses connaissances de plusieurs textes, essentiellement la Rhetorica vetus qui a fourni au Moyen Âge la connaissance du De inventione, la Rhetorica nova – qui est le pseudo-cicéronien Ad Herennium – et une paraphrase italienne, une Ars rhetorice anonyme5.
- 6 Sur la possible influence de Thierry de Chartres, G. Baldassari, « Ancore sulle fonti della Rettor (...)
- 7 Cette classification est rarissime ; on en trouve une proche dans un manuscrit signalé par Beltram (...)
- 8 Brunetto connaît cette œuvre par la traduction (partielle) d’Hermann l’Allemand, circulant sous le (...)
3Tel est le second volet de la culture de Brunetto, qui fait de lui un érudit en matière d’arts du langage et un fin connaisseur des auteurs antiques. Le troisième domaine dans lequel Latini manifeste connaissance et intérêt, domaine qui s’épanouit dans les livres II et III du Trésor, est celui de la philosophie : le Tesoretto révèle un lecteur des auteurs ‘chartrains’ du XIIe siècle6 ; en outre, Brunetto présente, aussi bien dans sa Rettorica que dans le Trésor, une classification des sciences, qui est révélatrice de la réflexion du notaire florentin sur les différentes disciplines de formation de l’esprit. Il emprunte pour ce faire à des notions aristotéliciennes et stoïciennes, tout en fournissant une division plutôt originale de la logique en dialectique, fidique et sophistique7. D’autre part, l’intérêt de Brunetto pour la philosophie morale d’Aristote est manifeste ; aux côtés des œuvres de Cicéron, l’Éthique à Nicomaque occupe une place de choix dans le Trésor8. Enfin, c’est évidemment la figure du compilateur qui émerge, tout particulièrement du livre i du Trésor : toute Quellenforschung fait apparaître l’immense curiosité de Brunetto, tant est vaste la palette des textes qu’il a utilisés. On sait bien qu’il est toujours difficile de déterminer l’étendue exacte de la culture d’un compilateur, dans la mesure où il nous est impossible de savoir de quelle façon précise il a utilisé ses sources, en lecture complète ou seulement fragmentaire. Mais ce qui importe ici est de reconnaître à Latini un contact très large avec des pans entiers de la culture savante de son temps, une capacité à lire ou consulter une quantité impressionnante d’ouvrages, ce qui offre une démonstration convaincante de son implication dans les cercles lettrés et savants, de sa place dans la circulation des manuscrits.
4L’objet du présent dossier est donc de présenter quelques aspects nouveaux de l’œuvre de Latini, des méthodes du compilateur, de son art du langage, du contenu de son discours à caractère à la fois savant et didactique.
Notes
1 Nuova cronica, op. cit., 9, 10. Pour R. Witt, Brunetto is « the most important Florentine thinker of the mid-thirteenth century» (« Medieval Ars Dictaminis and the Beginnings of Humanism: a New Construction of the Problem», Renaissance Quarterly, 35/1, 1967, p. 16). La renommée de Latin a valu qu’on lui a attribué faussement un certain nombres d’œuvres : cf. Carmody, p. xx (qui lui-même confond une traduction du Tesoro avec le Livre des proprietés des choses !).
2 G.C.Alessio, « Brunetto Latini e Cicerone (e i dettatori)», Italia Medievale e Umanistica, 22, 1979, p. 123-69.
3 C. C. Giulio, « A proposito di Brunetto Latini volgarizzatore : osservazioni sulle Pro Marcello», La Parola del Testo, 1, 2002, p. 27-52.
4 Cf. M. Rezzi (a cura di), Le tre orazioni di M.T. Cicerone dette dinanzi a Cesare per M.Marcello, Q. Ligario e il re Deiotaro volgarizzate da Brunetto Latini, Milano, Fanfani, 1832 ; F. Maggioni, I primi volgarizzamenti di classici latini, Firenze, Le Monnier, 1952. On a attribué également à Brunetto, à tort, une première Catilinaire (B. Ceva, op. cit., p. 76 et, pour un commentaire sur ces trois discours, ibid., p. 77-81).
5 Mis en valeur par G. C. Alessio, art. cit.
6 Sur la possible influence de Thierry de Chartres, G. Baldassari, « Ancore sulle fonti della Rettorica : Brunetto Latini e Teodorico di Chartres», Studi e problemi di critica testuale, Bologna, 19, 1979, p. 41-69.
7 Cette classification est rarissime ; on en trouve une proche dans un manuscrit signalé par Beltrami (p. xiv) d’après M. Grabman (Storia del metodo scolastico, trad. it., Firenze, 1980, t.2, p. 58-9), en dyalectica, apodictica, sophistica). Voir B. Ribémont, « L’encyclopédisme médiéval et la question de l’organisation du savoir», colloque Bagnoles de l’Orme, avril 1990, dans L’écriture du savoir (dir. D. Hüe), p. 95-105.
8 Brunetto connaît cette œuvre par la traduction (partielle) d’Hermann l’Allemand, circulant sous le nom de Compendium Alexandrinum.
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Référence papier
Bernard Ribémont, « Un notaire savant », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 23 | 2012, 153-154.
Référence électronique
Bernard Ribémont, « Un notaire savant », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 23 | 2012, mis en ligne le 30 juin 2012, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12824 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12824
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