Le salut par les armes. Noblesse et défense de l’orthodoxie (XIIIe-XVIIe siècle),éd. Ariane Boltanski et Franck Mercier
Le salut par les armes. Noblesse et défense de l’orthodoxie (XIIIe-XVIIe siècle),éd. Ariane Boltanski et Franck Mercier, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011, 302p.
ISBN 978-2-7535-1315-0
Texte intégral
1En décembre 2008, l’université de Rennes 2 consacrait un colloque à l’engagement de la noblesse dans la défense de l’orthodoxie religieuse du XIIIe au XVIIe siècle. Ariane Boltanski et Franck Mercier s’interrogent sur le lien des groupes nobiliaires avec les pouvoirs souverains et sur le découpage chronologique de cet engagement, ses formes, ses motivations. Ces contributions se divisenten quatre parties : la position vis-à-vis du pape dans la défense de la foi ; les ambivalences de cette défense dans le soutien affiché tantôt à l’Église, tantôt à l’État ; les rapports entre la noblesse, l’Église et la confessionnalisation ; et enfin les liens entre la propagation de la foi et les identités nobiliaires.
2Damien Carraz présente la multitude des confréries chevaleresques, qui permettent à la noblesse de s’engager dans la défense de l’orthodoxie tout en exerçant le métier des armes. Au fil du temps, l’ouverture sociale de ces confréries chasse l’aristocratie qui ne souhaite pas se fondre dans la société. Laurent Albaret présente le cas singulier de Raymond VII de Toulouse, noble de haute lignée, qui entre dans un cycle d’excommunications et de réconciliations en devenant tour à tour hérétique et relaps. C’est un cas particulier, car la noblesse demeure le groupe social indispensable à l’Église pour la mise en œuvre de son idéal de société. Toutefois, Sylvain Parent nous conte l’histoire des nobles italiens qui « tyrannisent » l’Église tout en revendiquant le titre de vicaire apostolique, en prenant pour exemple la famille des Este. Plus que l’autorité spirituelle, la noblesse recherche une autorité souveraine encore incarnée par le pape entre le XIe et le XIIIe siècle.
3À l’époque suivante, du XIVe au XVIe siècle, l’autorité pontificale s’amoindrit. La naissance des États génère de nouvelles « entités politiques sacralisées » (p. 67). La noblesse apparaît encore comme le défenseur de l’orthodoxie. Pourtant, cette défense contre les ennemis de l’intérieur devient une fidélité plus politique que religieuse, comme le montrent Franck Mercier, dans l’étude du comportement de la famille des Saveuses dans la Vauderie d’Arras, et Aude Mairey, dans l’analyse de l’aristocratie anglaise face aux Lollards. Si la défense de la foi reste la priorité, ce n’est plus pour l’Église mais pour le Prince, comme le soulignent Robert Novotny et Pavel Soukup, dans leur intervention sur la défense de la foi à l’époque hussite. La multiplication des Réformes du XVIe siècle complique la situation de la noblesse entre la défense de l’ordre établi et le militantisme religieux. Dans cet esprit, Stuart M. Carroll établit que la famille des Guises a cherché un compromis avec les luthériens, origine d’un apaisement possible des tensions confessionnelles et du maintien de la paix civile. Enfin, Bill Shiels évoque la noblesse anglaise sous le règne d’Elisabeth, où de profonds désaccords subsistent malgré l’apparence d’un engagement en faveur de la protection du protestantisme. Violet Soen décrit le mouvement des « Malcontents » aux Pays-Bas, qui est également représentatif des ambivalences de la noblesse dans la défense de l’orthodoxie catholique contre les États généraux calvinistes.
4Dans la seconde moitié du XVIe siècle, la multiplication des Églises protestantes change la nature de l’engagement de la noblesse. Naïma Ghermani rapproche la figure du prince de celle du Réformateur, en étudiant la représentation luthérienne qui les confond dans une histoire commune. Cependant, la noblesse peut choisir la défense de la foi contre celle de l’orthodoxie, ainsi que le montre Hugues Daussy dans l’affaire Morély, où une partie de la noblesse réformée française soutient les critiques de ce ministre sur le système presbytéro-synodal. Thomas Nicklas prend l’exemple contraire dans le Brandebourg du XVIIe siècle, où le prince, en soutenant l’orthodoxie luthérienne, suscite la résistance de ses sujets favorables à la « seconde réforme » du calvinisme dynastique. Yves Krumenacker indique le rôle joué en France par la noblesse contre l’application abusive de l’édit de Nantes par la monarchie au XVIIe siècle. La noblesse intervient également dans les conflits extérieurs aux Eglises, comme le signale la contribution de Marie-Madeleine de Cévins sur la défense de la foi en Hongrie, du début du XIVe siècle au milieu du XVIe siècle.
5Tous les intervenants s’accordent sur la continuité du rôle de la noblesse en matière de propagation de la foi, d’appui à la prédication des clercs, de création de fondations de charité ou d’encouragement aux conversions, des temps médiévaux aux temps modernes. Pour illustrer cette constante, Maureen Jurkowski met en évidence que la noblesse anglaise a hésité à prendre part à la répression du wyclifisme de la fin du XIVe au début du XVIe siècle, préférant avoir recours à la propagande et à la dévotion pour montrer son soutien à la foi officielle. Comme l’explique Aliocha Maldavsky, la restitution des biens confisqués aux indiens de l’Amérique hispanique, dans la seconde moitié du XVIe siècle, s’inscrit également dans ce rôle évangélisateur. Cette évolution, en opposition avec les pratiques de la conquête coloniale, suitles instructions royales conformes aux préceptes de la Réforme catholique. Étudiant ce mouvement de la Réforme catholique, Catherine Martin prend l’exemple des femmes de la noblesse française, qui mènent une reconquête juridique et sociale dans la France du XVIIe siècle, entre la paix d’Alès et la Révocation de l’édit de Nantes. La haute noblesse française s’investit, avec les jésuites et quelques franciscains, dans la fondation de couvents et de collèges pour sauver les âmes égarées. Il s’agit d’une nouvelle bataille et non d’une simple action caritative, conclut Ariane Boltanski. Ces fondations s’inscrivent dans la tradition d’une quête collective du salut mais aussi de la perpétuation de la domination seigneuriale de cette noblesse.
6Philippe Genêt et James M. Collins concluent le recueil de ces actes en montrant l’évolution considérable de la mission traditionnelle de la noblesse dans la défense de l’orthodoxie durant les périodes étudiées. En effet, les contributions font apparaître une modification de l’engagement de ces élites qui devient plus individuel, partagé entre le politique et le religieux. Même si les contributions mettent en scène des situations contrastées, elles font apparaître, à partir du milieu du XIVe siècle, une évolution du rôle politique et social des noblesses déterminées par la force de l’engagement religieux individuel. « Défendre l’orthodoxie n’est plus seulement prendre position par rapport au souverain ou au Pape, ce n’est plus se ranger sous la bannière d’une Croisade, c’est défendre une position religieuse qui repose sur des choix sociaux, intellectuels et culturels personnels » (p. 282). C’est le grand intérêt de ce recueil d’avoir mis clairement en évidence cette évolution.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Paul Straetmans, « Le salut par les armes. Noblesse et défense de l’orthodoxie (XIIIe-XVIIe siècle),éd. Ariane Boltanski et Franck Mercier », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 18 août 2012, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12721 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12721
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