John Bell Henneman, Olivier de Clisson et la société politique française sous les règnes de Charles V et de Charles VI
John Bell Henneman, Olivier de Clisson et la société politique française sous les règnes de Charles V et de Charles VI, trad. Patrick Galliou, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011, 352p.
ISBN 978-2-7535-1430-0
Texte intégral
1Par son étude de la société militaire française à la fin du XIVe siècle, le médiéviste américain John Bell Henneman (1935-1998) a pris conscience du rôle important d’Olivier IV, seigneur de Clisson (1336-1407), comme soldat dans la guerre de Succession de Bretagne (1341-1365), puis comme connétable de France après 1369. Constatant l’absence de ce personnage dans les ouvrages de Raymond Cazelles sur la noblesse et la société politique française sous les règnes de Jean II et de Charles V, il a entrepris sa biographie afin de combler ce manque. La présentation chronologique des événements de la vie d’Olivier de Clisson montre l’évolution de la société politique française au travers du mouvement des Marmousets sous le règne de Charles V, puis des Orléanais sous celui de Charles VI. Le fil directeur de l’ouvrage demeure l’aventure singulière de ce personnage issu de la petite noblesse bretonne, fils cadet d’un second mariage, exilé en Angleterre à la suite de l’exécution de son père pour trahison en 1345, qui devient l’un des hommes les plus riches et les plus puissants du royaume. La carrière d’Olivier Clisson comprend trois périodes : la première se termine par la victoire de Jean IV de Montfort contre Charles de Blois à la bataille d’Auray ; la seconde, pendant laquelle Clisson joue un rôle plus politique, commence au traité de Guérande, point final de la guerre de Succession de Bretagne, et se termine par la mort de Charles V ; la troisième se situe sous le règne de Charles VI, troublé par la démence du roi.
2Olivier de Clisson fait ses preuves au cours de la guerre de Succession de Bretagne, qui oppose l’Angleterre et la France. Olivier de Clisson est l’un des plus fidèles lieutenants du futur duc de Bretagne, Jean IV de Montfort, avec qui il a partagé l’exil en Angleterre et subi les mauvais traitements des Valois. Au cours de la bataille d’Auray, Clisson se comporte en « guerrier courageux et féroce » (p. 64). A la suite de cette victoire, la noblesse bretonne se trouve inoccupée, dans une région dévastée par la tactique militaire de la posture défensive importée d’Angleterre. Comme le roi a pris la décision de financer une armée permanente, cette noblesse se met à son service sous le haut commandement bicéphale d’Olivier de Clisson et de Bertrand Duguesclin.
3Par le traité de Guérande, la duchesse de Penthièvre perd la souveraineté de la Bretagne au profit de Jean IV de Montfort. Olivier de Clisson récupère ses domaines confisqués et se réconcilie progressivement avec Charles V. Quand il prend conscience du fait que Jean IV, pour qui il avait prêté serment de fidélité au roi de France, joue double jeu, servant les intérêts de la France et de l’Angleterre, il rompt définitivement avec lui. Le départ des anciens membres du conseil royal permet la mise en place d’un nouveau groupe de conseillers royaux connus sous le nom de Marmousets. Clisson, proche de ce parti, devient une précieuse source d’informations sur les actions à mener en Bretagne. Par esprit de revanche il presse le roi Charles V de confisquer le duché de Bretagne en 1378 pour punir la félonie de Jean IV et pour marier sa fille à Jean de Blois, héritier du duché en l’absence de descendance de Jean IV.C’est une erreur politique, car il n’a pas compté avec l’attachement de la noblesse bretonne à l’indépendance de son duché. De plus, la capture de Clisson par le duc de Bretagne en 1387 met à mal le projet d’invasion de l’Angleterre. Enfin, ses relations personnelles avec Jeanne de Penthièvre interférèrent négativement dans la politique étrangère française au cours de cette période.
4Le rôle politique de Clisson, moins connu que ses actions militaires, s’accroît sous le règne de Charles VI par l’influence exercée sur le frère du roi, Louis d’Orléans, dont il a été le modèle durant sa jeunesse. Il soutient activement l’action des Marmousets, puis, à la suite du désastre de Nicopolis – épisode peu glorieux d’une croisade contre les Turcs, qui voit disparaître tous les anciens chefs militaires de Charles V –, il participe à la formation du parti orléanais. Son caractère arrogant et querelleur de Clisson n’offre pas au jeune prince fragile, qui remplace son frère durant ses crises de folie, le meilleur exemple. Louis d’Orléans ne peut s’imposer à son oncle Philippe de Bourgogne qui retourne la situation en Bretagne en établissant la paix avec l’Angleterre. Les qualités politiques de Philippe deviennent encore plus éclatantes quand son propre fils, Jean sans Peur, vient à assassiner Louis d’Orléans en 1407 et à ouvrir un nouveau chapitre de la guerre de Cent Ans par le conflit entre les Bourguignons et les Armagnacs. Quant à Olivier de Clisson, sa véritable retraite débute à la mort de Philippe de Bourgogne en 1404. Sa fille Marguerite, dont le caractère est aussi emporté que celui de son père, rouvre les hostilités avec le nouveau duc Jean V et renverse les alliances en nouant des relations avec Jean sans Peur, ce qui rapproche le duc de Bretagne du parti des Orléanais.
5En rédigeant cette excellente biographie, J. B. Henneman n’a pas masqué le caractère avide et emporté d’Olivier de Clisson, ni même sa cruauté envers ses ennemis, et il s’est attaché à découvrir son rôle politique. Il met en évidence les erreurs commises sous son influence par Charles V et Charles VI, et l’ascendant néfaste qu’il a exercé sur Louis d’Orléans. Il montre également que ses ambitions personnelles en Bretagne, concrétisées notamment par le mariage de sa fille avec Jean de Blois ou par ses querelles personnelles avec les familles Penthièvre et Montfort, ont eu des conséquences pernicieuses pour la politique étrangère de la France. Cette première étude scientifique publiée depuis près d’un siècle sur Olivier de Clisson apporte un éclairage original sur le jeu politique en Bretagne et en France durant la période cruciale et complexe du début de la guerre de Cent Ans.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Paul Straetmans, « John Bell Henneman, Olivier de Clisson et la société politique française sous les règnes de Charles V et de Charles VI », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 20 février 2012, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12478 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12478
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