Des règles poétiques à la norme linguistique
Résumés
Cet article se propose d’examiner la place de la réflexion poétique dans le discours linguistique du Champ fleury (1529) de Geoffroy Tory. D’une part, il entend mettre en évidence la dette de Tory à l’égard des traités de seconde rhétorique et des développements métapoétiques des Rhétoriqueurs. D’autre part, il entend montrer l’intense travail de réélaboration disciplinaire à l’œuvre dans cette reprise de la tradition poéticienne. Cette double approche permet d’envisager le discours linguistique de Tory comme le lieu d’une transformation de la réflexion poétique amorcée à partir du milieu du XVe siècle en esquisses de disciplines nouvelles qui seront ensuite élaborées au cours du XVIe siècle (grammaire, histoire littéraire, lexicologie diachronique).
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- 1 Voir F. Brunot, Histoire de la langue française des origines à nos jours, Paris, Armand Colin, 196 (...)
1Le Champ fleury (1529) de Geoffroy Tory est souvent considéré comme un point de départ de la grammatisation française. Même si l’ouvrage est d’abord un traité de typographie à vocation mi-pratique mi-philosophique, ses développements linguistiques apparaissent comme les premiers appels explicites à une codification du français1.
- 2 Sur les « vices » de langage, voir Cl.-G. Dubois, « “Vice de innovation” et “escumeurs de latin” : (...)
- 3 Sur les listes de bons facteurs, voir S. Bagoly, « “De mainctz aucteurs une progression”. Un siècl (...)
2Mais ces appels nouveaux à « mettre en règle » le français ne sont pas sans liens avec la réflexion poétique qui s’exprime depuis le milieu du XVe siècle dans les traités de seconde rhétorique ou les développements métapoétiques des Rhétoriqueurs. L’avis « Aux lecteurs » qui invite à fixer la langue s’inspire des développements que les traités de versification consacrent aux « vices » de langage (sign. A8r-v)2 ;la digression grammaticale placée sous la célèbre gravure de l’Hercule Gaulois peut être rapprochée des listes de bons facteurs qui accompagnent la conscience poétique à partir de 1460 (fol. 3v-4v)3, etc. Tory cite d’ailleurs explicitement certains raisonnements métriques des Echecs amoureux moralisés (ca. 1405) d’Évrart de Conty ou de la Concorde des deux langages (1509) de Jean Lemaire de Belges.
3Tory semble s’appuyer sur la tradition poéticienne d’expression française pour construire la nouvelle discipline qu’il appelle de ses vœux. Ce mode d’élaboration ne manque pas de susciter plusieurs questions. Sur quels textes Tory s’appuie-t-il ? Pourquoi les utilise-t-il ? Quelles modifications leur apporte-t-il ? Quels changements méthodologiques ces modifications manifestent-elles ? En d’autres termes, comment utilise-t-il une tradition pour jeter les bases d’une discipline nouvelle ? Comment passe-t-il des règles poétiques à la norme linguistique ? Pour répondre à ces questions, je me concentrerai sur deux passages célèbres : l’avis aux lecteurs (sign. A8r-v) et la digression grammaticale des fol. 3v-4v (pour le plan de cette digression, voir l’Annexe en fin d’article). Tout en soulignant les dettes de Tory à l’égard de la tradition poéticienne du XVe siècle, j’analyserai les infléchissements qu’il lui apporte ainsi que les nouvelles disciplines qu’il lui associe – grammaire, mais aussi histoire littéraire et lexicologie diachronique – afin de mieux saisir les enjeux disciplinaires et idéologiques de ce premier appel à la grammatisation du français.
Des « vices » d’écriture à la « mise en règle » du français
- 4 Si le terme de « vice » est probablement repris à l’Ars grammatica de Donat, ces observations prov (...)
- 5 Pour Cl.-G. Dubois, le Grand et vrai art de pleine rhétorique (1521) manifeste « un goût relativem (...)
- 6 J.-Cl. Mühlethaler, « Entre crainte et confiance : ambigüités du discours poétique », Études de le (...)
4Les traités de seconde rhétorique contiennent déjà des développements linguistiques. Depuis au moins l’Instructif de la seconde rhétorique (1501), ils condamnent par exemple les « vices » de langage. Croisant probablement des éléments empruntés à Horace et Donat4, ils défendent une sorte de purisme tout en admettant des licences5, suggérant que la langue poétique est, selon la belle formule de Jean-Claude Mühlethaler, « une danse sur la corde raide, entre licite et illicite »6. L’avis « Aux lecteurs » du Champ fleury, qui formule pour la première fois avec autant de clarté un désir de codification du français, s’inspire directement de cette condamnation des vices de langage. Tory commence en effet par justifier la nécessité d’une codification linguistique par l’énumération des vices de ceux qui « corrompent » selon lui la langue, au premier rang desquels il place les « escumeurs de latin » (sign. A8r-v) :
- 7 Le Champ fleury peut être consulté en mode texte sur le site des Bibliothèques Virtuelles Humanist (...)
Mais je vouldrois qu’il pleust a Dieu me donner la grace que je peusse tant faire par mes parolles et requestes, que je peusse persuader a d’aulcuns, que s’ilz ne vouloient faire honneur a nostre Langue Francoise, au moings qu’ilz ne la corrumpissent point. Je treuve qu’il y a Trois manieres d’hommes qui s’esbatent et efforcent a la corrumpre et difformer. Ce sont Escumeurs de Latins, Plaisanteurs, et Jargonneurs. Quant Escumeurs de Latin disent D’espumon la verbocination latiale, et transfreton la Sequane au dilucule et crepuscule, puis deambulon par les Quadrivies et Platees de Lutece, et comme verisimiles amorabundes captivon la benivolence de l’omnigene et omniforme sexe feminin. me semble qu’ilz ne se moucquent seullement de leurs semblables, mais de leur mesme Personne. […] Je treuve en oultre qu’il ya une aultre maniere d’hommes qui corrompt encores pirement nostre langue. Ce sont Innovateurs et Forgeurs de motz nouveaulx […]. Toutesfois si nostre Langue estoit deuement Reiglee et Polye/ telles immundices en porroient estre dejectees. Parquoy je vous prie donon nous tous courage les ungz aux aultres, et nous esveillon a la purifier !7
- 8 L’Instructif de la seconde rhétorique inaugure aux v. 675-706 une section des « vices » d’écriture (...)
5Or cette écriture est très proche de la condamnation des « vices » de langage que l’on trouve dans les traités de seconde rhétorique comme l’Instructif de la seconde rhétorique (1501) ou le Grand et vrai art de pleine rhétorique (1521) de Pierre Fabri8. La confrontation avec un passage du Grand et vrai art de pleine rhétorique est éclairante :
- 9 Pierre Fabri, Le Grand et vrai art de pleine rhétorique, op. cit., II, p. 116.
Il est une autre maniere de barbare appellee vice de innovation commis par ignorans voullans apparoistre escumans termes latins en les barbarisant, sans prendre leur commun significat, comme : « Se ludez a la pille, vous amitterez »9…
- 10 Voir G. Defaux, Pantagruel et les sophistes : contribution à l’histoire de l’humanisme chrétien au (...)
6D’un texte à l’autre, on retrouve non seulement des termes proches (« escumeurs » / « escumans », « innovateurs » / « innovation »), mais le fait même d’illustrer les vices par de courts exemples. Il est vrai que le langage fleuri de « l’escumeur de latin » est un ressort du théâtre comique dès la fin du XVe siècle, la Sotie nouvelle très excellente des coppieurs et lardeurs en est un bon exemple10, mais la technicité du passage suggère que Tory semble s’inspirer directement des traités de seconde rhétorique.
- 11 D. Trudeau (op. cit., p. 25-26 et 30) comprend ce texte comme un appel aux savants à « préserv[er] (...)
7Toutefois, si l’humaniste prolonge la tradition poéticienne, il la réorganise nettement autour des questions linguistiques. D’abord, il précise les vices. Alors que les poéticiens ne désignent souvent qu’un seul vice strictement linguistique, à savoir les emprunts excessifs au latin, Tory distingue pour sa part quatre types de mauvais locuteurs : les « escumeurs de latin », les « plaisanteurs », les « jargonneurs » et, après une digression sur les archaïsmes, les « forgeurs de mots nouveaux ». On voit d’ailleurs bien comment le vice décrit par Pierre Fabri est divisé en deux par Tory. Pour Fabri, « écumer » le latin revient à introduire inconsidérément des mots nouveaux. Pour Tory, écumer le latin et forger des mots nouveaux sont deux vices différents. Ensuite, outre ce travail de classement, Tory opère un travail de sélection en se concentrant sur les enjeux linguistiques. Alors que les traités de seconde rhétorique énumèrent différents vices métriques (nombre inégal de syllabes, absence de rime, recours à l’assonance) ou stylistiques (construction confuse, emploi de mots impropres ou de répétitions), Tory construit un raisonnement strictement linguistique cherchant uniquement à condamner les différents types de variation sociale11. La mention de François Villon dans le développement consacré aux « jargonneurs » montre d’ailleurs très bien que Tory ne vise pas la langue poétique. Si Tory le cite, et révèle ainsi l’importance du modèle poétique, c’est pour refuser toute légitimité à ses poèmes en jargon : « Jaçoit que Maistre François Villon en son temps y aye esté grandement ingénieux, si touteffois eust il myeulx faict davoir entendu a faire aultre plus bonne chouse » (sign. A8r). La norme linguistique prime sur la qualité littéraire.
Du Parnasse au corpus (1) : des manipulations textuelles
- 12 Voir O. Halévy, La Vie d’une forme : l’alexandrin renaissant (1452-1573), Thèse de doctorat sous l (...)
8L’appel de Tory ne se contente cependant pas de développer les quelques passages linguistiques des traités de seconde rhétorique. Dans la célèbre digression des fol. 3v-4v, l’humaniste formule pour la première fois un exemple de méthode grammaticale articulant une norme (en l’occurrence le paradigme du passé simple) à un corpus (en l’occurrence une liste de poètes). Cette méthode est nouvelle en France et apparaît comme une transposition des Prose della volgar ligua (1524) de Pietro Bembo12. De même que l’Italien prétend tirer une grammaire de l’œuvre des « trois couronnes » toscanes (Dante, Boccace et surtout Pétrarque), Tory propose de déduire la grammaire du français des grands auteurs français du passé, qui peuvent être considérés comme le pendant des mauvais usagers condamnés dans l’avis aux lecteurs. Ici, son approche ne doit apparemment rien aux traités de seconde rhétorique. Pourtant, l’humaniste ne manque pas de s’appuyer sur la tradition poéticienne. Comme la France n’a pas isolé de grands auteurs comparables aux trois couronnes toscanes, il construit sa liste à partir des « listes de bons facteurs » qui accompagnent la réflexion poétique depuis le milieu du XVe siècle.
9À première vue, Tory se contente de transformer les gloires littéraires en modèles linguistiques. Les auteurs qu’il recommande correspondent en effet souvent à ceux qui apparaissent dans les Parnasses poétiques. Dans sa déploration de la mort du musicien Ockeghem, Guillaume Crétin, que Tory cite, s’adresse par exemple à plusieurs poètes du XVe siècle :
- 13 Guillaume Crétin, Déploration sur le trespas de feu Okeghem, v. 265-270, Œuvres poétiques, éd. K. (...)
Hé ! Chastelain et Maistre Alain Chartier
Ou estes vous ? Il me fust bien mestier
Avoir de vous quelque bonne leçon ;
Simon, Greban, qui fustes du mestier,
Que n’avez vous laissé pour heritier
Ung Meschinnot, ung Milet, ung Nesson […]13
- 14 J. Cerquiglini-Toulet mentionne d’ailleurs ce passage dans son étude des listes de poètes illustre (...)
10Or, à l’exception de Milet, on retrouve exactement les mêmes noms à la fin de la liste de Tory : Arnoul et Simon Greban, Alain Chartier, George Chastellain, Jean Meschinnot (ou du moins ses Lunettes des princes, qui viennent alors d’être publiées en caractères romains par Galliot Du Pré), Pierre de Nesson et Guillaume Crétin (fol. 4r). Même si Tory ne s’est probablement pas inspiré du poème de Crétin, il s’inscrit visiblement dans la continuité de ces « Parnasses des bons facteurs »14.
11Mais Tory entend aussi renforcer la signification linguistique de sa liste par une série de manipulations. L’éloge des auteurs du cycle d’Alexandre qui ouvre sa liste des bons auteurs en est un bon exemple. Tory écrit (fol. 3v) :
Qui se vouldroit en ce bien fonder [= mettre en règle le français], a mon advis porroit user des œuvres de Pierre de sainct Cloct. et des œuvres de Jehan Linevelois qui ont descript la vie d’Alexandre le grant, en longue ligne, que l’Autheur qui a compose en prose le jeu des Eschecz, dit estre de douze syllabes, et appellee Rithme Alexandrine, pource que comme dict est, la vie d’Alexandre en est descripte. Iceulx deux susdicts Autheurs ont en leur stile une grande majeste de langage ancien et croy que s’ilz eussent eu le temps en fleur de bonnes lectres, comme il est aujourd’huy qu’ilz eussent excede tous Autheurs Grecs et Latins. Ilz ont dis je, en leurs compositions don acomply de toute grace en fleurs de Rhetorique et Poesie ancienne. Jacoit que Jehan le Maire ne face aucune mension d’iceulx, toutesfois si a il prins et emprunte de eulx la plusgrande part de son bon langage. comme on porroit bien veoir en la lecture qu’on feroit attentivement es œuvres des ungz et des autres.
12Cette mise en avant du cycle d’Alexandre est en effet le résultat d’une double manipulation qui donne un sens linguistique aux raisonnements métriques des auteurs cités, Évrart de Conty (« l’Autheur qui a compose en prose le jeu des Eschecz ») et Jean Lemaire de Belges. Dans ses Echecs amoureux moralisés (1405), Évrart de Conty présente le vers alexandrin comme la mesure métrique la plus grave et la plus musicale :
- 15 Évrart de Conty, Le livre des eschez amoureux moralisés, éd. F. Guichard-Tesson et B. Roy, Montréa (...)
Les autres rimes longues qui sont de .x. ou de .xij. sillebes se veulent pronuncier plus pesaument et plus tardivement. Et ce semble estre chose aussi come semblable as cordes resonans, car la plus longue corde sonne tousdiz le son plus pesant et plus grave […] ; et pour ce sont telles rimes convenables a reciter les histoires notables et les merveilleux faiz des anciens, car telles haultes materes se veulent exprimer par telles mesures. [… et par especial, la rime de .xij. sillebes est a ce convenable dessus toutes les autres. Et pour ce est elle appellee d’aucuns alexandrine, pour ce que l’Istoire de Alexandre est presque toute par telle rime exprimée, et aussi sont pluseurs autres materes15.
- 16 Voir B. Roy, « Eustache Deschamps et Évrart de Conty théoriciens de l’art poétique », Cy nous dïen (...)
13Évrart construit un raisonnement acoustique dont l’originalité a été maintes fois soulignée16. Projetant sur les mesures métriques les propriétés des cordes résonnantes, il considère que le vers le plus long produit le son le plus grave et se trouve donc prédisposé aux matières graves et nobles. Mais Tory infléchit profondément ce raisonnement. Alors qu’Évrart analyse la mesure métrique, Tory glisse de la qualité acoustique du mètre à la qualité linguistique des auteurs qui l’ont utilisé. Il attribue aux auteurs du cycle d’Alexandre qu’il parvient à identifier les qualités qu’Évrart accordait au mètre lui-même. La spécialisation du vers dans les « hautes matières » (Évrart de Conty) confère aux textes qui l’utilisent « une grande majesté de langage » et un « don accomply de toute grace en fleurs de Rhetorique ».
14Cet infléchissement linguistique est également très net dans la mention de Lemaire de Belges. Tory prétend de façon étrange que Lemaire « a pris et emprunté […] la plus grande part de son bon langage » aux auteurs du cycle d’Alexandre. Or la confrontation des textes ne révèle aucune proximité de ce type. Comment dès lors expliquer une affirmation aussi contestable ? Tory semble encore une fois donner un sens linguistique à un développement métrique. Dans la Concorde des deux langages (1509), l’acteur du prosimètre fait en effet un éloge appuyé du vers alexandrin :
- 17 Jean Lemaire de Belges, Concorde des deux langages (1509), éd. J. Frappier, Genève, Droz, 1947, p. (...)
Quand j’euz fini de lire tout ce beau dictier, composé de ryme alexandrine, gravé en la planière du rochier ample et spacieux, (laquelle taille jadiz avoit grand bruit en France, pource que les prouesses du roi Alexandre le grant, en sont descriptes es anciens rommandz : dont aucuns modernes ne tiennent compte aujourduy. toutesvoies ceux qui mieulx scevent en font grand estime), je fuz bien joyeulx, et ruminant longueuement en ma pensée, notay par exprès les six vers, dont l’un commence : Dedens ce palais est le temple de Minerve, etc17.
15Dans la parenthèse, Lemaire présente l’alexandrin comme une « taille » ancienne dont seuls les plus savants « font grand estime ». Il fait l’éloge d’un usage métrique. Mais Tory fait subir un double infléchissement au texte. D’une part, il semble faire du pronom relatif « dont » la reprise, non de « laquelle taille », mais de « anciens rommandz » qui l’utilisent. D’autre part, il semble comprendre « aucuns modernes » comme une sorte d’énallage de personne par laquelle Lemaire se désignerait lui-même de façon indirecte. L’éloge de l’usage savant du vers alexandrin est ainsi transformé en un aveu linguistique par lequel Lemaire reconnaîtrait une dette personnelle à l’égard des « anciens rommandz » composés dans ce vers. Si la mise en avant d’une prétendue dette de Lemaire s’explique par une telle manipulation interprétative, c’est bien encore une fois la lecture linguistique de passages métriques qui explique la valorisation linguistique des auteurs du cycle d’Alexandre.
16En infléchissant le sens de ses sources, Tory construit le Roman d’Alexandre comme une forme patrimoniale fondatrice et dépositaire d’un « bon » français, un cycle dont la « grande majesté de langage » éclairerait encore le « bon langage » de Jean Lemaire et serait donc susceptible de fournir les règles du français à venir. La méthode n’est guère rationnelle. S’appuyant en grande partie sur l’imaginaire, Tory semble surtout utiliser la tradition poéticienne pour légitimer les fondements de la nouvelle discipline grammaticale.
Du Parnasse au corpus (2) : une réorganisation historique
17Mais Tory ne se contente pas de réaliser des infléchissements à fonction symbolique. Il modifie aussi les « listes de bons facteurs » en mettant véritablement en œuvre une méthode nouvelle. La liste des auteurs des XIIe et XIIIe siècles, qui suit immédiatement l’éloge du Roman d’Alexandre, en est un bon exemple. Tory invite le futur grammairien à ne pas oublier certains auteurs (fol. 3v) :
On porroit aussi user dez œuvres de Chrestien de Troyes et ce en son Chevalier a l’espee, et en son Perseval qu’il dedia au Conte Phelippe de Flandres. On porroit user pareillement de Hugon de Mery en son Tornoy de l’Entechrist. Tout pareillement aussi de Raoul en son Romant des Elles. Paysant de Mesieres n’est pas a depriser, qui faict maintz beaux & bons petitz coupletz, et entre les aultres, en sa Mule sans frein.
18Or la succession « Chrétien de Troyes – Huon de Méry – Raoul de Houdenc » paraît directement fondée sur les développements linguistiques des ouvrages cités. À la fin de son Tournoi de l’Antéchrist, Huon de Méry demande en effet à être récompensé de ses efforts linguistiques :
- 18 « Que Dieu y mène Huon de Méry, qui a mis toute sa peine à écrire ce livre parce qu’il n’osait pas (...)
I meint dex Hugon de Meri,
Qui a grant peine a fet cest livre,
Car n’osoit pas prendre a delivre
Le bel François a son talent,
Car cil qui troverent avant
En ont coilli tote l’eslite,
Pour c’est ceste oevre meins eslite
Et plus fu fort a acehever.
Molt mis grant peine a eschiver
Les diz Raol et Crestïen,
C’onques bouche de créstïen
Ne dist si bien com ils disoient.
Mes quant qu’il dirent il prenoient
Le bel François trestot a plein
Si com il lor venoit a mein,
Si c’apres eus n’ont rien guerpi.
Se j’ai trové aucun espi
Apres la mein as mestiviers,
Je l’ai glané molt volentiers18.
- 19 J. Chaurand, « La qualité de la langue au Moyen Âge », La qualité de la langue ? Le cas français, (...)
19Plaçant son œuvre dans une sorte de lignage, Huon de Méry présente l’écriture littéraire comme une sélection de constructions linguistiques à la fois belles et inédites à l’écrit. C’est une façon indirecte de se valoriser : alors que les premiers auteurs peuvent « empoigner le français à pleine main », ceux qui les suivent – et donc Huon de Méry lui-même – doivent se contenter de « glaner » ce que les premiers ont laissé et faire preuve d’une inventivité supplémentaire. Mais cette présentation de l’écriture littéraire est aussi une façon relativement nouvelle d’articuler langue et littérature. Il s’agit même de l’une des plus anciennes mentions d’un « bel François » littéraire19. C’est donc un document important dans l’histoire de la langue. Aidé de René Macé, Tory semble avoir directement construit sa liste à partir de ce texte. Comme Huon de Méry fait de Chrétien de Troyes et Raoul de Houdenc les deux meilleurs illustrateurs du français avant lui, il inclut les trois auteurs dans son corpus d’auteurs susceptibles de servir de modèles. On le voit, Tory cherche moins à récompenser la gloire littéraire qu’à constituer à partir de la lecture minutieuse des textes un corpus linguistique à partir duquel déduire une norme.
20Cette prise en compte des développements linguistiques des textes est également visible dans un étrange éloge d’Arnoul Gréban. Relayant une analyse de René Macé, Tory semble justifier la mention de Gréban en tête des auteurs du XVe siècle par la citation élogieuse qu’en ferait Dante (fol. 4r) :
On pourroit en oultre user des œuvres de Arnoul Graban, & de Simon Graban son frere. Dantes Aligerius Florentin, comme dict mon susdict bon amy frere Rene Masse, faict honorable mention dudict Arnoul Graban.
21Mort près d’un siècle avant la naissance du dramaturge français, Dante n’a absolument pas pu faire « honorable mention » d’Arnoul Gréban. Comment donc expliquer une telle confusion ? Sans doute par une lecture fautive d’un passage linguistique de la Divine comédie. Dans le Purgatoire, Dante fait en effet un éloge appuyé du troubadour provençal Arnaut Daniel (Purg., XXVI, v. 115-148, c’est la fin du chant). Après l’avoir présenté comme un modèle linguistique (« fu miglior fabbro del parlar materno/ du parler maternel fut meilleur maître », Purg., XXVI, v. 115-117), il combine quelques courts extraits de ses textes pour le faire parler dans sa langue, en occitan. Or le grand troubadour prend la parole en ne donnant que son prénom « Arnaut » (« Ieu sui Arnaut… », Purg., XXVI, v. 142). Il est donc possible que Macé, puis Tory, incapables de situer chronologiquement les auteurs, aient identifié cet Arnaut (Daniel) inconnu au célèbre Arnoul (Gréban).
- 20 Voir J.-Cl. Mühlethaler, « De Guillaume de Machaut aux Rhéthoriqueurs… », et J. Cerquiglini-Toulet (...)
- 21 La recherche d’identification des auteurs est un bon exemple. Tory est ainsi le premier à tenter d (...)
22Ces deux exemples prouvent que le souci linguistique ne se réduit pas à un affichage symbolique. Tory introduit bien de nouveaux critères de classement. Alors que les Parnasses poétiques possèdent souvent des enjeux symboliques, cherchant par exemple à associer les poètes français aux auteurs antiques ou italiens20, la liste de Tory est non seulement chronologique, mais effectivement linguistique. Elle propose successivement des pères fondateurs (les auteurs du cycle d’Alexandre), des modèles linguistiques anciens (des XIIe et XIIIe siècles : Chrétien de Troyes, Raoul de Houdenc, Huon de Méry et Païen de Maisières) et des modèles linguistiques modernes (du XVe siècle : Arnoul et Simon Greban, Alain Chartier, Georges Chastellain, Jean Meschinot, Pierre de Nesson et Guillaume Crétin). Tory inaugure en cela une nouvelle discipline : l’histoire littéraire positiviste21. Plus qu’une instrumentalisation des Parnasses poétiques, la liste du Champ fleury apparaît cette fois comme l’expression d’un nouveau rapport au texte.
Une approche philologique des textes français ?
23Une telle réorganisation de la liste des bons auteurs s’explique en effet par une méthode inédite : l’application aux textes français de la lecture philologique jusque là réservée aux textes de l’Antiquité. Cette nouveauté est visible partout. Tory note la différence d’une édition à l’autre (« La dernière impression ne la [= Oraison de la Vierge de Pierre Nesson] contient pas et ne scay pour quoy », fol. 4r), revendique la lecture directe des manuscrits (« J’ay nagueres veu et tenu tous ces susdictz reverendz et anciens autheurs escriptz en parchemain », fol. 3v-4r), identifie les dédicataires (« son Perseval qu’il dédia au conte Phelippe de Flandres », fol. 3v), etc. Or cette approche philologique tend encore vers une autre discipline, la lexicologie diachronique. Le passage de l’avis aux lecteurs consacré aux archaïsmes le montre bien. Appelant à lutter contre le changement linguistique par la réintroduction des termes sortis de l’usage, Tory donne en effet des exemples d’évolutions lexicales (sign. A8r) :
L’autheur du Livre des Eschecqtz disoit en son temps Neantplus et nous disons, Nonplus. Il disoit, Bien est voir. et nous disons Bien est vray. Tout pareillement il disoit, Tenroit, Ne volt pas, et Le voyeu. et nous disons, Tiendroit. Ne veult pas. & La vocale. Il en disoit Mille aultres que je laisse pour brevete. On porroit trouver Dix Milliers de telz motz et vocables laissez et Changez/ Desquelz Cent aultres Autheurs usoient au temps passe. On usoit au dict temps passe de dire Herper, pour Jouer de la Herpe. On disoit, Assembler a son Ennemy. pour Commancer a combattre. Lance roidde sus le faultre, estoit, Lance mise sus l’arrest. Et Sonner des Gresles a l’assault estoit, Sonner des Trompetes. Estre affesse, estoit a dire, Estre apoysanty. Ne vous deveille, estoit. Ne vous deplaise. Remettre son espee en son feurre, estoit Remettre au fourreau. Forconseiller, estoit. Malconseiller. Tourbillonner, estoit. Faire grant vent. Et Mille aultres semblables qu’on porroit bien dire, et desquelz on porroit faire ung grant et juste Volume. J’aurois couleur de deplorer la sterilite de noz mains, mais j’espere que au plaisir de Dieu quelque Noble Priscian/ quelque Donat, ou quelque Qintilien Francois/ naistra de Bref, s’il n’est desja tout edifie.
- 22 Les exemples empruntés aux Echecs amoureux moralisés d’Évrart de Conty figurent (entre autres) dan (...)
- 23 Outre l’attention portée à l’évolution diachronique, Tory semble sensible à une forme de densité s (...)
24Ce développement peut être considéré comme l’une des premières analyses diachroniques du lexique français. Non seulement Tory donne les références de ses exemples22, mais il fait preuve d’une grande précision linguistique. Tantôt il relève des évolutions morphologiques : changement de base verbale (extension de la base forte au futur : ten-roit > tiend-roit), reflet graphique de la poursuite de la diphtongaison de o ouvert (volt > veult), remplacement de l’évolution populaire par une forme empruntée (voyeu > vocale / lat. vocalis, voir > vrai / lat. verax), transformation d’un élément (neantplus > nonplus). Tantôt il propose des exemples de termes sortis de l’usage : outre des mots qui ont changé de sens (« assembler » ou « douloir »), il note des locutions verbales (« soner des gresles », « poser sur le fautre », « sortir du feurre ») mais surtout des verbes apparaissant comme des dérivés préfixaux (« malconseiller », « forconseiller »), suffixaux (« herper », « tourbillonner ») ou parasynthétique (« enherber »)23. Même s’il ne l’explicite pas, Tory applique bien au français une analyse linguistique.
25La fin du développement annonce d’ailleurs un ouvrage scientifique d’un genre nouveau. Comme Tory vient de citer les archaïsmes, il semble d’abord désigner un dictionnaire historique (« faire [des termes sortis de l’usage] ung grant et juste Volume »). Mais les noms qu’il avance pour désigner l’ouvrage à venir renvoient plutôt à la grammaire (« quelque Noble Priscian/ quelque Donat ») ou la rhétorique (« quelque Quintilien François »). Comme le discours typographique qui constitue le principal objet de l’ouvrage, l’analyse lexicologique est à la fois une nouvelle discipline et l’exemple d’une codification plus large. Fondée sur une approche historique et philologique des textes, la grammaire esquissée par Tory semble bien se détacher de l’approche poéticienne.
De la codification à l’illustration
26Mais cette grammaire nouvelle ne fait pas disparaître pour autant toute ambition littéraire. Tory associe même étroitement son projet de codification linguistique à un projet d’illustration poétique retrouvant en partie certains enjeux des traités de seconde rhétorique. C’est particulièrement net à la fin de la digression grammaticale. D’abord, Tory termine sa liste des bons auteurs en citant un rondeau (fol. 4r-v) :
Et pour monstrer que nostre dict langage Francois a grace quant il est bien ordonne, j’en allegueray icy en passant ung Rondeau que une femme d’excellence en vertus, ma Dame d’Entragues a faict et compose se dict on. […] Le susdict Rondeau est tel qu’il s’ensuyt.
Pour le meilleur, et plus seur chemin prandre.
Je te conseille a Dieu aymer aprandre.
Estre loyal de bouche, cueur, & mains.
Ne te vanter, peu moucquer, parler moings.
Plusque ne doibs scauoir ou entreprandre.Fors tes subjectz ne te chaille reprandre.
Trop haultains faictz ne te amuse a comprendre.
Et cherche paix entre tous les humains.
Pour le meilleur.Ung don promis ne faiz jamais attendre.
Et a scauoir sans cesser doibz pretendre.
Peu de gens fays de ton vouloir certains.
A ton amy ne dissimule ou tains.
Bien me plaira si a ce veulx entendre.
Pour le meilleur.
- 24 Le rentrement « Pour le meilleur » peut d’ailleurs apparaître comme une réussite formelle dans la (...)
27Placé à la fin de la liste, ce rondeau est censé illustrer la norme linguistique défendue par Tory : « monstrer » la « grace » du « langage Francois […] quant il est bien ordonne ». Mais son écriture n’est guère marquée linguistiquement. Elle ne comprend aucun des archaïsmes loués dans l’avis aux lecteurs, aucun des passés simples mentionnés dans la digression grammaticale, aucune des « belles Figures et Fleurs de Retorique » (fol. 1v-2r) que Tory souhaite introduire en français. Le texte est surtout défini par sa forme poétique et son contenu moral. C’est un rondeau double dont presque chaque vers est un précepte moral. Les deux dernières strophes enchaînent ainsi les commandements formulaires à la deuxième personne. Plus que l’expression, et peut-être le renvoi au milieu de Marguerite de Navarre dont Madame d’Entragues est une dame d’honneur, c’est semble-t-il cette façon de superposer des règles poétiques à des règles morales qui explique le choix de Tory. Le rentrement « pour le meilleur » en est d’ailleurs le symbole puisqu’il incarne à la fois la réussite poétique (construire un bon rondeau24), l’ambition morale (être irréprochable) et l’ambition linguistique (porter la langue à son point de perfection). On observe alors un glissement sensible de la codification à l’illustration. Le « langage Francois […] ordonne » se trouve moins défini par sa langue que par sa forme et son contenu. Même s’il appelle comme on l’a vu la rédaction de traités, Tory ne dissocie pas l’ambition de codification d’une illustration poétique destinée à l’incarner.
28Cette association entre codification linguistique et illustration poétique se retrouve dans les digressions qui accompagnent la présentation des derniers auteurs de la liste. Elle est d’abord visible dans l’organisation. Tory encadre la liste des auteurs modernes par la mention des chroniqueurs du roi. Il commence par citer René Macé qui « use si bien [les anciens auteurs français] a parfaire les Chroniques de France, que je puis honnestement dire de luy./ Caedite Romani scriptores, caedite Graij./ Nescio quid maius nascitur Iliade./ “Arriere arriere Autheurs Grecz & Latins, de Rene masse n’aist chose plus belle et grande que le Iliade” » (fol. 4r). Il achève ensuite sa liste par Guillaume Crétin : « On porroit semblablement bien user des belles Chroniques de France que mon seigneur Cretin nagueres Chroniqueur du Roy a si bien faictes, que Homere, ne Virgile, ne Dantes, n’eurent onques plus d’excellence en leur stile qu’il a au sien » (fol. 4r). Autour du dépassement de l’Antiquité, un lien semble être établi entre le genre de la chronique française et l’ambition linguistique de la grammaire. Ce lien entre grammaire et genre héroïque se retrouve d’ailleurs dans les formulations. Tory définit aussi son projet grammatical par des métaphores empruntées à l’écriture épique. Juste avant de citer le rondeau de madame d’Entragues, il utilise par exemple deux maximes latines pour formuler des principes grammaticaux (fol. 4r) :
J’en allegueray icy en passant ung Rondeau […], Pareillement deux bons petits enseignemens, […] et renvoyray les bons esperits aux aultres bons œuvres Francois, pour y faire ce que Virgile faisoit jadis en lisant es Oeuvres de Ennius, Extrahere aurum de stercore, Tirer l’or de dedans ung fient. et de Homere, Extorquere clauam de manu Herculis. Oster et aracher la massue de la main d’Hercules. Le susdict Rondeau est tel qu’il s’ensuyt.
- 25 E. Mortgat-Longuet, Clio au Parnasse, op. cit., par exemple p. 245 et 307.
- 26 E. Diehl, « Donatus auctus », Die Vitae Vergilianae und ihre antiken Quellen, Bonn, Marcus und Web (...)
- 27 Clavam extorquere Herculi/ de manu Herculis, 3095 (IV, 1, 95). Pour le texte complet de l’adage, v (...)
29Comme la liste des auteurs est destinée à servir de corpus à l’élaboration des règles du français, les deux formules latines désignent l’entreprise de codification : « tirer l’or de dedans ung fient » et « oster et arracher la massue de la main d’Hercule » décrivent de façon métaphorique l’action de tirer des règles grammaticales de la lecture des textes. Elles sont d’ailleurs complémentaires. Alors que la première, appelée à devenir un poncif de l’histoire littéraire25, valorise la grammaire en soulignant sa capacité à déduire une belle règle (« l’or ») d’un texte insignifiant (« ung fient » !), la seconde la valorise en posant qu’elle peut aussi reprendre et codifier la force expressive des textes les plus expressifs (« la massue […] d’Hercules »). Mais ces deux formules renvoient à l’origine à l’imitation épique. Comme le souligne Tory lui-même, ce sont des propos de Virgile justifiant son imitation d’Ennius et d’Homère. La première est empruntée à la seconde Vie de Virgile du pseudo-Donat26. La seconde est l’adage 3095 d’Érasme27. La grammaire se trouve donc identifiée à l’illustration épique. Comment comprendre un tel rapprochement ? On peut y voir une recherche stylistique. L’adage d’Érasme permet à Tory de terminer par une évocation d’Hercule une digression grammaticale qui s’était ouverte avec la célèbre gravure de l’Hercule gaulois. Mais ce choix d’écriture n’est pas anodin. On peut le lire comme un moyen de faire de la grammaire à venir un prolongement de l’illustration linguistique traditionnellement dévolue au genre héroïque. On peut surtout le lire comme le signe que la codification est indissociable de l’illustration héroïque. La mention de Virgile, Homère et Ennius ne fait que prolonger les éloges de René Macé et de Guillaume Crétin. Elle place à nouveau la grammatisation au sein de l’illustration poétique. Les textes poétiques changent alors de statut. Ils ne sont plus seulement la base de travail du grammairien, le corpus dont il peut extraire les règles, ils en deviennent le prolongement indispensable et la mise en œuvre la plus éclatante. D’une certaine manière, et malgré les différences génériques, le rondeau et les enseignements qui suivent deviennent en quelque sorte les exemples de cette illustration réussie.
- 28 Voir par exemple J.-Cl. Mühlethaler et F. Cornilliat, « Lemaire, Crétin et “l’histoire totale” », (...)
30Il est vrai que cette ambition héroïque ne correspond pas exactement aux prescriptions des traités de seconde rhétorique, qui mettent davantage l’accent sur les formes fixes que sur les genres littéraires. Mais elle correspond parfaitement aux objectifs de « l’histoire totale » qui, notamment sous la plume de Molinet, Lemaire et Crétin, constitue alors le grand genre poétique en France et en Bourgogne28. Enregistrant l’évolution de la réflexion poétique, Tory présente la grammaire française à venir comme l’accomplissement théorique du projet d’illustration linguistique formulé par les poètes de cour.
31Le discours linguistique du Champ fleury apparaît en conclusion comme le lieu d’une intense réélaboration épistémologique cherchant à transformer certains éléments de la réflexion poétique en disciplines nouvelles.
32La méthode grammaticale qui y est esquissée est certes une nouveauté d’inspiration essentiellement humaniste. Si elle prolonge en partie la condamnation des « vices » d’écriture qui figurent dans les traités de seconde rhétorique, elle manifeste surtout une approche philologique des textes, transpose les procédés de la grammaire latine ou italienne, et propose en passant les premiers rudiments d’une histoire littéraire rigoureuse. La suite du texte rapproche d’ailleurs la codification à venir du français de la codification passée du latin (fol. 4v-5v).
33Mais la fonction donnée à cette discipline nouvelle reste en grande partie tributaire de la réflexion poétique. Non seulement elle construit une norme littéraire à tirer de la lecture des « anciens et reverendz » poètes, mais elle est avant tout destinée à servir l’écriture poétique. Synthétisant sans doute les idées des milieux royaux, dont il est très proche, Tory inscrit sa nouvelle discipline à l’intérieur du projet d’illustration linguistique qui commence à se formuler autour des chroniqueurs du roi. La codification est avant tout pour lui un moyen d’élever et de perfectionner l’écriture poétique. Le programme proposé à la fin de l’Avis aux lecteurs le montre clairement (sign. A8v) :
Quant l’ung traictera des Lettres, & l’aultre des Vocales, ung Tiers viendra/ qui declarera les Dictions. & puis encores ung aultre surviendra qui ordonnera la belle Oraison. Par ainsi on trouvera que peu a peu on passera le chemin, si bien qu'on viendra aux grans Champs Poetiques et Rhetoriques plains de belles/ bonnes/ & odoriferentes fleurs de parler & dire honnestement & facillement tout ce qu’on vouldra.
- 29 Voir J. Palsgrave, L’éclaircissement de la langue française (1530), trad. S. Baddeley, Paris, Cham (...)
34Non seulement ce programme établit une continuité entre la codification grammaticale (graphie, phonétique, lexique/morphologie, syntaxe) et l’écriture poétique et rhétorique (« champs poétiques et rhétoriques »), mais elle semble signifier qu’il faut atteindre le dernier niveau, à savoir celui de la poésie, pour réaliser l’un des premiers, à savoir utiliser « honnestement » la langue. Même s’il est difficile de lire le groupe prépositionnel « de dire » comme un complément du nom de « fleurs » et qu’on a tendance à rétablir un verbe apparemment omis (par exemple « on viendra aux grans Champs Poetiques […] plains de […] fleurs de parler et on pourra dire honnestement… »), l’ellipse est signifiante et le texte pose clairement que c’est l’illustration littéraire qui achève le projet grammatical. La description de l’écriture littéraire évoque d’ailleurs le titre du Champ fleury pourtant essentiellement consacré à la typographie (« Champs […] de fleurs de parler »). Tory place délibérément les nouvelles fleurs grammaticales dans le bouquet des fleurs poétiques. Ce choix n’allait pas de soi. Dans la grammaire qu’il publie l’année suivante, John Palsgrave choisit plutôt de décrire un usage courant qu’il présente comme celui d’Île-de-France29.
- 30 « Mais nous avons aussi accompli […] une chose qui, selon le témoignage de l’excellent clerc maîtr (...)
- 31 C. Thiry, « Rhétoriqueurs de Bourgogne, rhétoriqueurs de France : convergences, divergences ? », R (...)
- 32 Clément Marot, « A ses Disciples », Œuvres poétiques, éd. G. Defaux, Paris, Classiques Garnier, 19 (...)
- 33 J.-Ch. Monferran, « Art poétique et grammaire : quelques “remarques” sur la répartition des discip (...)
- 34 Il n’est pas impossible que Joachim Du Bellay ait été influencé par la lecture du Champ fleury, qu (...)
- 35 Le second livre du Recueil de l’origine de la langue et poésie françoise (1581) de Claude Fauchet, (...)
35Qu’il fasse preuve d’originalité ou qu’il exprime les idées des milieux lettrés de la cour, Tory formule donc in fine trois nouveautés : le premier appel à une codification du français, la première esquisse d’une norme littéraire mise au service d’une illustration poétique, et le premier exemple d’une histoire littéraire rigoureuse. Or ces nouveautés vont structurer le discours linguistique renaissant. L’appel à codifier le français annonce les grammaires à venir. Dès 1530, le grammairien anglais John Palsgrave se réclame d’ailleurs explicitement de Tory30. L’esquisse de la norme littéraire annonce les ambitions d’illustration. Si les poètes, notamment en Bourgogne, avaient déjà acquis une légitimité linguistique31, ils lui donnent ensuite une importance accrue : Clément Marot formule une règle de syntaxe (l’accord des participes passés)32, les arts poétiques comprennent des chapitres grammaticaux33, et les poètes de la Brigade entendront défendre et illustrer la langue française34. Enfin, l’exemple d’histoire littéraire annonce les travaux historiques à venir. Claude Fauchet et Estienne Pasquier citent d’ailleurs abondamment Tory35. Malgré sa brièveté, le discours linguistique du Champ fleury apparaît bien comme un point de partage, ou plutôt de transformation, entre la réflexion poétique amorcée au milieu du XVe siècle et les nouvelles disciplines qui s’élaborent au XVIe siècle (grammaire, histoire littéraire, lexicologie diachronique).
Annexe
Le plan de la digression grammaticale (fol. 3v-4v)
1. Un exemple de règle : le paradigme du passé simple
« Et a ce propos, pour ce qu’il m’en souvient, et que je puisse bailler quelque bonne raison que Reigle se y pourroit tenir, pource que je voy communement maint personnages tant scavans que non scavans y faillir et commettre Barbarisme, & langage inepte, je dis que pour les preterits parfaicts on peut assigner telle Reigle et dire. […] J’ai fait cette demonstrative digression, affin que le studieux esperit preigne l’anse de la matiere que je luy mets devant les yeulx. » (fol. 3v)
2. Une proposition de corpus
« Qui se vouldroit en ce bien fonder [= codifier le français], à mon advis pourroit user des œuvres de… » (fol. 3v -4r).
6 Les pères fondateurs : les auteurs du cycle d’Alexandre, Jean Le Nevelon et Pierre de Saint-Cloud.
6 Les poètes « anciens » des XIIe-XIIIe siècles : Chrétien de Troyes, Raoul de Houdenc, Huon de Méry et Païen de Maisières.
6 Les poètes « modernes » du XVe siècle : Arnoul et Simon Greban, Alain Chartier, Georges Chastellain, Jean Meschinot, Pierre de Nesson et Guillaume Crétin.
3. Des exemples d’illustration
« Et pour monstrer que nostre dict langage Francois a grace quant il est bien ordonne, j'en allegueray icy en passant… » (fol. 4r-v).
1 Deux expressions proverbiales latines servant d’indications méthodologiques : extrahere aurum de stercore et extorquere clavam de manu Herculis.
1 Deux textes poétiques servant d’exemples : un rondeau de Madame d’Entragues et deux « enseignements » anonymes.
Notes
1 Voir F. Brunot, Histoire de la langue française des origines à nos jours, Paris, Armand Colin, 1967, II. Le XVIe siècle, p. 33-35 et p. 129-130, et D. Trudeau, Les Inventeurs du bon usage (1529-1647), Paris, Minuit, 1992, p. 23-30.
2 Sur les « vices » de langage, voir Cl.-G. Dubois, « “Vice de innovation” et “escumeurs de latin” : quelques aspects du mélange des langues dans ses rapports avec la création littéraire en France au XVIe siècle », Réforme, Humanisme, Renaissance, 15/2, 1982, p. 19-36.
3 Sur les listes de bons facteurs, voir S. Bagoly, « “De mainctz aucteurs une progression”. Un siècle à la recherche du Parnasse français », Le Moyen français, 17, 1985, p. 83-123 ; J.-Cl. Mühlethaler, « De Guillaume de Machaut aux Rhétoriqueurs : à la recherche d’un Parnasse français », Histoire des poétiques, éd. J. Bessière, Paris, PUF, 1997, p. 85-101 ; J. Cerquiglini-Toulet, « De la liste à la conscience littéraire : les auteurs illustres », Études de lettres, 4, 2002 (Poétiques en transition : entre Moyen Âge et Renaissance), p. 14-15 et Id., « À la recherche des pères : la liste des auteurs illustres à la fin du Moyen Âge », Modern Language Notes, 116/4, 2001, p. 630-643.
4 Si le terme de « vice » est probablement repris à l’Ars grammatica de Donat, ces observations proviennent sans doute de certains commentaires scolaires de l’Art poétique d’Horace, qui déduisent des trente-sept premiers vers du poème des constructions à proscrire de la langue poétique : voir J.-Y. Tilliette, Des mots à la parole. Une lecture de la Poetria nova de Geoffroy de Vinsauf, Genève, Droz, 2000, p. 42 et suiv.
5 Pour Cl.-G. Dubois, le Grand et vrai art de pleine rhétorique (1521) manifeste « un goût relativement puriste » excluant « l’usage des “langages parciaux” ou idiotismes régionaux, sociaux ou professionnels » (art. cit., p. 20).
6 J.-Cl. Mühlethaler, « Entre crainte et confiance : ambigüités du discours poétique », Études de lettres, 4, 2002, p. 16-20 (ici p. 16).
7 Le Champ fleury peut être consulté en mode texte sur le site des Bibliothèques Virtuelles Humanistes (www.bvh.univ-tours.fr).
8 L’Instructif de la seconde rhétorique inaugure aux v. 675-706 une section des « vices » d’écriture : voir Le jardin de plaisance et fleur de rhétorique, reprod. en fac simile de l’éd. de 1501, éd. E. Droz et A. Piaget, Paris, F. Didot, 1910-1925, I, fol. a6r-a6v ; celle-ci sera reprise et amplifiée par Pierre Fabri, Le Grand et vrai art de pleine rhétorique, éd. A. Héron, Genève, Slatkine Reprints, 1969, II, p. 116-119 ; à son tour, Fabri sera repris et amplifié par Gracien Du Pont, Art et science de rhetoricque metriffiee, Genève, Slatkine Reprints, 1972, fol. 69r-73v.
9 Pierre Fabri, Le Grand et vrai art de pleine rhétorique, op. cit., II, p. 116.
10 Voir G. Defaux, Pantagruel et les sophistes : contribution à l’histoire de l’humanisme chrétien au XVIe siècle, La Hague, M. Nijhoff, 1973, p. 83-86.
11 D. Trudeau (op. cit., p. 25-26 et 30) comprend ce texte comme un appel aux savants à « préserv[er] le bien public » au lieu de chercher à se singulariser. Voir aussi M.-L. Demonet, Les Voix du signe. Nature et origine du langage à la renaissance (1480-1580), Paris, Champion, 1992, p. 121.
12 Voir O. Halévy, La Vie d’une forme : l’alexandrin renaissant (1452-1573), Thèse de doctorat sous la dir. de F. Goyet, Université Stendhal-Grenoble III, 2003, p. 121-123.
13 Guillaume Crétin, Déploration sur le trespas de feu Okeghem, v. 265-270, Œuvres poétiques, éd. K. Chesney, Genève, Slatkine Reprints, 1977, p. 68.
14 J. Cerquiglini-Toulet mentionne d’ailleurs ce passage dans son étude des listes de poètes illustres (« De la liste à la conscience littéraire », art. cit., p. 15).
15 Évrart de Conty, Le livre des eschez amoureux moralisés, éd. F. Guichard-Tesson et B. Roy, Montréal, CERES, 1993, p. 170.
16 Voir B. Roy, « Eustache Deschamps et Évrart de Conty théoriciens de l’art poétique », Cy nous dïent : dialogue avec quelques auteurs médiévaux, Orléans, Paradigme, 1999, p. 25-40.
17 Jean Lemaire de Belges, Concorde des deux langages (1509), éd. J. Frappier, Genève, Droz, 1947, p. 43.
18 « Que Dieu y mène Huon de Méry, qui a mis toute sa peine à écrire ce livre parce qu’il n’osait pas cueillir comme il le désirait, librement, le beau français. Ceux qui ont écrit avant lui en ont en effet cueilli le meilleur. Voilà pourquoi cette œuvre est de moindre valeur, et elle a été plus pénible à mener à bien. J’ai pris beaucoup de peine pour esquiver les récits de Raoul et de Chrétien, car jamais aucun chrétien n’a parlé aussi bien qu’eux. Mais lorsqu’ils écrivaient, ils empoignaient le français à pleines mains, tel qu’il s’offrait à eux, de sorte qu’ils n’ont rien laissé. Malgré tout, chaque fois que j’ai trouvé quelque épi après le passage de ces moissonneurs, je l’ai glané bien volontiers. » : Huon de Méry, Le tournoi de l’Antéchrist, texte établi par G. Wimmer et traduit par S. Orgeur, Orléans, Paradigme, 1994, p. 259-260.
19 J. Chaurand, « La qualité de la langue au Moyen Âge », La qualité de la langue ? Le cas français, dir. J.-M. Eloy, Paris, Champion, 1995, p. 25-36.
20 Voir J.-Cl. Mühlethaler, « De Guillaume de Machaut aux Rhéthoriqueurs… », et J. Cerquiglini-Toulet, « À la recherche des pères… », art. cit.
21 La recherche d’identification des auteurs est un bon exemple. Tory est ainsi le premier à tenter de nommer les auteurs du cycle d’Alexandre. Certes, il se trompe : Pierre de Saint-Cloud est un interpolateur cité dans certains manuscrits (il se présente comme l’auteur dans une version de la plainte d’Antiochus) et Jean Le Nevelon est un continuateur cité au v. 39 de la Vengeance (voir A. Henry, « Pierre de Saint-Cloud et le Roman d’Alexandre », Romania, 62, 1936, p. 102-116). Mais son erreur ne lui retire pas le privilège d’avoir – le premier – cherché à nommer les auteurs du cycle. On a d’ailleurs peut-être une trace manuscrite de ce soin apporté à l’identification des auteurs. Confondant « païen » avec « paysan », Tory attribue la Mule sans frein à un certain « paysan de Maisières ». Or, au fol. 26v du ms. Berne, n° 354, on trouve dans la marge du v. 14, dans lequel est nommé « Paiens de Maisières », une écriture du XVIe siècle transcrivant très exactement le nom « Paisant de Maisières » (Païen de Maisières, La demoiselle à la mule (La Mule sanz frain), éd. B. Orlowski, Paris, Champion, 1911, p. 143 et planche). Est-ce la main de Tory ? Est-ce celle d’un lecteur du Champ fleury ? C’est dans tous les cas l’indice que l’attribution de Tory est bien liée à une lecture attentive des textes. Pour E. Mortgat-Longuet, qui souligne également la dimension « philologique » du travail de Tory, « le transfert d’une démarche érudite au patrimoine littéraire français s’amorce dans le Champ fleury » (Clio au Parnasse. Naissance de l’« histoire littéraire » française aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Champion, 2006, p. 40).
22 Les exemples empruntés aux Echecs amoureux moralisés d’Évrart de Conty figurent (entre autres) dans un développement métrique (« […] car ce mot cy “nature”, qui est de troiz sillebes dont la tierce se fine en .e. sonnant en la tierce maniere dessusdicte, ne tient lieu seulement que de deux ne ne fait point varier la mesure, neant plus que se la tierce sillebe n’y estoit point, sy comme il apparoit, qui tout le ver entier pronunceroit sanz elle. […] maiz bien est voir que on ne doit oncques fere, au prononcier, des deux sillebes que une. La chose dessusdite aussi semblablement se moustre ou second ver en ce mot cy “legiere”, car, pour ce qu’il est mis devant le voyeul .a. […]. Mais se ce mot “legiere” estoit ailleurs assis ou aucuns consonans apres ly s’enssuivist, lors tendroit il le lieu de troiz sillebes. », Évrart de Conty, Le livre des eschez amoureux moralisés, op. cit., p. 172). Si Tory a manifestement lu ce chapitre métrique pour son contenu, puisqu’il s’en inspire dans la liste des auteurs et en citera une autre partie à la fin du développement consacré à la lettre E (fol. 39v), il n’a pas manqué d’être attentif à l’historicité de la langue. Un raisonnement poétique reste un document historique. Les autres exemples figurent dans les ouvrages que Tory cite dans la liste. Les premiers peuvent par exemple être retrouvés dans le Tournoi de l’Antéchrist. Le verbe assembler s’y trouve plusieurs fois avec le sens de « commencer à combattre » (v. 2142, 2508, 2805…) et les premières expressions citées s’y rencontrent : « Einsi d’une vile et de l’autre/ Sont essu et lance sour fautre/ la praarie ont chevauchiée » (Tournoi de l’Antéchrist, op. cit., v. 2031-2033 : « C’est alors que tous les combattants sortirent de l’une et l’autre villes, puis, la lance sur le feutre, traversèrent la prairie »), « Tant sonerent qu’en gros qu’en grelle/ Qu’il assemblerent lor gent tote » (Tournoi de l’Antéchrist, op. cit., v. 1350-1351 : « à force de faire sonner leurs instruments sur tous les tons, ils réunirent leur armée au complet »).
23 Outre l’attention portée à l’évolution diachronique, Tory semble sensible à une forme de densité synthétique de la langue médiévale. Sur le statut donné aux archaïsmes, voir O. Halévy, « L’invention de l’archaïsme : illustration linguistique et “langage ancien” autour de 1550 », Stylistique de l’archaïsme, éd. L. Himy-Piéri et S. Macé, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010, p. 121-150.
24 Le rentrement « Pour le meilleur » peut d’ailleurs apparaître comme une réussite formelle dans la mesure où il adopte une construction considérée alors comme difficile. Citant l’Instructif, Fabri juge en effet qu’il est « difficile » de commencer un rondeau avec la préposition « pour » : « L’Infortuné declare aulcuns termes par lesquelz on ne doibt point commencer rondeau, pource qu’ilz sont tresdifficiles a recueillir substance, mais tous termes sont louables a qui l’en les applique. L’Infortuné : Par et, pour, mais, donq, par, car, quant,/ Ne se doibt rondeau commencer… » (Pierre Fabri, Le Grand et vrai art de pleine rhétorique, op. cit., II, p. 63).
25 E. Mortgat-Longuet, Clio au Parnasse, op. cit., par exemple p. 245 et 307.
26 E. Diehl, « Donatus auctus », Die Vitae Vergilianae und ihre antiken Quellen, Bonn, Marcus und Weber’s Verlag, 1911, p. 35, et G. Folliet, « La fortune du dit de Virgile Aurum colligere de stercore dans la littérature chrétienne », Sacris Erudiri, 41, 2002, p. 31-53.
27 Clavam extorquere Herculi/ de manu Herculis, 3095 (IV, 1, 95). Pour le texte complet de l’adage, voir par exemple la mise en ligne des Adages par le Groupe Renaissance – Âge classique (UMR 5037) sur le site www.lesmondeshumanistes.org (Adages, t. IV, p. 80).
28 Voir par exemple J.-Cl. Mühlethaler et F. Cornilliat, « Lemaire, Crétin et “l’histoire totale” », Poétiques de la Renaissance, dir. P. Galand-Hallyn et F. Hallyn, Genève, Droz, 2001, p. 432-438.
29 Voir J. Palsgrave, L’éclaircissement de la langue française (1530), trad. S. Baddeley, Paris, Champion, 2003, p. 406.
30 « Mais nous avons aussi accompli […] une chose qui, selon le témoignage de l’excellent clerc maître Geffray Troy de Bourges (un écrivain récent de la nation française) dans son livre intitulé Champ Fleury, n’avait jamais même été tentée par aucun savant de leur pays. Ce dernier indique en effet au début de son livre, en parlant de l’hercule gallique ou français et en montrant l’inclination naturelle qu’ont les Français pour l’éloquence et la faconde, à quel point leur langue est, en grande partie, corrompue par manque de règles et de préceptes grammaticaux, et il souhaite que quelque clerc studieux exauce son vœu et prenne tout de suite l’affaire en main. » (J. Palsgrave, L’éclaircissement de la langue française, op. cit., p. 318).
31 C. Thiry, « Rhétoriqueurs de Bourgogne, rhétoriqueurs de France : convergences, divergences ? », Rhetoric – Rhétoriqueurs – Rederijkers, éd. J. Koopmans, M. Meadow, K. Meerhoff, M. Spies, Amsterdam-Oxford, North-Holland, 1995, p. 101-116.
32 Clément Marot, « A ses Disciples », Œuvres poétiques, éd. G. Defaux, Paris, Classiques Garnier, 1993, II, p. 240-241.
33 J.-Ch. Monferran, « Art poétique et grammaire : quelques “remarques” sur la répartition des disciplines en France à la Renaissance », Les normes du dire au XVI e siècle, éd. J.-Cl. Arnould et G. Milhe-Poutingon, Paris, Champion, 2004, p. 235-248.
34 Il n’est pas impossible que Joachim Du Bellay ait été influencé par la lecture du Champ fleury, qui est réédité « en poche » en 1549 par Vivant Gaultherot. Non seulement la dernière phrase de la Défense et illustration de la langue française évoque l’Hercule gaulois mis en valeur par Tory, mais l’emploi des I et O dans l’Olive est, selon O. Millet, une allusion au statut que Tory donne à ces lettres (voir Joachim Du Bellay, Œuvres complètes, éd. O. Millet, Paris, Champion, 2003, II, p. 262-266).
35 Le second livre du Recueil de l’origine de la langue et poésie françoise (1581) de Claude Fauchet, qui propose « les noms et sommaire des œuvres d’aucuns Poetes et Rymeurs François, vivans avant l’an MCCC », peut par exemple être considéré comme une amplification de la liste du Champ fleury.
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Référence papier
Olivier Halévy, « Des règles poétiques à la norme linguistique », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 21 | 2011, 265-282.
Référence électronique
Olivier Halévy, « Des règles poétiques à la norme linguistique », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 21 | 2011, mis en ligne le 10 mai 2014, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12448 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12448
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