Le poétique et ses normes (1470-1530)
Texte intégral
1Les études présentées ici témoignent pour partie des réflexions et des discussions qui se sont déroulées à l’Université de Lausanne, du 22 au 24 octobre 2009, dans le cadre d’une rencontre entre les enseignants et les étudiants doctorants et post-doctorants du Troisième cycle romand, dirigé par Jean-Claude Mühlethaler, et les chercheurs du GDR / CNRS 3063 « Théories du Poétique » dirigé par Michèle Gally. Ces journées ont réuni des spécialistes des littératures médio- et néo-latines, françaises et italiennes, et ont fait alterner conférences et travaux pratiques à destination du public étudiant. Ce sont les textes des conférences portant sur les œuvres françaises – principalement l’Instructif de la seconde rhétorique –, faites par les membres du GDR, qui sont publiés dans ce dossier après révision par leurs auteurs.
2Ces travaux s’inscrivent à la suite de ceux menés par Jean-Claude Mühlethaler et son équipe depuis plusieurs années autour des traités de « seconde rhétorique » de la fin du XVe siècle et du début du XVIe siècle et dans le droit fil, en particulier, du numéro d’Études de Lettres (Lausanne, 2002/4) « Poétiques en transition : entre Moyen Âge et Renaissance » (dir. Jean-Claude Mühlethaler, Jacqueline Cerquiglini-Toulet).
3C’est essentiellement le texte anonyme en vers de l’Instructif, composé autour de 1470 et imprimé à plusieurs reprises à partir de 1501, qui a retenu l’attention des chercheurs, l’analyse du Champ Fleury de Geoffroy Tory (1529) par Olivier Halévy s’offrant, à la fois, comme complément de certains enjeux forts du premier traité (dont la volonté de légitimer les œuvres en français), et comme une ligne de fuite vers la Renaissance et le renouvellement des problématiques linguistiques et grammaticales. Ce traité de typographie propose en effet une « grammatisation » du français et une première application de la lecture philologique aux auteurs français. Comme cet essai de codification s’inscrit au sein de l’écriture poétique, il fait le lien entre « la réflexion poétique amorcée au milieu du XVe siècle et les nouvelles disciplines qui s’élaborent au XVIe (grammaire, histoire littéraire, lexicologie) ».
4Les trois articles d’Emmanuel Buron, de Véronique Dominguez et de Nicolas Lombart sur l’Instructif choisissent, quant à eux, des angles d’attaque qui permettent à la fois de s’arrêter sur un élément important du traité (la notion de « personnage », les références au théâtre, la forme versifiée) et d’en permettre une première lecture globale. L’œuvre de « L’Infortuné » – nom énigmatique, bien que récurrent au XVe siècle, derrière lequel se dissimule son auteur –, n’est pas d’une lecture aisée, ni littéralement ni dans ses enjeux. Aussi les études présentes, en complément de celles signalées plus haut, accomplissent-elles un travail pionnier, et nécessaire, de défrichement. Ce texte, en effet, malgré son obscurité en plusieurs passages, a été très diffusé au XVIe siècle. Placé en tête du Jardin de Plaisance et Fleur de Rhétorique, anthologie poétique publiée en 1501 par Antoine Vérard (point sur lequel réfléchit précisément Emmanuel Buron), il sera largement utilisé et cité par Pierre Fabri dans son Grand et vrai Art de pleine rhétorique (1521), comme par Gracien du Pont dans son Art et science de rhetoricque metrifiée (1539). Il fait ainsi le lien entre les premières réflexions médiévales sur l’énonciation poétique vernaculaire (Prologue général de Machaut, Art de Dictier et de fere chansons d’Eustache Deschamps) et les arts poétiques renaissants : défense de la langue vulgaire, trait d’union entre les Anciens et les Modernes (Chartier, Chastelain, Christine de Pizan, etc.), évolution de la figure du poète, amorce d’une théorie de l’inspiration…
5Alors que Nicolas Lombart interprète le choix, exceptionnel, de la forme versifiée comme la proclamation à la fois d’un savoir et d’un goût pour la poésie française « où dominerait un plaisir ludique », Véronique Dominguez pointe les ambiguïtés, sinon les contradictions irrésolues, de la tentative de faire entrer le « théâtre » dans le discours normatif des arts « poétiques ».
6Ces pages veulent enfin servir de prolégomènes à l’édition critique commentée de l’Instructif accomplie par la même équipe et celle de Lausanne sous la direction de Jean-Charles Monferran, et répondant au souhait exprimé déjà en 2002 par Jean-Claude Mühlethaler de disposer d’un accès facilité à ce texte important pour l’histoire de la pensée poétique en langue française. Dans l’ouvrage actuellement en cours de réalisation se joindront au traité de l’Infortuné, l’Art et science de rhetorique pour faire rimes et ballades de Jean Molinet, transmis par des manuscrits et des éditions de la fin du XVe siècle et du début du XVIe siècle, ainsi que l’Art de rhetorique pour rimer en plusieurs sortes de rime, abrégé en vers de l’ouvrage de Molinet, anonyme, connu par un manuscrit et un imprimé lyonnais. Cet ouvrage souhaite former un diptyque avec l’autre publication du GDR portant sur des textes médiévaux antérieurs aux arts de seconde Rhétorique : Oc, oïl, si. Les langues de la poésie entre grammaire et musique, Paris, Fayard, « Ouvertures bilingues », 2010 (dir. Michèle Gally).
7Nous remercions les Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes d’avoir bien voulu nous permettre de présenter les premières propositions issues de nos recherches, propositions qui se situent au cœur de leur projet éditorial : faire entrer en dialogue le Moyen Âge et la Renaissance, artificiellement séparés par les vertus propres de leurs appellations respectives ! Merci enfin à Nicolas Lombart qui a accepté d’assurer le travail de rassemblement des articles et de leur mise aux normes.
Pour citer cet article
Référence papier
Michèle Gally, Jean-Charles Monferran et Jean-Claude Mühlethaler, « Le poétique et ses normes (1470-1530) », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 21 | 2011, 203-204.
Référence électronique
Michèle Gally, Jean-Charles Monferran et Jean-Claude Mühlethaler, « Le poétique et ses normes (1470-1530) », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 21 | 2011, mis en ligne le 21 décembre 2011, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12442 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12442
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