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Les « grands territoires » au Moyen Âge, réalités et représentations
La construction matérielle des grands territoires politiques (études d’historiens)

Les « Provinces », terres de souveraineté dans les pays latins du monde méditerranéen ? (Xe-XIIIe siècles)

Philippe Jansen
p. 27-39

Résumés

L’étude cherche à comprendre la nature et l’identité territoriale qui étaient accordées à cette époque aux provinces entre le Xe et le XIIIe siècle, comme territoires intermédiaires entre les cellules d’autorité banale polarisées et les royaumes. La notion est héritée de l’antiquité romaine et a forgé la permanence de l’identité du territoire éponyme : la Provence. De l’époque carolingienne à celle des comtes catalans, les actes ont lié le territoire à l’exercice d’un pouvoir de commandement souverain délégué à de hauts dignitaires qui ont reçu ou revendiqué les titres de patrices, ducs ou marquis. Dans les états de l’Église en Italie, les provinces se sont plus tardivement identifiées comme des ensembles territoriaux destinés à unifier sous la juridiction pontificale des aires de pouvoirs de natures différentes. Le statut du pouvoir, déterminé par les principes du droit écrit, participe à la définition des territoires des provinces, qui ne s’identifient pas au siège géographique du pouvoir.

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Texte intégral

  • 1  A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », L’État ou le roi. Le (...)
  • 2  Ibid., p. 87.

1La complexité marque l’organisation des territoires dans l’Europe féodale, dominée par les phénomènes de fragmentation et d’enchevêtrement d’unités spatiales et juridictionnelles dont les superficies sont souvent restreintes. La conception moderne d’unités territoriales continues séparées les unes des autres par des limites linéaires ne structurait pas les perceptions de l’espace dans la culture médiévale. Alain Guerreau, dans un article stimulant et sans concession1, a souligné cette difficulté et posé l’hypothèse que « dans l’Europe féodale, l’espace n’était pas conçu comme continu et homogène, mais comme discontinu et hétérogène, en ce sens qu’il était à chaque endroit polarisé… »2. Les dénominations de la plupart des unités politiques de l’Europe médiévale viennent à l’appui de cette théorie : la majorité des comtés et seigneuries à partir du Xe siècle est nommée en fonction du lieu où s’exerce l’autorité sur l’étendue environnante de la juridiction. Pour l’Europe méditerranéenne, il suffit de citer, sans souci d’exhaustivité, le comté de Foix, le comté de Toulouse, le comté de Barcelone, la vicomté de Carcassonne. L’identité du territoire s’affirme à travers la relation privilégiée que ses habitants entretiennent avec les détenteurs du pouvoir, lequel s’organise à partir de la cité où ils résident. Cette perception était construite par les détenteurs du pouvoir eux-mêmes et leurs conseillers qui maniaient l’écrit, notamment dans l’énoncé des titulatures, les adresses de correspondance et des chartes ; elle n’exprimait pas une identification en retour des habitants à l’espace de cette juridiction. Le lien dialectique entre un centre politique et sa périphérie domine également en Italie, à l’échelle plus locale du contado communal soumis à la législation statutaire des autorités urbaines et se reproduit plus tard, sur une plus vaste étendue, dans les gouvernements seigneuriaux qui se mettent en place au XIVe siècle en Italie du Nord : duché de Milan, marquisat de Mantoue ou de Ferrare, etc.

2D’autres territoires, en revanche, ont été dénommés, dès le haut Moyen Âge, à partir des noms de peuples qui s’étaient installés sur une certaine étendue de territoire, ou à partir des caractéristiques de ce territoire. C’est le cas des royaumes d’Angleterre, de France, de Castille, de Bourgogne, d’Italie, etc. Le niveau d’identification du royaume est certes beaucoup plus abstrait que celui du comté. Il est avant tout le lieu d’exercice d’une mission, d’une autorité, et la reconnaissance de celle-ci par les sujets l’identifie bien plus que le sentiment d’appartenance à un territoire commun : dès lors, la remarque ne pourrait venir de manière convaincante en objection à la thèse exprimée par Alain Guerreau.

  • 3  Voir la définition de provincia dans Ch. Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. a (...)

3Entre le ressort polarisé de la seigneurie ou du comté et la domination plus lointaine et abstraite de la mission royale sur un ensemble de territoires, existent de grandes unités intermédiaires dont les modes de désignation et d’identification ont moins retenu l’analyse. La permanence de la dénomination des duchés et marquisats à travers les siècles mériterait plus d’attention : leur nom associe en effet l’exercice d’un pouvoir de commandement à la reconnaissance d’une étendue territoriale, dont les limites politiques peuvent du reste connaître d’importantes fluctuations au Moyen Âge. Les territoires gouvernés par ces hauts seigneurs n’étaient pas définis à partir du tracé de leur frontière. Il en est de même pour les territoires que les administrateurs médiévaux ont continué d’appeler, selon un terme hérité des institutions de l’Empire romain, les provinces, provinciae. La polysémie du terme, appliqué aussi bien à des institutions ecclésiastiques que laïques, engendre des ambiguïtés redoutables dans sa signification et ses emplois3. Notre réflexion n’abordera pas la construction des provinces métropolitaines de l’Église romaine et se limitera aux territoires soumis à une juridiction temporelle.

  • 4  Erchambert, Bréviaire, continuation par le moine d’Augst, v. 881, Monumenta Germaniae Historica Sc (...)
  • 5  Définition du Dictionnaire d’Émile Littré, occurrence 3 (Paris, Hachette, 1863, vol. 3).

4La définition des provinces s’est imposée aux XIIe et XIIIe siècles en Italie centrale comme une subdivision politique des États pontificaux. Elle constitue aussi la racine étymologique du territoire européen qui, comme le notait le continuateur d’Erchambert dès la fin du IXe siècle, a été dénommé avec une constance absolue d’après sa forme originelle de gouvernement : la Provence4. Aux abords de la Méditerranée, dès le Xe siècle, c’est le seul comté qui ne s’identifiait pas à une ville siège du pouvoir. À partir des XIe-XIIe siècles, d’autres territoires de domination dynastique, géographiquement proches, ont acquis à leur tour une identité territoriale qui ne mettait pas en valeur un pôle politique urbain : le comté de Viennois qui devint Dauphiné ; le comté de Savoie ; le rassemblement des comtés autour de Barcelone devint la Catalogne. Ces territoires, en dépit de la diversité des processus constitutifs et des dominations dynastiques qui les ont forgés, vont devenir, à l’époque moderne, des archétypes identificateurs de « provinces » comme « une certaine étendue de pays qui était gouvernée au nom du souverain par un gouverneur particulier »5, dont les habitants se reconnaissaient également unis par des modes de vie, des langages et des droits spécifiques.

5L’usage et le sens que les siècles médiévaux ont fait de la notion de « province » héritée de l’antiquité guideront la réflexion de cette brève étude. Désigne-t-elle, par-delà les étapes historiques qui ont procédé à se constitution, une forme particulière d’organisation territoriale ? La situation de la province éponyme nous permettra peut-être de comprendre les caractères qui l’ancrent durablement dans un espace, et par comparaison, de vérifier si ceux-ci définissent bien une catégorie de territoires dont la perception ne rentrerait pas dans le cadre des constructions juridictionnelles féodales.

La Provence, de la périphérie à la souveraineté centrale ?

  • 6  Sur les origines romaines de la Provence, cf. G. de Manteyer, La Provence du Ier au XIIe siècle. É (...)

6Dans le monde romain, le territoire d’une province était par définition périphérique et associé à la fondation de colonies. Par opposition aux terres dont les habitants jouissaient de la citoyenneté romaine, et qui furent à partir d’Auguste organisées en onze regiones, les provinciae, comme le rappelle l’étymologie du nom (pro, et vincere, vaincre) étaient des territoires gagnés par la conquête qui avait soumis les peuples autochtones avant que des magistrats de haut rang, représentant le pouvoir central de Rome, n’en prennent le contrôle. La conquête de l’Espagne puis de la Gaule méridionale (vers 120 avant Jésus-Christ) avait abouti à la création des premières provinciae sous le gouvernement de Proconsuls, qui avaient autorité sur les peuples autochtones sujets (sauf les cités grecques libres et associées par traités de fédérés) et sur les colonies de vétérans romains6. Mais, du point de vue de Rome, la notion de « province » revêtait une acception dynamique plus positive : elle désignait autant la mission confiée aux magistrats qui représentaient le gouvernement central que le territoire sur lequel ils devaient exercer cette délégation. Ils exerçaient un imperium,défini par la promulgation d’une lex provinciæ spécifique, dont le premier but était de maintenir la paix dans la circonscription. Au temps de l’Empire, l’importance des pouvoirs exercés sur le territoire provincial l’emporta sur l’idée de subordination d’une aire dont les habitants ne disposaient pas des mêmes droits que les citoyens ou leurs alliés des municipes latins. La province dite de Narbonnaise bénéficia au Ier siècle du statut de province sénatoriale, à l’instar des territoires de la péninsule italienne, jouissant d’une paix et d’une romanisation accentuée par rapport aux régions plus éloignées maintenues comme provinces impériales.

  • 7  Les principaux jalons pour une histoire de la Provence pendant le haut Moyen Âge sont, outre les r (...)
  • 8  G. de Manteyer, La Provence du Ier au XIIe siècle, op. cit., p. 17.

7Rappeler les destinées du territoire de la Provence entre le IVe et le Xe siècle n’est pas notre propos : de nombreuses études y ont déjà été consacrées7. Pendant cette période, les repères documentaires témoignent que les conquêtes successives par les Burgondes puis les Francs n’ont pas effacé le souvenir de l’unité de commandement qui gouvernait les terres comprises entre le Rhône et les Alpes. La conquête burgonde de 443 a entraîné la séparation du territoire de la Provence du reste de la province narbonnaise à l’Ouest du Rhône ; mais son identité demeure fondée sur la nature de l’autorité publique qui s’y exerce, au temporel par des fonctionnaires impériaux et au spirituel par l’archevêque d’Arles sur ses suffragants. Pour désigner ce double ressort, les évêques de la région et le pape se contentent désormais de souscrire ex Provincia. En 511, Théodoric, qui s’affirmait défenseur des institutions romaines, se proclama roi de Provence et maintint l’unité de gouvernement d’un vicaire, puis d’un Préfet du Prétoire autonome, jusqu’à la Durance8.

  • 9  Partage de Louis en 843 : Denique Lotharius ante obitum patris sui Ludovici imperatoris 18° anno u (...)

8Sur ce territoire qu’ils ont conquis en 536, les Mérovingiens se firent représenter par des patrices jusqu’en 740. Le rang élevé du magistrat rappelait l’origine sénatoriale des pouvoirs exercés auparavant sur cette région. L’octroi de la dignité patricienne par le pape à Pépin le Bref à partir de 754 permit, entre autres, au roi franc de gouverner directement ce territoire. La Provence fut dès lors une composante majeure du royaume Franc, au même titre que la Neustrie ou l’Austrasie, sur laquelle le roi gouvernait en continuateur de l’imperium romain. Toutes les mentions de partages dans les Annales carolingiennes définissent la Provence comme un regnum9. Le souverain, qui séjournait peu dans cette région, devait s’y faire représenter par un dynaste de haut rang : les Annales évoquent l’autorité exercée par un duc, et font remonter cette dignité à l’époque de Charles Martel, en justifiant l’importance du pouvoir militaire qu’il détenait par la nécessité de la lutte contre les Sarrasins.

  • 10  Voir les travaux de Florian Mazel sur l’anthroponymie : « Noms propres, dévolution du nom et dévol (...)

9Le titre de marquis de Provence apparaît au Xe siècle10. Georges Manteyer expliquait cette dignité par l’éloignement géographique de la Provence, en véritable « marche » des centres réels et idéologiques du pouvoir que constituaient la Lotharingie et l’Italie. Cet argument n’apparaît pas convaincant, et contredit l’importance de l’autorité qui doit s’exercer sur un regnum : l’importance de la mission justifiait que le souverain carolingien soit représenté en Provence par un dignitaire de haut rang.

  • 11  Sur la fonction d’Arles comme capitale de l’ensemble de la Provence, cf. L. Stouff, « Ville et pou (...)
  • 12  G. de Manteyer, La Provence du Ier au XIIe siècle, op. cit., p. 107.
  • 13  U. Chevalier (éd.), « Miracles de saint Apollinaire », Bulletin d’histoire ecclésiastique et d’arc (...)

10Accéder à ce commandement de rang élevé, en dépassant l’exercice de l’autorité dans le ressort d’un simple comté, était une aspiration de l’aristocratie régionale. Elle explique notamment la révolte du comte d’Arles Fulcrad en 845, qui voulait accéder à la dignité de duc, et son échec11. Au Xe siècle, les mêmes fondements politiques ont présidé à l’ascension de Hugues de Provence et des Bosonides. Le duc Hugues, carolingien par sa mère, fut investi de cette dignité par un plaid impérial en 911. Le dispositif des actes qu’il émit pour la Provence témoigne d’une incertitude dans l’usage des titres de marquis et de duc ; toutefois, seul ce dernier figure dans la signature des préceptes pour la Provence12. Il est également utilisé, sans équivoque, par la chancellerie viennoise. L’unité territoriale qui identifiait la Provence, des deux côtés de la Durance, et la distinguait de la « marche de Vienne », était toujours fondée sur l’importance des pouvoirs publics que le duc exerçait en représentant direct du roi. Il s’agit bien d’une autorité déléguée, non concédée en fief, et qui s’imposait à la hiérarchie ecclésiastique aussi bien que laïque. Une formule des Miracles de saint Apollinaire, relative au gouvernement de Hugues dans la marche voisine du Viennois, pouvait certainement s’appliquer à la Provence : […] Ugo inclitus marchio, qui tunc rem publicam sub Ludovico imperatore regebat, Italiam provehebatur. Hic namque in suo auxilio episcopos atque comites habebat, inter quos prefatus episcopus (Valentinensis Remegarius) fidelitate necnon et servicio assiduo habebatur13.

  • 14  Des études récentes, très importantes, ont profondément renouvelé, par l’étude anthropologique, la (...)

11« Exercer la chose publique sous l’autorité de l’empereur », telle est bien la définition fondamentale du gouvernement qui caractérisait la Provence, sans rupture théorique depuis l’antiquité romaine jusqu’à la fin de la domination carolingienne. Son détenteur, tout comme le roi, pouvait requérir l’aide, militaire et financière, des comtes et des évêques. Il est indéniable, comme l’ont noté tous les historiens de la Provence, et en particulier Jean-Pierre Poly, que l’exercice de l’autorité souveraine qui caractérisait ce territoire s’est affaibli au cours du Xe et du XIe siècle. Le développement des institutions féodales a renforcé la présence des dynasties locales et provoqué un émiettement de l’autorité publique, au profit des territoires inférieurs des comtés14. En outre, la cession de la Provence en 934 par Hugues, devenu roi d’Italie, à Rodolphe II de Bourgogne, accroissait la distance, politique et spatiale, de la Provence par rapport aux centres d’autorité. Le caractère de Marche périphérique réapparaît alors. Faut-il y voir une explication de l’abandon du titre ducal porté par le représentant du roi, et la dévolution de l’autorité à de simples comtes ?

  • 15  Cf. M. Aurell,La Provence au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses de l’Université de Provence, 2005 (...)
  • 16  MGH DD Burg., n° 69, p. 212 – 12 mai 979 : Ego Vualcaudus divino favente iuvamine Cavellicensis ec (...)
  • 17  En 998, lorsque Rodolphe III confirme les biens que lui-même et ses prédécesseurs ont concédé à l’ (...)
  • 18   MGH DD Burg., n° 126, p. 302 : ut quicquid ad publicum opus vel ad fiscum regium sive comitalem e (...)

12On ne peut toutefois envisager que l’ensemble du territoire de Provence ait été à cette époque considéré comme un simple « comté ». Conrad de Bourgogne, successeur de Rodolphe II, avait certes multiplié à partir de 948, les concessions de comtés, à Apt, Avignon et Arles ; du comte d’Arles Boson descendit la première dynastie déclarée « autochtone » de Provence. En 972, Guilhem II, comte d’Avignon est mentionné pour la première fois avec le titre de « comte de Provence »15. La revendication du ressort territorial signifiait sans doute la volonté d’accroître l’exercice du pouvoir banal ; dès 979, Guilhem fut d’ailleurs reconnu par l’évêque de Cavaillon avec le titre d’« illustre marquis »16. Au tournant du XIe siècle, l’unité du regnum provençal était toujours affirmée, car l’exercice de l’autorité publique s’imposait à toutes les circonscriptions territoriales qu’elle englobait, qu’il s’agisse des juridictions comtales, appelées pagus ou plus souvent comitatus, ou des diocèses, territoires polarisés par une ville17. Rodolphe III souscrivait ses chartes rex Alamannorum seu Provintie, et une charte de donation dressée en faveur de sa femme Odila, vers 1030, à partir de biens cédés par le comte Jaufre Ier d’Arles (petit-fils du marquis Guilhem II, comte de 1015 à 1052), confirmait que les détenteurs du pouvoir local avaient parmi leurs prérogatives le droit de percevoir une partie des revenus des biens du fisc pour rétribuer l’exercice de l’autorité publique18. L’attribution des pouvoirs territoriaux exercée par les comtes Rodolphiens paraît très proche de celle des comtes ottoniens investis en Italie du nord.

  • 19   Comme le reconnaissait l’adresse d’un acte de 991.
  • 20  Odilon de Cluny, Vita Maioli.
  • 21  Ch. Du Cange, Glossarium, op. cit., t. 5, col. 270b.

13La continuité des attestations documentaires confirme, comme l’avait bien perçu Jean-Pierre Poly, que l’autorité des comtes provençaux, qui s’affichait de nature princière19, bien au-dessus des bases foncière et lignagère d’un simple comte, était fondée sur l’héritage conscient de l’autorité des anciens gouverneurs impériaux, bien plus que sur la valeur militaire du vainqueur des musulmans au Freinet, si souvent mise en avant par l’historiographie, qui a suivi sur ce point la propagande d’Odilon de Cluny20. La capacité théorique à contrôler les territoires et leurs populations et à exiger d’elles taxes et tributs publics apparaît plus déterminante. Le titre de marquis y correspond parfaitement, selon le commentaire du pape Jean VII : « On appelle Marche le Comté d’une terre administrée pour un autre, d’où le titre de marquis attribué à ce comte »21. Au XIe siècle, toutefois, la fragmentation de l’héritage provençal entre trois branches de la famille de Roubaud sembla faire triompher une logique d’appropriation lignagère : le titre de « marquis » passa par alliance à la maison de Saint-Gilles, en y associant la partie la plus septentrionale du territoire, correspondant au Comtat Venaissin. Mais la reprise du titre par la maison de Barcelone me semble dépasser la simple récupération de ce territoire.

  • 22  Th. Pécout, L’invention de la Provence : Raimond Bérenger V, 1209-1235, Paris, Perrin, 2004.
  • 23  F. Benoît, Recueil des actes des comtes de Provence 1196-1245, Monaco-Paris, 1925, passim.
  • 24  Ainsi le titre de comes et marchio apparaît-il dans tous les actes d’hommages qui concernent des b (...)

14L’historiographie a longuement insisté sur les conflits territoriaux que les nouveaux comtes durent affronter, contre les comtes de Toulouse ou les grands lignages provençaux, pour se rendre maîtres de toute la Provence. Si l’on a pu récemment parler, pour définir le succès de cette politique, de l’« invention de la Provence » sous Raimond Bérenger V22, la renaissance du droit romain au XIIe siècle, largement appliqué dans ce territoire, a également contribué à revivifier la conception de l’autorité souveraine qui devait s’y exercer comme source d’unité. En témoigne la titulature utilisée de manière systématique dans les actes d’Alphonse II dès son accession au comté de Provence en 1196, et très fréquemment par ses successeurs Sanche (1209-1216) et Raimond Bérenger V (1209-1245) : Dei gratia comes et marchio Provincie, que le dernier compléta en Dei gratia comes et marchio Provincie et comes Forcalquerii23. Le titre marquisal ne s’applique donc pas seulement aux terres récupérés au nord d’Avignon, par la paix de Jarnègues en 1176, et dont la possession fut confirmée en 1190. Il figure en effet seul pour la Provence au revers des monnaies alphonsines et manifeste avant tout l’affirmation de droit d’une juridiction publique majeure, tenue au nom de l’empereur sur l’ensemble de la Provence, citra et ultra Durancienne, tandis que le double titre comtal renvoyait plus précisément aux héritages des biens et des terres, acquis par alliance24. Certains actes de Raimond Bérenger V renforcent le titre de marquis par l’usage de l’adjectif illustris, qui évoque la dignité du patrice de la fin de l’antiquité : sous Justinien, illustris qualifiait tous les grands officiers civils et militaires de l’empire.

  • 25  F. Benoît, Recueil, op. cit.,n° 57, p. 153-157, 12 avril 1222 : In nomine Domini. Anno Incarnation (...)
  • 26  Ibid., n° 132, p. 239-240, 6 janvier 1230, donation de la taille au Génois Umberto de Volta : […] (...)
  • 27  Ibid., n° 158, p. 258-259, 25 mai 1232 : exemption perpétuelle de péage concédée au podestat d’Arl (...)
  • 28  Digeste,Lib. II, tit. I, § 3.

15Seul le titre de marquis pouvait en effet justifier l’affirmation des prérogatives plénières de souveraineté dont la mise ne œuvre apparaît dans une série d’actes : les comtes jettent les bases d’une législation territoriale par l’institution de statuts de paix généraux ; il le font après avoir pris conseil d’une curia dont les membres ne sont pas désignés en fonction du lien féodal personnel qui les lie au comte, mais parce qu’ils représentent les ordres détenteurs d’une autorité : quatre évêques, les « barons et chevaliers de Provence »25 ; il sont maîtres des levées fiscales publiques, cavalcade, albergue, taille, qu’ils peuvent librement concéder à des percepteurs extérieurs à son ressort, ex mera liberalitate nostra et spontanea voluntate – formule qui résonne comme une affirmation à caractère princier26. Ils peuvent lever une chevauchée générale dans toute la Provence, et concèdent des exemptions fiscales sur l’ensemble des terres qui appartiennent à leur district27 et relèvent donc de leur autorité judiciaire. Raimond Bérenger V justifie l’exercice de cette juridiction en appliquant strictement la définition du merum et mixtum imperium contenue dans le Digeste28. Cette autorité n’est pas divisible, elle dépasse donc les limites qui séparent les comtés et le territoire du marquisat ; elle fait de la Provence entière une terre de juridiction publique. Seule la datation de certains actes par le règne de l’empereur reconnaît l’existence d’une suzeraineté supérieure, de plus en plus théorique. La Provence, dans laquelle le souvenir du lien direct avec l’autorité impériale ne s’est jamais perdu, est devenue une patria, un lieu d’exercice du dominium qui dépasse les possessions patrimoniales.

  • 29  Ces remarques sont inspirées par l’étude de M. Zimmermann, « Les origines de la Catalogne d’après (...)
  • 30  Sur ce processus, cf. P. Bonnassie, La Catalogne du milieu du Xe à la fin du XIe siècle, Toulouse, (...)

16Il n’est pas indifférent de noter que la patria catalane a été définie par un processus contemporain et similaire à celui de la Provence29. Jusqu’en 1162, les actes des comtes de Barcelone ne l’identifiaient que par le rassemblement dans leurs mains de huit comtés – dont chacun conservait son identité. Le terme de Catalogne, qui n’était apparu à cette date que dans des actes ecclésiastiques relatifs aux possessions des Templiers et dans des chroniques italiennes pour désigner une terre de nobles châtelains par excellence, apparaît dans les actes comtaux à partir du règne d’Alphonse Ier en 1176 : en évoquant, pour la première fois, la Cathalonia comme un territoire de nature comparable au regnum Aragoniae, il atténuait le caractère d’agrégation féodale qu’il avait revêtu et manifestait la nature souveraine du pouvoir des comtes de Barcelone qui avaient su imposer leur autorité à cette noblesse féodale et unifier la juridiction par leurs coutumes30.

Les provinces des États pontificaux

17L’affirmation renouvelée d’une domination souveraine sur l’ensemble du territoire provençal a été accompagnée par la mise en place des institutions administratives d’une cour souveraine, qui s’installa alors à Aix-en-Provence. Elle traduisait en pratique l’unité des pouvoirs et du droit sur toute la Provence et fut renforcée par la constitution des baillies, unités territoriales administratives indépendantes de toute hiérarchie féodale. Pendant que ce processus d’unification se poursuivait en Catalogne et en Provence, les États pontificaux ont connu une évolution comparable d’organisation en provinces.

  • 31  Ch. Du Cange, Glossarium, op. cit., t. 7, col. 95a.
  • 32  L’assertion est vraie pour les territoires gouvernés avant l’annexion de la Romagne en 1278, qui r (...)
  • 33  P. Colliva, Il cardinale Albornoz, lo stato della Chiesa, le Constitiones Ægidiane, Bologne, (Cole (...)

18L’apparition de ce terme pour désigner une subdivision des États pontificaux n’est pas une évidence. La réforme augustéenne de l’an 14 avait en effet accordé le statut de « région » aux territoires conquis avant le IIe siècle avant J.-C. par Rome. Désignant à l’origine une simple subdivision du territoire municipal de Rome, la regio, par opposition à la provincia, a conservé le sens d’un territoire juridiquement uni à la Ville et à ses pouvoirs, une forme de suburbium dilaté31, administré par des officiers directs et dont tous les habitants bénéficiaient du droit de citoyen et relevaient du jus comune défini par l’empereur. L’Église avait conservé, dans le droit canon, la notion de regio uniquement pour les sept subdivisions diaconales de la ville, tandis que la « Province » désignait la circonscription ecclésiastique métropolitaine. Introduire cette notion dans une acception strictement civile et politique aurait pu être source de confusion. Le texte tardif des Constitutiones Sanctæ Matris Ecclesiæ du Cardinal Albornoz en 1357 – document qui recueillit toute la tradition législative des États pontificaux mise en place au cours du siècle et demi précédent – donne une justification de cet usage : les territoires pontificaux étaient en effet dépourvus de provinces ecclésiastiques, puisque tous les évêchés qu’ils incluaient étaient suffragants directs de l’évêque de Rome32. L’absence de relais hiérarchiques habituels dans le gouvernement de l’Église a d’ailleurs justifié le fait que les recteurs provinciaux aient été investis de pouvoirs spirituels33. Ce document consolidait juridiquement la reprise en main des territoires italiens par la papauté d’Avignon : l’éloignement du centre du pouvoir y rendait indispensable la création d’offices administratifs, qui dépendaient toutefois directement (comme dans les provinces impériales) de l’autorité centrale du pape et de la Curie. Cependant, ce n’est pas la papauté d’Avignon qui institua la notion des « provinces » des États pontificaux. Le système de gouvernement territorial qui présida à leur définition remonte aux pontificats d’Innocent III et de Grégoire IX, soit presque au même moment que le renforcement du pouvoir constaté en Provence, et sur des principes analogues de souveraineté. La nature et l’exercice du regimen définissent en effet l’unité de la provincia ; cette affirmation était apparue lorsque Alexandre III, en 1176, avait réclamé aux représentants impériaux la restitution des regalia et alias possessiones. Pour fonder l’exercice des droits et des revenus afférents, une enquête était nécessaire : elle aboutit à la confection du Liber Censuum qui fournit au gouvernement pontifical les justifications pour affirmer l’exercice du pouvoir territorial. Celui-ci se définit ensuite, à l’occasion des réformes administratives d’Innocent III et de Grégoire IX, à partir des principes du droit civil, qui prévaut dans tous les cas non prévus par le droit canon. On y retrouve l’affirmation de la détention du merum et mixtum imperium, la concession d’une « paix générale » en 1202 qui posait des conditions égales aux communes et aux seigneuries qui acceptaient de mettre fin à leur « rébellion » en reconnaissant le dominium temporel du pape. En agissant de la sorte, la papauté ne se contentait pas de substituer son commandement à celui des officiers impériaux qui, jusqu’à la fin du XIIe siècle, gouvernaient en réalité la majorité de ces territoires. Elle visait au contraire à jeter les bases d’une nouvelle souveraineté, qui ne garantissait le maintien des libertés et privilèges locaux qu’en faveur de ceux qui acceptaient d’en reconnaître les principes.

  • 34  L’autorité du pape était reconnue « sur tout le territoire compris entre Radicofani et Ceprano, l’ (...)

19Si l’unité juridique constitutive d’une province fut définie par les hommes de la Curie, le cadre géographique des divisions apparaît, paradoxalement, établi par l’empereur : c’est en effet le texte de la promesse de Neuss concédée par Othon de Brunswick en 1201 qui nommait les différents territoires reconnus en la possession du pape, d’après des diplômes impériaux précédents34. Il ne subit pas de modification profonde par la suite, et cette trame servit de base pour définir les ressorts locaux du gouvernement pontifical. L’organisation de ces terres en province n’apparaît véritablement qu’en 1207 avec la convocation du Parlement de Viterbe en septembre. Cette assemblée des représentants venus de tous les territoires pontificaux ajouta deux données essentielles à la définition du gouvernement d’une province – qui seront adoptées plus tardivement en Provence : la capacité d’expression et de représentation des sujets qui sont appelés à exprimer leur hommage au souverain sans aucun intermédiaire, et la rédaction d’un corpus juridique sous forme de statuts qui s’imposent désormais comme loi commune « à tous les sujets fidèles du pape dans les terres du patrimoine », par-dessus les droits particuliers des communes et les coutumes seigneuriales. À la suite de ce parlement, le pape et ses successeurs prirent l’habitude de nommer des recteurs permanents dans chaque subdivision territoriale et en contrôlaient étroitement l’action.


  

20De ces brèves remarques sur la conception idéologique et administrative des territoires des provinces au Moyen Âge dans l’Europe latine – qu’il conviendrait de confronter à la mise en œuvre de divisions territoriales comparables dans le monde byzantin –, nous pouvons retirer deux séries de conclusions.

  • 35  Jurisdictio est potestas de iure publico introducta cum necessitate iuris dicendi et aequitatis st (...)

21En premier, tous les documents relatifs à l’Italie centrale ou aux terres de Provence confirment le lien entre la notion de Province et l’exercice d’une souveraineté qui peut être déléguée, mais ne fait pas l’objet d’une dévolution féodale, car la nature du pouvoir exercé sur le territoire d’une province ne comporte pas de dimension patrimoniale. Dans les États pontificaux, le terme de provincia transpose au territoire la notion que le juriste Bartolo da Sassoferrato, commentateur du code de Justinien, définit au XIVe siècle comme la « juridiction », jurisdictio : il l’assimile à l’imperium, en tant qu’exercice général de l’autorité, incluant le droit de promulguer des lois (donc souverain) et d’administrer publiquement le droit en « statuant avec équité », ce qui implique un pouvoir d’arbitrage et un contrôle des autorités de rang inférieur, et une capacité à réprimer les abus35. La province est donc par nature un territoire d’appel juridique d’autres pouvoirs, un relais vers le souverain.

  • 36  Voir B. Bligny, « Le Dauphiné, quelques remarques », Les Principautés au Moyen Âge, Actes du 4e Co (...)

22La seconde série de conclusions concerne le processus d’identification territoriale. La province n’est pas par nature un territoire polarisé au sens où le suggère Alain Guerreau. Son étendue se définit d’abord par le rassemblement d’unités territoriales hétérogènes, qui disposent souvent de leurs propres statuts et coutumes, et sur lesquels s’exercent des pouvoirs de natures différentes (pour l’Italie, aussi bien des communes que des seigneuries). Ces unités ont vocation à faire partie de la province dès que leurs habitants et leurs représentants reconnaissent l’imperium attaché à la province. C’est un lien juridique, et non spatial, qui les réunit. Certaines unités peuvent refuser l’arbitrage des officiers provinciaux, elles ne font alors plus partie de la province, tandis que d’autres la rejoignent en acceptant les lois qui en définissent l’identité juridique. Les provinces médiévales étaient des conglomérats en voie d’unification, par un processus intérieur et hiérarchique, mais non par la fixation a priori de limites géographiques. Ce processus de rassemblement et d’unification est à l’œuvre de façon semblable dans des principats qui ne furent pas définis comme des Provinces : que ce soit la Catalogne, la Savoie, ou plus nettement encore le Dauphiné, dont le nom renvoie à l’autorité supérieure qu’exerçait une dynastie régionale36.

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Notes

1  A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », L’État ou le roi. Les fondations de la modernité monarchique en France (XIVe-XVIIe siècles), N. Bulst, R. Descimon, A. Guerreau dir., éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1996, p. 85-101.

2  Ibid., p. 87.

3  Voir la définition de provincia dans Ch. Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. augm., Niort, L. Favre, 1883‑1887, t. 6, col. 546a : il en donne une occurrence en termes géographiques (région, comté), une occurrence religieuse (diocèse métropolitain) et une occurrence juridique (degré d’affinité familiale).

4  Erchambert, Bréviaire, continuation par le moine d’Augst, v. 881, Monumenta Germaniae Historica Scriptores Caroli Ævi, t. II, p. 329 : Ea provincia quæ proprie ipso vocabulo nuncupatur.

5  Définition du Dictionnaire d’Émile Littré, occurrence 3 (Paris, Hachette, 1863, vol. 3).

6  Sur les origines romaines de la Provence, cf. G. de Manteyer, La Provence du Ier au XIIe siècle. Étude d’histoire et de géographie politique, Mémoires et Documents de l’École des Chartes, n° VIII, Paris, 1908, p. 1-25 ; P. Papon, Histoire générale de Provence, 4 vol., Paris, 1777-1786 (réimpr. 1996).

7  Les principaux jalons pour une histoire de la Provence pendant le haut Moyen Âge sont, outre les références à la note précédente : R. Poupardin, Le royaume de Bourgogne (888-1038). Étude sur les origines du Royaume d’Arles, Paris, 1907 ; Id., Recueil des actes des rois de Provence (855-928), Paris, 1920 ; J.-P. Poly, La Provence et la société féodale (879-1166). Contribution à l’étude des structures dites féodales dans le Midi, Paris, Bordas, 1976. L’étude de Christine Delaplace, « La Provence sous la domination ostrogothique (508-536) », Annales du Midi, t. 115, n° 244, 2003, p. 479-499, souligne l’importance du règne de Théodoric dans la consolidation des institutions publiques en Provence. Pendant une décennie (523-533), Arles cumula les fonctions de capitale civile et ecclésiastique de cet ensemble.

8  G. de Manteyer, La Provence du Ier au XIIe siècle, op. cit., p. 17.

9  Partage de Louis en 843 : Denique Lotharius ante obitum patris sui Ludovici imperatoris 18° anno unctus ad imperatorem… ; qui dividens regnum patris cum fratribus suis, accepit regnum Romanorum et totam Italiam et partem Franciæ orientalem totamque Provinciam. Chronique d’Adon, Continuatio prima, MGH SS, II, p. 324 ; partage de 855 : Ludoicus (sic) imperator Italiae et Hlotharius, frater eius, rex Franciæ, cum Carlo puero, germano suo, apud Urbam conveniunt. Ubi adeo pro regni paterni portionibus dissident, ut pene armis inter sese decernant ; Karlo tamen, fratri suo, Provinciam et ducatum Lugdunensem iuxta paternam dispositionem distribuunt. Annales de Saint-Bertin 2e partie, MGH SS Rer. Germ., t. V, p. 856 ; partage de 863 : mortuo fratre suo Carolo iuniore… cum fratre Lothario regnum fratris mortui patritur. Accepit autem partem Transiurensis Burgundiae simul et Provinciam ; Chronique d’Adon, p. 322-323.

10  Voir les travaux de Florian Mazel sur l’anthroponymie : « Noms propres, dévolution du nom et dévolution du pouvoir dans l’aristocratie provençale (milieu Xe-fin XIIe siècle) », Provence historique, 53, 2003, p. 131-173.

11  Sur la fonction d’Arles comme capitale de l’ensemble de la Provence, cf. L. Stouff, « Ville et pouvoir : Arles capitale », Le pouvoir au Moyen Âge, Cl. Carozzi et H. Taviani-Carozzi dir., Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2005, p. 21-29. La révolte de Fulcrad est rapportée dans les Annales de Saint-Bertin (MGH SS Rer. Germ., t. V, p. 32) et de Fulda (Ibid.,t. VII, p. 35).

12  G. de Manteyer, La Provence du Ier au XIIe siècle, op. cit., p. 107.

13  U. Chevalier (éd.), « Miracles de saint Apollinaire », Bulletin d’histoire ecclésiastique et d’archéologie religieuse, 15e année, p. 118-119 ; cité par G. de Manteyer, La Provence du Ier au XIIe siècle, op. cit., p. 122.

14  Des études récentes, très importantes, ont profondément renouvelé, par l’étude anthropologique, la connaissance de l’aristocratie provençale ainsi que les processus de féodalisation et de contrôle des unités locales de territoire avec l’aide des réseaux ecclésiastiques. Cf. M. Aurell, « L’expansion catalane en Provence au XIIe siècle », La formaciò i l’expansiò del feudalisme català, Gérone, 1986, p. 175-197 ; E. Magnani Soares-Christen, Monastères et aristocratie en Provence, milieu Xe - début XIIe siècle, Münster, LIT, 1999 ; F. Mazel, La noblesse et l’Église en Provence, fin Xe - début XIVe siècle : l’exemple des familles d’Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille, Paris, CTHS, 2002. L’antagonisme entre les pouvoirs féodaux et l’autorité comtale est désormais mieux compris, mais la question de l’unité de la Provence n’est pas au cœur de ces recherches.

15  Cf. M. Aurell,La Provence au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses de l’Université de Provence, 2005, p. 13.

16  MGH DD Burg., n° 69, p. 212 – 12 mai 979 : Ego Vualcaudus divino favente iuvamine Cavellicensis ecclesie humilis presul […] cum consilio senioris mei Chuonradi regis atque incliti marchionis Vuilelmi construo atque edifico monasterium infra meam diocesim juxta ecclesiam que in Valleclusa sita fore videtur […]. La formule associe Guilhem à la fonction de conseiller direct du roi : il agit en tant que membre de sa curia.

17  En 998, lorsque Rodolphe III confirme les biens que lui-même et ses prédécesseurs ont concédé à l’abbaye de Cluny, il les énumère par diocèse : in episcopatu Lugdunensi… in episcopatu Viennensi… in episcopatu Valentinensi ; mais les possessions méridionales sont uniquement situées in Provincia et incluent des possessions sur les deux rives de la Durance, jusqu’aux environs d’Arles, comme si les circonscriptions diocésaines étaient considérées comme territoires subordonnés à l’autorité représentant le roi en Provence ; ibid., n° 83, p. 232-233. En 1002, Guilhem II confirme la donation d’une villa de Pertuis quae sita est in regno Provinciae, in pago Aquense… ; MGH DD Burg., n° 131, p. 308.

18   MGH DD Burg., n° 126, p. 302 : ut quicquid ad publicum opus vel ad fiscum regium sive comitalem ex hac villa… soit concédée à la reine.

19   Comme le reconnaissait l’adresse d’un acte de 991.

20  Odilon de Cluny, Vita Maioli.

21  Ch. Du Cange, Glossarium, op. cit., t. 5, col. 270b.

22  Th. Pécout, L’invention de la Provence : Raimond Bérenger V, 1209-1235, Paris, Perrin, 2004.

23  F. Benoît, Recueil des actes des comtes de Provence 1196-1245, Monaco-Paris, 1925, passim.

24  Ainsi le titre de comes et marchio apparaît-il dans tous les actes d’hommages qui concernent des biens situés dans le comté de Provence stricto sensu : cf. F. Benoît, Recueil des actes de Provence, op. cit., n° 53, p. 65-67, 20 juillet 1207 : Guillaume Porcelet fait hommage spécial à Alphonse II pour la donation de sa part dans la ville de Saint-Geniès.

25  F. Benoît, Recueil, op. cit.,n° 57, p. 153-157, 12 avril 1222 : In nomine Domini. Anno Incarnationis eiusdem M.CC. vicesimo secundo, pridie idus aprilis, R. Berengarii, Dei gratia comes et marchio Provincie et comes Forcalquerii, comunicato consilio B. Aquensis archiepiscopi, Hu. Regensis, L. Dignensis, B. Forojuliensis episcoporum, barronum et militum Provincie, nec non et aliorum plurimis proborum virorum pacem statuit, Deo dante, inviolabiliter duraturam ab hinc usque ad V annnos.

26  Ibid., n° 132, p. 239-240, 6 janvier 1230, donation de la taille au Génois Umberto de Volta : […] Nos Berengarius, Dei gratia illustris comes et marchio Provincie et comes Forcalcherii, ex mera liberalitate nostra et spontanea voluntate, donamus vobis dilecto et fideli nostre Homberto de Volta et fidei nostro Raimondino, in feudum toto tempore vite vestre, quinquagintas libras Janue […].

27  Ibid., n° 158, p. 258-259, 25 mai 1232 : exemption perpétuelle de péage concédée au podestat d’Arles, Roux de Turca in comitatibus nostris et marchionatu et in toto districtu nostro et in tota terra quam in presenti habemus vel in antea habere debemus […] ; voir aussi la formule, dans un acte adressé au consulat de Marseille (ibid., n° 139, 1230) : quicumque tenet […] jurisdictionem […] teneat eam et debet tenere pro eo et sub eo.

28  Digeste,Lib. II, tit. I, § 3.

29  Ces remarques sont inspirées par l’étude de M. Zimmermann, « Les origines de la Catalogne d’après les Gesta comitum Barcinonensium : mythe fondateur ou récit éthologique ? », « Liber largitorius ». Études d’histoire médiévale offertes à Pierre Toubert par ses élèves, D. Barthélemy et J.-M. Martin éd., Genève, Droz, 2003, p. 517-543.

30  Sur ce processus, cf. P. Bonnassie, La Catalogne du milieu du Xe à la fin du XIe siècle, Toulouse, Publications de l’Université de Toulouse-le-Mirail, 1976. Le noyau des Usatges de Barcelona fut promulgué par Raimond Bérenger Ier en 1068, après la fin de la révolte des nobles.

31  Ch. Du Cange, Glossarium, op. cit., t. 7, col. 95a.

32  L’assertion est vraie pour les territoires gouvernés avant l’annexion de la Romagne en 1278, qui relevait de Ravenne.

33  P. Colliva, Il cardinale Albornoz, lo stato della Chiesa, le Constitiones Ægidiane, Bologne, (Colegio Albornoz de Bologne, Studia Albornotiana, 32,1977, avec une trad. italienne du texte des constitutions, p. 607, livre III, ch. 1 : « []la exigentia de l’utile di provinciali, li quali non hanno metropolitano, e la opportunità delli facti explichevele della Ghiesia e di suoi officiali […] anno tribuito al Rectore de la provincia sopra li spirituali […]. »

34  L’autorité du pape était reconnue « sur tout le territoire compris entre Radicofani et Ceprano, l’exarchat de Ravenne, la Pentapole, la marche d’Ancône, le duché de Spolète, les terres de la comtesse Mathilde et la comtée de Bertinoro » ; Regestum super Negotio Imperii, éd. F. Kemps, Miscellanea historiae pontificiae, XII, Rome, Pontificia Universita Gregoriana, 1947.

35  Jurisdictio est potestas de iure publico introducta cum necessitate iuris dicendi et aequitatis statuendae tamquam a persona publica ; Bartolo da Sassoferrato (1313-1357) glose ainsi, dans les Commentaria, comm. ad lex iusdicentis D, 1, 1, Venise, 1526, réimpr. Rome, 1996,par l’addition finale, la définition d’Azzone (Summa Codicis, éd. Venise, 1581, C, 3, 13). Cf. V. Crescenzi, « Il problema del potere pubblico e dei suoi limiti nelle’ insegnamento dei Commentatori », dans Science politique et droit public dans les facultés de droit européennes (XIIIe-XVIIIe s.), J. Krynen et M. Stoelleis éd., Francfort, 2008, p. 57-90.

36  Voir B. Bligny, « Le Dauphiné, quelques remarques », Les Principautés au Moyen Âge, Actes du 4e Congrès de la Société des Enseignants Médiévistes du Supérieur Public, Bordeaux, SHMESP éditeur, 1973, p. 79-84.

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Pour citer cet article

Référence papier

Philippe Jansen, « Les « Provinces », terres de souveraineté dans les pays latins du monde méditerranéen ? (Xe-XIIIe siècles) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 21 | 2011, 27-39.

Référence électronique

Philippe Jansen, « Les « Provinces », terres de souveraineté dans les pays latins du monde méditerranéen ? (Xe-XIIIe siècles) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 21 | 2011, mis en ligne le 10 mai 2014, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12419 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12419

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Auteur

Philippe Jansen

Université de Nice-Sophia-Antipolis, UMR 6130 – CEPAM

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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