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2011

La Ligue en Bretagne. Guerre civile et conflit international (1588-1598),éd. Hervé Le Goff

Jean-Paul Straetmans
Référence(s) :

La Ligue en Bretagne. Guerre civile et conflit international (1588-1598),éd. Hervé Le Goff, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, 573p.

ISBN 978-2-7535-1157-6.

Texte intégral

1Malgré l’intérêt porté par les historiens aux guerres de religion depuis trois décennies, la révolte urbaine et nobiliaire en Bretagne (1588-1598) n’a pas connu d’étude globale depuis plus d’un siècle et demi. Hervé Le Goff, qui a déjà consacré deux ouvrages à ces événements, comble ce manque par une mise au point d’ensemble dans La Ligue en Bretagne, Guerre civile et conflit international. L’auteur affiche dans son introduction l’objectif de « sortir la guerre de la Ligue en Bretagne des préjugés, de la légende, du mythe, et des arrière-cours idéologiques où elle a été longtemps confinée » (p. 15). La geste d’un héros breton, le sieur de La Fontenelle, fournit un exemple des légendes qui ont nourri l’inconscient collectif jusqu’à la thèse universitaire de Louis Grégoire en 1856. Hervé Le Goff reconnaît à cet universitaire d’avoir porté le premier regard critique sur les événements et le duc de Mercœur. Il partage le jugement de Louis Grégoire sur la particularité du mouvement ligueur breton, qui est bien différent de la Ligue parisienne et qui termine tardivement l’ensemble des guerres de religion. La révolte bretonne ne peut pas se réduire à une guerre civile régionale motivée par la seule ambition du duc de Mercœur. La position géographique de la Bretagne dans l’arc atlantique en fait un lieu d’échanges commerciaux et intellectuels que l’auteur prend en compte, tout au long de l’ouvrage, en soulignant que le sort des événements a plus dépendu de décisions prises hors de France, que de celles prises par le gouverneur rebelle, les parlements rivaux bretons ou les lieutenants du roi.

2Une fois libéré des préjugés qui polluent l’analyse de la Ligue en Bretagne, Henri Le Goff cerne les motivations des principaux acteurs, dégage les enjeux géopolitiques et stratégiques du conflit de dimension internationale, et mesure les conséquences pour la Bretagne, la France et l’Europe. Il utilise abondamment des fonds d’archives bretonnes et anglaises, en grande partie inédits, pour le récit chronologique des événements politico-militaires. En exploitant ces fonds originaux, dont les principales pièces sont annexées à la fin de l’ouvrage, il apporte une contribution majeure à l’étude de la période. Il perce les motivations des principaux protagonistes. Il montre un Philippe II qui, fatigué par la maladie et la vieillesse, accélère la perte de l’hégémonie espagnole par son entêtement, alors que sa situation financière est compromise et que la rébellion en Aragon mobilise ses troupes au plus mauvais moment. À l’opposé, Elisabeth Ire, par son pragmatisme, sort gagnante du conflit en empêchant l’implantation durable d’une tête de pont espagnol sur le sol breton, sans que cela ne lui coûte trop en hommes et en capitaux. Henri IV, le vainqueur officiel du conflit, est pourtant le grand absent de cette guerre où il n’apparaît qu’à son terme, et presque malgré lui. Enfin, l’image du personnage central, le duc de Mercœur, est également ramenée à sa vraie dimension, celle d’un « factieux d’occasion », qui « ne se révéla ni un stratège ni une tête politique et subit les événements plus qu’on ne l’a dit et se trouva vite dépassé par les implications internationales de sa rébellion » (p. 415). Toujours décalé dans ses analyses et ses réactions, prenant avec retard et inconstance les mauvaises décisions, le héros de la résistance catholique apparaît comme un « amateur » vite abandonné par son allié Philippe II, oublié par Mayenne et les principaux meneurs de la Ligue. Après sa soumission au roi, pour se consoler de son isolement, il s’engage dans la lutte contre les Turcs, essayant de sauver son image par une fuite en avant qui rappelle sa conduite de la rébellion bretonne.

3L’ouvrage restitue la dimension internationale du conflit entre l’Espagne et l’Angleterre au lendemain du désastre de l’Invincible Armada (1588). Hervé Le Goff montre que la perte de la maîtrise espagnole des mers oblige Philippe II à tenter l’implantation de bases militaires sur la côte bretonne, devenues indispensables pour l’invasion de l’Angleterre ainsi que pour l’appui logistique de ses possessions flamandes. Devant le danger, l’Angleterre intervient directement sur le sol breton et soutient les troupes royales d’Henri IV en lutte contre l’alliance des Ligueurs et des Espagnols. Si Philippe II avait réussi une implantation durable dans quelques ports bretons, l’indépendance de l’Angleterre aurait été sérieusement compromise, et Henri IV n’aurait jamais pu négocier avec l’Espagne le traité de Vervins dans les mêmes conditions. La logique des politiques suivies durant le conflit, et les stratégies qui en découlent, sont révélatrices des motivations particulières d’adversaires dont les comportements erratiques semblent proches les uns des autres. Si le conflit est né de la volonté de défendre le catholicisme, il a rapidement cristallisé certains mécontentements. L’opposition de Mercœur et de ses alliés espagnols à toute évolution religieuse révélait une « culture qui unissait consubstantiellement le sol à la croyance et au culte » (p. 419). Henri IV, en se faisant sacrer à Chartres et en obtenant le pardon de Rome, a divisé les rangs des catholiques en offrant à cette culture un nouvelle base.

4La dernière partie de l’ouvrage s’intéresse aux conséquences du conflit en rapportant des témoignages très divers, tels que des extraits d’enquêtes et de livres de raisons. En matière religieuse, la première conséquence du conflit est l’application vigoureuse de la contre-réforme catholique dans la région, qui accentue le poids de la hiérarchie ecclésiastique et l’influence des saints locaux. Sur le plan politique, la noblesse bretonne perd son dernier combat contre la monarchie absolue et sort de la crise convaincue que son avenir se trouve désormais dans le royaume de France.

5Hervé Le Goff termine son ouvrage par une interrogation paradoxale sur les hésitations continuelles du duc de Mercœur vis-à-vis de l’Espagne. N’a-t-il pas, involontairement, participé à la victoire d’Henri IV sur la Ligue en Bretagne en ne facilitant pas l’implantation massive des Espagnols qui aurait entravé la reconquête royale ? En tout cas, il a aidé à établir un nouvel équilibre entre l’Angleterre, l’Espagne et la France.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Paul Straetmans, « La Ligue en Bretagne. Guerre civile et conflit international (1588-1598),éd. Hervé Le Goff »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 17 mai 2011, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12273 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12273

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Auteur

Jean-Paul Straetmans

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