La parole des prédicateurs
Résumés
La prédication est une performance dont le texte écrit n’est qu’un reflet inexact. Par rapport aux autres genres littéraires de l’époque, les indices d’oralité que l’on peut repérer dans la prédication médiévale sont nombreux. Cet article se concentre sur l’extraordinaire témoignage que représentent les reportationes des sermons prononcés par Giordano da Pisa au début du XIVe siècle et par un autre frère prêcheur, Giovanni Dominici, qui prêchait dans l’église de Santa Maria Novella, à Florence, entre 1400 et 1406. À partir de ces témoignages de l’école dominicaine, on peut étudier la manière dont le prédicateur peut s’assimiler au jongleur : tous les deux sont en effet des acteurs capables de se servir des mots et des gestes pour attirer l’attention du public. De maîtres de la parole, les prédicateurs se transforment ainsi en « vedettes » de la parole, au point de susciter ou à tel point qu’ils suscitent ? l’admiration étonnée des notaires et des marchands.
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La situation communicative
- 1 Voir la conclusion de la curatrice du volume The Sermon, éd. B. M. Kienzle, Turnhout, Brepols, 200 (...)
- 2 On pense au cas classique des Sermones super Cantica de saint Bernard ; toutefois cet auteur a pro (...)
- 3 P. Zumthor, La lettre et la voix. De la « littérature » médiévale, Paris, Éditions du Seuil, 1987, (...)
- 4 Cf. F. Dolbeau, Augustin et la prédication en Afrique. Recherches sur divers sermons authentiques (...)
- 5 E. Auerbach, Studi su Dante, Milano, Feltrinelli, 1992, p. 309-23. Cf. aussi C. Delcorno, « Schede (...)
- 6 Mais si l’on voit par exemple le cas examiné par Cécile Ricard, que je remercie pour sa lecture de (...)
1La prédication n’est pas seulement un genre littéraire central de l’Occident médiéval chrétien. Elle est aussi, et surtout, une performance : le texte écrit est donc un reflet inexact de l’événement de la prédication et on peut le placer « en amont » ou « en aval » par rapport à celui-ci1, sauf s’il s’agit d’un sermon littéraire qui n’a jamais été prononcé2. La situation communicative dans laquelle se déroule la prédication est commune à d’autres genres littéraires, qui comportent l’oralité, l’emploi du dialogue et la présence du public, c’est-à-dire les discours publics, le chant, la récitation de poèmes ou le théâtre. Nous sommes dans le contexte de la « culture de la voix » – comme l’a définie Paul Zumthor – dans laquelle la communication et la réception sont simultanées3. Toute la prédication médiévale présente des éléments caractéristiques, en général, de la littérature de l’époque, mais sous une forme encore plus accentuée, comme les appels aux auditeurs, le dialogue fictif ou sermocinatio et les diverses formes de répétition, en commençant par l’anaphore. Il y a d’ailleurs des moments du sermon qui sont plus aptes au contact avec l’auditoire : le début et la fin, les interruptions imprévues ou la partie pendant laquelle l’on jette les bases du sermon, en utilisant des éléments tirés d’un formulaire précis. Ces expédients stylistiques et rhétoriques ne sont pas des caractéristiques spécifiques de l’époque du Moyen Âge tardif – déjà saint Augustin se sert de la fiction du dialogue4 – et ils ne sont pas non plus des prérogatives de ce seul genre littéraire : il suffit de penser aux fréquents appels au lecteur présents dans la Divine Comédie et analysés par Auerbach5. Toutefois les « indices d’oralité » en constituent le trait le plus distinctif sans lequel la prédication finirait pour se confondre avec les autres genres de la prose religieuse médiévale6.
- 7 Roberto Rusconi s’est arrêté plusieurs fois sur le problème central du rapport entre prêcheurs et (...)
- 8 Voir désormais E. Pasquini, Le botteghe della poesia. Studi sul Tre-Quattrocento italiano, Bologna (...)
2Cet article se concentre sur un exemple particulièrement significatif, celui des sermons reportés de Giordano da Pisa : le fait que plus de sept cents de ses sermons nous soient parvenus par les reportationes vulgaires d’un auditeur anonyme ajoute un élément d’intérêt supplémentaire. En effet, nous sommes sûrs qu’il a prononcé les sermons que nous lisons, mais nous savons aussi que le texte que nous avons devant nous est le fruit de la collaboration – bien qu’indirecte – entre prêcheur et auditeurs. La reportatio nous permet d’entendre la parole vivante du prêcheur mieux que les sermons modèles ou desimples schémas et consent, en outre, de la réécouter par l’intermédiaire de la sensibilité du public contemporain7. Pour éviter le risque de décontextualiser cette expérience extraordinaire, j’ai pris comme termes de comparaison pour la période précédente le recueil des sermons de Federico Visconti – rédigés en latin mais sans aucun doute prononcés en langue vulgaire –, et pour la période suivante les sermons reportés d’un autre frère prêcheur actif à Florence au début du quinzième siècle, Giovanni Dominici. J’ai par contre exclu du discours le cas, bien connu et très important pour le rapport entre oralité et écriture, de Bernardin de Sienne8 : son expérience se place en plein quinzième siècle et l’analyse des traces d’oralité présentes dans sa prédication aurait fini pour l’emporter sur l’étude de celles des prêcheurs précédents.
La prédication médiévale : un dialogue entre deux langues
- 9 Voir N. Bériou, « Les sermons latins après 1200 », The Sermon, op. cit., p. 363-447, en particulie (...)
- 10 Au XIIIe siècle, l’auditoire détermine la langue dans laquelle l’on prêche. Il est certain qu’on p (...)
- 11 Cf. C. A. Robson, Maurice of Sully and the Medieval Vernacular Homily, with the Text of Maurice’s (...)
- 12 M. Banniard, Viva voce. Communication écrite et communication orale du IVe au IXe siècle en Occide (...)
- 13 C. Delcorno, « Medieval Preaching in Italy (1200-1500) », The Sermon, op. cit., p. 449-560 , à la (...)
3Il est désormais manifeste, grâce aux nombreuses études sur le sujet, que la prédication médiévale est l’un des plus puissants moyens de communication de l’époque et constitue un pont entre la culture élevée du clergé et la culture populaire des laïcs. En vue de ses finalités didactiques et persuasives, le choix du latin au lieu de la langue vulgaire pendant tout le quatorzième siècle et au-delà peut étonner si l’on ne considère pas le fait que le latin des sermons médiévaux est une langue utilitaire, avec une stabilité des formes linguistiques et un système d’abréviations bien codifié qui le rend supérieur aux langues romanes9. Pour des raisons pratiques plus que par choix intellectuel, la rédaction des sermons prononcés en langue vulgaire est faite normalement en latin, qu’elle vienne des notes prises par les auditeurs ou qu’on la doive à un auteur de sermons modèles10. Il n’y a que peu de sermons rédigés en langue romane avant 1300 : le cas le plus connu est sans doute celui de Maurice de Sully, évêque de Paris, dont nous avons une soixantaine de sermons probablement autographes11. Toutefois, déjà à l’époque du Concile de Tours (813), l’exhortation à prêcher dans les langues romanes ou germaniques témoigne – selon Michel Banniard – de la rupture entre écrit et oral qui s’était produite et du déclin de la prédication en latin qui s’ensuivit12. Avec la réforme carolingienne du IXe siècle, l’osmose entre lecteurs et auditeurs, entre langue écrite traditionnelle et langue parlée familière se termine. Le concile du début du siècle constate l’existence d’une langue nouvelle, la langue vulgaire, qui n’est plus assimilable au latin, mais à laquelle il faudra encore plus de quatre cents ans pour s’équiper d’un système convenable de transcription. Selon Banniard, le fondement crucial de l’usage chrétien du latin est le concept d’« intercompréhension » et l’orateur chrétien fait fonction de médiateur obligé entre deux ordres de communication en contact, c’est-à-dire la communication écrite et la communication orale. L’oralité dans laquelle se place la prédication médiévale est, selon la classification de Zumthor, de type secondaire, puisqu’elle se recompose à partir de l’écriture. Plus spécifiquement – comme l’écrit Delcorno – elle est une communication orale qui s’établit entre deux textes écrits : d’une part la Bible et les sermons modèles et d’autre part les différentes formes rédactionnelles13.
- 14 Cf. C. Delcorno, « La lingua dei predicatori. Tra latino e volgare », La predicazione dei frati da (...)
- 15 Cf. Les sermons et la visite pastorale de Federico Visconti archêveque de Pise (1253-1277), sous l (...)
- 16 Cf. P. Bourgain, « La langue de Federico Visconti », Les sermons et la visite pastorale, op. cit., (...)
4Très souvent, donc, entre le XIIIe et le XIVe siècle, on lit un texte latin qui est la traduction des mots vulgaires ou, au contraire, un texte vulgaire qui transmet des pensées latines14. Cela se révèle évident si l’on analyse le cas des sermons latins de Federico Visconti, archevêque de Pise entre 1253 et 1277, et celui des reportationes vulgaires des sermons prononcés par le frère prêcheur Giordano da Pisa à Florence et dans sa ville natale entre 1303 et 1309. Il est certain que Visconti prêchait en langue vulgaire, comme en témoigne la présence de mots vulgaires glosés en latin et vice-versa : il s’agit des « expressions doubles » ou « doublets » dont parle Pascale Bourgain, la première habituellement d’origine savante parce que tirée de la source commentée, et la deuxième plus facile à comprendre, indice de la traduction instantanée en langue parlée que les prêcheurs devaient effectuer. Dans le deuxième sermon in Synodo Pentecosten, à propos du corps glorieux, le prêcheur affirme que le Christ et la Vierge peuvent montrer ou cacher leur luminosité sicut patet in intecula, que vocatur lucciola in vulgari. Le mot est ensuite glosé en marge d’une autre main qui ajoute sive in lucedula15. Du point de vue stylistique, le recueil des sermons, rédigé probablement sous la direction du même archevêque de Pise, se caractérise par de fréquentes incises, anacoluthes et ruptures des constructions syntaxiques : ce sont là des indices, selon Bourgain, d’un latin pensé comme on le parle16.
- 17 L’emploi de l’image de la diffraction lumineuse pour exemplifier l’effet du descente du Saint Espr (...)
5Renvoyant, pour une plus ample exemplification, à l’introduction et au glossaire qui accompagnent l’édition moderne de l’œuvre, je voudrais attirer l’attention ici sur la réflexion relative au dialogue entre latin et langue vulgaire que l’on peut découvrir dans le sermon prononcé par Federico Visconti le jour de la Pentecôte. La capacité des apôtres, sur lesquels était descendu le Saint Esprit, de se faire comprendre par des gens qui parlent des langues différentes, n’est pas interprétée par lui comme un miracle, mais s’explique – selon une habitude qui devait lui être familière – par le fait que chaque mot était traduit dans chacune de ces langues. Les exemples utilisés juste après sont très significatifs : sous l’effet de la Pentecôte, une même langue, comme réfléchie dans un miroir, s’exprimait en différentes langues vulgaires17 ; de la même manière, la manne mangée par le peuple Juif prenait pour chaque individu un goût différent ; enfin, dans les lettres écrites sur le sable par le Christ dans l’épisode de la pécheresse pardonnée, chacun reconnaissait son péché :
- 18 Les sermons et la visite pastorale, op. cit., sermon XXXVII In die Pentecosten, § 13, p. 613-614.
Quomodo loquebantur apostoli variis linguis.
De hoc queritur utrum scilicet loquerentur apostoli diversis vulgaribus, ita quod a diversis divisim intelligerentur. Et si sic, certe hoc non erat miraculum, cum multi interpretes sic loquantur ; preterea nimis protraxissent sermones suos, unumquodque verbum singulis volgaribus exponendo. […] Et est pulchrum exemplum de speculo, quia, cum sit unicum, diverse facies simul et semel intuentur se in ipso sine mutatione speculi. Item, pulcrius exemplum de manna, quod sine mutatione sui sapiebat unicuique secundum proprium appetitum. […] Similiter habemus idem de caractere sive lictera quam scripsit Christus in terra, Ioh. VIII (8, 8-9), in qua quilibet videbat peccatum suum18.[Comment les apôtres parlaient diverses langues.
À ce propos, on se demande si les apôtres parlaient plusieurs langues, de sorte qu’ils étaient parfaitement compris par des étrangers. Et si c’était comme cela, ce n’était absolument pas un miracle, parce que beaucoup d’interprètes parlent ainsi ; en plus, ils auraient rendu leurs sermons trop longs en les traduisant mot à mot dans toutes les langues. […] Et il y a le bel exemple du miroir, parce que, tout en étant unique, il représente en soi, en même temps et en une seule fois, des aspects différents sans qu’il y ait des changements du miroir. Il y a encore le plus bel exemple de la manne, qui, sans changer, avait pour chacun un goût selon son appétit. […] D’une manière similaire, nous retrouvons la même chose dans la trace ou dans la lettre que le Christ écrivit sur la terre, Jean VIII (8, 8-9), où chacun voyait son péché.]
- 19 Cf. M. Corti, « Dante e la torre di Babele : una nuova “allegoria in factis” », Il viaggio testual (...)
6Maria Corti a observé que l’épisode de la tour de Babel est interprété depuis toujours comme une anticipation de la Pentecôte19 : à l’incompréhension linguistique, dérivée de l’orgueil humain, s’oppose la pluralité des langues, qui exprime la vraie unité de l’esprit. Le premier élément de cette nouvelle allégorie in factis peut en un certain sens, selon mon avis, être lié à la tentative de Charlemagne d’imposer par le haut une seule langue – le latin –, tandis que le deuxième élément est reconnaissable vraiment dans le choix du sermo humilis fait par les auteurs ecclésiastiques, en premier lieu par les prédicateurs.
Les signes de l’oralité dans la prédication de Giordano da Pisa
- 20 Cf. C. Delcorno, Giordano da Pisa e l’antica predicazione volgare, Firenze, Olschki, 1975, p. 37-4 (...)
- 21 Cf. C. Delcorno, « La diffrazione del testo omiletico. Osservazioni sulle doppie reportationes del (...)
- 22 Cf. Giordano da Pisa, Quaresimale fiorentino 1305-1306, éd. C. Delcorno, Firenze, Sansoni, 1974, p (...)
- 23 Voir à ce propos Eliana Corbari, « “Et sono molto meglio le femine che gli omini” : Giordano da Pi (...)
- 24 Cf. B. Terracini, Lingua libera e libertà linguistica, Torino, Einaudi, 1963, p. 114-19.
7La prédication de Giordano da Pisa représenta une vraie école de langue20 : ce n’est pas un hasard si plusieurs latinismes forgés par lui demeurent encore dans la langue italienne et si les premiers témoignages de nombreux termes enregistrés dans le vocabulaire de la Crusca sont tirés justement de l’ample corpus de ses recueils. Les reportationes nous restituent une trace de l’acte oral, même si l’on doit tenir compte du rôle de médiateur joué par des hommes cultivés, ayant pratiqué l’ars notaria et qui étaient capables d’écrire ce qu’ils avaient écouté. Sur la base de ce qu’on a observé jusqu’ici, on peut affirmer que l’œuvre de transcription des sermons de Giordano est le fruit d’un travail d’équipe, assuré par l’important réseau des confréries laïques. Toutefois, à la différence de ce qui se produit pour Bernardin de Sienne21, il existe une unique reportatio transmise par plusieurs rédactions qui se distinguent surtout par leur plus ou moins grande proximité avec le style parlé et par l’omission ou par la transposition de quelques passages. Il s’agit de la « tradition dynamique », déjà notée par le curateur du Quaresimale du 1305-06, confirmée par les études récentes sur la prédication contemporaine relative au premier chapitre du livre de la Genèse, et que j’ai moi-même vérifiée dans l’étude des manuscrits du cycle de l’Avent et des fêtes du cycle de Noël du 1304 (du 29 de novembre au 7 février), et sur lequel je dirigerai en particulier mon attention22. Pour l’Avventuale aussi, il y a une seule reportatio, mais deux rédactions principales : on doit signaler en particulier le copiste très actif d’un manuscrit de la Vénétie, maintenant conservé à Oxford (Can. It. 132)23. Par rapport à quelques exemples précédents de prédication en langue vulgaire – comme les Sermoni subalpini ou l’Omelia padovana – les sermons reportés du frère de Pise représentent un grand progrès, même s’ils ne manquent pas d’éléments de continuité. Le latin n’est jamais complètement abandonné, mais c’est la langue des citations bibliques et des divisions et des subdivisions typiques du « sermon moderne ». Le frère prêcheur est conscient de la supériorité intellectuelle du latin (défini d’habitude « gramatica »), mais il sait profiter de la vivacité créatrice de la langue vulgaire. Sa prédication est populaire et savante au même temps, parce qu’elle implique la vulgarisation de formes littéraires hautement codifiées et la stylisation de formes populaires24.
- 25 Humberti de Romanis Opera de vita regulari, ed. F. J. J. Bertier, Romae, Befani, 1889, t. II, p. 3 (...)
8Giordano réfléchit souvent sur l’importance de la prédication. Ainsi il se sert d’une image utilisée par Humbert de Romans dans le De eruditione praedicatorum. En traitant des conditions de la charge des prédicateurs, il écrit qu’elle plaît à Dieu parce que la prédication est presque comme un chant et c’est pourquoi il l’agrée aussi bien que les seigneurs qui ont l’habitude de s’amuser des chants des jongleurs25. Dans le sermon du dimanche 9 août 1305, prononcé dans l’église de Santa Maria Novella à Florence, Giordano da Pisa, pour démontrer que tout vient de Dieu, sauf le péché, reprend l’exemple du jongleur, mais l’étend des pécheurs à tous les hommes. Le chant et le spectacle représentent dès lors les bonnes œuvres en général :
- 26 Prediche del beato fra Giordano da Rivalto dell’ordine dei predicatori recitate in Firenze dal MCC (...)
Tanto è caro a Dio il tuo servigio in quanto egli l’accetta per sua grazia, e per sua misericordia, e non più. Onde se dinanzi a uno segnore giucasse uno giullare, tanto gli sarebbe caro, quanto egli l’accettasse, non più ; ché se non gli piacesse i suoi giuochi, e non gli sodisfacessero, e che servigio sarebbe ? Sarebbe una grande noia. Così ti dico io : l’opere nostre tanto sono di merito, tanto vagliono quanto la cortesia di Dio l’accetta26.
[Ton service est si cher à Dieu parce qu’il l’accepte pour sa grâce et sa miséricorde, et sans rien d’autre. Donc si un jongleur jouait devant un seigneur, il lui serait aussi cher dans la mesure où il l’accepterait, sans rien d’autre ; si ses jeux ne lui plaisaient pas et ne le satisfaisaient pas, alors quel service ce serait ? Il serait d’un grand ennui. Ainsi je te le dis : nos œuvres n’ont autant de mérite, n’ont autant de valeur que parce qu’elles sont acceptées par la courtoisie de Dieu.]
- 27 Voir Moreni I, p. 224 (dimanche 4 aôut 1303) et Prediche del beato Giordano da Rivalto dell’Ordine (...)
- 28 Sur la conception du rôle du jongleur au bas Moyen Âge, voir C. Casagrande e S. Vecchio, « L’inter (...)
- 29 Giordano da Pisa, Quaresimale fiorentino, op. cit., sermon XV, p. 75.
- 30 Humberti de Romanis Opera cit., t. II, p. 402.
9Ailleurs, Giordano condamne l’art du jongleur comme c’est naturel chez un homme d’église : le jongleur est comparé tantôt à la prostituée, parce que tous les deux se servent de leur corps pour gagner leur vie, tantôt au marchand, qui est trompeur27. Toutefois, le fait qu’il s’en serve ici comme d’une image positive, pour faire comprendre que Dieu accepte gratuitement les œuvres des hommes, montre à quel point cet art était répandu et, pour certains aspects, apprécié. Il arrivait que des jongleurs chantent des textes hagiographiques et, quelquefois, l’image du ménestrel se superposait à celle du prédicateur : tous les deux étaient en effet des acteurs capables d’utiliser des mots et des gestes pour attirer l’attention des auditeurs28. Frère Giordano lui-même dans son sermon du 23 février 1305, pour démontrer que l’art de la pénitence dépasse tous les autres arts, dit que « il giullare le mentova tutte ne la canzone » [le jongleur les mentionne toutes dans sa chanson], en se référant au Serventese del Maestro di tutte le arti de Ruggieri Apugliese29. Saint François lui-même, d’ailleurs, s’était défini joculator Dei et le Maître de l’Ordre n’avait pas hésité à comparer la prédication à un chant, à un spectacle de jongleur. Même si Humbert de Romans se sert de beaucoup d’autres similitudes, celle-ci semble rendre évidente la conscience que, même si la prédication et le chant sont différents, tous deux sont des activités orales qui, dans plusieurs cas, impliquent des capacités similaires. Dans le De eruditione praedicatorum, parmi les qualités nécessaires des prédicateurs, on trouve une bonne mémoire, la connaissance du latin et de la langue vulgaire ainsi qu’une voix sonore30.
- 31 Voir C. Delcorno, « Il “parlato” dei predicatori. Osservazioni sulla sintassi di Giordano da Pisa (...)
- 32 Cf. C. Buridant, « Les proverbes et la prédication au Moyen Âge. De l’utilisation des proverbes vu (...)
- 33 Cf. AF, predica XIII, p. 206 et C. Roccaro, « La “scrittura” dei sermoni latini : struttura e tecn (...)
10Comme le montre le passage du sermon de Giordano cité ci-dessus, le prédicateur se sert d’un exemple qui s’adapte bien à la mentalité des auditeurs, et il utilise même un style « parlé » reconnaissable dans tout le corpus de sa prédication31. Il s’adresse aux auditeurs avec le pronom tu au sens générique ; il confirme que les œuvres humaines ont une certaine valeur seulement aux yeux de la miséricorde divine en répétant deux fois, en épiphore, « non più ». Il se sert ensuite du schéma « question et réponse » et conclut la comparaison avec l’art de jongleur par une affirmation précédée de la locution « Così ti dico » [Ainsi je te le dis]. Peu auparavant le prédicateur avait utilisée une image biblique, tirée du quatrième chapitre de l’Apocalypse, où saint Jean voit les vieillards qui jettent des couronnes aux pieds de l’Agneau : ce geste est interprété comme le geste de saints qui reconnaissent que toutes les victoires viennent de Dieu, alors que Giordano croit que pour l’agneau il n’y a pas besoin d’explications parce que – il dit – « vedetelo dipinto » [le voilà peint]. Il arrive encore que le prédicateur se réfère aux peintures ou aux objets que l’auditoire pouvait avoir sous les yeux pendant la prédication, tout comme il arrive aussi qu’il cite des proverbes et des expressions populaires pour tenir éveillée l’attention des auditeurs. Par exemple, le lundi 21 décembre 1304, fête de saint Thomas apôtre, au matin, Giordano prêche dans l’église florentine de Santa Liperata « per non avere impedimento del mercato » [pour ne pas être empêché par le marché], comme nous en informe le copiste du manuscrit d’Oxford. Pour démontrer que Dieu transforma cet incrédule en un véritable témoin de la foi, le prédicateur cite, au début de son discours, le proverbe « l’opera loda il maestro » [c’est l’ouvrage qui fait honneur au maître] confirmant ainsi la véracité de son histoire par une autorité biblique (Eccli 9, 24). Claude Buridant rappelle que l’emploi des proverbes dans les sermons était particulièrement répandu et recommandé par les traités théoriques32 ; par la suite, il ne s’étonne donc pas de retrouver la même propositio in vulgari dans un sermon latin du frère mineur Ruggero da Piazza, actif au XIIIe siècle en Italie du Sud33. Dans le deuxième sermon du matin prononcé aussi dans l’église de Santa Maria Maggiore pour la fête des saints Innocents (28 décembre 1304), Giordano cite un proverbe : « Io apparo senno con danno altrui » [J’apprends raison à dépens d’autrui], en suggérant de tirer les suites logiques de la punition que le roi Hérode subit après le massacre. Comme déjà dans le sermon précédent, le prédicateur commente le verset Vox in Rama audita est (Mt 2, 18) en expliquant que la voix, le cri, dérivent de la peine et du péché, mais, cette fois, il ajoute des « références sonores » à la vie quotidienne :
- 34 AF, sermon XX, p. 300 et p. 301 pour le proverbe cité ci-dessus.
Come la voce à virtù di significare, e così il peccato. E che significa ? Che tti guardi da’ pericoli. Onde sapete, quando esce la pietra del màngano, ogn’omo grida : « Cansa, cansa ! ». Questo grido significa il pericolo e che fugano il pericolo.Vedete altressì quegli che saetta, sì dice agli amici : « Fuggite, fuggite ! » ; e grida che ssi cansino per dare al nemico : non vuole che tocchi l’amico. Simigliantemente di quelli che getta le pietre da alti, sì grida : « Fuggi, fuggi ! », e grida che ssi cansino e si cessino, acciò che i pericoli non vegnano sopra llui34.
[Comme la voix a la vertu de signifier,ainsi le péché. Et qu’est-ce que cela veut dire ? Que tu te méfies des dangers. Comme vous le savez, quand la pierre sort de la catapulte, chacun crie : « Gare-toi, gare-toi ! ». Ce cri signifie le danger et qu’on fuit le danger. Vous voyez aussi l’archer, il dit ainsi aux amis : « Fuyez, fuyez ! » ; et il crie qu’on s’écarte pour frapper l’ennemi : il ne veut pas frapper l’ami. De la même façon celui qui jette la pierre d’en haut crie : « Fuis, fuis ! », et il crie qu’on s’écarte et s’éloigne, afin que les dangers ne viennent pas sur lui].
11Le prédicateur invite à fuir le péché comme les pierres et les flèches : un antécédent de cet expédient spécifique est reconnaissable dans un sermon du frère prêcheur Gilles d’Orléans, étudié par Nicole Bériou. Dans ce cas, nous sommes aussi dans un contexte vulgaire et, toujours dans le but d’exhorter les auditeurs à éviter le péché, le frère s’adresse à eux en disant :
12Quoique brefs, il s’agit déjà des fragments de discours reporté, qui s’insèrent dans un tissu discursif propre de l’oralité.
13Les cadences et les répétitions typiques du langage parlé, comme les dialogues ou les fragments de discours reporté se trouvent très souvent dans le cycle de l’Avent. Je me limite donc à quelques exemples significatifs. Comme je l’ai dit au début, la forme du dialogue n’est pas une exclusivité de la prédication en langue vulgaire du XIVe siècle : un passage du sermon prononcé le lundi 30 novembre 1304, fête de saint André, dans la Piazza del Mercato Vecchio à Florence, le démontre bien. En s’interrogeant sur la vocation de l’apôtre, Giordano paraphrase l’homélie que Grégoire le Grand tint au peuple dans la basilique romaine de Saint André :
- 36 AF, sermon IV, p. 98-99.
Dice sancto Gregorio : « Or che avevano lasciato ? Una scafa, una barchetta forse di meno di trenta soldi, e una rete cativa, non lasciaron nulla che non l’avevano che lasciare e ch’egli erano poveri, ma non di meno e’ lasciaron grande riccheza del volere, ch’erano prima ricchi di molto volere, ora il lasciarono »36.
[Saint Grégoire dit : « Or qu’est-ce qu’ils avaient laissé ? Une coque, un petit bateau peut-être de moins de trente sous et un mauvais filet, ils ne laissèrent rien parce qu’ils n’avaient rien à laisser et étaient pauvres, mais néanmoins ils laissèrent une grande richesse de volonté, étant donné qu’ils étaient riches auparavant de beaucoup de volonté, maintenant ils la laissèrent »].
- 37 Je me rapporte au fameux passage du De eruditione praedicatorum où le maître de l’Ordre des frères (...)
- 38 Gregorius Magnus, Homiliae XL in Evangelia, cura et studio R. Étaix, Turnhout, Brepols, 1999, CCSL (...)
14La phrase interrogative initiale n’est pas due à une dramatisation de Giordano, mais on la lit déjà dans sa source, les Homélies sur les évangiles de Grégoire le Grand. Selon le témoignage d’Humbert de Romans, Innocence III prêcha une fois en ayant cette œuvre même sous les yeux, la traduisant mot à mot pour montrer qu’il valait mieux traduire qu’improviser à l’aveugle37. Dans l’homélie latine, la question est présentée sous la forme d’une tacite objection des auditeurs, selon un formulaire souvent utilisé aussi par Giordano aussi ; de la même manière, l’insistance sur le verbe « lasciare » vient du texte latin, où l’on lit à deux reprises « multum reliquit » et « multum dimisit », alors que c’est à Giordano qu’on doit l’antithèse « non lasciaron nulla […] ma non di meno e’ lasciaron »38.
15L’antithèse entre les païens et les chrétiens embrasse tout le sermon matinal du premier janvier 1304 (ou 1305 en style moderne), traditionnellement consacré à combattre les superstitions du paganisme : « Vergognianci di portare l’arme e ’l segno di Cristo, ma non ci vergognamo di portare l’arme del demonio » [Nous avons honte de porter les armures et l’enseigne du Christ et n’avons pas honte de porter les armures du diable]. Cette opposition est tout de suite confirmée par l’emploi d’une polysyndète, utilisée pour mieux exprimer l’indignation vers ceux qui, comme les païens, s’en remettent aux arts magiques :
- 39 AF, sermon XXV, p. 349. C’est moi qui souligne.
E noi non ci ne vergognamo. […] E sonne le genti oggi troppo magagnate, e sono queste opere di gravissimo peccato, e sono opere trovate dal demonio per ingannare le genti, e sono opere di tutta vanitade39.
[Et nous n’en avons pas honte. […] Et les gens sont aujourd’hui trop corrompus pour cela, et ce sont des actions peccamineuses, et ce sont des actions trouvées par le diable pour tromper les gens, et ce sont des actions vaniteuses].
16L’antithèse est répétée peu après grâce à l’opposition des pronoms – « Quellino […] Noi » [Ceux-là – Nous] –, tandis que pour fixer dans la mémoire du public le concept qu’avec les croyances magiques on nie la puissance de Dieu et le libre arbitre humain, Giordano utilise l’anaphore « Nieghi ancora […] Nieghi ancora » [Tu nies encore]. Enfin, il insère un fragment de discours reporté, qui porte sur le devant de la scène la pensée et la voix de plusieurs auditeurs anonymes :
- 40 AF, sermon XXV, p. 349-50.
Dicono alcuni : « Non mi taglierei oggi i panni per nulla, ch’è martidì, non mi coglierebbe bene »40.
[Quelques-uns disent : « Je ne taillerai absolument pas les tissus aujourd’hui, parce que c’est mardi, cela ne me porterait pas bonheur »].
- 41 Un cas exemplaire de ce type est celui des quatre sermons prononcés le mardi 2 février 1304, pour (...)
- 42 Voir AF, sermon XXXV, p. 492 : « Disse frate Giordano : non mi pensava di predicarvi ciò, ma d’alt (...)
- 43 Cf. N. Bériou, « Les sermons latins », art. cit., p. 370-82.
- 44 AF, sermons XLV et XLVI, p. 605, 615, 618-619, 623.
- 45 Cf. M. G. Muzzarelli, Pescatori di uomini. Predicatori e piazze alla fine del Medioevo, Bologna, i (...)
- 46 AF, sermon XXVI, p. 365-66.
- 47 Voir, par exemple, AF, sermon XI, p. 184-85.
17Quelques reportationes sont particulièrement longues et montrent la capacité du prédicateur de tenir sa matière sous contrôle : la division du thema et les subdivisions suivantes qui en dérivent sont rappelées d’un sermon à l’autre sans qu’on ne perde le fil du discours41, même si les cas dans lesquels le prédicateur reconnaît qu’il s’est écarté du plan ne manquent pas42. Il ne faut pas oublier, en effet, qu’une architecture précise est à la base du développement du sermon. Il doit en premier lieu affirmer, dans toute son ampleur, la vérité contenue dans une phrase ou dans un seul mot de la Sainte Écriture43. Dans les deux sermons du 7 février, quinzième dimanche après l’Épiphanie, la répétition au début du texte de l’expression « Mostra » [Ici l’on montre] ou « Prima dico » [D’abord je dis] scande chaque division dont le prédicateur entend parler, tandis que le signal, qui indique la conclusion et résume ce qu’il a dit, est « Vedi dunque » [Vois donc]44, suggérant ainsi à l’auditoire qu’il a maintenant devant les yeux de l’esprit ce qu’il avait promis de démontrer avec son explication. Dans certains cas, la parabole explicative ne s’épuise pas dans le cadre d’une seule performance, mais de plusieurs sermons ou « prediche a puntate » [sermons à épisodes], selon la définition donnée par Muzzarelli45. Elle rappelle aussi qu’Humbert de Romans suggérait des interventions improvisées du prédicateur dans son manuel, générant ainsi une « predicazione totale » [prédication totale]. Encore une fois, nous retrouvons celle-ci dans les sermons du frère de Pise. Dans le deuxième sermon du 1erjanvier 1304, le prédicateur prête beaucoup d’attention au thème du commerce, qui – à son avis – était exercé à Florence pour se tromper réciproquement, comme d’autres Arti, surtout celui, très puissant, de la laine. Il renforce sa condamnation à travers un paradoxe, en disant que les marchands et les artisans ont sanctifié l’usure. En effet, l’usure est un ennemi évident, au contraire les tromperies des marchands sont cachées et les gens leur font confiance. À cet endroit, Giordano insère une anecdote personnelle : « l’altrieri venne uno da me e domandòmi che arte io il conscigliasse di fare » [L’autre jour un tel est venu me demander quelle Arte je lui conseillais d’exercer] et il affirme de ne pas avoir su que répondre, car la corruption a contaminé tous les Arti46. À partir de ce passage – mais on pourrait en citer d’autres47 – on comprend que plusieurs personnes ont sollicité ses conseils, alors qu’il ne se trouvait pas en chaire, et qu’il a su mettre à profit cette expérience, comme il a su mettre à profit l’expérience analogue des confessions.
- 48 AF, sermon VIII, p. 142 ; sermon XII, p. 203.
- 49 AF, sermon XV, p. 249-50.
- 50 Par un exemple voir AF, sermon VII, p. 131.
- 51 AF, sermon XXXI, p. 439 : comme on peut le voir dans l’apparat critique de l’édition moderne, le m (...)
18 Au-delà de la voix de frère Giordano, souvent prête à accueillir la voix des auditeurs sous forme de questions, de fausses objections et de fragments de discours reporté, il est possible aussi d’entendre directement la voix sous-jacente du transcripteur. Le début et la fin du sermon présentent quelques fois des informations extratextuelles : la transcription du sermon pour saint Ambroise, prononcé le 7 décembre 1304 dans l’église de Sant’Ambrogio, s’interrompt avec le souvenir que le froid était très fort ; de la même manière, à la fin du sermon du 20 décembre, le transcripteur rapporte que Giordano « non predicò più perché ’l tempo si rabuiava ad acqua » [ne prêchait plus parce que le temps était à la pluie]48. Du jour de Noël nous avons seulement le sermon du soir prononcé à l’intérieur de l’église de Santa Maria Novella et le transcripteur note que le frère ne raconte que quelques-uns des miracles qui ont eu lieu lors de la naissance du Christ, à cause de la grande foule qui assistait au sermon49. Celui qui a pris des notes ne se limite pas à ces observations liées aux circonstances dans lesquelles se déroulait la performance, mais il intervient souvent à l’intérieur du texte, omettant ou synthétisant les parties historiques ou hagiographiques50, parfois exprimant un jugement sur ce que dit le prédicateur. Dans le deuxième sermon pour l’Épiphanie, prononcé après la neuvième heure sur la place devant Santa Maria Novella, Giordano démontre que les choses terrestres empêchent de comprendre les célestes par une ample exemplification que le tachygraphe omet en se justifiant par la phrase : « ch’è lunga mena e poca utilità e è agevole a ’ntendere » [parce que ce serait trop long et peu utile ; par ailleurs on comprend cela facilement]51.
- 52 AF, sermon XXXIV, p. 474.
19Un cas extrême de l’influence du transcripteur sur le texte est représenté par le sermon du 16 janvier 1304, fête de la chaire de Saint Pierre : on est samedi après la neuvième heure et Giordano se trouve « in Sancto Piero Maggiore a la sagra ». Celui qui a pris en note ces mots avertit tout de suite qu’il n’était pas présent au début du sermon et après avoir transcrit le plan du sermon, c’est-à-dire la divisio du verset thématique et les deux distinctiones, il s’interrompt en notant : « Qui mi partì da la predica per la facenda del sabato » [À ce moment-là j’ai quitté le sermon pour l’affaire du samedi]52. Il reste le désir de connaître la suite, même si de manière récapitulative, le transcripteur venait d’écrire que « a questo [i beni spirituali] dovaremmo spirare e non ad altro » [nous devrions aspirer aux biens spirituelles et à rien d’autre]. Mais, surtout, il reste la curiosité de savoir quel rendez-vous empêcha l’auditeur d’achever un texte dont il savait bien qu’il aurait été lu par de nombreux laïcs désireux de méditer sur la parole fixée sur le papier, en revivant l’acte de la prédication qui devait leur paraître bien monotone et unique en même temps.
La prédication de Giovanni Dominici au début du XVe siècle
- 53 Cf. C. Delcorno, « Medieval Preaching in Italy », art. cit., p. 481-482. Sur la tradition manuscri (...)
- 54 Voir G. Di Agresti, « Il Dominici e l’Umanesimo : problema non risolto », Memorie Domenicane, n. s (...)
- 55 Je me réfère respectivement aux définitions données par Nicole Bériou (voir L’avènement, op. cit.) (...)
- 56 Cf. N. Ben-Aryeh-Debby, Renaissance Florence in the Rhetoric of two Popular Preachers. Giovanni Do (...)
- 57 Appendix, sermon 3, p. 226 et 228.
20Juste un siècle plus tard, un autre frère prêcheur se trouva prêcher dans l’église de Santa Maria Novella : il s’agit de Giovanni Dominici, personnage de tout premier plan dans l’histoire de l’Observance dominicaine. Son éloquence est nécessairement différente de celle de Giordano. Elle est dominée par un biblisme lyrique et par le goût de l’émotionnel et du visionnaire53. Son langage enflammé est fondé sur le langage du Cantique des cantiques et renvoie donc à une tradition mystique qui voit dans ce livre biblique la voie occulte qui, dans le mystère, conduit à Dieu. Grâce à ses lettres, nous savons que Dominici a commencé au moins trois fois à commenter le Cantique. Toutefois, même s’il s’adresse à des religieux lors d’une série de leçons magistrales, l’auteur – selon Guglielmo Di Agresti – dépasse les limites étroites du milieu claustral54. De « maîtres de la parole », les prédicateurs se transforment désormais en « vedettes de la parole », selon la définition des grands prédicateurs itinérants du XVe siècle55. Le sermon devient une performance théâtrale, un véritable spectacle avec un acteur et un public, comme en témoignent les sermons reportés de Dominici et de Bernardin de Sienne56. Dans les reportationes des sermons que le premier prononça à Florence entre 1400 et 1406, nous trouvons donc – encore plus accentué que dans les exemples précédents – la syntaxe orale caractéristique de la prédication. Dans le sermon du premier dimanche de l’Avent consacré au sujet Hora est iam nos de somno surgere (Rom. 13, 11-14), on remarque que Giovanni Dominici déploie tous les expédients canoniques pour entraîner le public : il utilise en effet normalement la deuxième personne du singulier et adresse continuellement des appels aux auditeurs pour qu’ils ouvrent les yeux de l’intellect et prêtent attention à ce qu’il est en train de dire. L’autorité biblique est également dramatisée et rendue plus actuelle : le prédicateur parle de « messere santo Pagolo » [monsieur saint Paul] et dit que celui-ci s’adresse « a questa brigata » [à cette bande] en l’exhortant à ne plus dormir. Un peu plus loin, dans le même sermon, en parlant de la nécessité de fuir l’oisiveté, il invite les auditeurs « a llegere alle dipinture sancte, a exercizi buoni » [à lire les peintures sacrées, à faire des bons exercices], parce qu’autrement, les yeux ouverts, désireux en tout cas de voir, ils finiront pour se consacrer à des choses nuisibles et inutiles57. Dans le sermon du deuxième dimanche de l’Avent, les références au lieu et à l’heure abondent :
- 58 Appendix, sermon 4, p. 231.
Invitaci istasera l’appostolo glorioso messere Sancto Pauolo che noi ci riceviamo insieme, racchonglianci. Et non però vorrei che ttu intendessi racchorci et pilgliarci insieme, chome hora siamo in Sancta Maria Novella, che forse, o sanza forse, ci troveresti in questa raccholta troppi messchulgli. […] « Richolglianci » : none in questa, cioè in queste mura di Sancta Maria Novella, ma nella vera Sancta Maria Novella, nella purità, nella virginità, nella chastità. Ongnuno si richolgha in questo sancto tempo dell’Avento in queste sancte virtù58.
[Ce soir l’apôtre glorieux monsieur saint Paul nous invite à nous recevoir les uns les autres, à nous recueillir. Mais je ne voudrais pas que tu entendes par là nous recueillir et nous retrouver ensemble, comme nous sommes en ce moment dans l’église de Santa Maria Novella, parce que peut-être, ou même certainement, tu trouverais dans ce rassemblement trop de confusion. […] « Recueillons-nous » : non pas dans cette église, c’est-à-dire dans les murs de Santa Maria Novella, mais dans la vraie Santa Maria Novella, dans la pureté, dans la virginité, dans la chasteté. Que chacun se recueille pendant ce saint temps de l’Avent dans ces saintes vertus].
- 59 Dominici semble faire ici particulièrement allusion aux rencontres entre hommes et femmes qui avai (...)
21De façon suggestive, le prédicateur conseille à son public d’accomplir le voyage mental qui lui permet de ne plus se rassembler dans une église terrestre – bien que belle et bien-aimée –, mais dans un édifice spirituel, où il n’y a pas les distractions caractéristiques d’une foule rassemblée59. Bien que celui qui prêche doive tenir compte de ces difficultés objectives de réception, Dominici n’hésite pas à tenir un discours élevé, proche du mysticisme, en utilisant des citations de saint Paul et des citations tirées des Psaumes et en allant jusqu’à proposer une interprétation pseudo-dionysienne d’un fameux passage sapiential (Sap. 7, 26 Candor est enim lucis aeternae) :
- 60 Appendix, p. 232. Cette citation est rappelée par Carlo Delcorno dans l’introduction à Sotto il ci (...)
Et non è altro sancta Scriptura che uno razo, il quale procede da ’ddio. Sa’ tu che chosa è la sancta Scriptura ? Una scientia rivelata da Dio. È una biancheza della luce etterna, uno specchio, una imagine di Dio60.
[Et la sainte Écriture n’est rien d’autre qu’un rayon, lequel descend de Dieu. Sais-tu ce qu’est la Sainte Écriture ? Une science révélée par Dieu. Elle est une blancheur de la lumière éternelle, un miroir, une image de Dieu].
22Le style est simple et utilise le schéma « question et réponse » déjà vu auparavant, mais l’image de l’Écriture vue comme un rayon divin a été probablement tirée de la Mystica Theologia du chartreux Hugues de Balma, dont Dominici connaissait certainement la traduction en toscan rédigée par Domenico da Monticchiello en 1363. Dans la huitième lettre écrite en 1399 aux religieuses du Corpus Domini de Venise, il écrivait en effet :
- 61 Cf. Giovanni Dominici, Lettere spirituali, éd. M. T. Casella e G. Pozzi, Friburgo, Edizioni univer (...)
Mandovi per lo aportatore della presente, frate Geronimo da Firenze, la Mistica Teologia : leggetela bene : è in volgare61.
[Je vous envoie par celui qui porte la présente lettre, frère Jérôme de Florence, la Théologie Mystique : lisez-la bien : elle est en langue vulgaire].
23Bien que le style des lettres de direction spirituelle soit évidemment bien différent du style des reportationes – les premières ayant été écrites pour la méditation des religieuses alors que les deuxièmes étaient des témoins de la parole vivante adressés à un public laïc –, l’auteur n’hésite pas à proposer des thèmes spécifiquement mystiques à un auditoire de laïcs.
24Par rapport au prédicateur du XIVe siècle, qui construisait tout son bâtiment exégétique sur la base d’un verset tiré de l’Évangile du jour, Dominici dirige souvent son attention vers les épîtres de saint Paul, les Psaumes ou d’autres lectures sapientiales ou prophétiques. Ce choix l’amène à développer un sermon moins structuré, mais tout de même convaincant parce qu’une autorité biblique en appelle une autre et toutes les deux, dans l’exégèse faite par le prédicateur, suggèrent des modèles de comportement. Son style oral ne compte pas seulement sur la répétition, mais aussi sur l’ellipse, sur la rapidité et sur la concision, comme il ressort d’un sermon sur le jugement dernier, où Giovanni Dominici affirme que le soleil est devenu si sombre
- 62 Voir A. Galletti, « Una raccolta di prediche volgari inedite del cardinale Giovanni Dominici », Mi (...)
che tu vedi il papa diventa come il soldato, fare guerra e battaglie, dato tucto a denari62.
[que tu vois le pape devenu comme le soldat, qui mène guerre et batailles, entièrement consacré à l’argent].
- 63 Voir A. Galletti, art. cit., p. 256 et R. Rusconi, L’attesa della fine. Crisi della società, profe (...)
25Les invectives et les prophéties apocalyptiques marquent son style oratoire : cela explique aussi les réactions des auditeurs, comme il résulte d’une lettre, souvent citée, du notaire florentin Lapo Mazzei au marchand Francesco di Marco Datini63 :
- 64 Lettere d’un notaro a un mercante del sec. XIV, per cura di C. Guasti, Firenze, Le Monnier, 1880, (...)
E dicovi che sì fatto sermone non udi’ mai, né si fatta predica. E di certo, gli amici di Dio pare ricomincino a montar su, a ispegnere questa vita de’ poltroni cherici e laici. E dee predicar qui la quaresima ; e viene da Vinegia, che tutto ’l mondo gli andava drieto. Pensate vi parrà udire uno de’ discepoli di san Francesco e rinascere. Tutti o piangevamo o stavamo stupefatti alla chiara verità che mostra altrui, come fa santa Brisida64.
[Et je vous dis que je n’avais jamais écouté un tel sermon, ni un tel prêche. Et bien sûr il semble que les amis de Dieu recommencent à reprendre le dessus, à faire cesser cette vie des clercs et des laïcs poltrons. Et il doit prêcher ici pour le Carême ; et il vient de Venise, où tout le monde le suivait. Pensez qu’il vous semblera d’écouter l’un des disciples de saint François, et renaître. Nous pleurions tous ou étions étonnés de la claire vérité qu’il montre, comme le fait sainte Brigitte].
- 65 Le texte juridique devait être très familier au prédicateur et à son auditoire, du fait qu’il est (...)
- 66 Appendix, sermon 6, p. 241-42.
26L’aspect politique devient plus important par rapport à la prédication du siècle précédent : le dimanche des Rameaux, Dominici s’élève contre les gouvernants florentins corrompus et il cite les Decretales à propos des neuf types de vol65. Ensuite, il fait parler le Christ à titre personnel en utilisant la formule du double impératif66 :
Va’, paga et restituisci quello che tu non ài rubato per chi à rubato ! […] Va’, spargi il sangue tutto !
[Va, paie et rends ce que tu n’as pas volé pour ceux qui ont volé ! […] Va, verse tout ton sang !]
- 67 Appendix, sermon 30, p. 289.
27Tout comme Giordano da Pisa un siècle auparavant, il s’efforce de donner des explications linguistiques : le vendredi précédent le dimanche des Rameaux, il explique ce que signifie le mot « comune » : « Sa’ ch’è comune ? Non Piero, non Giovanni, non ghuelfo, non ghibellino, ma chomune » [Sais-tu que-ce que c’est la commune ? Elle n’est pas Pierre, ni Jean, ni guelfe, ni gibelin, mais elle est commune]67, tandis que, dans un sermon quadragésimal précédent, il donne l’explication de quelques termes latins d’un verset du prophète Joël :
- 68 Appendix, sermon 13, p. 248.
Sa’ tu quello che vuole dire fletu propriamente ? Flere è collo spirito dolere, è una perfetta contritione avere, per la quale t’induchi a mortifichare questa carne68.
[Sais-tu ce que veut dire fletu proprement ? Flere c’est avoir mal dans l’esprit, c’est avoir une parfaite contrition, pour laquelle tu te résous à mortifier cette chair].
28Ce sermon du soir fait partie d’une série : peu de temps auparavant le frère prêcheur avait rappelé à ses auditeurs le sermon du matin et peu après il fournit une anticipation du sermon du soir suivant pour inciter l’auditoire à revenir.
29Le public auquel s’adresse Dominici est désormais habitué à l’activité des grands prédicateurs et il paraît plus actif que le public du siècle précédent : sa spiritualité n’est plus limitée à l’écoute des prêches, comme le démontre la conclusion du sermon prononcé le vingtième dimanche après la Pentecôte. Ici, en effet, Giovanni Dominici exhorte les analphabètes à apprendre les principales prières et les fondements de la foi chrétienne et il se préoccupe de donner des conseils de lecture à ceux qui sont capables de lire. Il invite en outre à se garder des livres qui peuvent pousser à l’erreur ou au péché, en démontrant ainsi que les gents lisaient de plus en plus et que la « culture de la voix » était en train de céder sa place à une culture de l’écriture.
Notes
1 Voir la conclusion de la curatrice du volume The Sermon, éd. B. M. Kienzle, Turnhout, Brepols, 2000, (« Typologie des sources du Moyen Âge Occidental », 81-83), p. 963-83.
2 On pense au cas classique des Sermones super Cantica de saint Bernard ; toutefois cet auteur a produit aussi des textes de style oral, comme les Sermones diversi et les Sententiae, où l’on peut recueillir les caractéristiques du Bernard prêcheur qui s’adresse familièrement à ses moines : cf. l’introduction de J. Leclercq à San Bernardo, Sermoni diversi e vari, Milano, Scriptorium Claravallense – Fondazione di Studi Cistercensi, 2000, p. 3-25.
3 P. Zumthor, La lettre et la voix. De la « littérature » médiévale, Paris, Éditions du Seuil, 1987, en particulier le quatrième chapitre sur la voix de l’Église et, du même auteur, la synthèse qu’on lit dans « Una cultura della voce », Lo spazio letterario del Medioevo, 2. Il Medioevo volgare, Direttori P. Boitani, M. Mancini, A. Vàrvaro, vol. I, La produzione del testo, tomo I, Roma, Salerno Editrice, 1999, p. 117-46.
4 Cf. F. Dolbeau, Augustin et la prédication en Afrique. Recherches sur divers sermons authentiques apocryphes ou anonymes, Paris, Institut d’études Augustiniennes, 2005, p. 71-87 et, pour un exemple tiré du final inédit d’un sermon, p. 292-98.
5 E. Auerbach, Studi su Dante, Milano, Feltrinelli, 1992, p. 309-23. Cf. aussi C. Delcorno, « Schede su Dante e la retorica della predicazione », Miscellanea di studi danteschi in memoria di Silvio Pasquazi, Napoli, Federico & Ardia, 1993, vol. I, p. 301-12 et G. Ledda, La guerra della lingua. Ineffabilità, retorica e narrativa nella Commedia di Dante, Ravenna, Longo, 2002, chapitre IV (« Creare il lettore, creare l’autore : Dante poeta negli appelli al lettore »), p. 117-58.
6 Mais si l’on voit par exemple le cas examiné par Cécile Ricard, que je remercie pour sa lecture de mon article, on trouve beaucoup des signes d’oralité aussi en dehors des véritables sermons, ce qui signifie que la prose religieuse du Moyen Âge se sert en général des expédients typiques de sermons. Voir C. Ricard, « Le Miroir des Bonnes Femmes : possession d’un prêtre, d’un père ou d’une femme ? Quels usages pour les exempla non développés du texte ? », Die Predigt im Mittelalter zwischen Mündlichkeit, Bildlichkeit und Schriftlichkeit / La prédication médiévale entre oralité, visualité et écriture, Colloque International de Genève, 11-13 septembre 2008, projet de recherche « Oralité, Visualité, Ecriture » (Mübisch, Université de Genève, Faculté des Lettres) Actes sous presse.
7 Roberto Rusconi s’est arrêté plusieurs fois sur le problème central du rapport entre prêcheurs et public, en particulier : « Reportatio », Medioevo e Rinascimento, III, 1989, p. 7-36 et « La predicazione : parole in chiesa, parole in piazza », Lo spazio letterario del Medioevo, 1. Il Medioevo latino, éd. G. Cavallo, C. Leonardi, E. Menestò, vol. II, La circolazione del testo, Roma, Salerno Editrice, 1994, p. 571-603.
8 Voir désormais E. Pasquini, Le botteghe della poesia. Studi sul Tre-Quattrocento italiano, Bologna, il Mulino, 1991, le chapitre IV, « Oralità bernardiniana », p. 201-44 et l’intervention de C. Delcorno, « La voix efficace du prédicateur. Les exempla de Bernardin de Sienne » au colloque Le pouvoir des mots au Moyen Âge (Lyon, 22-24 juin 2009), (actes sous presse).
9 Voir N. Bériou, « Les sermons latins après 1200 », The Sermon, op. cit., p. 363-447, en particulier les p. 382-86 sur le latin des sermons.
10 Au XIIIe siècle, l’auditoire détermine la langue dans laquelle l’on prêche. Il est certain qu’on prêchait aux laïcs en langue vulgaire même si la réélaboration écrite était en latin : voir A. Lecoy de la Marche, La chaire française au Moyen Âge, spécialement au XIIIe siècle, d’après les manuscrits contemporains, Genève, Slatkine Reprints, 1974 (Réimpression de l’édition de Paris, 1886), deuxième partie, chapitre II, De la langue usitée dans la chaire, p. 233-69. Voir maintenant F. Morenzoni, « Les prédicateurs et leurs langues à la fin du Moyen Âge », Zwischen Babel und Pfingsten. Sprachdifferenzen und Gesprächsverständigung in der Vormoderne (8.-16. Jahrhundert) / Entre Babel et Pentecôte. Différences linguistiques et communication orale avant la modernité (VIIIe-XVIe siècle), éd. P. von Moos, Zürich-Berlin, LIT, 2008, p. 501-17.
11 Cf. C. A. Robson, Maurice of Sully and the Medieval Vernacular Homily, with the Text of Maurice’s French Homilies from a Sens Cathedral Chapter ms., Oxford, Basil Blackwell, 1952 et la référence classique M. Zink, La prédication en langue romane avant 1300, Paris, Champion, 1982.
12 M. Banniard, Viva voce. Communication écrite et communication orale du IVe au IXe siècle en Occident latin, Paris, Institut des études Augustiniennes, 1992, p. 32-49 et 369-422.
13 C. Delcorno, « Medieval Preaching in Italy (1200-1500) », The Sermon, op. cit., p. 449-560 , à la p. 493, et voir aussi du même auteur « La predicazione », Lo spazio letterario del Medioevo, 2. Il Medioevo volgare, op. cit., vol. II, La circolazione del testo, Roma, Salerno editrice, 2002, p. 405-31, en particulier pour le rapport oralité-écriture p. 416-23.
14 Cf. C. Delcorno, « La lingua dei predicatori. Tra latino e volgare », La predicazione dei frati dalla metà del ’200 alla fine del ’300. Atti del XXII Convegno internazionale (Assisi, 13-15 ottobre 1994), Spoleto, Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 1995, p. 19-46.
15 Cf. Les sermons et la visite pastorale de Federico Visconti archêveque de Pise (1253-1277), sous la direction de N. Bériou, Édition critique par N. Bériou et I. le Masne de Chermont avec la collaboration de P. Bourgain et M. Innocenti. Avant-propos de A. Vauchez et E. Cristiani, Rome, École française, 2001, sermo II In Synodo Pentecosten, § 21, p. 357-58.
16 Cf. P. Bourgain, « La langue de Federico Visconti », Les sermons et la visite pastorale, op. cit.,p. 1085-1094 et Le latin médiéval, par P. Bourgain avec la collaboration de M.-C. Hubert, Turnhout, Brepols, 2005, p. 275-279, où est publié le sermon 46 de Federico Visconti avec la traduction française en regard.
17 L’emploi de l’image de la diffraction lumineuse pour exemplifier l’effet du descente du Saint Esprit dans les fidèles a donc une longue tradition, qui arrive en Italie jusqu’à la Pentecoste d’Alessandro Manzoni (1822).
18 Les sermons et la visite pastorale, op. cit., sermon XXXVII In die Pentecosten, § 13, p. 613-614.
19 Cf. M. Corti, « Dante e la torre di Babele : una nuova “allegoria in factis” », Il viaggio testuale, Torino, Einaudi, 1978, chap. V, p. 243-256 et P. Zumthor, Babele ou l’inachèvement, Paris, Éditions du Seuil, 1997. Dans le Speculum humanae salvationis les deux épisodes sont mis en parallèle et exemplifiés par des enluminures associées : voir C. Frugoni – F. Manzari, Immagini di san Francesco in uno Speculum humanae salvationis del Trecento, Roma, Editrici Francescane, 2006, p. 266 et 364.
20 Cf. C. Delcorno, Giordano da Pisa e l’antica predicazione volgare, Firenze, Olschki, 1975, p. 37-43 ; V. Coletti, Parole dal pulpito. Chiesa e movimenti religiosi tra latino e volgare nell’Italia del Medioevo e del Rinascimento, Casale Monferrato, Marietti, 1983, p. 65-71 (voir la traduction française L’éloquence de la chaire : victoires et défaites du latin entre Moyen Âge et Renaissance, Paris, Cerf, 1987).
21 Cf. C. Delcorno, « La diffrazione del testo omiletico. Osservazioni sulle doppie reportationes delle prediche bernardiniane », Lettere Italiane XXXVIII, 1986, p. 457-77.
22 Cf. Giordano da Pisa, Quaresimale fiorentino 1305-1306, éd. C. Delcorno, Firenze, Sansoni, 1974, p. LXXII-CXXXIV ; D. Franceschini, « Le due redazioni delle prediche di Giordano da Pisa sul Capitolo 1° del Genesi », Memorie Domenicane n.s. 33, 2002, p. 131-74 et Giordano da Pisa, Avventuale fiorentino 1304, éd. S. Serventi, Bologna, Il Mulino, 2006 (dorénavant AF), p. 31-54. Pour ce qui concerne les dates, nous rappelons qu’à Florence on employait le style ab incarnatione, qui fixe le début de l’année au 25 mars, jour de l’Annonciation.
23 Voir à ce propos Eliana Corbari, « “Et sono molto meglio le femine che gli omini” : Giordano da Pisa preaching on Catherine of Alexandria », Medieval Sermon Studies, 51, 2007, p. 9-21.
24 Cf. B. Terracini, Lingua libera e libertà linguistica, Torino, Einaudi, 1963, p. 114-19.
25 Humberti de Romanis Opera de vita regulari, ed. F. J. J. Bertier, Romae, Befani, 1889, t. II, p. 380 (De eruditione praedicatorum, parte I, cap. IV, De acceptibilitate coram Deo) : « Deinde ad sciendum quantum acceptum sit istud officium coram Deo, notandum quod praedicatio est quasi quidam cantus […] Iste autem cantus est adeo coram Deo acceptus, sicut etiam in curiis magnates solent in cantibus joculatorum delectari » [Donc, pour savoir comme cette charge plaît à Dieu, il faut noter que la prédication est presque comme un chant […] Ce chant par suite plaît à Dieu, aussi bien que les seigneurs dans les cours, qui ont l’habitude de s’amuser des chants des jongleurs].Ce passage était déjà mis en relief par Carlo Delcorno dans « Professionisti della parola : predicatori, giullari, concionatori », Tra storia e simbolo. Studi dedicati a Ezio Raimondi dai Direttori, Redattori e dall’Editore di Lettere Italiane, Firenze, Olschki, 1994, p. 1-21, à la p. 10 et note 35. L’article est maintenant réimprimé dans C. Delcorno, « Quasi quidam cantus ». Studi sulla predicazione medievale, éd. G. Baffetti, G. Forni, S. Serventi, O. Visani, Firenze, Olschki, 2009, p. 3-21.
26 Prediche del beato fra Giordano da Rivalto dell’ordine dei predicatori recitate in Firenze dal MCCCIII al MCCCVI ed ora per la prima volta pubblicate, éd. D. Moreni, Firenze, per il Magheri, 1831 (désormais Moreni), tomo I, p. 257.
27 Voir Moreni I, p. 224 (dimanche 4 aôut 1303) et Prediche del beato Giordano da Rivalto dell’Ordine dei Predicatori, in Firenze, nella stamperia di Pietro Gaetano Viviani, éd. D. M. Manni, partie II, Quaresimale di fra Giordano per la mattina fatto l’anno MCCCIV (traité sur le Credo), p. 304.
28 Sur la conception du rôle du jongleur au bas Moyen Âge, voir C. Casagrande e S. Vecchio, « L’interdizione del giullare nel vocabolario clericale del XII e XIII secolo », Il teatro medievale, éd. J. Drumbl, Bologna, il Mulino, 1989, p. 317-368, en particulier les p. 349-52 sur la « stratégie dominicaine » ; cf. aussi La scena assente. Realtà e leggenda sul teatro nel Medioevo, éd. F. Mosetti Casaretto, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2006.
29 Giordano da Pisa, Quaresimale fiorentino, op. cit., sermon XV, p. 75.
30 Humberti de Romanis Opera cit., t. II, p. 402.
31 Voir C. Delcorno, « Il “parlato” dei predicatori. Osservazioni sulla sintassi di Giordano da Pisa », Lettere Italiane LII, 2000, p. 3-50. La riche exemplification de Delcorno est relative aux premièrs 45 sermons du Quaresimale fiorentino 1305-1306. Je reprends plusieurs des définitions techniques de cet article.
32 Cf. C. Buridant, « Les proverbes et la prédication au Moyen Âge. De l’utilisation des proverbes vulgaires dans les sermons », Richesse du proverbe. vol. I Le proverbe au Moyen Âge. Études réunies par F. Suard et C. Buridant, Université de Lille III, 1984, p. 23-54. Voir aussi maintenant M. A. Polo de Beaulieu et J. Berlioz, « “Car qui a le vilain, a la proie”. Les proverbes dans les recueils d’exempla (XIIIe-XIVe siècle) » et F. Morenzoni, « Les proverbes dans la prédication du XIIIe siècle », Tradition des proverbes et des exempla dans l’Occident médiéval / Die Tradition der Sprichwörter und exempla im Mittelalter, Colloque Fribourgeois 2007 / Freiburger Colloquium 2007, hrsg. von H. O. Bizzarri und M. Rohde, Berlin-New York, de Gruyter, 2009, respectivement aux p. 25-65 et 131-49. Je dois à la gentillesse d’Hugo Bizzarri la lecture de ces articles encore sous presse.
33 Cf. AF, predica XIII, p. 206 et C. Roccaro, « La “scrittura” dei sermoni latini : struttura e tecnica compositiva fra enunciazioni teoriche ed applicazione pratica », La predicazione dei frati,cit., p. 229-65, à p. 254 et note 46.
34 AF, sermon XX, p. 300 et p. 301 pour le proverbe cité ci-dessus.
35 Cf. N. Bériou, L’avènement des maîtres de la Parole : la prédication à Paris au XIIIe siècle, Paris, Institut d’études Augustiniennes, 1998, vol. I, p. 569. Voir en particulier les observations sur l’usage du latin et de la langue vulgaire par Raoul de Châteauroux aux p. 231-238.
36 AF, sermon IV, p. 98-99.
37 Je me rapporte au fameux passage du De eruditione praedicatorum où le maître de l’Ordre des frères prêcheurs note : Audivi quod Innocentius papa, sub quo celebratum est Concilium Lateranense, vir magnae litteraturae, cum semel praedicaret in festo Magdalenae, habuit juxta se quemdam tenentem homiliam Gregorii de festo illo, et verbo ad verbum dicebat in vulgari quod scriptum erat ibi in latino [J’entendis que le pape Innocent, sous lequel a été célébré le Concile du Latran, homme de grande culture, une fois, en prêchant pour la fête de la Madeleine, avait à côté de lui quelqu’un qui tenait l’homélie de Grégoire pour celle fête, et il traduisait mot à mot en langue vulgaire ce qu’il y avait écrit en latin] (cf. Humberti de Romanis Opera cit., t. II, p. 397).
38 Gregorius Magnus, Homiliae XL in Evangelia, cura et studio R. Étaix, Turnhout, Brepols, 1999, CCSL 141 (PL 76, col. 1093), hom. V, Habita ad populum in basilica beati Andreae apostoli, in die natalis eius, Lectio S. Ev. sec. Matt. IV, 18-22, cap. 2, p. 34 : Sed fortasse aliquis tacitis sibi cogitationibus dicat : Ad vocem dominicam uterque iste piscator quid aut quantum dimisit, qui pene nihil habuit ? Sed in hac re, fratres charissimi, affectum debemus potius pensare quam censum. Multum reliquit qui sibi nihil retinuit, multum reliquit qui, quantumlibet parum, totum deseruit […]. Multum ergo Petrus et Andreas dimisit, quando uterque etiam desideria habendi derelinquit. Multum dimisit, qui cum re possessa etiam concupiscentiis renuntiavit. [Mais peut-être quelqu’un pourrait penser en lui-même : En suivant l’appel du Seigneur, qu’est que ou combien les deux pêcheurs laissèrent, ils qui n’avaient rien ? Mais dans cette circonstance, mes chers frères, nous devons penser à l’affection plutôt qu’aux biens. Laissa beaucoup celui qui ne tint rien pour lui, laissa beaucoup celui qui, bien que peu de chose, abandonna tout […]. Pierre et André laissèrent donc beaucoup, alors que tous les deux abandonnèrent le désir même de posséder. Laissa beaucoup celui qui, avec les biens, renonça aux désirs mêmes].
39 AF, sermon XXV, p. 349. C’est moi qui souligne.
40 AF, sermon XXV, p. 349-50.
41 Un cas exemplaire de ce type est celui des quatre sermons prononcés le mardi 2 février 1304, pour la fête de la Purification de la Vierge, qui sont tous conservés : voir AF, sermons XLI-XLIV, p. 553-601, en particulier p. 600, où Giordano résume ce qu’il a dit dans le cours de ce bref cycle marial.
42 Voir AF, sermon XXXV, p. 492 : « Disse frate Giordano : non mi pensava di predicarvi ciò, ma d’altro, ma quando è piaciuto a llei [la Vergine Maria], ch’io sia così scorso in questa, Dio n’abbia gratia, che pur questa è essuta una buona predica. Ma pur un poco vo’ dire di quello ch’avea proposto di dire ». [Frère Giordano dit : je ne pensais pas de vous prêcher ça, mais autre chose, mais puisque la Vierge a aimé bien que je sois ainsi passé à ce sujet, rendons grâce à Dieu, que ce sermon-ci aussi a été bon. Mais au moins un peu je veux dire ce que j’avais l’intention de dire].
43 Cf. N. Bériou, « Les sermons latins », art. cit., p. 370-82.
44 AF, sermons XLV et XLVI, p. 605, 615, 618-619, 623.
45 Cf. M. G. Muzzarelli, Pescatori di uomini. Predicatori e piazze alla fine del Medioevo, Bologna, il Mulino, 2005, p. 35-52.
46 AF, sermon XXVI, p. 365-66.
47 Voir, par exemple, AF, sermon XI, p. 184-85.
48 AF, sermon VIII, p. 142 ; sermon XII, p. 203.
49 AF, sermon XV, p. 249-50.
50 Par un exemple voir AF, sermon VII, p. 131.
51 AF, sermon XXXI, p. 439 : comme on peut le voir dans l’apparat critique de l’édition moderne, le manuscrit d’Oxford (O) remplace « mena» par « materia », se montrant ainsi plus respectueux du lecteur dominicain.
52 AF, sermon XXXIV, p. 474.
53 Cf. C. Delcorno, « Medieval Preaching in Italy », art. cit., p. 481-482. Sur la tradition manuscrite des œuvres de cet auteur voir désormais Giovanni Dominici da Firenze. Catalogo delle opere e dei manoscritti, éd. M. M. M. Romano, Firenze, Sismel, 2009.
54 Voir G. Di Agresti, « Il Dominici e l’Umanesimo : problema non risolto », Memorie Domenicane, n. s., 1, 1970, p. 49-199, les p. 69-92.
55 Je me réfère respectivement aux définitions données par Nicole Bériou (voir L’avènement, op. cit.)et par Roberto Rusconi (« La predicazione », art. cit.).
56 Cf. N. Ben-Aryeh-Debby, Renaissance Florence in the Rhetoric of two Popular Preachers. Giovanni Dominici (1356-1419) and Bernardino da Siena (1380-1444), Turnhout, Brepols, 2001, en particulier les p. 52-55. Les citations des sermons de Dominici sont tirées de l’appendice qui suit cette étude aux pages 219-312, avec un choix de dix sermons extraits du manuscrit Riccardiano 1301 de la Biblioteca Riccardiana de Florence (désormais cité Appendix).
57 Appendix, sermon 3, p. 226 et 228.
58 Appendix, sermon 4, p. 231.
59 Dominici semble faire ici particulièrement allusion aux rencontres entre hommes et femmes qui avaient lieu dans l’église à l’occasion des sermons. Dans le sermon 41 pour les saints Innocents, il accuse explicitement les belles filles qui allaient à l’église seulement pour être vues et il menace de ne plus prêcher « se queste vaghegine e vaghegiatori non mutono modi » [si ces coquettes et ces damoiseaux ne changent pas leurs manières] (Appendix, p. 300). Ce n’est pas un thème nouveau. Même Giordano condamne les femmes qui se présentaient à la confession ou au prêche chargées d’ornements (voir par exemple le sermon LI du 21 octobre 1304, dans Moreni, t. II, p. 135-36).
60 Appendix, p. 232. Cette citation est rappelée par Carlo Delcorno dans l’introduction à Sotto il cielo delle scritture. Bibbia, retorica e letteratura religiosa (secc. XIII-XVI), éd. C. Delcorno e G. Baffetti, Firenze, Olschki, 2009, p. V. Sur le fameux passage sapiential, repris entre autres par Dante, voir M. Ariani, « “Metafore assolute” : emanazionismo e sinestesie della luce fluente », La metafora in Dante, éd. M. Ariani, Firenze, Olschki, 2009, p. 193-219, les p. 201-02 et note 38.
61 Cf. Giovanni Dominici, Lettere spirituali, éd. M. T. Casella e G. Pozzi, Friburgo, Edizioni universitarie, 1969, p. 97.
62 Voir A. Galletti, « Una raccolta di prediche volgari inedite del cardinale Giovanni Dominici », Miscellanea di studi critici pubblicati in onore di Guido Mazzoni, Firenze, Tipografia Galileiana, 1907, vol. I, p. 253-78, sermon XXXIII (Florence, Biblioteca Riccardiana, ms. 1301, fol. 98v-99v), p. 265.
63 Voir A. Galletti, art. cit., p. 256 et R. Rusconi, L’attesa della fine. Crisi della società, profezia ed Apocalisse in Italia al tempo del grande scisma d’Occidente (1378-1417), Roma, Istituto Storico per il Medio Evo, 1979, chapitre 3, § 2, p. 101-11.
64 Lettere d’un notaro a un mercante del sec. XIV, per cura di C. Guasti, Firenze, Le Monnier, 1880, vol. I, p. 227-28.
65 Le texte juridique devait être très familier au prédicateur et à son auditoire, du fait qu’il est cité dans deux autres entre les sermons publiés par Ben-Aryeh-Debby : cf. p. 257 et 273. En traitant des sermons en langue vulgaire de Dominici, Di Agresti spécifique que « i discorsi sulle Decretali vennero tenuti di sera e sono regolarmente intercalati da quelli tenuti la mattina, ma su argomento diverso » (G. Di Agresti, art. cit., p. 158-164 sur les sermons en langue vulgaire, cit. à p. 159).
66 Appendix, sermon 6, p. 241-42.
67 Appendix, sermon 30, p. 289.
68 Appendix, sermon 13, p. 248.
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Référence papier
Silvia Serventi, « La parole des prédicateurs », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 20 | 2010, 281-299.
Référence électronique
Silvia Serventi, « La parole des prédicateurs », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 20 | 2010, mis en ligne le 30 décembre 2013, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12239 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12239
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