Introduction
Texte intégral
1Trois thèmes de littérature italienne médiévale : voilà une tâche trop facile et trop difficile à la fois. Quoi de plus simple que de penser à Dante, Pétrarque, Boccace ? Et quoi de plus compliqué que de trouver des auteurs et des articles qui ne répètent pas à nouveau sur les « Tre Corone » – le plus souvent avec un maquillage dicté par la dernière mode – les analyses et les interprétations qui pendant deux siècles ont rempli des salles entières de bibliothèques ? Ou qui n’inventent pas des thèses farfelues cherchant l’originalité coûte que coûte ? Peut-être alors la lyrique des XIIIe et XIVe siècles ? Mais, ici encore, on se heurterait à la montagne de travaux qui ont été consacrés pendant les vingt dernières années à cette tradition, et dont le nombre est décidément disproportionné par rapport à la valeur réelle de la plupart des poèmes (qui présentent, en revanche, le grand avantage de la brièveté : la lecture d’un sonnet ou d’une chanson ne prendra jamais trop de temps).
2Y a-t-il donc encore des territoires peu explorés dans le Moyen Âge italien ? Peut-être que oui, si l’on reprend le contact avec cette production à laquelle les spécialistes de littérature ne s’intéressent que sporadiquement, la considérant comme « mineure ». C’est le vaste domaine de la communication orale, qui a toujours entretenu – cela va de soi – un rapport dialectique avec l’écriture, mais qu’on aurait tort de réduire à celle-ci. Il s’agit d’une réalité moins inconnue que mal connue et même méconnue.
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3D’abord, la « littérature »1 qui descend des milieux cultivés à des auditeurs pour la plupart illettrés. Si, dès le célèbre concile de Tours de 813, les évêques francs recommandaient à leur prêtres de transferre les homélies in rusticam romanam linguam aut thiotiscam, ce n’est qu’à partir du XIVe siècle – mis à part les exceptions comme les Sermoni Subalpini, qui se situent d’ailleurs à la périphérie de l’aire linguistique italienne – qu’on commence à disposer d’une vaste documentation, presque un enregistrement, de ces sermons qui attiraient des foules dans les églises et sur les places, et qui représentaient (avec la « Bible des pauvres » sculptée sur les façades et peinte dans les nefs) le moyen principal de transmission de la culture des clercs au peuple. Les témoignages que nous ont laissés Giordano da Pisa et Giovanni Dominici, analysés ici par Silvia Serventi, figurent parmi les textes les plus importants de la littérature italienne de la fin du Moyen Âge et représentent surtout un document précieux pour l’histoire de la culture et de la société.
4Le monde des cantari et des canterini est bien connu des spécialistes, qui lui réservent d’ailleurs un espace assez limité dans les histoires littéraires . En effet, si on les envisage du point de vue exclusif de la culture écrite, on a l’impression d’être en présence de textes peu soignés et somme toute peu intéressants, que l’on ne peut en tout cas comparer ni aux « grandes » nouvelles de Boccace et de Sacchetti ni aux « grands » poèmes de Pulci, Boiardo, Ariosto : le langage, même fixé sur le papier, tient encore de l’improvisation, les motifs et les formules sont frustes, la métrique est souvent irrégulière. Si on les compare avec leur « sources », la différence saute aux yeux. Et pourtant, comme le montre Carlo Donà, le repérage de la « source » est bien souvent illusoire, car on ne doit pas toujours la chercher parmi les textes écrits qui sont conservés, mais dans une tradition orale à laquelle appartiennent des mythes et des contes que l’on peut retrouver partout dans le monde. « Les cantari sont aussi semblables aux contes oraux parce qu’ils sont des contes oraux ». La plupart des philologues, qui se préoccupent assez peu du folklore et de la poésie populaire, ont tendance à établir des généalogies de textes écrits et à oublier que ceux-ci ne représentent, assez souvent, que les affleurements d’une tradition souterraine. Cela devient tout à fait évident dans le domaine de la chanson populaire : on peut regrouper les variantes d’une chanson, mais on ne peut pas reconstruire la « vraie » chanson ; ou plutôt on arrive à isoler les deux ou trois éléments essentiels qui en forment la base. Cependant, contrairement à la thèse de Bogatyrëv et Jakobson, on a toujours affaire, selon Glauco Sanga, à des ensembles discontinus, qui sont le fruit de réélaborations parfois assez profondes répondant à une véritable demande du marché ; en effet, les chanteurs ou les narrateurs sont souvent des professionnels ou des semi-professionnels vivant et se déplaçant en marge de la société sédentaire. Reste le problème de l’origine des chansons. Pour Sanga, elles dateraient de l’âge romantique, le décor médiéval n’étant qu’une fiction. Ceci est probablement vrai pour la chanson telle que nous la connaissons. Toutefois, si la Cecilia est « la même chose » que Tosca et Measure for measure, ici encore on pourra se demander jusqu’où on devra remonter pour « trouver » l’« inventeur » ou l’« invention » du noyau narratif. L’hypothèse d’une origine médiévale pourrait alors paraître, non pas trop ancienne, mais, au contraire, encore trop récente. Mais ceci est vraiment « une autre histoire ».
Notes
1 Les guillemets sont nécessaires, depuis que Paul Zumthor nous a rappelé que le terme littérature est lié au texte écrit et que l’expression littérature orale est à la rigueur une contradictio in adjecto.
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Référence papier
Andrea Fassó, « Introduction », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 20 | 2010, 223-224.
Référence électronique
Andrea Fassó, « Introduction », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 20 | 2010, mis en ligne le 20 avril 2011, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12227 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12227
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