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Idylle et récits idylliques à la fin du Moyen Âge

Du rêve idyllique au leurre courtois

Mirages littéraires dans Le Dit de la Pastoure de Christine de Pizan
Jean-Claude Mühlethaler
p. 43-58

Résumés

Récit des amours entre une bergère et un puissant seigneur, Le Dit de la Pastoure (1403), écrit probablement pour Charles Ier d’Albret, est marqué du sceau de la désillusion. Bien plus qu’une transposition dans le monde pastoral de son expérience de veuve, Christine de Pizan y propose une réflexion sur la fonction de la littérature et le statut de l’écrivain à la cour, prenant à contre-pied la vision qu’en avait Guillaume de Machaut. Elle dénonce l’inadéquation d’un rêve mariant bucolique et courtoisie aussi bien avec la réalité sociale de son époque qu’avec ses aspirations personnelles. Au fil des chants de la bergère, Le Dit de la Pastoure interroge la tradition lyrique. Il soumet également la tradition narrative à un regard critique : par sa courbe dysphorique, le récit refuse de faire sien le caractère ludique de la pastourelle, qu’il semble suivre au début. Il parodie aussi l’idéal bucolique et se démarque du roman idyllique dont les amours de Pâris et Sénonné offrent une variante pessimiste qui oriente la lecture du récit tout entier. Dans le meilleur des cas, la fiction (pastorale, mythologique, amoureuse) offre un éphémère moment d’évasion, dans le pire elle est un leurre dangereux. Le Dit de la Pastoure débouche sur un constat d’échec : il s’avère impossible d’actualiser des modèles d’écriture dépassés, d’ancrer l’idylle dans le vécu.

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Texte intégral

  • 1  Alphonse Daudet, « Les Douaniers », Lettres de mon moulin, Lausanne, La Guilde du Livre, s. d., p. (...)

Non, monseigneur,
C’est trop d’honneur,
Lisette est sa…age,
Reste au villa…age…1

  • 2  Cf. S. Kay, The Place of Thought. The Complexity of One in Late Medieval French Didactic Poetry, P (...)
  • 3  « Le Dit de la Pastoure », v. 36, Œuvres poétique de Christine de Pisan, éd. M. Roy, New York, Joh (...)
  • 4  J. Blanchard, La pastorale en France aux XIVe et XVe siècles. Recherches sur les structures de l’i (...)

1Quand Christine de Pizan écrit Le Dit de la Pastoure en 1403, elle vient de terminer Le Livre du chemin de longue estude et son monumental Livre de la mutacion de Fortune est en voie d’achèvement. Face à ces récits qui, thématisant la métamorphose de la poétesse en homme ou en nouvelle Sibylle, retracent son itinéraire vers une écriture morale et « engagée »2, le Dit apparaît comme un retour à la veine courtoise des premières œuvres. Une bergère y raconte son aventure aux « vrais amans »3, puis leur demande en clôture de prier pour celui qu’elle aime. Mais l’histoire de ses amours a beau constituer le fil conducteur du récit, la « sentence notable » (v. 32) que cache la « parabole » (v. 29) ne se limite pas à exprimer une vérité d’ordre courtois, même si la courtoisie est au cœur des débats à la cour autour de 14004. D’autres pistes s’offrent au lecteur qui sait aller au-delà de l’écorce de la « fable » (v. 31).

  • 5  G. L. Smith, « De Marotele au Lai mortel : la subversion discursive du code courtois dans deux ouv (...)
  • 6  C’est le point de vue défendu par D. Lechat, « Dire par fiction ». Métamorphoses du je chez Guilla (...)
  • 7  Cf. L. J. Walters, « The figure of the seulette in the works of Christine de Pizan and Jean Gerson (...)
  • 8  Le Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 627-648. Elle en chante encore une seconde (v. 667-677) : nous (...)

2Il est tentant, sinon de lire Le Dit de la Pastoure en clé biographique5, du moins d’y voir la manifestation d’une « écriture personnelle »6 dans la mesure où, sous le voile de la fiction pastorale, Christine passe la parole à son double, la bergère Marote qui, comme elle, pleure sa solitude amoureuse. Dans le prologue, la poétesse évoque la tristesse dans laquelle l’a plongée la mort de son époux. Si elle écrit, répondant à la requête d’une personne de renom, elle le fait aussi pour trouver dans le travail créateur une consolatio à ses propres peines. « Seulete » (v. 459), Marote est saisie dans une posture que Christine adopte volontiers dans ses poèmes7. Mais le chant de la bergère à la fontaine éveille l’attention d’un grand seigneur qui, passant par là comme le chevalier dans les pastourelles du XIIIe siècle, est attiré par la charge érotique qu’il perçoit dans la mélodie. À sa demande, Marote chantera une bergerette8, entrouvrant la porte à l’échange amoureux :

  • 9  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 621-624.

Lors a chanter commençay
La chançon que je pensay
Qui la plus nouvelle estoit
Et qui le mieulx me goustoit.9

  • 10  Sur la notion de nouveauté, cf. N. Labère, Défricher le jeune plant. Étude du genre de la nouvelle (...)
  • 11  Jean Renart, L’Escoufle, éd. F. Sweetser, Genève, Droz, 1974, v. 5525.
  • 12  L’expression est de Marion Vuagnoux-Uhlig, Le Couple en herbe. ‘Galeran de Bretagne’ et ‘L’Escoufl (...)

3La recherche d’une nouveauté, susceptible de surprendre et de séduire un auditeur habitué aux divertissements de la cour10, témoigne d’une conscience esthétique étonnante de la part d’une bergère qui, de ce point de vue, rappelle de loin Aélis dans L’Escoufle de Jean Renart. À Montpellier où elle doit subvenir à ses propres besoins, la fille de l’empereur de Rome ne récite-t-elle pas « romans et contes »11, charmant ses nobles clients dans une ambiance chargée d’érotisme ?… Comme pour Aélis et Guillaume encore, l’acmé amoureuse entre Marote et le seigneur se réalise dans un « Éden sensuel »12, réservé au seul couple ; ils connaissent un bonheur sans mélange près de la fontaine, bercés par une nature verdoyante qui met les sens en émoi. Dans les deux récits, l’extase amoureuse peut rappeler au lecteur le souvenir de la rencontre d’un mortel avec la fée, conférant à la scène les couleurs de la fiction ou du rêve. Éphémère, le moment de bonheur précède le temps des épreuves qu’annoncent des failles cachées au cœur même de l’idylle.

  • 13  Sur cet aspect-clé du lyrisme, cf. D. Lechat, « La place du sentement dans l’expérience lyrique au (...)
  • 14  Sur les insertions lyriques et leur dimension narrative, cf. S. Lefèvre, « Le poète ou la pastoure (...)

4En choisissant une pièce qui lui « goustoit » (à elle-même), Marote introduit dans la bergerette ce « sentement »13 qui fonde la subjectivité propre au discours lyrique du Moyen Âge finissant. Le passage de la bergerette, qui célèbre le bonheur champêtre, aux ballades, que la bergère amoureuse chantera seule, pour elle-même, correspond à un changement de registre : au chant euphorique lié à la première rencontre se substitue la « complainte » (v. 1552) d’inspiration courtoise14. À l’instar de Christine, Marote connaît les affres de la séparation et finit par plonger, après un trop bref moment de bonheur, dans une profonde mélancolie causée par les absences répétées, toujours plus longues, de son amant.

5L’effet de miroir n’est pourtant que partiel. Malgré la dysphorie partagée et une activité créatrice qui rapproche les deux figures féminines, la fiction résiste à la transposition pure et simple de l’expérience vécue dans le monde pastoral. Le système de relation entre les acteurs, tel qu’il est mis en place dans le récit, ne correspond pas en tout au système de relations qu’esquisse le prologue. La différence sociale, qui sépare la bergère de son amant, s’applique au commanditaire, mais pas à l’époux de Christine. Jamais la veuve ne s’expose au reproche d’être une « orgueilleusete d’amours » (v. 438), alors que Marote l’est aux yeux de ses soupirants éconduits. Comme dans certains romans idylliques (Floire et Blancheflor, L’Escoufle), la question de la mésalliance projette une ombre inquiétante sur les amours de la bergère et du seigneur, laissant entrevoir les épreuves à venir ; mais, au contraire des récits des XIIe et XIIIe siècles, où les tensions se résolvent avec le mariage final, le dit se clôt sur une impasse, confinant la bergère dans une douloureuse solitude.

  • 15  Comme le note G. L. Smith, The Medieval French Pastourelle Tradition, Poetic Motivations and Gener (...)

6Or, dès le début, Marote vit à part dans la société pastorale qui l’a pourtant vu naître et grandir. Elle s’occupe seule de ses brebis et ne participe pas aux rondes et chants des bergers. Il convient donc d’interroger les failles qui traversent le texte pour mesurer les enjeux d’un décor en trompe-l’œil que l’idéalisation du passé dans le souvenir de la bergère ne camoufle qu’imparfaitement. Le Dit de la Pastoure ne s’en tient pas à une fiction personnelle ; il éclaire la question de l’amour en l’envisageant exclusivement d’un point de vue féminin15 et propose une réflexion à caractère métapoétique sur l’utilisation des registres pastoral et courtois, à laquelle s’ajoute, nous le verrons, une pensée aux implications plus sociales, voire politiques.

  • 16  Londres, British Library, Harley 4431, fol. 223 ; Paris, BnF, fr. 836, fol. 48.
  • 17  N. Kobayashi, « La dernière étape de l’enluminure des Œuvres de Christine de Pizan », Art de l’enl (...)
  • 18  Virgile, Georgiche, éd. et trad. G. Biagio Conte, Milan, Mondadori, 1980, livre III, v. 295 : Inci (...)
  • 19  Georgiche, éd. cit., livre III, v. 299 (scabiem, podagras).
  • 20  Le Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 109 : il s’agit de la gale.

7Que les miniatures des manuscrits de la British Library ou de la Bibliothèque Nationale de France16 ne nous induisent pas en erreur ! Il ne s’agit pas, pour Christine, de présenter « de façon naïve et gracieuse le travail à la campagne »17 ou de pratiquer la poésie pastorale à la manière des Bucoliques de Virgile. Bien plus que le souvenir de la première églogue, c’est celui des Géorgiques qui s’impose, quand on lit la description du « mestier de la bergerie » (v. 79). Le poète latin prescrivait comment il faut s’occuper de la nourriture et du bien-être des animaux18 ; la bergère de Christine de Pizan énumère les soins qu’elle prodigue aux moutons, brebis et agneaux. Comme Virgile19, elle évoque la « rongne »20, à laquelle Jean de Brie consacre de son côté un bref chapitre dans Le Bon Berger, traité rédigé en 1379 et dont un exemplaire se trouvait dans la bibliothèque de Charles V.

  • 21  W. D. Paden, « Christine de Pizan as a reader of the medieval pastourelle », Conjunctures. Medieva (...)
  • 22  Le Bon Berger ou Le vray regime et gouvernement des bergers et bergères composé par le rustique Je (...)
  • 23  Cf. L. Staley, Languages of Power in the Age of Richard II, Philadelphia, Pennsylvania State Unive (...)
  • 24  Cf. J. Blanchard, « La pastorale et le ressourcement des valeurs courtoises au XVe siècle », Cahie (...)
  • 25  On ne tond pas les brebis en mai (et ce n’est d’ailleurs pas le travail du berger) : les différent (...)

8Christine de Pizan pourrait avoir été plus directement influencée par Jean de Brie21. Le Bon Berger donne ses titres de noblesse à un état qui remonte à Abel en rappelant à ses lecteurs que plusieurs rois de l’Ancien Testament ont commencé par garder les moutons22. Le berger est sous sa plume une image du bon prince ; l’harmonie qui règne dans le monde pastoral est celle qu’on souhaite pour le royaume de France23. Tel n’est pas, nous le verrons, le discours de Christine de Pizan, chez qui la bergerie s’identifie, dans le souvenir de Marote, aux années heureuses où, s’occupant de ses moutons, elle vivait en accord avec la nature et ignorait les affres de l’amour. Bien que le récit suggère, par l’emploi de l’imparfait, un temps cyclique24, l’énumération des travaux de la bergère (v. 78-126) ne s’inspire pas du traité de Jean de Brie. Dans le sillage de Virgile, qui oppose les travaux d’été aux travaux d’hiver, celui-ci décrit les tâches du berger en suivant l’ordre des mois, créant un effet d’objectivité liée à l’expérience que renforce le recours à la prose. Le passage correspondant du Dit est au contraire marqué par la subjectivité d’un énoncé mémoriel où la seule indication temporelle – le mois de « may » (v. 96) – renvoie à un printemps à la fois éternel25 et irrémédiablement perdu. Les vers consacrés aux habits font éclater au grand jour les différences d’éclairage dans les deux textes, l’un évoquant la dure vie quotidienne du berger, l’autre qui en fait ressortir le seul côté festif :

  • 26  Les bobelins sont des chaussures à l’usage du peuple, proches du brodequin.

Jean de Brie,

Le Bon Berger

Christine de Pizan,

Le Dit de la Pastoure

Bergers :

chausse de blanchet gros, ou de camelin ;

soulliers taconnez de fort cuyr ;

buhos (gaines) d’ung vieulx houseaulx ;

tacons et semeles de fort cuyr ;

ses bobelins26 ;

brayes de grosse toille et forte ;

brayette de fil tissu de deux dois de large

(p. 69-71).

Bergers :

gans blans (v. 175) ;

aumosnieres (v. 175).

Bergère :

Surcot vert, cote jolie (v. 347) ;

Graille ceinture (v. 349) ;

Bourse, espinglier (v. 350) ;

Cotelet faitis (v. 351) ;

Pelice legiere (v. 354) ;

Chainse crespé et delié (v. 355).

  • 27  Dans la Pastourelle VII, Froissart offre une liste (v. 33-59) dont certains éléments se recoupent (...)
  • 28  Voir l’ouverture de la première églogue où Tityre, la flûte à la main, taquine la silvestrem musam(...)

9Alors que Christine de Pizan saisit les bergers au moment de la danse (v. 160-175) et que tout, dans les habits de la bergère (v. 347 sq.), dit l’élégance et la séduction de cette jeune personne, Jean de Brie conseille des vêtements grossiers, adaptés à des hommes que leur métier expose fréquemment aux intempéries. C’est seulement dans le domaine des « outilz » (v. 177) indispensables au berger que les indications des deux auteurs convergent. Relevons en passant, chez Jean de Brie aussi bien que chez Christine de Pizan ou Jean Froissart27, la place accordée aux instruments de musique ! Associant le berger à la joie du chant, ils font de lui – comme déjà Virgile28 – une figure au moins virtuelle du poète :

  • 29  Le Bon Berger, éd. cit., p. 71-81.

Jean de Brie,

Le Bon Berger29

Christine de Pizan,

Le Dit de la Pastoure

la boiste a l’ongement en ung estuy de cuyr ;

ung canivet pour oster la rongne ;

ung cyseaux pour coupet la laine ;

alesne à coudre soulliers ;

un aguillier à mettre ses aguilles ;

coutel à forte alemele à trencher son pain ;

la gaine du coutel d’une vieille savate ;

cordelle de gros fil de chanvre ;

ung fourreau de vieulx cuyr pour mettre les flaiaux ;

porter et ceindre sa panetière ;

la laisse du chien ;

noblement paré de sa houlette ;

baston et corgées de trois lanyères de cuyr ;

grant chappeau de feutre rond ;

Instruments : flaiaux, fretel, estyve, douçaine, musette, chevriete.

trenche pain, cysiaulx, forsetes (v. 179) ;

boiste a ointure, esguilletes (v. 180) ;

aloine, cernoir, cordele (v. 181) ;

une grande tace belle (v. 182) ;

fil, aiguille et deel (v. 183) ;

lanieres pendans (v. 186) ;

la grant clef (v. 187) ;

le mastin on tient (v. 192) ;

la houlete bien taillée (v. 195) ;

la panetiere a pain (v. 198).

Instruments : flajol, tabour, musete ou chevriete (v. 145-147).

  • 30  Ainsi, pour nous en tenir à un texte déjà cité, Aélis fait une ceinture et une « aumosniere d’orfr (...)
  • 31  J. Blanchard, La pastorale en France, op. cit., p. 99 et 103.

10Même dans ce passage, Christine de Pizan se démarque de Jean de Brie. Les « gans blans » et les « aumosnieres » (v. 175) que portent les bergers, évoqués juste avant la liste des outils, sont des attributs traditionnels d’amoureux30 plutôt que de paysans. Leur présence, impensable dans Le Bon Berger, met la liste qui suit en perspective : loin de se limiter à leur fonction utilitaire, les outils deviennent, sous la plume de Christine, les éléments d’un tableau représentant des « bergiers qui gays se tiennent » (v.178). Tandis que Jean de Brie, par le recours répété à l’adjectif vieux – « vieille savate », « vieulx cuyr » (p. 73) –, suggère la simplicité, voire la pauvreté des bergers, Christine de Pizan n’évoque à aucun moment leur vie rude. L’absence, dans sa liste, du couteau pour « oster la rongne » (p. 72) ou du « grant chappeau de feutre rond et bien large » (p. 78), qui protège le berger de la pluie et du vent, participe des « effets de déréalisation » relevés par Joël Blanchard31. Mais ceux-ci n’aboutissent pas vraiment à une prise en charge par les « figures pastorales des valeurs courtoises », car de subtiles failles dans l’harmonie bucolique font ressortir le caractère à nos yeux parodique de la scène.

  • 32  Voir à ce sujet M Jeay, Le commerce des mots. L’usage des listes dans la littérature médiévale (XI (...)
  • 33  « Ars versificatoria » I, 75, Les arts poétiques du XIIe et du XIIIe siècle. Recherches et documen (...)

11La liste des outils du berger place Le Dit de la Pastoure non seulement dans le sillage du Bon Berger, mais l’apparente aux pièces relatives à L’Oustillement au vilain, dans lesquelles le jongleur dresse l’inventaire des biens domestiques32. Une telle liste a pour effet, du moins pour un public averti, de situer le texte dans le registre bas, celui du stilus humilis emblématiquement fixé dans la roue de Virgile. Du XIIIe au XVe siècle, de Mathieu de Vendôme33 à L’Infortuné, que nous citons ici, les auteurs des arts poétiques rappellent qu’il faut adapter les propos aux personnages :

  • 34  « L’Instructif de la seconde rhétorique », Le jardin de plaisance et fleur de rhétorique. Reproduc (...)

Pour personnages de labours
Ou aussi de gens de mestiers,
Soit de villes ou de faulx bourgs,
Soient maçons ou charpentiers,
Ou forgerons, ou argentiers,
Parlent de louër leurs outilz
En leur mestiers en tous quartiers.34

  • 35  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 230 : il s’agit d’un pain de qualité inférieure. La rime gentilz (...)
  • 36  Relevons qu’il n’est jamais question de nourriture en lien avec la noble compagnie ou les amours d (...)
  • 37  J. Blanchard, La pastorale en France, op. cit., p. 100.
  • 38  Le Bon Berger, éd. cit., p. 69.

12Au choix d’un personnage correspond un choix stylistique qui conditionne le lexique utilisé. Christine de Pizan a beau qualifier les « pastoureaulx » de « gentilz » (v. 229), ils n’en mangent pas moins du « pain faitis »35 accompagné de fromage ; ils offrent à leurs amies noix, noisettes, châtaignes et raisin. Comme les outils, la nourriture contribue à créer une atmosphère champêtre36 et relève d’un style rustique propre à susciter, par certains détails, le sourire d’un public de cour. Les bergers, menant « feste a desmesure » (v. 211), offrent une image dégradée du ballet aristocratique37. Leurs distractions, loin de se limiter au « jeu de merelles et du baston », comme le veut Jean de Brie38, semblent fort variés (v. 317), même si le texte ne mentionne explicitement que la « pelote » (v. 170), les quilles et les billes. Surtout, les bergers pratiquent « l’escremie » (v. 297) sous les yeux de leurs amies, avec des épées de bois et des boucliers fabriqués à l’aide d’écorces. « La veissiez vous de beaulx coups » (v. 301), s’exclame Marote, utilisant une formule qui, héritée de la tradition épique et romanesque, trahit l’ironie du propos. Par leur imitation maladroite des passe-temps aristocratiques, les bergers prêtent à (sou)rire, qu’ils jouent au tournoi ou qu’ils chantent une chanson aux relents populaires :

  • 39  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 244-246.

Larigot va larigot,
Mari, tu ne m’aimes mie,
Pour ce a Robin suis amie.39

  • 40  Cf. S. Lefèvre, « Le poète ou la pastoure », art. cit., p. 347. Le terme fonctionne comme « chante (...)

13Non seulement « larigot » désigne une flûte rustique, mais le substantif, isolé dans un récit où domine le vocabulaire courtois, sert à caractériser l’argot des bergers40. En plus, le chant plaide joyeusement pour le droit à tromper son mari plus qu’il ne célèbre l’amour d’une bergère pour un berger. Ce triangle érotique ne transpose pas le triangle courtois, avec sa loi du secret, dans le monde pastoral. Les bergers chantent l’érotisme et non un amour sublimé, de sorte que l’idylle bucolique, liée aux sens en émoi, s’apparente plutôt au monde des fabliaux ou de la nouvelle, voire aux amours enfantines des romans idylliques. Mesurée à la courtoisie (apparente) qui la marque de son sceau, la pastorale de Christine de Pizan tient de la parodie.

  • 41  Au sens où la définit Y. Citton, Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ?, (...)

14La position en retrait de Marote, qui ne participe pas aux jeux des armes et de l’amour, confirme le point de vue, distant et amusé, que la narratrice porte sur les bergers, les percevant à travers des lunettes teintées de courtoisie. Son attitude révèle le malaise de la bergère qui, dès le départ, rêve d’un monde plus parfait, au diapason de ses aspirations personnelles. Christine met ainsi en évidence la littérarité41 de la bergerie et rien ne traduit mieux la distance esthétique de Marote que les deux bergerettes qu’elle chante à la requête du seigneur. Elle y recourt à un vocabulaire courtois pour célébrer le « joli mestier » (v. 626) des bergers et des bergères qui tressent le muguet en « chappellet de flours » (v. 670). Le je de la chanteuse ne s’y inscrit que de manière fugitive, au début de la première bergerette :

  • 42  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 627-630.

Il n’est si jolis mestier
Com de mener en pasture
Ces aigneaulx sus la verdure,
Jamais faire aultre ne quier.42

  • 43  Sur le détournement de la pastourelle dans Le Dit de la Pastoure, cf. J. Blanchard, La Pastorale e (...)
  • 44  Cf. M. Zink, La pastourelle. Poésie et folklore au Moyen Âge, Paris, Bordas, 1972, p. 91-96.

15Contrairement au chant de la bergère dans les pastourelles43 du XIIIe siècle, où s’exhale le désir44, la bergerette clame ici le refus d’aimer. C’est bien là une chanson « nouvelle », inattendue. Dès qu’il est question d’amour, le je s’efface, comme si la chanteuse ne se sentait pas concernée : à travers la pièce lyrique, Marote résume la situation qui est la sienne au moment où le noble seigneur l’aborde. Le regard distant qu’elle porte sur les « amouretes » (v. 633) des bergers reste implicite dans la seconde bergerette, laquelle offre le tableau idéalisé de la vie pastorale, tel qu’un noble l’attend d’une poésie destinée à la cour. Marote sacrifie au goût de son auditeur en célébrant les « fines amours » (v.672) des bergers qui échangent fleurs et chants dans un bosquet idyllique.

  • 45  Dit de la Pastoure, op. cit., v. 352, 359, 394, 445.
  • 46  Jean Molinet, « L’Art de rhétorique », Recueil d’arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, Genè (...)
  • 47  La différence entre gentil et courtois est clairement énoncée dans Le Debat de deux amans (Œuvres (...)
  • 48  Comme le rappelle l’Amant dans les Cent ballades d’amant et de dame, éd. J. Cerquiglini, Paris, UG (...)

16Mais si bergers et bergères sont qualifiés de gentilz45 et ne pratiquent jamais la « rethorique rurale46 » condamnée par les arts poétiques, seule la compagnie du noble est présentée comme courtoise (v. 551). Seul le seigneur, capable de parler avec « grant courtoisie » (v. 611), trouve le chemin du cœur de Marote. Le choix des termes introduit une nuance, une gradation dans la perfection47 : la véritable courtoisie reste réservée à une élite, les bergers ne peuvent qu’imiter les nobles avec plus ou moins de bonheur. Robin a beau être assis sur un manteau bleu, couleur de la loyauté en amour48, son « large coutel » (v. 256) détonne dans le cadre courtois qu’il tâche de créer pour Marion :

  • 49  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 258-265 (nous soulignons).

Atout un large coutel,
Assis sus son bleu mantel,
Si fent la couldre par mi
Et dit que, par Saint Remi !
Esclisse fera de couldre,
Ensemble veult les bous couldre,
Si ara de flours chapiau
Moult bien suroré d’orpeau
Que s’amie a en sa bourse.49

  • 50  Les cent ballades d’amant et de dame, éd. cit., ballade XCII, v. 3.

17En répétant les gestes des fins amants, Robin s’en tient aux signes extérieurs. C’est là une attitude qui, à en croire les Cent ballades d’amant et de dame de Christine de Pizan, ne saurait être considérée comme une preuve d’amour aussi longtemps que l’amant ne confirme pas le symbolisme conventionnel par ses actes, servant la dame « de loyal cuer parfait »50. Bien que Robin invoque saint Rémi (qui a oint Clovis), suggérant une association possible avec le bleu des armoiries de France, il n’en est pas anobli pour autant. Le bleu ne s’allie ici pas vraiment à l’or, car le chapeau de fleurs n’est pas encore réalisé ; de surcroît, l’orpeau n’a de l’or que l’apparence, étant fait de fils de cuivre ou de laiton. Tout cela tient du déguisement et du jeu ; traversée de dissonances registrales, la scène laisse entendre ce « chant à côté » qu’est, selon son étymologie, la parodie. Il faut attendre l’arrivée de la noble compagnie pour que l’éclat de l’or pur resplendisse dans le monde pastoral, pour que le paraître corresponde enfin à l’être, autrement dit au statut social et à la dignité morale des personnages :

  • 51  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 509-512 : cf. v. 517-521, où l’or et l’argent contribuent à l’écl (...)

Frains dorez, selles couvertes
Avoyent blanches et vertes
Et de diverses couleurs
Faittes aux devises leurs.51

  • 52  Pastourelle VII, v. 51-56 (The Lyric Poems of Jehan Froissart, éd. cit., p. 163-164).
  • 53  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 355-356 et 348.

18Si Marote porte – comme déjà les bergers et les bergères de Froissart52 – un « chainse (…) blanc », elle possède aussi un « surcot vert »53. Or ce sont, avant même qu’elle l’ait rencontré, les couleurs du noble seigneur et de sa suite, arrivant sur des chevaux aux freins dorés et aux selles « couvertes blanches et vertes ». Pour la seconde rencontre, Marote choisira sa plus belle robe et revêtira consciemment la devise (v. 512) du prince. Le vert de sa « cotte » et le blanc de son « chainse », mis en évidence à la rime, se répondent cette fois à seulement deux vers de distance :

  • 54  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 749-752.

Mais ainçois bien m’atornay
D’estroitte cotte de vert ;
Mon peliçon fu couvert
D’un beau ridé chainse blanc.54

  • 55  Cf. D. Lalande, Jean II le Meingre, dit Boucicaut (1366-1421). Étude d’une biographie héroïque, Ge (...)

19Le vert et le blanc font partie des quatre couleurs personnelles du roi de France, mais ce sont plus précisément les couleurs que le maréchal Boucicaut avait faites siennes, quand il avait institué l’Ordre de l’Escu vert à la dame blanche le 11 avril 140055. Christine les associe à Charles d’Albret dans la louange qu’elle adresse à ce membre illustre de l’ordre dans une ballade :

  • 56  « Autres Ballades » III, v. 1-4, Œuvres poétiques de Christine de Pisan, éd. M. Roy, Paris, Didot, (...)

Bon chevalier, ou tous biens sont compris,
Noble, vaillant et de royal lignage,
Qui par valeur avez armes empris,
Dont vous portez la dame en verde targe.56

20Les habits de fête choisis par Marote se prêtent ainsi à une lecture plurielle. Couleurs de la pureté et de l’amour naissant, le blanc et le vert se lisent d’abord comme une déclaration de la bergère au seigneur. C’est ce que comprennent les bergers, étonnés par la recherche vestimentaire de Marote :

  • 57  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 770-771.

T’a ton pere fiancée,
Ou se tu as nouvelle pensée ?57

  • 58  Selon la ballade XXI des Autres ballades, éd. cit., p. 231-232.

21Mais en portant la devise du seigneur, Marote fait aussi acte d’allégeance, affichant son appartenance à sa mesnie. En filigrane s’inscrit dans le texte la louange d’un prince de lignage royal – Charles d’Albret est fils de Marguerite de Bourbon – qui pourrait être le mécène de la poétesse. Serait-ce lui le destinataire du Dit de la Pastoure comme il l’est du Debat des deux amans58 ?

  • 59  C’est-à-dire Œnone selon la cinquième épître des Héroïdes d’Ovide (« Œnone Paridi »).
  • 60  Cf. C. Beaune, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard (Folio), 1985, chap. I.
  • 61  Christine de Pizan s’inspire probablement de la version dite Prose 5 du Roman de Troie, comme en t (...)

22Charles Ier d’Albret fut nommé connétable de France en 1402. Sur cet arrière-fond, les amours de la bergère et du seigneur, de l’idylle aux absences prolongées de l’amant, pourraient avoir des implications plus concrètes, liées au contexte politique. L’insertion, dans le Dit, de l’histoire de Pâris et de « Senonné »59 (v. 1378), puis des amours d’Hercule et d’Omphale, semble le confirmer. Les deux récits mythologiques ne confèrent pas seulement au texte de Christine la valeur exemplaire des fables héritées de l’Antiquité ; ils thématisent la relation problématique entre arma et amor, entre vie publique et vie affective. En rappelant à son amie le sort de Senonné pour la mettre en garde contre un amour trop haut placé, Lorete choisit un exemple tiré de la matière troyenne, ce qui est loin d’être innocent : la noblesse française ne descend-elle pas en droite ligne des princes de Troie60 et le récit ovidien n’est-il pas connu, à la fin du Moyen Âge, grâce aux épîtres insérées dans la mise en prose du roman de Benoît de Sainte Maure61 ?… Quelle que soit la version, l’idylle entre Pâris et Senonné (Œnone) prend fin, quand le berger royal découvre qu’il est le fils de Priam. Comme le seigneur, à qui Marote a donné son cœur, il part à l’aventure… et tombe amoureux de la « roÿne Heleyne » (v. 1420), une dame de son rang, causant ainsi – ce que Lorete tait, mais que le public ne saurait ignorer – la ruine de Troie. Le récit mythologique se présente comme une variante pessimiste du roman idyllique, dans laquelle le couple, séparé pendant le long temps des épreuves, ne finit pas par se retrouver pour renouer avec le bonheur perdu.

  • 62  Le Roman de la Rose, éd. et trad. A. Strubel, Paris, Le Livre de Poche (Lettres gothiques), 1992, (...)
  • 63  Comme il l’est dans Le Livre du corps de policie, éd. A. J. Kennedy, Paris, Champion, 1998, livre (...)

23Roman idyllique avorté, le récit mythologique invite à relire le Dit sous cet éclairage : ne préfigure-t-il pas, selon Lorete, le malheur inéluctable qui guette Marote ? Lorete ne fait pas de Pâris un amant volage, homme et donc infidèle, tel que le dénonce la Vieille désabusée du Roman de la Rose62. Elle met en garde son amie contre un rêve des plus fragiles qui ne peut s’inscrire dans la durée : l’amour des débuts n’est qu’un leurre, l’idylle une illusion ! Pâris, en suivant sa vocation guerrière, a oublié son amie, ce qui aux yeux de la bergère prouve à quel point le monde bucolique et l’univers du chevalier sont incompatibles. Quand le prince déclare à Marote que lui et ses compagnons sont aussi des « pastouriaux » (v. 1102), cela est vrai tout au plus métaphoriquement : il est le (bon) berger de ses sujets63, mais il ne saurait pour autant partager la simple vie du peuple. Sa fonction sociale, son rang et son honneur l’appellent ailleurs, il se doit de s’exposer au hasard des combats et des tournois. N’a-t-il d’ailleurs pas, selon l’aveu même de Marote, le renom d’être un « vaillant » (v. 2273) parmi les preux ?

  • 64  Guillaume de Machaut, La Fontaine amoureuse, v. 1330, éd. et trad. J. Cerquiglini-Toulet, Paris, S (...)
  • 65  Cf. M. J. Ehrhart, « Guillaume de Machaut’s Dit de la fonteinne amoureuse, the choice of Paris, an (...)
  • 66  Voir La Fontaine amoureuse, éd. cit., v. 1181-1198, qui énumèrent les devoirs du prince.

24En passant sous silence les conséquences fatales des exploits de Pâris, Lorete construit son message de manière comparable à celui que les sculptures de La Fontaine amoureuse de Guillaume de Machaut transmettent au spectateur. Sur le marbre de la fontaine, à l’extérieur, est représenté le rapt d’Hélène, tandis qu’à l’intérieur, invisible à celui qui ne se penche pas sur le bassin, « estoit la bataille »64 d’Hector et d’Achille. Endroit de la médaille, la passion amoureuse attisée par Vénus occulte la guerre qui en est l’envers. Pâris65 – dont la rencontre avec les trois déesses est longuement développée – est le contre-modèle dont le prince de La Fontaine amoureuse doit éviter le côté sombre ; le poète, qu’il rencontre juste avant son départ en exil, au moment crucial où se joue le conflit entre l’amour et le devoir66, va lui servir de guide dans cette entreprise. Leur songe commun révèle au prince comment transformer sa situation en un idéal courtois vécu et assumé. Par la sublimation, le seigneur arrive à maîtriser la tristesse de la séparation et, grâce au songe (autrement dit à la poésie), il retrouve la joie et la force d’agir en homme d’état responsable.

  • 67  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 1609. Dans la Fontaine amoureuse, le seigneur s’endort dans le «  (...)

25Si la force persuasive du rêve, de la fiction littéraire, permet chez Guillaume de Machaut de trouver une issue à une situation de crise, tel n’est pas le cas de Christine de Pizan. À la courbe euphorique que dessine La Fontaine amoureuse, Le Dit de la Pastoure répond par une courbe dysphorique qui conduit à la solitude mélancolique de Marote. Alors que dans l’œuvre du maître champenois la complainte du prince sert de point de départ au récit, la complainte de la bergère délaissée est l’aboutissement de son parcours amoureux. Que Christine réponde à Machaut nous semble confirmé par un détail à première vue infime, mais qui en dit long sur le statut des deux textes. Après que Marote a confié ses rêves d’amour à Lorete, son amie s’exclame : « Hé Dieux ! que c’est bien songé ! » (Pastoure, v. 883). Le vers fait écho au vers sur lequel se clôt La Fontaine amoureuse, comme y fait écho la posture du seigneur qui, allongé sur l’herbe, pose sa tête dans le « giron »67 de Marote dans un moment de détente et de bonheur : « Dites moy, fu ce bien songié ? » (v. 2848).

26Au contraire de Machaut, chez qui le songe représente une force régénératrice, Lorete dénonce, en parlant de « songe », l’illusion d’un bonheur impossible. Marote souscrit sans le vouloir à ce jugement, alors même qu’elle oppose au mythe de Pâris et Senonné une lecture ad usum proprium du mythe d’Hercule et d’Omphale afin de prouver que la toute-puissance d’Amour brise jusqu’aux barrières sociales les plus fortes :

  • 68  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 1466-1469.

 Mais Amours si le lia
Et si fort humelia
Qu’il ne lui desplaisoit mie
Charpir laine avec s’amie.68

  • 69  René d’Anjou se moque d’Hercule réduit à l’état de « fol » par Omphale dans Le Livre du Cœur d’amo (...)
  • 70  Les Epistres des dames de Grece, éd. cit., p. 96.
  • 71  Œnone s’y réfère explicitement dans l’épître (Les Epistres, éd. cit., p. 96-97).

27Hercule se transforme certes en berger amoureux, mais c’est au prix d’une perte d’identité qui obéit au mécanisme du renversement parodique : sa métamorphose conduit à une féminisation et un abaissement qui, impliquant l’oubli de l’aventure, le rendent fatalement ridicule aux yeux d’un public aristocratique69. Le parcours héroïque qu’on attend du chevalier est décidément incompatible avec l’idylle à deux dans un cadre pastoral ! L’« amour bone et seüre »70, telle qu’Œnone, horrifiée par les ravages de la guerre, l’offre à Pâris dans la version en prose du Roman de Troie, n’est pas un idéal propre à séduire le chevalier. Le jeune prince ne prête pas plus l’oreille aux sombres prophéties de sa sœur Cassandre71 qu’au rêve de bonheur, auquel l’invite la nymphe délaissée !

  • 72  Le Livre du corps de policie, éd. cit., p. 1. Sur la description du « peuple » (où ne figurent pas (...)
  • 73  Ibid., p. 92 : « office » désigne la fonction dans la société.

28Dans Le Dit de la Pastoure, l’occultation des horreurs de la guerre ne fait que donner plus de poids à la conclusion que chacun doit rester à sa place, comme le pense Lorete, double raisonnable de Marote. Cette vision d’une société statique et hiérarchique domine, on le sait, tout au long du Moyen Âge qui y voit un garant d’ordre et de stabilité. Christine de Pizan la fait sienne dans Le Livre du corps de policie dont la première partie s’adresse aux princes, la seconde aux chevaliers, la troisième enfin « a l’université de tout le peuple »72. Tous les états, enseigne la poétesse, ont « leurs devoirs en leurs offices »73 et ne sauraient s’y soustraire sans mettre en péril le bien commun.

29La bergère ne peut donc s’éloigner du monde pastoral sans se retrouver dans un entre-deux sans répondant dans la réalité. Confrontée aux absences répétées du seigneur, que justifie son statut social, Marote adopte la posture caractéristique de l’amant courtois : le repli sur soi et la plongée dans des souvenirs teintés de regrets. Au temps circulaire du monde pastoral, sur lequel s’ouvre le récit, fait pendant, à la fin du parcours, une nouvelle forme d’immobilisme, liée au ressassement mélancolique. Aussi statiques l’une que l’autre, ni l’option bucolique, ni l’option courtoise n’ouvrent la voie à un amour qui puisse s’inscrire dans la durée et dans la réalité. En se rencontrant toujours en marge du monde pastoral, la bergère et le seigneur marquent leur refus d’une bucolique qui prête à sourire. Ces brefs moments d’entente font miroiter le rêve, illusoire et éphémère, d’une transgression possible des normes sociales, mais le choix courtois rétablit la distance en réinscrivant la bergère dans sa solitude : il lui impose de célébrer dans la douleur l’altérité de l’être aimé et absent.

  • 74  Le terme est de S. Lefèvre, « Le poète ou la pastoure », art. cit., p. 354.
  • 75  Cf. G. L. Smith, The Medieval French Pastourelle Tradition, op. cit., p. 236-237.

30Alors que chez Guillaume de Machaut, la fin’amor aboutit à un dépassement de soi et à une maîtrise de la réalité à travers la fiction et la sublimation, l’idéal représente une impasse chez Christine de Pizan. L’imaginaire bucolique et l’imaginaire courtois, figés par la tradition, ne parviennent pas à une fusion qui permettrait de les régénérer. À la confiance du clerc dans le pouvoir de la littérature répond le « désenchantement74 » du Dit de la Pastoure : le récit exprime une méfiance face à la rhétorique amoureuse75, il met en évidence l’inadéquation au monde d’un héritage littéraire qui n’offre pas de solution aux aspirations de Christine, car la bergère – même « encourtoisée » – ne réussit pas à s’intégrer à la société aristocratique.

31Si l’on admet que Charles d’Albret est le commanditaire de l’œuvre, le Dit thématise, en filigrane, la difficile relation entre la poétesse et le mécène. Malgré la fascination pour un héritage culturel commun, partagé à de rares moments privilégiés, la distance entre l’écrivaine et le prince ne s’abolit pas pour donner lieu à une connivence telle que la décrit Guillaume de Machaut dans La Fontaine amoureuse. Le sentement de l’une et la vocation guerrière de l’autre ne trouvent pas de terrain d’entente stable ; la posture courtoise de Marote signe la fin de son rêve égalitaire et marque la distance, codifiée, qui règle les rapports entre la poétesse et le prince. Elle ne peut lui dire son amour (son attachement) que de loin, s’unissant aux autres dans une prière à sa gloire. Comme la bergère, l’écrivaine doit rester à sa place, au service d’un seigneur digne d’admiration, qu’elle célèbre… et divertit, quand ses activités lui en laissent le temps. Alors que, pour Christine, la littérature sert ou devrait servir à véhiculer des enjeux existentiels et personnels, elle relève du loisir pour la noblesse. Tel est l’antagonisme, fondamental, que le Dit ne parvient pas à résoudre, de sorte que l’idylle sous ses différentes formes – bucolique, amoureuse, sociale – reste en fin de compte stérile, lettre morte.

32Il faudra attendre la fin de la vie de Christine de Pizan et l’apparition de Jeanne d’Arc sur les champs de bataille pour qu’une simple bergère puisse s’élever et trouver sa place parmi les chevaliers et, par ricochet, dans l’histoire. La Pucelle incarne un nouvel idéal, digne d’être chanté, où s’allient exceptionnellement les qualités de la pastoure et celles du guerrier :

  • 76  Christine de Pizan, Le Ditié de Jehanne d’Arc, v. 273-277, éd. A. J. Kennedy et K. Varty, Oxford, (...)

Une fillete de .XVI. ans
(N’est-ce pas chose fors nature ?),
A qui armes ne sont pesans,
Ains semble que sa norriture
Y soit, tant y est fort et dure !76

  • 77  Sur la présence de la Bible dans le Ditié, cf. J.-F. Kosta-Théfaine, La poétesse et la guerrière. (...)
  • 78  Sur cette notion, voir notre article cité à la note 2.
  • 79  Le terme est emprunté à René Girard, Les origines de la culture, Paris, Hachette (Littératures), 2 (...)

33La bergère en armes est une manifestation « fors nature ». Mais cette fois, loin de se trouver en inadéquation avec le monde, elle se transforme en instrument de Dieu dans l’histoire des hommes. Son intervention providentielle relève du miracle et, emblématiquement, le chant à la louange de Jeanne d’Arc égrène ses strophes comme autant de versets bibliques77. Au contraire du Dit de la Pastoure, qui signale les limites d’une écriture bucolique ou courtoise tout au plus capable d’offrir une consolation éphémère, Le Ditié de Jehanne d’Arc illustre l’utilité d’un discours né sous le poids des événements. Le miracle s’oppose à la fiction, la littérature « engagée »78 au rêve illusoire de bonheur, tel que le propose la tradition courtoise ou idyllique. En fin de compte, Le Dit de la Pastoure propose une réflexion sur la difficulté, voire l’impossibilité d’actualiser des modèles d’écriture dépassés, réduits à la fonction de passe-temps. Christine de Pizan dénonce un désir mimétique79 stérile : quand le seigneur joue au pastoureau et que Marote adopte la posture de la dame courtoise, ils tentent et échouent à façonner la réalité selon leurs souvenirs littéraires. Parlera-t-on, du moins pour la bergère, d’un bovarysme avant l’heure ?

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Notes

1  Alphonse Daudet, « Les Douaniers », Lettres de mon moulin, Lausanne, La Guilde du Livre, s. d., p. 96.

2  Cf. S. Kay, The Place of Thought. The Complexity of One in Late Medieval French Didactic Poetry, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2007, chap. 6 ; J.-C. Mühlethaler, « Une génération d’écrivains ‘embarqués’ : le règne de Charles VI ou la naissance de l’engagement littéraire en France », Formes de l’engagement littéraire (XVe–XXIe siècles), éd. J. Kaempfer, S. Florey et J. Meizoz, Lausanne, Antipodes, 2006, p. 15-32.

3  « Le Dit de la Pastoure », v. 36, Œuvres poétique de Christine de Pisan, éd. M. Roy, New York, Johnson Reprint, 1965 (= Paris, 1891), vol. II, p. 224. Toutes les citations sont tirées de cette édition.

4  J. Blanchard, La pastorale en France aux XIVe et XVe siècles. Recherches sur les structures de l’imaginaire médiéval, Paris, Champion, 1983, p. 116-117.

5  G. L. Smith, « De Marotele au Lai mortel : la subversion discursive du code courtois dans deux ouvrages de Christine de Pizan », Au champ des escriptures. IIIe Colloque international sur Christine de Pizan, éd. E. Hicks, D. Gonzalez et P. Simon, Paris, Champion, 2000, parle encore de « fable autobiographique » (p. 654).

6  C’est le point de vue défendu par D. Lechat, « Dire par fiction ». Métamorphoses du je chez Guillaume de Machaut, Jean Froissart et Christine de Pizan, Paris, Champion, 2005, p. 386-392.

7  Cf. L. J. Walters, « The figure of the seulette in the works of Christine de Pizan and Jean Gerson », Desireuse de plus avant enquerre… Actes du VIe Colloque international sur Christine de Pizan, éd. L. Dulac, A. Paupert, C. Reno et B. Ribémont, Paris, Champion, 2008, p. 119-139. L’adjectif revient au v. 2057 du Dit de la Pastoure.

8  Le Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 627-648. Elle en chante encore une seconde (v. 667-677) : nous y reviendrons.

9  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 621-624.

10  Sur la notion de nouveauté, cf. N. Labère, Défricher le jeune plant. Étude du genre de la nouvelle au Moyen Âge, Paris, Champion, 2006, p. 59-67.

11  Jean Renart, L’Escoufle, éd. F. Sweetser, Genève, Droz, 1974, v. 5525.

12  L’expression est de Marion Vuagnoux-Uhlig, Le Couple en herbe. ‘Galeran de Bretagne’ et ‘L’Escoufle’ à la lumière du roman idyllique médiéval, Genève, Droz, 2009, p. 360, dont on relira avec profit les pages consacrées à la scène de L’Escoufle (p. 351-364).

13  Sur cet aspect-clé du lyrisme, cf. D. Lechat, « La place du sentement dans l’expérience lyrique aux XIVe et XVe siècles », Perspectives médiévales, supplément au n° 28, 2002 (L’expérience lyrique au Moyen Âge), p. 193-207. Mais, comme le relève P. Jeserich, Musica naturalis. Tradition und Kontinuität spekulativ-metaphysischer Musiktheorie in der Poetik des französischen Spätmittelalters, Stuttgart, Steiner, 2008, p. 366-371, il faut rattacher le « sentement » à l’instinctus naturalis qui, dans la conception boécienne de la musique, est à la base de l’acte créateur : le terme cache des enjeux philosophico-poétiques.

14  Sur les insertions lyriques et leur dimension narrative, cf. S. Lefèvre, « Le poète ou la pastoure », Revue des langues romanes, 92, 1988, p. 346-352.

15  Comme le note G. L. Smith, The Medieval French Pastourelle Tradition, Poetic Motivations and Generic Transformations, Gainesville, University Press of Florida, 2009, p. 189, le Dit est « a feminine rewriting of the pastourelle and a feminized, pastoral rewriting of the more contemporary dit amoureux ».

16  Londres, British Library, Harley 4431, fol. 223 ; Paris, BnF, fr. 836, fol. 48.

17  N. Kobayashi, « La dernière étape de l’enluminure des Œuvres de Christine de Pizan », Art de l’enluminure 18, 2006, p. 63 (commentaire aux miniatures des manuscrits cités à la note 13).

18  Virgile, Georgiche, éd. et trad. G. Biagio Conte, Milan, Mondadori, 1980, livre III, v. 295 : Incipiens (…) edico (…).

19  Georgiche, éd. cit., livre III, v. 299 (scabiem, podagras).

20  Le Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 109 : il s’agit de la gale.

21  W. D. Paden, « Christine de Pizan as a reader of the medieval pastourelle », Conjunctures. Medieval Studies in Honor of Douglas Kelly, éd. K. Busby et N. J. Lacy, Amsterdam, Rodopi, 1994, p. 395-400, est à notre connaissance le seul à esquisser la comparaison, dégageant, au-delà des effets de réel chez Christine, sa « more playful » (p. 400) vision de la bergerie.

22  Le Bon Berger ou Le vray regime et gouvernement des bergers et bergères composé par le rustique Jehan de Brie, réimprimé sur l’édition de Paris (1541), éd. P. Lacroix, Paris, Liseux, 1879, chap. III : « De l’honneur et estat du bergier ». Cf. G. Holmér, « Jean de Brie et son traité de l’art de la bergerie », Studia neophilologica, 39, 1967, p. 128-149.

23  Cf. L. Staley, Languages of Power in the Age of Richard II, Philadelphia, Pennsylvania State University Press, 2006, p. 291-293.

24  Cf. J. Blanchard, « La pastorale et le ressourcement des valeurs courtoises au XVe siècle », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 39, 1987, p. 9-10.

25  On ne tond pas les brebis en mai (et ce n’est d’ailleurs pas le travail du berger) : les différents travaux de la bergère se répartissent sur toute l’année, comme le décrit Jean de Brie.

26  Les bobelins sont des chaussures à l’usage du peuple, proches du brodequin.

27  Dans la Pastourelle VII, Froissart offre une liste (v. 33-59) dont certains éléments se recoupent avec ceux énumérés par Christine (The Lyric Poems of Jean Froissart, éd. R. R. McGregor, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1975, p. 163-164).

28  Voir l’ouverture de la première églogue où Tityre, la flûte à la main, taquine la silvestrem musam (v. 2).

29  Le Bon Berger, éd. cit., p. 71-81.

30  Ainsi, pour nous en tenir à un texte déjà cité, Aélis fait une ceinture et une « aumosniere d’orfroi » à l’intention de la dame de Montpellier (L’Escoufle, éd. cit., v. 5560-5563).

31  J. Blanchard, La pastorale en France, op. cit., p. 99 et 103.

32  Voir à ce sujet M Jeay, Le commerce des mots. L’usage des listes dans la littérature médiévale (XIIe–XVe siècles), Genève, Droz, p. 232-243, mais qui n’évoque pas Le Dit de la Pastoure.

33  « Ars versificatoria » I, 75, Les arts poétiques du XIIe et du XIIIe siècle. Recherches et documents sur la technique littéraire du Moyen Âge, éd. E. Faral, Paris, Champion, 1982, p. 135-136.

34  « L’Instructif de la seconde rhétorique », Le jardin de plaisance et fleur de rhétorique. Reproduction en fac-similé de l’édition publiée par Antoine Vérard vers 1501, Paris, Didot, 1910, fol. 14v (nous soulignons).

35  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 230 : il s’agit d’un pain de qualité inférieure. La rime gentilz / faitis fait emblématiquement ressortir les interférences registrales du passage.

36  Relevons qu’il n’est jamais question de nourriture en lien avec la noble compagnie ou les amours de Marote et du seigneur.

37  J. Blanchard, La pastorale en France, op. cit., p. 100.

38  Le Bon Berger, éd. cit., p. 69.

39  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 244-246.

40  Cf. S. Lefèvre, « Le poète ou la pastoure », art. cit., p. 347. Le terme fonctionne comme « chanter le dalalo » (v. 150) qui, dans Regnault et Jehanneton (éd. M. Du Bos, Paris, Boccard, 1923), caractérise la rusticité des bergers.

41  Au sens où la définit Y. Citton, Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2007, p. 59-63.

42  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 627-630.

43  Sur le détournement de la pastourelle dans Le Dit de la Pastoure, cf. J. Blanchard, La Pastorale en France, op. cit., p. 101-102 ; W. D. Paden, « Christine de Pizan as a reader of the medieval pastourelle », art. cit., p. 387-390, qui souligne l’importance de Froissart et notamment de la pastourelle VIII.

44  Cf. M. Zink, La pastourelle. Poésie et folklore au Moyen Âge, Paris, Bordas, 1972, p. 91-96.

45  Dit de la Pastoure, op. cit., v. 352, 359, 394, 445.

46  Jean Molinet, « L’Art de rhétorique », Recueil d’arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, Genève, Slatkine Reprints, 1974, p. 249. Christine de Pizan déclare dès le prologue qu’elle recherchera les rimes « leonimes » (v. 16) et même le chant des bergers (v. 244-246) ne recourt pas à la rime imparfaite. L’élaboration formelle en dit long sur l’esthétisation et la littérarité du monde pastoral.

47  La différence entre gentil et courtois est clairement énoncée dans Le Debat de deux amans (Œuvres poétiques, éd. cit., vol. II, p. 58), v. 309-310 : « Sot il assez que gentillece monte / Courtoisie (…) ». La noblesse de comportement (gentillesse) est soumise à la courtoisie dont elle rehausse l’éclat.

48  Comme le rappelle l’Amant dans les Cent ballades d’amant et de dame, éd. J. Cerquiglini, Paris, UGE (10/18), 1982, ballade XCI, v. 2-5.

49  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 258-265 (nous soulignons).

50  Les cent ballades d’amant et de dame, éd. cit., ballade XCII, v. 3.

51  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 509-512 : cf. v. 517-521, où l’or et l’argent contribuent à l’éclat des vêtements.

52  Pastourelle VII, v. 51-56 (The Lyric Poems of Jehan Froissart, éd. cit., p. 163-164).

53  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 355-356 et 348.

54  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 749-752.

55  Cf. D. Lalande, Jean II le Meingre, dit Boucicaut (1366-1421). Étude d’une biographie héroïque, Genève, Droz, 1988, p. 93-94.

56  « Autres Ballades » III, v. 1-4, Œuvres poétiques de Christine de Pisan, éd. M. Roy, Paris, Didot, 1886, vol. I, p. 210. La ballade II est aussi à la louange de Charles d’Albret.

57  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 770-771.

58  Selon la ballade XXI des Autres ballades, éd. cit., p. 231-232.

59  C’est-à-dire Œnone selon la cinquième épître des Héroïdes d’Ovide (« Œnone Paridi »).

60  Cf. C. Beaune, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard (Folio), 1985, chap. I.

61  Christine de Pizan s’inspire probablement de la version dite Prose 5 du Roman de Troie, comme en témoigne le nom de Senonné : voir Les Epistres des dames de Grece, éd. L. Barbieri, Paris, Champion, 2007, p. 93-98 (« Cenona a Paris »).

62  Le Roman de la Rose, éd. et trad. A. Strubel, Paris, Le Livre de Poche (Lettres gothiques), 1992, v. 13219-13232. La rime « Senoné » / « doné » et le vers 1379 (« Si lui a son cuer donné ») du Dit de la Pastoure font écho aux v. 13219-13220 du Roman de la Rose : « Que fist Paris de Enoné / Ki cuer et cors li ot doné ? ».

63  Comme il l’est dans Le Livre du corps de policie, éd. A. J. Kennedy, Paris, Champion, 1998, livre I, chap 9.

64  Guillaume de Machaut, La Fontaine amoureuse, v. 1330, éd. et trad. J. Cerquiglini-Toulet, Paris, Stock (Moyen Âge), 1993, p. 116.

65  Cf. M. J. Ehrhart, « Guillaume de Machaut’s Dit de la fonteinne amoureuse, the choice of Paris, and the duties of rulers », Philological Quarterly, 59, 1980, p. 119-139.

66  Voir La Fontaine amoureuse, éd. cit., v. 1181-1198, qui énumèrent les devoirs du prince.

67  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 1609. Dans la Fontaine amoureuse, le seigneur s’endort dans le « giron » (v. 1545) du poète, posture qui est à l’origine du songe partagé par les deux hommes.

68  Dit de la Pastoure, éd. cit., v. 1466-1469.

69  René d’Anjou se moque d’Hercule réduit à l’état de « fol » par Omphale dans Le Livre du Cœur d’amour épris, éd. et trad. F. Bouchet, Paris, Livre de Poche (Lettres gothiques), 2003, p. 414-418 (v. 1970-2008).

70  Les Epistres des dames de Grece, éd. cit., p. 96.

71  Œnone s’y réfère explicitement dans l’épître (Les Epistres, éd. cit., p. 96-97).

72  Le Livre du corps de policie, éd. cit., p. 1. Sur la description du « peuple » (où ne figurent pas les bergers) et ses implications politiques, cf. S. Dudash, « Christine de Pizan and the ‘menu peuple’ », Speculum, 78, 2003, p. 796-802 ; T. Adams, « The political significance of Christine de Pizan’s Third Estate in the Livre du corps de policie », Journal of Medieval History, 35.4, 2009, p. 385-398.

73  Ibid., p. 92 : « office » désigne la fonction dans la société.

74  Le terme est de S. Lefèvre, « Le poète ou la pastoure », art. cit., p. 354.

75  Cf. G. L. Smith, The Medieval French Pastourelle Tradition, op. cit., p. 236-237.

76  Christine de Pizan, Le Ditié de Jehanne d’Arc, v. 273-277, éd. A. J. Kennedy et K. Varty, Oxford, Blackwell, 1977, p. 34.

77  Sur la présence de la Bible dans le Ditié, cf. J.-F. Kosta-Théfaine, La poétesse et la guerrière. Lecture du « Ditié de Jehanne d’Arc » de Christine de Pizan, Lille, BookEdition, 2008, p. 11-30.

78  Sur cette notion, voir notre article cité à la note 2.

79  Le terme est emprunté à René Girard, Les origines de la culture, Paris, Hachette (Littératures), 2006, p. 61-68.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Claude Mühlethaler, « Du rêve idyllique au leurre courtois »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 20 | 2010, 43-58.

Référence électronique

Jean-Claude Mühlethaler, « Du rêve idyllique au leurre courtois »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 20 | 2010, mis en ligne le 30 décembre 2013, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12208 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12208

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Auteur

Jean-Claude Mühlethaler

Université de Lausanne

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