Claude de Seyssel. Écrire l’histoire, penser le politique en France, à l’aube des temps modernes,éd. Patricia Eichel-Lojkine
Claude de Seyssel. Écrire l’histoire, penser le politique en France, à l’aube des temps modernes,éd. Patricia Eichel-Lojkine, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, 264p.
ISBN 978-2-7535-1092-0.
Texte intégral
1En introduction de ces actes d’un colloque organisé par l’université du Mans en mars 2008, Patricia Eichel-Lojkine brosse le portrait de Claude de Seyssel (c. 1450-1520) comme prélat de cour, diplomate, épistolier, penseur politique, traducteur, historien et théologien. Les contributions, qui s’articulent autour de trois grands thèmes, « la politique et le droit », « la société, le pouvoir et l’histoire », « le diplomate, l’humaniste et le juriste », portent un regard neuf sur la période charnière entre Moyen Âge et Renaissance, où se développe la philologie, à la faveur du renouveau des études grecques et hébraïques, et où se propage l’humanisme chrétien d’Érasme.
2Comme humaniste, Claude de Seyssel connaît bien le régime politique mixte, né de la combinaison de la monarchie, de l’aristocratie et de la démocratie, qui, d’après Aristote, permet de limiter les dérives de chacun des systèmes. Arlette Jouanna explique que si l’idée du mélange entre ces trois régimes se retrouve dans son œuvre majeure, la Monarchie de France (1519), elle ne s’y trouve que « sous la forme d’avatars plutôt surprenants » (p. 16). Ullrich Langer s’interroge sur ce qui chez Seyssel contraint l’exercice du pouvoir royal – la religion, la justice et la police –, et qu’il nomme des « freins ». L’étude de ce vocabulaire symbolique, qui provient de la tradition platonicienne « colorée par la modification du concept de la tempérance chez saint Augustin et la tradition scolastique » (p. 39) amène à considérer que le pouvoir royal est moins limité par des institutions que par la vertu personnelle du monarque.
3Comme le montre Laurent Bourquin, Claude de Seyssel accorde une place importante à la noblesse : il lui reconnaît une utilité sociale, par l’action stabilisatrice qu’elle exerce sur l’ensemble de la communauté, et une utilité politique, par une « collaboration active entre un État royal modernisé et une noblesse régénérée » (p. 82). Franck Collard compare les visions politiques de Seyssel et Gaguin dans la Monarchie de France et des Louenges du roy Louys XII (1508). Il met en évidence les convergences sur la fiscalité, le souci du bien public et la crainte des factions, mais note aussi des différences entre Claude de Seyssel qui « loue la dynamique de la société politique » et Gaguin qui « se rattache plus au vieux pessimisme des clercs face aux pouvoirs terrestres » (p. 60). Il suppose que Gaguin est plus sensible à l’origine du pouvoir que Claude de Seyssel qui ne s’attache qu’à son fonctionnement et à ses formes. Joël Blanchard se demande si Claude de Seyssel a eu connaissancedes Mémoires de Commynes, qui n’ont été publiés qu’en 1524 et qui n’ont connu jusque-là qu’une diffusion restreinte sous forme manuscrite, puis il entreprend la comparaison de cet ouvrage avec la Monarchie de France.
4Patricia Eichel-Lojkine rappelle que « l’idée fondamentale de la Monarchie de France est de concilier l’idée d’harmonie et de concorde sociales avec celle de mouvement, à la différence des représentations traditionnelles d’un système idéal figé » (p. 11). Dans ce cadre, Nicole Hochner tente de cerner la mobilité sociale dans la pensée de Claude de Seyssel et signale l’usage de la métaphore organique, du discours médical, et du vocabulaire républicain dans son écriture. Elle pense que Seyssel ne cherche pas à nuire aux élites, mais qu’il aspire à une conception plus généreuse du corps politique en proposant une réflexion originale de la monarchie mixte et modérée.
5Les idées de Seyssel et de Machiavel sont souvent rapprochées en raison de la concomitance de l’écriture de la Monarchie de France en 1515 et de celle du Prince en 1513. Malgré la concordance du temps de l’écriture de ces deux textes politiques novateurs, Jean-Louis Fournel démontre qu’il ne faut pas confondre la proximité des termes utilisés avec des convergences idéologiques. Par l’étude sémantique des verbes « régir » et « gouverner », ou de noms comme « freins », « police » et « lo stato », il montre que les deux auteurs n’ont en commun « que l’obsession d’éviter la corruption de l’État et d’écarter l’épouvantail classique de la tyrannie » (p. 118). La comparaison de la Monarchie de France de Seyssel et du Discours sur les quatre estats de Du Bellay, permet à Michèle Clément de réfléchir sur l’ordre social entre 1515 et 1559. Sa contribution souligne que le modèle social de Seyssel, fondé sur la noblesse, le peuple gras et le peuple menu, est plus proche des modèles italiens que de celui de la monarchie française fondé sur le clergé, la noblesse et le Tiers État. Au modèle de Seyssel s’ajoute une conception de la mobilité sociale pensée comme une « espérance » nécessaire à la paix sociale et à la conservation de la monarchie. Michèle Clément en déduit que Seyssel n’est pas seulement le penseur de la monarchie tempérée, mais aussi celui d’un ordre social différent de celui que propose le modèle de Machiavel.
6Patricia Eichel-Lojkine indique que dans les Louenges du roy Louis XII, ce mélange d’histoire de France, d’éloges royaux et de mémoires, Claude de Seyssel glorifie la politique de son roi par comparaison avec celle de ses prédécesseurs. Jean-Marie Constant s’intéresse à la trace qu’a laissée l’œuvre de Seyssel dans la littérature, en prenant l’exemple de L’Astrée (1607) où il relève un rêve de liberté, de pouvoir de proximité et de monarchie peu contraignante, qui prolonge l’idée de Seyssel sur la nécessité de « freins » au pouvoir monarchique.
7Marie-France Renoux-Zagamé situe Seyssel entre les préceptes enseignés par l’École, et les principes, la pratique et le discours du Palais, en insistant sur sa formation juridique, son expérience de professeur de droit et celle de recteur. Federico Alessandro Goria atteste que Seyssel s’intéresse au problème de transmission du droit féodal par la nécessité d’y mettre de l’ordre. Laurent Vissière offre du personnage un visage différent en relatant ses nombreuses ambassades au service du roi de France. Il définit son rôle dans « l’affaire de Furno », crise diplomatique entre les cantons suisses et la Savoie, et met en relief ses talents d’épistolier et d’agent royal. Philippe Torrens étudie Claude de Seyssel en tant que traducteur des historiens antiques. Il compare sa traduction partielle des Guerres civiles d’Appien (c. 1510), que Lascaris l’a aidé à réaliser, avec la traduction antérieure de Piero Candido Decembrio (c. 1455), et il remarque que Seyssel accorde plus d’importance à la clarté et à l’utilité politique du texte qu’à la langue grecque. Cette étude permet également de marquer le rôle des traductions dans l’enrichissement de la pensée politique de Claude de Seyssel. Enfin, Cédric Michon aide à comprendre l’écriture de l’histoire des rois de France après Claude de Seyssel grâce à une analyse des Mémoires de Commynes, qui retracent le règne de Louis XI, et surtout de ceux des frères Du Bellay, qui s’intéressent au règne de François Ier. Béatrice Beys termine l’ouvrage par l’analyse de gravures de scènes de dédicaces où Seyssel apparaît à dix reprises comme donateur.
8Si ce livre n’examine pas tous les visages de Claude de Seyssel, il enrichit l’image du personnage, qui n’apparaîtra plus désormais seulement comme le penseur de la monarchie tempérée. Cette première étude consacrée au grand théoricien de la monarchie constitue un ouvrage de référence. En particulier, elle met en évidence comment la traduction par Seyssel des historiens antiques et la rédaction de textes historiographiques ont conditionné l’évolution de sa pensée politique.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Paul Straetmans, « Claude de Seyssel. Écrire l’histoire, penser le politique en France, à l’aube des temps modernes,éd. Patricia Eichel-Lojkine », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 18 février 2011, consulté le 02 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12194 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12194
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