Des villes en révolte. Les « Républiques urbaines » aux Pays-Bas et en France pendant la deuxième moitié du XVIe siècle,éd. Monique Weis
Des villes en révolte. Les « Républiques urbaines » aux Pays-Bas et en France pendant la deuxième moitié du XVIe siècle,éd. Monique Weis, Turnhout, Brepols, 2010, 96p.
ISBN 978-2-503-52664-5.
Texte intégral
1Cet ouvrage réunit les actes d’une journée d’études sur Les Républiques calvinistes aux Pays-Bas organisée par Monique Weis à l’Université libre de Bruxelles. En introduction, l’organisatrice rappelle que les provinces septentrionales des Pays-Bas, sous influence calviniste, se sont affranchies du pouvoir espagnol en se constituant en république sous le nom de Provinces-Unies, tandis que plusieurs villes des Flandres et du Brabant ont mis en place des régimes insurrectionnels, entre 1577 et 1585, que les historiens ont nommés « républiques calvinistes ». Ces régimes insurrectionnels ont placé, dans les Conseils de ces villes, des calvinistes soucieux de la conservation des anciens privilèges de leur cité, source de leur autonomie. Certains sont allés jusqu’à interdire le culte catholique, ce qui a eu de fortes répercussions sur la vie économique, sociale et culturelle. La reconquête de ces villes du Nord par Alexandre Farnèse a mis un terme à une expérience politique où les historiens libéraux du XIXe siècle ont vu la manifestation d’une résistance à la « tyrannie » espagnole, tandis que les historiens catholiques ont condamné la « tyrannie » instaurée par les calvinistes. Au milieu du XXe siècle, on a tenté une synthèse des connaissances sur ces événements, en privilégiant les aspects économiques et sociaux, analysés en termes de « dictature révolutionnaire ». Mais cette notion de « république calviniste », due à André Despretz, et celle de « république urbaine » ont été reprises par l’historiographie sans faire l’objet d’un examen critique suffisant. Cette journée d’études actualise cette approche historique et prend en compte les assises politiques, religieuses et surtout idéologiques de la révolte.
2Par l’historiographie de ces événements, Marc Boone situe les « grande et petite traditions » de rébellion urbaine dans la culture des Pays-Bas : d’une part l’opposition à un État central, et d’autre part la contestation des édiles municipaux. Ces pratiques politiques se fondent sur une tradition parlementaire qui échappe au contrôle du prince. Marc Boone s’interroge également sur l’impact de la propagande à l’intérieur des villes qui a permis le développement d’une piété religieuse individualisée antérieure à la Réforme. Il conclut que ces « républiques calvinistes » ont leurs origines dans une tradition médiévale déjà bien connue.
3Guido Marnef fonde son intervention sur une citation de Ludovico Guicciardini de 1566 qui signale que le gouvernement d’Anvers est caractérisé par de nombreux et importants privilèges, acquis au cours du temps, lui permettant de se conduire en ville libre ou en république, tout en respectant les droits et l’autorité de son prince. Il explique ce constat par de multiples événements marquant l’histoire de la ville et de ses rapports avec la puissance politique. Il termine par une interrogation sur le bien fondé de l’appellation de « république » pour un tel régime.
4La crise économique et la menace des troupes espagnoles sont restées constantes durant l’éphémère « république calviniste » de Gand. Anne-Laure Van Bruaene observe que la mise en place rapide d’une nouvelle culture publique, fondée sur un calvinisme affirmé, a été facilitée par l’instabilité de la situation politique. La restauration de cette stabilité, et le rappel de symboles communautaires issus de la période médiévale, ont assuré à ce régime un bon accueil de la population. Mais, dans une population travaillée par les calvinistes les plus radicaux des Pays-Bas, la culture politique ancienne qui avait été restaurée n’a pas pu se maintenir.
5Comme historien de l’art, Olivier Cammaert relativise les pratiques iconoclastes pendant la « République calviniste de Bruxelles ». Il remarque que l’origine politique de cette république n’est pas due à des opinions religieuses, mais à l’hostilité vis-à-vis des Espagnols. Il observe également que les saccages ont été le fait de groupes incontrôlés, pendant l’absence des autorités militaires, tandis que la transformation d’églises en temples calvinistes, décidée par ces autorités, s’est opérée sans destruction systématique des reliques.
6Pour Frédéric Duquenne, la contestation des échevinages à Douai et Arras en 1577 et 1578 est liée à la révolte des Pays-Bas espagnols dont ces villes faisaient partie. Cette insurrection s’apparente plus à une « république urbaine » qu’à une « république calviniste » compte tenu de la faible présence protestante.
7Hugues Daussy rappelle que les « républiques calvinistes » des Pays-Bas ne sont pas un phénomène isolé en Europe et que les « guerres de religion » ont permis également l’expérience de « républiques urbaines » dans certaines régions du Midi et de l’Ouest de la France pendant la seconde moitié du XVIe siècle. Il compare les origines politiques et religieuses de ces expériences originales où la défense des privilèges urbains vis-à-vis de la monarchie est le principal argument invoqué. Mais l’autonomie progressive et durable des villes françaises, doublée d’une fidélité constante au roi, les différencie du caractère insurrectionnel des villes calvinistes des Pays-Bas.
8En prenant l’exemple d’Amiens, bastion du catholicisme, pendant la Ligue (1589-1594), Olivia Carpi semble sortir du thème de cette journée d’études. Or, malgré la différence de religion, les points communs sont nombreux entre Amiens et les villes des Pays-Bas méridionaux : la prise de son indépendance vis-à-vis du monarque, la stabilité du régime municipal et la conception de la res publica, permettent cette analogie. Olivia Carpi remarque que dans cette « république catholique », l’absence d’excès, la fidélité des édiles et de toute la population aux traditions, aux droits et aux institutions, n’a pas pu constituer un régime pérenne Enfin, Philip Benedict conclut cet ouvrage en se demandant ce qu’il y a de vraiment calviniste dans les « républiques calvinistes » des Flandres et du Brabant.
9En conclusion, l’utilisation du vocable de « république » pour désigner les régimes insurrectionnels éphémères des villes de Flandres et du Brabant au XVIe siècle peut paraître un anachronisme. Tous les textes réunis montrent que ces « républiques urbaines » sont assez éloignées de ce que nous nommons, aujourd’hui, « républiques ». Le fonctionnement politique de toutes les cités étudiées est plus issu de traditions médiévales que de nouvelles théories sur la « chose publique », qui n’apparaîtront en Angleterre et en France qu’au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais pour Monique Weis, la notion de « république urbaine » n’est pas anachronique, car elle renvoie à celle de res publica où les facteurs politiques sont essentiels, même dans le règlement de ces conflits d’origine religieuse. Les contributions du présent ouvrage montrent que la véritable originalité de ces mouvements réside dans la pratique politique et qu’il convient d’employer, plutôt que l’expression quelque peu réductrice de « république calviniste », celle de « république urbaine ».
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Paul Straetmans, « Des villes en révolte. Les « Républiques urbaines » aux Pays-Bas et en France pendant la deuxième moitié du XVIe siècle,éd. Monique Weis », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 30 novembre 2010, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12145 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12145
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