Myriam Rolland-Perrin, Blonde comme l’or. La chevelure féminine au Moyen Âge
Myriam Rolland-Perrin, Blonde comme l’or. La chevelure féminine au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence (« Senefiance » 57), 2010, 363p.
ISBN 978-2-85399-734-8.
Texte intégral
1Le volume constitue la publication de la thèse de Myriam Rolland-Perrin, dirigée par Michelle Szkilnik. L’introduction expose efficacement les motivations de la recherche. L’auteur montre que la chevelure, notamment féminine, « suscite une peur ancestrale » (p. 7). Elle semble concentrer l’essence d’une féminité inquiétante. À partir de la chevelure, l’auteur se propose d’observer « les représentations de la femme du XIe au XVe siècle » (p. 7). Myriam Rolland-Perrin affirme néanmoins ne pas s’interdire d’aborder la chevelure masculine à titre de comparaison. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Toutefois, dans le cheminement de la réflexion, il est certains points où le lecteur ne sait plus exactement si les observations portent sur la chevelure en général ou sur la chevelure féminine en particulier, puisque l’on passe de l’une à l’autre, parfois de façon très rapide. Le corpus d’étude est vaste et diversifié : lais, fabliaux, traités de morale, chroniques, œuvres poétiques ou théâtrales.
2L’introduction est aussi l’occasion de rappeler que l’essentielle mouvance du texte médiéval ne doit pas occulter son goût pour la reprise, la variation, qui peut donner à tort, aujourd’hui, l’impression d’une certaine banalité. L’approche de la chevelure sera donc d’abord stylistique, autour de la question du stéréotype, défini par différence avec le « motif », le « sujet », ou le « cliché »... et considéré comme une porte ouverte sur « l’imaginaire médiéval » (p. 12). Cette introduction est agréable à lire, claire et bien menée. Elle éclaire la démarche sans occulter les difficultés rencontrées, y compris méthodologiques.
3Le premier chapitre offre une analyse du lexique de la chevelure, soit du vocabulaire utilisé pour la nommer ou la qualifier. Myriam Rolland-Perrin traite d’abord des noms de la chevelure : « cheveus », « crins », « crine », « chief », « teste », « chevelure », « poil », « come », « treces ». Elle énumère ensuite les adjectifs de couleur : lumière et blondeur, très positivement connotées, en tête, avec « blond », « sor », « jaulne », puis la couleur brune voire noire, sans oublier la sulfureuse rousseur médiévale, avec « rous », « faulve », « auborne », ou même la blancheur, avec « blanc », « chenu », « meslé de chenes », « gris » ou « flori ». L’auteur présente les adjectifs d’aspect qui peuvent qualifier la chevelure : « luisant et reluisant », « delgié », « ondoiant », « cercelé et recercelé », « cresp et crespé ». C’est particulièrement dans ces développements que les passages entre chevelures masculine et féminine sont très rapides et nous ont parfois échappés : sans doute parce que la conclusion du développement précisément consacré au masculin et au féminin est « une globale androgynie de la beauté médiévale » (p. 72). Le lecteur entre ensuite dans un univers très féminin où l’on délie les guimpes : on décline le mouvement en « escheveler » et « deslier » et on s’attarde sur deux emplois spécifiques de « escheveler » pour la chevelure en deuil ou à la toilette. L’auteur s’écarte de la pure analyse lexicale pour montrer que le dénouement et/ou l’exposition de la chevelure fait sens : ils peuvent être un nouveau canon de beauté ou un indice de disponibilité de la femme. Ce chapitre est abondamment nourri de statistiques d’usage des termes. On regrettera parfois de ne pas connaître avec précision à partir de quel corpus est faite l’étude statistique. La conclusion de cette analyse lexicale est un constat de profusion des termes, particulièrement pour la blondeur.
4Le deuxième chapitre s’intéresse à la « syntaxe des stéréotypes linguistiques ». Myriam Rolland-Perrin traite d’abord de la façon de décrire la chevelure dans des « micropropositions descriptives » (J.-M. Adam et A. Petitjean) ou dans de véritables portraits dont l’auteur rappelle qu’ils sont fermement codifiés au Moyen Âge. Myriam Rolland-Perrin aborde alors plus précisément son sujet, « l’or blond », comme métaphore dont elle explore les motivations et les degrés de comparatio ou de similitudo,jusqu’aux cas de quasi-effacement du topos. L’étude la conduit en ce point à revenir sur la définition initiale du stéréotype linguistique. Elle explique également les différentes modalités de remotivation du cliché dans le relais des vêtements et accessoires dorés, le jeu sur l’intertextualité et notamment le recours au personnage d’Iseut, les rapprochements plus inattendus avec d’autres métaux, avec des animaux (mouton, loriot, paon...), avec le végétal (l’hapax du lin qui connaîtra une grande fortune). L’auteur s’interroge sur les raisons du succès du stéréotype et l’explique finalement assez rapidement à la fois par l’idée médiévale que « la beauté a la lumière pour origine » (p. 139) et par la « volonté d’associer la femme et la nature » (p. 140). Bien que l’auteur affirme à ce moment, avec justesse, que « les représentations latentes dans les stéréotypes linguistiques ont trait au plus profond de l’âme » (p. 141), on a le sentiment d’en rester, la plupart du temps, à une approche d’une psyché très socialisée encore assez éloignée de « l’âme ». Myriam Rolland-Perrin s’intéresse ensuite aux textes qui ne semblent laisser au cliché qu’une part réduite, notamment à ceux de la fin du Moyen Âge, dans lesquels les portraits se réduisent. « La brillance dorée de la chevelure est comme éclipsée par celle des couronnes et diadèmes, à tel point que la beauté émane de la parure et non plus des cheveux. Cette mutation (...) n’empêche pas le retour de formulations stéréotypées, à tel point qu’il est légitime de s’interroger sur les voies souterraines qu’emprunte le cliché pour subsister » (p. 141). Cette étude de la survie déguisée du cliché est plus neuve que ce qui précède. Elle comporte un exposé sur les coiffures-parures ou les riches ornements de tête. De même que la chevelure « devient progressivement un élément du costume » (p. 146), de même le cliché quitte progressivement la chevelure pour s’insinuer dans le vêtement. On passe ensuite à un développement qui montre qu’après la blondeur, au XVe siècle, c’est la longueur de la chevelure qui importe (jusqu’à terre, jusqu’aux pieds, jusqu’aux talons). On demeure dans le constat, sans savoir comment l’interpréter véritablement : « ces variations restent énigmatiques et résultent probablement d’effets de mode qui nous échappent aujourd’hui » (p. 155). Enfin, la chevelure se fait véritablement vêtement.
5Dans le troisième chapitre, Myriam Rolland-Perrin étudie les motifs liés à la chevelure. Elle met en lumière les différents gestes de la déploration ; elle examine la chevelure coupée (mutilation volontaire ou non), l’action de traîner ou de tirer une femme par les cheveux (par les tresses notamment), le don de cheveux (voire du « chapel »), le moment de la toilette féminine et/ou féerique. Dans cette partie, l’auteur procède, à son habitude, en présentant les expressions les plus topiques, leurs variantes puis les marges du cliché. La conclusion de ce chapitre nous paraît poser des questions cruciales, que l’on attendait : « comment les œuvres parviennent-elles encore à imaginer des variations, sans se contenter du simple emprunt aux œuvres antérieures ? Le motif (...) peut-il devenir moteur de la littérature ? » (p. 256). L’auteur apporte également, particulièrement à partir de l’étude du motif de la toilette, des observations très pertinentes qui font avancer la réflexion : « offrant aux regards des constructions capillaires défiant l’ordre divin, les femmes se révèlent démoniaques. La critique de la toilette cristallise donc la hantise de l’hétérogénéité et la peur du chaos » (p. 254).
6L’ouvrage se clôt par un chapitre fort judicieusement intitulé « Le texte démêlé ». C’est le moment d’approfondir certains textes autour des figures aux chevelures merveilleuses qu’elles proposent : l’Iseut du Tristrant d’Eilhart von Oberg, la Blonde Esmerée du Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu, la Belle Rose du Roman du Comte de Poitiers. Myriam Rolland-Perrin propose à la suite d’intéressants développements surdes personnages et l’esthétique de romans de Chrétien de Troyes : Soredamour dans Cligès et Guenièvre dans Le Chevalier de la Charrette. Le personnage de Lancelot conduit la réflexion du vers à la prose, « de la suggestion à l’exhibition » (p. 306). On revient à l’idée déjà présente dans l’introduction que l’attention à la chevelure est le signe de la peur que suscite la femme et le féminin. On se trouve alors face à la virago, à la femme guerrière, Sémiramis et autres Amazones. Enfin, la femme est proprement animale dans le fabliau Les Tresces.
7La conclusion, brève, souligne combien « le stéréotype médiéval se caractérise d’abord par sa mouvance » (p. 337). Et on comprend bien, à travers l’ensemble de la réflexion, combien la représentation ou la perception de la chevelure reflète un imaginaire du féminin, notamment de la sexualité féminine, souvent entachée de luxure ou d’orgueil.
8Le propos est toujours et abondamment illustré voire appuyé par des citations de textes dont on doit saluer qu’elles sont dans les différentes langues en usage dans l’écrit médiéval à l’échelle européenne (on trouve du latin, du français, de l’occitan, de l’ancien allemand, au moins...), ce qui est assez rare ; les citations sont traduites, sans qu’on sache d’ailleurs qui les propose. On aurait aimé, sur certains points, qu’on rappelle la datation des différents textes comparés dont l’écart esthétique est parfois lié à l’histoire. L’auteur le souligne d’ailleurs très clairement dans les moments de synthèse.
9On regrettera que, dans certains passages, à force de prudence, Myriam Rolland-Perrin ne s’engage pas dans des interprétations de textes mais demeure souvent au niveau de la description, certes fine et comparative, mais sans commentaire personnel. De même – mais c’est le jeu d’une étude de synthèse – à force de n’interpréter que des segments ou des fragments textuels, on limite les possibilités d’interprétation profonde et le lecteur reste parfois sur sa faim. Mais, on l’a compris, cela ne peut être considéré comme un reproche réel car c’est un choix d’étude qui, comme tous, en écarte d’autres... Autre défaut d’une qualité : l’étude de détail est tellement fine qu’elle s’intéresse à des variations parfois presque insensibles, qui peuvent donner l’impression de redites.
10Le lecteur appréciera en outre une réflexion nourrie par les travaux linguistiques et stylistiques très modernes. Il aura aussi l’agrément d’un dossier iconographique diversifié. L’ouvrage propose bibliographie et index. Comme j’en ai coutume, je déplore encore l’utilisation (liée à la collection et à l’éditeur, non à l’auteur) de notes de fin, si peu pratiques et stimulantes.
Pour citer cet article
Référence électronique
Myriam White-Le Goff, « Myriam Rolland-Perrin, Blonde comme l’or. La chevelure féminine au Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 12 octobre 2010, consulté le 19 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/12099 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.12099
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