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Les historiens anglais de la première moitié du XIIe siècle et la redéfinition de l’identité nationale

Olivier de Laborderie
p. 43-62

Résumés

Cet article est consacré aux nouvelles histoires nationales écrites en Angleterre dans la première moitié du XIIe siècle, principalement celles écrites par Guillaume de Malmesbury, Jean de Worcester, Henri de Huntingdon, Geoffroi de Monmouth, Geoffroi Gaimar et Ælred de Rievaulx, et à la manière dont elles contribuèrent à redéfinir l’identité anglaise au cours de cette période cruciale, toujours marquée par les conséquences de la conquête normande, mais aussi par la crise politique majeure des années 1135-1154. Elles y parvinrent essentiellement en mettant désormais l’accent sur la continuité politique et territoriale plutôt que sur l’unité raciale, afin de dépasser la diversité ethnique. Plus d’un siècle après cette vague décisive, les premières histoires d’Angleterre en prose anglo-normande, qu’il s’agisse du Brut ou des généalogies en rouleau des rois d’Angleterre, étaient encore profondément influencées par leur version du passé de leur nation.

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Texte intégral

  • 1  M. T. Clanchy, England and its Rulers, 1066-1272 : Foreign Lordship and National Identity, Londres (...)
  • 2 Ibid., chap. 10 : « National Identity », p. 241-262.
  • 3  Ces débats initiés en Grande-Bretagne ont en effet débordé le cadre « national » et ont suscité un (...)
  • 4  Parmi les premiers articles de John Gillingham consacrés à la question, on peut citer « The Beginn (...)

1Au-delà des interrogations compréhensibles sur la nature ou la signification de l’identité anglaise ou britannique aujourd’hui – et les récents débats lancés de ce côté-ci de la Manche montrent qu’il ne s’agit pas en l’occurrence d’une spécificité insulaire – il est indiscutable que les questions de l’identité nationale et de sa construction dans l’Angleterre médiévale occupent une place de plus en plus importante dans l’historiographie anglo-saxonne, surtout depuis le début des années 1990. Bien entendu, cette thématique était déjà présente auparavant, et depuis longtemps, dans les travaux des historiens anglais, ne serait-ce qu’en raison de la rupture – dont la profondeur était elle-même l’objet d’un débat récurrent – provoquée par la conquête normande de 1066 et la colonisation du pays qui s’ensuivit, comme en témoigne par exemple le sous-titre explicite de la première édition du livre de Michael Clanchy, England and its Rulers, 1066-1272, parue en 1983 : Foreign Lordship and National Identity1. Toutefois, dans cet ouvrage, c’est encore au XIIIe siècle, sous le règne de Henri III, que l’auteur plaçait le moment le plus décisif pour la formation de cette identité anglaise2. Depuis lors, la plupart des nombreux ouvrages et articles consacrés à cette question ont porté sur une période antérieure, généralement le siècle et demi qui a suivi la conquête normande, et plus particulièrement la première moitié du XIIe siècle, dans laquelle une majorité d’entre eux s’accordent à voir une étape déterminante dans l’élaboration d’une nouvelle identité nationale. La qualité et la densité de ces travaux ont ainsi fait naître un débat d’une vigueur et d’une richesse remarquables et font incontestablement de ce sujet une des tendances majeures de l’historiographie médiévale anglo-saxonne aujourd’hui3. Et il faut reconnaître à certains médiévistes britanniques, en particulier à Rees Davies et à John Gillingham, le mérite d’avoir joué un rôle moteur dans ce débat en s’appropriant une problématique jusque-là largement accaparée par les historiens des époques moderne et contemporaine et considérée le plus souvent comme non pertinente pour l’époque médiévale, a fortiori pour une période aussi reculée que le XIIe siècle4.

  • 5  J. Gillingham, op. cit., p. 140, 99 et 100.
  • 6  B. Guenée, L’Occident aux XIVe et XVe siècles. Les États, 5e éd., Paris, Presses Universitaires de (...)

2Tous ces travaux ont porté une attention particulière aux historiens de la première moitié du XIIe siècle, non seulement en tant que témoins de cette transformation de l’identité nationale, mais aussi en tant qu’acteurs de ce processus, contribuant par leur vision du passé à de nouvelles manières de percevoir l’histoire du pays. Ce n’est donc pas une simple distorsion provoquée par l’abondance et la diversité des œuvres historiques qui conduit à discerner dans ces décennies « a developing sense of Englishness », « the emergence of a new sense of national identity after the traumas of the Norman Conquest », « a newly re-emerging sense of English solidarity and identity » pour reprendre les expressions de John Gillingham5. C’est l’extraordinaire production historiographique de ces quelques décennies et, dans bien des cas, l’indiscutable qualité de la réflexion des historiens qui justifient qu’on s’interroge sur les rapports de l’histoire et de l’identité nationale. Dans la mesure, en effet, où toute nation est une construction imaginaire, l’histoire joue un rôle déterminant dans cette construction en permettant aux membres de la communauté nationale de se reconnaître un passé commun. Quand bien même elles émanent d’un historien et pourraient paraître à certains suspectes d’exagérer le rôle de ses lointains confrères dans ce processus, il me semble qu’on ne peut que souscrire aux remarques de Bernard Guenée : « Dès qu’elle prend conscience d’elle-même, une nation veut justifier son présent par son passé. Rien ne lui prouve mieux son existence que son histoire. En un sens, ce sont les historiens qui créent les nations. Il n’y a pas de nation sans histoire nationale »6. C’est sur cette contribution de quelques historiens majeurs de la première moitié du XIIe siècle à la redéfinition de l’identité nationale anglaise et sur ses prolongements au tournant du XIIIe et du XIVe siècle que porte cette étude.

Une exceptionnelle floraison d’histoires nationales

  • 7  B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, [1re éd. 1980], Paris, Aubier- (...)
  • 8  C’est la principale explication de ce renouveau donnée par R. W. Southern, « Aspects of the Europe (...)
  • 9  Voir à ce sujet les remarques de J. Campbell, « Some Twelfth-Century Views of the English Past », (...)

3La première moitié du XIIe siècle a vu en Angleterre une production sans précédent, et sans équivalent contemporain ailleurs en Europe occidentale, d’ouvrages historiques consacrés à l’histoire du pays. Cette précocité et cette singularité de l’Angleterre « où, une ou deux générations après le choc de l’invasion normande, dans la première moitié du XIIe siècle, une brillante cohorte d’érudits réussit à garder en mémoire le passé de son pays »7, a été depuis longtemps soulignée. Même si cette intense activité historiographique se caractérise par un intérêt inédit pour l’histoire anglaise antérieure à la conquête normande, il ne s’agissait cependant pas simplement de nostalgie ou d’un intérêt d’« antiquaire » pour un monde révolu ; pas plus qu’on ne peut réduire ce phénomène à une réaction émanant exclusivement de communautés monastiques face aux menaces, réelles ou ressenties, que le nouvel ordre politique faisait peser sur leur culture, leurs traditions et leur place dans la société8. D’ailleurs, cette vitalité historiographique n’émane pas que du milieu monastique traditionnel et, aux côtés des Bénédictins Guillaume de Malmesbury et Jean de Worcester (auxquels ont peut ajouter, même s’ils n’ont pas entrepris d’écrire une histoire d’Angleterre, Eadmer et Orderic Vital), on trouve des séculiers, comme Henri de Huntingdon, Geoffroi de Monmouth et Geoffroi Gaimar, et un cistercien, Ælred de Rievaulx9.

  • 10  William of Malmesbury, Gesta Regum Anglorum, éd. et trad. de R. A. B. Mynors, R. M. Thomson et M. (...)
  • 11  Voir notamment à ce sujet R. M. Thomson, « England and the Twelfth-Century Renaissance », Past and (...)

4L’exceptionnel renouveau de l’histoire dans l’Angleterre de cette époque a été également replacé dans le contexte plus large de la « Renaissance du XIIe siècle » et de nombreux commentateurs ont insisté sur la volonté affichée de ces historiens de prendre pour modèles des historiens latins tels que Salluste ou Suétone et de relever leur œuvre par un assaisonnement romain, comme le revendique Guillaume de Malmesbury dans son prologue10. Toutefois, si la plupart des historiens anglais participent de cet indéniable renouveau intellectuel européen fondé sur une admiration et un goût pour la culture romaine11, celui-ci n’explique pas pourquoi en Angleterre, et seulement en Angleterre, cet élan a investi plus particulièrement la sphère de l’histoire et a conduit à l’éclosion d’une série aussi impressionnante d’histoires nationales. Il peut seulement contribuer à expliquer les qualités de composition et de style dont elles témoignent.

  • 12  En particulier à cause de la rareté et de la dispersion des sources, mais aussi des difficultés cr (...)
  • 13  Voir à ce sujet les remarques de J. Campbell, art. cit., p. 138-140, et de R. R. Davies, op. cit., (...)
  • 14  Geoffrey of Monmouth, The History of the Kings of Britain : an Edition and Translation of De Gesti (...)

5Il ne fait pourtant aucun doute que ce phénomène, très différent par son ampleur de l’initiative isolée d’un Bède à l’orée du VIIIe siècle, n’était pas le fruit du hasard. Il répondait non seulement à un besoin éprouvé par ces historiens de préserver et de transmettre un passé qui risquait, plusieurs générations après la Conquête, de sombrer dans l’oubli12, mais aussi à une attente nouvelle de la part d’un public de plus en plus large, qui comprenait à la fois des ecclésiastiques et des laïcs, désireux de s’approprier l’histoire d’un pays qu’ils regardaient désormais comme le leur, quelles que fussent leurs origines ethniques, souvent multiples13. Capables de puiser dans des sources écrites dans une langue anglo-saxonne incompréhensible pour la plus grande partie de ceux auxquels ils destinaient leurs œuvres et de traduire ces emprunts en latin (ou en anglo-normand dans le cas de Geoffroi Gaimar), ils souhaitaient avant tout mettre cette matière à la disposition de tous ceux qui voulaient mieux connaître le passé insulaire ; c’était d’ailleurs aussi l’intention affichée de Geoffroi de Monmouth en prétendant traduire dans son Historia Regum Britanniae un Britannici sermonis librum vetustissimum dont l’existence douteuse a fait couler beaucoup d’encre14.

  • 15  Voir principalement à ce sujet les récents articles de Paul Dalton : « Churchmen and the Promotion (...)

6Le besoin d’écrire une version de l’histoire insulaire permettant de renforcer la cohésion nationale, en particulier en insistant sur la nécessité de l’unité face aux menaces extérieures et aux divisions internes, sur les dangers des luttes de succession et des guerres civiles, n’a pu qu’être renforcé après la mort en 1120 de l’unique héritier mâle du roi Henri Ier dans le naufrage de la Blanche Nef, et plus encore après la mort de ce roi en 1135 et les débuts de la lutte pour la couronne entre son neveu Étienne et sa fille Mathilde. Ainsi, même si on ne peut y voir la cause de l’impulsion initiale de cette nouvelle tendance historiographique, l’incertitude croissante des années 1120-1154 l’a sans aucun doute accentuée. Plusieurs ouvrages écrits au cours de cette période, et surtout après 1135, comme ceux de Geoffroi de Monmouth, de Geoffroi Gaimar et d’Ælred de Rievaulx peuvent ainsi être analysés comme des appels à la réconciliation et à l’unité nationale face à une crise politique et « identitaire »15.

  • 16  C’est le cas de J. Campbell, op. cit., p. 144, qui n’y voit qu’une entreprise de mystification et (...)
  • 17  H. Thomas, op. cit., p. 352.

7Ces historiens ont bien plus en commun que le seul fait d’être des contemporains. Ils se signalent également par le caractère « anglocentrique » de leurs œuvres, même lorsque, comme dans le cas du Chronicon ex chronicis de Jean de Worcester, elle se présente sous la forme d’une chronique universelle, qui emprunte d’ailleurs largement à celle de Marianus Scotus. L’Angleterre est clairement le sujet de l’histoire qu’ils entendent écrire et ils se réclament presque toujours de la tradition inaugurée par Bède et son Historia ecclesiastica gentis Anglorum, y compris Geoffroi de Monmouth qui s’y réfère dès le prologue de son livre, même si c’est pour signaler que l’histoire des Bretons y est presque entièrement passée sous silence. Leur entreprise se place donc résolument dans une tradition historiographique nationale. Et, de ce point de vue, Geoffroi de Monmouth, en se fixant pour but d’écrire en quelque sorte la « préhistoire » de l’Angleterre à partir d’un matériau inédit, s’inscrit bien dans ce mouvement d’histoire nationale. On peut dès lors trouver curieux que certains historiens l’écartent de leur analyse de la mémoire du passé au XIIe siècle16 ; comme l’écrit Hugh Thomas, « any account of the effects of history on identity in England must take this popular work into account »17.

  • 18  William of Malmesbury, op. cit., p. 14.
  • 19  Henry of Huntingdon, Historia Anglorum : the History of the English People, éd. et trad. D. Greenw (...)
  • 20  Voir I. Short, « Gaimar et les débuts de l’historiographie en langue française », Chroniques natio (...)
  • 21  Voir J. Campbell, art. cit., p. 142, et R. R. Davies, op. cit., p. 13.
  • 22  Voir P. Damian-Grint, op. cit., p. 65-66, L. Johnson, « The Anglo-Norman Description of Britain : (...)

8En outre, quelles que soient leurs origines, anglaises, normandes, ou mixtes, ces historiens déclarent souvent ouvertement leurs motivations ou laissent percer leurs sentiments au fil de leur ouvrage. Ainsi Guillaume de Malmesbury, malgré des origines en partie normandes, annonce dès son prologue qu’il écrit propter patriae caritatem18, tout comme Henri de Huntingdon annonce son intention de retracer huius regni gesta et nostre gentis origines19. Quant à Geoffroi Gaimar, l’auteur du premier livre d’histoire en langue française connu, c’est bien comme une Estoire des Engleis qu’il décrit son ouvrage20. Cet attachement à leur patrie se traduit notamment par un goût prononcé pour leur région d’origine ou de résidence, mais aussi pour la topographie et l’organisation administrative de l’Angleterre21. On en trouve un autre exemple particulièrement frappant dans le texte anglo-normand connu sous le nom de Description of Britain, composé dans les années 1140 et associé dans deux manuscrits à l’Estoire des Engleis de Geoffroi Gaimar, même s’il est stylistiquement plus proche d’un fragment de Brut en vers connu sous le nom de Royal Brut22.

  • 23  Voir notamment à ce sujet R. M. Stein, « Making History English. Cultural Identity and Historical (...)
  • 24  Voir H. Thomas, op. cit., p. 351-352.

9Leur appartenance à la communauté anglaise se manifeste plus encore par leur fierté lorsqu’ils évoquent la dynastie royale d’avant la Conquête ou par leur ressentiment et leur amertume lorsqu’ils constatent la façon dont sont traités leurs compatriotes depuis 1066 – et cela même lorsqu’ils ont des origines en partie normandes. Ils ont choisi d’écrire du point de vue des conquis et, dans une large mesure, de réhabiliter les Anglais aux yeux de ceux qui, descendants des conquérants, continuaient à exercer leur domination sur le pays23. Il est remarquable, en effet, que, quelle que soit leur origine personnelle ou les sentiments qu’ils éprouvaient vis-à-vis des Normands, aucun historien anglais de cette période n’entreprit d’écrire une histoire plaçant l’histoire de l’Angleterre dans le prolongement de l’histoire de Normandie, alors qu’ils disposaient pour ce faire de sources normandes, dans lesquelles ils n’hésitèrent pas à puiser pour compléter leurs sources anglaises24.

  • 25  Voir principalement à ce sujet I. Short, « Gaimar’s Epilogue and Geoffrey of Monmouth’s Liber vetu (...)

10Ce choix délibéré d’écrire des histoires remontant fort loin dans le passé insulaire est d’autant plus intéressant que les puissants personnages auxquels ils dédièrent leurs œuvres – et qui parfois les incitèrent à les écrire – étaient tous des représentants de ces élites, laïques ou ecclésiastiques, d’origine normande : Robert de Gloucester, fils illégitime du roi Henri Ier, Mathilde, fille de ce même roi, Alexandre, évêque de Lincoln, Constance, femme de Ralf Fitz Gilbert… Cela révèle donc qu’elles aussi commençaient à considérer l’Angleterre comme leur natio et éprouvaient le désir de se familiariser avec son passé. L’épilogue de l’Estoire des Engleis de Geoffroi Gaimar nous renseigne même de façon extrêmement précise, ce qui est excessivement rare pour l’époque, sur la circulation de ces livres d’histoire au sein de l’aristocratie anglo-normande et atteste de cette réelle curiosité pour ce qu’on peut appeler l’histoire nationale25.

  • 26  Voir M. Brett, « John of Worcester and his contemporaries », The Writing of History in the Middle (...)
  • 27  Voir D. Baker, « Ailred of Rievaulx and Walter Espec », Haskins Society Journal, 1, 1989, p. 91-10 (...)
  • 28  Voir à ce sujet N. Wright, « The Place of Henry of Huntingdon’s Epistola ad Warinum in the Text-Hi (...)
  • 29  Voir A. Gransden, op. cit., p. 211, et J. Gillingham, op. cit., p. 233-258.

11Cet épilogue de Gaimar, ainsi que d’autres éléments dans les ouvrages de certains de ses contemporains, met aussi en évidence l’intensité et la rapidité des échanges, directs ou indirects, entre les historiens au cours de cette période. Sans aller jusqu’à parler de « communauté historienne », on est cependant frappé de constater l’existence de contacts et même de réseaux d’information reliant entre eux tous ces historiens. Ainsi, un moine de Worcester du nom de Nicolas permet d’établir un lien entre Eadmer, Jean de Worcester et Guillaume de Malmesbury26. De même, Walter Espec, à qui la protectrice de Geoffroi Gaimar, Constance, emprunta un livre qui était vraisemblablement une version de l’Historia de Geoffroi de Monmouth, était aussi très lié à Ælred de Rievaulx, qui lui accorde un rôle éminent dans sa Relatio de Standardo27. Et le puissant Robert de Gloucester, qui, d’après l’épilogue de Gaimar, prêta ce livre à Walter Espec, était aussi le dédicataire des œuvres de Guillaume de Malmesbury et de Geoffroi de Monmouth, tout comme Alexandre de Lincoln était celui de l’Historia Anglorum de Henri de Huntingdon et des Prophetiae Merlini de Geoffroi de Monmouth. Henri de Huntingdon a quant à lui eu connaissance dès 1139, grâce à Robert de Torigni, alors moine à l’abbaye du Bec, de l’Historia Regum Britanniae de Geoffroi de Monmouth, dont il annexa un résumé, sous le nom d’Epistola ad Warinum, à sa propre histoire d’Angleterre28. Il y a donc eu au cours de ces décennies, non seulement des emprunts mutuels entre les historiens, mais une véritable émulation qui résultait parfois de l’admiration qu’ils éprouvaient les uns pour les autres, parfois de la rivalité qui existait entre eux. En témoignent la mise en garde adressée par Geoffroi de Monmouth à Guillaume de Malmesbury et à Henri de Huntingdon à la fin de son ouvrage, tout comme le portrait flatteur de Guillaume II dressé par Geoffroi Gaimar dans son Estoire des Engleis, qui est à bien des égards une réaction à l’historiographie dominante de son temps29.

Différentes démarches pour la recomposition d’une histoire nationale

  • 30  J. Gillingham, op. cit., p. 19-39.
  • 31  J.-Ph. Genet, « Histoire et système de communication au Moyen Âge », L’Histoire et les nouveaux pu (...)

12Quelles qu’aient pu être les nombreuses – et diverses – motivations des différents historiens anglais qui s’attelèrent à la tâche de retracer l’histoire de leur pays dans la première moitié du XIIe siècle, il ne fait aucun doute que tous visaient à reconstituer une trame cohérente à la séquence d’événements, souvent décousue et désordonnée, qui constituait le récit national tel qu’il figurait dans leurs sources. Leur ambition était bien de donner un sens à une histoire bien souvent chaotique et, de ce fait, inexploitable dans la perspective d’une histoire nationale. Même si certaines des œuvres qui nous occupent ici ont pu être suscitées en partie par des circonstances ponctuelles, comme l’a suggéré John Gillingham à propos de l’Historia Regum Britanniae de Geoffroi de Monmouth en la replaçant dans le contexte des révoltes galloises des années 1136-113730 et, comme c’est évidemment le cas de la Genealogia Regum Anglorum d’Ælred de Rievaulx, écrite en 1153-1154 à l’intention du futur Henri II pour lui dévoiler ses glorieuses origines anglaises, elles avaient elles aussi pour ambition de convaincre leurs destinataires – et au-delà tous leurs lecteurs – des racines lointaines et prestigieuses de la nation à laquelle ils appartenaient désormais. Il s’agissait bien pour eux de remettre en perspective l’époque présente et de permettre à leurs contemporains « de se reconnaître et de s’affirmer comme membre à part entière de la collectivité ainsi pourvue d’une identité définie »31. Pour y parvenir, ces historiens ont emprunté des voies très différentes, parfois complémentaires mais parfois inconciliables, au moins en apparence.

  • 32  Cf. The Anglo-Saxon Chronicle, éd. et trad. M. J. Swanton, Londres, J. M. Dent, 1996, p. 236.
  • 33  Voir A. Williams, op. cit., p. 166 et 173, et I. Short, « Tam Angli… », art. cit., p. 168.
  • 34  Voir I. Short, « Tam Angli… », art. cit., p. 169-172, et A. Williams, op. cit., p. 184-185.
  • 35  Voir J. Gillingham, op. cit., p. 129-130.

13La première voie, la plus simple, mais qui n’était pas pleinement satisfaisante, était d’insister sur la continuité dynastique restaurée à travers le mariage du roi Henri Ier avec Edith/Mathilde, fille du roi d’Écosse Malcolm III Canmore, qui se rattachait par sa mère au roi Edmond II Ironside et, comme le disait la version de Peterborough de la Chronique anglo-saxonne, à la famille royale légitime d’Angleterre32. Guillaume de Malmesbury se fait l’écho des réactions hostiles de certains Normands, qui tournaient en dérision le couple royal en les appelant Godric et Godgifu, mais la plupart des historiens de l’époque, lui y compris, soulignèrent l’importance de ce mariage qui permettrait aux futurs rois d’Angleterre de considérer leurs glorieux prédécesseurs anglo-saxons comme des ancêtres à part entière. C’est ainsi qu’Eadmer, lorsqu’il mentionne ce mariage, récapitule l’ascendance de Mathilde jusqu’au roi Edgar et que Guillaume de Malmesbury signale les espoirs que suscita la naissance de Guillaume, fils d’Henri et de Mathilde, en qui fusionnaient les deux lignées royales33. Certes, la mort précoce de Guillaume Adelin (surnom qui est une déformation de l’Ætheling anglo-saxon) en 1120 conduisit Guillaume de Malmesbury, comme Osbert de Clare dans sa Vita Beati Edwardi, écrite en 1138, à donner une interprétation pessimiste de la « prophétie de l’Arbre vert » attribuée au roi Édouard le Confesseur mourant. Mais une réinterprétation positive de la prophétie, annonçant désormais la réunion des races anglaise et normande en la personne du roi Henri II, fut opérée par Ælred de Rievaulx. C’est elle qui sous-tend l’exposé de l’ascendance anglaise du futur roi dans la Genealogia Regum Anglorum, et elle est exprimée avec plus de force encore dans sa Vita Sancti Edwardi Regis, une dizaine d’années plus tard34. Chez Ælred de Rievaulx, cette fusion des dynasties apparaît comme la métaphore de l’assimilation entre Normands et Anglais, de l’amalgame des deux gentes en une seule natio, une idée exprimée aussi par Henri de Huntingdon et Jean de Worcester lors de leur évocation de la bataille de l’Étendard contre les Écossais35. Toutefois, cette solution purement généalogique pour relier les deux phases de l’histoire anglaise séparées par la Conquête présentait un inconvénient majeur : celui d’affaiblir, pour ne pas dire d’anéantir, la légitimité de tous les rois d’Angleterre qui ne se rattachaient pas à la lignée royale de Wessex. Si on pouvait s’en accommoder pour les trois rois d’Angleterre d’origine danoise (qu’Ælred passe sous silence…), c’était évidemment inacceptable pour ceux qui avaient régné entre la conquête de Guillaume le Conquérant et l’avènement de Henri II.

  • 36  R. R. Davies, op. cit., p. 16.

14La deuxième voie, et celle-ci est commune à tous, même si Geoffroi de Monmouth semble au premier abord s’en écarter, semblait plus intéressante. Elle consistait à inscrire le présent dans la continuité du passé insulaire. En d’autres termes, de placer l’histoire de l’Angleterre d’après la conquête normande, malgré le changement de dynastie, dans le prolongement de celle du royaume anglo-saxon. Cette continuité, qui se traduit par l’organisation de leurs histoires autour de la succession des règnes, peut sembler banale, mais ce simple procédé permet de souligner la permanence de l’institution royale et d’atténuer ainsi en partie les ruptures dynastiques qui étaient intervenues au cours de cette longue histoire. La succession des rois qui avaient régné en Angleterre, quelle que fût leur origine ethnique, devenait le principe organisateur de l’histoire nationale. Pour reprendre les mots de Rees Davies, l’histoire de l’Angleterre serait désormais, et pour longtemps, « regnal, political, continuous, developmental, and self-containedly English »36.

  • 37  Sauf cependant Jean de Worcester ; voir A. Williams, op. cit., p. 169.
  • 38  Voir à ce sujet B. Weiler, « William of Malmesbury on Kingship », History, 90 (297), 2005, p. 3-22 (...)
  • 39  Voir à ce sujet J. Gillingham, op. cit., p. 233-258. Sur la construction de l’image négative de ce (...)

15Dans cette perspective, on peut observer chez la plupart de ces historiens la disjonction de l’évaluation d’un roi de son appartenance ethnique ou de sa légitimité dynastique. Certes, la plupart ont repris les arguments des thuriféraires normands de Guillaume le Conquérant, Guillaume de Jumièges et Guillaume de Poitiers, pour délégitimer le roi Harold Godwineson et justifier ainsi la conquête normande37 ; mais, dans l’ensemble, leurs critères d’appréciation des gouvernants, récents ou beaucoup plus lointains, sont moraux et politiques et ne prennent en comptent que très secondairement leur mode d’accession au trône ou leur légitimité strictement « généalogique ». C’est ainsi que, malgré son appartenance à lignée royale et la légitimité de son avènement, le roi Eadwig (955-959) est présenté par tous ces historiens comme l’exemple même du mauvais roi, par bien des côtés l’antithèse de son frère cadet et successeur Edgar (959-975), qui représente à leurs yeux le roi modèle38. Et, en dépit d’un droit au trône discutable, ce que certains n’hésitent pas à rappeler, le roi Henri Ier (1100-1135) bénéficie cependant d’un portrait beaucoup plus favorable que son frère Guillaume II le Roux (1087-1100) chez pratiquement tous les historiens, à l’exception notable de Geoffroi Gaimar39.

  • 40  P. Dalton, « Geffrei Gaimar’s Estoire des Engleis… », art. cit., p. 431.

16Enfin, pour renforcer le sentiment de la continuité de l’histoire anglaise au fil des siècles, plusieurs de ces historiens ont recouru à un autre procédé consistant à transposer dans le passé des événements, parfois inventés de toutes pièces, parfois inspirés par des légendes orales, qui pouvaient difficilement ne pas entrer en résonance pour leurs lecteurs avec des situations ou événements récents ou contemporains. Au-delà de la coloration volontairement moderne qu’ils donnent à ces scènes et des portraits chevaleresques qu’ils dressent de leurs héros, sans nul doute destinés à satisfaire le public auquel ils destinaient leurs œuvres, Geoffroi de Monmouth et Geoffroi Gaimar ont inséré dans leurs récits de nombreux épisodes qui sont comme autant d’exempla, destinés notamment à mettre en garde leurs lecteurs contre les dangers qu’il y avait pour un roi à céder à l’influence de mauvais conseillers, à bafouer les droits de ses vassaux ou à chercher à régler les conflits par la violence. Il suffit de citer ici l’histoire d’Haveloc le Danois chez Gaimar ou celle des frères ennemis Belin et Brenne chez Geoffroi de Monmouth. Paul Dalton évoque ainsi à propos de Gaimar, « his projection of current affairs into the past and his recounting of historical events that either resembled contemporary political troubles or could be read as exemplars of ways to bring these troubles to an end »40. À bien des égards, l’histoire du passé insulaire était chez eux une préfiguration du temps présent.

  • 41  Ne serait-ce qu’en plaçant l’apogée du royaume de Bretagne, avec le règne d’Arthur, après l’arrivé (...)
  • 42  Voir à ce sujet S. Reynolds, Kingdoms and Communities in Western Europe, 900-1300, Oxford, Clarend (...)
  • 43  Voir R. R. Davies, op. cit., p. 15.
  • 44  Voir R. R. Davies, op. cit, p. 16-17.
  • 45  Voir H. Thomas, op. cit., p. 354.

17De ce point de vue, l’Historia Regum Britanniae de Geoffroi de Monmouth, bien qu’elle allât ouvertement à l’encontre de la chronologie généralement admise par les autres historiens pour l’établissement de la domination anglo-saxonne dans l’île41, pouvait néanmoins contribuer à renforcer cette impression de continuité qui est une dominante de l’histoire insulaire42. Même s’il en interrompt le récit avec la perte par les Bretons de leur souveraineté sur l’île, tout indique qu’il l’a conçue comme une sorte d’« Ancien Testament » de l’histoire d’Angleterre. En imitant la structure même des histoires d’Angleterre écrites par Guillaume de Malmesbury ou Henri de Huntingdon, il cherchait probablement d’abord à doter les Bretons d’une histoire digne de ce nom. Mais, ce faisant, il proclamait l’existence d’une monarchie puissante et glorieuse, de beaucoup antérieure à l’arrivée des Angles et des Saxons dans l’île. Henri de Huntingdon voyait dans le royaume d’Angleterre de son temps, pourtant dominé par des élites d’origine normande, l’aboutissement du royaume de Wessex fondé par Cerdic et Cynric43. Si, donc, l’histoire de l’Angleterre était essentiellement celle d’un peuple uni sous l’autorité d’un roi, il devenait possible de la placer également dans la continuité de celle de ce premier royaume breton dont Geoffroi de Monmouth avait fait resurgir l’histoire. On peut ainsi comprendre la fascination éprouvée par Henri de Huntingdon pour l’Historia Regum Britanniae lorsqu’il la découvrit à l’abbaye du Bec et qu’il s’empressa d’en faire un résumé, même si l’impossibilité de la faire coïncider avec sa propre version des premiers temps de l’Angleterre le dissuada de tenter de l’intégrer dans son Historia Anglorum. Aux yeux des contemporains de Henri de Huntingdon et de Geoffroi de Monmouth, en tout cas, cette histoire de l’Angleterre avant l’Angleterre pouvait conférer une profondeur historique et donc un prestige accru à la « nation anglaise ». Parmi certains des plus anciens manuscrits de l’Historia Regum Anglorum, on en trouve un où est interpolée l’Historia Anglorum de Henri de Huntingdon, un autre où elle est associée aux Gesta Regum Anglorum de Guillaume de Malmesbury44. Dans sa « traduction » de Geoffroi de Monmouth dans le Roman de Brut, Wace utilise presque systématiquement le nom « Engleterre » pour désigner le royaume de Bretagne45. Et, avant même le milieu du XIIe siècle, Geoffroi Gaimar prenait l’initiative, qui devait être vouée à un riche avenir dans l’historiographie anglaise, de réunir dans un même récit l’histoire des rois de Bretagne et l’histoire des rois d’Angleterre. Même si le succès du Roman de Brut est vraisemblablement responsable de la perte de la première partie de ce récit, son choix témoigne de ce que cela n’avait rien d’inconcevable, qu’une telle démarche paraissait même naturelle à une partie de ceux qui s’intéressaient à l’histoire du pays.

L’évolution des éléments constitutifs de l’identité nationale

  • 46  Voir à ce sujet Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, t. 1 : Conquête et c (...)
  • 47  Voir à ce sujet N. Webber, The Evolution of Norman Identity, 911-1154, Woodbridge, Boydell, 2005, (...)
  • 48  Voir H. Thomas, op. cit., p. 350-352.
  • 49  Voir N. Webber, op. cit., p. 148, et art. cit., p. 224.
  • 50  L’expression est de H. Thomas, op. cit., p. 241.

18Le bouleversement provoqué en Angleterre par la conquête normande a ainsi entraîné une transformation en profondeur de la manière de concevoir et d’écrire l’histoire nationale et a incité les historiens à reconsidérer les bases sur lesquelles pouvait être refondée l’identité nationale. En effet, malgré l’admiration et la dette qu’ils éprouvaient envers Bède et son Historia Ecclesiastica Gentis Anglorum, il ne leur était plus possible de définir la nation anglaise dans une perspective providientialiste uniquement comme une communauté ethnico-religieuse regroupant l’ensemble des peuples d’origine germanique installés en Bretagne et en marche vers le Salut par leur conversion au christianisme sous la conduite de leurs évêques46. De plus, après la mise en place par les conquérants normands d’un pouvoir de type colonial, l’Angleterre se caractérisait par une situation de diglossie qui empêchait de définir la nation anglaise à partir de critères linguistiques ou culturels, sauf à la réduire à une seule de ses composantes. Il importe de remarquer, comme le souligne à juste titre Hugh Thomas, qu’il n’y a rien d’évident ou de naturel à ce que les Normands, dotés d’une forte identité ethnique pouvant s’appuyer elle aussi sur l’histoire47, aient adopté en définitive l’histoire du peuple qu’ils avaient vaincu48. Or, contrairement à ce qu’affirme Nick Webber, même dans le cas de Guillaume de Malmesbury, le seul de ces historiens anglais à revendiquer sa double origine, normande et anglaise, toute son œuvre visait bien à préserver et à transmettre l’histoire d’une nation qui pouvait tirer de son passé de nombreux et légitimes motifs de fierté ; il paraît difficile de nier qu’il écrivait dans une perspective anglocentrique et plus encore d’affirmer qu’il était « plus Normand qu’Anglais de cœur »49. Il ne fait aucun doute qu’il a intégré les nouveaux maîtres normands dans une histoire du royaume d’Angleterre et non incorporé l’Angleterre vaincue dans une histoire du peuple normand. C’est bien une « défense de l’honneur anglais »50 qui caractérise son œuvre, comme celle de pratiquement de tous les historiens anglais contemporains, et non un éloge de la Normanitas.

  • 51  P. Stafford, « The Anglo-Saxon Chronicles, Identity and the Making of England », Haskins Society J (...)
  • 52  Voir à ce sujet N. Partner, Serious Entertainment : the Writing of History in Twelfth-Century Engl (...)
  • 53  Voir J. Campbell, art. cit., p. 135, et Henry of Huntingdon, op. cit., introduction, p. LX-LXI.

19Mais, précisément, pour pouvoir plus aisément intégrer les événements survenus depuis 1066 en Angleterre dans une histoire nationale, il fallait opérer un déplacement des fondements de l’identité nationale de l’unité ethnique vers l’unité politique et territoriale. C’est ce qu’on observe en particulier chez Guillaume de Malmesbury et Henri de Huntingdon. Pour l’histoire de l’Angleterre antérieure à la conquête, aucun des deux ne se contente de traduire ses sources anglo-saxonnes ni de combiner les informations tirées de la Chronique anglo-saxonne et de Bède, ce qui était en soi une tâche parfois malaisée, à laquelle s’était déjà confrontée la chronique perdue désignée sous le nom de « Northern Recension », dont dérivent les versions D et E de la Chronique anglo-saxonne. Pauline Stafford a d’ailleurs récemment suggéré de façon convaincante que ce texte avait, déjà, pour but d’intégrer la Northumbrie dans une histoire anglaise visant à promouvoir l’hégémonie du Wessex51. Les deux chroniqueurs cherchent à donner une cohérence à une histoire souvent chaotique. Il ne s’agissait pas seulement d’un souci didactique visant à la clarté d’exposition, même si c’est une caractéristique particulièrement nette chez Henri de Huntingdon52. Il s’agissait d’une volonté d’ordonner le passé afin de lui donner un sens. Et ce sens, c’est celui de l’unification progressive du royaume d’Angleterre, de la réalisation d’un royaume unifié sous l’autorité des rois de Wessex. C’est ce qui l’a conduit à créer l’idée de l’Heptarchie ou à allonger la liste des bretwaldas,telle qu’elle figurait chez Bède ou dans la Chronique anglo-saxonne, pour y inclure Alfred et Edgar53. Et, dans cette perspective, aussi bien Henri de Huntingdon que Guillaume de Malmesbury font du règne d’Egbert un règne pivot de l’histoire anglaise.

  • 54  Henry of Huntingdon, op. cit., p. 10-30.
  • 55  Ibid., p. 12.
  • 56  Voir R. R. Davies, « L’État, la nation et les peuples au Moyen Âge : l’expérience britannique », H (...)
  • 57  Henry of Huntingdon, op. cit., p. 28.

20L’unité territoriale est tout aussi essentielle à leur vision de l’histoire et de l’identité nationale anglaise. Là encore, c’est particulièrement spectaculaire chez Henri de Huntingdon, qui, à la suite de Bède, commence son histoire par une description et un éloge de l’île de Bretagne54. Toutefois, à la différence de Bède, Henri établit une équivalence géographique entre l’Angleterre et la Bretagne, qui ne sont que deux noms qui se sont succédé pour désigner le même territoire : Hec autem insularum nobilissima cui quondam Albion nomen fuit, postea uero Britannia, nunc autem Anglia55 Et les dimensions qu’il donne ensuite pour l’Angleterre sont en fait celles qu’avait données Bède le Vénérable pour l’île de Bretagne ! Ainsi, la coïncidence entre le nom de l’île et le nom du royaume, même si c’était un « leurre historique et terminologique » qui pouvait s’avérer lourd de conséquences dans les relations de l’Angleterre avec le reste des îles Britanniques56, ne pouvait que renforcer l’identité nationale anglaise. Et, d’une certaine façon, le fait que cette île ait si souvent attiré les convoitises et les conquêtes, qu’il énumère sous le nom des cinq plaies, découle de ses qualités intrinsèques et devient partie intégrante de son identité : ob prerogatiuas ipsius Britannie diuicias omnium circumadiacentium in se liuorem et inuidiam mouit. Quamobrem sepe exougnata, sepissime uero inpugnata est57. Après une telle description de l’île, il était facile à Geoffroi de Monmouth de faire de l’arrivée des Bretons sous la conduite de Brutus la première de ces conquêtes, en peuplant l’île de géants. La conquête était ainsi placée à l’origine même du peuplement de l’île et de la création du royaume.

  • 58  Henry of Huntingdon, op. cit., p. 22-25.

21Il est d’ailleurs une image particulièrement expressive de cette coïncidence du territoire et du royaume. Il s’agit de l’évocation des quatre routes royales construites à travers l’Angleterre et protégées par des édits royaux58. Plus encore que la liste des comtés qui la précède, il s’agit d’un symbole fort d’une unité politique qui vient renforcer une unité naturelle. Et ce n’est certainement pas un hasard si, peu après, Geoffroi de Monmouth s’en emparait pour en attribuer la fondation à deux des figures les plus éminentes de son récit, les rois Dunvallo Molmutius et Belin, son fils, auxquels il attribuait également la promulgation des plus importantes lois des Bretons, les « lois Molmutines », plus tard traduites en anglais par le roi Alfred. Ainsi se dessinait, d’un historien à l’autre, l’idée d’un patrimoine commun à tous les peuples qui avaient successivement établi leur souveraineté sur l’île et qui était le fondement même de l’identité nationale.

  • 59  Voir à ce sujet G. Garnett, Conquered England. Kingship, Succession and Tenure, 1066-1166, Oxford, (...)
  • 60  La phrase est de D. Baker, art. cit., p. 97, à propos d’Ælred de Rievaulx.

22Sur le modèle du roi Guillaume le Conquérant, qui, pour justifier sa conquête, avait revendiqué le statut d’héritier de son antecessor, le roi Édouard le Confesseur, tous ceux qui, après la conquête, possédaient des terres, exerçaient une autorité, occupaient un office ecclésiastique, pouvaient eux aussi prétendre agir en tant qu’héritiers de leur antecessores, même si ceux-ci étaient leurs prédécesseurs et non leurs ancêtres59. Recueillir l’héritage des prédécesseurs, fût-ce par la conquête, conférait sans aucun doute des droits aux nouveaux maîtres de l’Angleterre, mais leur imposait aussi des devoirs. En un sens, il leur incombait de se montrer dignes de cet héritage en le préservant, en le respectant et en le transmettant à leur tour à leurs successeurs. Et ce riche héritage, qui comprenait aussi bien les lois anglaises que le culte des saints anglais, et en définitive le royaume d’Angleterre lui-même, était l’œuvre des rois, des évêques, des moines qui l’avaient constitué au fil des siècles, et des historiens qui en perpétuaient la mémoire. En déplaçant en amont, dans un passé encore plus lointain, à l’époque du royaume de Bretagne, bon nombre des éléments constitutifs de ce « patrimoine national » (royaume unifié, lois, conversion au christianisme, organisation ecclésiastique, routes royales…), Geoffroi de Monmouth cherchait peut-être à revaloriser ses compatriotes gallois aux yeux de ceux qui leur témoignaient un mépris croissant, mais il espérait peut-être aussi faire partager, comme la plupart des autres historiens anglais de son temps « a sense of community transcending racial diversity, allied to a strong sense of historical continuity »60.

  • 61  Voir C. Dennis, « Image-Making for the Conquerors of England : Cnut and William I », dir. B. M. Bo (...)
  • 62  Henry of Huntingdon, op. cit., p. 366. On en trouve un écho dans les vers de Gaimar : « Kenut fut (...)
  • 63  Henry of Huntingdon, op. cit., p. 366-8 et 410-1 ; et, pour Gaimar, L’Estoire…, op. cit., p. 149-1 (...)
  • 64  William of Malmesbury, op. cit., t. 1, p. 322-323.
  • 65  Ibid., p. 322 : Ita cum omnis Anglia pareret uni, ille ingenti studio Anglos sibi conciliare, aequ (...)
  • 66  William of Malmesbury, op. cit., p. 320-1, qui reprend 2 Samuel, 1 : 16. Voir à ce sujet J. G. Haa (...)
  • 67  Voir G. T. Beech, « The Naming of England », History Today, octobre 2007, p. 32-37.

23Un exemple permet d’illustrer de façon particulièrement nette la redéfinition de l’identité nationale ainsi effectuée et le dépassement de l’unité ethnique au profit de la continuité politique et territoriale. Il s’agit du traitement réservé par la majorité des historiens anglais de cette période au roi danois Cnut. Dans une vision traditionnelle de l’identité nationale, celui-ci devrait logiquement être considéré comme un envahisseur et un usurpateur. Or, même s’il avait sans doute bénéficié, déjà dans la Chronique anglo-saxonne, de l’image particulièrement négative de son presque prédécesseur61, le roi Æthelred II, le « mal conseillé » (Unraed), on est frappé de voir le portrait encore plus flatteur que dressent de lui les plus influents historiens qui écrivaient un siècle après sa mort – et ce, malgré son échec à installer durablement une nouvelle dynastie sur le trône d’Angleterre. Henri de Huntingdon, suivi par Geoffroi Gaimar, souligne à la fois son pouvoir sans précédent (nec enim ante eum tante magnitudinis rex fuerat in Anglia et Cnut omnium predecessorum suorum maximus regnauit gloriose62) et son humilité, à travers l’épisode devenu proverbial du roi qui cherche en vain à imposer son autorité à la marée63. Quant à Guillaume de Malmesbury, il vante la piété du roi, et notamment sa vénération des saints anglais, ainsi que la conservation et le renforcement sous son règne des lois anglaises plus tard attribuées à Édouard le Confesseur64. Mais, surtout, il insiste à deux reprises sur le fait que Cnut témoigna du respect et de la considération aux Anglais qu’il avait soumis à son autorité ; et, lors de la seconde occurrence, il n’hésite pas à l’opposer à Guillaume le Conquérant, qui aurait mieux fait, selon lui, de suivre les pas de son prédécesseur65. La pleine royauté de Cnut, et sa légitimité à incarner l’identité anglaise, ne s’exprime nulle part mieux que dans le récit, inédit, que Guillaume de Malmesbury fait du jugement rendu par le roi à l’encontre du traître Eadric Streona, responsable de l’assassinat de son prédécesseur Edmond Ironside : Guillaume place en effet dans la bouche du roi les paroles mêmes que David avait prononcées lorsque le soldat amalécite vient lui annoncer avoir tué le roi Saül66. En un sens, cette valorisation rétrospective d’un usurpateur étranger, désormais pleinement intégré dans l’histoire nationale, était une façon d’affirmer qu’une conquête ne devait pas nécessairement entraîner l’anéantissement de l’identité anglaise, pourvu que les conquérants préservent ce qui en faisait l’essence (les lois, la justice royale, le culte des saints anglais…) et respectent l’honneur et les privilèges des vaincus. Et elle est d’autant plus intéressante que le règne de Cnut semble effectivement avoir constitué un moment important dans l’affirmation de l’identité anglaise67.

Épilogue: au tournant du XIIIe et du XIVe siècle, l’ancrage de l’identité anglaise dans une vision commune du passé

  • 68  Cf. J. Gillingham, art. cit., p. 29, n. 67, et P. Damian-Grint, op. cit., p. 44 et 46.
  • 69  Voir A. Gransden, op. cit., p. 148.
  • 70  Cf. R. W. Huling, « English Historical Writing under the Early Angevin Kings, 1170-1210 », thèse d (...)
  • 71  Même si ces deux œuvres, inachevées, s’interrompent en fait en 1106 pour la première et en 1135 po (...)

24Parmi les ouvrages historiques composés dans la première moitié du XIIe siècle, la plupart ont connu une large diffusion en Angleterre : on compte au moins 37 manuscrits des Gesta Regum Anglorum de Guillaume de Malmesbury (auxquels on peut ajouter les 25 manuscrits des Gesta Pontificum), plus de 40 manuscrits pour les six différentes versions de l’Historia Anglorum de Henri de Huntingdon et 215 manuscrits pour l’Historia Regum Britanniae de Geoffroi de Monmouth (dont les deux tiers pour la seule Angleterre)68. Et même ceux dont le nombre de manuscrits conservés indique une diffusion beaucoup plus restreinte, comme la chronique de Jean de Worcester, l’Estoire des Angleis de Geoffroi Gaimar ou la Genealogia Regum Anglorum d’Ælred de Rievaulx, ont exercé une indéniable influence sur l’historiographie anglaise ultérieure. Ainsi, la chronique de Jean de Worcester a-t-elle très rapidement servi de base à un nombre appréciable de chroniques monastiques et été utilisée par l’Historia Regum attribuée à Syméon de Durham69. Cette même chronique et la Genealogia d’Ælred de Rievaulx ont été utilisées à la fin du XIIe siècle par Raoul de Diceto pour ses Abbreviationes Chronicorum, ses Ymagines Historiarum et ses Opuscula, des œuvres d’autant plus importantes qu’elles ont nourri la vision du passé national des deux grands historiens de Saint-Albans au XIIIe siècle, Roger de Wendover et plus encore Matthieu Paris70. Pourtant, même si on laisse de côté les initiatives de Wace dans le Roman de Rou et de Benoît de Sainte-Maure dans son Histoire des ducs de Normandie, sans aucun doute encouragées par le roi d’Angleterre Henri II, mais entreprises sur le continent, qui visaient à retracer l’histoire de ses ancêtres normands et donc à inscrire l’histoire anglaise récente dans le prolongement de l’histoire normande71, il faut remarquer que les transformations de l’histoire anglaise accomplies depuis le début du XIIe siècle n’ont pas immédiatement rencontré le succès en Angleterre même. En dépit de la vitalité de l’écriture de l’histoire à la fin du XIIe siècle et dans la première moitié du XIIIe, aucun historien de cette période n’a adopté leur conception globale de l’histoire anglaise. Pour ne prendre qu’un exemple, les deux seuls historiens à avoir repris à Henri de Huntingdon le titre d’Historia Anglorum, Guillaume de Newburgh et Matthieu Paris, ont choisi de faire commencer leur récit avec la conquête normande de 1066, apparemment peu sensibles aux efforts déployés par leurs prédécesseurs pour établir la continuité de l’histoire nationale.

  • 72  Pour la seule édition du Brut, voir The Oldest Anglo-Norman Prose “Brut” Chronicle : An Edition an (...)
  • 73  J. Gillingham, op. cit., p. 113-122.

25Il est d’autant plus significatif de retrouver combinée dans les premières histoires d’Angleterre en prose anglo-normande, de manière diverse, la quasi totalité des conceptions et des motifs de l’histoire nationale élaborés par les historiens de la première moitié du XIIe siècle. Prenons-en simplement deux exemples. D’abord, le Brut en prose, dont les premières versions ont vraisemblablement été composées à la fin du XIIIe siècle et qui a été décliné en d’innombrables formes abrégées72. Toutes ces versions ont repris à Geoffroi Gaimar l’idée d’associer l’histoire des rois de Bretagne et l’histoire des rois d’Angleterre. Pour leur contenu, elles dérivent évidemment en partie, directement ou indirectement, de l’Historia Regum Britannie de Geoffroi de Monmouth. Et John Gillingham a souligné aussi combien le Brut en prose anglo-normande était dépendant de l’Estoire de Geoffroi Gaimar pour sa vision de la période anglo-saxonne73. Mais on y trouve aussi un écho de la Genealogia Regum Anglorum d’Æelred de Rievaulx lorsqu’elles évoquent le mariage de Henri Ier et de Mathilde et l’ascendance royale de cette dernière jusqu’à Edgar.

  • 74  Voir O. de Laborderie, « A New Pattern for English History : The First Genealogical Rolls of the K (...)
  • 75  Voir O. de Laborderie, « La mémoire des origines normandes des rois d’Angleterre dans les généalog (...)

26C’est aussi ce mariage et le rattachement du roi Henri II et de ses successeurs à la lignée royale anglo-saxonne qui sont au cœur des généalogies en rouleau des rois d’Angleterre, dont la plupart ont été élaborées entre 1272 et 1330 et qui soulignent même souvent par l’image l’importance cruciale de ce mariage74. Mais celles-ci, malgré la brièveté de leur texte, résultent d’une combinaison encore plus large de textes d’historiens du XIIe siècle que le Brut. Outre ce qu’elles doivent à Ælred de Rievaulx pour la place centrale de la généalogie (à moins qu’il ne s’agisse d’une idée reprise à Jean de Worcester…) et l’accomplissement (implicite) de la prophétie de l’Arbre vert, elles empruntent leur texte (probablement par l’intermédiaire de Matthieu Paris) à Henri de Huntingdon, en particulier le commentaire du schéma de l’Heptarchie qui sert de prologue, et surtout à Guillaume de Malmesbury. C’est aussi indirectement à eux qu’elles doivent de commencer généralement avec le règne d’Egbert. Quant à l’idée du schéma circulaire de l’Heptarchie par lequel elles commencent et dans lequel semble s’enraciner le schéma généalogique qui suit, il ne fait aucun doute qu’elle provient en partie de la longue introduction topographique de Henri de Huntingdon. Enfin, même ci ces généalogies témoignent d’une remise à l’honneur progressive des origines normandes des rois d’Angleterre75, très rapidement aussi, peut-être sous l’influence du Brut, certains de leurs auteurs y annexèrent, sous une forme plus ou moins résumée, l’histoire des rois de Bretagne, reprenant pour le contenu Geoffroi de Monmouth et pour la conception d’ensemble Geoffroi Gaimar. Ainsi, sous une forme originale, ces abrégés mettaient à la disposition de leurs lecteurs un condensé de la fine fleur de l’historiographie anglaise de la première moitié du XIIe siècle.

  • 76  Cité d’après le ms. Londres, British Library, Royal 14 B. VI.
  • 77  Voir à ce sujet J. Gillingham, op. cit., p. 96 et 246-247.

27Parmi de nombreux autres, on peut prendre deux exemples caractéristiques de cet aboutissement. D’abord, pour revenir sur l’exemple du roi Cnut, le commentaire des généalogies en rouleau, avant de consacrer l’essentiel de la notice au récit, emprunté à Guillaume de Malmesbury, du châtiment exemplaire du traître Eadric, ose comparer le roi danois – et lui seul – au roi Arthur : « Cesti Knut le Daneys si regna après la mort Eamun Yreneside e unkes devant li puis le tens au grant Arthur ne fu roys de Engletere de si grant pour [pouvoir], car il fu seignour de Denemarche e de Norway e de Escoce e de Engletere »76. On observe ainsi un transfert significatif car, chez Henri de Huntingdon et Geoffroi Gaimar – et c’est encore le cas dans le Brut en prose – c’est le roi Edgar qui se voyait ainsi comparé à Arthur77. Ainsi un Breton et un Danois étaient-ils devenus dans ces abrégés d’histoire nationale deux des plus grands rois d’ « Angleterre ». Mais le plus révélateur est la fin du commentaire introductif du schéma de l’Heptarchie. Elle reprend en effet, par l’intermédiaire de Henri de Huntingdon, le jeu de mots fondateur attribué par Bède au pape Grégoire le Grand. Mais elle le fait immédiatement suivre d’une brève remarque qui affirme comme une évidence la continuité de la « nation » anglaise depuis cette lointaine époque, voire depuis Brutus, jusqu’en cette fin du XIIIe siècle (« en le jours ke ore sunt ») :

  • 78  Cité, là encore, d’après le ms. Londres, British Library, Royal 14 B. VI.

«E pour coe l’Engletere, ke fu jadis apelé Bretaine pour le noun de premier habitour, ke avoit a noun Bruto, quand les geanz furent vencuz, de totes hilles ceste la plus beneite. […] Laquelle ylle li benoit apostoille seint Gregorie presa mult quant il regarda a Rome trespassant les enfanz de Engletere, ke les marchanz volent vendre en marché aussi cum autre marchandise. E il dist:“Verreaiment bien sunt apelé Engleis, kar lour vout resemble a vout de angle.” E adesertes, en le jours ke ore sunt, l’en ne trove nule natioun en le mund ke si courtoisement ne a si grant devocion serve a Dieu e a Seinte Eglise cum les Engleis.»78

28Les Anglais contemporains de l’écriture du texte sont clairement considérés comme les héritiers des Anglais admirés par Grégoire le Grand. On est bien ici face à la proclamation d’une identité nationale anglaise, mais d’une identité « supra-ethnique » qui aurait été inconcevable sans les diverses entreprises de reconstruction de l’histoire anglaise menées un siècle et demi auparavant.

29Ainsi, la langue et le format de ces modestes abrégés anonymes témoignent de l’adhésion de plus en plus large au sein de la société anglaise à une histoire nationale qui transcendait les ruptures dynastiques et, plus profondément, les divisions ethniques et culturelles résultant des conquêtes successives, et qui reposait avant tout sur la permanence d’une entité politique, celle du royaume d’Angleterre. Ils avaient entièrement absorbé, « digéré » même, les profonds remaniements opérés par leurs déjà lointains prédécesseurs et marquaient ainsi le triomphe, différé mais éclatant, de la redéfinition de l’identité anglaise entreprise au XIIe siècle.

Conclusion

  • 79  Voir par exemple S. Foot, « The Making of Angelcynn : English Identity before the Norman Conquest  (...)
  • 80  P. Nora, Les Lieux de mémoire, II : La Nation, « Présentation » [1re éd. 1986], rééd. Paris, Galli (...)

30La construction de l’identité nationale est un processus complexe et ininterrompu et cette identité ne cesse donc d’évoluer pour prendre en compte les transformations, parfois même les bouleversements, qui affectent la communauté qui entend se définir comme nation. En dépit de l’indiscutable ancienneté des premières étapes de son élaboration, que certains croient pouvoir repérer à l’époque du roi Alfred79, d’autres dans l’œuvre même de Bède le Vénérable, l’identité anglaise n’échappe pas à la règle. Il semble donc vain de vouloir dater la « naissance » de l’identité nationale, puisque celle-ci subit périodiquement des ajustements, des mutations qui sont la condition même de sa pérennité et de sa vitalité. Toutefois, cette dynamique n’opère pas à un rythme uniforme et on peut y déceler des « moments clefs de remaniement intégral de l’assiette même de l’histoire nationale »80. Le demi-siècle qui sépare l’avènement de Henri Ier de celui de Henri II semble bien constituer un tel moment et le rôle qu’y ont joué les historiens a été fondamental, en particulier pour dépasser les antagonismes nés de la conquête et de la colonisation normandes.

  • 81  Voir à ce sujet P. Stafford, art. cit., p. 30, en particulier note 6, et p. 50.

31Si le demi-siècle correspondant aux règnes d’Édouard Ier et d’Édouard II constitue sans aucun doute à son tour une autre période cruciale, cette fois-ci pour l’enracinement de cette histoire nationale au sein de la société politique anglaise grâce à une diffusion beaucoup plus large d’une histoire commune, l’analyse de la composition de certaines des versions les plus populaires de ces ouvrages anonymes vient confirmer rétrospectivement le rôle décisif joué par les historiens de la première moitié du XIIe siècle, dont ils sont profondément tributaires. En effet, quelles que soient la forme qu’adoptent ces histoires nationales ou la période qu’elles couvrent, depuis Egbert ou depuis Brutus, leurs auteurs empruntent, probablement inconsciemment, non seulement leurs informations, mais bien plus largement leur conception et leur thématique à leurs prestigieux devanciers. On ne peut que souhaiter que cette abondante production historiographique en prose anglo-normande des années 1270-1330, qui reste encore largement inexplorée, fasse l’objet d’un travail collectif d’édition systématique et minutieuse comparable à celui qui a été entrepris pour ce que l’on continue d’appeler, de façon trompeuse, « la » Chronique anglo-saxonne81, elle-même si déterminante pour l’élaboration de l’histoire nationale anglaise à travers l’usage qu’en ont fait les historiens de la première moitié du XIIe siècle.

  • 82  Voir T. Turville-Petre, « The “ Nation” in English Writings of the Early Fourteenth Century », Eng (...)

32Mais le processus ne s’arrête pas là. Alors même que les différentes formes d’histoire nationale en prose anglo-normande connaissent leur plus large succès, s’amorce une nouvelle phase de l’interaction permanente entre histoire et identité nationale, celle de l’histoire nationale en anglais, illustrée par la chronique attribuée à Robert de Gloucester (vers 1300), celle de Robert Manning (achevée en 1338) et plus tard les traductions du Brut en anglais82. Toutefois, l’idée que l’anglais était une composante essentielle de l’identité anglaise et que l’histoire devait s’écrire nécessairement dans la langue nationale pour être véritablement une histoire nationale devait mettre encore plus d’un siècle à s’imposer.

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Notes

1  M. T. Clanchy, England and its Rulers, 1066-1272 : Foreign Lordship and National Identity, Londres, Fontana (Fontana History of England), 1983. Il est cependant significatif que ce sous-titre a disparu lors de la première réédition (Oxford, Blackwell, 1998), qui vit l’adjonction d’un épilogue sur Édouard Ier (p. 206-229), comme dans la seconde (Blackwell, 2006), augmentée, elle, d’un nouveau chapitre intitulé « The Matter of Britain », consacré aux relations de l’Angleterre avec les autres territoires britanniques (p. 153-177).

2 Ibid., chap. 10 : « National Identity », p. 241-262.

3  Ces débats initiés en Grande-Bretagne ont en effet débordé le cadre « national » et ont suscité une remarquable synthèse par le médiéviste américain Hugh Thomas, The English and the Normans : Ethnic Hostility, Assimilation, and Identity, 1066-c. 1220, Oxford, Oxford University Press, 2003.

4  Parmi les premiers articles de John Gillingham consacrés à la question, on peut citer « The Beginnings of English Imperialism », Journal of Historical Sociology, 5, 1992, p. 392-409 ; « Henry of Huntingdon and the Twelfth-Century Revival of the English Nation », Concepts of National Identity in the Middle Ages, dir. S. Forde, L. Johnson et A. Murray, Leeds, Leeds Texts and Monographs, 1995, p. 75-101 ; et « The Foundations of a Disunited Kingdom », Uniting the Kingdom ? The Making of British History, Londres, Routledge, 1995, p. 48-64. Ces trois articles ont depuis été réunis, ainsi que plusieurs autres, dans J. Gillingham, The English in the Twelfth Century. Imperialism, National Identity and Political Values, Woodbridge, Boydell, 2000, respectivement p. 3-18, p. 123-144 et p. 93-109 (c’est à cette édition que se référeront les citations ultérieures). Pour Rees Davies, on peut en particulier lire ses quatre conférences données à la Royal Historical Society en 1993-1996 sous le titre général « The Peoples of Britain and Ireland, 1100-1400 », publiées dans les Transactions of the Royal Historical Society, 6th ser. 4, 1994, p. 1-20 (« I. Identities »), 5, 1995, p. 1-20 (« II. Names, Boundaries and Regnal Solidarities »), 6, 1996, p. 1-23 (« III. Laws and Customs »), et 7, 1997, p. 1-24 (« IV. Language and Historical Mythology ») ; ainsi que sa conférence inaugurale comme « Chichele Professor of Medieval History » à Oxford, intitulée The Matter of Britain and the Matter of England, Oxford, Oxford University Press, 1996.

5  J. Gillingham, op. cit., p. 140, 99 et 100.

6  B. Guenée, L’Occident aux XIVe et XVe siècles. Les États, 5e éd., Paris, Presses Universitaires de France (coll. « Nouvelle Clio : l’histoire et ses problèmes »), 1993, p. 123.

7  B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, [1re éd. 1980], Paris, Aubier-Montaigne, 1991, p. 313 ; voir aussi p. 309 sur ces chroniques qui étaient à la fin du XIIIe siècle encore « au fondement même de la culture et de la conscience nationale des Anglais ».

8  C’est la principale explication de ce renouveau donnée par R. W. Southern, « Aspects of the European Tradition of Historical Writing : 4. The Sense of the Past », Transactions of the Royal Historical Society, 5th ser., 23, 1973, p. 243-264, en particulier p. 246-249.

9  Voir à ce sujet les remarques de J. Campbell, « Some Twelfth-Century Views of the English Past », Peritia, 3, 1984, p. 131-150, en particulier p. 131-133 ; et A. Williams, The English and the Norman Conquest, Woodbridge, Boydell, 1995, p. 176. Sur ces différents historiens, voir A. Gransden, Historical Writing in England, t. 1 : c. 550 to c. 1307, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1974, p. 136-218.

10  William of Malmesbury, Gesta Regum Anglorum, éd. et trad. de R. A. B. Mynors, R. M. Thomson et M. Winterbottom, Oxford, Clarendon Press (« Oxford Medieval Texts »), 2 vols., 1998-1999, t. 1, p. 14-15.

11  Voir notamment à ce sujet R. M. Thomson, « England and the Twelfth-Century Renaissance », Past and Present, 101, 1983, p. 3-21, réimpr. dans idem, England and the 12th-Century Renaissance, Aldershot, Ashgate, 1998, chap. XIX ; idem, William of Malmesbury [1re éd., 1987], Woodbridge, Boydell, 2003, p. 14-39 ; P. Damian-Grint, The New Historians of the Twelfth-Century Renaissance : Inventing Vernacular Authority, Woodbridge, Boydell, 1999 ; et M. Aurell, « Geoffrey of Monmouth’s History of the Kings of Britain and the 12th-Century Renaissance », Haskins Society Journal, 18, 2006, p. 1-18.

12  En particulier à cause de la rareté et de la dispersion des sources, mais aussi des difficultés croissantes éprouvées par les Anglais du XIIe siècle pour lire les chroniques écrites en Anglo-Saxon ; voir par exemple à ce sujet M. T. Clanchy, From Memory to Written Record. England, 1066-1307 [1re éd. 1979], 2e éd. Oxford, Blackwell, 1993, p. 211-213.

13  Voir à ce sujet les remarques de J. Campbell, art. cit., p. 138-140, et de R. R. Davies, op. cit., p. 8-9.

14  Geoffrey of Monmouth, The History of the Kings of Britain : an Edition and Translation of De Gestis Britonum [Historia Regum Britanniae], ed. M. D. Reeve, trad. N. Wright, Woodbridge, Boydell, 2007, p. 1.

15  Voir principalement à ce sujet les récents articles de Paul Dalton : « Churchmen and the Promotion of Peace in King Stephen’s Reign », Viator, 31, 2000, p. 79-119 ; « The Topical Concerns of Geoffrey of Monmouth’s Historia Regum Britannie : History, Prophecy, Peacemaking, and English Identity in the Twelfth Century », Journal of British Studies, 44, 2005, p. 688-712 ; et « Geffrei Gaimar’s Estoire des Engleis, Peacemaking, and the “Twelfth-Century Revival of the English Nation” », Studies in Philology, 104, 2007, p. 427-454. Pour Ælred de Rievaulx, voir R. Ransford, « A Kind of Noah’s Ark : Aelred of Rievaulx and National Identity », Religion and National Identity, dir. S. News, Oxford, p. 137-146, et I. Short, « Tam Angli quam Franci : Self-definition in Anglo-Norman England », Anglo-Norman Studies XVIII, dir. C. Harper-Bill, Woodbridge, Boydell, 1996, p. 169-172.

16  C’est le cas de J. Campbell, op. cit., p. 144, qui n’y voit qu’une entreprise de mystification et de parodie, et d’A. Williams, op. cit., qui n’y fait aucune allusion dans son chapitre intitulé « Remembering the past », p. 155-186 ; il est vrai que, dans le cas de Geoffroi de Monmouth, il s’agit plus de « résurrection » que de « remémoration » du passé …

17  H. Thomas, op. cit., p. 352.

18  William of Malmesbury, op. cit., p. 14.

19  Henry of Huntingdon, Historia Anglorum : the History of the English People, éd. et trad. D. Greenway, Oxford Clarendon Press (« Oxford Medieval Texts »), 1996, p. 4.

20  Voir I. Short, « Gaimar et les débuts de l’historiographie en langue française », Chroniques nationales et chroniques universelles, dir. D. Buschinger, Göppingen, Kümmerle Verlag, 1990, p. 155-163 ; et P. Damian-Grint, op. cit., p. 50.

21  Voir J. Campbell, art. cit., p. 142, et R. R. Davies, op. cit., p. 13.

22  Voir P. Damian-Grint, op. cit., p. 65-66, L. Johnson, « The Anglo-Norman Description of Britain : An Introduction », Anglo-Norman Anniversary Essays, dir. I. Short, p. 11-30 ; pour le texte, voir A. Bell, « The Anglo-Norman Description of Britain : An Edition », ibid., p. 31-47.

23  Voir notamment à ce sujet R. M. Stein, « Making History English. Cultural Identity and Historical Explanation in William of Malmesbury and Layamon’s Brut », Text and Territory, dir. S. A. Giles et S. Tomasch, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1998, p. 97-115, en particulier p. 104. Voir aussi A. Williams, op. cit., p. 166-168, 173-176 et 178.

24  Voir H. Thomas, op. cit., p. 351-352.

25  Voir principalement à ce sujet I. Short, « Gaimar’s Epilogue and Geoffrey of Monmouth’s Liber vetustissimus », Speculum, 69, 1994, p. 323-343 ; id., « Patrons and Polyglots : French Literature in Twelfth-Century England », Anglo-Norman Studies XIV, 1991, p. 229-249 ; ainsi que P. Dalton, « The Date of Geoffrey Gaimar’s Estoire des Engleis, the Connections of His Patrons, and the Politics of Stephen’s Reign », The Chaucer Review, 42, 2007, p. 23-47, qui propose une datation plus tardive, entre 1141 et 1150, de l’œuvre de Gaimar.

26  Voir M. Brett, « John of Worcester and his contemporaries », The Writing of History in the Middle Ages : Essays presented to Richard William Southern, dir. R. H. C. Davis et J. M. Wallace-Hadrill, Oxford, 1981, p. 101-126, en particulier p. 103 et 113-117 ; et A. Williams, op. cit., p. 168-170.

27  Voir D. Baker, « Ailred of Rievaulx and Walter Espec », Haskins Society Journal, 1, 1989, p. 91-107.

28  Voir à ce sujet N. Wright, « The Place of Henry of Huntingdon’s Epistola ad Warinum in the Text-History of Geoffrey of Monmouth’s Historia regum Britannie : a Preliminary Investigation », France and the British Isles in the Middle Ages and Renaissance : Essays by Members of Girton College, Cambridge, in Memory of Ruth Morgan, dir. G. Jondorf et D. N. Dumville, Woodbridge, Boydell, 1991, p. 71-113.

29  Voir A. Gransden, op. cit., p. 211, et J. Gillingham, op. cit., p. 233-258.

30  J. Gillingham, op. cit., p. 19-39.

31  J.-Ph. Genet, « Histoire et système de communication au Moyen Âge », L’Histoire et les nouveaux publics dans l’Europe médiévale (XIIIe-XVe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 12 ; voir aussi p. 28 sur la place de l’histoire « à la croisée du besoin individuel d’identification et du besoin collectif d’identification ».

32  Cf. The Anglo-Saxon Chronicle, éd. et trad. M. J. Swanton, Londres, J. M. Dent, 1996, p. 236.

33  Voir A. Williams, op. cit., p. 166 et 173, et I. Short, « Tam Angli… », art. cit., p. 168.

34  Voir I. Short, « Tam Angli… », art. cit., p. 169-172, et A. Williams, op. cit., p. 184-185.

35  Voir J. Gillingham, op. cit., p. 129-130.

36  R. R. Davies, op. cit., p. 16.

37  Sauf cependant Jean de Worcester ; voir A. Williams, op. cit., p. 169.

38  Voir à ce sujet B. Weiler, « William of Malmesbury on Kingship », History, 90 (297), 2005, p. 3-22, en particulier p. 11. Sur l’importance de la figure d’Edgar dans les histoires de la première moitié du XIIe siècle, voir notamment A. Williams, op. cit., p. 166 et note 67, et J. Gillingham, op. cit., p. 95-96 et 246-247.

39  Voir à ce sujet J. Gillingham, op. cit., p. 233-258. Sur la construction de l’image négative de ce roi, voir E. Mason, « William Rufus : Myth and Reality », Journal of Medieval History, 3, 1977, p. 1-20, et T. Callahan, « The Making of a Monster : the Historical Image of William Rufus », Journal of Medieval History, 7, 1981, p. 175-185.

40  P. Dalton, « Geffrei Gaimar’s Estoire des Engleis… », art. cit., p. 431.

41  Ne serait-ce qu’en plaçant l’apogée du royaume de Bretagne, avec le règne d’Arthur, après l’arrivée des premiers Saxons Horsa et Hengist ; voir à ce sujet R. W. Leckie jr, The Passage of Dominion : Geofffrey of Monmouth and the Periodization of Insular History in the Twelfhth Century, Toronto, University of Toronto Press, 1981, en particulier p. 53-59.

42  Voir à ce sujet S. Reynolds, Kingdoms and Communities in Western Europe, 900-1300, Oxford, Clarendon Press, 1984, p. 267, et R. W. Hanning, The Vision of History in Early Britain : From Gildas to Geoffrey of Monmouth, New York, 1966, p. 126-172.

43  Voir R. R. Davies, op. cit., p. 15.

44  Voir R. R. Davies, op. cit, p. 16-17.

45  Voir H. Thomas, op. cit., p. 354.

46  Voir à ce sujet Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, t. 1 : Conquête et conversion, trad. par O. Szerwiniack et alii, Paris : Belles Lettres, 2001, introduction p. XXVI-XLVIII, et G. Tugene, L’image de la nation anglaise dans l’Histoire ecclésiastique de Bède le Vénérable, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2001, en particulier chap. 2, p. 61-97.

47  Voir à ce sujet N. Webber, The Evolution of Norman Identity, 911-1154, Woodbridge, Boydell, 2005, p. 115-174 ; id., « England and the Norman Myth », Myth, Rulership, Church and Charter. Essays in Honour of Nicholas Brooks, dir. J. Barrow et A. Wareham, Aldershot, Ashgate, 2008, p. 211-228 ; et L. Shopkow, History and Community : Norman Historical Writing in the Eleventh and Twelfth Centuries, Washington, Catholic University of America Press, 1997.

48  Voir H. Thomas, op. cit., p. 350-352.

49  Voir N. Webber, op. cit., p. 148, et art. cit., p. 224.

50  L’expression est de H. Thomas, op. cit., p. 241.

51  P. Stafford, « The Anglo-Saxon Chronicles, Identity and the Making of England », Haskins Society Journal, 19, 2007, p. 28-50, en particulier p. 42-50.

52  Voir à ce sujet N. Partner, Serious Entertainment : the Writing of History in Twelfth-Century England, Chicago, University of Chicago Press, 1977, p. 9-48 ; et les remarques de J. Campbell, art. cit., p. 134-135.

53  Voir J. Campbell, art. cit., p. 135, et Henry of Huntingdon, op. cit., introduction, p. LX-LXI.

54  Henry of Huntingdon, op. cit., p. 10-30.

55  Ibid., p. 12.

56  Voir R. R. Davies, « L’État, la nation et les peuples au Moyen Âge : l’expérience britannique », Histoire, économie et société, 24, 2005 (Numéro spécial « Cultures politiques, identités sociales en Grande-Bretagne »), p. 27.

57  Henry of Huntingdon, op. cit., p. 28.

58  Henry of Huntingdon, op. cit., p. 22-25.

59  Voir à ce sujet G. Garnett, Conquered England. Kingship, Succession and Tenure, 1066-1166, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 24-33.

60  La phrase est de D. Baker, art. cit., p. 97, à propos d’Ælred de Rievaulx.

61  Voir C. Dennis, « Image-Making for the Conquerors of England : Cnut and William I », dir. B. M. Bolton et C. E. Meek, Turnhout, Brepols, 2007, p. 33-52.

62  Henry of Huntingdon, op. cit., p. 366. On en trouve un écho dans les vers de Gaimar : « Kenut fut bon rei, riche e poant / Sa realted esteit mult grant » (v. 4677-8) et « Dunc fut Kenut de treis regnes sire, Poi trovad qui l’osast desdire » (v. 4689-90), cf. L’Estoire des Engleis by Geffrei Gaimar, éd. A. Bell, Oxford, Blackwell/Anglo-Norman Text Society, 1960, p. 149. Une nouvelle édition, avec traduction anglaise, préparée par Ian Short, doit paraître en juillet prochain : Geffrei Gaimar, Estoire des Engleis / History of the English, éd. et trad. I. Short, à paraître, Oxford : Oxford University Press, 2010.

63  Henry of Huntingdon, op. cit., p. 366-8 et 410-1 ; et, pour Gaimar, L’Estoire…, op. cit., p. 149-150.

64  William of Malmesbury, op. cit., t. 1, p. 322-323.

65  Ibid., p. 322 : Ita cum omnis Anglia pareret uni, ille ingenti studio Anglos sibi conciliare, aequum illis ius cum Danis suis in consessu in concilio in prelio concedere ; et p. 470, où il dénonce le comportement de Guillaume, a Cnutonis quondam regis facilitate immaniter abhorrens, qui uictis honores integros exhibuit.

66  William of Malmesbury, op. cit., p. 320-1, qui reprend 2 Samuel, 1 : 16. Voir à ce sujet J. G. Haahr, « The Concept of Kingship in William of Malmesbury’s Gesta Regum and Historia Novella », Medieval Studies, 38, 1976, p. 351-71 (particulièrement p. 356).

67  Voir G. T. Beech, « The Naming of England », History Today, octobre 2007, p. 32-37.

68  Cf. J. Gillingham, art. cit., p. 29, n. 67, et P. Damian-Grint, op. cit., p. 44 et 46.

69  Voir A. Gransden, op. cit., p. 148.

70  Cf. R. W. Huling, « English Historical Writing under the Early Angevin Kings, 1170-1210 », thèse dactylographiée, Binghampton, State University of New York, 1980, p. 133 et n. 107 ; voir aussi Gransden, op. cit., p. 364.

71  Même si ces deux œuvres, inachevées, s’interrompent en fait en 1106 pour la première et en 1135 pour la seconde et ne mènent donc pas jusqu’à l’époque de leur rédaction.

72  Pour la seule édition du Brut, voir The Oldest Anglo-Norman Prose “Brut” Chronicle : An Edition and Translation, éd. et trad. J. Marvin, Woodbridge, Boydell, 2006. Pour diverses versions abrégées, voir Kritische Ausgabe der anglonormannischen Chroniken : Brutus, Li rei de Engleterre, Le Livere de reis de Engleterre, éd. Christian Foltys, Berlin, Philosophische Fakultät der Freien Universität, 1962. Pour la liste des manuscrits se rattachant à cette catégorie, voir D. Tyson, « Handlist of Manuscripts containing the French Prose Brut Chronicle », Scriptorium, 48, 1994, p. 333-344, et R. J. Dean et M. B. M. Boulton, Anglo-Norman Literature. A Guide to Texts and Manuscripts, Londres, Anglo-Norman Text Society, 1999, p. 12-15, 24-27 et 30-34.

73  J. Gillingham, op. cit., p. 113-122.

74  Voir O. de Laborderie, « A New Pattern for English History : The First Genealogical Rolls of the Kings of England », Broken Lines. Genealogical Literature in Late-Medieval Britain and France, dir. R. L. Radulescu et E. D. Kennedy, Turnhout, Brepols, 2008, p. 45-61, ainsi que les articles signalés p. 46, n. 4.

75  Voir O. de Laborderie, « La mémoire des origines normandes des rois d’Angleterre dans les généalogies en rouleau des XIIIe et XIVe siècles », La Normandie et l’Angleterre au Moyen Âge, dir. P. Bouet et V. Gazeau, Caen, Publications du CRAHM, 2003, p. 211-231.

76  Cité d’après le ms. Londres, British Library, Royal 14 B. VI.

77  Voir à ce sujet J. Gillingham, op. cit., p. 96 et 246-247.

78  Cité, là encore, d’après le ms. Londres, British Library, Royal 14 B. VI.

79  Voir par exemple S. Foot, « The Making of Angelcynn : English Identity before the Norman Conquest », Transactions of the Royal Historical Society, 6th ser., 1996, p. 25-49.

80  P. Nora, Les Lieux de mémoire, II : La Nation, « Présentation » [1re éd. 1986], rééd. Paris, Gallimard (coll. « Quarto »), 1997, t. 1, p. 573.

81  Voir à ce sujet P. Stafford, art. cit., p. 30, en particulier note 6, et p. 50.

82  Voir T. Turville-Petre, « The “ Nation” in English Writings of the Early Fourteenth Century », England in the Fourteenth Century. Proceedings of the 1991 Harlaxton Symposium, Stanford, Paul Watkins, 1993, p. 128-139 ; et id., England the Nation. Language, Literature, and National Identity, 1290-1340, Oxford, Clarendon Press, 1996, en particulier p. 1-25 et 71-107.

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Pour citer cet article

Référence papier

Olivier de Laborderie, « Les historiens anglais de la première moitié du XIIe siècle et la redéfinition de l’identité nationale »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 19 | 2010, 43-62.

Référence électronique

Olivier de Laborderie, « Les historiens anglais de la première moitié du XIIe siècle et la redéfinition de l’identité nationale »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 19 | 2010, mis en ligne le 30 juin 2013, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/11983 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.11983

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Auteur

Olivier de Laborderie

Chargé de cours à l’Université de Paris XII – Val-de-Marne

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