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Wassail, drinchail et savoir-vivre, ou la disqualification culturelle d’une élite

Alban Gautier
p. 11-26

Résumés

Les auteurs normands et anglo-normands du XIIe siècle présentent souvent les nobles anglais d’avant la conquête de 1066 comme des ivrognes braillards, dont les manières de table étaient indignes des peuples civilisés. Or l’étude des pratiques de commensalité à la fin de la période anglo-saxonne suggère au contraire que les usages conviviaux des élites étaient très comparables de part et d’autre de la Manche. Cet article défend l’idée qu’en bons moralistes, les clercs anglo-normands ont surtout utilisé les Anglais d’avant la conquête pour stigmatiser les vices de leur époque : ceux d’abord du petit peuple, qui avait conservé des cris et des pratiques sans doute héritées d’une antique obligation de boire ; ceux ensuite de l’aristocratie anglo-normande, dont certaines manières leur semblaient inacceptables. Une bonne manière de condamner ces usages était donc de les attribuer aux « Anglais », c’est-à-dire à une classe politique honnie et détrônée par les ancêtres de ceux-là mêmes qu’ils cherchaient à corriger.

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Texte intégral

  • 1  Voir par exemple chez Guillaume de Malmesbury, Gesta Regum Anglorum (désormais GRA), III, 241-242, (...)

1À la veille de la bataille de Hastings, le 13 octobre 1066, deux mondes se retrouvèrent face à face : du moins est-ce ainsi que les historiens ultérieurs, normands et anglo-normands, rapportèrent l’événement. D’un côté le sérieux, l’application, la sobriété des Normands, qui passèrent la nuit à prier et à jeûner. De l’autre, l’exubérance, l’insouciance et l’ivrognerie des Anglais, qui occupèrent le même temps à boire et à festoyer1. C’est en ces termes que le poète Wace décrivait, près d’un siècle plus tard, cette veillée d’armes :

  • 2  J’adopte la modification proposée par A. J. Holden à la leçon de la plupart des manuscrits, qui pr (...)
  • 3  Wace, Roman de Rou, v. 7323-7342, éd. A. J. Holden, Le Roman de Rou de Wace, Paris, Picard, 1970-1 (...)

Quant la bataille dut joster,
la noit avant, ço oï conter,
furent Engleis forment haitié,
mult riant et mult enveisié ;
tote noit mangierent et burent,
onques la noit et lit ne jurent,
mult les veïssiez demener,
treper et saillir et chanter.
Bublie crient et wesseil
e laticome et drincheheil,
drinc hindrewart et drintome
drinc helf e drinc to de2.
Issi se contindrent Engleis ;
e li Normant et li Franceis
tote noit firent oreisons
e furent en afflictions ;
de lor pechiez confés se firent,
as proveires les regehirent,
e qui nen ou proveires pres
a son veisin se fist confés3.

  • 4  GRA, III, 245-246, sp. 245.5 : Paruis et abiectis domibus totos absumebant sumptus, Francis et Nor (...)
  • 5  Ces points sont développés plus longuement dans A. Gautier, « Saxons et Normands à table (fin XIe- (...)

2Ce texte, comme bien d’autres chez les auteurs latins ou français de la fin du XIe et du XIIe siècle, témoigne du véritable complexe de supériorité que pouvaient entretenir les occupants normands de l’Angleterre au lendemain de la conquête vis-à-vis de ceux qu’ils avaient vaincus à Hastings : les Anglais y sont en effet présentés comme des barbares et des sauvages, incapables de se maîtriser, parlant qui plus est une langue laide et incompréhensible. Guillaume de Malmesbury résume cette opposition dans deux chapitres de ses Gesta regum Anglorum en déclarant que les Anglais « dépensaient tous leurs revenus dans des demeures minables et abjectes, différant en cela des Français et des Normands, qui dans des bâtiments vastes et splendides avaient des dépenses modérées4 ». De tels propos, qui sont loin d’être isolés, témoignent d’un authentique rejet par les auteurs normands et anglo-normands des pratiques des Anglo-Saxons en matière de cultures élitaires laïques, et particulièrement de pratiques ostentatoires de consommation. Ce rejet s’observe autant chez des écrivains de souche normande ou écrivant en Normandie que chez des auteurs issus de l’élite d’ascendance mixte, écrivant en Angleterre et soucieux de réhabiliter un tant soit peu le passé anglo-saxon5.

  • 6  GRA, II, 106 : mores longe a gentilitia barbarie alienos.
  • 7  J. Gillingham, « Civilizing the English ? The English Histories of William of Malmesbury and David (...)

3Cinquante ans après la conquête, on considérait en Angleterre même que la splendeur de la table anglaise aux temps du roi Édouard le Confesseur et de l’earl Harold était une erreur, une impiété et, peut-être pis encore, une faute de goût. Toute influence positive en matière de mœurs venait nécessairement du Continent. Ainsi Guillaume de Malmesbury écrivait-il au sujet du roi ouest-saxon Egbert, qui passa plusieurs années en exil sur le Continent, sans doute à la cour de Charlemagne, qu’il avait acquis en Gaule « des usages en tout étrangers à la barbarie de sa nation6 ». Telle était donc la perception des historiens anglo-normands du XIIe siècle, une perception dérivée en grande partie de celle des panégyristes normands du XIe tels que les deux Guillaumes, de Jumièges et de Poitiers, et qui reposait sur l’idée que l’Angleterre était une terre « barbare », que les Normands avaient, à leur manière brutale mais efficace, « civilisée »7. Mais correspondait-elle pour autant aux réalités des Xe et XIe siècles ? La culture aristocratique des nobles anglais était-elle si différente de celle de leurs voisins normands, flamands ou français au point d’être rejetée comme extravagante et impie, ou ne s’agit-il que d’une accusation destinée à noircir l’image d’une élite indigène détrônée par la conquête et presque intégralement remplacée par une élite d’origine continentale ?

  • 8  C’est l’une des impressions qui résulte de la lecture d’un grand nombre d’articles publiés depuis (...)
  • 9  N. J. Sykes, « The Impact of the Normans on Hunting Practices in England », Food in Medieval Engla (...)
  • 10  R. Liddiard, « The Deer Parks of Domesday Book », Landscapes, 4, 2003, p. 4-23 ; A. Gautier, « Gam (...)

4Pour répondre à ces questions, plusieurs dossiers seraient pertinents. Les dernières décennies ont considérablement remis en cause l’idée d’une rupture culturelle complète et radicale en 1066 : des continuités fortes ont été observées dans ce domaine comme dans d’autres8. Cela ne signifie pas pour autant que la conquête n’a entraîné aucune transformation : comme souvent quand on touche au problème du changement en histoire, tout est question de mesure. Ainsi, les loisirs des élites anglaises et normandes étaient souvent semblables : on a par exemple pu montrer que la chasse, une pratique centrale pour les élites guerrières, s’était développée en Normandie selon des procédures originales, importées en Angleterre à partir de la conquête9 ; mais en même temps, certains équipements comme les parcs à cerfs avaient peut-être commencé à se répandre dans l’île avant 1066, particulièrement dans les milieux de la haute noblesse10. Je me pencherai ici tout particulièrement sur la question des manières de table, en montrant que la « civilisation des mœurs » était en réalité aussi avancée parmi les élites anglo-saxonnes que parmi leurs homologues du Nord de la France, qu’elle prenait bien souvent les mêmes formes, mais que le discours historiographique postérieur s’est ingénié à accentuer les différences pour mieux disqualifier les vaincus.

Quand les historiens décrivent les manières anglaises

  • 11  Poèmes allitératifs contenus respectivement dans le « Livre d’Exeter » (Exeter, Cathedral Library (...)
  • 12  Sur ces traités à partir du XIIe siècle, voir le catalogue commenté d’A. Montandon, Bibliographie (...)
  • 13  Ibid., vol. 1, p. 12.

5Les mentions anciennes de « bonnes manières » sont certes très rares en Angleterre, et nous n’avons pratiquement aucune trace d’un traité de savoir-vivre anglo-saxon, à moins qu’on considère comme tels certains passages de la poésie gnomique – généralement indatable entre le VIIe et le XIe siècle : cela pourrait par exemple être le cas des poèmes Maximes I et Maximes II11. Ces textes, cependant, ne sont pas véritablement comparables aux « traités de savoir-vivre » tardo-antiques ou à ceux qui se multiplient à partir du XIIe siècle12. Même si ces derniers sont souvent inspirés par la littérature de « sagesse », biblique ou antique13, ils en diffèrent – et diffèrent des poèmes gnomiques de la tradition vernaculaire anglo-saxonne – par deux traits : ils s’adressent directement au destinataire, à la deuxième personne de l’impératif ; ils décrivent des protocoles précis, des séries des gestes et paroles à rejeter ou à adopter.

  • 14  Commentaire d’A. J. Holden à son édition du Roman de Rou, vol. III, p. 235.
  • 15  Sur ce texte, cf. dernièrement et en français M. Coumert, Origines des peuples. Les récits du Haut (...)
  • 16 Historia Brittonum, ch. 37, éd. J. Morris, Nennius : British History and the Welsh Annals,Chicheste (...)

6L’extrait du Roman de Rou donné plus haut a le mérite, à travers l’écran du discours idéologique, de nous faire apercevoir certains de ces usages. Les Anglais s’y livrent à une beuverie éhontée, agrémentée de cris que Wace rend par les mots bublie, wesseil, laticome, drinceheil, drinc hindrewart, drintome, drinc helf et drinc to de. A. J. Holden, qui a édité le texte, interprète ainsi ces exclamations : « be blithe, wassail, let it come, drinchail, drink hinderwards, drink to me, drink half et drink to thee14 ». Certaines de ces expressions sont assez faciles à comprendre : « soyez joyeux », « qu’elle [la coupe] vienne », « buvons [en avant et] en arrière », « buvons à moi », « buvons la moitié [chacun] », « buvons à toi ». D’autres semblent a priori plus hermétiques : que signifient les expressions wassail et drinchail ? C’est Geoffroy de Monmouth, et ses imitateurs Wace et Lawamon, qui nous fournissent la réponse. Dans son récit du légendaire festin offert au roi breton Vortigern par le Saxon Hengest, Geoffroy enjolive un épisode remontant à l’Historia Brittonum, texte anonyme du IXe siècle traditionnellement attribué au moine Nennius15. Là où l’Historia ne faisait que rapporter la ruse de Hengest, qui fait venir de Germanie sa fille Renwein pour séduire Vortigern lors du banquet16, Geoffroy évoque un véritable cérémoniel :

  • 17  Geoffroy de Monmouth, Historia Regum Britannie, ch. 100, éd. N. Wright, The Historia Regum Britann (...)

Dans le but de lui procurer un festin royal, la jeune fille sortit de la chambre en portant un vase d’or rempli de vin. Elle s’avança alors près du roi et, fléchissant le genou, dit : « Lauerd king, Waesseil ! » Mais lui, en voyant le visage de la jeune fille, s’étonna de sa grande beauté et s’enflamma pour elle. Il demanda alors à son interprète ce qu’avait dit la jeune fille et ce qu’il devait lui répondre. Et l’interprète lui dit : « Elle t’a appelé seigneur et roi et t’a honoré par des paroles de salutation. Ce que tu dois maintenant répondre, c’est “Drincheil”. » Alors Vortigern répondit « Drincheil ! » : il ordonna à la jeune fille de boire, prit de ses mains le vase, l’embrassa et but. Depuis ce jour et jusqu’à aujourd’hui s’est conservé l’usage en Bretagne que dans les banquets celui qui boit dise à l’autre « Waesseil », et que celui qui reçoit ensuite la boisson réponde « Drincheil »17.

7À cette description, Wace au milieu du XIIe siècle, puis Lawamon au tout début du XIIIe, ajoutent quelques précisions. Selon Wace, le baiser échangé entre les buveurs fait partie du rituel :

  • 18  Wace, Roman de Brut, v. 6969-6971, éd. I. Arnold, Le Roman de Brut de Wace, Paris, SATF, 1938-1940 (...)

E pur joie et pur amistied
al hanap receivre et bailler
est custume s’entrebaisier18.

  • 19  Lawamon, Brut, v. 7153-7155, éd. W. J. R. Barron et S. C. Weinberg, Lawamon : Brut or Hystoria Bru (...)
  • 20  Wace, Roman de Brut, v. 6967.
  • 21  H. Thomas, The English and the Normans : Ethnic Hostility, Assimilation, and Identity, 1066-c. 122 (...)

8Pour Lawamon, « celui-là qui tient la coupe la boit entièrement ; on apporte une autre coupe et il l’offre à son vis-à-vis ; quand cette coupe est apportée, alors ils s’embrassent trois fois19 » : Lawamon explicite ainsi l’un des deux usages mentionnés par Wace, boire « tut u la meistied 20 », c’est-à-dire boire chacun sa coupe entière ou boire chacun la moitié de la coupe. Cet usage est présenté dans ces trois sources, comme dans le Roman de Rou, comme une pratique typiquement anglaise. On la retrouve dans divers textes du XIIe siècle, par exemple dans le Miroir des Ânes de Nigel Whiteacre, qui évoque les écoliers anglais à Paris. On y repère aussi les deux stéréotypes remarqués par Hugh Thomas au sujet des Anglais, générosité et libéralité d’une part, ivrognerie de l’autre21 :

  • 22  Nigel Whiteacre, Miroir des Ânes, v. 1519-1523, éd. John H. Mozley et Robert R. Raymo,Nigel de Lon (...)

Ils font pleuvoir les dons sur le peuple et détestent les avares,
multiplient les plats et boivent sans loi.
Wassail et drinchail et aussi l’autre sexe :
voilà les trois vices qui les accompagnent,
et excepté ces trois-là il n’y a rien à leur reprocher22.

9Geoffroy Gaimar, auteur au milieu du XIIe siècle d’une Estoire des Engleis, mentionne aussi cette pratique, précisant lui aussi que les paroles s’accompagnaient d’un baiser. C’est en se servant de cet usage que, selon lui, la future reine Ælfthryth séduisit le roi Edgar :

  • 23  Geoffroy Gaimar, Estoire des Engleis, v. 3803-3805, éd. A. Bell, L’Estoire des Engleis by Geffrei (...)

Od cupes d’or, od mazelins
Od cors de bugle, pleins de vins
Fud le weseil et le drinkeil
Deci que Edgar prist sumeil
E quant la dame od lui beveit,
Si la baisot cum custume esteit23.

  • 24 Ibid., v. 4025-4029.

10De même, c’est à l’occasion d’un tel baiser que la même reine aurait fait assassiner son beau-fils Édouard le Martyr : à l’arrivée du jeune roi chez sa belle-mère, l’échanson lui servit une corne de clared. Il n’y a pas ici mention de wassail/drinchail, mais « al corn liverer le dut baiser » : l’instant de « livrer la corne » est celui que le serviteur félon choisit pour le trahir et le poignarder24. Il semble donc que cette coutume faisait partie de l’« arsenal de clichés » servant à l’époque anglo-normande à décrire les manières des Anglais, et en particulier leur prétendue ivrognerie : sa présence dans notre extrait du Roman de Rou, à la veille de la bataille de Hastings, n’a donc rien d’étonnant.

  • 25 Beowulf, v. 407, éd. A. Crépin, Paris, Le Livre de Poche, 2007, p. 62.
  • 26 R. Kaiser, Trunkenheit und Gewalt im Mittelalter, Cologne, Böhlau, 2002, p. 79 et 97.

11Cette coutume, si emblématique des usages anglais pour les auteurs postérieurs à la conquête normande, n’est pourtant jamais décrite de manière explicite dans les sources anglo-saxonnes antérieures à 1066. Cela ne veut pas dire qu’elle n’existait pas, et ce dès une période ancienne, peut-être sous une forme moins codifiée et élaborée. Wassail est en effet une forme de l’expression anglo-saxonne « wes hæl », qui ne signifie rien d’autre que « sois sain », « sois en bonne santé ». C’est donc une expression anglo-saxonne de salutation, comme l’explique l’interprète à Vortigern dans le récit de Geoffroy de Monmouth. Dans le poème dont il est le héros éponyme, Beowulf salue le roi Hrothgar par les paroles suivantes : « Wæs þu, Hroðgar, hal !25», « Sois, Hrothgar, en bonne santé ! » Ces paroles sont les premières que Beowulf adresse à Hrothgar en rentrant dans le hall de Heorot, avant de décliner sa parenté : c’est donc bien une formule de salutation, et non pas nécessairement une invitation à boire. Hrothgar ne répond d’ailleurs pas « Drinc ðu, Beowulf, hal ! », ce qui aurait pu correspondre à la « réponse » drinchail des sources ultérieures. Il n’est certes pas impossible que cette formule ait servi à boire « à la santé » d’un autre convive, mais rien ne l’atteste dans les textes antérieurs à la conquête. En effet, l’expression « jumelle » drinchail n’apparaît pas dans les textes avant le XIIe siècle, et il est impossible de dire si elle existait auparavant. Si tel était le cas, il faudrait alors la lier à l’obligation de boire dans les festins, que plusieurs sources soulignent. Cette obligation n’avait d’ailleurs rien de particulièrement anglo-saxon, ni même de spécialement germanique : Reinhold Kaiser a réuni à ce sujet tout un dossier qui dépasse largement le monde barbare26. Cicéron mentionne par exemple la maxime romaine Aut bibat, aut abeat : « Soit on boit, soit on part », et Césaire d’Arles s’insurge au VIe siècle contre cette pratique, qu’il n’identifie pas comme proprement barbare, et qui était donc probablement courante chez les Gallo-Romains. L’obligation de boire dans certains contextes serait donc commune à plusieurs cultures ayant pu influencer l’Angleterre anglo-saxonne : antique, paléo-chrétienne, germanique. Elle peut servir de cadre explicatif à l’existence de cette formule double, faisant se succéder une invitation (wassail) et une réponse (drinchail) ritualisées.

  • 27  Cf. par exemple R. Fletcher, Bloodfeud : Murder and Revenge in Anglo-Saxon England, Londres, Pengu (...)

12Mais revenons à l’ambiance évoquée par Wace à la veille de la bataille de Hastings. Cette étrangeté, cette sauvagerie même des cris anglo-saxons, de ces mots imprononçables, de ces wassail et de ces drinchail, correspond-elle à une réalité, à une impression qu’aurait pu avoir au milieu du XIe siècle un noble continental arrivant en Angleterre et participant à un festin parmi des membres de sa classe ? Un tel voyageur aurait-il été dépaysé au point de penser se trouver chez de parfaits barbares ? Certes, le Nord du pays était sans nul doute très marqué par les usages scandinaves, ainsi que par une plus grande violence27, mais je voudrais montrer combien, dans le Sud au moins, les élites avaient déjà adopté une grande partie des usages continentaux et des manières de table continentales.

  • 28  H. Thomas, The English and the Normans…, op. cit., p. 302.

13De fait, si les auteurs normands et anglo-normands du XIIe siècle ont prêté de tels cris et de tels usages aux Anglais d’avant la conquête, c’est sans doute parce que c’étaient là ceux des « Anglais » de leur époque : et par « Anglais » il faut sans doute entendre les Anglais de naissance28, ceux qui ne parlaient pas la langue des conquérants – et par conséquent les couches les moins favorisées de la population, ceux qui buvaient dans les tavernes ou dans les salles de festin des guildes rurales et urbaines. Il est possible – et même, reconnaissons-le, probable – que leurs usages et leurs rituels aient été dérivés d’usages et de rituels de l’époque anglo-saxonne. Mais cela ne signifie pas que les pratiques de l’aristocratie, même laïque, étaient au XIe siècle identiques à celles du commun au siècle suivant. Pour Geoffroy de Monmouth ou Wace, qui écrivaient un récit pseudo-historique, le souci de « faire vrai », de donner une « couleur locale » à leur récit, les poussait à prêter aux capitaines de l’armée d’Harold et à la fille du prince saxon Hengest des paroles qui n’étaient sans doute au XIIe siècle que celles du petit peuple – paroles qu’ils identifient comme spécifiquement « anglaises ».

  • 29  J. Simpson et S. Roud, A Dictionary of English Folklore, Oxford, Oxford University Press, 2003, ar (...)
  • 30  H. Thomas, The English and the Normans…, op. cit., p. 302.

14Dans les siècles suivants, cet usage du wassail est d’ailleurs bien identifié par les folkloristes comme caractéristique d’une culture « populaire ». On observe en effet dans les campagnes anglaises, entre le XVe et le XIXe siècle, des pratiques dites de wassailing : les gens se rendent visite d’une maison à l’autre et boivent ensemble dans les champs, en général à l’époque du Nouvel An29. Cette pratique populaire a donc pu être reprise dans le discours historique, et transposée aux élites du passé afin de mieux les disqualifier en les rapprochant des rustres. « À la fin du XIIe siècle, écrit Hugh Thomas, une image très précise s’était formée des Anglais gros buveurs, engloutissant la bière en hurlant “wassail30 » : cette image avait d’abord pour fonction de flatter les maîtres du moment et d’entretenir l’idée que leur pouvoir était justifié par la barbarie de ceux que leurs pères avaient supplantés. Ainsi, prêter aux élites anglaises d’avant la conquête des usages propres au petit peuple ne pouvait qu’alimenter le sentiment de supériorité de l’aristocratie anglo-normande, et donc renforcer l’idée que leur mainmise sur le pays était légitime.

Manières de table et modèles culturels

15La réalité des usages de l’aristocratie anglo-saxonne au milieu du XIe siècle semble avoir été tout autre. Certes, de nombreux traits étaient hérités des périodes antérieures : on buvait toujours dans des grandes salles de bois et non dans les aulae de pierre qui apparaissaient alors dans les donjons du nord-ouest de la France ; on continuait à boire de la bière en grande quantité, même si cela n’excluait pas la consommation de vin ; on utilisait toujours les cornes à boire, qui ne semblent pas avoir été en grande faveur à la même époque sur le Continent. Cependant, les usages eux-mêmes ont connu au cours des Xe et XIe siècles de profondes modifications, avec l’adoption progressive de manières de table semblables à celles en usage sur le Continent, inspirées essentiellement par une « sagesse » biblique ou tardo-antique sanctionnée par le christianisme.

  • 31  A. Montandon, Bibliographie…, op. cit., vol. I, p. 12, et l’introduction de W. J. Chase à son édit (...)
  • 32  T. Wright, Biographia Britannica Literaria, vol. I, Londres, John W. Parker, 1842, p. 37-38 : cité (...)
  • 33  Introduction de W. J. Chase, op. cit., p. 9. La traduction anglaise daterait du Xe siècle. Elle se (...)

16En témoignent par exemple les diverses adaptations des Distiques de Caton qui apparaissent en Angleterre dès le Xe siècle. Ce recueil de sentences d’inspiration stoïcienne de l’Antiquité tardive, attribuées à Caton, « l’homme le plus sage de la terre après Salomon » d’après Gautier Map, était connu en Gaule au VIe siècle par Vénance Fortunat, et en Irlande au VIIe siècle dans les Precepta Vivendi attribués à Colomban. Il fut utilisé ensuite par Alcuin dans sa Disputatio Pippini cum Albino et dans ses Praecepta, puis par Hincmar et Rémi d’Auxerre au IXe siècle31. On sait qu’il était connu dans l’Angleterre du IXe siècle, car il est mentionné dans une liste d’ouvrages ayant appartenu à un certain Æthelstan32. Or l’Angleterre se distingue de ses voisins par l’adaptation progressive et précoce, au cours des Xe et XIe siècles, de certains apophtegmes de « Caton » dans un contexte vernaculaire, en prose comme en vers : en raison de sa spécificité linguistique, l’Angleterre est en effet la première région où les Distiques furent partiellement traduits, ou adaptés, dans une langue autre que le latin33.

  • 34  « Apophtegmes » édités par J. M. Kemble en annexe deThe Dialogue of Salomon and Saturnus, Londres, (...)
  • 35  « Caton », II, 21: Quae potus peccas, ignoscere tu tibi noli,/ nam crimen nullum vini, sed culpa b (...)
  • 36  « Apophtegmes… », n° 39 : « Gif ðu hwæt on druncen misdo, ne wit ðu hit ðam ealoðe ; forðam ðu his (...)
  • 37  W. Whallon, « When in Beowulf is Beer Drunk, or Mead, When Ale or Wine ? », Inconsistencies : Stud (...)

17Ainsi les quatre-vingt-un « Apophtegmes anglo-saxons du MS BL Cotton Julius A ii34 » traduisent une partie des Distiques tout en ajoutant quelques nouvelles sentences. Mais cette traduction/adaptation n’est pas seulement un exercice de style, comme le montre l’apophtegme n° 39, où l’adaptation aux réalités anglo-saxonnes est évidente. Cet apophtegme s’inspire du distique II, 21 de « Caton », qui énonce : « Ce que tu fais de mal, pris de boisson, ne t’en exonère pas, car il ne faut pas accuser le vin, mais la faute est celle du buveur35. » Le « traducteur » anglo-saxon déclare quant à lui : « Si tu fais quelque chose de mal, n’accuse pas la bière, car tu l’as voulu toi-même36. » Le remplacement du vin par la bière est significatif, et peut (à la différence de nombreux cas dans la poésie37) être interprété au sens fort : en effet, il ne s’agit pas ici d’une question d’allitération, puisque la traduction est en prose et que, de toute manière, aucun autre mot de cet apophtegme ne pourrait allitérer avec ealoð. Ce détail, mais aussi le fait que certains apophtegmes originaux aient été ajoutés, montrent bien que cette traduction répondait à un besoin précis, celui de se donner des « manières », de fixer par écrit les choses à faire et à ne pas faire, les gestes à éviter et les paroles à prononcer dans certaines situations.

18D’autres textes anglo-saxons tardifs répondent en partie à ce besoin : c’est le cas par exemple du poème Salomon et Saturne, qui met en scène la rencontre entre le sage « chrétien » (en l’occurrence, biblique) et son homologue « païen » – il aurait tout aussi bien pu s’agir de Caton lui-même, mais pour un texte poétique, Saturne présentait l’avantage de l’allitération avec Salomon. Un passage évoque l’attitude à adopter lorsqu’un morceau de nourriture tombe à terre :

  • 38  Salomon et Saturne, II, v. 401-409 : poème des mss Corpus Christi College Cambridge 422 et 41, Ang (...)

Bien souvent aussi elle [la lumière] vainc le pouvoir du diable,
là où une multitude de sages est assemblée :
quand des mains d’un homme prudent un morceau [de nourriture] glisse
alors il le voit à la lumière, se penche pour le ramasser,
le bénit, l’assaisonne et l’avale lui-même.
Ainsi cette unique bouchée est-elle pour chaque homme
grandement meilleure, si elle est bénie,
à manger, s’il peut s’en souvenir,
que ne le serait pour lui un festin de sept jours38.

  • 39 Ibid., p. 76.
  • 40  Guillaume de Malmesbury, Gesta pontificum anglorum, IV, 140, éd. N. Hamilton,William of Malmesbury (...)

19Robert Faerber voit dans cette scène « une référence à la croyance que, si de la nourriture tombe à terre, elle devient la propriété du diable », raison pour laquelle « il faut faire le signe de croix sur elle avant de la manger et ainsi vaincre la puissance du diable39 ». Une telle interprétation n’est bien sûr pas à rejeter : la lumière, qui permet au convive de voir le morceau tombé à terre, ainsi que la bénédiction, sont des moyens de vaincre le diable qui se serait sinon « emparé » de ce morceau négligé. Mais il s’agit aussi et surtout du signe d’une interpénétration de plus en plus forte entre le monde du festin et le monde clérical. Les pénitentiels du VIIIe siècle prévoyaient aussi des purifications pour la nourriture « souillée », et eux aussi répondaient à un besoin de règles précises : mais il s’agissait plus de règles de pureté de la nourriture elle-même que de manières de table. Les élites des Xe et XIe siècles sont désormais demandeuses de règles chrétiennes, ou conçues comme telles, pour le comportement dans les repas. L’Église a certes accepté certains accommodements avec le principe du festin aristocratique, qu’elle avait été tentée de rejeter entièrement, ou du moins d’interdire à son clergé. Cette transmission par l’intermédiaire d’une « sagesse » chrétienne de règles de savoir-vivre tardo-antique est l’un des signes les plus importants de ce modus vivendi : l’Église reconnaît l’utilité sociale et la nécessité du festin, mais lui fournit de plus en plus ses principes de comportement. Le retour fréquent dans les sources narratives des Xe, XIe et XIIe siècles de scènes de bénédiction de la nourriture ou de la boisson lors des festins en est un autre signe : c’est ainsi que l’évêque Wulfstan « jamais par égard pour quiconque, pas même quand il était à la cour et quand il prenait place à la table du roi, ne renonça à dire les grâces que les Anglais disent sur les boissons40 ». L’usage anglais semble avoir différé ici de l’usage continental (dans des termes qu’il est difficile de préciser), mais le principe est le même : proposer à l’aristocratie des manières différentes de celles de la tradition représentée par la poésie héroïque, sanctionnées par l’Église et inspirées de la tradition classique, de la sagesse biblique ou des usages liturgiques.

  • 41  J. L. Nelson, « Was Charlemagne’s Court a Courtly Society ? », Court Culture in the Early Middle A (...)

20Certes, les Distiques ne sont pas seulement composés de sentences sur la table, mais celles-ci reviennent de manière récurrente. L’idéal véhiculé par les « Apophtegmes anglo-saxons »est donc, comme dans les Distiques, un comportement modéré en tout, de « juste mesure », qui contraste fortement avec l’idéal de beuverie communautaire et d’engagement sur la coupe qui ressort de la plupart des textes vernaculaires anglo-saxons. Même si l’on ne peut pas prouver que cette diffusion des sentences de Caton est d’origine continentale, elles correspondent beaucoup mieux au discours ambiant dans les cours carolingiennes du IXe siècle41, et à l’image que souhaitaient donner d’elles-mêmes les aristocraties du nord de la France au XIe siècle : on peut ainsi mentionner la « modération » ou la « sobriété » des Normands, qui pour certains auteurs confinait à la pingrerie. Or le fait que ces sentences soient entrées dans la langue vernaculaire et qu’elles aient été adaptées aux réalités anglo-saxonnes nous suggère qu’elles avaient commencé à pénétrer plus avant dans les usages de l’aristocratie anglo-saxonne qu’on ne pourrait le penser à la seule lecture des historiens normands et anglo-normands. De fait, il n’est pas nécessaire de postuler une origine continentale à ces adaptations : une simple convergence pourrait aussi bien convenir, car les Distiques étaient après tout connus dans les îles Britanniques dès le VIIe siècle. Ce que ces adaptations vernaculaires montrent, c’est que certains milieux anglais n’étaient pas en dehors des courants européens en matière de savoir-vivre et de manières de table.

  • 42  Traités édités par J. Morawski, Le Facet en françoys : édition critique des cinq traductions franç (...)
  • 43 M. O. Goldberg, Die Catonischen Distichen…, op. cit., p. 9. Il s’agit, comme dans le cas du Facetus(...)

21Ainsi, la vogue des Distiques au XIIe siècle dans le monde anglo-normand – le XIIe siècle est l’époque où apparaissent certaines adaptations en latin ou en français sous la forme de traités de savoir-vivre, comme le Facetus, le Qui sedes in mensa ou le Dum manducatis42 – ne doit pas être vue seulement comme l’effet de l’extension à l’Angleterre de la culture de la France du Nord. Déjà aux Xe et XIe siècles il existait un certain degré de convergence entre les deux rives de la Manche. Il n’est sans doute pas innocent qu’au XIIIe siècle une adaptation moyenne anglaise des Distiques ait été connue sous le nom de « Proverbes d’Alfred43 » : le roi Alfred avait certes obtenu au fil des siècles l’image d’un sage, à l’instar de Salomon, Saturne ou Caton, mais il est possible qu’on se soit aussi souvenu de son règne comme d’une époque où ce type de manières de table avait pour la première fois été introduit en Angleterre.

  • 44  F. Barlow, Edward the Confessor, Berkeley et Los Angeles, University of California Press,1970, p.  (...)

22La coexistence entre les différents systèmes de manières de table que nous pouvons postuler dans l’Angleterre du premier XIe siècle – usages quasi-liturgiques encouragés par l’Église, avec bénédiction de la nourriture et de la boisson ; usages beaucoup plus violents et en apparence bien moins réglés des élites septentrionales ; wassail et drinchail des tavernes et des « maisons de bière » ; nouveaux codes continentaux en faveur dans certains milieux aristocratiques, inspirés de la « sagesse » tardo-antique et biblique – ne fut peut-être pas aisée, mais les sources restent largement silencieuses sur ce point. Tout au plus peut-on remarquer que, si les auteurs anglo-normands ont largement condamné les Anglais d’avant la conquête pour leur manque de modération et leur exubérance à table, il ne faut pas en déduire que les élites anglo-saxonnes, au XIe siècle, festoyaient de manière totalement inacceptable pour leurs homologues continentales. Certes l’Angleterre était restée, jusque dans les années 1040, plus tournée vers la Scandinavie et les mondes nordiques que vers l’Europe continentale ; mais les choses changèrent avec l’avènement d’Édouard le Confesseur sous le règne duquel les modèles (et les individus) germaniques, lorrains, normands et français connurent une faveur nouvelle. Certes la culture de la cour du Confesseur n’était pas exclusivement orientée vers le Continent (en témoigne par exemple le poème allitératif composé juste après sa mort et inclus dans la Chronique anglo-saxonne) ; mais elle marquait un compromis nouveau entre les modèles anglo-scandinaves et continentaux44.

Disqualifier une élite, en critiquer une autre

23En réalité, en bons moralistes, les clercs anglo-normands ont surtout utilisé les Anglais d’avant la conquête pour stigmatiser les vices de leur époque : ceux d’abord des rustres qui avaient « conservé » la pratique du wassail et du drinchail, une pratique qui participait sans doute de l’obligation à boire ; ceux ensuite de l’aristocratie anglo-normande, dont certaines manières leur semblaient inacceptables et qu’ils cherchèrent à condamner en les attribuant aux « Anglais », c’est-à-dire à cette classe politique honnie et détrônée par les ancêtres de ceux-là mêmes qu’ils cherchaient à stigmatiser.

  • 45 GRA, IV, 314, 4-5.
  • 46  R. Bartlett, England under the Norman and Angevin Kings…, op. cit., p. 52-54. C’est ce qu’affirme (...)
  • 47  W. Grape, La Tapisserie de Bayeux : Monument à la gloire des Normands, Munich, Prestel, 1994, p. 9 (...)
  • 48  Guillaume de Malmesbury, Vie de Wulfstan, I, 16, éd. et trad. M. Winterbottom et R. M. Thomson, Wi (...)
  • 49  H. Platelle, « Le problème du scandale : les nouvelles modes masculines aux XIe et XIIe siècles », (...)
  • 50  Orderic Vital, Histoire ecclésiastique, XI, 11, éd. M. Chibnall, The Ecclesiastical History of Ord (...)

24En effet, à en croire les auteurs du XIIe siècle, c’est la cour de Guillaume II Rufus, ou le Roux, qui s’éloigna le plus de la traditionnelle sobriété et de la proverbiale modération normandes. D’après Guillaume de Malmesbury, la mode des cheveux longs, des vêtements luxueux et des chaussures à bout pointu s’y diffusa45. L’influence anglaise n’est pas mentionnée, mais on sait que les cheveux longs étaient une des caractéristiques de l’aristocratie anglo-saxonne au milieu du XIe siècle, et l’on sait aussi que Rufus, au début de son règne, s’appuya sur « les Anglais » – en l’occurrence les villes, la moyenne noblesse et l’évêque Wulfstan – pour mater la révolte de divers barons désireux de placer sur le trône son frère aîné Robert Courteheuse46. La représentation du festin d’Harold dans les premières scènes de la Tapisserie de Bayeux est significative : buvant dans des cornes immenses, chevelus et moustachus, Harold et ses compagnons sont représentés comme les nobles anglo-saxons typiques, répondant aux stéréotypes les plus rebattus47. Il est donc possible que cette mode ait ressurgi à la faveur d’un retour en grâce des traditions anglaises pendant ce règne, mais certaines d’entre elles, comme les cheveux longs, n’étaient pas du goût de tous, y compris de certains Anglais. Ainsi le saint évêque Wulfstan de Worcester, dernier prélat de souche anglaise à avoir conservé son siège dans les années qui suivirent la conquête, accusait de mollesse les nobles de l’entourage de Guillaume II qui portaient crinière longue : quand l’un d’entre eux passait devant lui, il se saisissait du fautif et, empoignant une paire de ciseaux, lui coupait les cheveux48. Il serait difficile d’affirmer que le très anglais Wulfstan se faisait alors le champion d’une vieille tradition insulaire ! Il faut bien sûr y voir un refus de la confusio, ici la confusion entre les sexes, un trait que l’on retrouve en Angleterre aussi bien qu’en Normandie et dans d’autres régions de l’Europe du Nord-Ouest en cette fin du XIe siècle, où les nouvelles modes masculines (sans doute importées de Provence et de Bourgogne plutôt que d’Angleterre) semblent avoir fait scandale49. Orderic Vital rapporte ainsi dans un épisode comparable que Serlon, évêque de Sées, accusait les courtisans d’Henri Ier de « se coiffer comme des femmes », et que, prenant des ciseaux, il leur coupait les cheveux50.

  • 51  R. Fleming, « Acquiring, Flaunting and Destroying Silk in Late Anglo-Saxon England », Early Mediev (...)

25Comment rendre compte de ce discours sur la splendeur des vêtements et de la table, à la fois dans l’élite anglo-saxonne du milieu du XIe siècle, et chez les nobles anglo-normands du temps de Guillaume II ? Il est certain que les aristocrates anglo-saxons s’habillaient richement et de manière voyante : « ces hommes qui servaient comme conseillers royaux, ordonnaient l’exécution des criminels, maltraitaient les paysans, puis combattirent et moururent à Hastings, ces hommes durs, sérieux et sévères, s’habillaient comme des paons, s’enveloppaient aux grandes occasions dans des vêtements criards et chatoyants, des robes décorées d’éléphants ou de félins sauvages, et se plaisaient à revêtir des tuniques tape-à-l’œil bordées de rubans brodés d’or », écrit Robin Fleming dans un récent article sur les usages de la soie dans l’Angleterre anglo-saxonne51.

  • 52  Guillaume de Poitiers, Histoire de Guillaume le Conquérant, II, 44, éd. et trad. R. Foreville, Par (...)
  • 53  Voir par exemple le De obitu Willelmi, un éloge funèbre anonyme intégré aux Gesta Normannorum Ducu (...)
  • 54  D. Bates, William the Conqueror, Stroud, Sutton, 2004, p. 194-195.

26Les nobles normands avaient d’ailleurs été très étonnés, et envieux, de la splendeur des princes anglais accompagnant le Conquérant lors des fêtes de Fécamp en 1067 : leurs « vêtements tissés et incrustés d’or », leurs cheveux longs, les « hanaps précieux », les « cornes de buffle ornées du même métal aux deux extrémités » avaient fait forte impression52. On remarquera au passage la mention de « cornes de buffle » (c’est-à-dire d’aurochs) : comme dans la Tapisserie de Bayeux, on a là une exagération de la taille et de la splendeur des cornes à boire anglaises (rappelons qu’il ne s’agit pas d’un texte poétique), qui permet de rappeler l’extravagance des usages anglais en matière de boisson à une époque où, semble-t-il, les cornes à boire étaient de moins en moins en faveur, en Angleterre comme ailleurs. Or les vêtements comme les récipients, mais aussi les nobles anglais eux-mêmes – l’archevêque Stigand, l’ætheling Edgar, les earls Edwin, Morcar et Waltheof – faisaient partie du butin rapporté d’Angleterre par l’armée victorieuse : c’étaient là les dépouilles des vaincus. Il est donc significatif que le roi Guillaume, dont tous les auteurs louent bien entendu la modération53, ait jugé nécessaire à cette occasion de s’habiller lui aussi de manière voyante et de donner un festin d’une splendeur inégalée en Normandie : il n’aurait pas été envisageable pour lui de paraître plus simple que ceux qui étaient devenus ses sujets et ses otages. Aussi l’étonnement des nobles normands, la splendeur de la suite de Guillaume et celle du duc-roi lui-même ne doivent pas seulement être compris comme un effet de l’étrangeté de ces Anglais : après tout, deux ans auparavant, à l’occasion de la visite d’Harold à Guillaume, durant laquelle le prince anglais avait prêté son terrible serment, la même cour normande avait vu l’earl de Wessex et ses hommes, avec leurs grands faucons, leurs cheveux longs, leur langue étrange et leurs usages exotiques. Il faut surtout y voir l’expression de la richesse nouvelle des Normands et de leur duc, et de la puissance de ce dernier qui pouvait désormais paraître entouré de véritables princes : rappelons qu’en ces premiers mois de son règne Guillaume chercha réellement à s’appuyer sur la haute aristocratie anglaise54. Les « nouveaux usages » introduits à la cour de Guillaume le Roux n’étaient donc pas seulement des usages « anglais », c’étaient aussi et surtout des usages d’ostentation et de mise en scène de la richesse, particulièrement importants à la cour d’un roi immensément plus riche que son aîné le duc Robert, perpétuellement endetté et désargenté – au point de devoir mettre en gage son duché pour obtenir les liquidités nécessaires afin de partir en Croisade.

  • 55  E. Van Houts, « Historical Writing », A Companion to the Anglo-Norman World, éd. C. Harper-Bill et (...)
  • 56  J. Gillingham, « Civilizing the English ? », art. cit., p. 33.
  • 57  Ibid., p. 41-42 : ce mot serait celui qui – avec civilitas – évoque le mieux dans les sources l’id (...)

27Aux yeux de la plupart des écrivains du XIIe siècle, et singulièrement pour ces historiens anglo-normands issus de familles mixtes (c’était le cas de Guillaume de Malmesbury, d’Orderic Vital ou d’Henri de Huntingdon) qui s’adressaient à un auditoire tout aussi mixte (anglo-normand pour Geoffroy Gaimar ou Guillaume de Malmesbury, anglo-normanno-gallois pour Geoffroy de Monmouth, anglo-normanno-danois pour Henri de Huntingdon55), la conquête normande avait été pour les Anglais une expérience douloureuse et traumatisante, mais en même temps globalement positive, une épreuve du feu dont ils étaient sortis renforcés. Ce regard positif sur la conquête comme moment civilisateur, moment d’intégration au cours de l’histoire européenne, a été mis en lumière par John Gillingham, qui a montré comment pour ces auteurs la conquête était à l’origine d’une amélioration en termes de savoir, d’arts et lettres, d’architecture et de savoir-vivre56. La « civilisation », les bonnes manières, en un mot la compositio (modération, sobriété, refus de l’action irréfléchie)57, venaient pour ces auteurs du Continent. Ils admettaient certes en partie l’ancienneté de la « civilisation » en Angleterre (on a vu comment Guillaume de Malmesbury prêtait à Egbert, dès le IXe siècle, un rôle dans l’importation d’usages continentaux), mais ils considéraient que l’apport français avait été décisif dans la formation de cette compositio, et que malgré les efforts méritoires de quelques princes isolés comme Egbert ou Alfred le Grand, la conquête normande avait été le principal moment de cet apport.

  • 58  H. Fichtenau,Living in the Tenth Century : Mentalities and Social Orders, Chicago, University of C (...)
  • 59  L. Plouvier, L’Europe à table : Histoire et recettes (t. 1 : Des origines au Moyen Âge central), B (...)
  • 60  B. Laurioux, « De l’usage des épices dans l’alimentation médiévale », Médiévales, 5, 1983, p. 15-3 (...)
  • 61  Thietmar, Chronique, IV, 47, éd. R. Holzmann, Die Chronik des Bischofs Thietmar von Merseburg und (...)

28Il n’en est pas moins vrai que l’aristocratie anglo-saxonne connaissait elle aussi les bonnes manières à table. En fait, il était commode pour ces clercs du XIIe siècle de présenter le combat entre la sobriété et la splendeur, entre la modération et l’extravagance, comme un combat entre deux traditions nationales : en moralistes, ils pouvaient ainsi stigmatiser l’une des deux tendances en l’attribuant aux vaincus. Certes, ce discours puisait dans des stéréotypes souvent anciens. Mais il est probable que les hautes aristocraties anglaise et normande, au milieu du XIe siècle, ne différaient pas fondamentalement dans leurs usages et dans leurs modèles de comportement. Élites anglaises et françaises étaient peut-être en tout état de cause bien moins « civilisées » que les élites germaniques de la même époque. Il semble bien en effet, au regard des quelques indices glanés ici et là, que la cour ottonienne puis salienne des Xe et XIe siècles était beaucoup plus policée que les cours royales et princières d’Angleterre ou de France du Nord, et beaucoup plus ouverte aux influences méditerranéennes. C’est en effet l’impression qu’on peut retirer de textes aussi divers que le Ruodlieb58 (mais il est vrai que le Ruodlieb est un véritable « météore » dans le haut Moyen Âge), les Benedictiones ad mensas d’Ekkehard IV de Saint-Gall59, la description de Mayence par Ibn Yacoub, où l’on observe vers 967 un grand choix d’épices60, ou certains passages de la Chronique de Thietmar de Mersebourg comme celui qui évoque les manières de table imposées par Otton III, qui mangeait seul sur un siège surélevé61. Ce n’est de fait qu’au XIIe siècle qu’on verra vraiment la France du Nord donner le ton au reste de l’Europe en matière de « civilité ».

  • 62  Voir R. Fleming, « The New Wealth, the New Rich and the New Political Style in Late Anglo-Saxon En (...)

29Ce qui distinguait réellement élites anglaises et normandes à la veille de la bataille d’Hastings n’était peut-être pas, comme on l’a trop souvent supposé, les usages courtois, les manières de table ou les pratiques de consommation. De fait, c’était avant tout la richesse qui les différenciait62 : les nobles anglo-saxons comme Harold et ses frères étaient de véritables princes au regard des châtelains normands qui, plus riches, se seraient sans nul doute conduits de la même manière que leurs homologues d’outre-Manche. Après la conquête, enrichis des dépouilles de ces derniers, ils en suivirent tout naturellement le chemin.

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Notes

1  Voir par exemple chez Guillaume de Malmesbury, Gesta Regum Anglorum (désormais GRA), III, 241-242, éd. R. A. B. Mynors (avec R. M. Thomson et M. Winterbottom), William of Malmesbury : Gesta Regum Anglorum, The History of the English Kings, Oxford, Oxford University Press, 1998.

2  J’adopte la modification proposée par A. J. Holden à la leçon de la plupart des manuscrits, qui proposent ici « drinc to me », ce qui serait une répétition du vers précédent.

3  Wace, Roman de Rou, v. 7323-7342, éd. A. J. Holden, Le Roman de Rou de Wace, Paris, Picard, 1970-1973, t. II, p. 156-157. On peut préciser ici le sens de quelques termes de ce texte anglo-normand : noit = nuit ; haitié = allègre ; enveisié = joyeux ; treper = sauter, danser ; jurent = *gésirent ; proveires = prêtres ; regehirent = confessèrent. Pour le sens des cris poussés par les Anglais (ici en gras), voir plus loin.

4  GRA, III, 245-246, sp. 245.5 : Paruis et abiectis domibus totos absumebant sumptus, Francis et Normannis absimiles, qui amplis et superbis edifitiis modicas expensas agunt.

5  Ces points sont développés plus longuement dans A. Gautier, « Saxons et Normands à table (fin XIe-début XIIe siècle) : frontières et identités dans l’œuvre des historiens anglo-normands », Les frontières alimentaires, éd. M. Montanari et J.-R. Pitte, Paris, CNRS éd., 2009, p. 101-113. Cf. aussi R. Bartlett, England under the Norman and Angevin Kings, 1075-1225, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 577-582.

6  GRA, II, 106 : mores longe a gentilitia barbarie alienos.

7  J. Gillingham, « Civilizing the English ? The English Histories of William of Malmesbury and David Hume », Historical Research, 74, 2001, p. 17-43.

8  C’est l’une des impressions qui résulte de la lecture d’un grand nombre d’articles publiés depuis 1978 dans la revue annuelle Anglo-Norman Studies, Proceedings of the Battle Conference (Cambridge University Press).

9  N. J. Sykes, « The Impact of the Normans on Hunting Practices in England », Food in Medieval England. Diet and Nutrition, éd. C.M. Woolgar, D. Serjeantson et T. Waldron, Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 162-175.

10  R. Liddiard, « The Deer Parks of Domesday Book », Landscapes, 4, 2003, p. 4-23 ; A. Gautier, « Game Parks in Sussex and the Godwinesons », Anglo-Norman Studies, 29, 2007, p. 51-64.

11  Poèmes allitératifs contenus respectivement dans le « Livre d’Exeter » (Exeter, Cathedral Library 3501) et dans le ms. British Library Cotton Tiberius B i, édités dans les Anglo-Saxon Poetic Records, éd.G. P. Krapp et E. V. K.Dobbie, New York, Columbia University Press, 1931-1953, respectivement vol. III et VI.

12  Sur ces traités à partir du XIIe siècle, voir le catalogue commenté d’A. Montandon, Bibliographie des traités de savoir-vivre en Europe du Moyen Âge à nos jours, 2 vol., Clermont-Ferrand, Presses de l’Université Blaise Pascal, 1995, qui exclut toutefois les traités en latin.

13  Ibid., vol. 1, p. 12.

14  Commentaire d’A. J. Holden à son édition du Roman de Rou, vol. III, p. 235.

15  Sur ce texte, cf. dernièrement et en français M. Coumert, Origines des peuples. Les récits du Haut Moyen Âge occidental (550-850), Paris, Institut d’études augustiniennes, 2007, p. 441-470 ; et A. Gautier, Arthur, Paris, Ellipses, 2007, p. 89-94.

16 Historia Brittonum, ch. 37, éd. J. Morris, Nennius : British History and the Welsh Annals,Chichester et Londres, Phillimore, 1980.

17  Geoffroy de Monmouth, Historia Regum Britannie, ch. 100, éd. N. Wright, The Historia Regum Britannie of Geoffrey of Monmouth, vol. I, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 67 : Ut ergo regiis epulis refectus fuit, egressa est puella de thalamo aureum ciphum plenum uino ferens. Accedens deinde propius regi flexis genibus dixit : « Lauerd king, Waesseil ! » At ille, uisa facie puelle, ammiratus est tantum eius decorem et incaluit. Denique interrogauit interpretem suum quid dixerat puella et quid ei repondere debeat. Cui interpres dixit : « Vocauit te dominum regem et uocabulo salutationis honorauit. Quod autem respondere debes, est “Drincheil”. » Respondens deinde Vortegirnus « Drincheil » iussit puellam potare cepitque ciphum de manu ipsius et osculatus est eam et potauit. Ab illo die usque in hodiernum mansit consuetudo illa in Britannia quia in conuiuiis qui potat ad alium dicit « Waesseil ». Qui uero post illum recipit potum, respondet « Drincheil ».

18  Wace, Roman de Brut, v. 6969-6971, éd. I. Arnold, Le Roman de Brut de Wace, Paris, SATF, 1938-1940, t. I, p. 370.

19  Lawamon, Brut, v. 7153-7155, éd. W. J. R. Barron et S. C. Weinberg, Lawamon : Brut or Hystoria Brutonum, Londres, Longman, 1995, p. 368-371 : « Þe ilke þat halt þene nap, he hine drinkeð up ;/ oðer uul me þider fareð and bithecheð his iueren ;/ þenne þat uul beoð icumen, þenne cusseoð heo þreoien. »

20  Wace, Roman de Brut, v. 6967.

21  H. Thomas, The English and the Normans : Ethnic Hostility, Assimilation, and Identity, 1066-c. 1220, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 298-305.

22  Nigel Whiteacre, Miroir des Ânes, v. 1519-1523, éd. John H. Mozley et Robert R. Raymo,Nigel de Longchamps : Speculum Stultorum, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1960 : Dona pluunt populis et detestantur avaros,/ Fercula multiplicant et sine lege bibunt./ Washeyl et drinkheyl necnon et persona secunda,/ Haec tria sunt vitia quae comitantur eis ;/ His tribus exceptis nihil est quod in his reprehendas.

23  Geoffroy Gaimar, Estoire des Engleis, v. 3803-3805, éd. A. Bell, L’Estoire des Engleis by Geffrei Gaimar, Oxford, Anglo-Norman Text Society, 1960.

24 Ibid., v. 4025-4029.

25 Beowulf, v. 407, éd. A. Crépin, Paris, Le Livre de Poche, 2007, p. 62.

26 R. Kaiser, Trunkenheit und Gewalt im Mittelalter, Cologne, Böhlau, 2002, p. 79 et 97.

27  Cf. par exemple R. Fletcher, Bloodfeud : Murder and Revenge in Anglo-Saxon England, Londres, Penguin, 2002 ; ou encore J. G. H. Hudson, « Faide, vengeance et violence en Angleterre (ca 900-1200) », La vengeance, 400-1200, éd. D. Barthélemy, F. Bougard et R. Le Jan, Rome, École française de Rome, 2006, p. 341-382.

28  H. Thomas, The English and the Normans…, op. cit., p. 302.

29  J. Simpson et S. Roud, A Dictionary of English Folklore, Oxford, Oxford University Press, 2003, art. « wassailing ».

30  H. Thomas, The English and the Normans…, op. cit., p. 302.

31  A. Montandon, Bibliographie…, op. cit., vol. I, p. 12, et l’introduction de W. J. Chase à son édition et traduction des Distiques, The Distichs of Cato : A Famous Medieval Textbook, Madison, University of Wisconsin, 1922, p. 4-9. Sur l’importance des Disticha comme modèle des premiers livres de « courtoisie », cf. J. Nicholls,The Matter of Courtesy : Medieval Courtesy Books and the Gawain-Poet, Woodbridge, Boydell, 1985, p. 63-65.

32  T. Wright, Biographia Britannica Literaria, vol. I, Londres, John W. Parker, 1842, p. 37-38 : cité par M. O. Goldberg, Die Catonischen Distichen während des Mittlalters in der englischen und französischen Literatur, Leipzig, Joachim & Jüstel, 1883, vol. 1, p. 8-9.

33  Introduction de W. J. Chase, op. cit., p. 9. La traduction anglaise daterait du Xe siècle. Elle serait suivie au XIe siècle d’une traduction en vieux haut-allemand, puis au XIIe siècle et aux siècles suivants de traductions en français, italien, polonais, hongrois, etc.

34  « Apophtegmes » édités par J. M. Kemble en annexe deThe Dialogue of Salomon and Saturnus, Londres, Ælfric Society, 1848, p. 257 sq.

35  « Caton », II, 21: Quae potus peccas, ignoscere tu tibi noli,/ nam crimen nullum vini, sed culpa bibentis. Je cite le texte des Distiques depuis Disticha Catonis, éd. M. Boas, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1952.

36  « Apophtegmes… », n° 39 : « Gif ðu hwæt on druncen misdo, ne wit ðu hit ðam ealoðe ; forðam ðu his weolde ðe silf. »

37  W. Whallon, « When in Beowulf is Beer Drunk, or Mead, When Ale or Wine ? », Inconsistencies : Studies in the New Testament, the Inferno, Othello and Beowulf, Cambridge, D. S. Brewer, 1983, p. 82-97.

38  Salomon et Saturne, II, v. 401-409 : poème des mss Corpus Christi College Cambridge 422 et 41, Anglo-Saxon Poetic Records, op. cit., vol. VI : « Full oft hit eac ðæs deofles dugoð gehnægeð,/ ðær weotena bið worn gesamnod./ Ðonne snottrum men snæd oððglideð,/ ða he be leohte gesihð, luteð æfter,/ gesegnað and gesyfleð and him sylf friteð./ Swilc bið seo an snæd æghwylcum men/ selre micle, gif heo gesegnod bið,/ to ðycgganne, gif he hit geðencan cann, ðonne him sie seofon daga symbelgereordu. » Cf. la traduction de R. Faerber, Salomon et Saturne : quatre dialogues en vieil-anglais, Turnhout, Brepols, 1995, p. 50.

39 Ibid., p. 76.

40  Guillaume de Malmesbury, Gesta pontificum anglorum, IV, 140, éd. N. Hamilton,William of Malmesbury : Gesta pontificum anglorum,Londres, 1870 (« Rolls Series », 52) : Nullius umquam personae contuitu, nec etiam in curia positus regis et ad mensam ejus assidens, benedictiones, quas Angli super potum fatiebant, omisit.

41  J. L. Nelson, « Was Charlemagne’s Court a Courtly Society ? », Court Culture in the Early Middle Ages, éd. C. Cubitt, Turnhout, Brepols, 2003, p. 39-57, ici p. 52-53.

42  Traités édités par J. Morawski, Le Facet en françoys : édition critique des cinq traductions françaises des deux Facetus latins, avec introduction, notes et glossaire, Poznań, Société scientifique de Poznań, 1923.

43 M. O. Goldberg, Die Catonischen Distichen…, op. cit., p. 9. Il s’agit, comme dans le cas du Facetus, d’une adaptation qui refond entièrement la forme et la présentation des Distiques, mais qui continue à s’en inspirer directement.

44  F. Barlow, Edward the Confessor, Berkeley et Los Angeles, University of California Press,1970, p. 14-15.

45 GRA, IV, 314, 4-5.

46  R. Bartlett, England under the Norman and Angevin Kings…, op. cit., p. 52-54. C’est ce qu’affirme en tout cas la Chronique anglo-saxonne, ms. E, s.a. 1087, éd. S. Irvine, The Anglo-Saxon Chronicle : 7, MS E, Cambridge, Cambridge University Press, 2002.

47  W. Grape, La Tapisserie de Bayeux : Monument à la gloire des Normands, Munich, Prestel, 1994, p. 94. Cf. M. J. Lewis, « Identity and Status in the Bayeux Tapestry : The Iconographic and Artefactual Evidence », Anglo-Norman Studies, 29, 2007, p. 100-120, ici p. 101-103.

48  Guillaume de Malmesbury, Vie de Wulfstan, I, 16, éd. et trad. M. Winterbottom et R. M. Thomson, William of Malmesbury, Saints’ Lives : Lives of SS. Wulfstan, Dunstan, Patrick, Benign and Indract, Oxford, Oxford University Press, 2002.

49  H. Platelle, « Le problème du scandale : les nouvelles modes masculines aux XIe et XIIe siècles », Revue belge de philologie et d’histoire, 53, 1975, p. 1071-1096.

50  Orderic Vital, Histoire ecclésiastique, XI, 11, éd. M. Chibnall, The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis,Oxford, Oxford University Press, 1969-1980.

51  R. Fleming, « Acquiring, Flaunting and Destroying Silk in Late Anglo-Saxon England », Early Medieval Europe, 15/2, 2007, p. 127-158.

52  Guillaume de Poitiers, Histoire de Guillaume le Conquérant, II, 44, éd. et trad. R. Foreville, Paris, Les Belles Lettres, 1952 : Item uasa argentea siue aurea admirabantur, quorum de numero uel decore uere narrari possent incredibilia. His tantum ex poculis coenaculum ingens bibebat, aut cornibus bubalinis metallo decoratis eodem circa extremitates utrasque.

53  Voir par exemple le De obitu Willelmi, un éloge funèbre anonyme intégré aux Gesta Normannorum Ducum de Guillaume de Jumièges (VII, Épilogue), éd. E. M. C. Van Houts, The Gesta Normannorum Ducum of William of Jumièges, Orderic Vitalis and Robert of Torigni, Oxford, Oxford University Press, 1992-1995 : In cibo et potu temperans, sed in potu temperantior […]. Vini et omnis potus adeo parcus in bibendo erat, ut post cenam raro plus quam ter biberet. Ce passage cependant est presque textuellement repris de la Vie de Charlemagne par Éginhard, ch. 24.

54  D. Bates, William the Conqueror, Stroud, Sutton, 2004, p. 194-195.

55  E. Van Houts, « Historical Writing », A Companion to the Anglo-Norman World, éd. C. Harper-Bill et E. Van Houts, Woodbridge, Boydell, 2003, p. 103-121, ici p. 113-115.

56  J. Gillingham, « Civilizing the English ? », art. cit., p. 33.

57  Ibid., p. 41-42 : ce mot serait celui qui – avec civilitas – évoque le mieux dans les sources l’idée que Gillingham traduit par l’expression moderne « civilisation ». Pour Giraud de Barri, l’Angleterre est devenue regio composita, alors que le pays de Galles est resté regio barbara. Pour Richard de Devizes, Alfred « erudivit et informavit ad regulam » un royaume qui avant lui était « rude et incompositum ».

58  H. Fichtenau,Living in the Tenth Century : Mentalities and Social Orders, Chicago, University of Chicago Press, 1991, p. 63-64 ; J. Nicholls, The Matter of Courtesy…, op. cit., p. 52.

59  L. Plouvier, L’Europe à table : Histoire et recettes (t. 1 : Des origines au Moyen Âge central), Bruxelles, Labor, 2003, p. 100-101.

60  B. Laurioux, « De l’usage des épices dans l’alimentation médiévale », Médiévales, 5, 1983, p. 15-31, ici p. 25.

61  Thietmar, Chronique, IV, 47, éd. R. Holzmann, Die Chronik des Bischofs Thietmar von Merseburg und ihre Korveier Überarbeitung, MGH Scriptores Rerum Germanicarum nova series, vol. 9, Berlin, 1935.

62  Voir R. Fleming, « The New Wealth, the New Rich and the New Political Style in Late Anglo-Saxon England », Anglo-Norman Studies, 23, 2000, p. 1-22.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alban Gautier, « Wassail, drinchail et savoir-vivre, ou la disqualification culturelle d’une élite »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 19 | 2010, 11-26.

Référence électronique

Alban Gautier, « Wassail, drinchail et savoir-vivre, ou la disqualification culturelle d’une élite »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 19 | 2010, mis en ligne le 30 juin 2013, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/11979 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.11979

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Auteur

Alban Gautier

Université du Littoral Côte d’Opale

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