Virginie Minet-Mahy, L’Automne des images. Pragmatique de la langue figurée chez George Chastelain, François Villon et Maurice Scève
Virginie Minet-Mahy, L’Automne des images. Pragmatique de la langue figurée chez George Chastelain, François Villon et Maurice Scève, Paris, Champion (« Bibliothèque du XVe siècle »), 2009, 352p.
ISBN : 978-2-7453-1845-9.
Texte intégral
1Dans la lignée des travaux de David Cowling sur l’usage des métaphores en moyen français, le nouveau livre de V. Minet-Mahy propose de réfléchir sur le fonctionnement de la langue figurée littéraire aux XVe et XVIe siècles. Revenant sur la question de la stéréotypie médiévale et de son opposition habituelle à la « métaphore vive » au sens ricoeurien, l’auteur met en avant la notion fructueuse de « métaphore morte active ». Elle montre comment les textes poétiques des XVe et XVIe siècles s’enracinent dans des réseaux d’images très denses, issus des traditions spirituelles, politiques, courtoises, etc. Chaque œuvre s’en nourrit et les redéploie en d’autres gammes, grâce à une riche interaction entre intentions d’auteur et mémoire culturelle des lecteurs. À travers divers champs figurés, comme l’eau et le feu ou les métaphores mariales, sont ainsi envisagées les productions de trois écrivains, le Bourguignon George Chastelain, le Parisien François Villon, le Lyonnais Maurice Scève. Les approches monographiques, solidement tissées entre elles, permettent de porter un regard cohérent sur la poétique des images entre 1450 et 1550.
2La réflexion théorique introductive se donne pour but de critiquer l’opposition admise entre les images figurées dites « mortes » ou stéréotypées et la « métaphore vive » qui caractériserait la production littéraire, en particulier à l’âge moderne. Une telle conception est depuis longtemps battue en brèche. La stéréotypie médiévale, telle que l’étudiait un Curtius, a révélé depuis quelques décennies sa richesse, non seulement parce que la répétition est le socle de la variation comme l’ont montré R. Guiette et ses successeurs, mais aussi parce que la stéréotypie des images figurées est la clef de voûte d’une culture littéraire dont le dynamisme repose sur la sollicitation active de la mémoire des lecteurs. Dans ce contexte déjà bien balisé, la réflexion de Virginie Minet-Mahy se construit avec originalité, en se situant au croisement de diverses méthodologies encore assez peu sollicitées par les médiévistes français.
3D’une part, pour argumenter sa critique de la position ricoeurienne, l’auteur puise largement aux travaux de G. Lakoff et M. Turner, faisant appel aux théories de la communication et aux sciences cognitives. D’autre part, elle propose une ouverture du champ poétique aux méthodes de l’anthropologie historique, illustrées en France par les travaux de J-C. Schmitt. L’image littéraire, sous la forme de la métaphore, est ainsi observée en tant que signe mémoriel, en tant que partie d’un réseau de communication, en tant enfin que socle d’une dynamique interactionnelle entre écrivain et auditeur-lecteur. Nous devrions peut-être surtout dire « lecteur », puisque la tendance de cet ouvrage est d’assimiler mots et images à contempler (le cahier d’illustrations en fin de volume en est un indice). Il y aurait probablement de ce point de vue quelques nuances à apporter, surtout en conclusion de l’ouvrage, même si la lecture / contemplation / méditation des livres aux XVe et XVIe siècles est en effet bien attestée.
4Il y avait peut-être danger à convoquer des démarches assez diverses, anachroniques et parfois étrangères au champ littéraire, pour éclairer le fonctionnement de ce dernier aux XVe et XVIe siècles. Cependant cette fondation méthodologique se révèle féconde dans les études qui suivent. De notre point de vue, un point reste un peu problématique : l’intégration de la notion de rituel dans l’analyse des textes. Le rite a en effet une place importante dans les sociétés pré-modernes ; transporté en littérature, il semble se rapprocher des stéréotypies, d’autant que les champs métaphoriques qui seront étudiés dans les pages suivantes reposent sur le croisement des traditions théologiques, politiques et courtoises. Mais rites et rituels, pierres d’angle d’un certain nombre de travaux depuis une trentaine d’années, suscitent aujourd’hui, comme on le sait, de fortes critiques dans le milieu des historiens médiévistes (on peut renvoyer ici à l’ouvrage, assez symptomatique, de Ph. Buc, Dangereux rituels. De l'histoire médiévale aux sciences sociales, PUF, 2003). De ces réticences ou de ces nuances, rien ne fait état dans la démarche. Or si le geste de dégager des « rituels textuels » est intéressant, la communication que ceux-ci pouvaient permettre d’établir avec les lecteurs est assez difficile à saisir. L’étude sur Villon montre que les images rituelles d’origine spirituelle peuvent s’inverser, enclenchant alors d’autres formes (ritualisées ?) de réception et de compréhension. Jusqu’où y a-t-il rite ? Jusqu’où y a-t-il jeu ? Le ludique, au-delà de rituels de langage efficaces ou en crise, serait peut-être à réévaluer dans le plaisir que se donnent et donnent certains de ces textes.
5Sur ces bases méthodologiques sont abordées les œuvres de trois poètes : George Chastelain, François Villon et Maurice Scève, à travers trois études monographiques, tissées entre elles. Il y a peut-être quelque malice à étudier la Délie sous le titre « L’automne des images », clin d’œil à L’Automne du Moyen Âge de J. Huizinga. Le dépassement des périodisations traditionnelles (Moyen Âge versus Renaissance) est décidément efficace. Il permet de saisir avec finesse les évolutions d’une époque cohérente (1450-1550), qui appelle de plus en plus l’intérêt des médiévistes. L’un des mérites de l’ouvrage est aussi dans cette traversée des frontières trop facilement admises. De ce point de vue, on ne peut que saluer l’importance accordée à la contextualisation culturelle de chaque œuvre. On remarquera que le parcours qui fait se succéder un Bourguignon, un Parisien et un Lyonnais est sans doute concerté. Pouvait-on en tirer des hypothèses sur la spécificité de ces espaces littéraires, sur leurs différentes relations par exemple aux images figurées ? La question reste ouverte.
6La première étude de cas prend pour objet l’œuvre de George Chastelain, en sollicitant toutes ses dimensions : politique (essentielle pour cet historien officiel de la cour de Bourgogne), spirituelle et de théorie littéraire. Cette appréhension est essentielle, puisqu’elle permet de souligner la puissante cohérence de ce qui nous était apparu comme une « poétique ». La mise en lumière de réseaux métaphoriques précis, notamment des images mariales, souligne la proximité de l’écrivain avec les textes contemporains de Gerson. Comme chez le Chancelier de l’université de Paris dont il s’inspire, Chastelain construit une symphonie de métaphores qui lui permettent d’articuler son discours politique (Entrée du Roi Louis en nouveau règne), ses réflexions esthétiques (Douze Dames de Rhétorique) et sa profession de foi (Louenge à la tres glorieuse Vierge). La très fine analyse de V. Minet-Mahy emporte, de notre point de vue, l’adhésion ; en dévidant, fil à fil, la complexité d’un textum métaphorique chez l’écrivain, elle démontre l’intérêt d’approcher les œuvres polygraphiques – si fréquentes en moyen français – dans leur globalité.
7Si « l’esprit vivifie », chez Chastelain, « la lettre tue » chez François Villon. C’est donc cette fois par la voie des champs métaphoriques ici dits « rituels », notamment le thème de la prière, que l’œuvre poétique villonienne est parcourue. L’approche des péchés de langue pourrait sembler plus attendue, mais les analyses des métaphores ignées et de l’élaboration du réseau feu / soif / peau / écriture sont remarquables. Elles illustrent ce que l’auteur nomme la « génération (au sens d’engendrement) métaphorique ».
8Le cas de M. Scève sert de résolution au propos et est donné comme un espace de croisement des questions abordées par les deux écrivains précédents. L’hypothèse de l’auteur est en effet de lire le travail métaphorique de la Délie comme une tentative de résolution des difficultés que le moi lyrique médiéval (ne faudrait-il pas préciser « du XVe siècle » ou « du moyen français » ?) affronte à travers la question du corps amoureux : comment dire, dans l’image, les tensions entre spiritualité et désir, esprit et matière, feu et eau. Les célèbres fulgurances de Scève, images mortes et pourtant étrangement actives, se laissent mieux saisir dans ce cadre d’analyse.
9L’Automne des images : le titre du livre, dans sa référence à Huizinga, offre justement au lecteur une métaphore que l’on pourrait croire morte tant elle est célèbre – automne d’un temps essoufflé, d’une production poétique sous le signe de la stéréotypie, de l’inspiration tarie, etc. Mais, à l’instar des images que l’auteur analyse, le stéréotype est lourd de sens et sert à révéler une époque littéraire complexe, dont les jeux d’écriture et les univers de référence nous échappent encore en partie.
Pour citer cet article
Référence électronique
Estelle Doudet, « Virginie Minet-Mahy, L’Automne des images. Pragmatique de la langue figurée chez George Chastelain, François Villon et Maurice Scève », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 17 juillet 2010, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/11977 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.11977
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